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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 6

  • Programme complet du 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : à suivre en direct ici du 1er au 10 septembre 2023

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    Comme chaque année depuis une vingtaine d'années, je vous ferai vivre en direct le Festival du Cinéma Américain de Deauville dont la 49ème édition aura lieu du 1er au 10 septembre. Vous pourrez notamment me suivre sur mon compte Instagram (@Sandra_Meziere). Une édition avec un programme qui s'annonce passionnant malgré les absences de ceux qui auraient dû être à l'honneur cette année (Natalie Portman, Jude Law, Joseph Gordon-Levitt, Peter Dinklage) pour cause de grève à Hollywood. Le festival propose d'ailleurs une table ronde à ce sujet intitulée Grève à Hollywood : les mutations du cinéma, en partenariat avec Le Monde, le 2 septembre à 14h.

    Cela n'empêchera pas ce festival, comme chaque année, d'être le reflet des ombres et lumières de la société américaine, de nous offrir une plongée réjouissante dans les méandres du pays de l'Oncle Sam, avec 80 films en sélection officielle : Premières, compétition, Docs de l'Oncle Sam...mais aussi, comme c'est le cas depuis la pandémie, une Fenêtre sur le cinéma français ( 3 films français en première mondiale) et L'heure de la Croisette ( 3 films de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes). Jerry Schatzberg sera par ailleurs bien présent à l'occasion de l'hommage que lui rendra le festival, de même que Kyle Eastwood qui fera résonner ses notes lors de la cérémonie d'ouverture et viendra présenter un documentaire qui lui est consacré. L'ouverture sera aussi l'occasion de découvrir Le Jeu de la Reine de Karim Aïnouz. Le festival propose cette année des "conversations avec..."  Luc Besson (à l'occasion de la première de son film Dogman) et Carole Bouquet (à l'occasion de la projection de Captives de Arnaud des Pallières). Comme chaque année, il ne faudra également pas manquer le Prix d'Ornano-Valenti attribué cette année à Rien à perdre de Delphine Deloget.

    Rendez-vous le 9 septembre pour découvrir le palmarès décerné par Guillaume Canet (à qui la distinction numérique de l'INA sera remise le 6 septembre avant la projection de L'enlèvement de Marco Bellochio) et Mélanie Thierry, et leurs jurys respectifs. La cérémonie du palmarès sera suivie du film de clôture : Joika de James Napier Robertson

    Retrouvez également l'ensemble de mes articles consacrés à l'édition 2022 du festival sur In the mood for Deauville et mon bilan du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022 dans le magazine Normandie Prestige 2023 (distribué à partir du 20 juillet 2023, également disponible en ligne ici).

    Cet article ci-dessous vous détaillant le programme du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 sera mis à jour au fur et à mesure des annonces.

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  • Critique de ANATOMIE D’UNE CHUTE de Justine Triet (palme d’or du Festival de Cannes 2023 – au cinéma le 23.08.2023)

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    J’ai découvert ce film en « rattrapage » le dernier jour du Festival de Cannes, quelques heures avant la clôture lors de laquelle Ruben Östlund et son jury lui ont décerné la palme d’or, et j’en suis sortie bousculée, heurtée par la lumière réconfortante du Sud après cette plongée dans cette histoire qui m’avait totalement happée. La récompense cannoise suprême est amplement méritée pour ce thriller de l’intime qui m’a captivée de la première à la dernière seconde. Comme à l’issue d’un thriller, le film terminé, vous n’aurez qu’une envie : le revoir, pour quérir les indices qui vous auraient échappés. Avec cette palme d’or française, le cinéma hexagonal recevait ainsi pour la onzième fois la prestigieuse récompense, dévolue à une réalisatrice pour la troisième fois de l’histoire du festival après Jane Campion, pour La leçon de piano, en 1993, et après Julia Ducournau, pour Titane, en 2021. Anatomie d’une chute est le quatrième long-métrage de Justine Triet après La bataille de Solférino (2013), Victoria (2016) et Sibyl (2019). Alors qu’un autre film de procès récoltait les louanges des festivaliers, Le procès Goldman de Cédric Kahn, à la Quinzaine des cinéastes, le procès de cette chute a également reçu des avis presque unanimement enthousiastes. Il serait néanmoins très réducteur de définir ce film comme étant uniquement un « film de procès ».

    Sandra (Sandra Hüller), Samuel (Samuel Theis) et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel (Milo Machado Graner), vivent depuis un an loin de tout, à la montagne, dans la région dont Samuel est originaire. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ?

    Ce sont finalement trois mystères qu’explore le film, contenus dans son titre : le mystère d’un couple, surtout de sa déliquescence, le mystère d’une mort suspecte, le mystère des récits de Sandra, écrivaine. Trois chutes. Le terme chute s’applique ainsi à ces trois mystères. La chute du couple. La chute (physique) qui conduit à la mort de Daniel. La chute d’une œuvre (qu’elle soit romanesque ou cinématographique). C’est donc à cette triple anatomie que nous convie Justine Triet. Et finalement à l’anatomie de celle qui les réunit : le fascinant, intrigant, froid et impénétrable personnage de Sandra. 

    Cela commence dans le cadre en apparence serein du chalet familial, par une chute : celle d’une balle dans un escalier, qui en préfigure d’autres. Une jeune universitaire vient interviewer Sandra sur son travail d’écrivaine. Autour d’un verre, une joute verbale s’installe, non dénuée de séduction. Cette dernière répond de manière évasive, et dans ses réponses et sa manière de répondre, déjà, s’instaure un certain malaise qui s’accroît lorsque Samuel, invisible, à l’étage, met une musique assourdissante (une version instrumentale du P.I.M.P de 50 Cent , P.I.M.P de Bacao Rhythm et Steel Band) qu’il écoute en bouche tout en rénovant les combles du chalet. Bien qu’absent du cadre, Samuel envahit l’espace. Sandra feint tout d’abord de faire abstraction de cet envahissement sonore qui entrave l’interview, qu’elle doit finalement interrompre. Pour s’échapper de cette cacophonie, le jeune Daniel part sortir son chien. C’est là qu’il découvrira le corps sans vie de son père.

    Le personnage de Sandra est absolument passionnant, celui d’une femme libre, à la personnalité retorse. C’est finalement cette personnalité qui semble être disséquée et désapprouvée lors du procès parce qu’elle n’entre pas dans les cases. Dans la vie d’une romancière, on préfère ainsi imaginer qu’elle « tue le héros de son roman » plutôt  « qu’un banal suicide» de son mari. Sa froideur et sa distance la rendent rapidement suspecte aux yeux du procureur qui n'aura de cesse de prouver sa culpabilité. Incarné par Antoine Reinartz, il s’acharne sur elle avec une rare violence. Son récit à lui est parfaitement manichéen. Sandra fait une « bonne coupable », une parfaite « méchante » pour que soit raconté « le bon récit », celui de l’écrivaine meurtrière.

    L’aveugle est finalement le seul à (sa)voir. Plus que de vérité, il est question de réécriture de la vérité, de choix de récit et c’est avant tout cela qui rend cette histoire passionnante. Elle questionne constamment cette notion de vérité et d’écriture. Le récit appartient alors à Daniel. C’est à lui que reviendra de choisir le récit officiel. Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger (film prenant avec James Stewart, que je vous recommande au passage) dont le titre a inspiré celui du film de Justine Triet, interrogeait lui aussi cette notion de vérité. Dans Sibyl, Virginie Efira incarne une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d'écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Là aussi, elle va réécrire une réalité…

    La dissection du couple est également particulièrement passionnante, notamment une scène de dispute pendant laquelle vous retiendrez votre souffle (ce ne sera d’ailleurs pas la seule). Est ainsi disséquée la complexité des rapports qu’entretiennent Sandra et Samuel, constitués de rancœurs, de jalousie aussi, d’inégalité. L’un et l’autre puisent dans la vie, dans leur vie, pour écrire, l’une avec plus de succès que l’autre. Samuel veut faire de la vie de son couple la matière de son roman, il enregistre d’ailleurs leurs conversations. Le scénario, habile et ciselé, inverse les rôles stéréotypés qu’offre la plupart des récits. C’est elle qui réussit et vit de sa plume (lui n’est qu’un professeur qui tente d’écrire). C’est lui qui est en mal de reconnaissance. C’est en cela aussi que l’on fera son procès, on lui reproche de n’être finalement pas à sa place.

    Sandra Hüller, présente dans deux films en compétition cette année à Cannes (l’autre était The Zone of Interest de Jonathan Glazer), révélée à Cannes en 2016 dans Toni Erdmann, est impressionnante d’opacité, de froideur, de maitrise, d’ambiguïté. Justine Triet a écrit le rôle pour elle et elle l’incarne à la perfection.  « J’ai écrit pour elle, elle le savait, c’est une des choses qui m’ont stimulée dès le départ. Cette femme libre qui est finalement jugée aussi pour la façon qu’elle a de vivre sa sexualité, son travail, sa maternité : je pensais qu’elle apporterait une complexité, une impureté au personnage, qu’elle éloignerait totalement la notion de « message » a ainsi déclaré Justine Triet.

    Swann Arlaud (Petit paysan, Grâce à Dieu, Vous ne désirez que moi…), pour moi un des meilleurs acteurs de sa génération, est également  d’une rare justesse dans le rôle de l’avocat, sensible, très impliqué, qui fut sans doute plus qu’un ami, ce qui donne une fragilité intrigante à son personnage, instillant un trouble dans leurs relations.

    Justine Triet a fait le choix de ne pas mettre de musique additionnelle, néanmoins la musique du début nous hante, contrebalancé par le prélude de Chopin que Daniel joue au piano.

    Justine Triet et Arthur Harari (coscénariste) livrent un film palpitant sur le doute, le récit, la vérité, la complexité du couple, et plus largement des êtres. Un film qui fait une confiance absolue au spectateur. Un film dont le rythme ne faiblit jamais, que vous verrez au travers du regard de Daniel, l'enfant que ce drame va faire grandir violemment, comme lui perdu entre le mensonge et la vérité, juge et démiurge d’une histoire qui interroge, aussi, avec maestria, les pouvoirs et les dangers de la fiction.

     

  • Critique - UN COUP DE MAÎTRE de Rémi Bezançon (au cinéma le 9 août 2023)

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    « Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. » Dans Un homme et une femme de Claude Lelouch, Jean-Louis (Jean-Louis Trintignant), en citant cette phrase de Giacometti, demande à Anne (Anouk Aimée) si elle « choisirait l’art ou la vie ». Mais peut-être y aurait-il une troisième voie qui consisterait à les entrelacer…

    « L'art n'est pas juste une représentation de la réalité. L'art peut créer sa propre réalité. » Dès les premières secondes d'Un coup de maître, juste avant cette phrase, notre attention est attisée, déjà, par une mystérieuse toile dont on se rapproche et qu'accompagnent les notes cristallines puis ardentes de Laurent Perez del Mar tandis qu’Arthur (Vincent Macaigne), off, prononce ces mots : « Cette pièce est l’œuvre de l’artiste Renzo Nervi. »

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    ©Thomas Nolf

     

    Renzo Nervi (Bouli Lanners) est ainsi un « peintre figuratif radical en pleine crise existentielle » et surtout l’ami de longue date d’Arthur Forestier (Vincent Macaigne), propriétaire d'une galerie d'art passionné qui le représente et avec qui il partage son amour de l'art. Déprimé, ne parvenant plus à peindre, Renzo sombre dans l'ennui le plus total. Il accepte tout de même un assistant (Bastien Ughetto), cédant à l'insistance de celui qui le considère comme une « légende vivante ». De son côté, Arthur s'acharne à reconstruire ce que son ami peintre, aussi dépressif qu'excessif, s'acharne à détruire. Pour sauver Renzo, il va ainsi jusqu'à élaborer un plan audacieux qui finira par les dépasser… Jusqu’où peut-on aller par amitié ?

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    ©Thomas Nolf

    Quatre ans après Le Mystère Henri Pick, qui réunissait Fabrice Luchini et Camille Cottin dans l’adaptation de l'excellent roman éponyme de David Foenkinos, Rémi Bezançon met à nouveau en scène un savoureux duo de comédiens. Après l’hommage au livre et au pouvoir des mots, c’est cette fois l’art pictural qui est à l’honneur. Ce septième long-métrage de Rémi Bezançon est donc à nouveau une adaptation, en l'occurrence d’un film argentin, Mi obra maestra de Gaston Duprat, dont il a cosigné le scénario avec Vanessa Portal, également cosignataire de ses scénarios des films suivants : Le Premier jour du reste de ta vie, Un heureux évènement, Nos futurs, le Mystère Henri Pick mais aussi de Premiers crus de Jérôme Le Maire.

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    C’est en 2005, au Festival du Film de Cabourg dans le cadre duquel il présentait son premier long-métrage, Ma vie en l’air, que j’avais découvert l’univers de Rémi Bezançon, interpellée déjà par son écriture ciselée, un cinéma de la nostalgie et de la mélancolie teintées d’humour, d'un romantisme dénué de mièvrerie.

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    Vint ensuite, en 2008, Le premier jour du reste de ta vie, un beau succès estival qui avait allègrement dépassé le million d’entrées et récolté 9 nominations aux César. « 5 personnages. 5 membres d’une même famille. 5 journées déterminantes. 12 ans. » À nouveau, nous retrouvions ce ton mêlant astucieusement tendre ironie et drame qui s’imposait dès la première scène, la première journée : la mort décidée du chien de 18 ans et le départ de l’aîné, au grand désarroi, plus ou moins avoué, du reste de la famille. Un pan de vie et d’enfance qui se détachait, violemment. Le spectateur se reconnaît forcément à un moment ou à un autre de ce film personnel et universel, dans un instant, un regard, un déchirement, une émotion, des pudeurs, des non-dits, un étrange hasard, la tendresse ou la complicité ou l’incompréhension d’un sentiment filial, la déchirure d’un deuil (d’un être ou de l’enfance), ou encore ces instants d’une beauté redoutable lors desquels bonheur et horreur indicibles semblent se narguer et témoigner de toute l’ironie, parfois d’une cruauté sans bornes, de l’existence. Cinq regards sur le temps qui passe impitoyablement et que chacun tente de retenir. Un film empreint de la nostalgie, douce et amère, délicieuse et douloureuse, de l'enfance, porté par une judicieuse synchronisation entre le fond et la forme et une utilisation tout aussi judicieuse du hors-champ et de l'ellipse. De ces films que l'on revoit avec le même plaisir à chaque diffusion. Ne manquez pas la prochaine...

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    Puis, en 2011, il y eut Un heureux évènement, l'adaptation du roman éponyme d'Éliette Abécassis, publié en 2005.

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    Ensuite, ce fut Zarafa, en 2012, coréalisé avec Jean-Christophe Lie. Ce film d’animation était déjà une histoire d’amitié indéfectible, entre Maki, un enfant de 10 ans, et Zarafa, une girafe orpheline, cadeau du Pacha d’Égypte au Roi de France Charles X. Un périple palpitant, entre récit initiatique et conte, basé sur une réalité historique, avec un scénario là encore particulièrement réussi (de Alexander Abela et Rémi Bezançon) qui évoquait ainsi l'esclavage, la fraternité et la liberté.

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    Nos futurs, le cinquième long-métrage réalisé par Rémi Bezançon, était une tragi-comédie surprenante et double, définition qui peut d’ailleurs s’appliquer à Un coup de maître dont le titre est aussi polysémique que celui du film précité. Nos futurs, c’est l’histoire de « deux amis d’enfance, qui s’étaient perdus de vue depuis le lycée, se retrouvent et partent en quête de leurs souvenirs… ». 

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    L’amitié est donc aussi au centre d'Un coup de maître, celle, inébranlable, pétrie d’admiration que voue Arthur à Renzo, de son côté reconnaissant que son ami lui soit toujours resté fidèle malgré « les ponts d’or que lui offraient les galeries à sa grande époque ». « Même si tout les oppose, l'amour de l'art les réunit » précise le pitch officiel qui pourrait être celui d'une comédie romantique dont le film reprend et détourne d'ailleurs la structure et les codes. L'amitié au cinéma a été sublimée par Claude Sautet. Il y avait Vincent, François, Paul et les autres. Il y a désormais Arthur et Renzo.

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    ©Thomas Nolf

    Qu’avons-nous fait de nos rêves ? De nos espoirs d’adolescence ? De ce sentiment de « no future », que la mort n’arriverait jamais ou n’arriverait qu’aux autres, aux inconnus ? Telles sont les questions auxquelles répondait No future, récit initiatique particulièrement sensible sur l’amitié, les souvenirs, les douleurs insondables, la nostalgie et la nécessité d’y faire face pour affronter le présent et l’avenir. Un coup de maître s’interroge aussi sur les rêves, plutôt sur les concessions à sa liberté qu'accepte ou n'accepte pas un artiste pour accéder à ses rêves, ou à la « réussite » dans sa sphère artistique. Mais c’est d’abord une comédie jubilatoire qui brocarde le monde de l’art et sa marchandisation effrénée : « Le milieu de l'art est une farce. Il est l'illustration de la corruption du monde que nous laissons derrière nous. L'art est désormais un investissement comme un autre. »

    Un coup de maître n’épargne pas non plus la versatilité des flagorneurs qui disparaissent quand le succès se tarit (et qui réapparaissent tout aussi vite en cas de revirement de fortune), laquelle peut tout autant s’appliquer au milieu de la peinture qu'à celui du cinéma. Le snobisme des expressions employées pour qualifier les toiles pourrait aussi venir de certains critiques de films : « Sous la cruauté de cette peinture se dégage une ironie, une certaine commisération, de la mansuétude même. » (Il faut voir le tableau en question pour juger de l’absurdité et donc de l'effet comique de cet avis !). Sans parler de ce critique qui évoque la « matrice mortifère de son existentialisme » à propos de la peinture de Renzo. L’humour noir est aussi omniprésent. Renzo est ainsi hanté par le souvenir de sa femme disparue : « C'est le gros problème de la mort. La mort, il y a quelque chose d'irrémédiable dedans. »

    Labyrinthes. Tel est le nom de l’exposition de Renzo. Un labyrinthe scénaristique, peut-être est-ce ainsi que l’on pourrait qualifier chaque film de Rémi Bezançon. Mais un labyrinthe dont on retrouve toujours la sortie, avec la lueur réconfortante au dénouement. C’était déjà le scénario « labyrinthique » que j’avais tant aimé dans No future : une construction particulièrement astucieuse qui jouait avec le temps, sa perception, telle celle que nous avons de notre propre passé, forcément biaisée en raison du prisme déformant des souvenirs, souvent infidèles. Un habile puzzle qui, une fois reconstitué au dénouement, nous ravageait. Un film qui nous donnait envie de refaire le voyage à l’envers pour le revivre à la lueur de son arrivée et dire à nos amis à quel point nous sommes heureux qu'ils fassent partie de nos futurs.

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    ©Thomas Nolf

    Ce qui échappe à la marchandisation, c’est donc l’amitié, à l’honneur dans Zarafa, No future et Un coup de maître, mais aussi l’émotion que procure une œuvre d’art. C’est d’ailleurs cette émotion qui a fait naître l’amitié entre Arthur et Renzo, le premier étant bouleversé en découvrant pour la première fois une œuvre du second. La valeur de l’art, c’est la valeur du souvenir et non sa valeur marchande, comme celle que Renzo attribue au Portrait de Maude Abrantès de Modigliani, un tableau devant lequel l’ami d’Arthur rêverait de passer ses journées.

    Vincent Macaigne est parfait dans le rôle de l’ami d'une fidélité inaltérable, un peu gauche, mais prêt à tout par amitié. Aussi crédible en galeriste qu'en médecin de nuit dans le film éponyme d'Élie Wajeman dans lequel il est magistral, aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie comme dans Chronique d’une liaison passagère, la fable d’une trompeuse légèreté d'Emmanuel Mouret, expression par laquelle on pourrait d'ailleurs également définir Un coup de maître.

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    © Hélène Legrand

    Bouli Lanners, dans le rôle du peintre qui préfère perdre sa vie plutôt que son âme, ou plutôt que de la « vendre au diable », livre une prestation savoureuse de bougon désabusé, entier, déprimé, obstiné, exubérant, et faussement misanthrope, témoignant une nouvelle fois de toute l’étendue de son jeu après son rôle de gendarme tourmenté dans La nuit du 12 de Dominik Moll pour lequel il a reçu le César 2023 du meilleur acteur dans un second rôle.

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    © Zinc. Film

    Les seconds rôles, justement, sont judicieusement distribués : Anaïde Rozam, Aure Atika, Bastien Ughetto. Aure Atika incarne ici Dudu, une galeriste impudente. Elle aussi a toujours autant de présence et de précision dans la comédie que dans le drame (et mériterait davantage de premiers grands rôles, notamment dramatiques). Ainsi, récemment, dans Rose d’Aurélie Saada, elle était très émouvante dans le rôle de ce personnage aveuglé par l’amour qui sombre puis renaît mais aussi dans le film, plus ancien, de Stéphane Brizé, Mademoiselle Chambon, dans lequel elle est d'une sobriété et d'une justesse remarquables.

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    © Hélène Perkins

    On se souvient également de Bastien Ughetto, déjà inénarrable dans un autre film labyrinthique, joyeusement immoral, drôle et cruel, la comédie grinçante de François Ozon, Dans la maison.

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    © Thomas Nolf

    Comme toujours dans le cinéma de Rémi Bezançon, la bande originale est particulièrement marquante. Après Sinclair pour Le premier jour du reste de ta vie, avec une BO aussi parsemée de morceaux de Bowie, The Divine Comedy, Janis Joplin, Lou Reed et évidemment Etienne Daho avec cette magnifique chanson à laquelle le réalisateur a emprunté son titre pour celui de son film, après la musique signée Pierre Adenot pour No future, cette fois il retrouve son compositeur de Zarafa et Le Mystère Henri Pick, Laurent Perez del Mar. La musique se fait la complice du montage ingénieux de Sophie Fourdrinoy et de la somptueuse photographie de Philippe Guilbert (qui a de nombreux longs-métrages à son actif parmi lesquels le bouleversant J'enrage de son absence de Sandrine Bonnaire), lequel a visiblement puisé son inspiration dans l'univers de peintres renommés, de Rembrandt à Monnet en passant par Renoir. Preuve en est l'image ci-dessous...

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    © Thomas Nolf

    La puissance magnétique de la musique de Laurent Perez del Mar accompagne le geste du peintre, et caresse les toiles. Dès le début, ces notes qui ruissellent, rebondissent et tombent comme le feraient des gouttes cristallines sur un miroir, préfigurant les premiers mots en off, nous enjoignent à bien regarder, au-delà. Le mélange astucieux de modernité et de classicisme, avec ces claviers, guitares, et violoncelles, illustre ainsi le caractère de ce film : salutairement inclassable. La musique se fait aussi onirique, fantastique ou même cauchemardesque, sur le sublime poème de Victor Hugo, Le Tombeau de Théophile Gautier. Comme un peintre avec les couleurs sur sa palette, le compositeur entremêle instruments, teintes et sonorités, à la fois bigarrées et logiques.

    Chacune des BO de Laurent Perez del Mar frappe la mémoire, et y laisse une forte empreinte, immortalisant ainsi le souvenir des images qu'elle colore, approfondit ou éclaire. Comme dans La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit, cette musique foudroyante de pureté et d'émotions, en harmonie avec celles que suscite la Nature, démiurgique, fascinante et poétique dont elle exacerbe la magnificence. Comme dans La Brigade de Louis-Julien Petit, avec ces notes venues d’ailleurs qui rappellent les vies exilées et les périples des jeunes migrants. Comme dans Carole Matthieu de Louis-Julien Petit, quand la musique d'une beauté déchirante accompagne cette dernière dans un crescendo bouleversant, telle une armée en marche. Comme dans Les Éblouis de Sarah Suco, quand les envolées des violons, à la fois flamboyantes et délicates, ponctuées des larmes subtiles du piano, reflètent les tourments et les élans de la jeune Camille. Comme dans My son de Christian Carion, avec ces notes lancinantes et obsédantes, obscurément envoûtantes, sur les paysages grandioses et sauvages, à leur image : d'une beauté sombre, étrangement ensorcelante. Comme dans Ténor de Claude Zidi Jr, quand la musique suggère la mélancolie et la nostalgie de la professeure de chant, la fougue aventureuse de la jeunesse, ou quand elle accompagne la lecture de la poignante Lettre de Marie, prenant alors de l’ampleur et de l’amplitude à l’unisson de l’émotion qu'elle transcende. Comme dans Les Invisibles de Louis-Julien Petit, ces visages de femmes maquillées, dont la chanson Move over the light souligne joyeusement l'élan d'espoir et de renaissance. Comme dans Zarafa, quand elle procure un souffle épique aux images...

    Dans Un coup de maître, la musique semble duale, comme ce film avec son début et sa fin en miroir, avec ces notes, récurrentes, entendues dès le générique, dont on a l'impression qu'elles tintinnabulent. Là aussi, grâce à la musique, il y a des plans qui restent en mémoire. Ce rai de lumière qui éblouit sur ce moment de « folie » de Renzo avec ces notes légèrement dissonantes qui rappellent celles du début, ces notes qui carillonnent presque comme un reflet sonore de la lumière éblouissante, qui se font ensuite plus douces et apaisées. Mais aussi ces plans « à la Rembrandt » à la lueur des bougies auxquels la musique procure une aura presque magique. Renzo lui-même se réfère d’ailleurs au peintre néerlandais : « Je suis né en 360 à partir de Rembrandt. Je préfère compter à partir de Rembrandt qui était un vrai génie. »

    À la fin, la musique s’emporte et s’emballe comme des applaudissements victorieux, comme un tourbillon de vie, comme un cœur qui renaît, comme le pouls de la forêt, avec de plus en plus de profondeur aussi, comme si la toile atteignait son paroxysme, sa plénitude. Dévoilant toute sa profondeur, elle emporte alors comme une douce fièvre, harmonieuse, réconfortante, avec ces notes de guitare et cette chanson finale (All you’ve got interprétée par Laure Zaehringer) que l’on emmène avec soi.

    La musique illustre ainsi parfaitement le propos du film. Ce qui compte, comme avec le tableau de Modigliani, comme avec toute œuvre d’art, ce sont les émotions qu'elle convoque. Ce qui importe vraiment dans l’art, même si « le monde de l’art est une farce », ce sont les images et les réminiscences que suscite une œuvre, comme ce Portrait de Maude Abrantes pour Renzo. La musique et les plans du début et de la fin se répondent ainsi brillamment, illustrant cette première phrase « l’art crée sa propre réalité », comme si nous pouvions finalement imaginer tout cela à partir d’un tableau, celui qui apparaît au tout début du film. Ce qui compte, c’est bel et bien de « saisir l'expérience que l'œuvre offre à vos sens » qu’il s’agisse d’une musique, d’un film ou d’un tableau.

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    © Thomas Nolf


    Cette tragi-comédie burlesque et mélancolique, aux dialogues d'une ironie mordante et au scénario labyrinthique et brillant, est donc une invitation à l’imaginaire, à mieux regarder, à privilégier l’émotion qu’offre une œuvre d’art. Comme dans les précédents films de Rémi Bezançon, on retrouve cet enchevêtrement de second degré et de profondeur, de gravité et de légèreté apparente, de comédie et de drame, cette mélancolie teintée d’humour comme une « politesse du désespoir ». On en ressort la tête pleine d'images, de peintures, de poésie, de dialogues savoureux, de musique (bref, d'arts !), et avec l’envie de « bien regarder » car, comme le disait Picasso : « L'art est un mensonge qui nous permet de dévoiler la vérité.» Oui, apprendre à regarder, c’est l’essentiel. » À regarder derrière la toile. Ou derrière les apparences et les êtres de prime abord misanthropes…

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    Une tragi-comédie maligne aussi, qui joue et jongle avec l'art et la réalité, au-delà même du film puisque Anne-Dominique Toussaint et Zinc.* ont présenté une exposition des tableaux du peintre fictif Renzo Nervi réalisés pour le film par Adam Martyniak, Milosz Flis et Anita Werter. Intitulée Labyrinthes (comme celle du peintre fictif Renzo Nervi !), cette exposition a eu lieu dans l’espace de la Galerie Cinéma* : « 18 tableaux réalisés pour le film qui nous emportent dans l’univers coloré et énigmatique d’un artiste controversé (et dans celui du cinéaste). Un faux documentaire sur Renzo Nervi, ainsi que des (vraies) interviews avec le réalisateur et les chefs décorateurs, sont visibles dans la petite salle de projection de la Galerie pendant l’exposition. Une vente aux enchères des tableaux est organisée cet été au profit de l’association Action contre la faim. » Une idée aussi généreuse qu'astucieuse puisque les 20 tableaux spécialement créés pour le film pour donner vie à l'univers du peintre interprété par Bouli Lanners (qui a aussi réalisé un des tableaux vendus) sont ainsi vendus aux enchères au profit d'Action contre la faim, du 17 juillet au 31 août. Vous pouvez ainsi participer à la vente aux enchères caritative, ici, ou visiter la galerie virtuelle des oeuvres, là. Vous pourrez également voir les œuvres à la maison Tajan (37 rue des Mathurins, 75008 - Paris), du 21 au 31 août 2023 de 10h à 18h (fermé les 26 et 27 août. Vous y trouverez notamment le tableau RENZO NERVI (né en 360 après Rembrandt) REGARDEZ. Le prix de départ pour toutes les œuvres est à 100 euros. 

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    Entre l'art et la vie, définitivement, peut-être est-il préférable de ne pas choisir, d'opter pour la mise en abyme et de se fondre dans le décor (comme le fait d'ailleurs le cinéaste lui-même dans le film), parce que, comme l'écrivait Oscar Wilde, « la vie imite l'art, bien plus que l'art n'imite la vie », ce qui n'est surtout pas une raison pour vous dispenser de l'art et d'aller voir ce film à l'image de son duo : réjouissant et (car) inclassable ! Souhaitons à cette ode à l'amitié (et à l'émotion inestimable -au sens propre comme au sens figuré- que procure la peinture, et l'art en général), décalée, burlesque, inventive, tendre, inattendue, incisive, mélancolique, profonde et drôle, le même succès estival qu'au Premier jour du reste de ta vie, sorti il y a 15 ans, également en plein été.

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    © Zinc. Film

    Bonus : Rémi Bezançon a aussi réalisé plusieurs spots pour la sécurité routière, dont ce dernier de 2023, formidable, que je vous recommande vivement.

    Découvrez la bande-annonce du film Un coup de maître, ici.

    *Ce film a été distribué par la jeune maison de distribution, Zinc., tout comme Les Petites victoires de Mélanie Auffret dont je vous avais parlé, ici.

    *Galerie Cinéma | 26, rue Saint-Claude 75003 Paris | contact@galeriecinema.com | +33 (0) 1 45 35 14 04 | du mardi au samedi, 11h - 19h 

  • Critique – LES OMBRES PERSANES de Mani Haghighi (au cinéma le 19 juillet 2023)

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    Il y a quelques mois, je vous parlais ici de mon énorme coup de cœur pour le film Leila et ses frères de Saeed Roustaee dont la grande force réside dans sa mise en scène, qu’elle épouse le sentiment de suffocation des personnages dans un misérable appartement ou au contraire qu’elle les surplombe tel un démiurge écrasant et menaçant, avec aussi des scènes absolument inoubliables comme ce regard d’une rare intensité entre deux personnages dans le reflet d’une vitre puis dans l’embrasure d’une porte qui suffit à nous faire comprendre toute une vie de regrets et un amour perdu.

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    Le cinéma iranien regorge de chefs-d’œuvre, de Kiarostami à Panahi, et de films que je vous recommande sur la situation en Iran (voir en bas de cet article), sur ces « ombres » qui planent constamment.

    Les "ombres persanes" ici se réfèrent plutôt à cette image en miroir à laquelle se trouvent confrontés les personnages. À Téhéran, un homme et une femme découvrent en effet par hasard qu’un autre couple leur ressemble trait pour trait. Passé le trouble et l’incompréhension va naître une histoire d’amour... et de manipulation.

    La multiplicité de genres auxquels le film se confronte est aussi le reflet de l’éclectisme des précédents films de Haghighi, de son premier long-métrage, Abadan, en 2003 à Men at Work (Berlinale, Forum 2006), basé sur une idée d’Abbas Kiarostami, à la a coécriture de deux scénarios avec Asghar Farhadi, La Fête du Feu (2006) et Canaan (2008), basé sur une nouvelle d’Alice Munro. Ou encore Valley of Stars, en compétition à la Berlinale 2016 ou 50 Kilos of Sour Cherries (2017), une comédie romantique qui fut aussi l’un des films les plus rentables de l’histoire du cinéma iranien et enfin Pig en compétition à la Berlinale 2018.

    Les premières images des Ombres persanes, particulièrement intenses et marquantes, nous plongent d’emblée dans une atmosphère hypnotique, inquiétante et mystérieuse. Dans un couloir sombre, un homme est poursuivi par un autre qui menace de le tuer, le tout sur une musique métallique et intrigante. Arrivé au bout du couloir irradié de lumière, nous assistons à une scène de rixe…Ellipse. La caméra furète ensuite dans une file de voitures sur lesquelles tombe une pluie intarissable jusqu’à s’arrêter à une voiture d’auto-école dans laquelle se trouvent deux femmes. Par la vitre, l’une d’elles, Farzaneh (Taraneh Alidoosti), la monitrice, enceinte, reconnaît son mari, Jalal (Navid Mohammadzadeh) avec qui elle formait déjà un couple fragile. Farzaneh et Jalal vont ainsi se retrouver confrontés à un couple physiquement identique mais différent dans sa personnalité et sa condition sociale, plus aisée.

    Dès le début, s’instaure ainsi une situation d’inconfort, d’incompréhension, de trouble. La pluie même, incessante, incongrue, apparaît comme une étrangeté. « Il paraît que c’est parce que le pôle Nord fond qu’il n’arrête pas de pleuvoir par ici » tente d’expliquer la femme qui prend une leçon de conduite.

    Le réalisateur a fait des études de philosophie et c’est notamment en cela que le film est aussi passionnant, par ses multiples degrés de lecture, notamment philosophique, mais aussi par les divers genres dans lesquels il fait une incursion. Thriller, film social, film fantastique, film noir, romance, c’est en ce qu’il mêle habilement tous ces genres que ce film hybride et singulier est captivant. La lecture politique n’est aussi jamais bien loin dans le cinéma iranien, qu’il évoque frontalement la situation ou le fasse plus implicitement comme ici avec l’idée du double instillant l’altérité, le doute, le mystère, donc ce qui n’est pas permis dans un pays dans lequel le fondamentalisme gouverne, et dans lequel une seule croyance est légitimée. Haghighi, avec cette idée du double, pose brillamment la question du libre arbitre et de la liberté, dans un pays où elle est cadenassée.

    Tout contribue à exacerber la sensation de mystère : la musique (remarquable bande originale d’une impressionnante puissance évocatrice de Ramin Kousha), les clairs-obscurs (photographie inspirée de Morteza Nafaji), les hors-champs, les ellipses….

    La ville tentaculaire de Téhéran se prête tout particulièrement à cette histoire labyrinthique dans laquelle Mohsen (l’homme de l’autre couple) est dévoré par la paranoïa, le sentiment d’insécurité, la jalousie, une ville dont il semble lui-même être alors le reflet (ou l'inverse). Comme si l'histoire de double(s) était infinie...

    Haghighi parvient à la parfaite alchimie entre les différents genres, avec cette histoire polysémique mise en scène avec maestria, interprétée par deux comédiens époustouflants (jamais dans la démonstration par laquelle ils auraient pu se laisser tenter pour différencier les deux personnages qu’ils incarnent) déjà réunis dans Leila et ses frères, Taraneh Alidoosti ( qui se fit connaître pour son rôle marquant dans Le Client de Farhadi) et Navid Mohammadzadeh, (célèbre pour ses rôles dans trois films de Saeed Roustaee). Ce film qui fait confiance à l’intelligence du spectateur et refuse le didactisme, à son dénouement, nous laisse KO et admiratifs, avec l’impression tenace de sa dernière image, forte et lumineuse, terrassant un temps les ombres sur lesquelles il continue de nous interroger bien après la fin de la séance, comme si cette pluie fascinante et inquiétante continuait à tomber sur nos têtes, et le mystère à planer. Brillant. Etourdissant. A voir absolument le 19 juillet au cinéma.

    Digressions sur le cinéma iranien

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    J’aurais de nombreux autres films iraniens à vous recommander notamment Taxi Téhéran  de Jafar Panahi dont le titre résume le projet. Cela pourrait être aussi Cinéma Téhéran tant les deux mots, Cinéma et Taxi, sont presque ici synonymes. Une déclaration d’amour au cinéma. Comme cette rose sur le capot de la voiture pour « les gens de cinéma sur qui on peut toujours compter », sans doute les remerciements implicites du réalisateur, au-delà de la belle image qui clôt le film et nous reste en tête comme un message d'espoir. Un hymne à la liberté. Un plaidoyer pour la bienveillance. Un film politique. Un vrai-faux documentaire d’une intelligence rare. Un état des lieux de la société iranienne. Un défi technique d’une clairvoyance redoutable. Bref, un grand film.  Et cette rose, sur le capot, au premier plan, comme une déclaration d'optimisme et de résistance. Entre ces deux plans fixes du début et de la fin : la vie qui palpite malgré tout. La fin n’en est que plus abrupte et forte. Un film qui donne envie d’étreindre la liberté, de savourer la beauté et le pouvoir du cinéma qu'il exhale, exalte et encense. Un tableau burlesque, édifiant, humaniste, teinté malgré tout d’espoir. Un regard plein d’empathie et de bienveillance. Ma critique complète, ici.

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    Je vous recommande aussi des films moins connus comme Les chats persans de Bahman Ghobadi ou encore Téhéran de Nader T.Homayoun qui montre un peuple désenchanté qui, à l'image de la dernière scène,  suffoque et meurt, et ne parvient pour l'instant qu'à retarder de quelques jours cette inéluctable issue. Un premier film particulièrement réussi, autant un thriller qu'un documentaire sur une ville et un pays qui étouffent et souffrent. Un cri de révolte salutaire, une nouvelle fenêtre ouverte sur un pays oppressé.

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    Et sans rapport avec la situation en Iran mais parce que c’est un des films les plus poétiques qu'il m'ait été donné de voir,  24 frames, le dernier de Kiarostami, disparu en juillet 2016,  des courts-métrages réunis par le producteur Charles Gillibert.  Chacune de ces « frames » est mémorable. De ces deux chevaux dansant langoureusement sous la neige sur fond de musique italienne, à surtout, ce dernier cadre. Une fenêtre à nouveau s’ouvrant sur des arbres qui se plient. Devant un bureau avec un écran avec, au ralenti, un baiser hollywoodien. Et, devant l’écran, une personne endormie. La magie de l’instant lui est invisible. Comme un secret partagé,  pour nous seuls, spectateurs, éblouis, de cet ultime plan du film et de la carrière de cet immense cinéaste. Comme une dernière déclaration d’amour au cinéma. A la fin des 5 minutes de ce baiser au ralenti sur l’écran de l’ordinateur s’écrivent ces deux mots, “The End”, sur une musique qui célèbre l’amour éternel. Une délicate révérence. Deux mots plus que jamais chargés de sens. Un film et une carrière qui s’achèvent sur l’éternité du cinéma et de l’amour. Un pied de nez à la mort. Son dernier geste poétique, tout en élégance. Et finalement peut-être la plus belle des réponses à l'oppression et à la violence.
     

     

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  • Chère Jane Birkin...

    Jane Birkin Sandra Mézière Etienne Daho Daniel Prévost 10ème Festival du Film Britannique de Dinard.jpg

    Jane, j’étais persuadée qu’un jour l’occasion se présenterait de vous remercier. Je devrais le savoir pourtant désormais...L’existence m’a si souvent rappelé que la mort était une fourbe qui s’insinue dans le moindre interstice d’illusion, d’hésitation d’optimisme ou de distraction. C’était en 1999. J’étais membre du jury du 10ème Festival du Film Britannique de Dinard que vous présidiez. Si ces 5 jours restent gravés dans ma mémoire, c’est principalement en raison du bonheur que ce fut de vous côtoyer et d’échanger avec vous. Bien sûr, je ne peux pas dire que je vous connaissais comme d’autres qui ne vous connaissaient pas davantage s’en enorgueilliront peut-être. Mais je peux affirmer que vous étiez « une belle personne » (ce terme est galvaudé mais je n’en vois pas d’autre comme celui de gentillesse que vous incarniez tellement), comme il y en a peu. Votre sourire, reflet de votre générosité et votre humilité, irradiait. Reflet aussi de votre bienveillance. De votre confiance sans filtre envers les autres. De votre humour. De votre simplicité, celle des grands artistes, qui n’ont pas besoin de jouer un rôle ou de s’inventer un personnage, qui s’intéressent au ressenti d’autrui plus qu’ils ne se focalisent sur eux-mêmes, qui n’ont pas besoin de se façonner une image ombrageuse pour attirer la lumière. Alors étudiante dans un tout autre domaine que le cinéma, je me retrouvais dans un univers qui n’était pas le mien, impressionnée, intimidée. Vous aviez su me cerner en un instant et quand d‘autres au contraire me jaugèrent et jugèrent de leur hauteur, vous m’aviez mise à l’aise, constamment soucieuse de mon bien-être. Je n’oublierai jamais non plus ce soir du festival qui entra tragiquement en résonance un autre soir, de 2013, quand, ne me connaissant pas, sans doute en raison de réminiscences provoquées par un film du festival ou autre chose (la mémoire a la fourberie en commun avec la mort quand il s’agit de cette dernière), au bar du Grand Hôtel de Dinard, vous m’aviez parlé avec tant d’émotion de votre père décédé quelques années plus tôt. Je ne me souviens pas précisément de vos mots, mais je n’ai jamais oublié l’émotion poignante qui vous saisit (et moi aussi) dans ce bar désert, une émotion face à laquelle mes paroles me semblèrent bien insipides. Comme une scène de film dont on se dirait qu’elle est trop mélodramatique pour être crédible. Je ne savais pas alors que certains drames de la vie annihilent les barrières et nous font ensuite aller à l’essentiel, capturer l’instant présent, le dévorer, se laisser emporter par lui.

    Jane par Charlotte Festival du Cinéma Américain de Deauville.png

    « Capturer le présent. » C’est ce à quoi est magnifiquement parvenue Charlotte dans ce remarquable documentaire, Jane par Charlotte. Un dialogue intime mais jamais impudique entre votre fille et vous qui, pendant trois ans et avec un dispositif minimaliste, au gré des voyages, du Japon à la Bretagne en passant par les États-Unis, et au gré de l’évocation des « petits riens » devient un dialogue universel entre une mère et sa fille, un zoom progressif d'une fille sur sa mère, sans fards.  Vous y apparaissiez telle que vous étiez : sans méfiance, fantasque, empathique. Mais aussi seule, insomniaque, tourmentée. Tourmentée par les deuils et leurs chagrins inconsolables. La maladie. Le drame ineffable la perte de votre fille Kate. Le temps insatiable et carnassier qui altère la beauté et emporte les êtres chers. Au milieu de tout cela, la visite « comme dans un rêve » de la maison de la rue de Verneuil, l'ombre de Serge Gainsbourg et les silences éloquents et émouvants. Le portrait d’une femme majestueuse. Un portrait qui s’achève par la voix mélodieuse et les mots bouleversants de votre fille se livrant à son tour, enfin, et évoquant la peur terrifiante et universelle de la perte de sa mère et qui, par ce film, tente d'appréhender l'inacceptable, de l'apprivoiser, de retenir chaque poussière d’instant en compagnie de celle dont l'intermédiaire de la caméra lui permet paradoxalement de se rapprocher. Des mots qui résonnent tragiquement aujourd’hui, et évidemment, même sans la connaître on pense à elle, à la peine immense et indicible qui doit être la sienne. Ce film est un bijou de tendresse, et d’émotion portée par une judicieuse BO, de Bach aux interludes électroniques de Sebastian. D’humour aussi, d'humour beaucoup, grâce au regard décalé, espiègle et clairvoyant que vous portiez sur vous-même, la vie, les autres, mais aussi celui que votre fille portait sur vous. Un film à votre image à toutes deux, réservées et terriblement audacieuses : riche de vos séduisants paradoxes. Léger dans la forme et teinté de touches de gravité. Libre aussi. Et encore cela : délicat, iconoclaste, éperdument vivant et attachant. Un documentaire qui, en capturant le présent et sa fragilité, nous donne une envie folle d’étreindre chaque seconde de notre vie et aux filles de s'accrocher à leurs mères comme vous deux dans ce dernier plan, avec l'illusion d'empêcher ainsi l'inexorable. Si seulement il suffisait de fuir le bonheur pour l’empêcher de se sauver...Vous l’aviez si bien chanté, mais malheureusement le « ciel azuré » finit toujours par « virer au mauve ». Restent les chansons et les films, immortels, pour nous rappeler qu’en plus de cette belle personne, vous étiez aussi une immense artiste. Vous serez aussi pour moi toujours la Penelope de La Piscine de Jacques Deray, instrument innocent du désir vengeur et ambigu de Jean-Paul Leroy/Alain Delon, votre premier film français dans  lequel vous jouiez le rôle de la fausse ingénue. Vous ne faisiez pas partie alors de ces inconsolables comme vous l’étiez ce soir de 1999, comme je le devins ce soir de 2013, comme j’aurais aimé vous dire que je le compris bien plus tard, en plus de ce merci que j’aurai toujours le regret de n’avoir pu vous adresser.

    La piscine de Jacques Deray avec Jane Birkin.jpg

    Critique de La Piscine de Jacques Deray

    Ce film date de 1968, c’est déjà tout un programme. Il réunit Maurice Ronet, Alain Delon, Romy Schneider et évidemment Jane Birkin, dans un huis-clos sensuel et palpitant. Ce quatuor est déjà une belle promesse.

    Marianne (Romy Schneider) et Jean-Paul (Alain Delon) passent en effet des vacances en amoureux dans la magnifique villa qui leur a été prêtée sur les hauteurs de Saint-Tropez. L’harmonie est rompue lorsqu’arrive Harry (Maurice Ronet), ami de Jean-Paul et de Marianne chez lequel ils se sont d’ailleurs rencontrés, cette dernière entretenant le trouble sur la nature de ses relations passées avec Harry. Il arrive accompagné de sa fille de 18 ans, la gracile et nonchalante Pénélope (Jane Birkin).

    La piscine fait partie de ces films que l’on peut revoir un nombre incalculable de fois (du moins que je peux revoir un nombre incalculable de fois) avec le même plaisir pour de nombreuses raisons mais surtout pour son caractère intelligemment elliptique et son exceptionnelle distribution et direction d’acteurs.

    Dès les premières secondes, la sensualité trouble et la beauté magnétique qui émane du couple formé par Romy Schneider et Alain Delon, la langueur que chaque plan exhale plonge le spectateur dans une atmosphère particulière, captivante. La tension monte avec l’arrivée d’Harry et de sa fille, menaces insidieuses dans le ciel imperturbablement bleu de Saint-Tropez. Le malaise est palpable entre Jean-Paul et Harry qui rabaisse sans cesse le premier, par une parole cinglante ou un geste méprisant, s’impose comme si tout et tout le monde lui appartenait, comme si rien ni personne ne lui résistait.

    Pour tromper le langoureux ennui de l’été, un jeu périlleusement jubilatoire de désirs et de jalousies va alors commencer, entretenu par chacun des personnages, au péril du fragile équilibre de cet été en apparence si parfait et de leur propre fragile équilibre, surtout celui de Jean-Paul, interprété par Alain Delon qui, comme rarement, incarne un personnage vulnérable à la sensualité non moins troublante. L’ambiguïté est distillée par touches subtiles : un regard fuyant ou trop insistant, une posture enjôleuse, une main effleurée, une allusion assassine. Tout semble pouvoir basculer dans le drame d’un instant à l’autre. La menace plane. L’atmosphère devient de plus en plus suffocante.

    Dès le début, tout tourne autour de la piscine : cette eau bleutée trompeusement limpide et cristalline autour de laquelle ils s’effleurent, se défient, s’ignorent, s’esquivent, se séduisent autour de laquelle la caméra virevolte, enserre, comme une menace constante, inéluctable, attirante et périlleuse comme les relations qui unissent ces quatre personnages. Harry alimente constamment la jalousie et la susceptibilité de Jean-Paul par son arrogance, par des allusions à sa relation passée avec Marianne que cette dernière a pourtant toujours niée devant Jean-Paul. Penelope va alors devenir l’instrument innocent de ce désir vengeur et ambigu puisqu’on ne sait jamais vraiment si Jean-Paul la désire réellement, s’il désire atteindre Harry par son biais, s’il désire attiser la jalousie de Marianne...Probablement un peu cela tout à la fois, et probablement aussi se raccrochent-ils l’un à l’autre, victimes de l’arrogance, de la misanthropie masquée et de la désinvolture de Harry. C’est d’ailleurs là que réside tout l’intérêt du film : tout insinuer et ne jamais rien proclamer, démontrer. Un dialogue en apparence anodin autour de la cuisine asiatique et de la cuisson du riz alors que Jean-Paul et Penelope reviennent d’un bain nocturne ne laissant guère planer de doutes sur la nature de ce bain, Penelope (dé)vêtue de la veste de Jean-Paul dans laquelle elle l’admirait de dos, enlacer Marianne, quelques jours auparavant, est particulièrement symptomatique de cet aspect du film, cette façon d’insinuer, cette sensualité trouble et troublante, ce jeu qui les dépasse. Cette scène entremêle savoureusement désirs et haines latents. Les regards de chacun : respectivement frondeurs, évasifs, provocants, dignes, déroutés… font que l’attention du spectateur est suspendue à chaque geste, chaque ton, chaque froncement de sourcil, accroissant l’impression de malaise et de fatalité inévitable.

    Aucun des 4 personnages n’est délaissé, la richesse de leurs psychologies, de la direction d’acteurs font que chacune de leurs notes est indispensable à la partition. La musique discrète et subtile de Michel Legrand renforce encore cette atmosphère trouble. Chacun des 4 acteurs est parfait dans son rôle : Delon dans celui de l’amoureux jaloux, fragile, hanté par de vieux démons, d’une sensualité à fleur de peau, mal dans sa peau même, Romy Schneider dans celui de la femme sublime séductrice dévouée, forte, provocante et maternelle, Jane Birkin dont c’est le premier film français dans celui de la fausse ingénue et Maurice Ronet dans celui de l’ « ami » séduisant et détestable, transpirant de suffisance et d’arrogance…et la piscine, incandescente à souhait, véritable « acteur ». 

    Deray retrouvera ensuite Delon à 8 reprises notamment dans Borsalino, Flic story, Trois hommes à abattre… mais La piscine reste un film à part dans la carrière du réalisateur qui mettra en scène surtout un cinéma de genre. Neuf ans après Plein soleil de René Clément, la piscine réunit donc de nouveau Ronet et Delon, les similitudes entres les personnages de ces deux films sont d’ailleurs nombreuses et le duel fonctionne de nouveau à merveille.

    Un film sensuel porté par des acteurs magistraux, aussi fascinants que cette eau bleutée fatale, un film qui se termine par une des plus belles preuves d’amour que le cinéma ait inventée. 

    Et puis revoyez Boxes aussi dont je vous avais parlé suite à sa projection au 60ème Festival de Cannes, là :

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    Boxes, film remarquable qu'elle avait réalisé et qui m'avait bouleversée, témoigne de sa grande sensibilité et de sa grande intelligence. Voyez-le, en plus notamment des deux précités. Ce film lumineux et sombre, cru(el) et poétique, grave et drôle, loufoque et réaliste est à l’image de sa réalisatrice (et de la vie) qui filme les êtres qui ont jalonné son existence avec tendresse, tellement, qui se filme aussi sans concession, sans fards. Ce film ne se contente pas d’être une galerie de portraits, de fantômes du passé de la vie de cette femme à un tournant de sa vie, il reflète un vrai point de vue sur le monde, un vrai regard de cinéaste, l’acuité d’un regard tendre, ironique, qui évoque avec pudeur des moments ou des sujets impudiques. Un regard qui oriente magnifiquement ses acteurs, tous y paraissant plus que jamais éclatants de talent (à commencer par Jane Birkin-actrice), incarnant des personnages brillamment dessinés, interprétés, tous attachants par leurs fêlures, davantage encore que par leurs forces. Ce film ne nous laisse pas le temps de respirer, il nous étreint, nous enlace, nous saisit avec nos peurs, nos regrets, nos espoirs, nos bonheurs et ne nous lâche plus. Les fantômes du passé ressurgissent dans une cavalcade étourdissante filmée avec brio et inventivité avant de s’éclipser pour laisser place à l’avenir (un nouvel amour). Même si tout le film est empreint de celui qu’elle porte à tous les personnages qui le traversent, l’occupent et l’habitent d’ailleurs plutôt qu’ils ne le traversent. Passé et présent, morts et vivants, cruauté et tendresse se croisent habilement grâce à une mise en scène particulièrement inspirée. De ces boxes c’est la vie qui surgit, avec ses souvenirs parfois encombrants. La grâce de l'existence (et de l'âme Jane Birkin) suinte dans chaque plan de ce film à voir absolument.

  • Critique - LES ALGUES VERTES de Pierre Jolivet (au cinéma le 12 juillet 2023)

    critique, cinéma, film, Les algues vertes, Pierre Jolivet, Céline Sallette, Julie Ferrier, Festival du Cinéma et Musique des Film de La Baule

    Il y a un peu plus d’un an, je vous parlais ici du film Goliath de Frédéric Tellier qui se penchait sur la lutte contre le glyphosate qui est, depuis 2015, considéré comme « cancérogène probable » par l’OMS. Un film percutant sur un sujet essentiel dont je pensais naïvement qu’il recevrait davantage d’échos médiatiques et de soutiens dans le combat qu'il met en exergue. De nombreux films engagés, à l’image de celui précité, évoquent des combats de David contre Goliath. Ceux de Costa-Gavras, Loach, Boisset, Varda ou des films comme L’affaire Pélican de Pakula ou Effets secondaires de Soderbergh ou plus récemment La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé.  Si le cinéma ne change pas toujours le monde, il peut y contribuer, et en tout cas la fiction sans aucun doute peut permettre que les projecteurs soient braqués sur des réalités révoltantes. J’en suis intimement persuadée et plus encore après voir vu le passionnant et édifiant dernier film de Pierre Jolivet que je vous recommande d’emblée. Vous avez tout le temps d’aller voir le dernier volet de Mission impossible (que je vous recommande aussi) mais ce film-ci est fragile, restera forcément moins longtemps à l’affiche, alors allez le voir en premier lieu, et ne tardez pas.

    Projeté dans la catégorie « Coups de projecteur » du 9ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, cette semaine sort en salles Les algues vertes, le film de Pierre Jolivet co-écrit avec la journaliste Inès Léraud, et inspiré d’une BD vendue à plus de 130000 exemplaires. En 2019, Inès Léraud publiait ainsi avec Pierre Van Hove Algues vertes, l’histoire interdite aux éditions La Revue dessinée - Delcourt, une BD qui remporta 6 prix dont le grand prix du journalisme et le prix de la BD bretonne. Ensuite, en 2021, elle co-fonda le média d’investigation indépendant Splann ! avec d'autres journalistes travaillant en Bretagne.

    Synopsis : À la suite de morts suspectes, Inès Léraud (Céline Sallette), jeune journaliste, décide de s’installer en Bretagne pour enquêter sur le phénomène des algues vertes. À travers ses rencontres, elle découvre la fabrique du silence qui entoure ce désastre écologique et social. Face aux pressions, parviendra-t-elle à faire triompher la vérité ?

    « On doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité. » Le long-métrage commence par cette citation de Voltaire, judicieusement choisie, reflétant le double discours du film qui est à la fois une déclaration d’amour à la Bretagne (celle des vivants à qui on « doit des égards ») et un combat légitime et acharné contre le silence retentissant et aberrant qui entoure les algues vertes (la vérité due aux morts qui en furent victimes).

    La première scène du film nous montre le rivage vu d’en haut. Indistinctes tout d’abord, les algues vertes dessinent un tableau abstrait presque fascinant. En se rapprochant, on découvre leurs ramifications tentaculaires. Le scandale est flagrant, indéniable… Et pourtant le silence règne face à l’évidence de la prolifération des algues. Bien sûr, rien dans cette image ne traduit encore leur dangerosité que le film démontre ensuite de manière magistrale.

    Ce film a ainsi l’intelligence d’être autant une déclaration d’amour à la Bretagne qu’une déclaration de guerre aux algues vertes (et au silence qui entoure ce fléau), et de mettre en parallèle l’histoire personnelle d’Inès (son histoire avec sa compagne Judith et son histoire d’amour avec la Bretagne où elles finiront par s’installer) et son combat. Il commence véritablement au moment du décès de Jean-René Auffray, joggeur retrouvé mort dans une vasière remplie d’algues vertes, dans la baie de Saint-Brieuc, en septembre 2016. Inès ne va avoir de cesse de lutter contre « la fabrique du silence qui entoure l’agroalimentaire breton », en enquêtant inlassablement et en y consacrant toutes ses chroniques radiophoniques, malgré les pressions, les menaces de morts et le silence obstiné des personnes qu’elle sollicite.

    Céline Sallette incarne subtilement l’opiniâtreté d’Inès, son courage, son investissement, son empathie, son intégrité, qui ne fléchissent pas, que ce soit face à la virulence d’un représentant de la FNSEA (qui ne réfutera pas l’importance du syndicat dans cette exploitation de la terre à outrance, pas même quand elle dira que la « FNSEA choisit le Ministre de l’Agriculture » et pour qui la vraie violence c’est « le prix du lait à cause des consommateurs qui ne veulent pas payer le prix »), ou face à  la couardise d’un vice-président de Conseil Régional devenu député (incarné par Jonathan Lambert) qui reconnaîtra l’ingratitude de sa profession et arguera des intérêts contradictoires qu’il doit gérer. L’agro-alimentaire est « un État dans l’État » et c’est à ce mastodonte invincible que se confronte Inès. Certains chiffrent donnent le tournis. Imaginez :  on dénombre 14 millions de cochons en Bretagne, soit 4 fois plus que d’habitants !

    Le film ne cède jamais au manichéisme. Inès ne fait pas de son combat une lutte contre les agriculteurs, bien au contraire, rappelant qu’ils ne sont que des pions dans cette surexploitation de la terre, des victimes de cette guerre et d’intérêts économiques supérieurs, et que deux agriculteurs par jour se suicident. Ce développement des algues vertes est en effet la conséquence de l’industrie agroalimentaire et notamment des rejets de nitrates provenant de l’élevage intensif. En cas d’accumulation importante, leur décomposition au soleil produit des gaz dangereux pour l’humain comme pour l’animal, notamment l’hydrogène sulfuré (H2S) qui « peut tuer aussi rapidement que du cyanure ».

     Il était tout aussi courageux de la part de Pierre Jolivet de s’attaquer à ce sujet, de dénoncer les complicités politiques (qui nient ou parfois même maquillent la réalité pour préserver les intérêts touristiques et plus largement économiques de toute une région). Tourné essentiellement dans le Finistère-nord, et autour de Saint-Brieuc, là où se concentre une grande partie des algues vertes, le tournage même, en six semaines avec presque 2 décors par jour, fut aussi un véritable défi. Certaines images restent gravées et suscitent forcément notre indignation : ces sangliers morts, ce cours d’eau rouge sang, ces algues vertes à perte de vue.

    Ce n’est pas la Bretagne qu’attaque Inès mais cette aberration écologique qui met en danger les populations qui y vivent. La Bretagne est montrée dans toute sa splendeur avec ses paysages d’une rudesse envoûtante. La compagne d’Inès (lumineuse Nina Meurisse dans le rôle de Judith), dira clairement qu’elle tombe amoureuse de la région. Et les baignades d’Inès constituent une respiration dans son quotidien éprouvant, mais aussi pour le spectateur qui suit comme un thriller son haletante et périlleuse enquête.

    Céline Sallette est entourée d’une pléiade de remarquables acteurs qui incarnent des personnages parfois bruts mais souvent très attachants : Hervé Mahieux, Françoise Comacle, Eric Combernous. Le personnage de Rosy Auffray (Julie Ferrier) représente magnifiquement, à la fois l’aveuglement, le scepticisme, les choix cornéliens (préserver sa tranquillité ou combattre) en lesquels chacun peut se reconnaître et contribue à l’émotion qui nous emporte totalement à la fin avec l’espoir que, enfin, David l’emporte contre Goliath, nous donnant envie de nous intéresser encore plus au sujet et de savoir ce que donnera l’appel de la vraie Rosy (en cours) dans le procès pour la reconnaissance de la responsabilité des algues vertes dans le décès de son mari.

    Pierre Jolivet signe là un magnifique portrait d’héroïne contemporaine, mais surtout un film engagé, militant même, qui pour autant n’oublie jamais le spectateur, et d’être une fiction, certes particulièrement documentée et instructive mais qui s’avère captivante et prenante de la première à la dernière seconde, tout en décrivant avec beaucoup d’humanité et subtilité un scandale sanitaire et toutes les réalités sociales qu’il implique. Ajoutez à cela la subtile musique originale d’Adrien Jolivet et vous obtiendrez un film marquant à la hauteur du sujet, des victimes d’hier et des personnes qui pourraient en être demain, qui rend aussi un vibrant hommage à la beauté renversante de la Bretagne.

  • Univers de l'escape game : une aventure immersive "comme au cinéma"

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    Avec une popularité en constante croissance, l’Escape Game s’est imposé comme une attraction majeure dans le secteur du divertissement. Sa capacité à mêler aventure, réflexion et coopération en a fait une activité incontournable pour les amateurs de défis intellectuels. L’activité attire également les passionnés d’aventures interactives qui ont envie de vivre leur propre film d'action, de franchir la frontière entre réalité et fiction.

    Les fondements de l’Escape Game

    Les Escape Games trouvent leurs racines dans les jeux vidéo d’aventure textuelle. Toutefois, leur concept a été adapté pour une expérience en direct. Les premiers Escape Game grandeur nature sont apparus au Japon dans les années 2000, avant de se propager rapidement à travers l’Europe et le reste du monde. Aujourd’hui, il est possible de profiter pleinement d’un escape Game en région parisienne ou n’importe où ailleurs.

    De façon générale, l’Escape Game se déroule dans une salle thématique spécialement conçue pour l’occasion. Les joueurs doivent alors collaborer pour résoudre des énigmes et des puzzles en un temps limité. Ainsi, ils pourront parvenir à une issue favorable. La coopération, la communication et la pensée logique sont essentielles pour réussir à ce jeu.

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    Les différents types d’Escape Game

    Il existe trois types d’Escape Game, chacun répondant aux exigences bien spécifiques.

    Escape Game physique (sur site)

    Les Escape Game physiques se déroulent généralement dans des salles dédiées où les joueurs peuvent toucher, manipuler et interagir avec les éléments du jeu. Cela ajoute une dimension immersive et tangible à l’expérience.

    Escape Game virtuel (en ligne)

    Avec l’évolution technologique, de nombreux Escape Game sont désormais accessibles en ligne. Ces versions virtuelles permettent aux joueurs de participer depuis n’importe quel endroit, offrant ainsi une plus grande flexibilité.

    Les Escape Game hybride (combinaison des deux)

    Certaines entreprises proposent des Escape Game hybrides, qui marient le monde réel et virtuel. Les joueurs peuvent interagir avec des éléments physiques tout en utilisant des outils numériques pour résoudre des énigmes.

    Les raisons du succès des Escape Game

    Si le divertissement est devenu aujourd’hui populaire, ce n’est pas par hasard. Plusieurs raisons sont liées à cette notoriété.

    L’immersion dans un univers captivant

    Les Escape Game offrent une immersion totale dans un scénario intriguant. Cela permet aux participants de se sentir véritablement au cœur de l’action. Cette expérience immersive est l’une des principales raisons du succès du concept.

    Le défi intellectuel et la stimulation mentale

    La complexité des énigmes et des puzzles stimule les capacités intellectuelles des joueurs. Résoudre ces défis procure un sentiment de satisfaction et d’accomplissement. C’est d’ailleurs cela qui encourage souvent les joueurs à revenir pour de nouvelles expériences.

    Le renforcement des liens sociaux

    Les Escape Game sont avant tout une expérience de groupe. Or, jouer ensemble encourage la communication, la confiance mutuelle et le travail d’équipe. C’est un excellent moyen de renforcer les liens sociaux entre les participants.

    Comment se préparer à un Escape Game ?

    Pour commencer, vous devez constituer une équipe. Assurez-vous que celle-ci soit complémentaire, mêlant différentes compétences et capacités. Ainsi, vous pourrez affronter les énigmes de manière efficace. Ensuite, misez sur la communication. C’est la clé pour réussir un Escape Game. En effet, il est crucial de partager les informations, d’écouter les idées des autres et de travailler ensemble pour avancer dans le jeu.

    Enfin, pensez à vous exercer le plus souvent. En cela, le site https://souslegende.com est une bonne référence. La plateforme propose divers scénarii d’Escape Game grâce auxquels vous pourrez affiner votre maîtrise du jeu. Vous apprendrez à surmonter progressivement les échecs et les impasses. D’ailleurs, cela fait partie intégrante du processus de résolution d’énigmes.

    Alors, prêts à franchir le pas et à passer de la réalité à la fiction (ou l'inverse) ?

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