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FESTIVAL DE CANNES 2019

  • Festival de Cannes 2019, épisode 3 – Critique de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan

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    L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée.  Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.

    Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix.  Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.

    Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.

    Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences. 

    Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.

    Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.

    Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble  enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent  soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.

    "J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.

    Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette  pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.

    Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime,  jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.

     Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria.  Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.

    Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute.  Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses.  Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare…  Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

    La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".

    Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle.  Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.

    Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.

    A lire aussi :

    1/Festival de Cannes 2019 - LES PLUS BELLES ANNEES D’UNE VIE de CLAUDE LELOUCH - critique du film et conférence de presse

    2/Festival de Cannes 2019 - Master class d’Alain Delon et remise de sa Palme d’or d’honneur. Récit.

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  • Festival de Cannes 2019 - Master class d’Alain Delon et remise de sa Palme d’or d’honneur. Récit.

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    « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes » écrit Henri Calet dans Peau d’ours, son ultime roman inachevé, un roman qui touche tout particulièrement Alain Delon. Peut-être au fond est-ce là que réside la clef du mystère, la clef des émotions de cette journée aussi ?

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    De ce Festival de Cannes 2019, sans aucun doute la master class et la remise de la Palme d’or d’honneur à Alain Delon suivie de la projection de Monsieur Klein en resteront-elles pour moi des souvenirs indélébiles. De même que la projection du film Les plus belles années d’une vie de Claude Lelouch (mon récit et ma critique, ici). Bien sûr, cette édition a connu de nombreux moments forts sur lesquels je reviendrai mais cette journée convoquait les émotions de l’enfance. Et qu’est-ce qui pourrait bien rivaliser avec les émotions de l’enfance ? Ces moments inestimables à regarder et commenter les films de Delon avec mon père. L’acteur de nos films préférés. Ceux que nous regardions inlassablement à chaque diffusion télévisée. Ceux qu’il m’enregistrait précautionneusement sur les cassettes VHS. Ceux à l’origine de ma passion dévorante pour le cinéma. Les Gabin aussi, le « patron » comme l’appelle Delon. Alors, tout naturellement, dans mon premier roman qui est un hommage au cinéma mais aussi à mon père, mon héros, c’est autour du Cercle rouge que l’intrigue tourne (qui se déroule aussi dans la suite Mélodie de l'hôtel Majestic à Cannes, ainsi nommée en référence à...Mélodie en sous-sol, film avec Alain Delon, suite dans laquelle a été prise la photo ci-dessous) et autour de cette fameuse citation : «Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge.»

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    Le 19 Mai 2019, j’avais donc rendez-vous avec les émotions de mon enfance, avec mes premiers élans passionnés pour le cinéma, avec le héros de Visconti, Clément, Deray, Verneuil, Losey, Giovanni, Melville, avec Tancrède, Roger Sartet, Robert Klein, Roch Siffredi, Gino sans oublier le glacial, élégant et solitaire Jef Costello. Comme un clin d'œil du destin, ce jour était aussi accessoirement celui de mon anniversaire.

    Comme souvent, c’est dans la salle Buñuel qu’avait lieu la master class. Dès 8H30 pour ce rendez-vous de 11H, il y avait déjà quelques cinéphiles qui ne voulaient pas manquer ce grand moment de cinéma et qui, peut-être, eux aussi, avaient rendez-vous avec leur enfance.

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  • Festival de Cannes 2019 - LES PLUS BELLES ANNEES D’UNE VIE de CLAUDE LELOUCH - critique du film et conférence de presse

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    Premier article d’une série consacrée au Festival de Cannes 2019. Je commence avec la mémorable projection officielle du film Les plus belles années d’une vie de Claude Lelouch.

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    Il pleuvait ce soir-là à Cannes. Inlassablement. Mais il pleuvait gaiement. Parce que c’était joyeux de monter les marches pour retrouver 53 ans après Anne Gauthier et Jean-Louis Duroc dans la ville et le festival qui ont vu et fait éclore leur incroyable destin avec la Palme d’or 1966, suivie des Oscars du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi tant d’autres récompenses et alors que Claude Lelouch n’avait que 29 ans. Oui, c’était joyeux. Même sous une pluie intarissable. Comme dans un film de Sautet, après tout. Intarissable comme mes larmes d’émotion dès les premières minutes du film. L’émotion d’être là. L’émotion d’avoir rendez-vous avec mes premiers élans cinématographiques. L’émotion d’entendre les notes de musique de Francis Lai, notes mythiques d’un film mythique dans une salle elle aussi devenue mythique. Rendez-vous avec la mythologie du cinéma. L’émotion communicative de l’équipe du film. L’émotion d’une partie du public du Grand Théâtre Lumière. L’émotion dès les premières minutes, lors de ces plans sur le visage de Jean-Louis Duroc / Trintignant. L'émotion autant de retrouver le personnage de Jean-Louis Duroc que de retrouver Jean-Louis Trintignant au cinéma. Et quel Jean-Louis Trintignant !

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    Avant d’en revenir à cette émotion, d’abord le synopsis. Désormais, l’ancien pilote de course Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant) vit dans une maison médicalisée, le bien nommé « Domaine de l’orgueil » (il n’y a que Lelouch pour oser nommer ainsi une maison de retraite et pas les Acacias, les Rosiers, ou les Peupliers, mais c’est ce qu’on aime, non, cette audace romanesque ?) et il se perd un peu sur les chemins de sa mémoire. Pour l’aider, son fils va retrouver celle que son père n’a pas su garder mais qu’il évoque sans cesse, Anne Gauthier (Anouk Aimée), le « meilleur souvenir » de Jean-Louis qui a pourtant pour habitude de « tout oublier ».  Anne va alors accepter de revoir Jean-Louis et reprendre leur histoire où ils l'avaient laissée.

    Pour Jean-Louis qui a beaucoup couru, sur les circuits et « après les femmes », cette résidence médicalisée n’est pas vraiment l’idéal. Peu importe, il y a le rêve justement pour s’évader.  Les souvenirs. Tout ce qui permet de faire s’entremêler présent et passé, rêve et réalité parce que « jamais personne n’est mort d’une overdose de rêves ». « Qu’est-ce qu’on ne ferait pas par amour ! » dit-il ainsi à Anne. Et par amour pour elle, il en a fait : des kilomètres, des déclarations, des coups de fil  après avoir prononcé de sa voix inimitable le fameux « Montmartre 1540 » qu’il est si émouvant de l’entendre à nouveau prononcer ici. La mémoire, du superflu du moins, s’est envolée mais il est toujours là le coureur, celui qui dit « il faut prendre des risques quand on est amoureux ».

    On aurait pu craindre que ce film soit la suite de trop, celui qui nous aurait fait penser qu’il fallait rester avec les souvenirs intacts, celui qui nous aurait laissés mélancoliques avec l’idée que le temps dévore tout, que même les personnages et leurs amours qu’on croyait éternelles s’abiment. C’est tout le contraire. Certes, le temps dévore tout mais Anne et Jean-Louis sont si lumineux, si justes, qu’on oublierait presque qu’ils n’ont plus l’âge qu’ils avaient il y a 53 ans. « Depuis la nuit des temps, la seule chose qui n’a pas bougé, c’est l’amour », entend-on Anne dire à sa fille.  Et, soudain, par la magie du cinéma, cela semble si vrai. Lorsqu'ils se retrouvent pour la première fois, notre cœur de cinéphile bat à tout rompre. C'est plut palpitant qu'une course-poursuite à toute allure dans un James Bond, c'est juste, c'est tendre, c'est drôle, c'est émouvant, et nostalgique, juste un peu. C'est un film en soi. C'est tout ce que sont Les plus belles années d'une vie.

    Tourner le film dans l’ordre en quelques jours était un un défi et au lieu de donner une impression d'inachevé ou d'imprécision, cela fait au contraire davantage surgir ces fragments de vérité qu’affectionne Claude Lelouch.

    En préambule figure une citation de Victor Hugo : « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues », des paroles que chante ici Nicole Croisille dont il est aussi si émouvant de retrouver la voix, indissociable de l’histoire d’Anne Gauthier et Jean-Louis Duroc.

    Cela débute donc dans le fameux Domaine de l’Orgueil. Les résidents participent à un jeu destiné à tester leurs mémoires des évènements et des dates. La caméra se rapproche du visage de Jean-Louis Trintignant en fauteuil roulant. Derrière lui se trouve son fils Antoine (incarné par Antoine Sire comme le petit Antoine d’Un homme et une femme tout comme d’ailleurs la petite Françoise est toujours incarnée par Saoud Amidou, quel plaisir là aussi de les retrouver ! ). Et puis au fur et à mesure comme pour Jean-Louis, tout cela ne devient plus pour nous qu’un brouhaha sans intérêt. Nous ne voyons plus que ce visage passionnant sur lequel passent tant d'expressions, tant de films, tant d'évènements, tant de souvenirs. Quel beau moment de cinéma ! Quel hommage à ce sublime acteur ! Quelles émotions, encore, déjà.

    « Je me suis embarqué sur ce film comme dans cette voiture que j’ai conduite à l’époque de mon court métrage C’était un rendez-vous, comme une métaphore de l’existence. Foncer dans la vie comme j’avais foncé dans Paris en 1976. Griller les feux, prendre tous les risques avec ces dangers à travers lesquels on passe… ou pas. » a ainsi déclaré Claude Lelouch. Utiliser les images de ce court-métrage est d’ailleurs une des nombreuses magnifiques idées de ce film. Lelouch reprend aussi de nombreuses images de Un homme et une femme, toujours à bon escient. Souvenez-vous…

    Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...

    Ce film, Claude Lelouch l’a, comme souvent, réalisé après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, elle marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera Un homme et une femme, la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation (Deauville d’ailleurs à nouveau magnifiquement filmée dans Les plus belles années d’une vie), Un homme et une femme ayant créé la légende du réalisateur tout comme cela a contribué à celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point que, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.

    J'ai vu ce film un grand nombre de fois et, à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques ont si souvent raillé le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.

    Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout Un homme et une femme nous la font aimer. Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.

    Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après avoir reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...

    Avec Un homme et une femme, Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film, citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie », Lelouch n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.


    Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint toutes les récompenses précitées et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à Un homme et une femme, le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite Un homme et une femme, 20 ans déjà réunissant à nouveau les deux protagonistes. Et 53 ans après Un homme et une femme, nous avons  ainsi eu le plaisir de retrouver ces personnages mythiques dans Les plus belles années d'une vie.

    Ce film qui aurait pu être morose est au contraire plein de vie même si et justement même parce qu’on y entend à plusieurs reprises « La mort, c’est l’impôt de la vie. »  La vie est là, tout le temps. Eblouissante. Quand Anne et Jean-Louis s’évadent en voiture et que le soleil insolent perce à travers les feuilles.  Quand Jean-Louis crie fougueusement à Anne « Embrassez-moi ». Quand les femmes regardent Jean-Louis, ou que Jean-Louis regarde les femmes de sa vie. Avec tant de tendresse. La tendresse, ce film en regorge. L’humour aussi. Lors de multiples clins d’œil au film de 1966 comme lorsque Jean-Louis roule sur les planches et s’étonne que ce soit interdit et qu’un policier lui rétorque que c’est interdit « depuis 50 ans, depuis qu’un crétin a roulé ici avec sa Ford Mustang. »

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    Quelle justesse lorsqu’il dit « Je me souviens d’elle comme si c’était hier » ou lorsqu’elle dit « On est toujours beaux quand on est amoureux ». Cela aurait pu être mièvre. Par le talent de ces deux immenses acteurs et de Lelouch c’est infiniment beau et émouvant. Et ce visage de Trintignant quand soudain il s'illumine par la force des souvenirs de son grand amour, comme transfiguré, jeune, si jeune soudain. Et la majesté d'Anouk Aimée, sa grâce quand elle remet sa mèche de cheveux. Il faut dire aussi qu’ils sont si amoureusement filmés. Et que d'intensité poétique et poignante lorsqu'ils sont l'un avec l'autre comme si le cinéma (et/ou l'amour) abolissai(en)t les frontières du temps et de la mémoire. Encore un des pouvoirs magiques du cinéma auxquels ce film est aussi un hommage.

    Et puis, évidemment, il y a la musique, toujours si importante dans les films de Lelouch, a fortiori dans Un homme et une femme. La musique originale est signée Francis Lai et Calogero et les chansons originales sont interprétées par Nicole Croisille et Calogero sur des paroles de Didier Barbelivien.

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    Cette fois, Les plus belles années d’une vie était présenté hors compétition, contrairement à Un homme et une femme qui avait été présenté en compétition. Et s’il avait été en compétition, quel sort lui aurait réservé le jury ? 

    Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce film si lumineux, tendrement drôle (d'une infinie tendresse), émouvant, joyeusement nostalgique, gaiement mélancolique, optimiste, hymne à la vie, à l’amour, hommage au cinéma, sublimé par la beauté si lumineuse de Trintignant et Aimée. Comme le Domaine de l'orgueil, si bien nommée.

    Je vous laisse imaginer l’émotion qui a envahi la salle lors du générique de fin, de cette dernière image sur Deauville, qui m’a envahie en tout cas. Un beau moment de vie et de cinéma entremêlés  et il me semble encore entendre le fameux « Chabadabada »  que le public du Grand Théâtre Lumière a repris en chœur résonner dans ma tête (rendez-vous sur mon compte instagram @sandra_meziere pour en voir un extrait),  comme cette pensée que « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues ». Un air entêtant, joyeusement mélancolique, comme Deauville aussi amoureusement filmée, à nouveau.

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    CONFERENCE DE PRESSE

    Quelques citations et quelques photos de la conférence de presse cannoise à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister.

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    Claude Lelouch a ainsi rappelé que le film a été « tourné dans l’ordre en quelques jours. » « C’est le film qui m’a fait le plus peur. On ne pourra pas faire le film si les miracles ne sont pas au rendez-vous ». « La rencontre entre Anne et Jean-Louis, les 19 minutes ont été tournées dans la journée. Le soir en rentrant, j’ai dit on a déjà au moins un bon court-métrage. »

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    - A propos d’Un homme et une femme  :  « C’est difficile d’expliquer les miracles. En 1H30, on est passés de l’ombre à la lumière. Le public s’est approprié cette histoire. », « Encore une fois, le hasard a eu beaucoup de talent dans ma vie ». « J’ai vu dans ses yeux des choses qui m’ont interpellé, un sourire incroyable et je lui ai fait un pitch rapide. Il a Alzheimer. La seule personne dont il se souvient, c’est toi. ». « Il a fallu un millier de miracles. » « Il a fallu un alignement de planètes pour qu’on soit tous là aujourd’hui ». « C’était un rendez-vous » : c’est le film dont je suis le plus fier et dont j’ai le plus honte. J’ai grillé 18 feux rouges. Je me suis souvent comporté comme un petit voyou et si je n’avais pas été un voyou je n’aurais pas fait 50 films ». « Francis Lai n’a pas eu le temps de voir le film. »  « Pour moi les minutes sont des années, j’ai envie de réussir le sprint de ma vie. », « Les nouvelles technologies du cinéma sont formidables ». « Avec les plus belles années, j’ai voulu rendre hommage au cinéma d’hier et d’aujourd’hui », « Le plus grand scénariste du monde c’est la vie et je travaille avec ce scénariste et le plus grand scénariste de ma vie, c’est ma femme. »

    Bellucci : « C’était la première fois que j’étais dirigée comme ça. » A propos de l’Union Européenne et des Européennes pour lesquelles elle tient à voter : « Seul on va vite, ensemble on va plus loin ». Denicourt : « C’était un rêve car Jean-Louis Trintignant est un de mes acteurs préférés. »

    Antoine Sire  « Un cadeau incroyable »,  « Je suis acteur tous les 53 ans ».

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  • Festival de Cannes 2019 – La palme d’or à PARASITE de Bong Joon-Ho (critique)

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    Le jury de ce Festival de Cannes 2019 a ce soir décerné la palme d’or (à l’unanimité !) au film « Parasite » de Bong Joon-Ho.

    Synopsis : Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne...

    Il y a dix ans, avec son quatrième long-métrage, « Mother » Bong Joon-ho déjà nous envoûtait, nous intriguait, nous charmait, nous provoquait, nous inquiétait.  Déjà, la comédie déviait vers le thriller, progressivement, Bong Joon-ho instillant intelligemment de l'étrangeté menaçante dans des scènes quotidiennes alors à la tonalité décalée, par l'effet d'un savant sens du montage, de l'ellipse, du gros plan, du cadrage et par des plans d'une beauté redoutable. Bong Joon- ho entrelaçait tragédie du souvenir et bonheur de l'oubli, violence et amour inconditionnel, humour noir et folie, culpabilité suffocante et soleil. Film hybride, palpitant, étonnant, poignant qui n'épargnait ni les travers de la société coréenne ni les ombres et forfaits d'un inconditionnel amour maternel pour mieux encore en exalter la force renversante. Si je vous parle de « Mother » aujourd’hui c’est parce que dans son 7ème film, « Parasite » on retrouve cette habileté déconcertante du cinéaste à mêler les genres et à nous décontenancer.

    Cela commence dans un appartement spartiate, insalubre, situé en sous-sol. Seule une petite fenêtre en contrebas de la rue éclaire la pièce comme une lucarne sur le monde extérieur. Là où vit la famille de Ki-taek. Des chaussettes pendent. Le wifi ne fonctionne pas. Le père balaie brutalement un insecte de la main. A l’extérieur, des agents désinfectent la zone. Tout est dit. Ils vivent comme des cloportes. Des parasites. Nous voilà prévenus. A l’opposé, les Park vivent dans une immense maison à la décoration aseptisée, avec des tableaux bien rangés et d’immenses baies vitrées qui ouvrent sur un jardin parfaitement entretenu.

    « Un examen, c’est se frayer un chemin dans la jungle. », « Il faut que tu te fraies un chemin à travers l’examen et que tu le maitrises. Une seule chose compte, ta détermination. La détermination. », « Je respecte les gens qui ne dévient pas de la route », « Elle ressemble à un agneau mais à l’intérieur c’est un loup » .« Je n’aime pas les gens qui franchissent la ligne ». « Ils sentent pareil ». « Il fuirait et se cacherait comme un cafard ».

    Les dialogues nous annoncent d’emblée la couleur de sorte que le virage horrifique ne nous surprend pas vraiment lorsque la famille Ki-taek est parvenue à s’infiltrer dans la famille Park par un judicieux enchainement de mensonges et stratagèmes dignes d’un palpitant thriller.

    Et puis il y a cette ouverture obscure et intrigante dans la salle à manger qui semble mener vers un univers interlope et mystérieux et dont on se doute surtout qu’elle ne mène pas au paradis même si Bong Joon-Ho, là encore, nous surprend ingénieusement par ce revirement à mi-parcours. Je vous laisse le découvrir lequel.

    « L’argent est un bon fer à repasser. Il efface tous les plis » peut-on notamment attendre. Comme « Mother », « Parasite » est aussi une critique acerbe de la société coréenne, mais aussi une critique plus universelle de l’uberisation et la précarisation du travail.

    Chronique sociale, thriller, film d’horreur, comédie, film déroutant, drôle, violent, cruel, burlesque, film noir, « Parasite » est tout cela à la fois et plus encore. La virtuosité de la mise en scène est indéniable et épouse la folie de cette fable satirique sur les inégalités sociales. Comme si Hitchcock, Clouzot, Chabrol, Ozon s’étaient réunis pour écrire un film coréen. Bref, un film inclassable si ce n’est dans la « case » de la palme d’or que le jury vient de lui décerner.

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  • Palmarès et remise de prix de la Cinéfondation 2019

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    C’est un évènement auquel j’assiste chaque année et qui, chaque année, permet de découvrir de grands cinéastes en devenir (nombreux sont ceux à être passés par la Cinéfondation et à recevoir aujourd’hui des prix éminents dans les plus grands festivals du monde). Quatre films figiraient au palmarès cette année et pour ma part quatre coups de cœur a fortiori le premier Prix "Mano a Mano" de Louise Courvoisier -dont nous avons pu admirer le talent des comédiens acrobates lors de la remise de prix- , qui porte les prémisses de ce qui pourrait être un passionnant long-métrage que nous avons hâte de découvrir. Elle filme les visages et les corps avec une rare acuité. Bravo aussi à Richard Van (2ème prix), Wisam Al Jafari (3ème prix ex-æquo) et Barbara Rupik (3ème Prix ex-æquo). Je vous reparlerai de ces films.

    La Cinéfondation dont c’était déjà la 22ème édition (créée en 1998 à l’initiative de Gilles Jacob) était présidée cette année par la réalisatrice Claire Denis.

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  • Festival de Cannes 2019 – Séance spéciale - « Ice on fire » de Leila Conners Petersen

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    Synopsis : Le film, Ice on Fire, avec Leonardo DiCaprio, pose la question suivante : allons-nous laisser le changement climatique détruire la civilisation ou allons-nous utiliser des technologies capables de l’inverser ? Ice on Fire propose des solutions inédites quant aux nombreuses façons de réduire le carbone, préservant ainsi la civilisation. Avec une cinématographie époustouflante, nous explorons le profond espoir de pouvoir nous détourner du bord du précipice. Le film présente une science arctique de méthane dans la glace. « Est-ce que le jeu est terminé ? Ou allons-nous l’emporter ? Nous avons la créativité, l'ingéniosité et la vision nécessaires pour inverser le changement climatique. » 11 ans après The 11th Hour, nous savons maintenant comment résoudre le problème du changement climatique.

    C’était l’évènement hier au Festival de Cannes, la projection en Séance spéciale de « Ice on fire », présenté par la réalisatrice et par son producteur et narrateur Leonardo Di Caprio.

    « Le changement climatique peut être inversé si nous agissons maintenant », affirme DiCaprio dans ce film produit par HBO et destiné à la télévision dans lequel Conners et DiCaprio sont en quête des solutions (qui, en plus, existent déjà !) pour réduire les émissions de gaz à effets de serre et enfin réellement inverser la tendance du réchauffement climatique parce que oui…non seulement réduire la tendance est possible mais l’inverser l’est aussi ! C’est le point optimiste de ce documentaire dont certaines images et réalités n’en demeurent pas moins effroyables comme celle de l’évaporation dans l’atmosphère du méthane contenu dans le permafrost (sols gelés en permanence), augmentant la pollution de l’air et la destruction de la couche d’ozone.

    Croatie, Islance, Alaska, Ecosse, nous voyageons dans le monde entier pour découvrir l’ampleur terrifiante des dégâts et des solutions qui, pourtant, bel et bien existent et dont on ne peut s’empêcher d’enrager à l’idée qu’elles tardent tant à être mises en œuvre d’autant qu’elles seraient aussi un atout économique selon le documentaire. Ces solutions seraient ainsi notamment des champs entiers de panneaux solaires, ou encore les cultures de varech, des machines qui filtreraient le dioxyde de carbone présent dans l’air.

    Pour des sujets aussi graves et urgents pour lesquels l’horloge tourne irrémédiablement, chaque voix compte mais il y en a qui, évidemment, portent plus que d’autres. C’est ce que nous pouvons espérer avec de documentaire pédagogique, édifiant, passionnant, et malgré tout porteur d’espoirs, qui dresse le tableau tragiquement réaliste mais aussi la liste de solutions inédites pour réduire les émissions de carbone : que cette voix porte jusqu’aux dirigeants inconscients pour qui la planète est devenue un jouet que l’on peut malmener à sa guise et sans se soucier des conséquences.

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  • Critique de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan (compétition officielle - Festival de Cannes 2019)

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    L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée.  Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.

    Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix.  Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.

    Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.

    Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences. 

    Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.

    Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.

    Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble  enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent  soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.

    "J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.

    Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette  pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.

    Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime,  jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.

     Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria.  Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.

    Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute.  Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses.  Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare…  Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

    La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".

    Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle.  Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.

    Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.

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