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CHRONIQUES LITTERAIRES

  • Lecture – Cinéma – ANATOMIE DU CINÉMA de Frédéric Sojcher

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    « J’ai depuis toujours comme credo l’existence de vases communicants entre le passé et le présent, entre le cinéma et la vie, entre ce que l’on apprend et ce que l’on ressent. » Cette phrase extraite d'Anatomie du cinéma de Frédéric Sojcher est une de celles qui pourrait définir le mieux ce livre, et les raisons pour lesquelles cet ouvrage qui relie passé et présent, le cinéma et la vie, l’expérience personnelle et l’expérience professionnelle, la mémoire et la création, se révèle aussi personnel qu’universel, et surtout passionnant.

    Après le remarquable livre d’Olivier Rajchman, L’aventure des films, dont je vous parlais longuement, ici, le 20 avril dernier, voici un autre livre sur le cinéma que je vous recommande de lire, qui possède d’ailleurs beaucoup de vertus en commun avec le premier. Dans les deux cas, il s’agit en effet de passionnantes (et passionnées) leçons de cinéma livrées avec humilité qui jamais n’assènent des vérités, et se lisent comme des romans.

    Réaliser un film est un parcours du combattant avec ses hasards, ses obstacles et ses revirements. Un film en soi car comme le rappelle l’auteur « tout film est un prototype » et donc une aventure singulière : « Le cinéma, c’est plus que du cinéma : se distraire, avoir des émotions, être parcouru par des émois esthétiques et philosophiques…. »

    Cette « anatomie du cinéma » (qui a pour sous-titre Ce qu'il faut savoir avant de se lancer) qui lui donne chair, et en explore l’âme, est une leçon de cinéma qui ne se veut pas donneuse de leçons, se définissant ainsi comme un « antimanuel » du cinéma, à destination aussi bien des étudiants en cinéma, que des « professionnels de la profession » ou simplement de lecteurs curieux de pénétrer dans les arcanes. Là aussi, c’est toute une aventure : celle des coulisses de la création. Une création dans laquelle « Le budget détermine le projet ».

    Je vous avais déjà parlé du dernier film de Frédéric Sojcher, Le Cours de la vie, (retrouvez ma critique, à nouveau, en bas de cet article). Mais tout commença beaucoup plus tôt pour lui, dans l’enfance… C’est à 11 ans, sur un plateau de tournage que Frédéric Sojcher découvre le cinéma, comme figurant sur le film Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier, tourné en Belgique, pays d’origine de l’auteur de ce livre. « Être cinéaste, c’est forcer son destin. » : tels sont les mots de François Truffaut avec lequel il eut la chance d’entretenir une relation épistolaire. Peut-être pourrait-il également faire sienne cette phrase de Truffaut : « Tout ce que j'ai appris dans la vie, je le dois au cinéma. »  Ce livre démontre à quel point il a suivi ce conseil, qui est aussi désormais le sien. Il commence, à 18 ans, par réaliser un court métrage, Fumeurs de charme (1985), avec Serge Gainsbourg et Michael Lonsdale, puis une dizaine de courts métrages et cinq longs métrages dont Cinéastes à tout prix (Sélection officielle au Festival de Cannes, 2004), Hitler à Hollywood -sélectionné au festival de Venise, prix FIPRESCI à Karlo Vivary, 2011- et Le cours de la vie. Il fut également professeur en pratique de cinéma à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne où il dirige le Master en scénario, réalisation, production depuis 2005… dont je fis partie des étudiantes (de la toute première promotion !). Il est aussi l’auteur ou le coordinateur d’une trentaine de livres sur le cinéma.

    Le titre du livre se réfère au film de Justine Triet, Anatomie d’une chute. Il se divise en trois parties, et entremêle son parcours de cinéaste et de professeur, mais aussi l’histoire du cinéma, les étapes de la fabrique du film, les débats actuels et son expérience personnelle. La première partie traite de « l’Histoire « du » et histoire « de » cinéma », depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui. La deuxième s’attèle à décortiquer la fabrique du film, toutes les étapes de la fabrication d’un film et de la rencontre non pas avec « un » mais avec « des » publics. Et la dernière, que j’ai trouvée la plus captivante, est un « traité de survie » évoquant l’enseignement du cinéma et les débats sociétaux qui le traversent comme le combat pour une réelle égalité entre femmes et hommes, la condamnation des violences sexuelles, l’idée qu’il ne faut plus admettre aucun abus… : il évoque avec justesse et nuances les enjeux de #MeeToo, sans nier les nécessaires combats qu’il faut mener, et sans oublier non plus le sens de la nuance et de la justice.

    Ce qui marque d’abord, c’est le caractère exhaustif du livre qui n’oublie aucun aspect des rapports de force (et de passions) qui régissent le cinéma et aucun métier (jusqu’aux attachés de presse, remerciés à la fin de l’ouvrage). Sont ainsi abordés le montage, la musique (trop souvent oubliée, des critiques notamment : combien aujourd’hui encore parlent d’un film sans évoquer ce rouage essentiel ?) ou l’étalonneur (« véritable magicien ») jusqu’à l’importance de la critique et des festivals de cinéma. Il décrypte ainsi les rapports complexes entre l’art et l’argent, et démontre à quel point économie et esthétique s’imprègnent puisqu’un projet est toujours tributaire du budget qui lui sera alloué. Il n’oublie pas non plus la nouvelle donne que constituent les questions de société qui secouent actuellement le milieu du cinéma mais aussi le développement des séries et les plateformes qui modifient les rapports entre cinéastes et spectateurs.

    Frédéric Sojcher rappelle tout d’abord que le cinéma a été créé par les frères Lumière (à ce propos, retrouvez aussi, en complément,  ma critique de l’essentiel Lumière ! L’aventure continue de Thierry Frémaux) et non par Thomas Edison, version que préfèrent évidemment les Américains. Avec son kinétoscope, une seule personne pouvait visionner des images animées, et devait de surcroît tourner la manivelle d’un boitier. Avec le Cinématographe des frères Lumière, le film pouvait être projeté sur un écran, permettant ainsi d’en faire profiter un public.

    Son « antimanuel » recommande ainsi de ne pas suivre à la lettre les livres de scénario (petite parenthèse pour constater qu’actuellement fleurissent les formations payantes censées apprendre l’écriture romanesque délivrées par des auteurs…mais il me semble justement que la « recette » d’un bon livre comme d’un bon film est de ne pas suivre des schémas préétablis, même s’il reste des règles intangibles, a fortiori dans le domaine cinématographique). Sans doute le meilleur conseil est-il celui donné par François Truffaut : « Pour François Truffaut, le plus important est le début et la fin d'un film. Il faut selon lui que le récit commence avec une « accroche » afin que le spectateur ait envie de connaître la suite. Il faut qu'il finisse avec une scène forte, pour que le film continue à travailler le spectateur, une fois qu'il sortira de la salle ». Et celui de l’auteur concernant l’importance de l’enjeu : « Conflictualiser un récit, pour amener les liens de causalité qui insufflent l'intrigue. » On suivra aussi le conseil du fameux « Et si… », titre initial du Cours de la vie, prodigué dans le livre d’Alain Layrac sur l’écriture de scénario, Atelier d’écriture (dans lequel, là aussi, le scénariste entrecroise son histoire personnelle avec des conseils plus théoriques).  Frédéric Sojcher souligne ainsi que « C'est l'un des rares textes qui aborde la question du scénario sans être ni théorique ni dogmatique. » Il ajoute : « Je suis persuadé que ce que j'enseigne ne s'enseigne pas. »

    Il opère aussi une analyse très juste de la critique, déplorant les avis lapidaires et définitifs auxquels s’adonnent parfois certains : « Trop nombreux sont les critiques qui décident une fois pour toutes qui est un « bon » ou un « mauvais » cinéaste, avec une facilité déconcertante à mettre chacun d'entre eux dans une case. », « Danger de la critique quand elle devient conformiste. » Dans la vie comme au cinéma, il me semble que toute personne comme toute œuvre ne doit pas être jugée sur un moment mais dans une globalité, et pouvoir bénéficier d’une deuxième chance.

     Il rappelle aussi l’importance des festivals, et que certains grands cinéastes en furent injustement oubliés : « Tous les grands films n'ont pas été sélectionnés par les grands festivals. Claude Sautet, par exemple, ne connut que très peu de sélections et de récompenses festivalières. » Il déplore, toujours à juste titre, que les plateformes « donnent le sentiment d'être comme un client face à des produits présentés indifféremment » et la « transformation de l'œuvre singulière qu'est un film de cinéma en pur objet de consommation. »

    Il rappelle encore à quel point un film est lié à l’histoire de son auteur, et son rapport au cinéma, à la naissance de sa cinéphilie, « d’où l’on vient » : « Le paradoxe serait que c'est seulement en reconnaissant sa propre subjectivité que l'on peut tendre vers une objectivité. » Je vous parlais ailleurs (dans un post sur Instagram) de ces fameuses fiches Bristol vertes, que je retrouvai récemment, bouleversée, des fiches sur lesquelles mon père écrivait scrupuleusement tous les films que je voyais depuis l’âge de neuf ans. Ma « raison ardente », peut-être. Frédéric Sojcher en parle en effet, ainsi :  « Revenir aux fondements d'une passion pour comprendre ce qu'Apollinaire appelle la raison ardente. » Là encore, il s’appuie sur sa propre histoire, poignante, en racontant que sa grand-mère paternelle ne vivait qu'à travers les films, ayant perdu son mari décédé à Auschwitz et ne l’ayant pas su tout de suite.

    Il relate aussi les travers du milieu du cinéma avec beaucoup de franchise et de lucidité :  « Le cinéma, c'est aussi le bal des hypocrites. Le traité de survie demande de les circonscrire ou de les ignorer. » « Le traité de survie consiste à toujours repartir au combat. » Il n’en tire pas un constat amer mais, au contraire, il transmet l’énergie nécessaire pour « repartir au combat », pour se/les surpasser pour que les projets aboutissent. Les raisons invoquées pour lui refuser une aide par la Commission du film belge, après examen d’une troisième version du scénario du Cours de la vie, sont ainsi particulièrement parlantes et, nous l'imaginons aisément, blessantes pour le réalisateur et le scénariste Alain Layrac quand on sait à quel point ce film était lié à son histoire personnelle « car l’histoire de la mort de Noémie…c’était la reproduction de la mort de son frère à lui…qui l’avait dévastée quand il était jeune » (à qui le film était dédié) : « Les membres comprennent mal la raison de la rupture ou le rapport avec la mort du frère de Noémie ».

    Le cinéma est aussi affaire de renoncements, aussi douloureux soient-ils, de contournements, de liens fragiles aussi (entre acteurs et réalisateurs, réalisateurs et scénaristes quand ils diffèrent, financiers et créateurs…). Tout est jeu et enjeu de pouvoir. L’humain est au centre de cet art collectif, avec ses contradictions, ses ambitions, ses petitesses et ses grandeurs. Chacun de ses projets qui illustre le livre en est le révélateur : de sa rencontre avec Vladimir Cosma, à l’influence...positive puis négative de Jacqueline Aubenas, son expérience de cinéma tristement rocambolesque sur son film Regarde-moi, à l’histoire du tournage de son long-métrage Le Cours de la vie, son lien avec Bertrand Tavernier, au passage sans doute un des cinéphiles les plus érudits et passionnants en plus d’avoir été un grand cinéaste.

    Avec un humour certain, et une détermination sans faille, Frédéric Sojcher nous entraîne jusque dans les aspects les plus tragiques de son histoire comme le viol dont il fut victime lorsqu’il était enfant. Mais ce ne sont pas les ombres mais les lueurs (d'espoir, de passion) qui ressortent de ce livre comme les lettres, remplies d’émotions communicatives, qu’il adresse à la fin, notamment à sa compagne Dina Neves qui fut costumière sur son dernier long métrage, Le Cours de la vie : « C’est grâce à toi Dina que je sais à quel point personne n’a à se sentir supérieur à quiconque. ». Son livre est celui d’un réalisateur et d’un passeur (d’émotions, d’expériences).

    Nombreux sont les défis qui attendent aujourd’hui le cinéma : la survie des salles face aux plateformes, la nouvelle menace que peut constituer l’Intelligence Artificielle pour les créateurs, le respect de l’autre qui fut trop souvent négligé symbolisé par #MeToo… L’œuvre achevée est le fruit d’une alchimie fragile, de compromis nécessaires, de rapports de forces, mais avant tout de la passion et de la détermination de celui qui en est l’initiateur. Lorsque toutes ces conditions sont réunies, émerge ce petit miracle qu’est un film réussi. La passion et la détermination : c’est ce qu’exhale ce livre qui, dans ses dernières pages, laisse l’émotion affleurer et nous emporter. Il témoigne avant tout du respect et de l’admiration de son auteur pour ceux qui font le cinéma. Ce livre est ainsi autant l’anatomie du cinéma que le portrait de ce dernier. Et comme pour un film, c’est cette alchimie fragile et réussie qui permet que la magie opère.

    Je termine avec le conseil qui clôt le livre et qui résume magnifiquement le parcours semé de mésaventures et de rencontres de Frédéric Sojcher : « Ce qu’il faut savoir avant de se lancer ? Tenir. »

    Anatomie du cinéma – Editions Nouveau Monde (nouveau-monde.net)

    Critique - LE COURS DE LA VIE de Frédéric Sojcher

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    Dans On connaît la chanson d’Alain Resnais, dont Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ont signé le (si inventif) scénario, dans le dernier acte, à l’occasion d’une fête, tous les protagonistes sont réunis, et chaque personnage laisse tomber son masque, de fierté ou de gaieté feinte. Dans l’appartement dans lequel a eu lieu cette fête, ne reste qu’un sol jonché de bouteilles et d'assiettes vides, le lieu comme les personnages alors débarrassés du souci des apparences, et du rangement (de tout et chacun dans une case). Les personnages d'On connaît la chanson sont ainsi avant tout seuls, enfermés dans leurs images, leurs solitudes, leur inaptitude à communiquer, et les chansons leur permettent souvent de révéler leurs vérités, personnalités ou désirs masqués, tout en ayant souvent un effet tendrement comique. La séquence finale se termine cependant ensuite par une pirouette, toute l’élégance de Resnais et de ses scénaristes figurant là, dans cette dernière phrase qui nous laisse avec un sourire, et l’envie de saisir l’existence avec légèreté. C’est avec ce même sentiment que j’ai quitté, bouleversée, les personnages du film de Frédéric Sojcher (qui eux ne communiquent pas par chansons interposées mais par leçon de scénario interposée), celui de vouloir embrasser (et scénariser) chaque parcelle de seconde de l’existence.

    Ce début d’année 2023 n’a pourtant pas été avare en (excellents) films sur le cinéma : Empire of light de Sam Mendes, la fresque foisonnante de Damien Chazelle, Babylon, mais surtout The Fabelmans de Steven Spielberg. Ce dernier, en plus d’être une ode à la magie du cinéma qui éclaire et sublime la réalité (à l’image de cette hypnotique danse à la lueur des phares qu’il met en scène), démontre le pouvoir cathartique de l’art. Un film mélancolique et flamboyant, intime et universel. Le cours de la vie de Frédéric Sojcher, cette quatrième déclaration d’amour cinématographique de l’année au septième art, contre toute apparence, ne manque pas de points communs avec la nouvelle œuvre de Spielberg. Dans l’un comme dans l’autre film, le cinéma est un pansement sur les plaies béantes de l’existence et de l’âme. L’un et l’autre sont aussi de remarquables mises en abyme, à la fois intimes et universelles. Je précise en préambule que c’est même une double mise en abyme me concernant, ayant fait partie de la première promotion du Master 2 Scénario, réalisation, production que Frédéric Sojcher a initiée et dirige toujours à la Sorbonne, et ayant suivi ses cours à Rennes puis à Paris. À son actif également : cinq longs métrages, trois fictions et deux documentaires.

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    Dans son indispensable livre sur le scénario Atelier d’écriture (publié dans la collection que dirige Frédéric Sojcher aux éditions Hémisphères, réédité ce mois-ci avec une nouvelle couverture), le scénariste du Cours de la vie, Alain Layrac, recommande Martin Eden, le roman de Jack London qui, selon lui, « décrit mieux qu’aucun autre livre ce sentiment euphorisant et éphémère de la satisfaction du travail d’écriture accompli. » C’est en effet un -sublime- roman (que je vous recommande au passage) qui entrelace la fièvre créatrice et amoureuse qui emprisonnent, aveuglent et libèrent. Un entrelacs que l’on retrouve aussi dans Le cours de la vie. Ce sont deux livres dont les souvenirs, puissants, ne m’ont pas quittée, même des années après leur lecture. Les mots du livre d’Alain Layrac m’ont ainsi accompagnée après sa lecture en 2017 (une amie que je ne remercierai jamais assez avait eu la bonne idée de me l’offrir), et aujourd’hui encore, comme cela peut être le cas pour les personnages d’un roman ou d’un film, ils continuent à vivre avec moi, intégrés à ma propre histoire. Et puis le livre avait pour couverture initiale une image du film Les choses de la vie de Claude Sautet, c’était forcément déjà une belle promesse. Au-delà de ses excellents conseils d’écriture, de ce livre je garde en mémoire des passages particulièrement forts qui ont d’ailleurs donné lieu à des scènes très émouvantes dans le film de Frédéric Sojcher mais aussi des phrases qui font particulièrement écho comme cette phrase d’Harold Mac Millan : « On devrait utiliser le passé comme trempoline et non comme sofa. » Ou encore cette citation de l’auteur : « Tant que j’aurai l’envie de raconter une histoire, je resterai vivant. »

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    Si, en apparence, adapter un essai en scénario peut sembler improbable, j’espère que cette introduction lèvera vos doutes à ce sujet. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un essai. Sans doute ce livre aurait-il déjà pu s’appeler Le cours de la vie… L’affiche (très réussie) du film, en écho au double sens du titre, donne le ton et évoque ainsi déjà judicieusement cette mise en abyme mais aussi la nostalgie dont est empreint le long-métrage.

     Le film se déroule ainsi sur une journée de masterclass d’une scénariste dans une école de cinéma. Le scénario du film applique la célèbre règle des trois unités : unité de lieu, de temps et d’action.  Noémie (Agnès Jaoui) retrouve Vincent (Joanthan Zaccaï), son amour de jeunesse, dans l'école de cinéma de Toulouse dont il est désormais directeur pour y donner une masterclass, à l’invitation de ce dernier. Et si Noémie ne donnait pas seulement une masterclass pour les étudiants de l’école mais s’adressait aussi à quelqu’un en particulier ?   Et si… C’est ainsi la formule magique du scénariste selon Alain Layrac (que Noémie enseigne à ses élèves), celle qui permet de démarrer toute histoire.

     Être auteur, n’est-ce pas aussi être le scénariste de sa propre vie, entremêler sans cesse fiction et réalité, faire de sa vie le matériau de sa fiction, et instiller du romanesque dans sa vie ? En écrivant pour tous, n'écrit-on pas toujours pour une seule personne en particulier ? Noémie se livre ainsi à travers sa leçon de scénario qui va influer sur le cours de la vie (estudiantine et personnelle) de ses étudiants mais aussi sur celui de sa propre histoire. La masterclass va aussi transformer la vie des étudiants mais aussi celles de la scénariste et du directeur d’école et ainsi leur donner l’occasion à l’un et l’autre de revenir sur ce passé qui n’a jamais cessé de les habiter, et qui est resté en suspens. La salle de cours va devenir un antre dont le cadre protecteur et où le prisme du cours permettront de dire des vérités indicibles à la lumière crue de l’extérieur, comme la salle de cinéma dans laquelle chacun est à l’abri des tumultes du monde.

    Jonathan Zaccaï est parfait dans le rôle de Vincent, directeur d’école aussi réservé et maladroit que son écharpe (rouge) est voyante. Géraldine Nakache interprète elle aussi avec beaucoup de nuances et sensibilité un magnifique personnage en retrait mais essentiel, celui de la belle-soeur de Vincent, sorte de double du spectateur, puisqu’elle est la régisseuse de l’école de cinéma, et voit tout par le prisme de l’écran, mais aussi double de Noémie, ayant vécu comme elle un drame qui a changé le cours de sa vie.  Agnès Jaoui est successivement drôle, touchante, bouleversante, mais toujours charismatique dans ce magnifique rôle de femme qui semble écrit pour elle tant elle rayonne, convoquant des images puissantes par la « simple » force de ses mots et de son interprétation, comme lors de ce sublime monologue au sujet de son frère ou lors de l’évocation d’un cœur en plastique de fête foraine qui ne s’est jamais dégonflé pendant 30 ans.

    Grâce à un dispositif ingénieux de réalisation et de montage et au travail du chef opérateur Lubomir Bakchev, les scènes de masterclass (filmées à plusieurs caméras et par le recours au flou, à des recadrages brusques...) ne sont jamais ennuyeuses ou didactiques mais toujours vivantes et rythmées.

    Le film est certes un coup de projecteur sur le magnifique métier de scénariste mais aussi sur le rôle essentiel du compositeur, le troisième auteur du film. Il met en exergue le rôle primordial de la musique de film, que celle-ci exacerbe ou accompagne ou même suscite une émotion. Ainsi, aucun des extraits de films choisis par Noémie pour illustrer sa leçon de scénario n’est visible par le spectateur. Nous les « voyons » alors à travers le regard des étudiants mais surtout nous les entendons. Merveilleuse idée (même si elle fut au départ en partie dictée par des raisons budgétaires) qui nous plonge dans l’univers des films grâce aux inoubliables musiques de Vladimir Cosma. Le compositeur a ainsi accepté que Frédéric Sojcher choisisse dans le catalogue de musiques qu’il a créées pour d’autres films. En plus de ces musiques préexistantes, Vladimir Cosma (dont je vous avait dit à quel point son concert au Festival du Cinéma et Musique de Film de la Baule en 2017 était inoubliable, l’occasion d’entendre la musique de La septième cible,  La Boum, Les  Aventures de Rabbi Jacob, La Chèvre et tant d'autres, jouées par un orchestre symphonique) a aussi composé ici un morceau et une chanson originale que l’on entend au générique  et dans la cour de l’école, quand les étudiants autour de l’arbre entament les paroles d’un refrain : Et si…, une chanson pour laquelle Vladimir Cosma a travaillé avec le parolier Jean-Pierre Lang.

    « La qualité d’un scénariste, ce n’est pas tant l’imagination que le sens de l’observation des autres et de soi-même. Il faut aimer les personnages, leurs défauts, leurs faiblesses ,comme leurs qualités, peut-être même encore plus leurs défauts » rappelle ainsi Noémie à ses étudiants. Une leçon de scénario est finalement une leçon de vie, comme ce film qui nous invite à regarder (les images, les autres, l’existence) plus intensément. Un cours sur la vie autant qu’un cours de cinéma.  

    Cette journée est pour Noémie une parenthèse après laquelle en apparence rien n’a changé et après laquelle rien ne serait tout à fait pareil. Comme pour le spectateur, après ce vibrant hommage au cinéma savoureusement anticonformiste (adapter un essai sur le scénario et faire d'une masterclass le cadre des 3/4 d'un film, il fallait oser, et pourtant cela fonctionne incroyablement grâce...au scénario, mais aussi à la réalisation, constamment en mouvement). Et puis cette fin, inattendue et poignante, est une de celles que je n’oublierai pas, qui continuera à m’accompagner comme Martin Eden et le livre d’Alain Layrac. Elle m’a fait penser au fameux « Brûle la lettre » des Choses de la vie (on y revient) qui ne cesse de résonner dans mon esprit comme une ultime dissonance. Un hommage au cinéma, au métier de scénariste, à la musique de film, mais aussi au pouvoir des mots.

    Ceux qui auront connu la peine ineffable d’un deuil insurmontable en seront d’autant plus émus, tant le sujet, à travers deux magnifiques personnages de femmes, est traité avec délicatesse et poésie.  Une magnifique histoire d’amour, teintée d’humour et de mélancolie, qui entremêle sens de l'existence et du cinéma et qui nous invite à mieux regarder l’une et l’autre, mais aussi à nous laisser emporter par le tourbillon de la vie, à l'unisson de ce magnifique plan, lorsque la caméra virevolte autour d’un arbre, sublimé par la musique de Vladimir Cosma*.

    « Tant que j’aurai envie de raconter une histoire, je serai vivant. »  Ce film nous conforte dans l’idée que raconter des histoires n’est pas une manière de fuir la vie mais de l’exalter, l’adoucir, la sublimer, la regarder passionnément, la savourer plus intensément.  La force des histoires, des mots, du montage, de la musique prennent ici tout leur sens, si noble, en résonance avec nos fêlures, nos regrets, nos rêves, nos espérances, nos sentiments enfouis, jusqu’à, peut-être, modifier le cours de notre vie. Bref, une démonstration implacable et passionnante de la puissance du cinéma, des personnages quand ils sont comme ici "uniques et universels", et évidemment du scénario.

    Le cours de la vie a reçu le Prix Cineuropa et le Prix RTBF au Love International Film Festival de Mons

     

     

     
     

     

  • Livre - Cinéma- L’AVENTURE DES FILMS – HISTOIRE DE VINGT TOURNAGES MYTHIQUES de Olivier Rajchman

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    « Pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter. » Jean-Paul Sartre

    D’emblée, je vous rassure : aucun évènement banal ne figure dans ce livre, lui-même aventure prenante qui fourmille d’histoires inédites brillamment racontées.

    La couverture du livre reprend la célèbre scène de La Mort aux trousses d’Hitchcock dans laquelle Cary Grant est poursuivi par un avion d’épandage dans un paysage vaste et vide à perte de vue, irradié de soleil, ne lui permettant pas de s’abriter du danger imminent de mort, et inversant ainsi les codes habituels du suspense.

    Le prologue a pour titre la célèbre citation de Truffaut sur l’amour « joie et souffrance », extraite des dialogues de La Sirène du Mississipi et du Dernier Métro que François Ozon reprit aussi à son tour dans un de ses films.

    Hitchcock et Truffaut. Déjà deux bonnes raisons pour moi de découvrir ce livre qui, à travers les récits de vingt tournages mythiques (et de vingt tournages de films qui le sont tout autant), narre avec minutie les palpitantes aventures des films, dont Olivier Rajchman (journaliste et historien du cinéma, auteur de Hollywood ne répond plus en 2022 et Le Siècle des stars en 2023) révèle à quel point ils furent aussi des histoires captivantes qui méritaient d’être contées, à quel point pour reprendre la citation de Samuel Fuller dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, en exergue du livre « Un film, c’est comme un champ de bataille : amour, haine, action, violence, mort. En un mot : émotion. »

    Olivier Rajchman explique ainsi le choix de sa couverture : « Avant de parler à l'intellect, le cinéma est affaire de ressentis, d'émotions. Bien souvent, un film, une scène sont notre porte d'accès à la magie. Ce film, pour nous, est La Mort aux trousses : la scène, celle qui voit Eve Kendall / Eva Marie Saint séduire Roger Thornhill / Cary Grant à bord du train New York - Chicago. Naviguant entre romantisme et suspense, elle synthétise tous les plaisirs du septième art. »

    Je me demande quelle serait la mienne, ma porte d’accès à la magie. Peut-être la même ou peut-être une scène des Enchaînés entre Alicia/Ingrid Bergman et Devlin/Cary Grant ? Du Guépard, entre Tancrède (Alain Delon), Angelica (Claudia Cardinale) et le Prince Salina (Burt Lancaster) devant le tableau de Greuze ? D’un Sautet, un dialogue savoureux entre César (Yves Montand) et Rosalie (Romy Schneider) ou derrière une vitre de café battue par la pluie ? Plus loin encore, dans mon enfance, d’Autant en emporte le vent, devant un décor d’une majesté fascinante ?  De Mélodie en sous-sol, avec Francis Verlot (Alain Delon) et Monsieur Charles (Jean Gabin), autour d’une table de casino ? Du Quai des Brumes entre, Nelly (Michèle Morgan) et Jean (Jean Gabin) ? Il y en eut tant qu’il m’est impossible de me souvenir quelle fut la première. Mais après tout, faut-il chercher à expliciter la magie ?

    Ne vous arrêtez pas à la quatrième de couverture qui réduit à l’anecdotique ce livre foisonnant, passionnant, passionné, extrêmement documenté qui, au contraire, est une œuvre majeure sur l’Histoire du cinéma qui raconte comment l’aventure d’un film entremêle joie et souffrance.

    Si « personne n’est parfait », « Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour. », « Il faut que tout change pour que rien ne change », « Je suis fatiguée de t’aimer », « Après tout, demain est un autre jour », « Oui, je vois maintenant » … résonnent pour vous comme des phrases bien connues. Si Roger Thornill, Charlot, Scarlett O’Hara, Charles Foster Kane, Garance, Sugar Kane, Michel Poiccard, Tancrède, Pierre Bérard, Marion Steiner, Travis Bickle…(notamment) ne sont pas pour vous d’illustres inconnus mais des êtres familiers au point de les avoir intégrés à votre propre vie, alors ce livre vous passionnera de la première à la dernière ligne, tant vous serez à l’affût d’un indice éclairant les ombres et les mystères de ces répliques et personnages. Si ces noms ne vous disent rien, vous vous plongerez, différemment mais avec autant d’intérêt, dans cette aventure qui vous fera envisager des territoires inconnus et, sans nul doute, vous donnera envie de partir à la rencontre de leurs démiurges et de ce qui les conduisit à leur donner vie.

    Parmi mes références de livres récents sur le cinéma, dont je vous avais parlé ici, et que je vous recommande de nouveau, il y eut notamment le Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes de Gilles Jacob (ouvrage indispensable pour les curieux et amoureux du festival en question et du cinéma, et pour ceux qui veulent découvrir le festival à travers le regard de celui qui le connaît le mieux et qui en parle si amoureusement, avec à la fois l’honnêteté et les élans passionnés qu’implique l’amour véritable), plus récemment son À nos amours ! coécrit avec Marie Colmant et Gérard Lefort (ode aux actrices et aux acteurs, à ce que les films et nos souvenirs de ceux-ci leur doivent, à leurs mille nuances de jeux, leurs fêlures, leur grâce), Atelier d’écriture d’Alain Layrac (ma référence pour l’écriture de scénario, qui cite d’ailleurs beaucoup Les Choses de la vie de Sautet qui figure en couverture de la première édition du livre, qui se lit comme un roman et raconte à quel point l’écriture permet de rester et se sentir vivant),  et Delon en clair-obscur de Laurent  Galinon (à savourer là aussi comme un roman, noir, tragique, palpitant, irrigué de la beauté mystérieuse et mélancolique de celui que l'auteur nomme « l’astre noir », porté par une écriture ciselée, singulière, et ardente : un livre sombrement éblouissant procurant un relief fascinant aux mystères de l’acteur)…, il y aura désormais aussi ce livre d’Olivier Rajchman, tout aussi incontournable que ceux précités.

    Le prologue ne néglige aucun de ceux qui participent à l’aventure, qui contribuent à ce qu’un film soit une œuvre d’art, un travail collectif. Ce souci de saluer et détailler le rôle de chaque poste constitue ainsi une des grandes qualités de ce livre. Il rend ainsi hommage à la mission indispensable remplie par le scénariste, le producteur, ou encore le compositeur qu’aucun de ses récits de tournages n’oublie. Il reprend ainsi la citation de l’éminent compositeur de Claude Sautet, Philippe Sarde : « la musique doit raconter une histoire parallèle, donner de l'ampleur à une œuvre, sans gâcher la route du film. »  Le rôle primordial de la musique atteint son paroxysme dans Il était une fois dans l’Ouest (peut-on imaginer ce chef-d’œuvre sans la musique lyrique, d’une beauté vertigineuse, de Morricone ?) Claudia Cardinale (un des multiples témoignages du livre) raconte ainsi qu'ils écoutaient la musique de Morricone avant chaque scène. L’auteur rappelle également que, pour chaque protagoniste, Morricone avait inventé « une composition singulière, inoubliable » qui lui était associée.

    Les quatre cent quarante-huit pages du livre se dévorent grâce à une écriture particulièrement soignée, enthousiaste et précise. Elles nous expliquent comment le cinéma, ce « phénix renaissant perpétuellement de ses cendres », est constitué d’« étapes faisant passer un film de l'état de projet à l'œuvre achevée ». Même si, comme moi, vous vous passionnez depuis longtemps pour les films évoqués dans ce livre, il vous enseignera forcément des rouages de l’aventure de leurs tournages, méconnus ou inconnus, recueillis et savamment agencés par l’auteur. Vous aurez envie de revoir chaque film à l’aune de ces découvertes. De revoir la scène de la rencontre entre Charlot et la fleuriste des Lumières de la ville, après avoir lu avec quel perfectionnisme Chaplin la mit en scène, après avoir appréhendé à quel point ses relations avec Virginia Cherrill étaient épineuses, après avoir parcouru toutes les étapes qui menèrent à ce chef-d’œuvre et à son dénouement poignant.  Pour Autant en emporte le vent dont nous connaissons les grandes lignes du tournage pharaonique, le récit de son aventure nous permet d’en découvrir les méandres et les rebondissements, des trois semaines pendant lesquelles Francis Scott Fitzgerald travailla dessus, à ses différents réalisateurs, au choix des acteurs, à la malédiction qui accompagna ses protagonistes après la sortie.

    C’est tout aussi passionnant d’apprendre les origines de chacun des films, ce qui nourrit l’inspiration, de Welles qui regarda quarante fois La chevauchée fantastique, aux divergences de vue entre Herman J. Mankiewicz et ce dernier, jusqu’au rôle du chef opérateur Gregg Toland dans la profondeur de champ, un des éléments qui contribua à la légende du film. L’auteur lève ainsi un peu le voile sur les secrets de la sinuosité obscure de cette œuvre. Dans le chapitre consacré aux Enfants du paradis, vous saurez tout du perfectionnisme tyrannique de Carné, de l’impact de la guerre sur le tournage…

    Le point commun entre tous ces films, au-delà d’être des aventures jalonnées d’obstacles, de revers du destin et de coups de chance ? Le perfectionnisme, la détermination et même l’acharnement de ceux qui œuvrèrent à leurs réalisations mais aussi l’imbrication de la réalité et de la fiction, comme l’auteur les évoque lui-même à propos du film Les Enfants du paradis, ainsi : les « effets miroirs entre l’art et la vie ». Comme, par exemple, « la solitude et la mélancolie qui imprègnent » le film, « ces portraits de parias » qui « parlent aussi bien de Carné que de Prévert. Mais aussi plus souterrainement de la France occupée attendant sa libération. » Sans oublier Sergio Leone en  « cinéaste angoissé qui mélange vie et cinéma ».

    Ce livre est aussi évidemment une déclaration d’amour au cinéma, à certains films plus qu’à d’autres, Les Enfants du Paradis « mêlant, génie classicisme et poésie » ou encore Le dernier métro, une œuvre « d'apparence classique » qui « regorge de tiroirs secrets », Les choses de la vie qu’il est « réducteur de qualifier de peinture de la fin des trente glorieuses » (avec notamment un décryptage rigoureux de la scène de l’accident) et que l’auteur définit, magnifiquement et justement ainsi : « Les spectateurs devinent-ils que le triomphe de ce film est celui d'un poème cinématographique sur l'irréversibilité des choses, les actes manqués, les regrets, les non-dits ? ». Peut-être une des plus belles définitions de ce film grâce auquel Romy Schneider et Michel Piccoli seront ainsi à jamais Hélène et Pierre. Inoubliables. Comme le rouge d’une fleur. Peut-être la dernière chose que verra Pierre qui lui rappelle le rouge de la robe d’Hélène. Comme cet homme seul sous la pluie, mortellement blessé, gisant dans l'indifférence, tandis que celle qu’il aime, folle d’amour et d’enthousiasme, lui achète des chemises. Et que lui rêve d’un banquet funèbre. Et qu’il murmure ces mots avec son dernier souffle de vie qui résonnent comme les paroles d’une chanson : « J'entends les gens dans le jardin. J'entends même le vent. » Et ces vêtements ensanglantés ramassés un à un par une infirmière, anonymes, inertes...

    Il est tout aussi judicieux de nous amener à (re)découvrir comment les œuvres évoluèrent dans le temps (comment Chantons sous la pluie mit du temps à être reconnu comme chef-d’œuvre), mais aussi comment les œuvres se questionnent et se répondent : Truffaut avec La Nuit américaine et Fellini avec Huit et demi dirent ainsi s'être inspirés de Chantons sous la pluie. À propos de Sergio Leone et d'Il était une fois dans l'Ouest, peut-on ainsi lire : « Il veut être une sorte de Visconti - appartenant à un monde élégant, somptueux, aristocratique - et donc il tourne un western à la Visconti » et qu’il s’agit d’un « hommage ininterrompu au cinéma classique hollywoodien ». Sautet rendit hommage à Godard. Il existe un pont évident entre À bout de souffle et Taxi driver. La scène inaugurale de Barbie est un « clin d’œil à la célèbre séquence préhistorique de 2001, l'Odyssée de l'espace ». Greta Gerwig se réfère aussi à Chantons sous la pluie. Mankiewicz et Kubrick se rencontrèrent pendant le tournage du Limier… Sans compter que La Mort aux trousses aurait très bien pu s’appeler Breathless (À bout de souffle). Autant de ponts savoureux et instructifs entre les films, à découvrir, parmi tant d’autres, dans ce livre.

    Vous apprendrez aussi comment des tournages entiers ou certaines scènes furent de vrais exploits, imposant à leurs auteurs de lutter contre les éléments ou les caractères de leurs protagonistes pour parvenir à leurs fins, de déployer des trésors d’inventivité pour contourner les obstacles et refus, comme pour la scène du Mont Rushmore dans La Mort aux trousses ou cette scène de Certains l'aiment chaud qui nécessita quatre-vingt-une prises. Mais également comment tout cela en valait la peine, au regard de l’accueil reçu par ces différents films (là aussi à chaque fois décrypté). Ainsi le film de Billy Wilder valut à Marilyn un Golden globe…seule récompense de sa carrière ! Passionnant encore est le récit du tournage de la fameuse et fastueuse scène de bal du Guépard, réalisation « dantesque » « pendant trente-six nuits d'affilée en août, avec une température avoisinant les 40°c. ». Vous découvrirez encore comment fut édifié le « film-expérience » qui « bouscule l’art du récit » « qui ne cesse de subjuguer et d'interroger », 2001, l’Odyssée de l’espace. Vous en apprendrez aussi beaucoup sur les origines du tournage de Taxi driver.

    Le dernier chapitre du livre est consacré à Barbie de Greta Gerwig, après un rappel là aussi très juste et documenté, dans lequel l’auteur revient sur « le travail de ses devancières », tout en revenant sur le féminisme « pas dénué d'ambiguïté » de ce film pour la promotion duquel la Warner consacra 150 millions de dollars. Greta Gerwig fut ainsi la « première femme dont un film dépassa le milliard de dollars de recettes, en trois semaines d'exploitation ». Un film très justement qualifié par le Guardian, cité par le livre, comme « une publicité géante de deux heures pour un produit », ce à quoi je ne peux que souscrire, l’agacement l’ayant emporté devant ce long métrage qui aligne les clichés sous prétexte d’en dénoncer, qui promeut un objet sous prétexte d'en souligner les travers, dans lequel le discours, simplifié voire manichéen et simpliste, et notamment le mot « patriarcat », est martelé jusqu’à la nausée. Apprendre quelles en furent les coulisses n’en est pas moins intéressant, bien au contraire.

    « L’essentiel, c’est que le public éprouve une émotion. » Cette phrase d’Hitchcock citée dans le livre à propos du tournage de La Mort aux trousses s’applique aussi aux livres sur le cinéma.  Et d’émotions, ce livre n’en manque pas, celles des films (car chargés de réminiscences peut-être) dont il retrace les aventures le contaminent sublimement. Olivier Rajchman nous rappelle ou nous apprend pourquoi nous aimions tant ces films, ce qui a nourri leur ambiguïté, leur force émotionnelle, leur légende, comme celles de Lawrence d’Arabie qui a toujours exercé sur moi une fascination indicible. Il ne délaisse aucun aspect de ce film comme pour les autres, mais expliquer sa genèse et son devenir n’ôte en rien l’éblouissement qu’il suscite mais, au contraire, lui procure plus de profondeur. La magie s’éclaire mais la magie demeure. Une leçon de cinéma qui ne se veut jamais donneuse de leçons, écrite avec humilité. Un travail colossal, approfondi, nuancé et exigeant qui nous donne envie de revoir chacun des fims qu’il évoque à la lueur de son éclairage, dénué de condescendance et pétri de passion. Plongez-vous dans cette aventure. Je vous le garantis, vous ne regretterez pas ce voyage qui vous donnera envie d’en entreprendre ou refaire d’autres, pour aller ou retourner à la rencontre des  20 films (de 1931 à 2023) qui constituent ces 20 histoires de tournages mythiques : Les Lumières de la ville, Blanche-Neige et les Sept Nains, Autant en emporte le vent, Citizen Kane, Les Enfants du paradis, Chantons sous la pluie, La Mort aux trousses, À bout de souffle, Lawrence d’Arabie, Le Guépard, 2011, l’Odyssée de l’espace, Il était une fois dans l’Ouest, Les Choses de la vie, Le Limier, Chinatown, Les Dents de la mer, Taxi Driver, Le Dernier Métro, Barbie.

    Éditions Perrin – En librairie le 24.04.2025 (déjà disponible en précommande) – 448 pages – 25 euros

  • Lecture - Cinéma – À NOS AMOURS ! de Gilles Jacob, Marie Colmant et Gérard Lefort

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    Un livre écrit (ou coécrit) par Gilles Jacob est déjà une bonne raison de l’acheter parce qu’en émane toujours sa passion contagieuse pour le cinéma, et pour ceux qui le font.

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    Dans le Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, Gilles Jacob, qui disait avoir fréquenté le Festival de Cannes « 52 fois 3 semaines, 5 ans » de sa vie (comme journaliste, comme directeur, comme président), évoquait aussi celui dont le titre du film a inspiré celui de ce nouvel ouvrage, Pialat :

    « Pialat a une hantise : l'art doit capter la vie. À n'importe quel prix, fût-ce celui de mettre le film en danger. Pour lui, quelques minutes de vérité sauvent un film inégal, c'est à cela qu'il s'est toujours efforcé de parvenir. » 

    La vie passera comme un rêve. J’ai vécu dans mes rêves.  Les titres des livres de Gilles Jacob sont souvent des promesses d'ailleurs et d’évasion. Six ans après le Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, avec ce titre emprunté au film de 1983 de Maurice Pialat, ce nouvel ouvrage nous invite cette fois à un autre voyage, à un voyage amoureux, à la rencontre des actrices et acteurs français.  Ce livre est en effet une ode aux actrices et aux acteurs, « ode à trois voix évoquant en toute subjectivité des artistes choisis et estimés. Et leur existence, leur itinéraire couvrant l’histoire du cinéma français (et même francophone), de la naissance du film parlant à nos jours. »

     Ces textes se savourent comme autant de petites nouvelles qui constituent ce livre de 710 pages, comme une invitation à voyager dans le cinéma français, à prendre immédiatement son billet pour les films évoqués avec passion par le biais de leurs acteurs. D’Isabelle Adjani à Roschdy Zem, les trois auteurs (ce livre a été coécrit par Gilles Jacob et les journalistes Marie Colmant et Gérard Lefort) nous proposent ainsi un « florilège des actrices et acteurs français », de la naissance du film parlant à nos jours.

    En 2014, lorsque Gilles Jacob quitta la présidence du Festival de Cannes (tout en restant alors à la tête de la Cinéfondation qu'il avait créée, il est toujours président du prix Louis-Delluc), s'afficha sobrement derrière lui sur la scène du festival un discret Au revoir les enfants, une révérence tout en malice et pudeur. Mais aussi une référence à un moment crucial de son histoire, de l'Histoire. 70 ans après, comme un signe aux méandres du destin. Ce moment terrible où tout aurait pu basculer. Ce moment où, s'il n'était pas resté immobile et silencieux dans l'ombre, jamais il ne se serait retrouvé sous les projecteurs du Festival de Cannes, à mettre les autres en lumière...C’est cette histoire-là que Gilles Jacob racontait dans son précédent livre, le remarquable L’échelle des Jacob, « Une histoire française prise dans la tourmente du siècle et les tourments intimes » (mon livre préféré de l’auteur dont je vous parle à nouveau plus bas dans cet article).

    Outre la passion du cinéma, un autre point commun à chacun des livres de Gilles Jacob, qu’il s’agisse de romans, d’autobiographies, d’échanges épistolaires, réels ou imaginaires, c’est cet amour des mots avec lesquels il jongle malicieusement. Comme dans son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, si riche et foisonnant d’anecdotes, d’histoires, d’Histoire, de descriptions flamboyantes et amoureuses de films que chacun s’attardera certainement sur des passages différents selon sa sensibilité comme dans ce À nos amours.

     En parcourant les pages de ce Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, Gilles Jacob nous rappelait que, comme il le disait dans un autre livre, si « Cannes n’est pas un paradis pour les âmes sensibles » c’est aussi et avant tout cela, le lieu des « beaux films », ceux qui vous transportent et vous élèvent l’âme, ceux qui sont une « fenêtre ouverte sur le monde ». Cannes, c’est cette bulle d’irréalité, ce lieu où une sorte de « fièvre » qui vous coupe de la réalité s’empare de vous, paradoxalement tout en projetant des films qui souvent sont un miroir grossissant de cette réalité. Et surtout, comme le rappelle si justement Gilles Jacob, « la passion collective réunificatrice est logée là. »

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    Dans ce Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, il m’avait donné envie de revoir (parmi d’autres films), Partie de campagne de Jean Renoir au sujet duquel il rappelait : « Quel grand cinéaste français peut se vanter de ne rien devoir à Jean Renoir ? Sûrement pas Pialat, ni Rivette, ni Truffaut, ni Tavernier, ni Dumont, ni Beauvois, ni Patricia Mazuy, pour n’en citer que quelques-uns ». Et justement, dans  À nos amours, un bel hommage est rendu à ce film de Renoir tourné en 1936, sorti en 1945, et surtout à Sylvia Bataille, épouse de l’écrivain Georges Bataille puis du psychanalyste Jacques Lacan, qui interprète l’inoubliable Henriette, avec « son regard-caméra le plus triste du monde » : « N’eût-elle prononcé que cette unique phrase dans sa vie de comédienne qu’elle n’en aurait pas moins été assurée de la postérité. Cette petite phrase toute simple : « Moi, j’y pense tous les soirs. »

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    Que de vibrantes déclarations d’amour figuraient dans ce Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes. Aux films. Aux cinéastes. Mais aussi, déjà, forcément, aux acteurs et aux actrices dont Gilles Jacob brossait déjà les portraits comme il l’aurait fait pour des personnages de romans. D’ailleurs, souvent, ce sont des personnages de romans. Comme Adjani « Elle apparaît, elle disparaît. Elle se toque, elle s’aperçoit qu’elle est trahie, elle jette. Les déceptions laissent des bleus à l’âme et les regrets des cicatrices invisibles. Elle croit qu’on les voit, alors il lui arrive d’oublier sa main le long de sa joue, trouve des poses nonchalantes qui masquent à demi son visage de déesse pour toujours. »

    Adjani est évidemment présente aussi dans À nos amours, même en tout premier : « Alors s’il fallait privilégier un film, ce serait L’Histoire d’Adèle H. (1975), summum de François Truffaut et sommet dans la carrière d’Adjani, plus que prégnante en fille malmenée de Victor Hugo que sa liberté indisposait. »

    Dans le Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, nous trouvions déjà les sublimes portraits de Catherine Deneuve « sans conteste la plus grande actrice française de sa génération » venue 19 fois à Cannes et qui « aurait mérité mille fois le prix d'interprétation qui lui est toujours passé sous le nez », Huppert «...aujourd'hui, après le long règne de Jeanne Moreau et de Catherine Deneuve, elle est devenue la patronne. » Et bien sûr l’inoubliable Jeanne Moreau qu’il décrit en reprenant ainsi la célèbre formule de Truffaut : « Elle a toutes les qualités qu'on attend d'une femme, plus celles qu'on attend d'un homme, sans les inconvénients des deux.. » à laquelle Gilles Jacob ajoute « Car il est des comédiennes pour lesquelles, indépendamment de leur gloire, la classe et l'élégance morale sont un art de vivre. Jeanne Moreau était de celles-là.  C'est pourquoi, à la Bresson, un seul mot pour conclure : Ô, Jeanne. » En une formule, poignante, tout est dit, avec pudeur…

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    Ces comédiennes sont également présentes dans À nos amours. De Jeanne Moreau et son « rire cajoleur, ruisselant comme une cascade un jour d’été » à Catherine Deneuve, notamment par le truchement des mots de François Truffaut : « On a l’impression qu’elle garde des pensées pour elle, et que sa vie intérieure est au moins aussi importante que sa vie extérieure. Avec Catherine, il y a une importante part de rêve et on a l’impression que tout n’est pas montré à l’écran. Il y a le personnage qu’elle incarne et les pensées qui ne sont pas exprimées. Oui, Catherine Deneuve est une actrice de rêverie, il n’y a pas d’autre mot. »

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    Les acteurs n’étaient pas oubliés non plus dans le Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes. Là aussi, Gilles Jacob avait le don de les  percer à jour, de nous laisser deviner l’être parfois blessé et mélancolique derrière l’acteur joyeux et exubérant comme Rochefort, ainsi magnifiquement portraituré (absent de À nos amours)  : « Jean était revenu à la case départ, à sa nostalgie existentielle et ce désespoir solaire qu’il cachait derrière des pulls de couleur et des absurdités délicieuses », « cette voix sans pareille dans l’éloquence tranquille et la verve narquoise », « Jean méritait l’admiration collective de ses contemporains ; c’était quelqu’un ».

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     On se souvient aussi du magnifique portrait de Piccoli, « Il aura tout joué avec la même sincérité, la même virtuosité, la même force intérieure capable d'exprimer la folie furieuse comme la tendresse la plus délicate. C'est aussi un homme de bien qui inspire les plus beaux mots de la langue française : allure, générosité, élégance, pudeur, tendresse, extravagance ».

    Ici, dans À nos amours, nous pouvons lire à son sujet : « Quand vient le moment de trouver un adjectif qui siérait au jeu ou aux choix de carrière de Michel Piccoli, on opterait volontiers pour excentrique, qualificatif inventé Outre-Manche bien avant ses débuts au cinéma. Ou anticonformiste, épris de liberté, d’aventures, de rencontres. »

    Tout amoureux du cinéma sera forcément comblé avec ce livre dans lequel chaque portrait donne envie de (re)voir des classiques ou des films oubliés. Mais aussi des filmographies entières. On y chemine studieusement dans l’ordre chronologique, ou avec avidité et gourmandise en passant d’un portrait à l’autre au gré de ses goûts cinématographiques et curiosités (que ce livre aiguise encore).  Un livre de chevet à lire le soir  comme une madeleine de Proust pour nous replonger dans nos souvenirs de cinéma.   Et pour, nous aussi, vivre dans nos rêves.

    Ainsi, quelques extraits de ces portraits pour vous donner envie de les découvrir :

    - Vicky Krieps, à propos de son rôle dans Bergman island de Mia Mia Hansen-Løve « Vicky Krieps, plausible en charmante épouse et tout aussi convaincante en émancipée, est une magnifique figure de féminisme radieux, car jamais elle ne cesse de sourire. »

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    - Romy. « Elles sont rares les actrices dont le seul prénom suffit à l’évocation. » avec le récit de cette scène extraordinaire qualifiée d’« extrasolaire » dans Ludwig ou le Crépuscule des Dieux de Visconti. Je vous laisse la découvrir…

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    - Léa Drucker, à propos de son rôle dans L’Eté dernier de Catherine Breillat : « Léa Drucker est plus que parfaite dans ce jeu du mensonge raisonnable où la passion folle valse avec un pragmatisme cruel. D’une grande beauté, jusque dans l’ombre de ses noirceurs. »

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    - Michèle Morgan : « son visage pur, ses hautes pommettes, sa peau douce et claire de vedette assumée la différencient, mais surtout on sent chez elle un heurt entre détermination farouche et constante inquiétude. »

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    - Signoret comme Romy dont le prénom Simone suffit à nous faire comprendre qui il désigne : « très belle avec quelque chose en plus, peut-être la noblesse de son âme qu’on lit sur son visage ou la fente oblongue de ses beaux yeux verts toujours prêts à faire feu pour la défense des libertés. »

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    - Gabin dont on nous rappelle cette scène merveilleuse de la Marseillaise dans La Grande Illusion quand « Gabin entonne La Marseillaise. Emotion, émotion. » à son dernier « coup gagnant avec Mélodie en sous-sol ».

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    - Ventura avec sa « force vulnérable, où la blessure physique ou morale n’est jamais loin », rappelant son rôle inoubliable dans Garde à vue de Claude Miller : « où il joue l’inspecteur, sa manière de bouger, s’asseoir, compulser un dossier, lever les yeux sur Michel Serrault, le prévenu qu’li interroge permet de mesurer le chemin parcouru et de voir que l’amateur des débuts est devenu un immense comédien. Toute une gamme de sentiments – perplexité, agacement, irritation, perte de contrôle – est obtenue par un infime jeu de la physionomie, l’écarquillement d’une pupille ou la modulation de la voix. »

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    - Macaigne avec sa « façon, fantasque, lunaire, fragile, pour mieux tenir la tristesse à distance, de voiler son regard, comme s’il était éteint. »

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    Chaque portrait est surtout un exercice d’admiration, savoureux à lire. Quelques éléments biographiques seulement les traversent et à la fin des portraits, trois « films notables » sont recommandés. Les portraits ravivent nos souvenirs de cinéphiles. C’est absolument passionnant mais pas seulement : instructif aussi. Un magnifique hommage aux actrices et acteurs, à ce que les films et nos souvenirs de ceux-ci leur doivent, à leurs mille nuances de jeux, leurs fêlures, leur grâce. Ce livre indispensable nous rappelle à quel point on les aime ces actrices et acteurs, à quel point certains films n’auraient pas eu le même destin et n'auraient pas laissé la même empreinte avec un casting différent. Sautiller avec bonheur d’un nom à l’autre est particulièrement réjouissant…. Une ode aux actrices et acteurs certes mais plus largement une ode au cinéma. Ce livre m’a rappelé pourquoi je l’aime ainsi, passionnément. Un incontournable pour tout amoureux du cinéma, qu’il souhaite se replonger dans ses souvenirs de cinéphile ou accroître ses connaissances. Vous y apprendrez une multitude de choses, je vous le garantis...et je vous préviens aussi : au fil de votre lecture, une envie insatiable de films s'emparera de vous, suscitée par cet ouvrage gourmand et délicieux.

    À nos amours. Un florilège des actrices et des acteurs français. Gilles Jacob, Marie Colmant, Gérard Lefort - 24/04/2024 -Calmann-Levy / Grasset - 25,90 €

    De Gilles Jacob, je vous encourage aussi à lire :

     - La vie passera comme un rêve (2009 – Robert Laffont), autobiographie entre rêve et réalité dans laquelle s’entremêlent les lumières de la Croisette et les ombres mélancoliques de l’enfance, une (dé)construction judicieuse un peu à la Mankiewicz ou à la Orson Welles, un ouvrage assaisonné d’humour et d’autodérision à la Woody Allen.

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    -  Les pas perdus (2013 – Flammarion), savoureux et mélodieux tourbillon de (la) vie, de mots et de cinéma, « en-chanté » et enchanteur dont  les pages exhalent et exaltent sa passion du cinéma mais aussi des mots, avec lesquels il jongle comme il y jongle avec les années, les souvenirs, les films. Avec une tendre ironie. Un voyage sinueux et mélodieux dans sa mémoire, une vie et des souvenirs composés de rêves et, sans doute, de cauchemars.

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    - Le Fantôme du Capitaine ( 2011 – Robert Laffont), une correspondance imaginaire, une soixantaine de lettres comme autant de nouvelles, une évasion pleine de fantaisie dans le cinéma et la cinéphilie, la littérature, et en filigrane une réflexion sur l'art, un  hommage à l’écriture, au pouvoir salvateur et jouissif des mots qui vous permettent les rêveries les plus audacieuses, les bonheurs les plus indicibles, et un hommage au pouvoir de l’imaginaire, à la fois sublime et redoutable, ce pouvoir qui fait « passer la vie comme un rêve ».

     - Le Festival n’aura pas lieu ( 2015 – Grasset).  Un roman  qui vous emmène notamment sur le tournage de Mogambo sur lequel Lucien Fabas est envoyé en reportage en 1952, au Kenya, où il côtoie John Ford, Clark Gable, Ava Gardner et Grace Kelly.  Et quand Gilles Jacob y écrit à propos de son personnage Lucien Fabas, « Le bonheur de transmettre s’imposait à lui comme une évidence » on pense que ce personnage est loin de lui être étranger.

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    J’ai vécu dans mes rêves (2015 – Grasset). Ping-pong jubilatoire entre deux rêveurs, passionnants passionnés de cinéma, Michel Piccoli et Gilles Jacob. Caustiques échanges épistolaires (je vous recommande tout particulièrement la lecture des morceaux choisis qui figurent à la fin du livre et qui vous donneront une idée de leurs joutes verbales) mais aussi confidences sous forme de correspondance. Au gré des évocations des autres, c’est finalement le portrait de Piccoli qui se dessine. Sa liberté. Sa franchise. Sa complexité. Sa peur de paraître prétentieux. Ses blessures. Et surtout son amour immodéré pour son métier, sa passion plutôt en opposition à ses parents, son « contre-modèle », dont il regrette tant qu’ils en fussent dénués.

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    Un homme cruel (2016 - Grasset). Un voyage à travers une vie aussi romanesque que celles des personnages que Sessue Hayakawa (l’homme cruel) a incarnés. Une vie tumultueuse entre Tokyo, Los Angeles, Monaco et Paris. La vie multiple d’un homme qui de star mondiale et adulée en passant par « agent péril jaune » pour la résistance française termina sa vie comme frère Kintaro, avec les moines bouddhistes. En paix, enfin. L’histoire de Sessue Hayakawa est surtout l’histoire vraie d’une star tombée dans l’oubli. L’éternelle histoire de la versatilité du public et du succès, de la gloire éblouissante et de l’oubli assassin.  C’est bien sûr cette dichotomie entre son être et l’image qui est passionnante mais aussi le portrait de l’être plus sensible, avec sa femme, Tsuru Aoki.  Un homme cruel nous raconte aussi une passionnante histoire d’amour qui a surmonté le temps et la distance et le succès et les infidélités, et une autre, impossible, chacune révélant une autre facette du personnage. Gilles Jacob décrit magnifiquement les tourments de l'âme et du cœur, une autre histoire dans l'Histoire. C’est aussi un trépidant voyage dans l’Histoire du 20ème siècle qui nous fait croiser ses figures illustres : Claudel, Stroheim, et tant d’autres. Mais aussi les drames du 20ème siècle entre séisme meurtrier, racisme, guerre là aussi tristement intemporels.

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    Et enfin le livre dans lequel Gilles Jacob a décidé de faire une déclaration d’amour, non pas au cinéma (même si, bien évidemment il se glisse dans ces pages) mais à sa famille, aux siens. L’Echelle des Jacob (Grasset - 2020) : Vous y croiserez bien sûr aussi quelques figures du cinéma comme Claude Chabrol, son camarade du lycée, qui lui enseignait le roman noir américain et le jazz ou encore Truffaut qui commençait toutes ses phrases « par oui, oui » même pour dire non. Vous y lirez ses débuts de critique avec la revue Raccords qu’il créa en 1949, ces deux vies qu’il mena de front, celle de critique et celle à la tête l’entreprise de son père, rôle lui fut imposé et qu’il est passionnant de découvrir. Il fut ainsi en même temps et pendant des années directeur à la Toledo, là où il « apprit la nécessité de trancher » et critique.  Mais ceux que vous n’oublierez pas en refermant ces pages, ce sont surtout Denise, André, Jean-Claude, François, Jeannette. Sa mère. Son père. Son frère. Son cousin. Son épouse. Ce que vous n’oublierez pas en refermant ces pages, c’est le portrait magnifique de sa mère, leur « lien indéfectible, plus fort que tout », malgré la gifle d’enfance, malgré le temps dévoreur. Celle qui « a été là ». Toujours. Envers et contre tout. Celle qui lisait les entretiens d'Hitchcock et Truffaut en cachette. Ce que vous n’oublierez pas c’est son regard, le sens de la formule. Son regard acéré, lucide, mais toujours dénué de cynisme et d’esprit de revanche. Même quand il évoque les courtisans, qu’il égratigne doucement, même si là non plus n’est pas le sujet : « Lorsqu’on est au pouvoir, tout le monde est votre ami, on s’en aperçoit d’autant plus lorsqu’on n’y est plus. »  Ce que vous n’oublierez pas, c’est qu’il lui a toujours fallu se « battre pour obtenir des choses qui n’étaient pas évidentes ou qui paraissaient trop faciles à première vue. » Ce que vous n’oublierez pas, c’est l’enfance de celui qui fut « pendant trente-huit années l’otage et l’amant du Festival de Cannes » malgré sa « timidité maladive » et son « désordre légendaire » Ce que vous n’oublierez pas, c’est le portrait de son père, qui aurait pu être un personnage de cinéma, qu’il dépeint sans manichéisme, homme dur, malgré les souvenirs de rares éclats de tendresse de l’enfance, dont on se dit que malgré tout, il parvint à « l’aimer dans le souvenir ». Une histoire française. La sienne. Intime mais toujours pudique, écrite avec la délicatesse, l'attention aux autres et l'élégance morale qui caractérisent son auteur. Une histoire dont il a « gardé aussi l’envie de mordre la vie à pleines dents, la vie simple, l’amour de la famille, de ma femme, le rire d’un enfant, l’harmonie d’une sonate, la page d’un livre souvent lu, le partage d’un repas. L’envie, comme tout le monde, d’être heureux. » L’envie dont ce livre transpire. Malgré les drames. Malgré les obstacles. L’envie de « tenir bon et prendre la vie comme elle vient » parce qu’«il n’y a pas le choix », comme le dit cette citation qu’il emprunte à Philip Roth. Et puis comme ça, sans prévenir, au fur et à mesure que se tisse l'histoire et que se dévorent les pages, comme un flot impétueux et ravageur, ses mots et l’émotion vous emportent, vous submergent, vous laissent ko. Quand les liens se distendent avec André (et pour cause, vous verrez !) et que ressurgissent les souvenirs de l’enfant à qui il apprit à monter à bicyclette. Réminiscences foudroyantes de l’enfance. Malgré tout. Il le nomme aussi André mais aussi « mon père », « papa », « p’pa ». Valse des identités et sans doute des sentiments à l’égard de celui qui fit souffrir Denise mais qui fut aussi le « petit gars de Nancy », soldat, marchand de biens, de nouveau soldat, prisonnier de guerre, directeur de société. La complexité d’une histoire française. Comme une autre. Et si singulière. Quand il raconte cette nuit de 2014 au Carlton, l’année de sa dernière présidence, dans laquelle perce la nostalgie et que remontent aussi les souvenirs de « l’élégance viscontienne de l’hôtel Hermitage », lorsque le personnel leur fit une haie d’honneur à Jeannette et lui, cette « attention précieuse ». Et que son épouse, partageant son émotion, presse son bras. Toujours d'ailleurs, l'émotion, subrepticement, surgit, quand il parle de sa femme, Jeannette. Et cette phrase m'a bouleversée : « Quand nous ne serons plus là, je sais que je penserai toujours à elle ». Nous rappelant son récit à propos de ce film japonais vu à Chinatown mettant en scène ces amants inséparables dont on se demande presque s’il ne l’a pas inventé, comme une parabole de leur propre histoire. Quand il évoque sa mère, toujours aussi, et qui « Un matin de 1985 », « le 23 décembre », « ne se réveilla pas ». Quand il écrit cette phrase poignante à propos de son frère « J’ai pensé « C’est à toi maintenant de le protéger », et je n’ai pas su le faire. » Quand il n’arrête pas de penser que son père est mort seul. Toutes ces fois, l’émotion nous saisit, grandit, m’a saisie parce que si ce récit est personnel, il est aussi universel en nous renvoyant à nos disparus, que nous aurions toujours pu mieux protéger, aimer, comprendre, étreindre. Et aux regrets qui eux aussi nous étreignent. Jusqu’à la phrase finale que je vous laisse découvrir, à laquelle on ne peut que répondre que oui, sans le moindre doute, désormais, Jeannette, Denise, André, François, Jean-Claude, et même Auguste et Lambert, ses grands-pères, qu’il ne connut jamais, et même les rôles secondaires et pourtant tellement essentiels comme le barman Adolphe, le père Bruno, un Juste, ils feront partie de notre univers, seront intégrés à la mémoire de notre propre vie, à la farandole de personnages qui la peuple. Comme le sont toujours les personnages d’un livre qu’on n’oublie pas. Auquel des personnages marquants procurent vie, force, singularité, émotion. Un peu plus parce qu’ils furent réels. Et désormais immortels grâce à L’échelle des Jacob. Non, cher Gilles Jacob, vous ne serez plus seul à vous souvenir. Merci pour ce livre, cette « opération de séduction », victorieuse indéniablement. Merci pour eux. Merci à la boîte rouge en carton bouilli d’avoir réveillé les souvenirs enfouis. J’ai terminé cette lecture le cœur chaviré, et étrangement avec un peu de baume sur les blessures de l’âme ébréchée des fêlures incurables laissées par ses irremplaçables absents. Le cœur chaviré, enfin, en pensant aux larmes de nos pères qui charrient tant de mystères. Et en pensant qu’il n’est jamais trop tard pour tenter de les comprendre. (Critique complète à lire ici).

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  • A savourer sans modération : le DICTIONNAIRE AMOUREUX DU FESTIVAL DE CANNES de Gilles Jacob (Plon)

     

    Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes de Gilles Jacob - Plon.gif

    Qui mieux que Gilles Jacob pouvait écrire un dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, lui qui en connaît les arcanes mieux que nul autre pour l’avoir fréquenté depuis 1964  « 52 fois 3 semaines, 5 ans » de sa vie, comme journaliste, comme directeur, comme président,  lui dont chaque livre est une déclaration d’amour au cinéma et à ceux qui le font ? Personne, sans aucun doute ! Ne vous laissez pas impressionner ou rebuter par ce mot de dictionnaire, n’oubliez pas l’adjectif amoureux qui lui est adjoint (cette collection comprend ainsi de nombreux ouvrages qui vont de l’architecture à la politique en passant par les chats, Versailles, Mozart..., à chaque fois écrits par des spécialistes dans ces domaines). Dans chaque page palpite et transpire ainsi cet amour éperdu, et non moins lucide, du cinéma, de ses artistes et de ses artisans. C’est d’ailleurs le point commun à chacun des livres de Gilles Jacob, qu’il s’agisse de romans, d’autobiographies, d’échanges épistolaires, réels ou imaginaires avec, aussi, cet amour des mots avec lesquels il jongle malicieusement qui nous emportent dans une valse étourdissante, la valse dont il possède l’élégance qui imprègne ce livre. Plus qu’un dictionnaire, il s’agit ici d’histoires amoureuses du cinéma et même d’Histoire, la grande, qui souvent s’invite au festival et dans ces pages. C’est instructif comme le serait un dictionnaire. Mais c’est surtout captivant et ciselé comme le serait un roman.

    J’étais impatiente de me délecter de ce dictionnaire amoureux, après avoir savouré :

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     - La vie passera comme un rêve (2009 – Robert Laffont), autobiographie entre rêve et réalité dans laquelle s’entremêlent les lumières de la Croisette et les ombres mélancoliques de l’enfance, une (dé)construction judicieuse un peu à la Mankiewicz ou à la Orson Welles, un ouvrage assaisonné d’humour et d’autodérision à la Woody Allen.

    -  Les pas perdus (2013 – Flammarion), savoureux et mélodieux tourbillon de (la) vie, de mots et de cinéma, « en-chanté » et enchanteur dont  les pages exhalent et exaltent sa passion du cinéma mais aussi des mots, avec lesquels il jongle comme il y jongle avec les années, les souvenirs, les films. Avec une tendre ironie. Un voyage sinueux et mélodieux dans sa mémoire, une vie et des souvenirs composés de rêves et, sans doute, de cauchemars.

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    - Le Fantôme du Capitaine ( 2011 – Robert Laffont), une correspondance imaginaire, une soixantaine de lettres comme autant de nouvelles, une évasion pleine de fantaisie dans le cinéma et la cinéphilie, la littérature, et en filigrane une réflexion sur l'art, un  hommage à l’écriture, au pouvoir salvateur et jouissif des mots qui vous permettent les rêveries les plus audacieuses, les bonheurs les plus indicibles, et un hommage au pouvoir de l’imaginaire, à la fois sublime et redoutable, ce pouvoir qui fait « passer la vie comme un rêve ».

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    - Le Festival n’aura pas lieu ( 2015 – Grasset).  Un roman  qui vous emmène notamment sur le tournage de Mogambo sur lequel Lucien Fabas est envoyé en reportage en 1952, au Kenya, où il côtoie John Ford, Clark Gable, Ava Gardner et Grace Kelly.  Et quand Gilles Jacob y écrit à propos de son personnage Lucien Fabas, « Le bonheur de transmettre s’imposait à lui comme une évidence » on pense a fortiori après la lecture de ce Dictionnaire amoureux que ce personnage est loin de lui être étranger.

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    - J’ai vécu dans mes rêves (2015 – Grasset). Ping-pong jubilatoire entre deux rêveurs, passionnants passionnés de cinéma, Michel Piccoli et Gilles Jacob. Caustiques échanges épistolaires (je vous recommande tout particulièrement la lecture des morceaux choisis qui figurent à la fin du livre et qui vous donneront une idée de leurs joutes verbales) mais aussi  confidences sous forme de correspondance. Au gré des évocations des autres, c’est finalement le portrait de Piccoli qui se dessine. Sa liberté. Sa franchise. Sa complexité. Sa peur de paraître prétentieux. Ses blessures. Et surtout son amour immodéré pour son métier, sa passion plutôt en opposition à ses parents, son « contre-modèle », dont il regrette tant qu’ils en fussent dénués.

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    - Mon préféré, enfin, Un homme cruel (2016 - Grasset). Un voyage à travers une vie aussi romanesque que celles des personnages que Sessue Hayakawa (l’homme cruel) a incarnés. Une vie tumultueuse entre  Tokyo, Los Angeles, Monaco et Paris. La vie multiple d’un homme qui de star mondiale et adulée en passant par « agent péril jaune » pour la résistance française termina sa vie comme frère Kintaro, avec les moines bouddhistes. En paix, enfin. L’histoire de Sessue Hayakawa  est  surtout l’histoire vraie d’une star tombée dans l’oubli. L’éternelle histoire de la versatilité du public et du succès, de la gloire éblouissante et de l’oubli assassin.  C’est bien sûr cette dichotomie entre son être et l’image qui est passionnante mais aussi le portrait de l’être plus sensible, avec sa femme,  Tsuru Aoki.  Un homme cruel nous raconte aussi une passionnante histoire d’amour qui a surmonté le temps et la distance et le succès et les infidélités, et une autre, impossible, chacune révélant une autre facette du personnage. Gilles Jacob décrit magnifiquement les tourments de l'âme et du cœur, une autre histoire dans l'Histoire. C’est aussi un trépidant voyage dans l’Histoire du 20ème siècle qui nous fait croiser ses figures illustres : Claudel, Stroheim, et tant d’autres. Mais aussi les drames du 20ème siècle entre séisme meurtrier, racisme, guerre ("Sessue hait le racisme, la chasse aux migrants et aux réfugiés") là aussi tristement intemporels. Je n’ai pas résisté à l’envie de vous en dire à nouveau quelques mots tant ce livre m’avait enthousiasmée…

    Je me souviens encore à quel point j’avais le cœur en vrac après les dernières lignes d'Un homme cruel qui résonnaient en écho avec   "ce quelque chose plus fort que la mélancolie" dont Gilles Jacob parlait dans J’ai vécu dans mes rêves mais aussi en écho avec le chapitre  "Vieillir" dans Le festival n’aura pas lieu, un chapitre sur le temps ravageur, destructeur, impitoyable qui emporte tout, nous rappelant l’essentiel aux ultimes instants ou parfois même trop tard. Nous rappelant aussi la célèbre phrase de Mme de Staël en exergue du roman précité "La gloire, le deuil éclatant du bonheur." Ce petit flashback pour dire que c’est aussi tout cela que l’on retrouve dans ce dictionnaire amoureux, bien éloigné d’un dictionnaire classique donc… Comme dans ses précédents ouvrages, Gilles Jacob n’est jamais aussi passionnant lorsqu’il laisse la mélancolie affleurer, ou lorsque qu’il devine et dépeint celle des autres même si toujours l’humour, cette si bien surnommée "politesse du désespoir", vient judicieusement contrebalancer la mélancolie qui surgit.

    Chaque mot et chaque nom sont autant de déclarations d’amour enflammées et passionnantes au cinéma, caustiques, tendrement ironiques, admiratives, sincères, parfois délicatement saupoudrées de jeux de mots ou de regrets. Gilles Jacob porte sur chacun un regard à l’image de ce que le sien, pétillant, reflète : bienveillance et malice, affabilité et curiosité, élégance et ironie. S’il a surplombé pendant tant d’années les marches les plus convoitées et célèbres au monde, il n’a pas pour autant regardé ceux qui les gravissaient avec hauteur, ce qui n’empêche pas la clairvoyance et la facétie, souvent réjouissantes, ce qui ne l’empêche pas d’être en phase avec son temps (incroyablement), avec les cinéphiles comme avec les grands cinéastes.

    Alors qu’il vient d’être injustement évincé du conseil d’administration du festival à la renommée et à l’essor duquel il a tant contribué, Gilles Jacob a récemment répondu avec beaucoup de malice dans une émission, C à vous, au sujet d’une question sur son meilleur souvenir du Festival que ce fut le jour de son départ parce que Cannes, ce jour-là, l’avait fêté. Si la réponse était malicieuse, son intérêt réciproque pour ce Cannes-là n’est pas feint. Ce Cannes, c’est cette "armée des ombres" qu’il n’oublie jamais (surtout pas dans ce livre) et qui le lui rend bien. Cette déclaration d’amour à Cannes, au cinéma, n’en est ainsi pas pour autant aveugle et c’est ce qui la rend passionnante. Elle est érudite sans être pédante. Elle lève le voile sur certains secrets  sans jamais être impudique ni faire perdre au festival de son mystère. Et s’il est parfois et même souvent admiratif, il n’est jamais dupe. Au fil des pages se construit le portrait du festival mais aussi celui de son auteur dont les vies sont à jamais indissociables (Gilles Jacob est toujours président d’honneur du Festival et président de la Cinéfondation, une autre de ses initiatives destinée à la recherche de nouveaux talents, créée en 1998). C’est un tableau du festival en autant de petites touches dont la citation d’exergue signée Jeanne Moreau résume si bien le ton : "Du Festival de Cannes, je connais bien les visages : la foire aux vanités, la comédie des erreurs, le marché du film et la vitrine des films du monde,

    Ceux qui en disent pis que pendre s’y précipitent chaque année, pour retrouver leurs habitudes et piétiner aux mêmes endroits en smoking ou en robe décolleté. J’attends les rencontres inespérées, les beaux films, les nouvelles gloires. J’entends les voix, les rires de ceux que j’aime tant et que ne viendront plus…".

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    Je vais essayer de ne pas trop en dévoiler mais ce dictionnaire amoureux est si riche et foisonnant d’anecdotes, d’histoires, d’Histoire, de descriptions flamboyantes  et amoureuses de films que chacun s’attardera certainement sur des passages différents selon sa sensibilité. En parcourant ces pages, en y croisant des cinéastes ou des films que j’aime tant, je me suis souvenue pourquoi j’aimais ce festival et le cinéma, follement, parce que, comme l’avait aussi écrit Gilles Jacob dans un autre livre si « Cannes n’est pas un paradis pour les âmes sensibles » c’est aussi et avant tout cela, le lieu des « beaux films », ceux qui vous transportent et vous élèvent l’âme, ceux qui sont une « fenêtre ouverte sur le monde ». Cannes, c’est cette bulle d’irréalité, ce lieu où une sorte de « fièvre » qui vous coupe de la réalité s’empare de vous, paradoxalement tout en projetant des films qui souvent sont un miroir grossissant de cette réalité. Et surtout comme  le rappelle si justement Gilles Jacob, « la passion collective réunificatrice  est logée là. »

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    La première vertu de ce livre qui, pour cette raison notamment, intéressera autant les cinéphiles que les simples curieux ou amateurs de cinéma, c’est de donner envie de voir ou de revoir un grand nombre de films, certains ayant figuré au palmarès, d’autres non. Ainsi m’a-t-il donné furieusement envie de découvrir Accident de Losey grand prix spécial du jury 1967, moi qui aime tant son Monsieur Klein, j’avoue honteusement qu’il s’agit d’une lacune dans ma culture cinématographique, mais aussi de revoir tant de classiques que j’ai déjà vus tant de fois  dont il parle avec une contagieuse émotion :   l’Eclipse d’Antonioni, Irène de Cavalier , Le salaire de la peur de Clouzot, Le troisième homme de Reed,  Ascenseur pour l'échafaud de Malle (ah, quand il évoque son solo de trompette de Miles Davis sur l'errance nocturne de Jeanne Moreau, Boulevard Haussmann !), PlayTime et son « échec terrible » à cause duquel Tati fut ruiné, « son chef-d’œuvre qu’il faut voir à plusieurs reprises pour en déceler toutes les intentions, les finesses et les beautés ».

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    Copyright Solaris Distribution

    Il m’a donné envie de revoir encore Partie de campagne de Jean Renoir dont il rappelle « Quel grand cinéaste français peut se vanter de ne rien devoir à Jean Renoir ? Sûrement pas Pialat, ni Rivette, ni Truffaut,  ni Tavernier, ni Dumont, ni Beauvois, ni Patricia Mazuy, pour n’en citer que quelques-uns.». Il m’a aussi donné envie de revoir des films plus récents comme Toni Erdmann « qui part lentement et devient au fur et à mesure de plus en plus mirobolant » dont il regrette l’absence au palmarès 2016  alors que le jury avait « l’occasion rêvée de récompenser un film allemand, réalisé par une femme (Maren Ade) ».

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    Parfois il m’a donné envie de revoir des filmographies entières tant il aime les auteurs.  « Il ne faut pas reprocher aux grands auteurs un manque d’humilité, pour ne pas dire une arrogance : c’est la contrepartie des humiliations qu’ils subissent de toute part», souligne-t-il ainsi. Il m’a ainsi donné envie de revoir tous les films de Naomi Kawase,  de revoir tous les films de « Leone qui a porté le western-spaghetti à un point d’incandescence inégalé »,  les films de Visconti qui tous «  méritent la Palme, il le sait, il en est sûr…» et encore mon film préféré, le Guépard,  «  le génie à l’état pur, l’accomplissement artistique le plus sacré», « l’art à son apogée, l’art total » ou encore tous les films de Lynch car « surréalistes ou intimes,  ses films plaisent aux jurys, aux critiques et au public parce qu’ils sont l’essence même du cinéma, c’est-à-dire des rêves éveillés. »

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    Et puis on est heureux d’apprendre que de grands cinéastes sont aussi de belles personnes comme Jane Campion « lady Jane », présidente du jury l’année où il quitta celle du festival, 2014,  Wong Kar Wai avec son regard qui « possède un éclat d’une singulière noblesse » (il évoque avec lyrisme In the mood for love qui « restera  comme une des œuvres les plus acclamées du Festival de Cannes »),  Almodovar dont il fait l’éloge de la classe et qui n’a accédé au festival qu’en 1999 avec son 15ème film. Chacun y trouvera des phrases sur les cinéastes qu’il affectionne comme Sautet  pour moi « Et, qu’on l’accepte ou non, il était injustement frappé du sceau dédaigneux pour ne pas dire infamant de la perfection à la française, alors qu’en réalité « en hiver » ou pas, il serre le cœur ».

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    L’évocation de ses regrets est encore prétexte à la description émue de films  « J’aurais adoré montrer au Festival 1997 On connaît la chanson, cette réussite parfaite où Agnès Jaoui interprète une guide étudiante préparant une thèse sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru », sans compter la belle brochette de comédiens et les irrésistibles départs de chanson célèbres, en allusion à la situation. »  Tout aussi vibrante est sa colère face au jury qui n’a pas su aimer et récompenser Two lovers de James Gray comme il aurait dû l’être, très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante  « Ils n’ont pas senti les pulsions, les tristesses raisonnées, le New York des petites blanchisseries, l’anti-Mélodie du bonheur… »,  résume-t-il ainsi après avoir fait l’éloge du film en question.

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    Il regrette aussi que certains qui, à n’en pas douter, auraient été de grands présidents du jury, n’aient jamais exercé cette fonction comme Alain Resnais « parti à quatre-vingt-onze ans sans avoir eu le temps d’assumer cette fameuse présidence où son élégance morale, son sérieux et sa parfaite connaissance du cinéma mondial auraient fait merveille. Au lieu de quoi, rarement un grand metteur en scène a été aussi maltraité le festival ». Parmi les regrets encore, n’avoir pas su honorer le cinéma japonais, Mizoguchi, Ozu,  et Godard, qui n’a jamais été sélectionné au cours des années soixante.

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    Chaque évocation de cinéaste est comme une nouvelle leçon de cinéma, une  nouvelle définition de celui-ci aussi. Ainsi évoque-t-il Milos Forman dont la leçon de cinéma se résume par ces mots "Dites la vérité, sans être ennuyeux. C'est tout.".  Ou ainsi évoque-t-il Pialat " Plus sérieusement, Pialat a une hantise : l'art doit capter la vie. À n'importe quel prix, fût-ce celui de mettre le film en danger. Pour lui, quelques minutes de vérité sauvent un film inégal, c'est à cela qu'il s'est toujours efforcé de parvenir." Ou parfois une phrase suffit à brosser le portrait d’un cinéaste comme lorsqu’il évoque ce déjeuner en tête à tête avec le mystérieux Terrence Malick lors de sa venue à  Cannes pour L'arbre de vie "J'avais enfin deviné son secret qui n'est autre que savourer la liberté de disparaître" ou comme lorsqu’il parle de Louis Malle "Le goût de Malle pour la perfection technique venait peut-être aussi d'un manque de confiance en soi". "..., il y avait surtout que Louis était un cinéaste qui doutait d'abord de lui-même, ayant fait le tour des rébellions. Défections pardonnées au cinéaste de la mauvaise  conscience, sauf pour Au revoir les enfants (1987) qui est notre lien puisqu'il s'est inspiré en partie de ma propre histoire, quand je m'étais caché derrière l'harmonium tandis que les enfants allemands fouillaient le séminaire où j'étais réfugié. » Et soudain, je me souviens, à la cérémonie de clôture 2014, l’année du  départ de Gilles Jacob de la présidence du Festival, avoir assisté au bouleversant « au revoir les enfants » inscrit sobrement sur la scène du palais des festivals lorsque ce dernier avait remis la caméra d’or, comme un passage de relai, cette caméra d’or qu’il a initiée et qui a révélé tant de grands cinéastes, une inscription qui, à la lecture de ces mots, résonne encore plus fort.

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    Photo ci-dessus copyright Inthemoodforcinema.com, cérémonie de clôture 2014 Gilles Jacob et Nuri Bilge Ceylan avec sa palme d'or reçue pour "Winter Sleep"

    Il évoque autant ceux que l'on nomme les habitués (Ken Loach, 18 fois à Cannes dont 4 en sélection parallèle,  Haneke sur 12 films tournés 11 sélectionnés)  que des cinéastes émergents ou des cinéastes dont la carrière n’a pas éclos après leur passage en sélection et qui n’ont fait qu’un passage éclair au festival. Un savant équilibre comme doit l’être la sélection du festival (ce passage sur la sélection et son alchimie est aussi passionnant). Que de vibrantes déclarations !  Aux films. Aux cinéastes. Aux acteurs. Aux actrices. Les actrices, bien sûr, dont il brosse le portrait  comme il le ferait pour des personnages de romans. D’ailleurs, souvent, ce sont des personnages de romans. Comme Adjani « Elle apparaît, elle disparaît. Elle se toque, elle s’aperçoit qu’elle est trahie, elle jette. Les déceptions laissent des bleus à l’âme et les regrets des cicatrices invisibles. Elle croit qu’on les voit, alors il lui arrive d’oublier sa main le long de sa joue, trouve des poses nonchalantes qui masquent à demi son visage de déesse pour toujours. »

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    Il faudrait aussi citer, parmi d’autres, les sublimes portraits d’Anouk Aimée, de Juliette Binoche, de Catherine Deneuve "sans conteste la plus grande actrice française de sa génération" venue 19 fois à Cannes et qui " aurait mérité mille fois le prix d'interprétation qui lui est toujours passé sous le nez", Huppert "...aujourd'hui, après le long règne de Jeanne Moreau et de Catherine Deneuve, elle est devenue la patronne." Et bien sûr l’inoubliable Jeanne Moreau qu’il décrit en  reprenant ainsi la célèbre formule de Truffaut : "Elle a toutes les qualités qu'on attend d'une femme, plus celles qu'on attend d'un homme, sans les inconvénients des deux..." à laquelle Gilles Jacob ajoute "Car il est des comédiennes pour lesquelles, indépendamment de leur gloire, la classe et l'élégance morale sont un art de vivre. Jeanne Moreau était de celles-là.  C'est pourquoi, à la Bresson, un seul mot pour conclure : Ô, Jeanne." En une formule, poignante, tout est dit, avec pudeur…

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    Les acteurs ne sont pas oubliés. Là aussi, il a le don de percer à jour, de nous laisser deviner l’être parfois blessé et mélancolique derrière l’acteur joyeux et exubérant:

    -  Rochefort, ainsi magnifiquement portraituré « Jean était revenu à la case départ, à sa nostalgie existentielle et ce désespoir solaire qu’il cachait derrière des pulls de couleur et des absurdités délicieuses », « cette voix sans pareille dans l’éloquence tranquille et la verve narquoise », « Jean méritait l’admiration collective de ses contemporains ; c’était quelqu’un ».

    -Depardieu, "Gérard n'est pas d'aujourd'hui ; comme les génies, il est de toujours." 

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    - Cary Grant, "L'aisance. Comme celle de ses personnages."

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    -Piccoli, "Il aura tout joué avec la même sincérité, la même virtuosité, la même force intérieure capable d'exprimer la folie furieuse comme la tendresse la plus délicate. C'est aussi un homme de bien qui inspire les plus beaux mots de la langue française : allure, générosité, élégance, pudeur, tendresse, extravagance ..."

    -Ou encore DiCaprio  qui sait « faire preuve d’une incroyable authenticité », qui « peut tout se permettre », un « grand » qui se reconnaît au fait de « passer sans dommages » (comme dans Les Infiltrés) « pour l’être le plus inhumain de la terre. »

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    Au-delà de ces déclarations d’amour à ceux qui font le cinéma, c’est aussi une passionnante plongée dans l’Histoire du festival. A qui en douterait encore, ce dictionnaire démontre l’importance du Festival de Cannes et de son palmarès pour une œuvre ou un auteur lorsqu'ils y figurent. Ainsi, rappelle-t-il qu’un tiers des Français seraient plus enclins à voir un film s’il a été primé à Cannes. Gilles Jacob donne au lecteur l’impression d’être une petite souris qui, avec lui, se faufile dans l’histoire du festival. Ainsi nous apprenons comment ET  de Spielberg fut le film le clôture le plus prisé, comment fut élaborée cette folle et merveilleuse idée qui a donné lieu aux pépites cinématographiques de Chacun son cinéma, comment le Festival de Cannes aurait pu être celui de Biarritz...

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    Est  aussi minutieusement décrite la création d’Un Certain Regard (à l’origine de laquelle il se trouve, comme la Caméra d’or) ou encore la difficile opération de la sélection des films, mais aussi du film d’ouverture (celui que l’on doit "quitter heureux") ou de l’affiche. Par exemple, pour l’affiche, nous apprenons comment très vite l’hommage à un grand cinéaste s’associa à l’œuvre commandée. Fellini en eut ainsi les honneurs 3 fois.  Il y eut aussi cette sublime affiche reprenant Le baiser des Enchaînés d’Hitchcock. Et pour Gilles Jacob, s’il ne devait en garder que deux, ce seraient celle de 1985 et 2007.

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    affiche du Festival de Cannes 1985.jpg

    affiche du Festival de Cannes 2007.jpg

    C’est aussi passionnant de voir comment le  festival a influé sur des destins personnels mais aussi des cinématographies entières, comment par exemple le grand prix du jury  2010 pour Saleh Haroun pour L’homme qui crie a changé tant de choses pour le cinéma tchadien. On réalise qu’il n’y a eu qu’une seule palme d’or africaine en 1975, Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina et une seule palme d'or chinoise avec Adieu ma concubine en 1993. On se souvient qu’une seule femme a obtenu la palme d’or, Jane Campion pour La leçon de piano (la même année, ex-aequo). On découvre comment il n’y eut qu’une seule séance de Il était une fois en Amérique, séance payante au profit de l’institut  Pasteur. On comprend la malédiction de l’année 2003 ou encore comment le festival a sauvé Cinéma Paradiso. Et tant et tant de choses encore…

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    Et puis il y a ce ton singulier, cette élégance distanciée, cette lucidité caustique que résume si bien cette description de sa première fois à Cannes en 1964 que pourraient s’approprier tant de festivaliers, cette envie bravache de crier devant Cannes comme Rastignac devant Paris "A nous deux maintenant".

    "La Méditerranée était froide, je m'en fichais, c'est dans le bonheur que je nageais. Je me sentais particulier,  différent, promis à quelque chose d'extraordinaire. Je pense qu'il en est de même pour tous les nouveaux venus, à toutes les époques, tant l'excitation naît de l'aventure du festival, de la découverte des films, de l'attrait des rencontres... (...)Même si plus tard, l'occasion me serait donnée de réviser quelque peu cette naïve appréciation". 

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    Le livre est aussi parsemé d’anecdotes savoureuses et le moins épargné est sans doute lui-même car il sait  toujours faire preuve de cette autodérision exquise à lire.  Nous apprenons ainsi comment il a confondu deux maîtres du cinéma (je vous laisse découvrir lesquels…), ou encore comment Adjani présidente du jury du 50ème a traité Mike Leigh de nain de jardin ou comment il avait pris The end of violence de Wenders par amitié, « j’assume » conclut-il et c’est tout à son honneur. Parfois, l’espace d’un instant, on a l’impression de humer l’atmosphère comme dans le passage intitulé La Veille du festival, une véritable nouvelle qui nous plonge amoureusement dans l’ambiance et qui nous donne envie et même la sensation d’y être. Et quand il nous emmène avec lui à la villa Domergue avec le jury en délibérations, on le remercie de nous en laisser deviner tant sans en dire trop, d’avoir à la fois conscience de la préciosité, de l’importance et du dérisoire de l’instant. Bien sûr, on retrouve ce regard acéré dans la description de la montée des marches, « montée vers la gloire ou la guillotine en cas d’échec », un des rites du festival qui se devait d’être là.

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    On regrette de ne pas avoir été là le jour de l’ouverture avec Ridicule, ce film que je ne peux en effet jamais voir sans penser au festival tant ceux prêts à tuer pour et avec un bon mot, pour voir une lueur d'intérêt dans les yeux de leur public roi, pour briller dans le regard  du pouvoir ou d'un public, fut-ce en portant une estocade lâche, vile et parfois fatale, dans leur quête effrénée du pouvoir et des lumières, rappellent tant les manigances de certains au moment du festival : « Un triomphe salué comme tel. Entourages de ministres, de hauts fonctionnaires, de puissants, voire de directeurs de festivals, salués de rire devant ce ballet des courtisans sans voir le miroir que Leconte leur tendait », raconte ainsi Gilles Jacob.

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    Irrésistibles sont les pages dans lesquelles il évoque le choix d’Intolérance de Griffith en ouverture et ce qui en découla, leTBO (tribunal de bouche à oreille),  quand il n’ épargne pas, mais toujours le sourire et l’ironie aux lèvres, les flagorneurs, les hypocrites,  les fêtes (c’est bien connu, la plus fastueuse et mémorable est forcément celle où vous n’étiez pas), la posture péremptoire de la critique (excellent passage Ah, la critique !), les journalistes, "Ces journalistes qui critiquent sans avoir vu les films ou parce qu'ils ne les ont pas vus", " La mer est bleue. Il sait qu'elle est là, mais dans son parcours du combattant il ne la voit même pas", quand il évoque  ces lieux où il faut être, "en être", "On peut tout diagnostiquer aux 140000 personnes voire davantage qui assistent au Festival de Cannes, sauf une carence en égocentrisme".

    Le livre foisonne aussi de réflexions sur le cinéma : "que vont devenir les festivals alors que la cinéphilie elle-même s'est profondément transformée ? Que les séries télévisuelles rendent le jeune spectateur impatient ?", "Dans ce monde qui sacrifie au superficiel, au zapping, à la banalisation, ce qui fait notre force, c'est l'enracinement dans  une passion pour le Cinéma d'auteur et pour ceux qui la portent : les grands."

    "Quand j'ai pris mon poste à la tête du festival je me suis fait une promesse. Celle de promouvoir un cinéma populaire intelligent ou, comme je l'ai dit alors, du cinéma d'auteur pour grand public- et j'ai tenu parole" écrit Gilles Jacob.  Oui, promesse tenue, indéniablement. Et c’est ce que reflète magnifiquement ce livre qui est une plongée dans l’âme du festival, une âme vivante, vibrante, constituée de tant de tumultueux et joyeux paradoxes.

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    Son livre Les Pas perdus s’achevait par un hommage à la vie, une douce confusion entre cinéma et réalité, et par « Woody », évidemment par Woody Allen dont le plaisir à mélanger fiction et réalité, l’enthousiasmante et enthousiaste curiosité, l’amour du cinéma et plus encore l’humour, décidément, le rapprochent tant. Et cette rose pourpre qui à nouveau clôt ce dictionnaire qui mêle là aussi astucieusement cinéma et réalité…

    Vous  pourrez lire ce dictionnaire dans l’ordre comme un roman (Cannes et ses mythologies, quel décor, si romanesque !) ou piocher au gré de vos envies et de vos curiosités et vous immerger dans la Comédie humaine cannoise qui, sous le regard espiègle, d’une étonnante modernité, de Gilles Jacob et sous sa plume alerte devient plus attendrissante et non moins ravageuse que celle de Balzac.

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    En terminant ce livre, j’ai pensé à la sublime affiche du film Café Society sur laquelle une larme dorée coule sur un visage excessivement maquillé tel un masque. Celui de la société que ce café d’apparats et d’apparences métaphorise.  Un « café society » qui nous laisse longtemps avec le souvenir de deux âmes seules au milieu de tous, d’un regard lointain et d’un regard songeur qui, par-delà l’espace, se rejoignent. Deux regards douloureusement beaux. Bouleversants. Comme un amour impossible, aux accents d’éternité. Un inestimable et furtif instant qui, derrière la légèreté feinte, laisse apparaître ce qu’est ce film savoureux : un petit bijou de subtilité dont la force et l’émotion vous saisissent à l’ultime seconde. Lorsque le masque, enfin, tombe. C’est aussi l’impression que m’a laissée ce livre, comme si cette palme en laissant voir ce qu’elle dissimule derrière ses dorures, bien loin d’en perdre son éclat, en devenait plus émouvante encore.

    A 34 jours de l’ouverture du 71ème Festival de Cannes, doucement commence à renaitre cette insatiable envie de découvertes cinématographiques dans laquelle nous immerge le plus grand festival de cinéma au monde et déjà il me semble entendre la musique de Saint-Saëns qui nous appelle de ses notes envoûtantes, réminiscences de tant d’instants magiques de vie et de cinéma qui, à Cannes plus qu’ailleurs, s’entrelacent. Ceux qui résisteraient à cette mélopée ensorcelante, à n’en pas douter,  à la lecture  de cette déclaration d’amour au Festival de Cannes et plus largement au cinéma, devraient y succomber. Ce dictionnaire amoureux du Festival de Cannes est et restera l’ouvrage indispensable pour les curieux et amoureux du festival et du cinéma, et pour ceux qui veulent découvrir le festival par le regard de celui qui le connaît le mieux et qui en parle si amoureusement, avec à la fois l’honnêteté et les élans passionnés qu’implique l’amour véritable : « Citizen Cannes ». Oui, amoureux, ce dictionnaire aux accents si romanesques l'est indubitablement, terriblement. A savourer et  à relire sans modération !

    Et pour en savoir plus, la quatrième de couverture :

    "Il y a les films, les évènements, les palmarès. Il y a l’air du temps.
    Les stars que j’ai aimées et dont je tire le portrait - personnel, artistique, réel, rêvé.
    Il y a les metteurs en scène venus de partout, et qui me sont proches. Les pays, les
    écoles, les genres. La presse. Les photos.
    Les jurys, les discussions, les rires. Les pleurs aussi.
    Il y a la palme d’or.
    Il y a les fêtes, les surprises, les polémiques, les excentricités.
    Il y a les festivaliers, tout ce monde mystérieux du cinéma que le public envie et
    auquel chacun voudrait appartenir.
    Ce  dictionnaire amoureux conte le roman vrai du plus grand festival de cinéma au
    monde, et en révèle quelques secrets.
    Tour à tour historien, romancier, diariste, commentateur,  j’ai souhaité témoigner de
    ces moments tragi-comiques qui forment la folle aventure du Festival.
    J’aimerais que le lecteur se coule dans l’esprit d’un sélectionneur, d’un juré, d’un
    critique, d’un cinéaste, et suive en coulisses le spectacle inouï de ces années éblouissantes."

  • Un samedi soir à la Librairie du Cinéma du Panthéon

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    Cela aurait pu être une scène d'un film de Claude Sautet. Ces films que j'aime tant. Qui nous font aimer la vie. Qui nous rappellent qu'il suffit parfois d'un moment, d'un regard, d'une rencontre, ou de la pluie battante, à la fois effrayante et rassurante, de l'autre côté de la vitre, pour nous donner le sentiment, à l'abri du fracas,  que tout soudainement est plus mélodieux, vibrant, vivant, intense. Intérieur soir. Dehors, la pluie donc. Ce n'était pas dans un café comme dans les films de Sautet mais dans une librairie et la pluie était bel et bien là pour exacerber la force de l'instant, pour souligner l'amitié indéfectible de "Vincent, François, Paul et les autres", pour donner plus de sel aux "choses de la vie".  Cette librairie, c'est celle que je préfère. La Librairie du Cinéma du Panthéon, juste au-dessus du cinéma éponyme et du discret, voire secret, Salon de thé décoré par Catherine Deneuve, entre la Sorbonne et le Panthéon.

    Le rendez-vous était donné à partir de 17H. 17H10, une seule personne. La crainte irrationnelle que ce soit la seule... Et puis, par je ne sais quel tour de magie, en une fraction de seconde, une joyeuse cacophonie. De belles rencontres. Des retrouvailles réjouissantes. D'amicales surprises. Des lecteurs ayant même déjà lu les livres venus me rencontrer. De passionnants échanges. Et beaucoup d'émotions. La crainte de faire attendre (certains se sont beaucoup amusés de me voir constamment m'excuser). Le plaisir de voir des amis et/ou lecteurs se rencontrer, sympathiser, échanger mais aussi de les voir découvrir avec bonheur cette magnifique librairie. Et pour moi le sentiment d'avoir vécu une soirée hors du temps à ne pas le voir défiler jusqu'à ce que le libraire éteigne les lumières car l'heure de fin initialement prévue était largement dépassée...

    Merci à tous ceux, nombreux, qui ont bravé les éléments pour venir (et la présence de chacun m'a profondément touchée), à ceux qui n'ont pu venir tout en me laissant un sympathique message, et au libraire pour son accueil enthousiaste et particulièrement chaleureux mais aussi pour la belle mise en avant des livres dans la librairie. Mon roman "L'amor dans l'âme" est en rupture de stock à la Librairie du Cinéma du Panthéon mais peut bien sûr toujours y être commandé (et sera bientôt à nouveau disponible dans les rayons). Quant au recueil "Les illusions parallèles", il en reste encore quelques exemplaires.

    Ci-dessus quelques clichés de la soirée. Pour ceux avec les invités, rendez-vous sur mon compte Facebook privé et personnel.

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  • Littérature - Roman - UN HOMME CRUEL de Gilles Jacob (Grasset)

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    La vie passera comme un rêve. Les pas perdus. Le Fantôme du Capitaine. Le festival n’aura pas lieu. J’ai vécu dans mes rêves. Et désormais  Un homme cruel. Les titres des livres de Gilles Jacob sont de belles promesses d’évasion, des invitations au voyage. Promesses tenues, toujours. Il me tardait d’autant plus de découvrir ce dernier livre que son auteur en parlait avec enthousiasme (l’enthousiasme, voilà d’ailleurs une autre qualité commune à ses ouvrages) et avec d’autant plus d’impatience  que l’adjectif cruel n’est pas celui qui lui sied le mieux, moins bien que l'adjectif malicieux en tout cas. Ce titre, forcément en trompe-l’œil donc, qui contrastait avec ceux de ses précédents livres, aiguisait davantage encore ma curiosité.

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     A propos de son personnage de Lucien Fabas dans son roman Le festival n’aura pas lieu,  Gilles Jacob écrivait, « Le bonheur de transmettre s’imposait à lui comme une évidence ». A Gilles Jacob certainement aussi. Comme ce fut le cas dans ses savoureux échanges épistolaires avec Michel Piccoli ( J’ai vécu dans mes rêves, ainsi s'intitulait ce dernier livre, encore une invitation au rêve que je vous recommande d’ailleurs de lire.  Et qui raconte déjà la complexité de l’acteur, derrière l’image, d'homme cruel ou de "bizarres" comme Michel Piccoli qualifiait lui-même ses personnages, leur trouvant là une caractéristique commune écrivant qu'il avait "beaucoup joué les bizarres mais pas tellement les voyous"). Ce bonheur de transmettre de Fabas, revenons-y, se retrouve aussi dans Un homme cruel. Un homme qui lui aussi a vécu dans ses rêves. Un destin hors du commun qu’Hollywood n’aurait peut-être même pas osé inventer. Une star. Une vraie. Même si ce substantif est aujourd’hui tellement galvaudé qu’il en perd toute signification. Sessue Hayakawa en était pourtant une...

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    Sessue Hayakawa. Peut-être comme à moi, ignominieusement comme à moi plutôt, ce nom ne vous dira-t-il rien ? Certainement avez-vous néanmoins vu Forfaiture (celui de 1915, The Cheat, ou son remake d'ailleurs, signé Marcel L'Herbier, en 1937, Sessue Hayakawa y reprenait son rôle) et Le Pont de la rivière Kwaï ? Comment oublier Haka Arakau, riche collectionneur birman surnommé le roi de l'ivoire dans le film de Cecil B. DeMille de 1915 ? Comment oublier le colonel Saïto dans l’adaptation du roman de Pierre Boulle, le film aux 7 Oscars de David Lean ? Un de mes premiers souvenirs de cinéma à la télévision, le 28 mars 1987, comme l'avait scrupuleusement écrit mon père sur ces petites fiches sur lesquelles il notait les titres des films que je voyais dans mon enfance, et la date associée au visionnage, et que j'ai retrouvées, non sans émotion, à cette occasion. Le Pont de la rivière Kwaï était le tout premier de cette très longue liste qui dura des années et remplit une multitude de fiches,  immortalisant ces moments de cinéma.

    Et, pourtant, celui qui a incarné ces deux personnages inoubliables est, lui, tombé dans l’oubli…

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    Comment peut-on pourtant oublier ce visage ? Sur la couverture du livre de Gilles Jacob, l’air ombrageux, mystérieux, féroce (ou simplement le masque de la mélancolie ?), résigné peut-être, les traits d’une finesse rare, d’une beauté indéniable et ce titre qui semble trop bien lui convenir pour ne pas dissimuler une autre vérité. « Ses lèvres retroussées lui donnent un air énigmatique, c’est la Joconde au masculin » comme l’écrit si bien Gilles Jacob. Une couverture qui est déjà une invitation. Une nouvelle. Et c’est en effet à un nouveau voyage que nous convie Gilles Jacob. Un voyage à travers une vie aussi romanesque que celles des personnages que Sessue Hayakawa a incarnés. Une vie tumultueuse entre  Tokyo, Los Angeles, Monaco et Paris. La vie multiple d’un homme qui de star mondiale et adulée en passant par « agent péril jaune » pour la résistance française termina sa vie comme frère Kintaro, avec les moines bouddhistes. En paix, enfin.

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    Né au Japon en 1889, parti très jeune pour l'Amérique mais déjà éprouvé par la vie (une tentative avortée de hara-kiri et un accident l’ayant rendu sourd d’une oreille étant déjà passés par là), Sessue Hayakawa devient, dès les années 1910, au temps du muet, la première grande star d'origine asiatique de Hollywood. « Et l’un de ses plus grands séducteurs. Son charisme, son charme, son regard ont fait fondre de nombreuses comédiennes, provoquant auprès de ses admiratrices des scènes d’hystérie. » Ses réceptions fabuleuses dans son château californien firent la une des journaux de l’époque, des réceptions auxquelles le Gatsby de Fitzgerald n’aurait rien eu à envier. "Jusqu’au jour où le racisme anti-japonais provoque la chute de l’idole et une vertigineuse fuite en avant. L’opium, le jeu, les tentatives d'assassinats, les années folles, la résistance pendant la Seconde guerre mondiale, sans oublier le tournage du mythique Pont de la rivière Kwaï, le film aux 7 Oscars"…même si celui du second rôle pour lequel il fut pourtant nommé lui échappa.

    L’histoire de Sessue Hayakawa  est donc l’histoire vraie d’une star tombée dans l’oubli. Un comédien qui fut aussi renommé que Charlie Chaplin ou Rudolf Valentino (« Sa venue au monde coïncide, à deux mois près, avec celles d’Adolf Hitler et de Charlie Chaplin. Mais comment soupçonner qu’il croiserait l’un et serait ami de l’autre ? », « l’égal en popularité de Chaplin, Douglas Fairbanks  et autres William Hart »), "un personnage de légende qui n’occupe plus aujourd’hui que quelques lignes dans les histoires du cinéma".  Une vie qui dépasse la fiction. De lui, en 1917, le critique Louis Delluc écrivit: « On ne peut rien en dire : c’est un phénomène ». Au sommet de sa carrière, il enchaîna même « 11 films en 2 ans » !

    Le destin de Sessue est absolument passionnant et il l’est d’autant plus que si sa vie est bien sûr unique, singulière, et même exceptionnelle, l’histoire est aussi universelle. L’éternelle histoire de la versatilité du public et du succès, de la gloire éblouissante et de l’oubli assassin. Finalement un peu aussi la métaphore de notre époque qui, plus violemment qu'aucune autre, encense et glorifie aussi vite et bien qu’elle dévore, déshonore, détruit et oublie. Course insatiable et carnassière contre le temps et l’oubli voraces. Et qui mieux que Gilles Jacob, qui fut à la tête du Festival de Cannes de 1978 à 2014 (et qui est toujours président de la Cinéfondation) pouvait nous raconter cette histoire avec lucidité, malice et bienveillance, lui qui, du haut de ses marches, et mieux que nul autre, surtout depuis qu’il ne les surplombe plus, a certainement constaté et observé la versatilité des amitiés, la veulerie des opportunistes, l’injustice du succès parfois,  la duplicité et la force enjoliveuse ou destructrice de l’image et bien sûr l’univers, fascinant et lunatique, du cinéma ?

    Sessue « obsédé par son propre reflet » n’avait rien de cruel, contrairement au(x) personnage(s) qu’il a incarné(s) ( « il a atteint son apogée dès ses débuts grâce à un rôle génial, inquiétant, cruel.»). Ou du moins rien de plus que la plupart d'entre nous. C’est d’ailleurs aussi l’histoire de sa vie. Celle d’un homme entre deux identités. Enfermé dans une image, une apparence : « Je me rends compte que j’étais devenu un homme d’affaires américain, au lieu de l’artiste japonais que j’ai toujours rêvé d’être. », « Ses films ont fait de lui un traitre à la patrie. En interprétant des individus lâches, dépravés, il a donné de son pays une image déshonorante. », « Il est trop occidentalisé pour les Japonais  et trop moralisateur pour les Américains. » , « Durant toute sa vie, Sessue s’est senti japonais aux Etats-Unis et américain au Japon. »

    C’est bien sûr cette dichotomie entre son être et l’image qui est passionnante mais aussi le portrait de l’être plus sensible, avec sa femme,  Tsuru Aoki.  « Un homme cruel » nous raconte aussi une passionnante histoire d’amour qui a surmonté le temps et la distance et le succès et les infidélités, et une autre, impossible, chacune révélant une autre facette du personnage. Gilles Jacob décrit magnifiquement les tourments de l'âme et du cœur, une autre histoire dans l'Histoire. C’est aussi un trépidant voyage dans l’Histoire du 20ème siècle qui nous fait croiser ses figures illustres : Claudel, Stroheim, et tant d’autres. Mais aussi les drames du 20ème siècle entre séisme meurtrier, racisme, guerre ( « Sessue hait le racisme, la chasse aux migrants et aux réfugiés. » ) là aussi tristement intemporels.

    Aussi photographe, Gilles Jacob, avec son regard décidément malicieux et aiguisé, a le don en quelques mots de brosser un portrait, de décrire une scène et de la rendre terriblement vivante (celle du séisme notamment qui m’a donné la sensation de cheminer au milieu des décombres)ou de transcrire la mélancolie. Et je n’ai plus lâché ce livre de sa première à sa dernière ligne pour laisser à regrets Sessue sous le charme duquel l’écriture incisive de Gilles Jacob nous fait une fois de plus tomber. Le cœur en vrac après les dernières lignes d' Un homme cruel qui résonnent en écho avec   "ce quelque chose plus fort que la mélancolie" dont il parlait dans le livre avec Michel  Piccoli   mais aussi en écho avec le chapitre  « Vieillir » dans Le festival n’aura pas lieu, un chapitre sur le temps ravageur, destructeur, impitoyable qui emporte tout, nous rappelant aux ultimes instants ou trop tard, l’essentiel. Nous rappelant aussi la célèbre phrase de Mme de Staël en exergue du roman « La gloire, le deuil éclatant du bonheur. »

    Un palpitant périple mais surtout le roman passionnant d’une vie passionnée qui mérite d’être à nouveau sous les feux des projecteurs même si je regrette que ceux des médias  ne se braquent pas davantage sur ce livre, comme si par une tragique ironie, ils confirmaient là cyniquement et sinistrement la réflexion sur la gloire et l’oubli à laquelle le livre nous invite, incarnant à eux tous l’homme cruel que le titre désigne malicieusement… Avides de tonitruances, de scandales, de simplification plutôt que de l'élégance, rare, et de la complexité que l'auteur et son sujet incarnent. Grâce à Gilles Jacob, pourtant, et ce n'est pas rien, Sessue Hayakawa, rentre à nouveau dans la légende par laquelle il n'aurait jamais dû être englouti. Et le lecteur, à n'en pas douter, jamais non plus n'oubliera le nom, et ses belles assonances et allitérations (tout un poème...) ni le vrai visage de celui qui se dissimulait derrière le personnage d'homme cruel. Sessue Hayakawa...

  • LECTURE – "J'ai vécu dans mes rêves" par Michel Piccoli avec Gilles Jacob

     

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    Depuis des semaines, ce livre trône en haut de ma pile d’ouvrages littéraires en attente d’être lus, une pile vertigineusement périlleuse car, je l'avoue, parcourir les quatrièmes de couverture en librairie est une incorrigible addiction et il est bien rare que je résiste quand le thème ou l'auteur ou l'histoire, parfois les trois, suscitent ma curiosité. Ce livre-ci, je le gardais précieusement comme on repousse la dégustation d'un mets, pour en retarder le plaisir, quasiment indubitable. Je ne m’y suis pas trompée. Ce savoureux échange d’une tendre causticité entre ces deux grands hommes du cinéma qui, en plus de la passion du septième art, partagent l’élégance morale, je l’ai bel et bien dévoré d’une traite.

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    En 2009 était publiée l’autobiographie entre rêve et réalité de Gilles Jacob intitulée La vie passera comme un rêve. S’y entremêlaient les lumières de la Croisette et la mélancolie de l’enfance. Un récit passionné, passionnant, enthousiaste. Ce nouveau livre résonne comme un écho, en raison de son titre, J’ai vécu dans mes rêves mais aussi de l’enthousiasme et de la mélancolie qui l’imprègnent et de tout ce que les deux hommes semblent partager. Une pudeur. Une malice. Une lucidité sur leur métier, la vie et ceux qu’ils côtoient. L'auto-dérision. Une audace guidée par la passion. ( « Dans la vie, si on ne veut pas trop s’ennuyer, il faut finir par oser ce que notre timidité naturelle nous commande de retenir», écrit ainsi Michel Piccoli). Un regard aiguisé et légèrement inquiet. Une dérision qui résonne (et qui raisonne ) comme le contraire de la désinvolture, peut-être simplement une conscience aigüe de l'absurdité de l’existence. Une envie d’étonner, de « déconcerter » même, surtout pas au détriment des autres mais pour « rester en éveil ». Une simplicité malgré tout cela. La complicité entre l’acteur et celui qui fut à la tête du Festival de Cannes de 1978 à 2014, aujourd'hui notamment écrivain et président de la Cinéfondation qu'il a créée, rend l’échange particulièrement vivant.

    Gilles Jacob et Michel Piccoli se sont ainsi rencontrés « quelques mois après mai 1968 ». De leur amitié résultent de caustiques échanges épistolaires (je vous recommande tout particulièrement la lecture des morceaux choisis qui figurent à la fin du livre et qui vous donneront une idée de leurs joutes verbales) mais aussi ces confidences sous forme de correspondance.

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    Le livre se divise en différents chapitres qui permettent à l’acteur d’évoquer ses souvenirs de vie et de cinéma :   « Mon cher Michel », « L’enfance », « Un apprentissage », « Le cinéma », « L’Acteur », « Vieillir », « Ecrire ».

    De Michel Piccoli, nous connaissons tous la carrière exceptionnelle et cette voix singulière, profonde, ensorcelante (l'acteur évoque d’ailleurs la manière dont il travaille la voix des personnages qu’il joue, aspect essentiel de ses interprétations). Cette prestance. La complexité de ses personnages. Austères et burlesques. Sérieux et « bizarres » (pour reprendre un terme qu’il emploie lui-même). Lucides et/ou mélancoliques. Peut-être sa propre lucidité et mélancolie qu’il laisse affleurer ou qui inspirent les cinéastes. Des personnages à la fois en apparence terriblement normaux et en réalité singulièrement étranges. Souvent déconcertants. Simples en apparence, mais souvent mystérieux et inquiétants, torturés et tortueux, arides même.

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    Il a ainsi tourné avec les plus grands des réalisateurs français, européens et internationaux : Renoir, Resnais, Melville, Buñuel, Demy, Chabrol, Costa-Gavras, Sautet, Ferreri, Hitchcock, Moretti, Angelopoulos, Chahine…parmi tant d'autres. La liste est impressionnante ! Plus de 200 rôles et tant parmi eux qu’il a rendus inoubliables. Il fut aussi l’acteur fétiche de Sautet et de Buñuel (7 films avec ce dernier). Pour moi, il sera toujours le Max, le François, le Pierre, le Simon dans les chefs d’œuvre de Claude Sautet même si tant d'autres immenses films jalonnent sa carrière.

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    Ours d'argent du meilleur acteur en 1982 pour Une étrange affaire de Granier-Deferre, prix d’interprétation à Cannes en 1980 avec Le Saut dans le vide de Bellochio, il a ensuite fait partie du jury du Festival de Cannes en 2007. Il a réalisé, produit, a eu une vie professionnelle riche et intense dont nous espérons qu’elle n’est pas terminée comme le laisse espérer son évocation d’un projet avec Luc Bondy et on se prend aussi à rêver qu’il donne des cours de théâtre comme le lui a suggéré Gilles Jacob. En 2011, il a montré que son extraordinaire talent mais aussi sa capacité à surprendre et doucement provoquer restaient intacts dans le réjouissant Habemus Papam de Moretti, un film dans lequel il était irrésistible en pape déboussolé errant dans Rome et dans lequel sa « part de burlesque », inhérente à nombre de ses rôles et soulignée par Gilles Jacob, était si flagrante et réjouissante.

    L’année suivante, il nous a à nouveau régalés, avec un film également en compétition à Cannes, l’extraordinaire Vous n’avez encore rien vu d'Alain Resnais. Petite digression pour vous inciter à voir ce film d'Alain Resnais, une des plus belles déclarations d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Contrairement à ce qui a pu être écrit alors ce n’était pas une œuvre posthume mais au contraire une mise en abyme déroutante et exaltante d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est de toute façon transcendée. C’est aussi la confrontation entre deux générations ou plutôt leur union par la force des mots, exacerbée par la musique de Mark Snow d’une puissance émotionnelle renversante. Ces quelques mots sont bien entendu réducteurs pour vous parler de ce grand film, captivant, déroutant, envoûtant, singulier dont vous pouvez retrouver ma critique, ici.

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    Pour revenir au livre, malgré la sincérité qui l'anime, le sentiment de vérité qui en émane, le mystère demeure et c’est tant mieux. Rien d’impudique de la part de celui qui dit être « un vieil homme à la mémoire trouée », que ce soit dans l’évocation même de sa naissance (il dit et explique avoir «  vécu par hasard et par compensation » après  la mort de son frère), de sa vie privée ou même professionnelle.

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    Mais ce dont il parle le mieux, indéniablement, c’est de son métier, le cinéma ou le théâtre, "d’abord le désir de fuir pour aller respirer ailleurs". Il dit aussi aimer travailler « avec puissance au plus près du metteur en scène, du réalisateur ». Pour lui, cette "puissance", essentielle, consiste à « être toujours dans la recherche avec une énergie brute qui ne sente pas le labeur et la matière. Il faut recommencer sans cesse, recommencer différemment, chercher, essayer de faire autrement, et surtout –c’est ma hantise, je le reconnais volontiers- faire son possible pour ne pas être grandiose et prétentieux ».

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    Ce livre, c’est aussi une promenade dans l’histoire théâtrale et cinématographique et nombreux sont les talents que nous y croisons : Peter Brook, Gabin « dénué de toute vanité », Melville, Bardot « actrice très simple qui ne faisait pas du tout la star », Noiret, Jean-Louis Barrault, Romy Schneider « qui n’a jamais été vraiment heureuse », Mastroianni « le modèle absolu », Depardieu « Quel acteur sublime que Depardieu ! Quel génie ! Quel inventeur ! On est ébloui de voir le plaisir qu’il ressent à jouer. Et il ne cabotine pas », Montand, Chéreau, Gréco, mais aussi des politiques comme Mitterrand ou Jospin « sincère et courageux ». Le récit, passionnant, de tournages aussi, comme celui du « Mépris ».

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    Au gré de ses évocations des autres, c’est finalement son portrait qui se dessine. Sa liberté. (Il n’a pas d’agent : « J’avais envie d’être seul à penser à mes choix »). Sa franchise. Sa complexité. Sa peur de paraître prétentieux (« beaucoup de comédiens en font trop et ne vont nulle part »). Ses blessures (Des parents « peu passionnés », sa fille qu’il ne voit plus). Et surtout son amour immodéré pour son métier, sa passion plutôt en opposition à ses parents, son « contre-modèle », dont il regrette tant qu’ils en fussent dénués. Et une conscience aiguisée du métier d'acteur, de ce qui le constitue, de ce que cela implique : « Je me suis toujours régalé à faire l’acteur », « J’aime par-dessus tout ma liberté », « L’important était de jouer passionnément dans des œuvres passionnantes », et cette phrase qui donne son titre au livre « J’ai toujours vécu dans mes rêves ».

    Celui qui, comme il le dit lui-même, a « beaucoup joué les bizarres mais pas tellement les voyous » aimerait que l’on dise de lui : "Michel Piccoli a aimé son métier",  "Il l’a servi de son mieux". C’est indéniablement le sentiment que nous laisse ce captivant échange avec, surtout, celui de sa mélancolie et même "ce quelque chose plus fort que la mélancolie" dont sont empreintes les dernières pages, celles du chapitre « Vieillir » absolument bouleversantes, cette fois comme un écho au dernier roman de Gilles Jacob « Le festival n’aura pas lieu » dont les dernières pages possèdent la même beauté nostalgique et ravageuse à propos du temps qui s’enfuit et emporte tant. Tant et pas tout car à les lire l'un et l'autre, subsistent sans aucun doute la passion, l’enthousiasme, l’humour, une tendre ironie. Et cette éternelle élégance.

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    Si, comme moi, vous avez l’âme éprise de cinéma autant que de mélancolie, je vous recommande aussi ce roman précité de Gilles Jacob qui vous emmènera notamment sur le tournage de Mogambo. Et quand Gilles Jacob y écrit à propos de son personnage Lucien Fabas, « Le bonheur de transmettre s’imposait à lui comme une évidence », on ne peut s’empêcher de penser que cela ne lui est pas tout à fait étranger. Et on se prend à rêver d’un tome 2 de "J'ai vécu dans mes rêves" (que complètent le récit "Les pas perdus" et la correspondance imaginaire, "Le fantôme du Capitaine", signés Gilles Jacob) dans lequel les rôles seraient inversés, Michel Piccoli interrogeant Gilles Jacob dans un livre portant ce même titre qui semble si bien le définir aussi, lui faisant à son tour remonter le temps comme une suite à « La vie passera comme un rêve ». En attendant cette hypothétique et utopique suite, je vous laisse déguster à votre tour ce ping-pong jubilatoire entre deux rêveurs, passionnants passionnés de cinéma. Je vous le conseille même vivement.

    J’ai vécu dans mes rêves  - Michel Piccoli avec Gilles Jacob – Grasset