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  • Critique de THE GREAT DEPARTURE de Pierre Filmon (au cinéma le 12 novembre 2025)

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    Dimanche soir, au cinéma Majestic-Passy, dans le cadre du Festival Gange sur Seine (festival de cinéma indien indépendant à Paris), dans une salle comble, a eu lieu l’avant-première du dernier film de fiction de Pierre Filmon, The Great Departure, sélectionné en compétition, après avoir été projeté au Festival Cinémondes 2025, 21ème Festival International du Film Indépendant d’Abbeville.

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    Pierre Filmon a réalisé plusieurs courts-métrages. Il filme d'abord avec une caméra 16 mm son voyage en Chine dans le Transsibérien, ce qui donnera naissance à son premier court-métrage Bleus de Chine (1996). Viendront ensuite Les Épousailles (1999) d’après Tchekhov et Le silence, d’abord (2002). Son premier long-métrage, Close encounters with Vilmos Zsigmond, avait été projeté en sélection officielle du Festival de Cannes 2016, dans le cadre de Cannes Classics. Ce documentaire est consacré à Vilmos Zsigmond, formidable directeur de la photographie qui a travaillé avec les plus grands réalisateurs : Robert Altman, John Boorman, Steven Spielberg, Brian de Palma, Peter Fonda et… Jerry Schatzberg à qui Pierre Filmon a consacré un autre documentaire : Jerry Schatzberg, portrait paysage (sélectionné à la Mostra de Venise 2022 et au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023) qui se focalise sur « l’univers photographique de Jerry Schatzberg, jeune homme de 95 ans, le dernier des Mohicans du Nouvel Hollywood, photographe et cinéaste qui a réalisé des films avec Al Pacino, Gene Hackman, Meryl Streep, Faye Dunaway et Morgan Freeman et a obtenu une Palme d’Or en 1973 pour L’épouvantail». Ce passionnant dialogue de Pierre Filmon avec le critique Michel Ciment, au gré d’une exposition lors de laquelle il croise des portraits, est l’occasion de revenir sur ces fabuleuses rencontres qui ont donné lieu à ces photos uniques et marquantes. Un plan-séquence qui permet de découvrir la richesse, la profondeur et la diversité du travail de l’artiste. Pierre Filmon a également traduit l'autobiographie du monteur de La Guerre des étoiles, Paul Hirsch, qu'il a coéditée avec Carlotta Films. Le livre a obtenu le Prix du meilleur ouvrage étranger sur le cinéma décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision 2022. Depuis 2018, Pierre Filmon est par ailleurs producteur ou coproducteur de ses films, avec sa société de production Almano Films.

    Je vous avais partagé ici mon enthousiasme pour son premier long métrage de fiction, Entre deux trains (notamment sélectionné au Festival du film francophone d’Angoulême 2019), douce parenthèse qui nous rappelle que le réel aussi peut contenir ses évasions poétiques, une parenthèse ouverte et close par les rails de la voie ferrée qui défilent. Cette parenthèse, c’est celle de la rencontre entre Marion (Laëtitia Eïdo) et Grégoire (Pierre Rochefort) qui se croisent par hasard sur le quai de la Gare d'Austerlitz, entre deux trains donc. Une ode aux possibles de l'existence. À la magie de ses hasards. De ces interstices presque irréels volés au prosaïsme du quotidien qui soudain éclairent le présent comme ce rayon de soleil qui balaie et illumine le visage de Marion. Une ode aux rêves (qui ont aidé Grégoire à vivre) et à l'imaginaire (celui du spectateur qui se fait son propre cinéma). Un film qui nous dit que « aimer, c'est voir l'enfant en l'autre », qui cite Prévert et Les Enfants du paradis (« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment d’un aussi grand amour »), qui fait notamment résonner Schubert et Beethoven (la musique originale est de David Hadjadj), qui nous rappelle Agnès Varda (Cléo de 5 à 7) et David Lean (Brève rencontre). Une déambulation mélancolique et réjouissante, du Jardin des Plantes (ses squelettes du Muséum d’Histoire naturelle qui nous rappellent qu'il faut déguster chaque seconde et que ce moment qu'ils partagent est de la vie pure et précieuse) au café Maure de la Grande Mosquée de Paris. Une variation sur les hasards et coïncidences et les possibles de l’existence, empreinte de la beauté cinglante de la nostalgie. Un petit bijou fragile et délicat, aérien et profond dont vous on sort avec l’envie de savourer chaque précieuse seconde, et de croire, plus que jamais, comme l’écrivait Victor Hugo qu’« il y a le possible, cette fenêtre du rêve, ouverte sur le réel ».

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    Cette digression parce que ce nouveau film de Pierre Filmon aurait aussi pu s’intituler Entre deux trains. Il raconte une autre « brève rencontre » qui est aussi un hymne aux heureux hasards de l’existence qui permettent d’en dévier la trajectoire.

    Cette fois, Pierre Filmon ne nous nous emmène pas à Paris et au Jardin des Plantes, mais en Inde, avec Mansi (Sonal Seghal) et Marc (Xavier Samuel), deux âmes perdues qui ont fui la réalité de leur vie et qui se rencontrent à la gare de Delhi. Elle est indienne et a tout quitté pour échapper à un mari violent. Lui est australien et a fui une autre réalité (aux antipodes de celle de Mansi) pour se retrouver face à lui-même. Tous deux prennent le même train pour Varanasi (Bénarès), ville emblématique et la plus sacrée de l’hindouisme, et cité qui accueille le plus de pèlerins en Inde. Un lien aussi interdit qu’inattendu va se nouer entre ces deux égarés, le temps d’un voyage improvisé, fragile et lumineux, des rives du Gange à la route de Rishikesh.

    Quand je dis que Pierre Filmon nous emmène, il ne s’agit pas d’une simple formule tant j’ai eu l’impression non pas d’avoir passé ma soirée au cinéma Majestic-Passy mais d’avoir été téléportée en Inde, d’être montée à bord de ce train avec Mansi et Marc et d’avoir réalisé un véritable voyage au cœur de ce pays que le cinéaste filme avec un respect, une générosité et un amour infinis.

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    Dans le documentaire que Pierre Filmon consacrait à Jerry Schatzberg, Michel Ciment concluait en disant que « le rapport émotionnel avec le sujet est très important » et que Jerry Schatzberg est un « esthète, grand metteur en scène formel mais qui s'intéresse aussi aux émotions, aux rapports humains comme c'est le cas de tous les grands metteurs en scène. Le public vient au cinéma pour ressentir des émotions. C'est ce travail formel qui lui permet d’accéder aux émotions. » Cette phrase pourrait s’appliquer au dernier film de Pierre Filmon dont le rapport émotionnel à son sujet se ressent dans son magnifique travail formel qui distille l’émotion avec délicatesse. Sa caméra amoureuse (de l’Inde et de ses personnages) se faufile ainsi entre Mansi et Marc, ou entre les rives du Gange pour en immortaliser la beauté étincelante et mystérieuse, presque comme s’il nous narrait un conte : la rencontre d’un homme et une femme dans ce pays baigné de spiritualité. Tous deux sont partis en quête de réponses et d’une liberté, bien différente pour chacun d’eux. Pour échapper à la violence pour l’une, pour fuir une vie vide de sens pour l’autre (paradoxalement, tout en prétendant aider les autres à trouver un sens à la leur). S’ils prennent la même route, ils ont en effet des aspirations bien différentes.

    Je ne connaissais pas le travail de Sonal Seghal (auteure du scénario et actrice principale, mais aussi coproductrice, et réalisatrice d’autres films) mais j’espère que nous continuerons à la voir au cinéma, et pas seulement dans le cinéma indien, tant elle porte cette histoire, tant son visage charrie de profondeur et de nuances. Face à elle, Xavier Samuel (Twilight - Chapitre 3 : hésitation, Perfect mothers, Elvis, Anonymous…) est une présence rassurante, bienveillante, douce et énigmatique dont affleure malgré tout la fragilité qui laisse soupçonner des zones d’ombre que je vous laisse découvrir. D’une manière subtile, le scénario nous fait comprendre celui qu’il fut, et que ce pays et cette rencontre l’ont transformé.

    À leurs côtés se trouvent des acteurs indiens judicieusement choisis comme le petit Sheevam qui apporte une présence malicieuse. Le petit garçon, d’une énergie débordante, repéré lors d’un casting sauvage, est d’un naturel et d’une justesse exemplaires, et apporte une note de tendresse supplémentaire. Au casting figure également Shreedhar Dubey que vous avez pu voir dans Homebound, un film sélectionné par l’Inde pour la 98ème cérémonie des Oscars. Il incarne ici un chauffeur de taxi un peu dépassé par les évènements.

    Le scénario s’intéresse avant tout à la situation de la femme en Inde, mais si l’histoire est celle d’une femme indienne, elle n’en demeure pas moins universelle. D’ailleurs est subtilement évoquée la situation de la femme occidentale à travers le passé de Marc vu par le prisme de quelques images sur un smartphone.

    Le sujet aurait pu être dramatique, le film est pourtant profondément solaire (dans la forme comme dans le fond), empreint d’une rare douceur, teinté dès la première scène d’humour, reflétant un regard amusé sur le choc des cultures qui n’est cependant jamais condescendant. Le film interroge la manière dont la femme est (mal)traitée là-bas et ailleurs, sans pour autant porter un regard manichéen (et c’est tant mieux) sur l’homme. Marc va d’ailleurs se racheter auprès de Mansi.  

    La photographie de Dominique Colin sublime la ville incandescente, nimbée de lumières, vibrante de couleurs qui évoluent en fonction de l’état psychologique des personnages.  La musique délicate traversée de sonorités indiennes de Naresh Kamath apporte encore un supplément de douceur et d’âme au voyage. « Cette atmosphère paisible et studieuse, je le sentais, avait une saveur unique et je me devais de la rendre palpable pour le spectateur » a déclaré le réalisateur dans le dossier de presse. Cette atmosphère envoûtante se ressent en effet dans chaque plan de ce magnifique portrait de femme qui s'émancipe jouée par la captivante Sonal Seghal.

    Ce film irradié de lumière et de douceur nous invite à choisir notre propre chemin, à nous délivrer de nos chaînes (« La liberté est le pouvoir de choisir nos propres chaînes » comme l’écrivait Rousseau), à choisir nos propres couleurs (de notre existence ou celle, si symbolique, d’un sari « La vraie liberté est de pouvoir toute chose sur soi » écrivait encore Montaigne), et il nous rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour prendre un nouveau départ, pour empoigner notre destin, et lui faire prendre une autre route que celle qui a été tracée pour et, parfois, malgré nous. Ce film, tourné en 27 jours seulement, est un hymne à l’indépendance (de l’être humain et...du cinéaste), à la liberté de la femme entravée dans tant de pays et tant de situations encore. Comme Entre deux trains, ce film relate une magnifique rencontre, une parenthèse d’une singulière et salutaire douceur (j'emploie ce mot à nouveau, à dessein, tant elle transparaît dans ce film, et le sublime, et le distingue, et tant elle est rare et d'autant plus appréciable) dont on sort, comme ses protagonistes, apaisé et résolu, avec l’envie d’être soi, ainsi libéré du regard des autres, et de prendre un nouveau départ...et/ou un billet de train pour Varanasi (à défaut, nous pourrons toujours retourner voir The Great Departure).

    Séance spéciale le lundi 3 novembre 2025 à 19H30, en présence du réalisateur, au Cinéma des Cinéastes, 7 Avenue de Clichy, 75017 Paris.

    Le dernier documentaire de Pierre Filmon, MAURICE TOURNEUR – Tisseur de Rêves, sera projeté à la Cinémathèque Française en mars 2026.

    A savoir, à propos du coproducteur Arvind Reddy : Poursuivant l’héritage de son grand-père Kadiri Venkata Reddy (K.V. Reddy), Arvind Reddy relance KVR Productions avec sa deuxième production, The Great Departure. Figure emblématique du cinéma indien, K.V. Reddy – ainsi surnommé affectueusement dans l’industrie cinématographique du sud de l’Inde – a réalisé 14 longs-métrages et remporté trois National Film Awards ainsi qu’un Filmfaire Award South. Il est considéré comme l’un des réalisateurs les plus influents de l’histoire du cinéma indien. La première production d’Arvind Reddy fut un drame familial avec Amitabh Bachchan qui a rencontré un large succès populaire.

  • Télévision – Documentaire - VOIR L’AUTOMNE, UNE SAISON EN FRANCE de Jeremy Frey (mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2)

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    Que ce soit Verlaine avec sa Chanson d’automne (« Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone… »), Camus ( « L’automne est un second printemps où chaque feuille est une fleur») ou Baudelaire (« La beauté de l’automne est un poème écrit par la nature»)…, nombreux sont les poètes et écrivains à avoir célébré cette saison plurielle et mystérieuse charriant une myriade de couleurs envoûtantes, ombrageuses et/ou éclatantes.

    Voir l'automne, une saison en France. Tel est le titre du documentaire inédit de 97 minutes à découvrir dès le vendredi 17 octobre sur france.tv et le mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2. Réalisé par Jeremy Frey, écrit par Jeremy Frey et Rémi Dupouy, il est produit par Hope Production (Yann Arthus-Bertrand…) et Calt Production.

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    © Hope production / Calt production

    Je vous parlais hier, dans mon compte-rendu du troisième Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule (à lire, ici), dont le palmarès a été délivré samedi dernier, du remarquable documentaire de Yann Arthus-Bertrand et Michael Pitiot, France, une histoire d’amour, à découvrir au cinéma le 5 novembre 2025, lauréat du prix des lycéens du festival. Un film dont la sublime photographie (justement signée Jeremy Frey, réalisateur de Voir l’automne) magnifie la beauté du territoire français, de ses visages et de leur générosité. Yann Arthus-Bertrand y prononce la phrase suivante, qui pourrait aussi s’appliquer à cet autre documentaire que je vous recommande aujourd’hui : « Là on va être dirigé par un dictateur sans conscience, le climat. La vie n'a aucun sens. C'est vous qui décidez de donner un sens à votre vie. On a tous la mission et le devoir de protéger la vie sur terre. J'ai passé ma vie à photographier la beauté. C'est quoi la beauté ? C'est les gens qui font, qui partagent. Cette beauté a un nom très simple. Elle s'appelle l'amour. »

    En 2024, l’automne avait aussi inspiré une fiction avec François Ozon qui, dans Quand vient l’automne, filmait ainsi des personnages aux couleurs lunatiques à l'image de celles de cette saison dont il célébrait la mélancolie troublante. Un film ensorcelant et chamarré comme les couleurs automnales (photographie de Jérome Alméras), doux et cruel, savoureusement ambigu, qui célèbre autant l’automne de la vie que cette saison, et qui s’achève, comme toujours chez Ozon, par la fin logique d’un cycle, entre ambivalence et apaisement.

    Ce documentaire lui rend aussi un magnifique hommage, sensoriel. C’est un hymne à cette saison et à la nature, et un vibrant plaidoyer pour sa préservation. En automne, la nature flamboie, déploie toute une palette de couleurs et d’émotions, dont le réalisateur capte ici avec une infinie sensibilité la moindre nuance et le moindre frémissement.

    Synopsis : Au fil d'images insolites et grandioses, sensibles et inédites de la faune comme de la flore, une découverte de l'automne de l'intérieur, pour mieux en saisir le fonctionnement et les nuances. Des jardiniers, professeurs, pompiers, activistes, gardes forestiers, photographes amateurs ou cantonniers révèlent, à travers leurs expériences, anecdotes et récits, de multiples façons de regarder la nature. Dans des paysages hauts en couleur, ils invitent à une exploration inédite de la nature en France, à un décryptage des phénomènes qui font l'actualité en automne et à une invitation à s'émerveiller devant les temps forts et les bouleversements de cette saison si particulière. "Voir l'automne, une saison en France" nous entraîne dans un voyage sensible à travers ceux qui vivent la saison au plus près du vivant.  Un couple de jeunes vignerons dont les festives vendanges marquent le début de l’automne. Un vieux berger, mémoire du Mercantour, qui transmet son savoir à sa fille en pleine transhumance. Un apnéiste qui vit une histoire avec un phoque dans le Finistère, au moment de la saison des amours. Une acousticienne qui tente de capturer la puissance du brame du cerf. Marie, jeune biologiste à Saint-Pierre-et-Miquelon, face à une baleine à bosse qui entame sa migration. Yann Arthus-Bertrand face à un chasseur à la hutte en baie de Somme. Vincent, dans les Pyrénées, photographe animalier en devenir, le seul à voir régulièrement l’ours, bientôt en hibernation.

    Cela débute par des silhouettes qui s'avancent face à des images somptueuses d'automne dans la brume, comme si ces ombres nous invitaient à entrer dans l’image, à nous glisser dans le fascinant labyrinthe automnal, à nous laisser éblouir avec elles par la magie de cette saison, à pénétrer dans un conte qui narre les grandes étapes de l'automne en France, à travers les « rencontres avec ceux qui les vivent aux premières loges. » « Je crois que tu vas voir l'automne » annonce ainsi le réalisateur Jeremy Frey à Yann Arthus-Bertrand, comme s’il l’invitait lui aussi à entreprendre ce périple fabuleux grâce aux « images tournées en milieu naturel par l'équipe à cette saison ».

    Dès les premiers plans, la beauté stupéfiante des images accompagnées et sublimées par la musique, lyrique et prenante, nous saisit et nous emporte. Nous voilà embarqués pour un voyage qui nous donne à voir la beauté versatile et captivante de l’automne. Chaque plan du film exhale et exalte la beauté éblouissante de la nature. Ses couleurs chatoyantes nous invitent ainsi à une danse consolante.

    Une attention particulière est accordée aux sons. « Car l’automne, c’est aussi une musique. » Le réalisateur explique ainsi avoir travaillé avec « des ingénieurs du son, des acousticiens et des compositeurs pour révéler cette dimension acoustique, pour que les oreilles s’ouvrent autant que les yeux. » Et le résultat est époustouflant. Comme si nous étions un animal se faufilant dans cette nature vibrante, guidés et émerveillés par la poésie de ses bruits : le vent dans les feuilles mortes, le chant des oiseaux, le bourdonnement des abeilles, le bruissement d’ailes ou de pattes sur les feuilles, la pluie qui rebondit et crépite sur la végétation…et même la force (d’autant plus) saisissante des silences et le rire cristallin des enfants.

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    © Hope production / Calt production

    Dans sa note d’intention, le réalisateur explique qu’il souhaite filmer « le sauvage, réellement » et « nous réapprendre à voir l’automne, à l’écouter, à nous en émerveiller. » À cette époque insatiable, dans laquelle l’attention est constamment sollicitée, une émotion supplantée par une autre, dans une surenchère et un enchaînement harassants de bruits et d’images, ce documentaire remplit la salutaire et noble mission de nous inviter à saisir la beauté, à prendre le temps, à voir et à écouter ce qui est là, juste face à nous, et que nous ne distinguons pourtant bien souvent même plus. Ce tableau bouleversant de la nature ne le serait pas sans le regard empreint d’humanité, de sensibilité et de douceur qui se pose dessus mais aussi sans la vision de ceux qui racontent « leur » automne. L’entreprise n’est pas seulement esthétique et sensorielle mais pédagogique, aspirant à contribuer à renouer le lien entre l’homme et la nature, à redonner envie de préserver ce monde qui nous fait vivre.

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    © Hope production / Calt production

    Ce voyage inoubliable, nous fait passer par toutes les couleurs et les émotions de l’automne, des plaines au littoral, en passant par la montagne, les marais, l’océan et les forêts, la mangrove, du mois de septembre avec ses dernières fleurs, en plaine avec les libellules, le sanglier d’Eurasie, le chevreuil d’Europe, en passant par les vignobles, la saison des amours des phoques, jusqu’à décembre avec les premières neiges dans les Alpes du Nord.

    À travers les histoires de chacun, ce voyage intime et universel nous dévoile les merveilles de cette saison méconnue, pourtant essentielle pour beaucoup d’espèces. Le premier intervenant a été victime d’un accident de chasse à cause duquel il a perdu l’usage de tout son corps jusqu’au torse. Sans esprit de revanche mais animé par la bienveillance, il explore la biodiversité, apprend aux enfants à connaître les abeilles, leur explique que, à cause du frelon asiatique, la  « survie de la ruche est engagée si on ne fait rien. » Ce film célèbre la diversité, la richesse et la magnificence de la vie à travers les témoignages. Les histoires à travers lesquelles l’automne est raconté humanisent la nature. Comme la bouleversante Élodie, photographe d’animaux sauvages, pour qui la nature était un refuge quand elle était harcelée à l’école : « La nature, c’était un refuge pour moi, parce que j’ai été harcelée à l’école. J’allais dans la nature pour évacuer. Dans la nature, il n’y a pas de bons ni de mauvais, il n’y a pas de juste ou d’injuste. En fait, la nature, elle est, tout simplement. » Tout concourt à souligner (sans jamais surligner, la caméra caresse l’environnement, avec respect) la puissance émotionnelle de la nature et à souligner le rôle crucial de tout ce et ceux qui la compose(nt). Il nous rappelle aussi que l’observation de la vie sauvage ne nécessite pas forcément d’aller au bout du monde.

    Jeremy Frey est réalisateur de documentaires société comme 7 jours à Kigali la semaine où le Rwanda a basculé, qu’il avait coréalisé avec Mehdi Ba, dont je vous avais déjà parlé, ici. Un documentaire là aussi porté par une réalisation inspirée, élégante, sensible, respectueuse de la parole, des drames et des émotions des victimes auxquelles il rend magistralement hommage et donne une voix. Un documentaire qui nous laissait avec le souvenir glaçant de ces témoignages mais aussi le souvenir de sublimes vues (notamment aériennes) qui immortalisent   la beauté vertigineuse de cette ville auréolée de lumières, malgré ses terribles cicatrices, une ville porteuse d’espoir, si lointaine et soudain si proche de nous. Grâce à la force poignante des images. Et des mots. Foudroyants. Comme le mariage improbable de la beauté et de l’horreur absolues. Jeremy Frey est aussi réalisateur de documentaires nature pour National Geographic, France Télévisions, Netflix et Arte. Il est également le directeur artistique de la série Affaires Sensibles, le réalisateur de Féminicides pour France2/Le Monde, et le fondateur des sociétés Jmage et Saola studio et enfin le directeur photo notamment sur les longs métrages de Yann Arthus-Bertrand, dont Human dont je vous avais longuement parlé, ici, qui est bien plus qu’un documentaire et un projet salutairement naïf et pharaonique. Human est en effet un voyage émotionnel d’une force redoutable (comme l'est Voir l'automne, d'ailleurs), une démonstration implacable de la réitération des erreurs de l’humanité, une radiographie saisissante du monde actuel, un plaidoyer pour la paix, pour l’écoute des blessures de la planète et de l’être humain dans toutes leurs richesses et leurs complexités, une confrontation clairvoyante, poignante au monde contemporain et à ceux qui le composent. Un documentaire nécessaire, d’une bienveillance, d’une empathie et d’une utopie salutaires quand le cynisme ou l’indifférence sont trop souvent glorifiés, et parfois aussi la cause des tourments et les ombres du monde que Human met si bien en lumière.

    Avec la sensibilité et la délicatesse de son regard, qui saisit et suscite les émotions d'une manière si personnelle et universelle, avec une rare acuité, et avec la beauté éblouissante et si singulière  de ses images, nous ne pouvons que souhaiter que le réalisateur de Voir l'automne, une saison en France passe à la fiction, genre qui n’est pas plus ou moins noble que le documentaire, mais auquel il apporterait certainement un supplément d’âme.

    En attendant, vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce documentaire dans lequel, par ailleurs, l’ensemble de l’équipe qui y a contribué est sciemment et intelligemment mise en avant. Soulignons donc aussi le formidable travail de montage qui donne encore plus de vivacité, d’élan et de profondeur au film (montage signé Véronique Algan).

    Un documentaire qui prend au cœur, qui nous donne la sensation de flotter comme la brume qui sinue au-dessus des arbres, ou de tournoyer comme le ballet des baleines, ou de virevolter avec les feuilles qui tombent au sol, ou d’être emportés par le vol majestueux de l’aigle royal. Comme le souligne une des intervenantes qui étudie les bruits de la nature, « On change d'échelle. On devient une fourmi. Un oiseau. » C’est aussi la sensation que procure ce documentaire au téléspectateur. Certaines images restent gravées comme la féérie mirifique des forêts qui s’embrasent. Comme ces chiens de protections de troupeaux. Comme cet « hypnotisant » iguane des petites Antilles, « L'animal du présent qui t'amène dans le passé » comme le qualifie Angeline, l’experte des mangroves, « monstre magnifique » comme le définit le réalisateur. Comme l’isard des Pyrénées et sa course folle et superbe sur les montagnes. Comme la fougue magnifique des chevaux qui galopent. Comme la « danse de la baleine ». Comme le vol des oiseaux dans la baie de Somme. Comme les contrastes entre la noirceur du ciel et la blancheur de la neige. Comme ces phoques absolument sublimes devant lesquels nous ne pouvons que partager le sentiment de Yann Arthus-Bertrand qui trouve si « émouvant de voir des animaux qui ont été exterminés revenir ici chez eux ». Rarement la biodiversité, à travers les différents témoignages et le portrait de l’automne, aura été aussi si bien célébrée.

    Ce documentaire est comme une danse enivrante avec la nature. Il nous invite à valser avec elle, avec douceur, pour en éprouver la force paisible, en ressentir la respiration rassurante et fragile, vibrer à l'unisson de celle-ci. Comme un conte adressé à l’enfant qui subsiste en nous, pour réveiller son émerveillement. Il met en exergue ce que la nature recèle de plus subtil, d’infime ou grandiose. Les odeurs chantantes de l’automne. Le brasier féérique des forêts. Les trajectoires émouvantes de ceux qui traversent l’automne, femmes, hommes ou animaux. Un artifice de couleurs. Un périple étourdissant de beauté. Ours brun, salamandre, vautour fauve, baleine à bosse de l’Atlantique, chocards à bec jaune, bouquetin des Alpes…autant d’animaux (parmi de nombreux autres) qui en sont les héros admirables, filmés dans toute leur noblesse. Quelques animaux en images d’animation renforcent l’aspect poétique, et la beauté picturale de l’ensemble. La musique (elle aussi sublime), principalement la musique originale d’Anna Kova et Full Green mais aussi classique (Vivaldi…) procure encore plus de majestuosité grisante et de souffle épique au film comme s’il était la matérialisation visuelle de cette citation de George Sand : « L’automne est un andante mélancolique et gracieux qui prépare admirablement le solennel adagio de l’hiver ». Un voyage envoûtant au cœur (battant la chamade) de l'automne. Une ode grandiose à la nature et à l'émerveillement. Un périple enrichissant, incontournable, pour petits et grands. Dès le vendredi 17 octobre sur france.tv et le mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2

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    ("Voir l'automne" est gratuitement mis à la disposition des établissements scolaires, associations, ONG et toute initiative non commerciale pour organiser une projection, en toute autonomie. Sur le site voirlautomne.fr., vous trouverez aussi comment vous engager au quotidien (en limitant la consommation de viande, en protégeant les espèces en voie d’extinction, en limitant la chasse, en laissant un coin en friche dans votre jardin en évitant de tondre, en mangeant bio pour diminuer les pesticides si vous en avez les moyens, en plantant des haies, des arbres et des fleurs pour aider la pollinisation, en rejoignant une association de préservation de la biodiversité) et une liste d’associations. 

     

  • Compte-rendu et palmarès du 3ème Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule (2 au 5 octobre 2025)

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    Selon Albert Camus, « La société politique contemporaine » est « une machine à désespérer les hommes. » Quant à Stefan Zweig, il considérait que « La raison et la politique suivent rarement le même chemin. » Si l’actualité politique récente, nationale et internationale, tend à donner dramatiquement raison aux deux écrivains, cette troisième édition du Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule a su magistralement montrer que la politique pouvait aussi être synonyme d’espoir et de raison, du moins de (ré)conciliation.

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    Nous sommes aujourd’hui le 7 octobre 2025.  Deux ans jour pour jour après l’ineffable attaque terroriste en Israël. Il y a quelques jours, non loin de La Baule, au large de Saint-Nazaire, était arraisonné un navire de la flotte fantôme russe. Le 6 octobre, la France a connu un revirement politique sans précédent, avec la nomination d’un gouvernement et la démission du Premier Ministre, moins de 14 heures plus tard. Ce 9 octobre, Robert Badinter entrera au Panthéon. Ainsi, ce festival  pouvait difficilement être plus au cœur de l’actualité  avec, parmi les films projetés et primés : Holding Liat de Brandon Kramer (prix du jury documentaire et mention spéciale du jury des lycéens) qui suit la famille de l'otage Liat Beinin Atzili dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi son enlèvement le 7 octobre 2023, Les Combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka (prix du jury ex-aequo), deux films consacrés aux gilets jaunes (Les Braises de Thomas Kruithof -prix du jury fiction politique et mention spéciale du jury médias- et Dossier 137 de Dominik Moll -prix du public-),  le documentaire en compétition Les armes secrètes de Poutine de Hugo Van Offel et Martin Boudot qui révèle comment la Russie contourne les sanctions internationales, sans oublier deux films qui explorent la dictature, qu’elle soit irakienne et vue à hauteur d’enfant dans The President’s cake de Hasan Hadi (mention spéciale du jury fiction et prix des médias), ou stalinienne et décrite à travers les yeux d’un jeune procureur dans Deux Procureurs de Sergei Loznitsa.

    Ce festival, véritable voyage dans l’Histoire, passée et contemporaine, fut passionnant par la qualité des films sélectionnés (je vous les recommande tous) qui permettent de questionner et décrypter les enjeux sociétaux et politiques avec nuance, distance, recul, loin du flux ininterrompu et déhiérarchisé des chaînes d’informations et des réseaux sociaux, élargissant, voire changeant notre perception sur des faits d’actualité. Il a aussi pour vertus de permettre aux politiques, journalistes, artistes et spectateurs de s’écouter respectueusement (un miracle réconfortant dans cette actualité inaudible et insatiable) et de dialoguer dans une atmosphère particulièrement conviviale et chaleureuse, à l’image de l’équipe du festival, notamment de ses deux fondateurs, Anne-Catherine Mendez et Jérôme Paoli, et du président du festival, Gabriel Le Bomin.

    Quatre jurys ont eu pour mission de départager les 5 documentaires et les 5 fictions. Le jury fiction politique était présidé par la comédienne, réalisatrice et scénariste Audrey Dana. Elle était entourée du réalisateur Antoine Raimbault, du producteur Philippe Boeffard, de la Haute Commissaire à l'enfance, Sarah El Hairy, et du comédien Arié Elmaleh. Le jury documentaire politique était présidé par la comédienne Odile Vuillemin, entourée du producteur Paul Rozemberg, de l'ancien Ministre de la Mer et de la Biodiversité Député de la 2ème circonscription des Côtes d'Armor, Hervé Berville. Le jury presse et médias politique était présidé par l'éditorialiste politique, essayiste, ancien DG de France Télévisions, Patrice Duhamel, entouré du Directeur de la rédaction de la Tribune Dimanche, éditorialiste à BFMTV, Bruno Jeudy, du rédacteur en chef des Echos de la Presqu'île, Frédéric Prot, et de la journaliste et éditorialiste politique, Saveria Rojek. Le jury lycéens politique était présidé par l'ancienne Ministre, responsable associative, Najat Vallaud-Belkacem, entourée des lycéens Charlie Connan-Levallois, Gustave Diebolt, Inès Fernandez, Anna Gallou-Papin, Maël Lehuede, Swann Mahyaoui-Chantrel, Elyne Pernet.

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    Après avoir suivi pendant dix ans le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, j’étais ravie de découvrir ce nouvel évènement baulois, réunissant deux de mes passions, le cinéma et la politique.  Et de retrouver l’équipe du cinéma Le Gulf Stream qui avait été si accueillante lors de ma séance de dédicaces dans ses locaux, en juillet 2024. Je les en remercie de nouveau. C’est dans l’incontournable cinéma baulois que furent donc projetés les dix films en compétition  et les trois avant-premières hors compétition (La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa en ouverture, Jean Valjean d'Éric Besnard vendredi soir et L'Inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier, samedi soir, en clôture).

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    Le palmarès a été délivré en présence de la Présidente de l’Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet (qui avait également participé à l’instructive et captivante masterclass dans l’après-midi), suivi de la projection de L’Inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier.

    Je vous parlerai de nouveau plus longuement de chacun des films projetés au moment de leur sortie. En attendant, j’espère que les quelques mots ci-dessous vous donneront envie de les découvrir.

    1. La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa (film d’ouverture) – Au cinéma le 29 octobre 2025

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    Le festival a donc débuté avec la projection du très attendu dernier film de Thierry Klifa, projeté à Cannes hors compétition, en mai dernier. Je vous avais vivement recommandé son dernier film, Les rois de la piste, ici.

    La femme la plus riche du monde, Marianne Farrère (Isabelle Huppert) : sa beauté, son intelligence, son pouvoir. Un écrivain photographe, Pierre-Alain Fantin (Laurent Lafitte) : son ambition, son insolence, sa folie. Le coup de foudre qui les emporte. Une héritière méfiante qui se bat pour être aimée (Marina Foïs). Un majordome aux aguets qui en sait plus qu'il ne dit (Raphaël Personnaz). Des secrets de famille. Des donations astronomiques. Une guerre où tous les coups sont permis.

    Après Tout nous sépare et son documentaire André Téchiné, cinéaste insoumis, avec Les rois de la piste, Thierry Klifa avait souhaité se tourner vers la comédie. Comme toujours, il nous parlait de la famille et, comme souvent, de la figure maternelle. Dans son troisième film, Les yeux de sa mère (2011), il s’intéressait en effet déjà à la mère, qu’elle soit présente ou absente. Ici, la mère (Isabelle Huppert) est une héritière lassée de tout qui revit grâce à la rencontre avec un écrivain photographe opportuniste (Laurent Lafitte). Une histoire librement inspirée de l’affaire Bettencourt (rappelez-vous : en 2016, attaqué par la fille de Liliane Bettencourt, héritière et première actionnaire de L’Oréal, l’écrivain-photographe François-Marie Banier avait été condamné pour abus de faiblesse à quatre ans de prison avec sursis et 375000 euros d’amende). Comme toujours chez le cinéaste cinéphile Thierry Klifa, ce film se situe à la frontière des genres, entre la comédie et la satire de la bourgeoisie, avec des accents de drame (de la solitude). Et c'est jubilatoire, avec des dialogues ciselés et une interprétation de Lafitte en opportuniste insolent, désinvolte, flamboyant, détestable, grossier, rustre, absolument exceptionnelle, qui a elle seule vaut le détour. Les répliques cinglantes et la fantaisie savamment cruelle de Fantin sont particulièrement délectables, même qu’il sera pris à son propre piège, et peut-être finalement la première victime de son petit jeu cynique et cupide. Tous les personnages semblent finalement en mal d’amour, de la fille méprisée au gendre (caution juive pour tenter de faire oublier que le fondateur de la marque fut un ancien collaborateur) à l’énigmatique majordome (Raphaël Personnaz, dont une fois de plus le jeu sensible apporte un supplément d’âme, de malice, de sensibilité, et de nuance à son personnage) que Fantin prend un malin plaisir à humilier. Visuellement splendide, entre Ozon et Chabrol dans le ton -d’une ironie savoureuse-, faisant exploser les codes de bonne conduite bourgeois, Klifa livre là un de ses meilleurs films, et donne à Isabelle Huppert un de ses rôles les plus marquants (et pourtant sa carrière n’en manque pas), celui  d’une milliardaire qui se prend d’une amitié affectueuse et aveugle (quoique…) pour cet être qui lui fait retrouver l’insouciance en défiant toutes les conventions de son milieu, et en osant tout, y compris lui demander de changer intégralement sa décoration, ou de lui faire des chèques d’un montant astronomique (certes dérisoire à l’échelle de la fortune de la milliardaire). Un scénario signé Thierry Klifa, Cédric Anger, Jacques Fieschi (un trio de scénaristes royal, ce dernier vient d’être récompensé au Festival Cinéroman de Nice, récompense amplement méritée pour celui qui est pour moi le plus grand scénariste français). La musique d’Alex Beaupain, teintée de notes joyeuses et railleuses, m’a aussi par moments rappelé celle de Morricone pour I comme Icare. Sont à noter également le travail de reconstitution remarquable de la cheffe décoratrice Eve Martin, de la cheffe costumière Laure Villemer, et la photographie splendide de Hicham Alaoui.

    1. Holding Liat de Brandon Kramer – compétition documentaire – Prix du jury ex-aequo et mention spéciale des lycéens – Au cinéma le 16 février 2025

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    Ce documentaire, coproduit par le réalisateur Darren Aronofsky, est tourné avec la famille de l'otage Liat Beinin Atzili (enlevé au kibboutz Nir Oz) dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi son enlèvement le 7 octobre 2023. C’est avant tout une ode à la paix, le récit poignant et nuancé d’une situation complexe et explosive. Le réalisateur est un proche de la famille Atzili. Lors de sa première visite en Israël, vingt ans auparavant, il avait séjourné chez les parents de Liat, Yehuda et Chaya, dans leur kibboutz. Cette relation étroite lui a permis de les filmer dans les moments les plus tendus, y compris lorsque les membres de la famille ne sont pas d’accord sur la marche à adopter. Liat étant à la fois citoyenne américaine et citoyenne israélienne, son père décide de prendre l’avion pour Washington D.C., afin de plaider en faveur de sa libération. Là, il n’hésite pas à échanger avec un militant palestinien, et à parler des deux États et de paix, quand son petit-fils et son autre fille voudraient aborder seulement la question de la libération des otages. 54 jours. C’est la durée pendant laquelle Liat demeurera détenue. Avec la famille, nous suivons les espoirs, déçus, les listes de noms sur lesquelles Liat n’est pas, la colère et l’attente insoutenable. Et enfin la libération. Malgré tout ce que Liat a traversé (son mari a été tué, des traces de sang sur un mur du Kibboutz suffisent à faire comprendre l’émotion de la famille et son calvaire), elle exprime de l’empathie pour les Palestiniens et la souffrance de ceux, tous ceux qui sont victimes de ce conflit. Un message de paix, de résilience. Et un film qui a bouleversé les festivaliers.

    1. The President’s cake de Hasan Hadi (mention spéciale du jury presse et médias politique, et grand prix du jury fictions) – Au cinéma le 4 février 2026

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    Ce film était déjà lauréat de la caméra d’or du dernier Festival de Cannes, prix qui récompense un long-métrage parmi tous les premiers films des différentes sélections, et du Prix du public à la Quinzaine des Cinéastes 2025.

    Dans l’Irak de Saddam Hussein, Lamia, 9 ans, tirée au sort, se voit confier par son instituteur la lourde tâche de confectionner un gâteau pour célébrer l’anniversaire du président. Sa quête d’ingrédients, accompagnée de son ami Saeed, bouleverse son quotidien. Un premier film qui raconte l’Irak de Saddam Hussein à travers les yeux d’une enfant, une œuvre si universelle qu’elle pourrait raconter le quotidien de n’importe quel enfant dans un pays en guerre dirigé par un dictateur. Lamia va donc aller à Bassora, la grande ville la plus proche de son lieu d’habitation, en compagnie de sa grand-mère et de son coq Hindi. Dans un pays dans lequel tout tourne autour du culte du dictateur qui le dirige, chacun joue un rôle et masque ses petitesses derrière des mensonges. Les denrées que doit trouver Lamia sont chères et rares, en raison de la pénurie et de l’embargo, mais les trouver est pour elle vital. Commerçants malhonnêtes, policiers corrompus, soignants acceptant des pots-de-vin, elle rencontre le pire. Mais aussi des gestes d’amitié et d’amour, lueurs au milieu de la noirceur dans ces rues écrasées de soleil. Il y a de l’héritage du néo-réalisme italien dans ce premier film irakien qui regorge de beauté au milieu de l’horreur. L’image de la petite Lamia et de son coq Hindi serré contre elle, déterminée, forte et fragile, obligée de ruser et voler pour satisfaire les caprices d’un dictateur qui vit dans l’opulence, est de celle que l’on n’oublie pas, comme cette scène finale, et deux regards qui me hantent encore par leur courage mais aussi leur puissance, et surtout leur innocence et leur beauté sacrifiées.

    1. France, une histoire d’amour de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand (Prix des lycéens) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    De beauté et d’amour, le film de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand qui a séduit le jury des lycéens présidé par Naja Vallaud-Belkacem, en déborde aussi.

    Après avoir exploré le monde, Yann Arthus-Bertrand revient chez lui, en France, et part à la rencontre des Françaises et Français qui agissent concrètement pour faire avancer leur monde. Ce documentaire, touchant et plein d’humanité, tourné comme un road-movie dans la France entière, est une invitation à la curiosité mais surtout au vivre ensemble. Ces rencontres permettent de révéler des paroles sincères et des moments rares qui dessinent des portraits d’hommes et de femmes engagés.

    Après s’être intéressé à La Terre vue du ciel, dans le documentaire éponyme mais aussi avec Home, hymne à la terre qui nous expliquait que, en 200 000 ans d’existence, l’Homme avait rompu un équilibre fait de près de 4 milliards d’années d’évolution, à la Planète océan, à l’humain avec Human (dont je vous avais longuement parlé, ici : un voyage émotionnel d’une force redoutable, une démonstration implacable de la réitération des erreurs de l’humanité, une radiographie saisissante du monde actuel, un plaidoyer pour la paix, pour l’écoute des blessures de la planète et de l’être humain dans toutes leurs richesses et leurs complexités, une confrontation clairvoyante, poignante au monde contemporain et à ceux qui le composent), aux femmes avec Woman, à l’histoire de l’homme et de la nature avec Legacy, notre héritage, le photographe éperdument écologiste et humaniste part à la rencontre des Français pour les photographier, qu’ils soient réfugiés, agriculteurs, charcutiers, prisonniers en réinsertion, ou membres de Dernière rénovation… Il dresse ainsi le portrait d’une France plurielle, riche de ses différences, tournée vers l’autre, solidaire, empathique et généreuse, malgré les tensions et incompréhensions, prônant l’écoute et le dialogue. Des Français conscients des enjeux environnementaux et sociaux qui cherchent des solutions, leurs solutions, qui tentent d’éveiller les consciences aussi sur les défis écologiques et l’urgence climatique. Un voyage pétri d’émotions et de tendresse (« Être un homme c'est savoir pleurer » dit-il à un jeune homme qui s’est réinséré après avoir été incarcéré) à la rencontre de ces Français, qui en aidant les autres, donnent un sens à leur vie. « Je voulais faire un film sur tout ce que j’aime en France. », « On essaie de montrer tous les gens qui font des choses pour les autres. » « On voyage à travers la France pour filmer des gens qui font des choses que j'admire. » Comme Brigitte Lips, « Mamie charge », qui aide les migrants. Comme Camille Étienne « qui donne un visage et une voix à la génération climat ». Comme Émilie Jeannin qui « a tenté (en vain) par son abattoir mobile d’agir pour le respect animal et de promouvoir un abattage digne », comme ceux qui redistribuent les invendus des magasins à des associations… Le film est aussi, comme presque toujours chez Yann Arthus-Bertrand, un message d’alerte. Il nous rappelle ainsi ce chiffre sidérant et terrifiant : en 2070, 3 milliards de gens ne pourront plus vivre là où ils vivent. Il n’est pas non plus dénué d’humour comme cet intervenant qui ironise sur la manière dont certains tentent de donner un sens à leur vie : « Au bout de 20 ans pour que ça change dans leur vie, ils font une nouvelle véranda ». Ou lorsque Yann Arthus-Bertrand titille gentiment Bruno, le preneur de son, sans compter que le cinéaste a la fâcheuse habitude de se perdre sur les routes de France, s’amusant aussi du surnom que certains lui ont attribué, « l’hélicologiste ». Les deux cinéastes filment aussi la détresse des agriculteurs (« On pousse les gens à faire du bio puis après on les lâche ») ou des bergers face aux loups qui déciment les troupeaux, et qui disent faire face aux menaces de mort des environnementalistes. C’est peut-être la bergère qui prône la meilleure solution alors que Yann Arthus-Bertrand doute de la réalité de ces menaces : « la solution, c'est de s'écouter et de ne pas mettre notre parole en doute. » On comprend et partage l’émotion de Yann Arthus-Bertrand lorsque, lors d’une intervention devant des chefs d’entreprises et responsables politiques, on lui fait maladroitement comprendre qu’il a trop parlé alors qu’il essayait, une fois de plus, de donner l’alerte : « De plus en plus, c'est difficile pour moi de parler de tout cela devant des gens qui sont indifférents. Là on parle de ça. C'est fini. Cela a glissé. » « Là on va être dirigé par un dictateur sans conscience, le climat. La vie n'a aucun sens. C'est vous qui décidez de donner un sens à votre vie. On a tous la mission et le devoir de protéger la vie sur terre. J'ai passé ma vie à photographier la beauté. C'est quoi la beauté ? C'est les gens qui font, qui partagent. Cette beauté a un nom très simple. Elle s'appelle l'amour. » Le film est accompagné de chansons françaises judicieusement choisies, comme La Corrida de Cabrel sur les images d’une vache qui part à l’abattoir (ambulant) ou La vie ne vaut rien de Souchon qui nous donne envie de fredonner et de conclure après la projection de ce film à la photographie sublime qui magnifie la beauté du territoire français, de ses visages et de leur générosité :  « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie. »

    1. Dossier 137 de Dominik Moll (prix du public) – Au cinéma le 19 novembre 2025

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    Le dernier film de Dominik Moll, La nuit du 12, était une vision très personnelle du polar, à la mise en scène puissante. À l’heure où les féminicides sont dramatiquement nombreux, ce film était un plaidoyer retentissant et vibrant contre les violences faites aux femmes. L’intérêt de l’enquête résidait ainsi moins dans la résolution du crime que dans l’auscultation de la vision de la femme, d’une femme. Bouli Lanners et Bastien Bouillon y incarnaient deux policiers perdus et tourmentés, et leur désespoir, leur fragilité, leur solitude face à cette affaire irrésolue qui nous hantent autant que cette dernière après le film. La procédure est décortiquée mais ce sont surtout les âmes humaines qui le sont comme dans un film de Tavernier (on songe à L627). Le dernier plan, celui du policier qui s'échappe du vélodrome et roule le jour est la respiration tant attendue qui nous marque longtemps après la projection comme ce film qui ne peut laisser indifférent, tant il entre en résonance avec les plaies à vif de notre époque.

    Cette digression sur La nuit du 12 pour vous dire qu’il en va de même pour Dossier 137. C’est moins la résolution de l’enquête que le parcours et le portrait de celle qui mène l’enquête qui présente un intérêt. Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie (Léa Drucker), enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité... Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro, une histoire qui la renvoie à ses racines, et risque d’ébranler ses certitudes. En compétition dans le cadre du Festival de Cannes 2025, ce film se penche sur un cas de bavure policière lors des manifestations des Gilets jaunes. Comme l’enquêtrice de l’IGPN qu’elle interprète dont les certitudes vacillent, le regard de Léa Drucker tremble légèrement, marque un doute et une fragilité à peine perceptibles, si savamment joués. Elle tient bon malgré l’incompréhension de ses anciens collègues face à la voie qu’elle a choisie (elle travaillait auparavant aux stups), à la colère de la famille de la victime (originaire du même endroit qu’elle), à la haine que suscite la police que son propre fils ne cesse de lui rappeler. Ce Dossier 137 n’est pas un dossier comme un autre pour elle. Il sera (peut-être) classé mais quelque chose dans ses convictions aura vacillé. La générosité du personnage de Léa Drucker inonde tout le film, qu’elle prenne soin d’un petit chat égaré qu’elle adopte ou qu’elle essaie d’oublier la réalité en regardant des vidéos de chats. Et quand, en visionnant ces vidéos, son rire soudain enfantin cesse d’un coup, c’est toute son impuissance et sa fragilité que cette femme intègre et combattive a tenté de masquer tant bien que mal qui ressurgissent. Le portrait passionnant d’une femme, d’une policière, et d’une époque en proie aux fractures.

    1. Les Braises de de Thomas Kruithof (mention spéciale du jury des médias et mention spéciale du jury fictions) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    Alors que le cinéma s’était peu emparé de ce sujet jusqu’à présent, ce film est le deuxième de ce festival à se pencher sur le mouvement des gilets jaunes.

    Karine (Virginie Efira) et Jimmy (Arieh Worthalter) forment un couple uni, toujours très amoureux après vingt ans de vie commune et deux enfants. Elle travaille dans une usine ; lui, chauffeur routier, s’acharne à faire grandir sa petite entreprise. Quand surgit le mouvement des Gilets Jaunes, Karine est emportée par la force du collectif, la colère, l’espoir d’un changement. Mais à mesure que son engagement grandit, l’équilibre du couple vacille.  Plus Karine va s’impliquer, plus son couple va se fracturer. La fracture. D’ailleurs, tel pourrait être le titre de ce film (déjà employé par Corsini). La fracture au sein de la famille. Entre Karine et son fils d’un côté, son mari et sa fille de l’autre, qui regarde son engagement avec circonspection. La fracture entre les Gilets jaunes dont fait partie Karine et le gouvernement. La fracture entre ceux qui dirigent avec cynisme (les entreprises qui méprisent Jimmy) et ceux qui travaillent au péril de leur santé et de leur vie. Thomas Kruithof filme les manifestations comme des moments de bonheur et de plénitude (il faut voir comment Karine est métamorphosée lorsqu’elle participe à une manifestation la première fois, son visage s’illumine d’une joie nouvelle), des lieux en lesquels l’entraide, l’écoute et la fraternité règnent. Le film pose (habilement) plus de questions qu’il n’apporte de réponses : jusqu’où doit-on aller par engagement militant ? Faut-il sacrifier sa vie personnelle à ses idéaux ? Virginie Efira est une nouvelle fois parfaite dans ce rôle sobrement interprété de femme généreuse, déterminée, humble, et amoureuse. « Tous deux ont une haute idée de l’amour » a ainsi déclaré le réalisateur lors du débat d’après-film, à propos de ses deux personnages principaux. Et c’est en cela avant tout que le film a bouleversé les festivaliers : l’amour d’un homme pour sa femme qui, pour elle, va ouvrir les yeux, dépasser ses propres peurs et préjugés. Les braises, ce sont celles d'un incendie social qui menace d'enflammer le pays, mais aussi celle d'une passion qui ne s'est jamais réellement éteinte.

    1. Jean Valjean d’Eric Besnard (hors compétition) - Au cinéma le 19 novembre 2025

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    Jean Valjean (Grégory Gadebois) sort du bagne, brisé, rejeté de tous. Errant sans but, il trouve refuge chez un homme d’Église, Monseigneur Bienvenu, (Bernard Campan), sa sœur (Isabelle Carré) et leur servante (Alexandra Lamy). Face à cette main tendue, Jean Valjean vacille et, dans cette nuit suspendue, devra choisir qui il veut devenir. Jean Valjean s’intéresse aux origines du célèbre personnage des Misérables, aux cinquante premières pages du roman d’Hugo qui explique comment Valjean va retrouver son humanité, et la rédemption malgré l’injustice qu’il a subie. En sortant du bagne, Valjean est une bête traquée et sauvage, un homme ébranlé, tiraillé entre le bien et le mal, brisé par dix-neuf ans d’enfermement, habité par la violence et la colère. Le film raconte cette lutte-là, intime et universelle, son cheminement de la noirceur et de la haine vers la lumière et l’amour. La bonté de l’homme d’Église va décontenancer Valjean : Il ne supporte la vie que parce qu'il est certain que le monde est injuste. « Si la bonté existe tout cela n'avait aucun sens », explique ainsi le réalisateur, après la projection. Doit-il prendre cette main tendue ou se laisser happer par son désir de haine et de vengeance ? Comment ne pas être dévoré par le ressentiment et la haine envers une société qui lui a volé sa vie ? L’homme d’Église par sa bonté, le regard qu’il va porter sur lui, va « réduire l’espace entre ce qui est et devrait être », lui « rendre l’innocence ». Le film accumule les contrastes (entre la lumière et la noirceur, entre la tenue rouge du bagnard et la blancheur immaculée) et les symboles et références (paysages bibliques, esthétique inspirée du western). Une adaptation très personnelle qui a un écho dans la société contemporaine, portée par la sublime musique de Christophe Julien qui collabore ici pour la septième fois avec le cinéaste, et la présence imposante, massive et poignante de Grégory Gadebois, mais aussi la douleur d’Isabelle Carré dont la fragilité est finalement un écho à celle du bagnard. La fin, par l’espoir qu’elle incarne, la lueur qu’elle exhale, le lyrisme qu’elle exalte, nous donne envie de croire en ce qu’il y a de plus beau dans l’Homme, sa capacité à changer, à renaître, à se relever, à délaisser la vengeance pour la bonté que Gadebois représente mieux que nul autre acteur n'aurait probablement su le faire.

    1. Deux procureurs de Sergei Loznitsa (compétition fiction) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    L’oublié du palmarès du Festival de La Baule comme il le fut du palmarès cannois (le film était en compétition officielle du dernier Festival de Cannes).

    Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Il se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur-général à Moscou. À l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom. Loznitsa confronte ce procureur idéaliste, tout juste sorti des études, à la tenue parfaite et qui se tient bien droit au sens propre comme au sens figuré, à cet autre procureur qui a trahi les valeurs en lesquelles le premier croit, et qu’il incarne. Un jeune homme épris de justice au regard malicieux (heureux peut-être de jouer un mauvais tour à l’injustice), candide presque, déterminé aussi, qui n’a pas conscience que tant d’innocents croupissent dans les prisons jusqu’à l’arrivée de la fameuse lettre. Les couleurs, ternes, le cadre qui l’enferme, tout est là pour signifier l’oppression. Les décors rappellent ceux de Playtime de Tati et notamment cette marche interminable dans des couloirs labyrinthiques avec un nombre incalculable de portes qui le mènent vers son prisonnier. Symboles de l’absurdité d’un régime inique et intransigeant. Le réalisateur ukrainien  formé à l’institut de cinéma VGIK de Moscou est exilé aujourd’hui à Berlin. Sa dénonciation du totalitarisme, brillante parabole, a évidemment des résonances contemporaines. Ce film s’inspire de la nouvelle éponyme de Georgy Demidov, de 1969. Ce physicien fut arrêté en 1938 durant les grandes purges staliniennes et passa quatorze années au goulag. Ce film compte une des plus brillantes scènes de l’histoire du cinéma. Le procureur revenant d’un voyage lors duquel il a essayé d’alerter les autorités et de leur signaler les injustices dont il a été témoin se retrouve dans un wagon-lit avec deux « ingénieurs » particulièrement affables, qui lui jouent de la musique, partagent une bonne bouteille de vin, semblent prêts à tout pour lui être agréable. Une façade lisse à l’image de celle du régime. L’issue de cette scène, inéluctable, sera glaçante, même si nous n’avions guère de doutes sur les motifs de l’entreprise. La réalisation austère éclaire les ombres du régime avec maestria. L’atmosphère est oppressante et âpre, soulignée par ces plans fixes magistraux d’une rigueur, d’une précision, d’une composition et d’une beauté sombre saisissantes. La tension est constante et présente, dans chaque mot, chaque geste, chaque regard, chaque silence. Le portrait d’un homme qui défie le régime totalitaire, pris dans un engrenage fatal, porté par son souci de justice. Un immense film d’une intelligence rare (contenue dans la perfection de chaque plan).

    1. Les combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka (prix du jury documentaire ex-aequo) - Un film bientôt diffusé sur la chaîne LCP-AN.

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    De justice aussi, forcément, il était question avant tout dans ce documentaire récompensé.

    Dès septembre 1981, alors qu’il vient d’être nommé garde des Sceaux par François Mitterrand, Robert Badinter déploie toutes ses forces pour faire abolir la peine de mort, malgré les vents contraires et au nom d’une France qu’il aime tant qu’il la rêve exemplaire. Mais qui sait que Badinter, ministre, avocat, militant et professeur de droit, amoureux de Victor Hugo en qui il puise son humanisme et une opposition viscérale à la peine de mort, a porté d’autres immenses combats ? Notamment l’abrogation des « lois indignes »  (lois sécuritaires, juridictions d’exception), mais aussi la suppression des articles de loi discriminant les homosexuels, la réduction de la population carcérale, et l’élargissement du droit des victimes. Robert Badinter sera panthéonisé ce 9 octobre 2025, une date symbolique puisqu’il s’agit de la date anniversaire de la promulgation de la loi d'abolition de la peine de mort de 1981, quelques mois après être devenu ministre (en juin). On peut regretter que le documentaire n’explore pas du tout cette loi essentielle qui le fit entrer dans l’Histoire, mais c’est aussi l’intérêt de ce film que de montrer que, en plus de cette avancée historique cruciale à laquelle il œuvra avec tant de courage et d’obstination, Robert Badinter mena bien d’autres combats guidés par  le refus de l’injustice et  de la barbarie dont fut victime le père de cet enfant juif dont les parents furent naturalisés français, un père raflé rue Sainte-Catherine à Lyon, envoyé à Drancy puis à Sobibor. Il s’engagea d’abord  pour l'amélioration des conditions de vie des détenus et l’humanisation des prisons (en autorisant la lumière le soir, en supprimant les uniformes des quartiers de haute sécurité, mais aussi en essayant d'améliorer la situation essentielle des surveillants pénitentiaires, ou encore en œuvrant pour la prise en charge intelligente pour permettre aux détenus de se projeter ), mais aussi pour  l'égalité des homosexuels devant la loi et la dépénalisation de l’homosexualité,  et encore pour honorer la mémoire des victimes de la Seconde guerre mondiale. « Toute ma vie j'ai essayé de combattre l'injustice » dira-t-il ainsi. Le documentaire rappelle également qu’il fut contre la peine de mort contre l'avis de la majorité des Français, et toujours le « défenseur intransigeant des plus faibles », et que « toute forme de discrimination lui est insupportable », raison pour laquelle il se plaçait toujours « du côté des plus vulnérables. » Il dut se battre contre Gaston-Defferre, Ministre de l’Intérieur soutenu par Mitterrand, qui voulait la suppression de sa loi Sécurité et liberté.  Ce documentaire rappelle aussi à quel point cet homme, dont personne (à l’exception de quelques extrémistes) ne remet aujourd’hui en cause l’humanisme et le rôle historique, fut détesté, victime même d’un attentat à son domicile. La seule loi à porter son nom est la Loi Badinter de 1985 consacrée au sort des victimes d’accidents de la route et à leurs conditions d'indemnisation. Parmi ses combats victorieux figure encore la création du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie qui permettra de condamner pour crimes de guerre et crimes contre l'Humanité, mais aussi son combat sans répit pour la mémoire. Il gagne ainsi son procès contre le négationniste Faurisson.  Son histoire personnelle renait en 1983 quand Klaus Barbie va être jugé en France pour crime contre l'Humanité. Badinter fait voter une loi pour la création d’archives audiovisuelles de la justice. Pour la première fois, ce procès historique sera filmé. Il lèvera aussi « le voile de silence, d’oubli » sur les fusillés du Mont Valérien, là où Joseph Esptein fut fusillé en 1944. Ne subsistent que trois photos des exécutions au mont Valérien où 1008 hommes furent fusillés « parce qu'ils étaient juifs, communistes, résistants, opposants au nazisme ». La lettre que Joseph Epstein écrivit à son fils, lue dans le documentaire, est absolument bouleversante. À la naissance, son père l'avait déclaré sous le nom d'un camarade de Résistance. Badinter l’aidera à reprendre le nom de son père : « Mon père est revenu sur la place publique. Je le dois à Robert Badinter. » Ce documentaire brosse le portrait d’un homme qui a mené inlassablement ses combats dont les fondements résident sans doute dans ses « objets » qui « contiennent tout ce qu’il était » dont le scellé de l’abolition de la peine de mort, un modèle de guillotine par le peintre Dürer, deux cuillères rouillées (dont l’une qu’il a ramassée au camp d’Auschwitz), deux pierres provenant du mur du ghetto de Varsovie, un tableau que son père avait acheté représentant un tableau de Juifs pieux et « surtout le décret de naturalisation de son père qui avait été si fier de devenir français »  : « Il a défendu la liberté des Français et tenté de les protéger des fracas de l'Histoire ». Il dira ainsi : « J'ai traversé à toute vitesse l'enfance et l’adolescence pour devenir un adulte, j'étais prêt pour la vie. » Terminons avec cette phrase d’Hugo que Badinter affectionnait, ses combats témoignent de la volonté qu’il mit à être fidèle à cette idée : « On ne peut pas priver une personne de son droit fondamental de devenir meilleur ».

    1. Les Glucksmann, une histoire de famille de Steve Jourdin (prix du public) – Bientôt sur Public Sénat

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    Tout aussi passionnant est le documentaire consacré à trois générations de Glucksmann produit par la société Caméra subjective pour la chaîne Public Sénat.

    De Moscou à Paris, des services secrets soviétiques aux ors de la République française, voici l’incroyable saga des Glucksmann. Un grand-père espion au service de Staline. Un père philosophe, figure des « nouveaux philosophes » et intellectuel médiatique. Un fils, Raphaël, désormais sur le devant de la scène politique et prétendant à l’Élysée en 2027. Espion, philosophe, candidat : le film suit trois générations de Glucksmann. Entre idéologies, trahisons et conquête du pouvoir, Les Glucksmann, une histoire de famille raconte comment une dynastie singulière de militants traverse le siècle. Et si, à travers l’histoire d’une famille, se jouait aussi celle de la France ? Alors que « tous les services de contre-espionnage se sont cassé les dents sur la véritable identité » du grand-père, Ruben, espion soviétique recruté en Palestine, dont la mission, était d’« exporter la révolution bolchevique sur toute la planète », tandis que le fils André était « auteur de livres qui vont bouleverser la vie politique française », son « contemporain capital » selon BHL, Raphaël, quant à lui, aspire aujourd’hui aux plus hautes fonctions de l’Etat français. Ruben. André. Raphaël. Trois générations différentes. Trois engagements à gauche. « L'Histoire d'une famille française pas comme les autres ».  En 1917, Lénine s'empare de la Russie. Beaucoup de Juifs se laissent séduire. Comme Martha et Ruben, les parents d’André. Au début des années 30, Ruben est envoyé en Allemagne. Il se lance dans le trafic d'armes à destination des Républicains espagnols. Officiellement, ses entreprises faisaient du commerce de fourrure. Il est ensuite arrêté en 1940 par le MI5.  Il sera déporté vers le Canada. Sur le chemin, son bateau sera bombardé par une torpille allemande. Le bateau coulera. Cohn-Bendit fait aussi le mea culpa de leur soutien à « tous ces mouvements de libération nationale qui ont terminé en totalitarisme. » Avec La cuisinière et le mangeur d'hommes, en 1972, Glucksmann a mis le doigt sur les atrocités du régime soviétique. Cela marque sa rupture nette et définitive avec la gauche communiste. Le film aborde ensuite la troisième génération, Raphaël, celui avec qui sa mère, Fanfan « a découvert la passion ». La parentalité ne les détourne pas du militantisme. Ils hébergent chez eux des Tchétchènes, des Rwandais… Leur appartement est un lieu bouillonnant de débats et de rencontres dans lequel défile « le tout Paris intellectuel ». Raphaël qui révèle n’avoir appelé ses parents papa et maman qu’à leur mort (leur relation était filiale mais aussi et avant tout d’amitié) est vite intégré à la bande. Ce bon élève d’Henri IV puis de Sciences Po va rapidement rejoindre les combats de ses parents, et notamment le combat de son père contre Poutine qui le conduit à se tourner vers la Géorgie. La mort de son père en 2015 sera pour lui « un immense manque et une immense chance d’avoir été son fils ». Il reconnaît une erreur de son père, l’Irak (décidément les films du festival se répondent). Avec Goupil et Bruckner, ils rejetèrent en effet la position du gouvernement français qui refusait de participer à la guerre et ils appuyèrent l’idée d’une intervention. Après 500000 morts, aucune arme de destruction massive ne fut retrouvée. En avril 2007, lors du meeting de Bercy, André défendra Sarkozy avec passion, se disant très convaincu qu’il doit gagner, Sarkozy étant pour lui « l'homme de l'ouverture, l'homme qui rétablit les Droits de l'Homme ». « Sarkozy a ainsi réussi à lui faire croire qu’il allait se battre contre Poutine pour les Tchétchènes, les Géorgiens, les Ukrainiens » raconte Raphaël qui évoque avec lucidité les « sincérités successives » des hommes politiques. »  Raphaël Glsucksmann est élu au parlement européen en 2019. Le documentaire s’interroge : « Sera-t-il prêt à faire des compromis pour faire triompher ses idées ? Jusqu'où ira-t-il ? ». Cohn-Bendit déclare ainsi avec tendresse : « Je crois qu'en 2027 il n'a aucune chance mais s'il a envie, let's go. » Laissons le mot de la fin à Raphaël Glucksmann : « Je crois que la politique cela reste profondément tragique. »

    1. Masterclass : Politique et fiction et politique-fiction : Quel scénario pour conclure le quinquennat ?

    Avant la clôture, le festival a proposé une passionnante masterclass sur le thème précité, en présence de nombreux intervenants et notamment la Présidente de l’Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, de l’ancienne Ministre de l’Éducation Nationale, présidente du jury des lycéens, Najat Vallaud-Belkacem, et de Michel Field, directeur de la Culture et du Spectacle Vivant à France Télévisions, maître des cérémonies d’ouverture et de clôture du festival.

    Quelques déclarations marquantes et éclairantes extraites de cette masterclass dont vous pourrez aussi retrouver quelques extraits sur mon compte Instagram :

    Yaël Braun-Pivet, à propos de l'Assemblée Nationale : « Cela devient de plus en plus une arène, un ring, un show. On a changé le personnel politique et on a aucune barrière entre le sympathisant, le député. Chaque parole est interchangeable. Des députés qui se transforment en activistes. Plus de distinction entre les rôles de chacun. »

    « En dehors du Promeneur du Champ de Mars, il a fallu attendre 40 ans pour que le personnage politique de Mitterrand devienne un personnage fictionnel ».

    Michel Field : « On vient d'une culture où les écrits sont les vecteurs de la politique. »

    Le Bomin a souligné le recours au vocabulaire cinématographique pour évoquer la politique, pour signifier le réel :  en cas de remaniement on parle de « casting » politique, on évoque aussi une « séquence ».

    Yaël Braun-Pivet : « La réalité dépasse la fiction donc on peut tout imaginer* même le pire. » (*Dans les fictions).


    Concernant une question sur le peu d'appétence des cinéastes français pour célébrer le roman national, Najat Vallaud-Belkacem a répondu que cela était « lié à l’esprit critique mais aussi à la plus grande prudence chez les artistes et scénaristes qui ont le goût de l'exactitude, et a contrario ont du mal à saisir la vie politique. »

    Michel Field : « Cette Assemblée Nationale ressemble plus à la société. »

    Yaël Braun-Pivet : « Le bureau est parfaitement représentatif de la société. , « Plus de 30 textes ont été votés à l'unanimité. », « Le problème est que les gouvernements successifs et l’administration font comme s’ils étaient majoritaires. »

    « La question de survie du film politique est de s'éloigner du film partisan. »

    « Ce qui compte ce n'est pas objectivité du journaliste mais l’honnêteté.»


    Yaël Braun-Pivet : « Il ne faut ne pas se réfugier derrière les institutions pour se dédouaner. Quand cela tangue, les institutions protègent. Cela nécessite d'ajuster les règles pour plus de partage du pouvoir avec parlement, le peuple etc. »

    1. L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier (film de clôture) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    Dans son dernier film, Borgo, Stéphane Demoustier nous racontait l’histoire de Mélissa (Hafsia Herzi), surnommée « Ibiza » par les détenus, surveillante pénitentiaire expérimentée, qui s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. Là, elle intègre les équipes d’un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres dans lequel on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens et non l’inverse ! Si ce film a pour matériau de départ l'histoire vraie d’une surveillante pénitentiaire mise en cause dans le double assassinat de Poretta en 2017, et en particulier des comptes-rendus lus dans la presse, le réalisateur s’est avant tout inspiré du personnage de la surveillante qu’il dépeint ici dans toute sa complexité comme il le fit pour la protagoniste de La fille au bracelet.  Le film sonde l’âme du personnage et son basculement, sa proximité de plus en plus forte avec le monde mafieux, les rapports de force, le glissement progressif dont elle ne semble pas se rendre compte. La minutie de la reconstitution (notamment de la vie de la prison, fortement documentée), la tension constante (entre le racisme dont est victime le mari de Mélissa, et la prison où finalement elle semble mieux accueillie et protégée, avec parmi de nombreuses remarquables scènes celle où les prisonniers, d’une cellule à l’autre, chantent en son honneur, scène lors de laquelle le visage de la surveillante s’illumine, la joie et la fierté l’emportant sur le sérieux qu’imposent ses fonctions), l’interprétation magistrale de Hafsia Herzi mais aussi de tous les seconds rôles judicieusement choisis (notamment de nombreux acteurs insulaires), la musique de Philippe Sarde, le scénario particulièrement audacieux, jouant avec les temporalités et points de vue, en font un film d’une maîtrise impressionnante. À nouveau, avec L’Inconnu de la grande arche (sélection officielle du Festival de Cannes 2025, section Un Certain Regard), Stéphane Demoustier centre son récit sur un personnage ayant réellement existé, Otto von Spreckelsen, architecte danois de 53 ans, et sur des faits réels, en l’occurrence décrits dans le livre de Laurence Cossé, La Grande Arche (2016). François Mitterrand (Michel Fau), Président de la République récemment élu, annonce le nom du vainqueur du concours international d’architecture lancé pour le futur chantier de construction de la Défense. L’heureux gagnant a remporté le concours grâce à son idée de cube géant. Les services présidentiels ne le connaissent pas et n’ont même pas de numéro auquel le joindre. Le film va raconter les obstacles à cette construction, projet de la vie d’un homme (un architecte), et instrument de grandeur d’un Président de la République volontariste. Otto von Spreckelsen (Claes Bang), est accompagné de son épouse Liv (Sidse Babett Knudsen), doit composer avec un jeune conseiller du président (Xavier Dolan) et l’architecte français Paul Andreu (Swann Arlaud) qui va mettre en œuvre le projet. Mais entre les contrariétés administratives, et l’arrivée en 1986 d’un nouveau gouvernement avec un ministre délégué au budget, Alain Juppé, qui souhaite avant tout réaliser des économies, le beau rêve d’Otto tourne au cauchemar. Le chantier, pharaonique, doit être revu à la baisse malgré la détermination orgueilleuse d’Otto.  D’ailleurs, lui ne parle pas de « grande arche » mais de son « cube ». Payé 25 millions de francs, il dépense sans compter, encouragé par le président qui veut à tout prix que son projet voie le jour et soit inauguré pour le Bicentenaire de la Révolution française, n’hésitant pas à payer un grutier 50 000 francs, juste pour qu’une maquette à taille réelle lui donne une idée de la perspective du projet depuis les Champs-Élysées, tarif astronomique qui est la contrepartie à la privation d’un mariage d’un membre de la famille du grutier (totalement inventé par ce dernier). Demoustier reconstitue avec autant de minutie ce chantier phare des années 1980 qu’il avait dépeint avec soin la prison corse de Borgo. La réussite de l’ensemble doit beaucoup au casting : Claes Bang qui interprète l’opiniâtre, présomptueux, tempétueux et parfois exaspérant Otto. Sidse Babett Knudsen, qui joue le rôle de sa femme, prête à le suivre dans tous ses caprices…jusqu’à un certain point, toujours d’une sobriété et d’une justesse remarquables (le film s’inspire notamment des lettres qu’a laissées l’épouse de l’architecte). Michel Fau qui campe un François Mitterrand lui aussi têtu dont l’obstination aveugle frôle aussi le ridicule. Swann Arlaud, toujours impeccable. Xavier Dolan, absolument irrésistible en conseiller pointilleux un peu dépassé par les exigences de l’architecte, et cherchant à les modérer. Derrière les ambitions de chacun, il y a l’argent public dépensé à tout-va pour satisfaire des ambitions, voire caprices(s), et si le film se déroule dans les années 1980, en cela il est aussi intemporel. L’Inconnu de la Grande Arche est un film passionnant sur cet inconnu dont la trajectoire révèle avec une ironie réjouissante les dépenses inconsidérées et les aberrations administratives de l’État français.  Tout cela aboutira à un projet très éloigné de ce à quoi aspirait Otto von Spreckelsen, peu à peu rongé par les désillusions. Et à un film passionnant, parfait pour clore en beauté ce formidable festival.


    PALMARÈS

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    La majeure partie des prix ont été remis par la présidente de l’Assemblée Nationale qui a loué ce festival qui a le mérite de  « rapprocher la chose publique des citoyens ». La présidente du jury des lycéens a, quant à elle, évoqué les vertus d’un « conversation qui n’a pas lieu ailleurs », une « parenthèse enchantée »

    * Prix du jury (attribué par le jury fiction politique)
    The President's Cake de Hasan Hadi
    * Mention spéciale
    Les Braises de Thomas Kruithof

    * Prix des médias (attribué par le jury presse & médias politique)
    The President's Cake de Hasan Hadi
    * Mention spéciale
    Les Braises de Thomas Kruithof

    * Prix du public (attribué par le public du Festival)
    Dossier 137 de Dominik Moll

    Compétition documentaire

    * Prix du jury (attribué par le jury documentaire politique)
    DOUBLE PRIX
    Holding Liat de Brandon Kramer
    &
    Les Combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka

    * Prix des Lycéens (attribué par le jury lycéen politique)
    France, une histoire d'amour de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand
    * Mention spéciale
    Holding Liat de Brandon Kramer

    * Prix du public (attribué par le public du Festival)
    Les Glucksmann, une histoire de famille de Steve Jourdin

    SÉLECTION OFFICIELLE

    Compétition fiction

     La Vague de Sebastián Lelio

    The President’t Cake de Hasan Hadi

    Dossier 137 de Dominik Moll

    Deux procureurs de Sergei Loznitsa

     Les Braises de Thomas Kruithof

    Compétition documentaire

    Holding Liat de Brandon Kramer

     France, une histoire d’amour de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand

    Les Armes secrètes de Poutine de Hugo Van Offel et Martin Boudot

    Les Combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka

     Les Glucksmann, une histoire de famille de Steve Jourdin

    Hors-compétition

    La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa

     Jean Valjean de Éric Besnard

     L’Inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier

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  • FESTIVAL CIAK ! 2025 - Le festival du film italien des Vosges, à Raon l'Étape (21 au 23 novembre)

     

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    Festival CIAK ! 2025 

    1/2 En Sardaigne, à Collinas, les 9 et 10 août 2025

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    « Il n'y a pas de fin. Il n'y a pas de début. Il n'y a que la passion infinie de la vie. » Fellini

    Si, cet été, cette passion infinie de l'existence vous mène jusqu'en Sardaigne, je vous recommande ce festival consacré au film italien de patrimoine.

    L'édition 2025 de CIAK !, qui sera ainsi la troisième édition du festival du film italien de patrimoine, aura lieu du 21 au 23 novembre, à Raon l'Étape, dans les Vosges.

    Pour la première fois, cette année, CIAK ! se déclinera également en Sardaigne, dans le village de Collinas, les 9 et 10 août 2025.

    Au programme : Il Sorpasso (qui signifie "Le Dépassement" / titre français : Le Fanfaron ) de Dino Risi (1962) avec Vittorio Gassman et Jean-Louis Trintignant, et Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto (Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été) de Lina Wertmüller (1971), avec Giancarlo Giannini.


    Ces séances seront présentées par Laurent Galinon, directeur artistique et programmateur du festival.

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    Je ne peux m'empêcher d'évoquer brièvement Le Fanfaron. Voici donc juste quelques mots dictés par mes souvenirs imprécis pour vous inciter à le découvrir dans le cadre de ce festival : ce long métrage est un petit bijou de Dino Risi, sommet de la comédie italienne des années 60, qui a pour coscénaristes Ruggero Maccari et un certain…Ettore Scola. Un trajet de Rome à Viareggio dans la Lancia Aurelia B24 d’un séducteur désinvolte, volubile et exubérant (Vittorio Gassman) avec un étudiant en droit studieux, timide et complexé (Jean-Louis Trintignant) dont il a fait la connaissance le matin même. Deux caractères (le libertaire et le conservateur), deux visages de la société italienne. Ensemble, à vive allure, ils vont vivre deux journées trépidantes de Rome à Viareggio... : le soleil du 15 août, l’insouciance contagieuse, la vie à 100 à l’heure. Un tourbillon de légèreté et de vitalité, non dénué de nostalgie et de mélancolie : « L’âge le plus beau, c’est celui qu’on a jour après jour, jusqu’à ce qu’on crève bien sûr. » Un instantané de la société italienne en plein boom économique et en pleine mutation. Un film dans lequel Catherine Spaak tient l’un de ses premiers rôles importants. Un road-trip étourdissant que Dennis Hopper et Peter Fonda reverront de nombreuses fois pour Easy Rider. Un film à la frontière des époques du cinéma transalpin (le néo-réalisme n’est pas si loin), entêtant comme un mélodie italienne populaire, faussement légère, comme la vie qu’il célèbre et donne envie d’enlacer : drôle et funeste.

    L'édition 2024 de CIAK ! à Raon-l'Étape fut consacrée aux grandes actrices italiennes.

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    Ce festival a été fondé par Laurent Galinon, auteur (notamment du livre Alain Delon en clair-obscur) et réalisateur (notamment du documentaire Delon/Melville, la solitude de deux Samouraïs), deux œuvres que je vous avais vivement recommandées ici, et que je vous conseille de nouveau de découvrir (suivez les liens pour en savoir plus).

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    2/2 Dans les Vosges, à Raon l'Étape, du 21 au 23 novembre 2025

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    L'édition 2025 à Raon l'Étape aura lieu du 21 au 23 novembre et aura pour thématique les "Comédiens à l'italienne" : Vittorio Gassman, Marcello Mastrioanni, Ugo Tognazzi, Vittorio De Sica, Alberto Sordi, avec les projections des films suivants :

    - Le Fanfaron de Dino Risi - 1h45 - 1962 - Le vendredi 21 novembre à 20h

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    - Divorce à l'italienne de Pietro Germi - 1h45 - 1961 - Le samedi 22 novembre à 21h

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    - Le Lit conjugal de Marco Ferreri - 1h30 - 1963 - Le dimanche 23 novembre à 10h

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    - L'Or de Naples de Vittorio de Sica - 2h11 - 1954 - Le samedi 22 novembre à 17h30

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    - Les Nouveaux monstres de E.Scola, D. Risi, M.Monicelli - 1h55 - 1977 - le dimanche 23 novembre à 15h

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    En présence de Jean Gili, historien du cinéma italien, qui donnera une conférence d'1h45 sur "Les grands acteurs italiens", suivie d'une dédicace, à la Médiathèque La Boussole à Saint-Dié, le samedi 22 novembre à 14h30.

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    La Halle aux Blés de Raon l'Étape
    Séance : 5 euros
    Pass festival : 20 euros


    Enfin, pour en savoir plus sur cet évènement : rendez-vous sur le compte Instagram de CIAK !  et sur sa page Facebook.

  • Critique de DALLOWAY de Yann Gozlan (Séance de Minuit – Festival de Cannes 2025)

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    Clarissa (Cécile de France), romancière en mal d’inspiration, rejoint une résidence d’artistes luxueuse à la pointe de la technologie, à l’abri de la chaleur caniculaire et de la pandémie qui sévissent à l’extérieur dans un Paris futuriste et pourtant familier. Elle trouve en son assistante virtuelle, incarnée par la voix envoûtante de Mylène Farmer et nommée Dalloway comme l’héroïne de Virginia Woolf, un soutien et même une confidente qui l’aide à écrire son nouveau roman justement consacré à l’écrivaine britannique. Mais peu à peu, Clarissa éprouve un malaise face au comportement de plus en plus intrusif de son IA, renforcé par les avertissements d’un autre résident, Mathias Nielsen (Lars Mikkelsen). Se sentant alors surveillée par cette domotique omnisciente, Clarissa se lance secrètement dans une enquête pour découvrir les réelles intentions de ses hôtes. S’agit-il alors d’une menace réelle ou cette dernière, éprouvée par le suicide de son fils, est-elle en plein délire paranoïaque ?

    Le film commence par des images paisibles de la mer, portées par le bruit rassurant des vagues. Ce tableau idyllique disparaît pour laisser place à une chambre, celle de Clarissa. Ce sentiment de quiétude n’était qu’une illusion. Projetée par l’IA. Clarissa se lève, échange avec Dalloway sur la température du jour. Dans la salle de bain, un miroir affiche les résultats de ses tests de santé quotidiens analysés par Dalloway. La journée peut commencer, entièrement régenté par Dalloway qui fait bouillir l’eau, trie les emails, impose sa voix et sa voie. Dalloway est omniprésente et toute puissante. Elle contrôle tout, la température de l’air, la santé de l’artiste, la fermeture de la porte. Elle distille quelques idées à Clarissa pour son roman, lui pose des questions bienveillantes qui se transforment insidieusement en interrogations intrusives.

    Lorsque le roman dont le film est l’adaptation a été écrit, l’Intelligence Artificielle n’était encore qu’une abstraction. Elle s’empare aujourd’hui de toutes les sphères de la société, au point de rendre obsolètes certaines professions. Dalloway est l’adaptation du roman d’anticipation de Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’ombre, publié en 2020. Le contexte de la crise sanitaire qui n’était pas présent dans le roman a été ajouté par les scénaristes (Yann Gozlan, Nicolas Bouvet, en collaboration avec Thomas Kruithof).

    La résidence apparaît donc de prime abord comme un cocon protecteur, et Dalloway comme une présence rassurante. La chambre si confortable de Clarissa et la résidence prestigieuse se transforment peu à peu en univers menaçant et carcéral. Le film brosse le portrait d’un monde, le nôtre déjà, dans lequel des images et des informations nous sollicitent en permanence, et dispersent notre attention. En même temps que Dalloway lui lit la lettre d’une lectrice qui souhaite la rencontrer, Clarissa lui demande l’avis des téléspectateurs sur le fim qu’elle va regarder, zappe d’un film à l’autre, s’intéressant sommairement à la lettre comme aux films. Comme dans la société contemporaine, l’attention est constamment sollicitée. L’émotion est tenue à distance. Une émotion que l’écriture permet de recréer, de cristalliser, de verbaliser.

    Ce film est aussi captivant pour les questions qu’il pose sur les conséquences de l’Intelligence Artificielle que sur l’acte d’écrire. Qu’est-ce qui nourrit l’écriture ? C’est ici la culpabilité et les émotions qui la submergent qui font naitre le récit de Clarissa mais qui vont provoquer une autre culpabilité, et surtout une dépendance. Quand la fuite par l’écriture n’existe plus, quelle issue reste-t-il ? Quelle fenêtre sur l’ailleurs ou quelle introspection trouver encore ? Isolée de son entourage, Clarissa voit en l’IA l’attention que ses proches ne lui accordent pas, à ses risques et périls. Même sa montre connectée est fournie par la résidence pour surveiller ses moindres déplacements. Des capteurs de mouvements sont installés dans son appartement, enregistrant peut-être plus que les simples gestes. Mathias en est d’ailleurs certain : ces capteurs servent à les surveiller et l’IA va s’emparer des émotions des artistes pour se perfectionner, et les remplacer.

    Cette histoire qui aurait semblé invraisemblable il y a cinq ans nous paraît désormais effroyablement plausible. Même ce Paris écrasé de chaleur, aseptisé et fantomatique, où tout est surveillé (des drones observent et suivent les passants), contrôlé (la santé est vérifiée à l’entrée du métro, des chiens robots reniflent les passagers) ne nous est pas totalement étranger.

    La voix, mystérieuse, chaleureuse, et ensorcelante de Mylène Farmer forge la personnalité de l’IA, d’une étrangeté douce et autoritaire. Récemment, elle était déjà la voix (off) d’un autre film, Bambi de Michel Fessler, dans lequel elle était une voix ensorcelante d’une présence discrète qui ne force pas l’émotion mais ajoute subtilement une dimension poétique, parfois philosophique.

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    « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du Samouraï si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle… Peut-être… ». Cette citation qui figure en ouverture du film de Melville pourrait s’appliquer à tous les films de Yann Gozlan qui ont en commun d’ausculter la solitude portée à son paroxysme.

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    Ainsi, dans Boîte noire, Pierre Niney incarnait Mathieu Vasseur, un technicien au BEA, autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile, personnage en apparence aux antipodes d’un autre Mathieu, celui que l’acteur incarnait dans Un homme idéal, sa précédente collaboration avec Yann Gozlan, l’un paraissant aussi sombre que l’autre semblait solaire. Comme dans Un homme idéal néanmoins, et comme dans Dalloway avec Clarissa, se dessine peu à peu le portrait d’un personnage face à ses contradictions, ses failles, ses rêves brisés, qui veut tout contrôler et qui perd progressivement le contact avec la réalité. Dans les deux films, comme dans Dalloway, la réalisation de Yann Gozlan enserre le protagoniste pour souligner son enfermement mental. Déjà dans Un homme idéal, les brillantes références étaient savamment intégrées :  Plein soleil, Match point, La Piscine, Tess, Hitchcock pour l’atmosphère (ce qui est à nouveau le cas dans Dalloway), Chabrol pour l’auscultation impitoyable de la bourgeoisie. La mise en scène était déjà précise, signifiante et le scénario, terriblement efficace, allait à l’essentiel, ne nous laissant pas le temps de réfléchir, le spectateur ayant alors la sensation d’être claquemuré dans le même étau inextricable que Mathieu, aux frontières de la folie.  Il en va de même, là encore, pour Clarissa dans Dalloway.

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    Dans Un homme idéal, cet autre Mathieu a 25 ans et travaille comme déménageur. 25 ans, l’âge, encore, de tous les possibles. L’âge de croire à une carrière d’auteur reconnu. Malgré tous ses efforts, Mathieu n’a pourtant jamais réussi à être édité. C’est lors de l’un de ces déménagements qu’il tombe par hasard sur le manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de décéder. Jusqu’où peut-on aller pour réussir à une époque où celle-ci se doit d’être éclatante, instagramée, twittée, facebookée ? Pour Mathieu : au-delà des frontières de la légalité et de la morale, sans aucun doute…

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    Les films s’évertuent souvent à nous montrer à quel point la création, en particulier littéraire, est un acte jubilatoire et un symbole de réussite (nombreux sont les films à se terminer par l’envol d’un personnage qui, de mésestimé, voire méprisé, devient estimable et célèbre en publiant son premier roman), ce qu’elle est (aussi), mais ce film montre que cela peut également constituer une terrible souffrance, comme elle l’est pour Clarissa qui a choisi d’écrire sur une écrivaine qui s’est suicidée, après le suicide de son propre fils.

    Le talent qu’il n’a pas pour écrire, Mathieu l’a pour mettre en scène ses mensonges, se réinventant constamment, sa vie devenant une métaphore de l’écriture. N’est-elle pas ainsi avant tout un arrangement avec la réalité, un pillage ? De la vie des autres, de soi-même. Elle l’est aussi dans Dalloway puisque Clarissa va puiser dans les émotions de son fils pour écrire…tout comme l’IA va se nourrir des émotions de l’écrivaine.

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    En 2014, le quatrième long métrage de Spike Jonze, Her, nous embarquait dans les réjouissants méandres d’un imaginaire débridé, celui du cinéaste et de son personnage, et nous interrogeait aussi sur les dangers de l’Intelligence Artificielle. Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), écrivain public des temps modernes est inconsolable après une rupture difficile, en effet en instance de divorce avec sa femme Catherine (Rooney Mara), vit seul dans un appartement sans âme. Il fait alors l'acquisition d'un programme informatique ultramoderne, capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il répond à de brèves questions, choisit une voix féminine et fait la connaissance de Samantha (Scarlett Johansson), une voix féminine intelligente, intuitive et dotée d’humour et même d’ironie. Peu à peu, l’impensable va survenir : l’homme et la machine vont tomber amoureux…A l’image de l’affiche, c’est avant tout l’histoire d’un homme seul face à nous, miroir de nos solitudes modernes, et surtout face à lui-même, et dont le métier consiste à envoyer des lettres pour et à des inconnus avant de retrouver son appartement glacial donnant sur les lignes verticales et froides de la ville, avec l’hologramme d’un jeu vidéo pour seule compagnie. Dans la première scène, il dit des mots d’amour face caméra. Puis, nous découvrons qu’il est en réalité sur son lieu de travail, seul face à un ordinateur. Comme une prémonition. Dans cette ville intemporelle et universelle (Spike Jonze a tourné à Shangaï et Los Angeles) se croisent des êtres qui vivent dans leur bulle imaginaire, soliloquant, emmurés dans leurs solitudes comme ils le sont dans cette ville tentaculaire. La technologie froide et déshumanisée va s’humaniser pour devenir l’âme sœur au sens propre, un amour désincarné, cristallisé. Le vrai bonheur semble dans l’ailleurs, l’insaisissable, l’imaginaire, ou alors le passé, cette « histoire qu’on se raconte » et la forme et le fond se répondent intelligemment puisque le passé idéalisé est ici raconté par des flashbacks silencieux auréolés de lumière. Scarlett Johansson réussit le pari de donner corps à cette voix (elle  a même remporté le Prix d'Interprétation Féminine au 8ème Festival International du Film de Rome, en novembre 2013) et de faire exister ce personnage invisible. Un film à la fois salutaire, parce qu’il montre le redoutable et magique pouvoir de l’imaginaire et fait appel à celui du spectateur (par exemple pendant la scène d’amour, seul demeure un écran noir), et terrifiant en ce qu’il nous montre un univers d’une tristesse infinie avec ces êtres « lost in translation » prêts à tout pour ressentir la chaleur rougeoyante d’un amour fou, sublimé, un univers pas si éloigné du nôtre ou de ce qu’il pourrait devenir.

    Cette crainte exprimée dans Her est devenue réalité puisque des cas de personnes tombées amoureuses de leur IA ont déjà été diagnostiqués. Le monde où tout, y compris les émotions, serait régi par l’IA, et qui fabriquerait de l’art à la demande, n’est pas celui de demain mais celui d’aujourd’hui. Cela rend ce film encore plus passionnant et glaçant. Cette Clarissa, peu à peu dépossédée de ses émotions, d’elle-même, qui s’étiole tandis que l’IA au contraire se nourrit et grandit, pourrait exister. L’identification est renforcée par les focales très courtes auxquelles recourt le réalisateur. Et par le jeu de Cécile de France, dans un rôle très éloigné des personnages mémorables qu’elle a incarnés dans Un Secret ou Quand j’étais chanteur ou même des rôles plus « physiques » comme celui de Möbius d’Éric Rochant (remarquable thriller, que je vous recommande), apporte un supplément d’âme, une intensité et une ambivalence qui rendent le délire paranoïaque et l’emprise aussi crédibles l’un que l’autre.

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    Pour le personnage d’Anne Dewinter, qui dirige la résidence, Anna Mouglalis, apporte magnétisme, autorité et mystère. Frédéric Pierrot, qui porte toujours si bien son nom, jouant souvent des personnages lunaires, amène quant à lui sa force tranquille à ce personnage bienveillant de l’ancien mari. 

    La musique de Philippe Rombi accroît le sentiment d’angoisse latente et la paranoïa, avec des notes sombres et minimalistes, mélangeant sons électroniques et cordes acoustiques.

    Un thriller d’anticipation terrifiant en ce qu’il nous parle d’un monde qui nous est familier, et passionnant en ce qu’il interroge ce qui distingue l’homme de la machine, mais aussi le devenir de l’émotion et de la création, dans cet environnement de plus en plus robotisé qui tente de les maîtriser, et qui les tient de plus en plus à distance de ce qui en constitue l’essence : la sincérité et la singularité. Une fois de plus, fortement inspiré par les films noirs et leur indissociable fatalité inexorable et implacable, en explorant les failles de la solitude, et en nous plongeant dans ses abysses, Yann Gozlan m’a captivée. Son prochain film intitulé Gourou racontera ainsi « l’ascension d’un gourou du développement personnel qui va se révéler une personnalité toxique », un thriller dans lequel Pierre Niney tiendra le rôle principal. En attendant ce film que je ne manquerai pas d’aller voir (au cinéma le 28 janvier 2026), je vous recommande de vous laisser charmer par Dalloway sans rien perdre de votre libre-arbitre et de la distance nécessaire que ce film nous invite habilement à questionner dans une société dans laquelle l'Intelligence Artificielle tient une place grandissante.

  • Ouverture du Festival Cinéma à la folie – Critique LES RÊVEURS d’Isabelle Carré

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    Ce mardi 23 septembre, au Cinéma du Panthéon, avait lieu le lancement du festival « Cinéma à la Folie, nouveaux regards sur la santé mentale », avec la projection de la première réalisation de la comédienne et romancière Isabelle Carré, marraine de cet évènement dont Nicolas Philibert est également le parrain.

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    La présence d’Isabelle Carré dans un film est toujours pour moi une raison de le découvrir, tant elle excelle dans ses rôles qu'elle choisit toujours astucieusement, de l’Angélique (si bien nommée) des Émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris, film dans lequel elle parvient à nous faire rire avec les fragilités attendrissantes de son personnage sans que jamais cela soit aux dépends de ce dernier, à la Claire (si bien nommée, aussi) du film Entre ses mains d’Anne Fontaine, fascinée et effrayée, blonde hitchcockienne dans l’obscurité tentatrice et menaçante, tentée et menacée, guidée par une irrépressible attirance pour cet homme meurtri, peut-être meurtrier, incarné par Benoît Poelvoorde. C’est cela qui la distingue, l’empathie qu’elle éprouve pour ses personnages, qu’elle transmet dans son jeu si nuancé, la grâce inconsciente, la délicatesse intense, une force fébrile, une douleur contenue et une douceur puissante. Il faudrait aussi vous parler de son personnage dans Se souvenir des belles choses, et de tant d’autres…

    Le but, louable, de ce festival est de « déstigmatiser la maladie mentale », déclarée cette année cause nationale. Le festival propose six fictions et six documentaires dans huit villes françaises de taille moyenne avec pour objectif de « faire du cinéma un moteur de dialogue autour de ce sujet » sachant qu’« une personne sur trois sera concernée au cours de sa vie par la maladie psychique qui ne se résume pas à la folie, à la violence, à la faiblesse. » Ces films aspirent ainsi à déplacer les stéréotypes. Les organisateurs souhaitent en effet lever les tabous et les clichés encore trop nombreux sur les troubles psychiques. Le festival « Cinéma à la folie, nouveaux regards sur la santé mentale » a été créé avec le soutien de la Fondation Erié et en partenariat avec le Fipadoc, le Festival La Rochelle Cinéma (Fema) et l’Alliance pour la Santé Mentale. Le festival sillonnera la France tout au long du mois d’octobre en passant par Boulogne-sur-Mer, Clermont-Ferrand, La Rochelle, Orléans, Nancy, Nantes, Nîmes et Pau. Des récits inspirants et porteurs d’espoir qui montrent que le rétablissement est possible et qu’avec le bon accompagnement, chacun peut retrouver confiance et qualité de vie. Pour garantir l’inclusivité et l’ouverture à tous, les projections seront accessibles gratuitement avec une séance par ville réservée aux scolaires pour sensibiliser les plus jeunes. Chaque projection sera suivie d’un débat réunissant équipes de films, experts, pairs aidants, associations locales et public afin de mettre des mots sur les maux, de libérer la parole et de valoriser l’expérience vécue. L’ambition du festival est claire : favoriser la compréhension, le soutien et l’accès aux soins, et faire progresser la société vers une plus grande acceptation et une meilleure inclusion.

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    « Un film peut vous sauver une soirée mais peut aussi vous sauver la vie » a déclaré Isabelle Carré avant la projection de son film. Je le crois aussi profondément. Elle a réalisé ce film pour dire « réveillons-nous » face à l’urgence de s’emparer de ce sujet de la santé mentale, en particulier chez les jeunes.

    Dans le dossier de presse de son film, mais aussi lors de l’avant-première, Isabelle Carré a tenu à rappeler que « l’institution a évolué, on sait mieux faire aujourd’hui, mais pas partout. Certaines régions sont totalement dépourvues de pédopsychiatres (il n’en existe que cinq cents en France !), des régions entières sont même dépourvues de lieux de soins. Comment expliquer l’abandon d’une société qui laisse des jeunes en détresse, sans aucun recours possible ? J’ai aussi conçu ce film comme un outil pour dénoncer cet état de fait. Qu’est-ce qu’une société qui néglige l’enfance à ce point ? Il me semble que la fiction a le pouvoir de créer une identification et de dessiner un chemin plus doux pour partager des choses intimes, et faciliter le débat. »

    Dans cette adaptation de son troisième roman, éponyme, Les Rêveurs, publié chez Grasset en 2018, Isabelle Carré incarne une comédienne, Élisabeth. Cette dernière anime des ateliers d’écriture à l’hôpital Necker avec des adolescents en grande détresse psychologique. À leur contact, elle replonge dans sa propre histoire : son internement à 14 ans (Elisabeth, à cet âge, est jouée par Tessa Dumont Janod), dans les années 70, dans une famille de rêveurs (son père Jacques - Pablo Pauly -, sa mère Alice - Judith Chemla -, et son frère) un peu à part, cherchant eux aussi la lumière, et leur parcelle d’ailleurs. Peu à peu, les souvenirs refont surface. Et avec eux, la découverte du théâtre, qui un jour l’a sauvée.

    Isabelle Carré raconte que Marie Rose Moro lui a ouvert les portes de La Maison de Solenn et lui a ainsi permis d’animer un atelier d’écriture dont elle s’est inspirée pour son film dont elle a coécrit le scénario avec Agnès de Sacy.

    Cela commence dans l’appartement familial. Les murs sont rouges (tels ceux de l’appartement d’enfance d’Isabelle Carré). La petite fille tente de retenir ses parents sur le point de sortir pour passer la soirée à l’extérieur, la laissant seule avec son frère. Elle s’accroche désespérément à sa mère. Mais ils les « abandonnent », malgré tout. La voix de Dalida résonne. Un art déjà pour édulcorer la réalité.  Le père, lui aussi, semble fuir constamment. Il dessine des robes pour Cardin. La mère s’enferme dans le refus de manger (ou si peu) et sa mélancolie. Elisabeth se réfugie dans la fantaisie, la musique, le dessin, les allers et retours dans le couloir de l’appartement qu’elle sillonne à rollers. Parfois, aussi, ses rêveries font prendre vie à des oiseaux dessinés qui s’envolent. Pour Elisabeth tout cela (sa famille) sonne faux. Alors, elle se laisse bercer par une histoire d’amour à laquelle elle a envie de croire, avec un copain de son frère qui n’avait d’autre envie que de jouer avec elle, et de parier sur sa naïveté. Elle tente de se suicider, et se retrouve à l’hôpital dans un service de psychiatrie pédiatrique, où elle va rester plusieurs semaines.

    Comme l’a expliqué la réalisatrice, même si l’épisode qu’elle relate dans ce film ne correspond qu’à une courte partie du roman, elle tenait à conserver le titre car « cet internement est le cœur du livre, ce qui m’a fondée ».

    Ce film évoque un sujet âpre avec beaucoup de douceur et d’empathie. Il s’empare de la rêverie comme échappatoire à la douleur.  C’est ici un refuge qui permet de fuir la réalité, de se créer un monde meilleur, de dessiner un avenir dans lequel l’art permettra de l’exorciser. Alors, Elisabeth rêve. En regardant la tour Montparnasse de la fenêtre condamnée de sa chambre d’hôpital. Les petits carrés de lueurs sur la tour sont autant de lucarnes sur des vies plus douces, imaginées. Mais la vraie fenêtre qui s’ouvre pour elle, c’est celle qui lui donne à voir la découverte du film Une femme à sa fenêtre de Pierre Granier-Deferre à l’hôpital, l’émotion de Romy Schneider et cette phrase : « préférer les risques de la vie aux fausses certitudes de la mort ».

    À la fin du film des chiffres, glaçants, nous sont rappelés : « 246, c'est le pourcentage de hausse du nombre de jeunes filles entre 10 et 14 ans hospitalisées en psychiatrie depuis quinze ans, pour la plupart pour tentative de suicide. Un jeune sur deux ne peut pas être suivi par manque de moyen et de place ».

    Ce film nous rappelle ainsi à quel point l’art peut sauver, mais aussi que les douleurs tues peuvent assassiner des vies, aussi jeunes soient-elles. Chaque enfant qu’Elisabeth côtoie à l’hôpital traîne son propre mal-être, ses symptômes, ses cicatrices plus ou moins visibles. La réalisatrice fait exister chacun, donne une voix à leurs maux. Parmi eux, Isker (Mélissa Boros). Isker et ses poignets bandés pour cacher ses entailles. Isker et son teint cadavérique, comme si elle était un personnage irréel forgé par l’imaginaire d’Elisabeth. Isker contre laquelle elle se blottit.

    Isabelle Carré est « pair-aidant ».  Elle parle d’une situation qu’elle a vécue adolescente. Elle en connaît les difficultés, la solitude, et sait ce qui peut redonner de l’espoir. Nous connaissons aujourd’hui davantage les remèdes à la souffrance morale des enfants et adolescents, trop longtemps ignorée ou méprisée, et n’étant pas prise en compte et en charge comme elle devait et doit l’être : moins les médicaments que l’art-thérapie, la créativité, ou le théâtre dans le cas d’Elisabeth, ou la musique (pour son frère et les enfants de l’atelier). L’art sauve, permet de transformer la douleur en beauté. Elisabeth écrit, rêve, voit dans le théâtre une porte d’évasion. Plus tard, sa professeure de théâtre (incarnée par Nicole Garcia qui, en quelques plans, impose sa gravité souriante et rassurante), lui donne Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, le premier texte qu’Isabelle Carré avait joué en entrant dans ce cours de théâtre qui la sauva, qu’elle retrouva quelques années plus tard, et qui lui valut un Molière. Être « else », être l’autre, pour se retrouver.

    Judith Chemla, sa force et sa fragilité entremêlées, incarne avec beaucoup de subtilité la mère qui ne sait pas vraiment quoi faire de cette mélancolie qu’elle traîne constamment, comme de cette enfant dont on voit pourtant qu’elle l’aime profondément. Et puis surtout la vraie découverte (même si tout le casting est judicieusement choisi) : la jeune Tessa Dumont Janod qui joue Elisabeth enfant, en décalage, sombre et rêveuse, butée et perdue, déterminée à fuir la vie dans la mort puis à l’embrasser dans le théâtre. Sa présence d’une intensité douce et fragile, d’une grâce qui s’ignore, rappelle celle d’Isabelle Carré.

    Les décors signés Nicolas de Boiscuillé et la lumière de la cheffe-opératrice Irina Lubtchansky, épousent l’évolution psychique d’Elisabeth. Les couleurs d’abord pâles et ternes à l’hôpital (contrastant avec celles du début, rouges et pailletées, dans l’appartement) reviennent progressivement, avec le goût de la vie, et comme lui, prennent de l’intensité et de la consistance. L’univers fantomatique, insaisissable et claustrophobique reprend peu à peu forme, les sons même deviennent plus présents. La réalisatrice recourt aussi à de judicieux hors-champs pour nous laisser deviner la violence à l’hôpital, comme s’il s’agissait d’un cauchemar. Lorsque Élisabeth quitte l’hôpital, les bruits urbains sont amplifiés, très agressifs. Benoit Carré, membre du groupe Lilicub, signe la musique dont les notes de pianos accompagnent la solitude du personnage, et Isabelle Carré pose sa douce voix sur La Symphonie des éclairs de de Zaho de Sagazan dans le générique de fin, comme une ultime preuve que la fragilité peut se muer et se sublimer en force créatrice.

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    Après la projection de ce drame (largement) autobiographique bouleversant, qui nous a conduit de l’ombre vers la lumière, des douleurs étouffées aux couleurs retrouvées, un cocktail était offert aux invités à l’étage du Cinéma du Panthéon. Comme pour Elisabeth à sa sortie de l’hôpital, il m’était difficile de retrouver les bruits, la lumière, la vie, après cette traversée poignante du cauchemar vers le rêve, ou son espoir. Je repensais à cette très belle scène dans la voiture. Elisabeth et son frère, devenus adultes, évoquent les secrets de leur père, la raison pour laquelle tout sonnait si faux, et son bonheur trouvé. L’habitacle est à l’image de la salle de cinéma : un espace protégé et calfeutré qui permet de donner la parole, d’ouvrir le débat, d’accepter les fêlures, de laisser les émotions nous submerger, parfois même de nous réconcilier avec la vie. Les mots ce soir-là m’ont manqué. J’aurais aimé dire à Isabelle Carré, que j’ai évitée à la sortie du cocktail, cela, simplement : merci. Merci pour la sensibilité avec laquelle elle traite ce sujet délicat, avec tout le souci de l’autre qui la caractérise. Merci pour ce beau film (dont on oublierait presque que c’est une première œuvre) émaillé de rêveries poétiques et musicales que, vous l’aurez compris, je vous recommande vivement. Une ode aux rêves comme pansement sur les balafres à l’âme. Un film qui donne aux enfants et adolescents (et adultes qui portent en eux ces plaies du passé) le droit à l’expression de leurs différences, de leurs fragilités, et de les transformer en forces. Je suis sortie du cinéma : une pluie lacrymale et intrépide inondait Paris, et mes joues. Je l’ai affrontée, le sourire aux lèvres, imaginant que tels les oiseaux dessinés du film qui s’envolent, elle se transformait en goutte d’étoiles ou de diamants éclairant ma route vers des jours plus ensoleillés, comme on imagine celle d'Elisabeth après sa découverte du théâtre.

    Au cinéma le 12 novembre 2025

    Retrouvez toutes les informations sur le festival sur www.cinema-a-la-folie.fr.

  • Critique de UN SIMPLE ACCIDENT de Jafar Panahi – Prix de la Citoyenneté et Palme d’or du 78ème Festival de Cannes

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    Ce Festival de Cannes 2025 s’est achevé pour moi comme il avait débuté, par une histoire de son, en l’espèce le film en compétition The History of sound de Oliver Hermanus. Des sons qui viennent débusquer la nostalgie nichée au fond de nos cœurs. Un note finale implacable qui justifie la partition antérieure, tout en retenue. Celle d’une rencontre vibrante qui influe sur la mélodie d’une vie entière. L’art rend les étreintes éternelles : l’affiche de ce 78ème Festival de Cannes le suggérait déjà magnifiquement. Ce Festival de Cannes 2025 s’est terminé pour moi par un autre son, glaçant, celui qui accompagnait le dernier plan du film de Jafar Panahi qui me hantera longtemps comme ce fut le cas avec cette rose sur le capot dans le chef-d’œuvre qu’est Taxi Téhéran.

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    En février 2010, le pouvoir islamique avait interdit à Jafar Panahi de se rendre à la Berlinale dont il était l'invité d'honneur. Cette interdiction était intervenue après sa participation à des manifestations après la victoire controversée d'Ahmadinejad en 2009. Il avait ensuite été arrêté, le 1er mars 2010, puis retenu dans la prison d'Evin. Lors du Festival de Cannes, une journaliste iranienne avait révélé qu’il avait commencé une grève de la faim pour protester contre les mauvais traitements subis en prison. Comment ne pas se souvenir de la pancarte tenue par Juliette Binoche et de son siège vide de membre du jury cannois en 2010 ? Il fut libéré sous caution le 25 mai 2010, ce qui l’empêcha de venir défendre L’Accordéon sélectionné à la Mostra en 2010 et, en décembre de la même année, il fut condamné à six ans de prison et il lui fut interdit de réaliser des films et de quitter le pays pendant vingt ans. En février 2011, il fut tout de même membre du jury à titre honorifique à la Berlinale. En octobre 2011, sa condamnation a été confirmée en appel.

    Après le Lion d'or à la Mostra de Venise en 2000 pour Le Cercle, l'Ours d'or à la Berlinale en 2015 pour Taxi Téhéran, l’Ours d’argent pour Closed Curtain en 2013, Jafar Panahi vient donc de recevoir la Palme d'or du Festival de Cannes 2025 pour Un Simple accident, des mains de la présidente du jury (ironie magnifique de l’histoire), Juliette Binoche…, après avoir (notamment !) déjà remporté la Caméra d’or au Festival de Cannes 1995 pour Le Ballon blanc, le Prix du jury Un Certain regard en 2003 pour Sang et or,  le Prix du scénario au Festival de Cannes en 2018 pour Trois Visages et le prix spécial du jury de la Mostra de Venise en 2022 pour Aucun ours.

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    Pour Taxi Téhéran, filmer dans un taxi avait été un véritable défi technique. Trois caméras étaient ainsi dissimulées dans le véhicule. Jafar Panahi avait par ailleurs tout géré seul : le cadre, le son, le jeu des acteurs et donc le sien, tout en conduisant !  Cette fois, pour la première fois depuis vingt ans, il n’apparaît pas à l’écran.

    On se souvient du début de Taxi Téhéran. Un plan fixe : la ville de Téhéran grouillante de monde et de vie, vue à travers la vitre avant d’un taxi dont on perçoit juste le capot jaune. Le chauffeur reste hors-champ tandis que la conversation s’engage entre les deux occupants du taxi qui ne se connaissaient pas avant qu’ils ne montent l’un après l’autre dans le véhicule. L’homme fait l’éloge de la peine de mort après avoir raconté une anecdote sur un voleur de roues de voiture. « Si j’étais à la tête du pays, je le pendrais » déclare-t-il ainsi. La femme, une institutrice, lui rappelle que l’Iran détient le triste record mondial d’exécutions après la Chine. Avant de partir, l’homme révèle son métier : voleur à la tire. Ce premier tableau permet un début d’esquisse de la société iranienne mais aussi de planter le décor et d’installer le ton, à la fois grave et burlesque. Le décor est l’espace feutré du taxi qui devient un lieu de liberté dans lequel se révèlent les incongruités suscitées par l’absurdité des lois et interdictions en vigueur. L’ingéniosité du dispositif (qui nous rappelle que Panahi a été l’assistant de Kiarostami) nous permet de rester à l’intérieur du taxi et de voyager, pas seulement dans Téhéran, mais aussi dans la société iranienne, et d’en établir une vue d’ensemble.

    Un Simple accident commence aussi dans une voiture et comme le titre du film l’indique, par un « simple accident ». Sur les hauteurs de Téhéran, une famille (le père, la mère enceinte, et la petite fille) voyage en voiture sur une route cabossée et tombe en panne après avoir heurté un chien. Ce  « simple accident » va enrayer la mécanique… Rien ne laisse présager quel type d'individu sinistre est le conducteur de la voiture, si ce n’est peut-être la manière dont il qualifie la victime de l’accident,  ce avec quoi la petite fille est en désaccord. Il entre ensuite dans un hangar pour demander de l’aide. C’est là que travaille Vahid (Vahid Mobasheri), un ouvrier, qui semble reconnaître le son si particulier de sa démarche boiteuse. Le lendemain, Vahid suit le père de famille, l’assomme et l’embarque à l’arrière de sa camionnette. Mais cet homme est-il réellement Eghbal (Ebrahim Azizi) dit « La guibole » à cause de sa prothèse à la jambe ? Est-il vraiment le gardien de prison qui l’a autrefois « tué mille fois » ? L'idée ne nous quitte pas, qu'il se trompe, et que le châtiment soit encore plus inhumain que ce qui l'a suscité, en se déployant sur un innocent.… Vahid n’est d'ailleurs pas certain, lui qui s’était retrouvé dans cette situation éprouvante, simplement parce qu’il réclamait le paiement de son salaire d’ouvrier. Après avoir emmené celui qu'il pense être Eghbal dans un endroit désert, et l’avoir mis dans la tombe de sable qu’il a creusée, l’homme parvient à le faire douter qu’il fut vraiment son tortionnaire. Vahid va alors partir en quête d’autres témoins capables d’identifier formellement leur bourreau : une future mariée et son époux, une photographe, un homme qui ne décolère pas. Va alors se poser une question cruciale : quel sort réserver au bourreau ? Lui réserver un sort similaire à celui qu’ils ont subi, n’est-ce pas faire preuve de la même inhumanité que lui ? La meilleure des vengeances ne consiste-t-elle pas à montrer qu’il ne leur a pas enlevé l’humanité dont il fut dépourvu à leur égard ?

    Comme dans Taxi Téhéran, le véhicule devient un lieu essentiel de l’action de ce film tourné dans la clandestinité. Dans Taxi Téhéran, ce n’est qu’après plus de neuf minutes de film qu’apparaît le chauffeur et que le spectateur découvre qu’il s’agit de Jafar Panahi, révélant ainsi son sourire plein d'humanité, sa bonhomie. Son nouveau passager le reconnaît ainsi (un vendeur de films piratés qui, sans doute, a vendu des DVD de Jafar Panahi, seul moyen pour les Iraniens de découvrir ses films interdits et qui, comble de l’ironie, dit « Je peux même avoir les rushs des tournages en cours ») et lui déclare « c’étaient des acteurs », « C’est mis en scène tout ça » à propos d’une femme pétrie de douleur que Panahi a conduite à l’hôpital avec son mari ensanglanté, victime d’un accident de deux roues. Panahi s’amuse ainsi de son propre dispositif et à brouiller les pistes, les frontières entre fiction et documentaire. De même, dans Un Simple accident, le protagoniste n’apparaît pas tout de suite. Nous pensons d’abord suivre les trois membres de cette famille, et que le père sera le personnage principal, celui qui suscitera notre empathie…

     

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    Au-delà du portrait de la société iranienne sous le joug d'un régime autoritaire et inique mais malgré tout moderne, vibrante de vie, d’aspirations, Taxi Téhéran était aussi une déclaration d’amour au cinéma dont le taxi est une sorte de double : un espace salutaire de liberté, de jeu, de parole, d’irrévérence, de résistance. Le film devient ainsi une leçon de cinéma, le moyen pour Panahi de glisser quelques références. Le jeu de mise en abyme, de miroirs et de correspondances est particulièrement habile. Le cinéaste multiplie les degrés de lecture et les modes de filmage, de films dans le film, ce que filment les caméras dans le véhicule, ce que filme sa nièce avec son appareil photo, ce que filme son portable, démontrant ainsi la pluralité de possibles du cinéma.

    Le dispositif est beaucoup plus simple ici, il n’en recèle pas moins de puissance dénonciatrice, et d’autant plus de courage puisque le propos est encore plus clair et direct.

    Dans Taxi Téhéran, lorsque Jafar Panahi évoque aussi sa propre situation, avec une fausse innocence, et celle des prisons (« J’ai entendu la voix du type qui me cuisinait en prison » dit-il à son avocate), cela pourrait être le point de départ de Un Simple accident comme si les deux films se répondaient. Et lorsque cette dernière, suspendue de l’ordre des avocats, lui dit « comme si le syndicat des réalisateurs votait ton interdiction de tourner », l’ellipse qui suit, ou plutôt la pseudo-indifférence à cette phrase, en dit long. « Tu es sorti mais ils font de ta vie une prison », « Ne mets pas ce que je t’ai dit dans ton film sinon tu seras accusé de noirceur », « Il ne faut montrer que la réalité mais quand la réalité est laide ou compliquée, il ne faut pas la montrer ». Chaque phrase de l’avocate ressemble à un plaidoyer contre le régime. Un Simple accident pourrait être le prolongement de ce dialogue, même si Jafar Panahi n’apparait pas, ou justement parce que Jafar Panahi n’apparaît pas.

    Avec Un Simple accident, le cinéaste continue donc son exploration et sa dénonciation de la dictature iranienne. Il a choisi cette fois la forme d'un thriller, mais un thriller burlesque. Comment traiter autrement l’absurdité de ce régime ? Cette fois, il s’agit cependant de penser à l’après, de poser les questions morales et politiques concernant la manière dont il faudra traiter les tortionnaires du régime. Comme tout un pays, les cinq passagers de la camionnette sont hantés par ce qu’ils ont vécu. Ce trajet avec leur bourreau va mettre à l’épreuve leur humanité et leur avidité de justice. Mais va surtout révéler ce qui les différencie de celui qui les a torturés, qui a tué et violé.

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    Pour la première fois depuis quinze ans, Jafar Panahi était présent à Cannes pour défendre son film.  « Faire un film engagé n’a pas été facile » a -t-il expliqué. Si son film est un acte politique et un acte de courage (Jafar Panahi, malgré cette dénonciation frontale du régime, de ses oppresseurs mais aussi de sa corruption, est retourné en Iran après le festival), il est aussi une vraie œuvre de cinéma. Le film lui-même est ainsi une vengeance, ou du moins une revanche sur ses oppresseurs. Ils n’auront pas atteint sa liberté de dire, de filmer, de dénoncer, ni son humanité.

    L’an passé, Les graines du figuier sauvage de l'iranien Mohammad Rasoulof, qui aurait aussi mérité une Palme d’or, est reparti avec un prix spécial du Jury, prouvant la grande vitalité du cinéma iranien, bien qu’entravé par les lois du régime. 

    Grâce à un sens de la mise en scène toujours aussi aiguisé, un courage admirable, des comédiens parfaits, un ton tragi-comique, une portée morale, politique et philosophique, qui interroge aussi notre propre rapport à la vengeance et notre propre humanité, une fin glaçante d’une force indéniable, cette  farce savoureuse, quête de vérité rocambolesque méritait amplement cette Palme d’or.

    Jafar Panahi a dédié la projection de son film à « tous les artistes iraniens qui ont dû quitter l'Iran ».  Il ne fait aucun doute que sa voix les défendra et portera bien au-delà de l’Iran. Si l’art rend les étreintes éternelles, il donne aussi de la voix aux cris de rage et de détresse. Comme l’a si justement remarqué la présidente du jury de cette 78ème édition, lors de la remise de la Palme d’or, « l’art provoque, questionne, bouleverse », est « une force qui permet de transformer les ténèbres en pardon et en espérance. » Comme ce film. Comme cette mariée et sa robe blanche qui résiste aux ténèbres de la vengeance. La force n'est pas ici physiquement blessante, mais c'est celle des mots et des images, en somme du cinéma, qui feront surgir la vérité et ployer l'oppresseur.

    Voilà qui me donne aussi envie de revoir et de vous recommander un autre chef-d’œuvre du cinéma iranien, Copie conforme de Kiarostami, avec une certaine Juliette Binoche qui, en 2010, année où Panahi devait faire partie du jury, remporta le prix d’interprétation féminine à Cannes. (Et je pense aussi à ce petit bijou méconnu de Kiarostami, mais je m'égare). Copie conforme est un film de questionnements plus que de réponses. À l'image de l'art évoqué dans ce film dont l'interprétation dépend du regard de chacun, le film est l'illustration pratique de la théorie énoncée par le personnage principal. Un film sur la réflexivité de l'art qui donne à réfléchir. Un dernier plan délicieusement énigmatique et polysémique qui signe le début ou le renouveau ou la fin d'une histoire plurielle.

    Enfin, je vous parlerai ultérieurement d’un autre coup de cœur cannois, en compétition et qui aurait mérité aussi de figurer au palmarès, un autre film iranien, Woman and child de Saeed Roustaee qui, comme Jafar Panahi cette année, avait obtenu le Prix de la citoyenneté, pour Leila et ses frères, en 2022. Le jury du Prix de la Citoyenneté 2025 était présidé par le cinéaste Lucas Belvaux. Ce prix met en avant des valeurs humanistes, universalistes et laïques. Il célèbre l'engagement d'un film, d'un réalisateur et d'un scénariste en faveur de ces valeurs auxquelles répond incontestablement le film de Jafar Panahi (ci-dessous, la remise du prix à Cannes). Le jury a ainsi salué  la « façon dont la réalisation a utilisé le cinéma pour faire d'un simple accident une réflexion sur la responsabilité individuelle, le courage, et la nécessité d'arrêter le cycle de la violence.»

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    Un Simple accident sortira au cinéma en France le 1er octobre 2025.