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  • FESTIVAL CIAK ! 2025 - Le festival du film italien des Vosges, à Raon l'Étape (21 au 23 novembre)

     

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    Festival CIAK ! 2025 

    1/2 En Sardaigne, à Collinas, les 9 et 10 août 2025

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    « Il n'y a pas de fin. Il n'y a pas de début. Il n'y a que la passion infinie de la vie. » Fellini

    Si, cet été, cette passion infinie de l'existence vous mène jusqu'en Sardaigne, je vous recommande ce festival consacré au film italien de patrimoine.

    L'édition 2025 de CIAK !, qui sera ainsi la troisième édition du festival du film italien de patrimoine, aura lieu du 21 au 23 novembre, à Raon l'Étape, dans les Vosges.

    Pour la première fois, cette année, CIAK ! se déclinera également en Sardaigne, dans le village de Collinas, les 9 et 10 août 2025.

    Au programme : Il Sorpasso (qui signifie "Le Dépassement" / titre français : Le Fanfaron ) de Dino Risi (1962) avec Vittorio Gassman et Jean-Louis Trintignant, et Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto (Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été) de Lina Wertmüller (1971), avec Giancarlo Giannini.


    Ces séances seront présentées par Laurent Galinon, directeur artistique et programmateur du festival.

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    Je ne peux m'empêcher d'évoquer brièvement Le Fanfaron. Voici donc juste quelques mots dictés par mes souvenirs imprécis pour vous inciter à le découvrir dans le cadre de ce festival : ce long métrage est un petit bijou de Dino Risi, sommet de la comédie italienne des années 60, qui a pour coscénaristes Ruggero Maccari et un certain…Ettore Scola. Un trajet de Rome à Viareggio dans la Lancia Aurelia B24 d’un séducteur désinvolte, volubile et exubérant (Vittorio Gassman) avec un étudiant en droit studieux, timide et complexé (Jean-Louis Trintignant) dont il a fait la connaissance le matin même. Deux caractères (le libertaire et le conservateur), deux visages de la société italienne. Ensemble, à vive allure, ils vont vivre deux journées trépidantes de Rome à Viareggio... : le soleil du 15 août, l’insouciance contagieuse, la vie à 100 à l’heure. Un tourbillon de légèreté et de vitalité, non dénué de nostalgie et de mélancolie : « L’âge le plus beau, c’est celui qu’on a jour après jour, jusqu’à ce qu’on crève bien sûr. » Un instantané de la société italienne en plein boom économique et en pleine mutation. Un film dans lequel Catherine Spaak tient l’un de ses premiers rôles importants. Un road-trip étourdissant que Dennis Hopper et Peter Fonda reverront de nombreuses fois pour Easy Rider. Un film à la frontière des époques du cinéma transalpin (le néo-réalisme n’est pas si loin), entêtant comme un mélodie italienne populaire, faussement légère, comme la vie qu’il célèbre et donne envie d’enlacer : drôle et funeste.

    L'édition 2024 de CIAK ! à Raon-l'Étape fut consacrée aux grandes actrices italiennes.

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    Ce festival a été fondé par Laurent Galinon, auteur (notamment du livre Alain Delon en clair-obscur) et réalisateur (notamment du documentaire Delon/Melville, la solitude de deux Samouraïs), deux œuvres que je vous avais vivement recommandées ici, et que je vous conseille de nouveau de découvrir (suivez les liens pour en savoir plus).

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    2/2 Dans les Vosges, à Raon l'Étape, du 21 au 23 novembre 2025

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    L'édition 2025 à Raon l'Étape aura lieu du 21 au 23 novembre et aura pour thématique les "Comédiens à l'italienne" : Vittorio Gassman, Marcello Mastrioanni, Ugo Tognazzi, Vittorio De Sica, Alberto Sordi, avec les projections des films suivants :

    - Le Fanfaron de Dino Risi - 1h45 - 1962 - Le vendredi 21 novembre à 20h

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    - Divorce à l'italienne de Pietro Germi - 1h45 - 1961 - Le samedi 22 novembre à 21h

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    - Le Lit conjugal de Marco Ferreri - 1h30 - 1963 - Le dimanche 23 novembre à 10h

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    - L'Or de Naples de Vittorio de Sica - 2h11 - 1954 - Le samedi 22 novembre à 17h30

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    - Les Nouveaux monstres de E.Scola, D. Risi, M.Monicelli - 1h55 - 1977 - le dimanche 23 novembre à 15h

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    En présence de Jean Gili, historien du cinéma italien, qui donnera une conférence d'1h45 sur "Les grands acteurs italiens", suivie d'une dédicace, à la Médiathèque La Boussole à Saint-Dié, le samedi 22 novembre à 14h30.

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    La Halle aux Blés de Raon l'Étape
    Séance : 5 euros
    Pass festival : 20 euros


    Enfin, pour en savoir plus sur cet évènement : rendez-vous sur le compte Instagram de CIAK !  et sur sa page Facebook.

  • Ouverture du Festival Cinéma à la folie – Critique LES RÊVEURS d’Isabelle Carré

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    Le mardi 23 septembre, au Cinéma du Panthéon, avait lieu le lancement du festival « Cinéma à la Folie, nouveaux regards sur la santé mentale », avec la projection de la première réalisation de la comédienne et romancière Isabelle Carré, marraine de cet évènement dont Nicolas Philibert est également le parrain.

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    La présence d’Isabelle Carré dans un film est toujours pour moi une raison de le découvrir, tant elle excelle dans ses rôles qu'elle choisit toujours astucieusement, de l’Angélique (si bien nommée) des Émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris, film dans lequel elle parvient à nous faire rire avec les fragilités attendrissantes de son personnage sans que jamais cela soit aux dépends de ce dernier, à la Claire (si bien nommée, aussi) du film Entre ses mains d’Anne Fontaine, fascinée et effrayée, blonde hitchcockienne dans l’obscurité tentatrice et menaçante, tentée et menacée, guidée par une irrépressible attirance pour cet homme meurtri, peut-être meurtrier, incarné par Benoît Poelvoorde. C’est cela qui la distingue, l’empathie qu’elle éprouve pour ses personnages, qu’elle transmet dans son jeu si nuancé, la grâce inconsciente, la délicatesse intense, une force fébrile, une douleur contenue et une douceur puissante. Il faudrait aussi vous parler de son personnage dans Se souvenir des belles choses, et de tant d’autres…

    Le but, louable, de ce festival est de « déstigmatiser la maladie mentale », déclarée cette année cause nationale. Le festival propose six fictions et six documentaires dans huit villes françaises de taille moyenne avec pour objectif de « faire du cinéma un moteur de dialogue autour de ce sujet » sachant qu’« une personne sur trois sera concernée au cours de sa vie par la maladie psychique qui ne se résume pas à la folie, à la violence, à la faiblesse. » Ces films aspirent ainsi à déplacer les stéréotypes. Les organisateurs souhaitent en effet lever les tabous et les clichés encore trop nombreux sur les troubles psychiques. Le festival « Cinéma à la folie, nouveaux regards sur la santé mentale » a été créé avec le soutien de la Fondation Erié et en partenariat avec le Fipadoc, le Festival La Rochelle Cinéma (Fema) et l’Alliance pour la Santé Mentale. Le festival sillonnera la France tout au long du mois d’octobre en passant par Boulogne-sur-Mer, Clermont-Ferrand, La Rochelle, Orléans, Nancy, Nantes, Nîmes et Pau. Des récits inspirants et porteurs d’espoir qui montrent que le rétablissement est possible et qu’avec le bon accompagnement, chacun peut retrouver confiance et qualité de vie. Pour garantir l’inclusivité et l’ouverture à tous, les projections seront accessibles gratuitement avec une séance par ville réservée aux scolaires pour sensibiliser les plus jeunes. Chaque projection sera suivie d’un débat réunissant équipes de films, experts, pairs aidants, associations locales et public afin de mettre des mots sur les maux, de libérer la parole et de valoriser l’expérience vécue. L’ambition du festival est claire : favoriser la compréhension, le soutien et l’accès aux soins, et faire progresser la société vers une plus grande acceptation et une meilleure inclusion.

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    « Un film peut vous sauver une soirée mais peut aussi vous sauver la vie » a déclaré Isabelle Carré avant la projection de son film. Je le crois aussi profondément. Elle a réalisé ce film pour dire « réveillons-nous » face à l’urgence de s’emparer de ce sujet de la santé mentale, en particulier chez les jeunes.

    Dans le dossier de presse de son film, mais aussi lors de l’avant-première, Isabelle Carré a tenu à rappeler que « l’institution a évolué, on sait mieux faire aujourd’hui, mais pas partout. Certaines régions sont totalement dépourvues de pédopsychiatres (il n’en existe que cinq cents en France !), des régions entières sont même dépourvues de lieux de soins. Comment expliquer l’abandon d’une société qui laisse des jeunes en détresse, sans aucun recours possible ? J’ai aussi conçu ce film comme un outil pour dénoncer cet état de fait. Qu’est-ce qu’une société qui néglige l’enfance à ce point ? Il me semble que la fiction a le pouvoir de créer une identification et de dessiner un chemin plus doux pour partager des choses intimes, et faciliter le débat. »

    Dans cette adaptation de son troisième roman, éponyme, Les Rêveurs, publié chez Grasset en 2018, Isabelle Carré incarne une comédienne, Élisabeth. Cette dernière anime des ateliers d’écriture à l’hôpital Necker avec des adolescents en grande détresse psychologique. À leur contact, elle replonge dans sa propre histoire : son internement à 14 ans (Elisabeth, à cet âge, est jouée par Tessa Dumont Janod), dans les années 70, dans une famille de rêveurs (son père Jacques - Pablo Pauly -, sa mère Alice - Judith Chemla -, et son frère) un peu à part, cherchant eux aussi la lumière, et leur parcelle d’ailleurs. Peu à peu, les souvenirs refont surface. Et avec eux, la découverte du théâtre, qui un jour l’a sauvée.

    Isabelle Carré raconte que Marie Rose Moro lui a ouvert les portes de La Maison de Solenn et lui a ainsi permis d’animer un atelier d’écriture dont elle s’est inspirée pour son film dont elle a coécrit le scénario avec Agnès de Sacy.

    Cela commence dans l’appartement familial. Les murs sont rouges (tels ceux de l’appartement d’enfance d’Isabelle Carré). La petite fille tente de retenir ses parents sur le point de sortir pour passer la soirée à l’extérieur, la laissant seule avec son frère. Elle s’accroche désespérément à sa mère. Mais ils les « abandonnent », malgré tout. La voix de Dalida résonne. Un art déjà pour édulcorer la réalité.  Le père, lui aussi, semble fuir constamment. Il dessine des robes pour Cardin. La mère s’enferme dans le refus de manger (ou si peu) et sa mélancolie. Elisabeth se réfugie dans la fantaisie, la musique, le dessin, les allers et retours dans le couloir de l’appartement qu’elle sillonne à rollers. Parfois, aussi, ses rêveries font prendre vie à des oiseaux dessinés qui s’envolent. Pour Elisabeth tout cela (sa famille) sonne faux. Alors, elle se laisse bercer par une histoire d’amour à laquelle elle a envie de croire, avec un copain de son frère qui n’avait d’autre envie que de jouer avec elle, et de parier sur sa naïveté. Elle tente de se suicider, et se retrouve à l’hôpital dans un service de psychiatrie pédiatrique, où elle va rester plusieurs semaines.

    Comme l’a expliqué la réalisatrice, même si l’épisode qu’elle relate dans ce film ne correspond qu’à une courte partie du roman, elle tenait à conserver le titre car « cet internement est le cœur du livre, ce qui m’a fondée ».

    Ce film évoque un sujet âpre avec beaucoup de douceur et d’empathie. Il s’empare de la rêverie comme échappatoire à la douleur.  C’est ici un refuge qui permet de fuir la réalité, de se créer un monde meilleur, de dessiner un avenir dans lequel l’art permettra de l’exorciser. Alors, Elisabeth rêve. En regardant la tour Montparnasse de la fenêtre condamnée de sa chambre d’hôpital. Les petits carrés de lueurs sur la tour sont autant de lucarnes sur des vies plus douces, imaginées. Mais la vraie fenêtre qui s’ouvre pour elle, c’est celle qui lui donne à voir la découverte du film Une femme à sa fenêtre de Pierre Granier-Deferre à l’hôpital, l’émotion de Romy Schneider et cette phrase : « préférer les risques de la vie aux fausses certitudes de la mort ».

    À la fin du film des chiffres, glaçants, nous sont rappelés : « 246, c'est le pourcentage de hausse du nombre de jeunes filles entre 10 et 14 ans hospitalisées en psychiatrie depuis quinze ans, pour la plupart pour tentative de suicide. Un jeune sur deux ne peut pas être suivi par manque de moyen et de place ».

    Ce film nous rappelle ainsi à quel point l’art peut sauver, mais aussi que les douleurs tues peuvent assassiner des vies, aussi jeunes soient-elles. Chaque enfant qu’Elisabeth côtoie à l’hôpital traîne son propre mal-être, ses symptômes, ses cicatrices plus ou moins visibles. La réalisatrice fait exister chacun, donne une voix à leurs maux. Parmi eux, Isker (Mélissa Boros). Isker et ses poignets bandés pour cacher ses entailles. Isker et son teint cadavérique, comme si elle était un personnage irréel forgé par l’imaginaire d’Elisabeth. Isker contre laquelle elle se blottit.

    Isabelle Carré est « pair-aidant ».  Elle parle d’une situation qu’elle a vécue adolescente. Elle en connaît les difficultés, la solitude, et sait ce qui peut redonner de l’espoir. Nous connaissons aujourd’hui davantage les remèdes à la souffrance morale des enfants et adolescents, trop longtemps ignorée ou méprisée, et n’étant pas prise en compte et en charge comme elle devait et doit l’être : moins les médicaments que l’art-thérapie, la créativité, ou le théâtre dans le cas d’Elisabeth, ou la musique (pour son frère et les enfants de l’atelier). L’art sauve, permet de transformer la douleur en beauté. Elisabeth écrit, rêve, voit dans le théâtre une porte d’évasion. Plus tard, sa professeure de théâtre (incarnée par Nicole Garcia qui, en quelques plans, impose sa gravité souriante et rassurante), lui donne Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, le premier texte qu’Isabelle Carré avait joué en entrant dans ce cours de théâtre qui la sauva, qu’elle retrouva quelques années plus tard, et qui lui valut un Molière. Être « else », être l’autre, pour se retrouver.

    Judith Chemla, sa force et sa fragilité entremêlées, incarne avec beaucoup de subtilité la mère qui ne sait pas vraiment quoi faire de cette mélancolie qu’elle traîne constamment, comme de cette enfant dont on voit pourtant qu’elle l’aime profondément. Et puis surtout la vraie découverte (même si tout le casting est judicieusement choisi) : la jeune Tessa Dumont Janod qui joue Elisabeth enfant, en décalage, sombre et rêveuse, butée et perdue, déterminée à fuir la vie dans la mort puis à l’embrasser dans le théâtre. Sa présence d’une intensité douce et fragile, d’une grâce qui s’ignore, rappelle celle d’Isabelle Carré.

    Les décors signés Nicolas de Boiscuillé et la lumière de la cheffe-opératrice Irina Lubtchansky, épousent l’évolution psychique d’Elisabeth. Les couleurs d’abord pâles et ternes à l’hôpital (contrastant avec celles du début, rouges et pailletées, dans l’appartement) reviennent progressivement, avec le goût de la vie, et comme lui, prennent de l’intensité et de la consistance. L’univers fantomatique, insaisissable et claustrophobique reprend peu à peu forme, les sons même deviennent plus présents. La réalisatrice recourt aussi à de judicieux hors-champs pour nous laisser deviner la violence à l’hôpital, comme s’il s’agissait d’un cauchemar. Lorsque Élisabeth quitte l’hôpital, les bruits urbains sont amplifiés, très agressifs. Benoit Carré, membre du groupe Lilicub, signe la musique dont les notes de pianos accompagnent la solitude du personnage, et Isabelle Carré pose sa douce voix sur La Symphonie des éclairs de de Zaho de Sagazan dans le générique de fin, comme une ultime preuve que la fragilité peut se muer et se sublimer en force créatrice.

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    Après la projection de ce drame (largement) autobiographique bouleversant, qui nous a conduit de l’ombre vers la lumière, des douleurs étouffées aux couleurs retrouvées, un cocktail était offert aux invités à l’étage du Cinéma du Panthéon. Comme pour Elisabeth à sa sortie de l’hôpital, il m’était difficile de retrouver les bruits, la lumière, la vie, après cette traversée poignante du cauchemar vers le rêve, ou son espoir. Je repensais à cette très belle scène dans la voiture. Elisabeth et son frère, devenus adultes, évoquent les secrets de leur père, la raison pour laquelle tout sonnait si faux, et son bonheur trouvé. L’habitacle est à l’image de la salle de cinéma : un espace protégé et calfeutré qui permet de donner la parole, d’ouvrir le débat, d’accepter les fêlures, de laisser les émotions nous submerger, parfois même de nous réconcilier avec la vie. Les mots ce soir-là m’ont manqué. J’aurais aimé dire à Isabelle Carré, que j’ai évitée à la sortie du cocktail, cela, simplement : merci. Merci pour la sensibilité avec laquelle elle traite ce sujet délicat, avec tout le souci de l’autre qui la caractérise. Merci pour ce beau film (dont on oublierait presque que c’est une première œuvre) émaillé de rêveries poétiques et musicales que, vous l’aurez compris, je vous recommande vivement. Une ode aux rêves comme pansement sur les balafres à l’âme. Un film qui donne aux enfants et adolescents (et adultes qui portent en eux ces plaies du passé) le droit à l’expression de leurs différences, de leurs fragilités, et de les transformer en forces. Je suis sortie du cinéma : une pluie lacrymale et intrépide inondait Paris, et mes joues. Je l’ai affrontée, le sourire aux lèvres, imaginant que tels les oiseaux dessinés du film qui s’envolent, elle se transformait en goutte d’étoiles ou de diamants éclairant ma route vers des jours plus ensoleillés, comme on imagine celle d'Elisabeth après sa découverte du théâtre.

    Au cinéma le 12 novembre 2025

    Retrouvez toutes les informations sur le festival sur www.cinema-a-la-folie.fr.

  • Critique de THE GREAT DEPARTURE de Pierre Filmon (au cinéma le 12 novembre 2025)

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    Dimanche soir, au cinéma Majestic-Passy, dans le cadre du Festival Gange sur Seine (festival de cinéma indien indépendant à Paris), dans une salle comble, a eu lieu l’avant-première du dernier film de fiction de Pierre Filmon, The Great Departure, sélectionné en compétition, après avoir été projeté au Festival Cinémondes 2025, 21ème Festival International du Film Indépendant d’Abbeville.

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    Pierre Filmon a réalisé plusieurs courts-métrages. Il filme d'abord avec une caméra 16 mm son voyage en Chine dans le Transsibérien, ce qui donnera naissance à son premier court-métrage Bleus de Chine (1996). Viendront ensuite Les Épousailles (1999) d’après Tchekhov et Le silence, d’abord (2002). Son premier long-métrage, Close encounters with Vilmos Zsigmond, avait été projeté en sélection officielle du Festival de Cannes 2016, dans le cadre de Cannes Classics. Ce documentaire est consacré à Vilmos Zsigmond, formidable directeur de la photographie qui a travaillé avec les plus grands réalisateurs : Robert Altman, John Boorman, Steven Spielberg, Brian de Palma, Peter Fonda et… Jerry Schatzberg à qui Pierre Filmon a consacré un autre documentaire : Jerry Schatzberg, portrait paysage (sélectionné à la Mostra de Venise 2022 et au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023) qui se focalise sur « l’univers photographique de Jerry Schatzberg, jeune homme de 95 ans, le dernier des Mohicans du Nouvel Hollywood, photographe et cinéaste qui a réalisé des films avec Al Pacino, Gene Hackman, Meryl Streep, Faye Dunaway et Morgan Freeman et a obtenu une Palme d’Or en 1973 pour L’épouvantail». Ce passionnant dialogue de Pierre Filmon avec le critique Michel Ciment, au gré d’une exposition lors de laquelle il croise des portraits, est l’occasion de revenir sur ces fabuleuses rencontres qui ont donné lieu à ces photos uniques et marquantes. Un plan-séquence qui permet de découvrir la richesse, la profondeur et la diversité du travail de l’artiste. Pierre Filmon a également traduit l'autobiographie du monteur de La Guerre des étoiles, Paul Hirsch, qu'il a coéditée avec Carlotta Films. Le livre a obtenu le Prix du meilleur ouvrage étranger sur le cinéma décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision 2022. Depuis 2018, Pierre Filmon est par ailleurs producteur ou coproducteur de ses films, avec sa société de production Almano Films.

    Je vous avais partagé ici mon enthousiasme pour son premier long métrage de fiction, Entre deux trains (notamment sélectionné au Festival du film francophone d’Angoulême 2019), douce parenthèse qui nous rappelle que le réel aussi peut contenir ses évasions poétiques, une parenthèse ouverte et close par les rails de la voie ferrée qui défilent. Cette parenthèse, c’est celle de la rencontre entre Marion (Laëtitia Eïdo) et Grégoire (Pierre Rochefort) qui se croisent par hasard sur le quai de la Gare d'Austerlitz, entre deux trains donc. Une ode aux possibles de l'existence. À la magie de ses hasards. De ces interstices presque irréels volés au prosaïsme du quotidien qui soudain éclairent le présent comme ce rayon de soleil qui balaie et illumine le visage de Marion. Une ode aux rêves (qui ont aidé Grégoire à vivre) et à l'imaginaire (celui du spectateur qui se fait son propre cinéma). Un film qui nous dit que « aimer, c'est voir l'enfant en l'autre », qui cite Prévert et Les Enfants du paradis (« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment d’un aussi grand amour »), qui fait notamment résonner Schubert et Beethoven (la musique originale est de David Hadjadj), qui nous rappelle Agnès Varda (Cléo de 5 à 7) et David Lean (Brève rencontre). Une déambulation mélancolique et réjouissante, du Jardin des Plantes (ses squelettes du Muséum d’Histoire naturelle qui nous rappellent qu'il faut déguster chaque seconde et que ce moment qu'ils partagent est de la vie pure et précieuse) au café Maure de la Grande Mosquée de Paris. Une variation sur les hasards et coïncidences et les possibles de l’existence, empreinte de la beauté cinglante de la nostalgie. Un petit bijou fragile et délicat, aérien et profond dont vous on sort avec l’envie de savourer chaque précieuse seconde, et de croire, plus que jamais, comme l’écrivait Victor Hugo qu’« il y a le possible, cette fenêtre du rêve, ouverte sur le réel ».

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    Cette digression parce que ce nouveau film de Pierre Filmon aurait aussi pu s’intituler Entre deux trains. Il raconte une autre « brève rencontre » qui est aussi un hymne aux heureux hasards de l’existence qui permettent d’en dévier la trajectoire.

    Cette fois, Pierre Filmon ne nous nous emmène pas à Paris et au Jardin des Plantes, mais en Inde, avec Mansi (Sonal Seghal) et Marc (Xavier Samuel), deux âmes perdues qui ont fui la réalité de leur vie et qui se rencontrent à la gare de Delhi. Elle est indienne et a tout quitté pour échapper à un mari violent. Lui est australien et a fui une autre réalité (aux antipodes de celle de Mansi) pour se retrouver face à lui-même. Tous deux prennent le même train pour Varanasi (Bénarès), ville emblématique et la plus sacrée de l’hindouisme, et cité qui accueille le plus de pèlerins en Inde. Un lien aussi interdit qu’inattendu va se nouer entre ces deux égarés, le temps d’un voyage improvisé, fragile et lumineux, des rives du Gange à la route de Rishikesh.

    Quand je dis que Pierre Filmon nous emmène, il ne s’agit pas d’une simple formule tant j’ai eu l’impression non pas d’avoir passé ma soirée au cinéma Majestic-Passy mais d’avoir été téléportée en Inde, d’être montée à bord de ce train avec Mansi et Marc et d’avoir réalisé un véritable voyage au cœur de ce pays que le cinéaste filme avec un respect, une générosité et un amour infinis.

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    Dans le documentaire que Pierre Filmon consacrait à Jerry Schatzberg, Michel Ciment concluait en disant que « le rapport émotionnel avec le sujet est très important » et que Jerry Schatzberg est un « esthète, grand metteur en scène formel mais qui s'intéresse aussi aux émotions, aux rapports humains comme c'est le cas de tous les grands metteurs en scène. Le public vient au cinéma pour ressentir des émotions. C'est ce travail formel qui lui permet d’accéder aux émotions. » Cette phrase pourrait s’appliquer au dernier film de Pierre Filmon dont le rapport émotionnel à son sujet se ressent dans son magnifique travail formel qui distille l’émotion avec délicatesse. Sa caméra amoureuse (de l’Inde et de ses personnages) se faufile ainsi entre Mansi et Marc, ou entre les rives du Gange pour en immortaliser la beauté étincelante et mystérieuse, presque comme s’il nous narrait un conte : la rencontre d’un homme et une femme dans ce pays baigné de spiritualité. Tous deux sont partis en quête de réponses et d’une liberté, bien différente pour chacun d’eux. Pour échapper à la violence pour l’une, pour fuir une vie vide de sens pour l’autre (paradoxalement, tout en prétendant aider les autres à trouver un sens à la leur). S’ils prennent la même route, ils ont en effet des aspirations bien différentes.

    Je ne connaissais pas le travail de Sonal Seghal (auteure du scénario et actrice principale, mais aussi coproductrice, et réalisatrice d’autres films) mais j’espère que nous continuerons à la voir au cinéma, et pas seulement dans le cinéma indien, tant elle porte cette histoire, tant son visage charrie de profondeur et de nuances. Face à elle, Xavier Samuel (Twilight - Chapitre 3 : hésitation, Perfect mothers, Elvis, Anonymous…) est une présence rassurante, bienveillante, douce et énigmatique dont affleure malgré tout la fragilité qui laisse soupçonner des zones d’ombre que je vous laisse découvrir. D’une manière subtile, le scénario nous fait comprendre celui qu’il fut, et que ce pays et cette rencontre l’ont transformé.

    À leurs côtés se trouvent des acteurs indiens judicieusement choisis comme le petit Sheevam qui apporte une présence malicieuse. Le petit garçon, d’une énergie débordante, repéré lors d’un casting sauvage, est d’un naturel et d’une justesse exemplaires, et apporte une note de tendresse supplémentaire. Au casting figure également Shreedhar Dubey que vous avez pu voir dans Homebound, un film sélectionné par l’Inde pour la 98ème cérémonie des Oscars. Il incarne ici un chauffeur de taxi un peu dépassé par les évènements.

    Le scénario s’intéresse avant tout à la situation de la femme en Inde, mais si l’histoire est celle d’une femme indienne, elle n’en demeure pas moins universelle. D’ailleurs est subtilement évoquée la situation de la femme occidentale à travers le passé de Marc vu par le prisme de quelques images sur un smartphone.

    Le sujet aurait pu être dramatique, le film est pourtant profondément solaire (dans la forme comme dans le fond), empreint d’une rare douceur, teinté dès la première scène d’humour, reflétant un regard amusé sur le choc des cultures qui n’est cependant jamais condescendant. Le film interroge la manière dont la femme est (mal)traitée là-bas et ailleurs, sans pour autant porter un regard manichéen (et c’est tant mieux) sur l’homme. Marc va d’ailleurs se racheter auprès de Mansi.  

    La photographie de Dominique Colin sublime la ville incandescente, nimbée de lumières, vibrante de couleurs qui évoluent en fonction de l’état psychologique des personnages.  La musique délicate traversée de sonorités indiennes de Naresh Kamath apporte encore un supplément de douceur et d’âme au voyage. « Cette atmosphère paisible et studieuse, je le sentais, avait une saveur unique et je me devais de la rendre palpable pour le spectateur » a déclaré le réalisateur dans le dossier de presse. Cette atmosphère envoûtante se ressent en effet dans chaque plan de ce magnifique portrait de femme qui s'émancipe jouée par la captivante Sonal Seghal.

    Ce film irradié de lumière et de douceur nous invite à choisir notre propre chemin, à nous délivrer de nos chaînes (« La liberté est le pouvoir de choisir nos propres chaînes » comme l’écrivait Rousseau), à choisir nos propres couleurs (de notre existence ou celle, si symbolique, d’un sari « La vraie liberté est de pouvoir toute chose sur soi » écrivait encore Montaigne), et il nous rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour prendre un nouveau départ, pour empoigner notre destin, et lui faire prendre une autre route que celle qui a été tracée pour et, parfois, malgré nous. Ce film, tourné en 27 jours seulement, est un hymne à l’indépendance (de l’être humain et...du cinéaste), à la liberté de la femme entravée dans tant de pays et tant de situations encore. Comme Entre deux trains, ce film relate une magnifique rencontre, une parenthèse d’une singulière et salutaire douceur (j'emploie ce mot à nouveau, à dessein, tant elle transparaît dans ce film, et le sublime, et le distingue, et tant elle est rare et d'autant plus appréciable) dont on sort, comme ses protagonistes, apaisé et résolu, avec l’envie d’être soi, ainsi libéré du regard des autres, et de prendre un nouveau départ...et/ou un billet de train pour Varanasi (à défaut, nous pourrons toujours retourner voir The Great Departure).

    Séance spéciale le lundi 3 novembre 2025 à 19H30, en présence du réalisateur, au Cinéma des Cinéastes, 7 Avenue de Clichy, 75017 Paris.

    Le dernier documentaire de Pierre Filmon, MAURICE TOURNEUR – Tisseur de Rêves, sera projeté à la Cinémathèque Française en mars 2026.

    A savoir, à propos du coproducteur Arvind Reddy : Poursuivant l’héritage de son grand-père Kadiri Venkata Reddy (K.V. Reddy), Arvind Reddy relance KVR Productions avec sa deuxième production, The Great Departure. Figure emblématique du cinéma indien, K.V. Reddy – ainsi surnommé affectueusement dans l’industrie cinématographique du sud de l’Inde – a réalisé 14 longs-métrages et remporté trois National Film Awards ainsi qu’un Filmfaire Award South. Il est considéré comme l’un des réalisateurs les plus influents de l’histoire du cinéma indien. La première production d’Arvind Reddy fut un drame familial avec Amitabh Bachchan qui a rencontré un large succès populaire.

  • Critique – L’ÉTRANGER de François Ozon (au cinéma le 29.10.2025)

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    Comment adapter un roman considéré comme quasiment impossible à transcrire à l’écran et sur lequel des millions de lecteurs ont projeté leur propre vision et leur interprétation ? Comment adapter un livre dans lequel s’exprime à la première personne un anti-héros aussi opaque ? Comment adapter le style épuré de Camus à l’écran et le traduire en langage cinématographique ?

    L’Étranger est le premier roman d’Albert Camus, paru en 1942, s’inscrivant dans le cycle de l’Absurde, une tétralogie composée de Caligula, Le Mythe de Sisyphe et Le Malentendu.

    Presque soixante ans après l’adaptation de Visconti (1967) avec Marcello Mastroianni et Anna Karina, François Ozon s’est donc attelé à la périlleuse adaptation de ce monument de la littérature, l’un des trois romans francophones les plus lus au monde. Le film fut présenté à la Mostra de Venise 2025.

    Aussi réussies soient des adaptations de chefs-d’œuvre de la littérature, il est quasiment impossible de rivaliser avec les œuvres originelles : qui pensera à un film quand on évoque le titre de Madame Bovary malgré les multiples interprétations cinématographiques auxquelles le roman de Flaubert a donné lieu ? Là n’est pas d’ailleurs la mission du cinéma qui apporte (quand l’entreprise est réussie et je vous annonce d’emblée que c’est le cas ici) une autre vision, un éclairage différent, une interprétation singulière, une dimension alternative. Ainsi, Xavier Giannoli, avec Illusions perdues, a réalisé une adaptation parfois intelligemment infidèle mais toujours fidèle à l’esprit de l’œuvre de Balzac. La modernité, la beauté, la clairvoyance et la flamboyance de cette adaptation donnent envie de dévorer le roman. Je prends l’exemple d’Illusions perdues à dessein puisque Lucien de Rubempré y est incarné par un certain…Benjamin Voisin qui donne ses traits, sa naïveté, sa fougue, son cynisme, sa vitalité et sa complexité au mythique personnage de La Comédie humaine. Il EST Lucien qui évolue, grandit, se fourvoie puis chute, Lucien ébloui par ses ambitions et sa soif de revanche jusqu’à tout perdre, y compris ses illusions. Tout comme il est ici Meursault, presque un anti Lucien de Rubempré, l’un étant aussi distancié que l’autre est passionné.

    L’Étranger n’est pas la première adaptation de François Ozon. Auparavant, il y eut (notamment) : Angel en 2007 (adapté d’Angel d’Elizabeth Taylor), Dans la maison en 2012 (adapté de El chico de la ultima fila de Juan Mayorga), Une nouvelle amie en 2014 (adapté de Une amie qui vous veut du bien de Ruth Rendell), Tout s’est bien passé en 2021 (adapté de Tout s’est bien passé d’Emmanuèle Bernheim en 2013, Mon crime en 2023 (adapté de Georges Berr et Louis Verneuil)....

    Comme Frantz, en 2016, (une autre adaptation, en l’espèce de L’homme que j’ai tué de Maurice Rostand), L’Étranger a été tourné en noir et blanc pour des raisons esthétiques et économiques. Comme dans le roman, l’intrigue se déroule à Alger (bien que le tournage ait eu lieu au Maroc, à Tanger). Nous sommes en 1938. Meursault (Benjamin Voisin donc), un jeune homme d’une trentaine d’années, modeste employé, enterre sa mère sans manifester la moindre émotion. Le lendemain, il entame une liaison avec Marie (Rebecca Marder), dactylo, une ancienne collègue de bureau. Puis, il reprend sa vie de tous les jours. Mais son voisin, Raymond Sintès (Pierre Lottin) vient perturber son quotidien en l’entraînant dans des histoires louches jusqu’à un drame sur une plage, sous un soleil de plomb…

    Les premières minutes des films de François Ozon sont toujours de brillants exercices d’exposition annonciateurs des thématiques que le film explore ensuite : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant, se distinguant toujours par ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traîtresse). Dès les premières secondes, il happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera parfois à le déconstruire. Été 85 (déjà avec un certain Benjamin Voisin) était particulièrement symptomatique de cela. Ainsi débutait-il par le cliquetis d’une cellule qu'on ouvre, précédant la vision de deux silhouettes dans la pénombre, fantomatiques. Leur succédaient ces mots tranchants et saisissants : « Je dois être dingue. Quand on a choisi la mort comme passe-temps, c'est qu'on est dingue. […] Ce qui m'intéresse, c'est la mort. Un cadavre m'a fait un effet pas possible. Si vous n'avez pas envie de savoir comment il est devenu un cadavre alors vous n'avez qu'à laisser tomber, ce n'est pas une histoire pour vous. » Se produisait ensuite une rupture de style avec des images éblouissantes de la plage du Tréport, sur fond de In Between days de The Cure. D’emblée, il mettait en scène cette dichotomie, également récurrente dans ses films, (dans le film précité, entre ombre et lumière, désirs -de vie, amoureux- et mort qui plane), laissant présager un drame, inéluctable. L’illusion aussi : du bonheur, et celle que crée le cinéma. Un début qui rappelle celui de Frantz : les cloches d’une église qui retentissent et une silhouette fantomatique qui apparaît, furtivement, un homme de dos, courant dans la rue. Les premiers plans d’Une nouvelle amie jouent aussi avec notre perception de la réalité et, là aussi, se réfèrent à la mort, donnant l’impression qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage qui est en fait son enterrement. Un premier plan dans lequel tout est dit : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, la double identité. 

    Le début de L’Étranger rappelle ainsi ceux d’Eté 85 et de Frantz. Après quelques images d’actualité pour planter le décor historique et Alger, « le premier sourire de l’Algérie », trois silhouettes floues apparaissent au loin comme un mirage en plein désert. Au milieu : un homme qui est conduit en prison. Puis, les premiers mots que Meursault prononcent alors ne sont pas ceux, si célèbres, qui ouvrent le roman (qui ne figurent d'ailleurs pas dans le film) mais « J’ai tué un arabe ». Générique.

    Après un libre remake des Larmes Amères de Petra Von Kant de Fassbinder avec Peter Von Kant, en 2023, François Ozon changeait radicalement d’univers avec Mon crime, adaptation d’une pièce de Georges Berr et Louis Verneuil de 1934, qui, dans le ton et la forme, rappelle davantage 8 femmes et Potiche que le précédent film du cinéaste. La fantaisie, la légèreté, la théâtralité, l’absurde, la vivacité, le jeu sont ici à l’honneur. En 2024, avec Quand Vient l’automne, François Ozon réalisait un film plus ancré dans le réel, qui était cette fois un scénario original (de François Ozon, avec la collaboration de Philippe Piazzo qui a également collaboré au scénario de L’Étranger), avant donc de revenir à une adaptation.

    D’ailleurs, les films de François Ozon glorifient presque toujours le pouvoir des mots. Dans Frantz, Rilke est le poète préféré d’Anna, Rilke qui, dans Lettres à un jeune poète, mieux que quiconque, a su définir l’art et l’amour, et les liens qui les unissent. Dans Été 85 aussi, l’écriture à nouveau permet à la vérité d’éclater et à l’amour de revivre, en tout cas une vérité, celle vue à travers le regard et les mots du personnage d’Alexis. Dans Dans la maison, Ozon rend déjà hommage au prodigieux pouvoir des mots (dans Swimming pool aussi, évidemment), à leur troublante beauté, nous donnant des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipulant tout comme l’élève y manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme.

    La mort est aussi omniprésente dans les films d’Ozon. Comme les trois qui jalonnent le roman de Camus : la mère, la victime du meurtre, Meursault lui-même (voire quatre avec le chien de Salamano). En 2001, Sous le sable, était le premier film de François Ozon sur le deuil (et le refus de son acceptation). Le personnage incarné par Charlotte Rampling refuse ainsi d’accepter la mort de son mari tout comme Adrien et Anna, dans Frantz, sont éprouvés par la mort de ce dernier qu’ils tentent de faire revivre à leur manière.  Dans Une nouvelle amie, lorsque Claire et David révèlent leurs vraies personnalités en assumant leur féminité, travestissant la réalité, maquillant leurs désirs et leurs identités, c’est aussi pour faire face au choc dévastateur du deuil. Dans Le temps qui reste, film sur les instantanés immortels d’un mortel qui en avait plus que jamais conscience face à l’imminence de l’inéluctable dénouement, là aussi, la mort rôde constamment. Dans Quand vient l’automne, la mort vient aussi troubler l’apparente sérénité de cet automne en Bourgogne. Dans L’Étranger, elle est appréhendée différemment, avec distance, celle du regard que Meursault porte sur toute chose, y compris sur la mort de sa mère, y compris son propre sort.

    Habituellement, dans le cinéma de François Ozon, les êtres ne sont jamais réellement ce qu’ils paraissent. Ils dissimulent une blessure, un secret, leur identité, un amour, une culpabilité. Manipulateur hors-pair, Ozon fait ainsi souvent l’éloge de l’illusion et ainsi de son propre art comme dans Dans la maison dans lequel il s’amuse avec les mots faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités sont aussi souvent à l’œuvre dans le cinéma d’Ozon. Ses films sont ainsi souvent à l’image de ceux dont ils relatent l’histoire : en trompe-l’œil, multiples et audacieux, derrière une linéarité et un classicisme apparent. C’est peut-être en cela que ce film diffère des autres films d'Ozon, avec son personnage principal, Meursault, qui dit toujours ce qu'il pense, placide, le regard scrutateur, fiévreux mais jamais enfiévré par les émotions (ou peut-être quand il commet son crime et qu’une sorte de déraison sensuelle s’empare de lui, ou encore -scène magistralement interprétée- quand il profère l’absurdité de l’existence face à l’aumônier de la prison). Les dialogues sont d’une extrême fidélité au roman. Ils témoignent du même détachement de Meursault. Face à la mort de sa mère : « - Vous aimiez votre mère ? -  Sans doute comme tout le monde mais on a tous un jour souhaité la mort de ceux qu’on aime ». » J'aurais préféré qu'elle ne meurt pas. » Face à l’amour de Marie qui aime cet homme « bizarre » qui « dit tout ce qu’il pense. » Face à son crime : « Plutôt que du regret, j'éprouve un certain ennui. » Lors de l’enterrement de sa mère, tous les pensionnaires sont face à Meursault comme s’ils le jugeaient déjà, et comme s’il était aussi spectateur de ce spectacle dont il est aussi un acteur. C’est ainsi qu’il observe l’existence, d’un œil distancié et insensible, comme si tout était scène de théâtre. L’enterrement puis la rue de sa fenêtre.  Et même son procès : « Je suis curieux, je n'ai jamais vu de procès. » Benjamin Voisin incarne un Meursault peut-être plus athlétique que je ne l’aurais imaginé. La sobriété de son jeu se prête cependant parfaitement à l’insensibilité de Meursault, à sa personnalité en dehors de toute norme sociale. Seule la force des éléments semble agir sur lui.

    Dans Quand vient l’automne, Pierre Lottin (également présent dans Grâce à Dieu) était inquiétant et écorché vif, ici il est le macho désinvolte à la démarche et à la parole carnassières. Rebecca Marder, pensionnaire à la Comédie-Française de 2015 à 2022, dans Mon Crime, virevolte avec brio. Dans Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, elle est une Irène qui irradie de joie de vivre. Avec sa charmante maladresse et sa vitalité contagieuse, elle vibre de l’amour du théâtre et de la vie, des premiers élans amoureux aussi. Et elle contamine tout le film de la fouge de sa jeunesse. Derrière sa légèreté perce pourtant par moments une gravité qui n’en est que plus ravageuse.  Elle apporte toute sa grâce à ce rôle magnifique, délicat, plein de charme et de candeur derrière lesquels elle dissimule la lucidité de ce qui se trame et que son corps lui rappelle par ses évanouissements. Elle est ici une Marie qui existe plus que dans le roman de Camus, qui est fascinée mais jamais réellement désarmée par la froideur et la sincérité glaçante de Meursault. C’est là un des partis pris d’Ozon que d’accorder plus de place aux personnages féminins, Marie Cardona et Djemila (la sœur de celui qui est seulement nommé « L ’Arabe » dans le roman dans lequel aucun des deux n’a de prénom).

    Swann Arlaud (qui avait déjà joué pour Ozon, dans Grâce à Dieu, en 2018) incarne ici l’aumônier de la prison. Les seconds rôles d’ailleurs sont tous aussi judicieusement choisis : Denis Lavant dans le rôle de Salamano, Christophe Malavoy dans le rôle du juge, Nicolas Vaude dans le rôle du procureur, Jean-Charles Clichet dans le rôle de l’avocat. Si les films d’Ozon sont en apparence très différents, ils se répondent ainsi tous plus ou moins par leur casting et leurs idées de mise en scène. Ainsi, la présence de Ludivine Sagnier dans Quand vient l’automne est fantomatique comme dans Swimming pool, vingt ans plus tôt. L’un sublime la langueur torride de l’été, l’autre la mélancolie troublante de l’automne. Dans L’Étranger aussi, un soleil voluptueux caresse les visages, les corps, les décors.

    Comme toujours chez Ozon, la musique joue un rôle essentiel. Pour le générique de fin, Ozon a choisi le morceau Killing an arab de The Cure, groupe déjà à l’honneur dans Eté 85 avec In between days.  C’est la musicienne koweïtienne Fatima Al Qadiri (notamment signataire de la musique du film Atlantique de Mati Diop) qui a composé la bande originale, ensorcelante et douloureuse, entre instruments orientaux et clarinette, instillant tantôt de la sensualité, tantôt l’idée d’une tension latente.

    Ozon possède le don, même en la filmant dans sa quotidienneté, de magnifier la vie. Comme le temps d’une danse sur Aimons-nous vivants de François Valéry, dans Quand vient l’automne. Dans Frantz, il parvient même, avec Le Suicidé (1877), le magnifiquement sinistre tableau de Manet, à nous donner ainsi envie d’embrasser la vie. Dans Mon crime, en théâtralisant à merveille, il nous donne envie d'appréhender la vie comme un jeu, un mensonge, ou un crime…savoureux et toujours (faussement) innocents. Ici, le détachement de Meursault contraste avec la lumière éclatante qui éclabousse son apathie. La photographie, sublime, de Manu Dacosse, contribue beaucoup à ce que le film nous accompagne bien après la projection. Dans Frantz, le noir et blanc rappelle parfois les films expressionnistes allemands, d’une beauté, d’une simplicité et d’une force renversantes. Le noir et blanc est comme un voile sur la vérité. Dans L'Étranger, le noir et blanc contribue à renforcer le sentiment d’absurdité, d’abstraction, d’intemporalité aussi. Il se rapproche davantage du néoréalisme italien que de l’expressionnisme allemand, et rend d’autant plus troublant le contraste entre la beauté incendiaire des éléments et l’apathie de Meursault.

    Ces décors inondés de soleil donnent un film d’une beauté magnétique et étrange…comme Meursault. Une beauté qui nous captive bizarrement. La blancheur des bains d’Alger. Le vent qui s’engouffre dans les rideaux. Le soleil qui perce à travers les arbres. Les vagues hypnotiques. Ozon parvient, par la puissance de sa mise en scène dichotomique une fois de plus (entre noir et blanc, ombre et lumière, hermétisme et sensualité), à retranscrire les lignes les plus envoûtantes du roman sur la lumière, la langueur, la fièvre. Les visages en gros plan, avec la sueur qui perle, nous font presque ressentir l’étourdissement qui les menace et la chaleur qui les accable.

    Tout en étant particulièrement fidèle au texte de Camus, Ozon a aussi su y apporter son univers et sa vision, en développant les deux personnages féminins, et par quelques références à la situation coloniale (discrètes comme ce panneau « interdit aux indigènes » au cinéma), par cette tombe qui redonne un nom à celui qui est nommé seulement « L’Arabe » dans le livre …tout en gardant pour derniers mots de Meursault les dernières lignes du roman. Il prouve aussi la force intemporelle du roman qui en parlant d’un jeune homme d’hier peut refléter la jeunesse d’aujourd’hui, désarçonnée, dont les émotions sont parfois tellement sollicitées et indifférenciées qu’elles sont mises à distance. Comme des étrangers au monde et à eux-mêmes

    Le « Nous sommes tous coupables et nous sommes tous condamnés » de L’Étranger m’a rappelé le « tous coupables » du Cercle Rouge de Melville. Et cette inéluctabilité. Cette fatalité. Cette absurdité de la mort qui finit par tous nous réunir dans un même cercle.

    La beauté étincelante et captivante des images reflète la force des mots de Camus. Meursault demeure une étrangeté saisissante et la vanité de l’existence une constatation implacable et déroutante. L’audace de cette adaptation sensorielle est de n’avoir pas cherché à susciter de l’indentification et d’avoir pris ce personnage dénué d’émotions tel qu’il est dans le roman. Et de nous laisser avec nos questions sur ce personnage insondable et cette sensation paradoxale d’un film qui irradie d’une fièvre glacée. On se souvient alors de ce plan dans lequel apparaît Meursault pour la première fois : un être flou, un mirage peut-être…

    « Vivre, c’est faire vivre l’absurde. Le faire vivre, c’est avant tout le regarder. » Albert Camus

  • Critique de LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE de Thierry Klifa (au cinéma le 29.10.2025)

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    Le dernier film de Thierry Klifa, à découvrir au cinéma le 29 octobre 2025, était projeté en ouverture du Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule (dont vous pouvez lire mon compte-rendu, ici) après avoir été présenté au dernier Festival de Cannes, hors compétition. Neuf ans après Elle de Paul Verhoeven, Isabelle Huppert et Laurent Lafitte sont de nouveau réunis à l’écran avec des personnages dont la relation (bien que très différente) est, cette fois encore, aussi insaisissable que dérangeante. La comparaison s’arrête là…

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    "La femme la plus riche du monde" de Thierry Klifa en ouverture du Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule.

    La femme la plus riche du monde se nomme Marianne Farrère (Isabelle Huppert). Avec l’écrivain photographe Pierre-Alain Fantin (Laurent Lafitte), cela n'était censé durer que le temps d’une séance photos pour un magazine. Mais voilà, un coup de foudre amical les emporte. Dans leur ombre se trouve une héritière méfiante qui se bat pour être aimée (Marina Foïs). Mais aussi un majordome aux aguets qui en sait plus qu'il n’en dit (Raphaël Personnaz). Et des secrets de famille. Des donations astronomiques. Une guerre où tous les coups sont permis.

    Après Tout nous sépare et son documentaire André Téchiné, cinéaste insoumis, avec Les rois de la piste, Thierry Klifa avait souhaité se tourner vers la comédie. Comme toujours, il nous parlait de la famille et, comme souvent, de la figure maternelle.

    Flashback. Dans l’excellent Tout nous sépare (2017), Thierry Klifa joue et jongle avec les codes du film noir et de la chronique sociale, entre Chabrol et Corneau, avec la légende que transporte avec elle son actrice principale (Deneuve, dans le rôle de la mère, magistrale). Un film qui assume son côté romanesque et qui confronte deux réalités, deux mondes, deux fragilités. 

    Auparavant, dans son troisième film, Les yeux de sa mère (2011), après Une vie à t’attendre (2003) et Le héros de la famille (2006), Thierry Klifa, après s’être intéressé au père dans Le héros de la famille, (avec son coscénariste Christopher Thompson avec qui il a également coécrit le premier film en tant que réalisateur de ce dernier  Bus Palladium) s’intéressait déjà  à la mère, qu’elle soit présente ou absente. Le film est aussi un savant jeu de miroirs et mises en abyme. Entre Catherine Deneuve qui incarne une star du petit écran et Catherine Deneuve, star de cinéma. Entre Géraldine Pailhas, ancienne danseuse qui incarne une danseuse étoile. Entre l’écrivain dans le film qui infiltre la vie des autres et le cinéaste qui, par définition, même involontairement, forcément, la pille aussi un peu. Entre l’écrivain voyeur de la vie des autres et le spectateur qui l’est aussi. Hommage au mélodrame donc mais aussi aux acteurs, et à la mère chère au cinéma d’Almodovar dont une lumineuse représentante figure dans ce film en la personne de Marisa Paredes. Mère absente, qui abandonne, de substitution, adoptive, ou même morte. Les yeux de sa mère est aussi un thriller sentimental qui instaure un vrai suspense et qui n’est néanmoins jamais meilleur que lorsqu’il prend le temps de se poser, de regarder en face « les choses de la vie » et de laisser l’émotion surgir comme dans un très beau montage parallèle qui reflète au propre comme au figuré la filiation du courage.

    Dans Les rois de la piste, la mère est de nouveau à l’honneur. Flamboyante et toxique. Agaçante et irrésistible. Charmante et exaspérante. Impertinente et séduisante. Cinglante et attendrissante. Fanny Ardant apporte au personnage de Rachel sa voix inimitable, sa fantaisie, sa folie réjouissante et prouve qu’elle peut encore nous étonner, que la Mathilde de La Femme d’à côté, l’étrange étrangère incandescente, impétueuse et fragile du film de Truffaut au prénom d’héroïne de Stendhal, ou l’irrésistible Barbara de son Vivement dimanche ! (d’ailleurs cité ici) peut être aussi époustouflante, fantasque, attendrissante, excentrique, éblouissante, follement séduisante, infiniment libre, à la fois menteuse et si vraie, gaiment tonitruante comme son rire. Elle peut tout se permettre (même aller un peu trop loin) sans jamais perdre l’empathie du spectateur. Elle est à l’image de ce film : gaie, tendrement cruelle, lumineuse, légèrement mélancolique, joyeusement excessive. Sincère tout en ayant l’air de mentir et inversement.

    Ici, la mère est une héritière lassée de tout qui revit grâce à la rencontre avec un écrivain photographe opportuniste. Cette histoire est librement inspirée de l’affaire Bettencourt. Rappelez-vous : en 2016, attaqué par la fille de Liliane Bettencourt, héritière et première actionnaire de L’Oréal, l’écrivain-photographe François-Marie Banier avait été condamné pour abus de faiblesse à quatre ans de prison avec sursis et 375000 euros d’amende.

    Comme toujours chez le cinéaste cinéphile Thierry Klifa, ce film se situe à la frontière des genres, entre la comédie et la satire de la bourgeoisie, avec des accents de drame (de la solitude). Mais aussi des zones d’ombre, liées à l’Histoire et l’histoire de la famille, celles du passé collaborationniste et antisémite de certains membres.

    Même si le terme est galvaudé, je n’en vois pas d’autre pour définir ce film : jubilatoire. Grâce à des dialogues ciselés et savoureux, et une interprétation de Lafitte en opportuniste insolent, désinvolte, flamboyant, détestable, grossier, rustre, absolument exceptionnelle, qui a elle seule vaut le détour. Malgré les traits de caractère excessifs de son personnage, il relève le défi de n’être jamais caricatural. Les répliques cinglantes, les gestes obscènes et la fantaisie savamment cruelle de Fantin sont particulièrement délectables, même s'il sera pris à son propre piège, et peut-être finalement la première victime de son petit jeu cynique et cupide.

    Tous les personnages semblent finalement en mal d’amour, de la fille méprisée au gendre incarné par Mathieu Demy ("caution juive" pour tenter de faire oublier que le fondateur de la marque fut un ancien collaborateur) à l’énigmatique majordome interprété par Raphaël Personnaz, dont une fois de plus ( comme dans ce film  ou comme dans Bolero dans lequel son jeu sobre mais habité et convaincant, nous fait entrer magistralement dans la tête de Ravel tout en reflétant son mystère, son introversion, sa droiture physique et morale, sa délicatesse, sa retenue mais aussi son insatisfaction perfectionniste, un rôle pour lequel il aurait amplement mérité le César du meilleur acteur) le jeu sensible apporte un supplément d’âme, de malice, de sensibilité, et de nuance à son personnage. Fantin prend un malin plaisir à l'humilier, peut-être parce qu’il vient du même milieu que lui et représente ce qu’il aurait pu devenir, ce qu’il méprise en lui-même. Le majordome reste digne, malgré tout. Ce sera le seul personnage finalement intègre de ce théâtre des vanités. Il en sera évincé, sacrifié. Mathieu Demy et André Marcon, respectivement dans le rôle du gendre et du mari de "La femme la plus riche du monde" sont également parfaits, notamment dans leur aveuglement feint et intéressé.

     Le film est visuellement splendide, là aussi sans jamais être caricatural (la vraie richesse se fait discrète), entre Ozon et Chabrol dans le ton, d’une ironie savoureuse, faisant exploser les codes de bonne conduite bourgeois. Klifa livre là un de ses meilleurs films, et donne à Isabelle Huppert un de ses rôles les plus marquants (et pourtant sa carrière n’en manque pas : il est ici désopilante), celui  d’une milliardaire qui se prend d’une amitié affectueuse et aveugle (quoique…) pour cet être qui lui fait retrouver une insouciance presque enfantine, en défiant toutes les conventions de son milieu, et en osant tout, y compris lui demander de changer intégralement sa décoration, ou de lui faire des chèques d’un montant astronomique (certes dérisoire à l’échelle de la fortune de la milliardaire).

    Un scénario signé Thierry Klifa, Cédric Anger, Jacques Fieschi (un trio de scénaristes royal, ce dernier, accessoirement scénariste de mon film préféré, vient d’être récompensé au Festival Cinéroman de Nice, récompense amplement méritée pour celui qui est pour moi le plus grand scénariste français).

    Une fois de plus, comme dans les autres films de Klifa, la musique joue un rôle primordial (notamment dans une scène de discothèque que je vous laisse découvrir). Tout nous sépare avait ainsi été récompensé au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (meilleur film, meilleure interprétation masculine pour Nekfeu et Nicolas Duvauchelle et meilleure musique pour Gustavo Santaolalla). Dans Les rois de la piste, c’était déjà Alex Beaupain qui était à la manœuvre. Bien qu’ayant conçu les musiques des trois pièces de théâtre de Thierry Klifa, c’était la première fois que les deux hommes travaillaient ensemble pour le cinéma. La musique était ludique, inspirée par les différents genres auxquels appartient le film -policier, comédie, amour, espionnage- et les compositeurs qui en sont indissociables (Legrand, Mancini, Delerue, Barry). Plus d’une heure de musique au cours de laquelle Alex Beaupain s’amusait et s’inspirait des musiques de genres cinématographiques dans lesquels le film fait une incursion, du film noir à la comédie. Alex Beaupain avait également écrit les (magnifiques) chansons que chantent les comédiens du film, celle de Duvauchelle (une idée de ce dernier), et de Fanny Ardant, pour le générique de fin. Cette fois, pour La femme la plus riche du monde, la musique d’Alex Beaupain, teintée de notes joyeuses et railleuses, fait aussi parfois songer à celle de Morricone pour I comme Icare.

    Sont à noter également le travail de reconstitution remarquable de la cheffe décoratrice Eve Martin, de la cheffe costumière Laure Villemer, et la photographie splendide de Hichame Alaouié.

    De cette histoire dont on aurait pu penser a priori que l’univers qu’elle dépeint nous aurait tenus à distance, Klifa et ses scénaristes ont extrait un récit universel, le portrait d’un petit monde théâtral, qui n’en est pas moins cinégénique et réjouissant à suivre, avec ses personnages monstrueux et fragiles, excessifs et fascinants, entourés et désespérément seuls. Un chaos réjouissant. Une tendresse, aussi féroce soit-elle, qui était comme une respiration dans ce monde compassé qui en est tant dépourvu. Une parenthèse au milieu de l’ennui et de la solitude. Comme une sortie au théâtre pour découvrir une pièce avec un protagoniste avec une personnalité et une présence telles que sa disparition de la scène fait apparaître la vie plus terne encore, surtout pour Marianne qui se retrouve face à elle-même, dégrisée après cette ivresse ébouriffante. On se souvient alors de cette réponse à une question de sa fille : « Tu veux savoir si je t’aime ? Je ne sais pas si je t’aime. » Les portes de la prison dorée viennent de se refermer. Comme un boomerang. Jubilatoire, vous dis-je !

  • Ouverture du Ciné-Bistrot Claude Lelouch à Trouville le 2 novembre 2025

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    Photo extraite du site officiel du Ciné-Bistrot Claude Lelouch

    Chaque mois désormais, je vous recommande une bonne adresse liée au cinéma... En voici une qu'il m'était impossible de ne pas évoquer ici !

    "On ne meurt jamais d'une overdose de rêves" a coutume de répéter Claude Lelouch. Qui mieux que lui pouvait initier un lieu dédié au septième art, et donc forcément aux rêves, à deux pas de la ville que sa palme d'or 1966 a immortalisé et qu'elle contribua à faire connaître au monde entier ?

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    Lors du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville (dont vous pouvez lire mon compte-rendu, ici), le très attendu Ciné-Bistrot Claude Lelouch n'avait pas encore ouvert ses portes. L'inauguration aura en effet lieu le 30 octobre 2025, jour de l'anniversaire du cinéaste qui fêtera ainsi ses 88 ans (je vous avais raconté, ici, le mémorable concert symphonique donné pour ses 85 ans), et l'ouverture le 3 novembre 2025. Je n'ai donc pas encore pu visiter les lieux, ce à quoi je remédierai lors de mon prochain séjour normand.

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    En attendant, je vous présente néanmoins ce nouvel antre des amoureux du cinéma après vous avoir emmenés le mois dernier dans une autre adresse normande indissociable de Claude Lelouch, l'hôtel Barrière Le Normandy de Deauville, dont je vous parlais, ici, et le mois précédent à la découverte du Cinéma hôtel mk2 Paradiso. En bas de cet article, vous trouverez aussi mes critiques des films qui seront projetés la semaine de l'ouverture.

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    L'ambition de Claude Lelouch était de créer "un lieu où redécouvrir les plus grands films sur grand écran, dans des conditions exceptionnelles." Ce rêve a donc donné naissance au Ciné-Bistrot Claude Lelouch, à Trouville-sur-Mer, à deux pas du casino, face à la mer.

    Dans cette entreprise dédiée au rêve, annoncée comme un "festival permanent", le réalisateur sera secondé par Alexis Chermant, "passionné de gastronomie" qui "a contribué à donner au lieu son esprit convivial et gourmand. Ensemble, ils ont voulu créer un endroit où l’on vient autant pour savourer un bon film que pour partager un repas, un goûter ou un verre, dans une atmosphère chaleureuse et intime."

    Ce lieu hybride réunira ainsi "deux plaisirs universels : le cinéma et la table". Le cinéma redevient ce qu'il était lors de ses origines, et cela dès la première projection publique payante du 28 décembre 1895 : un "plaisir collectif".

    "La salle a été pensée comme un salon confortable, avec des fauteuils accueillants, une lumière douce et une acoustique étudiée. À la sortie de la projection, on peut prolonger la soirée autour d’un dessert, d’un verre ou simplement d’une conversation au bar, face à la mer."

    Le lieu a été conçu par l'Atelier Hemon Architectes et Jean-Marc Lalo, qui ont ainsi transformé cet ancien bâtiment municipal en lieu convivial dédié au cinéma et à la gastronomie.

    Au programme, à partir du 3 novembre : Itinéraire d'un enfant gâté (du 3 au 9 novembre), L'aventure c'est l'aventure (du 3 au 9 novembre), Un + une (du 10 au 16 novembre) et D'un film à l'autre (du 10 au 16 novembre). Je vous propose ci-dessous mes critiques de trois de ces quatre films. Je vous les recommande évidemment tous.

    Plus qu'un repas ou une séance de cinéma, le Ciné-Bistrot vous promet ainsi une expérience unique. 


    Ouvert tous les jours sauf les jeudis et vendredis.
    – 12 h à 14 h : Service déjeuner
    – 15 h à 18 h : Formule Ciné et Goûter – 30 € / personne
    – 19 h à 23 h : Formule Buffet et Ciné – 43 € / personne
    (Projection du film à 20 h 30)

    Le site officiel du Ciné-Bistrot Claude Lelouch pour en savoir plus, ici.

    Le Ciné-Bistrot Claude Lelouch sur Instagram : @cinebistrotclaudelelouch.

    Critique - ITINÉRAIRE D'Un ENFANT GÂTÉ de Claude Lelouch

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    Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch est un des plus grands succès du cinéaste, un film datant de 1988, que j'avais d'ailleurs eu le plaisir de revoir lors du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2016 dont vous pouvez retrouver mon compte rendu ici. (avec également le résumé de la rencontre avec Richard Anconina qui avait suivi la projection)

    Sam Lion (Jean-Paul Belmondo) a été élevé dans le milieu du cirque puis a dû faire une reconversion forcée comme chef d’entreprise. Mais la cinquantaine passée, il se lasse de ses responsabilités et de son fils, Jean-Philippe, dont la collaboration ne lui est pas d’un grand secours. Il décide d’employer les grands moyens et de disparaître en Afrique, après avoir simulé un naufrage lors de sa traversée de l’Atlantique en solitaire. Mais son passé va l’y rattraper en la personne d’Albert Duvivier (Richard Anconina), un de ses anciens employés licencié qu’il retrouve par hasard en Afrique et qui le reconnaît…

    « Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». La citation d’Albert Cohen qui ouvre le film le place sous le sceau du pessimisme et de la solitude, impression  que renforce la chanson de Nicole Croisille qui ouvre le long-métrage. « Qui me dira, les mots d’amour qui font si bien, du mal ? Qui me tiendra, quand tu iras décrocher toutes les étoiles ? Qui me voudra, avec le nez rouge, et le cœur en larmes ? Qui m’aimera, quand je n’serai plus que la moitié d’une femme ? » La musique est reprise en chœur tandis qu’un petit garçon, seul sur un manège, attend désespérément sa mère. Un homme s’occupe de lui, découvre le carton qu’il a autour du cou et qui indique que sa mère l’a abandonné. La musique épique, flamboyante, lyrique, accompagne ensuite les premières années et les numéros de cirque étourdissants qui défilent (sans dialogues, juste avec la musique pour établir le lien) jusqu’à l’accident fatidique. Les flashbacks alternent avec les vagues sur lesquelles flotte le navire de Sam Lion, des vagues qui balaient le passé. Les premières minutes sont bouleversantes, captivantes, montées et filmées sur un rythme effréné, celui sur lequel Sam Lion (ainsi appelé parce qu’il a été élevé dans un cirque) va vivre sa vie jusqu’à ce qu’il décide de disparaître.

    Rares sont les films qui vous émeuvent ainsi, dès les premiers plans et qui parviennent à maintenir cette note jusqu’au dénouement. Pour y parvenir, il fallait la subtile et improbable alliance d’ une musique fascinante comme un spectacle de cirque, d’acteurs phénoménaux au sommet de leur art, de dialogues jubilatoires magistralement interprétés, un scénario ciselé, des paysages d’une beauté à couper le souffle, des histoires d’amour (celles qui ont jalonné la vie de Sam Lion, avec les femmes de sa vie, son grand amour décédé très jeune, sa seconde femme, sa fille Victoria pour qui il est un héros et un modèle et qui l’aime inconditionnellement, mais aussi celles d’Albert avec Victoria), jouer avec nos peurs (l’abandon, la disparition des êtres chers, le besoin de reconnaissance), nos fantasmes (disparaître pour un nouveau départ, le dépaysement) et les rêves impossibles (le retour des êtres chers disparus).

    Sam Lion va par hasard rencontrer un employé de son entreprise (entre-temps, il a construit un empire, une entreprise de nettoyage), ce jeune homme maladroit et qui manque de confiance en lui va devenir l’instrument de son retour et sa nouvelle famille.  Cela tombe bien : il commence à s’ennuyer.

    Peu à peu, le puzzle de la vie et des déchirures de Sam Lion, grâce aux flashbacks, se reconstitue, celui des blessures de cet homme qui l’ont conduit à tout quitter, écrasé par les responsabilités sans avoir le temps de penser à ses blessures, ni de les panser, porté par la soif d’ailleurs, de vérité, de liberté.

    Alors, bien sûr, il y a la si célèbre et irrésistible scène du bonjour, toujours incroyablement efficace, tant la candeur d’Albert est parfaitement interprétée par Anconina, tant la scène est magistralement écrite, tant les comédiens sont admirablement dirigés mais chaque scène (les acteurs sont filmés en gros plan, au plus près des émotions) sont des moments d’anthologie de comédie, d’humour, de poésie, d’émotion (parfois tout cela en même temps lorsque Victoria est conduite à son père grimé en pompiste et qu’on lui présente comme le sosie parfait de son père qu’elle croit mort, lors de la demande en mariage…) et toujours ces moments qui auraient pu être de simples saynètes contribuent à faire évoluer l’intrigue et à nous faire franchir un cran dans l’émotion, dans ces parfums de vérité qu’affectionne tant le réalisateur. Claude Lelouch ne délaisse aucun de ses personnages ni aucun de ses acteurs. Chacun d’entre eux existe avec ses faiblesses, ses démons, ses failles, ses aspirations. Et puis quelle distribution : Marie-Sophie L, Michel Beaune, Pierre Vernier, Daniel Gélin… !

    Jean-Paul Belmondo,  plusieurs années après  Un homme qui me plaît  retrouvait ici Claude Lelouch qui lui offre un de ses plus beaux rôles en lui permettant d'incarner  pour la première fois un homme de son âge au visage marqué par le temps mais aussi un personnage non moins héroïque. En choisissant Anconina pour lui faire face, il a créé un des duos les plus beaux et les plus touchants de l’histoire du cinéma.

    Itinéraire d’un enfant gâté est une magnifique métaphore du cinéma, un jeu constant avec la réalité : cette invention qui nous permet d’accomplir nos rêves et de nous faire croire à l’impossible, y compris le retour des êtres disparus. Belmondo y interprète l’un de ses plus beaux rôles qui lui vaudra d’ailleurs le César du Meilleur Acteur, césar que le comédien refusera d’aller chercher.

    On sort de la projection, bouleversés de savoir que tout cela n’était que du cinéma (le temps malheureusement reste assassin), mais avec la farouche envie de prendre notre destin en main et avec, en tête, la magnifique et inoubliable musique de Francis Lai : « Qui me dira… »  et l’idée que si « chaque homme est seul », il possède aussi les clefs pour faire de cette solitude une force, pour empoigner son destin. Et ce dernier plan face à l’horizon nous laisse à la fois bouleversés et déterminés à regarder devant, prendre le large ou en tout cas décider de notre itinéraire. Un grand film intemporel, réjouissant, poignant.

    Critique - UN + UNE de Claude Lelouch

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    En 1966, avec Un homme et une femme, sa sublime histoire de la rencontre de deux solitudes blessées avec laquelle il a immortalisé Deauville, Claude Lelouch recevait la Palme d’or, l’Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement ! Ce 45ème film de Claude Lelouch, presque cinquante ans plus tard raconte à nouveau l’histoire d’un homme et d’une femme et les années et les films qui séparent ces deux longs-métrages semblent n’avoir en rien entaché la fougue communicative, la réjouissante candeur, le regard enthousiaste, la curiosité malicieuse du cinéaste. Ni la fascination avec laquelle il regarde et révèle les acteurs. Les acteurs et la vie qu’il scrute et sublime. Bien que les critiques ne l’aient pas toujours épargné, il est en effet toujours resté fidèle à sa manière, singulière, de faire du cinéma, avec passion et sincérité, et fidélité, à la musique de Francis Lai, aux fragments de vérité, aux histoires d’amour éblouissantes, à sa vision romanesque de l’existence, à son amour inconditionnel du cinéma et de l’amour, à ses phrases récurrentes, à ses aphorismes, aux sentiments grandiloquents et à la beauté parfois terrible des hasards et coïncidences.

    Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même n’avait «pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot,   Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ». Et tous ceux qui m’ont fait aimer le cinéma. Avec son film Roman de gare, les critiques l’avaient enfin épargné, mais pour cela il avait fallu que le film soit au préalable signé d’un autre nom que le sien. Peu m’importe. Claude Lelouch aime la vie. Passionnément. Sous le regard fiévreux et aiguisé de sa caméra, elle palpite. Plus qu’ailleurs. Et ce nouveau film ne déroge pas à la règle.

    Après Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Sandrine Bonnaire dans Salaud, on t’aime, c’est un autre trio charismatique qui est à l’honneur dans ce nouveau film : Jean Dujardin, Elsa Zylberstein et Christophe Lambert (voire un quatuor avec Alice Pol). Son film précédent, Salaud, on t’aime, se rapprochait de Itinéraire d’un enfant gâté, du moins en ce qu’il racontait l’histoire d’un homme à l’automne de sa vie, un autre « enfant gâté » passé à côté de l’essentiel et qui, contrairement au film précité, n’allait pas fuir sa famille mais tenter de la réunir. Ici, c’est finalement aussi d’un homme passé à côté non pas de sa vie mais de lui-même dont Lelouch nous raconte l’histoire.

    La manière dont le film est né ressemble déjà à un scénario de film de Claude Lelouch. Jean Dujardin et Elsa Zylberstein ont ainsi plusieurs fois raconté sa genèse. Le hasard qu’affectionne tant Claude Lelouch les a réunis sur le même vol entre Paris et Los Angeles lors duquel ils ont parlé de cinéma pendant des heures et notamment d’un film de Claude Lelouch, Un homme qui me plaît, qu'ils adorent tous les deux. L'histoire d'amour entre un compositeur incarné par Jean-Paul Belmondo et une actrice incarnée par Annie Girardot qui tombent amoureux à l'autre bout du monde. Elsa Zylberstein a appelé Claude Lelouch et l’histoire était lancée, une histoire d’amour qui, eux aussi, les a emmenés à l’autre bout du monde…

    Jean Dujardin incarne ici le séduisant, pragmatique, talentueux Antoine. Antoine est compositeur de musiques de films. Antoine regarde la vie avec distance, humour et légèreté. Antoine est comme un enfant joueur et capricieux. D’ailleurs, il porte le prénom du petit garçon dans Un homme et une femme. Il part en Inde travailler sur une version très originale de Roméo et Juliette intitulée Juliette et Roméo et alors que sa compagne (Alice Pol) le demande en mariage par téléphone. À l’occasion d’une soirée donnée en son honneur à l’Ambassade de France, il rencontre la pétillante Anna (Elsa Zylberstein), la femme de l’ambassadeur (Christophe Lambert), aussi mystique qu’il est pragmatique, une femme qui, en apparence, ne lui ressemble en rien, pourtant, dès ce premier soir, entre ces deux-là, semble régner une magnétique connivence. Cette rencontre va les entraîner dans une incroyable aventure. Et le spectateur avec eux.

    Ce que j’aime par-dessus tout dans les films de Claude Lelouch, ce sont ces personnages, toujours passionnément vivants. Dans chacun de ses films, la vie est un jeu. Sublime et dangereux. Grave et léger. Un jeu de hasards et coïncidences. Le cinéma, son cinéma, l’est aussi. Et dans ce film plus que dans tout autre de Claude Lelouch. Le fond et la forme coïncident ainsi en une ludique mise en abyme. Le film commence par l’histoire d’un voleur qui va inspirer le film dont Antoine a composé la musique et dont les images jalonnent le film…de Lelouch. Le présent, le passé et le rêve s’entrelacent constamment pour peu à peu esquisser le portrait des deux protagonistes, pour se jouer de notre regard sur eux et sur la beauté troublante des hasards de la vie.

    Cela commence par des images de l’Inde, fourmillante, colorée, bouillonnante de vie dont la caméra de Lelouch, admirative, caresse l’agitation multicolore. Prémisses d’un voyage au pays « du hasard » et « de l’éternité. » Un voyage initiatique. Puis, il nous raconte une première histoire. Celle du voleur qui sauve sa victime, et de leur histoire d’amour. Celle du film dans le film. Un miroir de celle d’Anne et d’Antoine. Presque un conte. D’ailleurs, devant un film de Lelouch, j’éprouve la sensation d’être une enfant aux yeux écarquillés à qui on raconte une fable. Ou plein d’histoires puisque ce film est une sorte de poupée russe. Oui, une enfant à qui on rappelle magnifiquement les possibles romanesques de l’existence.

    Ensuite, Antoine rencontre Anna lors du dîner à l’ambassade. Antoine pensait s’ennuyer et le dit et le clame, il passe un moment formidable et nous aussi, presque gênés d’assister à cette rencontre, leur complicité qui crève les yeux et l’écran, leur conversation fulgurante et à l’image de l’Inde : colorée et bouillonnante de vie. Il suffirait de voir cet extrait pour deviner d’emblée qu’il s’agit d’un film de Lelouch. Cette manière si particulière qu’ont les acteurs de jouer. Ou de ne pas jouer. Vivante. Attendrissante. Saisissante de vérité. En tout cas une scène dans laquelle passe l’émotion à nous en donner le frisson. Comme dans chacun des tête-à-tête entre les deux acteurs qui constituent les meilleurs moments du film, dans lesquels leurs mots et leurs silences combattent en vain l’évidente alchimie. Ils rendent leurs personnages aussi attachants l’un que l’autre. Le mysticisme d’Anna. La désinvolture et la sincérité désarmante d’Antoine avec ses irrésistibles questions que personne ne se pose. Antoine, l’égoïste « amoureux de l’amour ».

    Comme toujours et plus que jamais, ses acteurs, ces deux acteurs, la caméra de Lelouch les aime, admire, scrute, sublime, magnifie, révèle, caresse presque, exacerbe leur charme fou. Ce film comme chaque film de Lelouch comporte quelques scènes d’anthologie. Dans son précédent film Salaud, on t’aime, les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy nous rejouaient Rio Bravo et c’était un régal. Et ici, chacun des échanges entre Antoine et Anna l’est aussi. Comme dans tout film de Lelouch aussi les dialogues sont parsemés de petites phrases dont certaines reviennent d’un film à l’autre, souvent pour nous rappeler les « talents du hasard » :

    « Mon agent, c’est le hasard. »

    « Mon talent, c’est la chance. »

    « Le pire n’est jamais décevant. »

     Ce film dans lequel l’amour est l’unique religion est une respiration salutaire a fortiori en cette période bien sombre. Un hymne à l’amour, à la tolérance, au voyage aussi bigarrés et généreux que le pays qu’il nous fait traverser. Un joyeux mélange de couleurs, de fantaisie, de réalité rêvée ou idéalisée, évidemment souligné et sublimé par le lyrisme de la musique du fidèle Francis Lai (retrouvez mon récit de la mémorable master class commune de Lelouch et Lai au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014, ici) et celle de la Sérénade de Schubert (un peu trop utilisée par les cinéastes ces temps-ci mais c’est celle que je préfère donc je ne m’en lasse pas), par des acteurs que le montage inspiré, la musique lyrique, la photographie lumineuse ( de Robert Alazraki), le scénario ingénieux (signé Valérie Perrin et Claude Lelouch), et l’imparable et incomparable direction d’acteurs de Lelouch rendent plus séduisants, convaincants, flamboyants et vibrants de vie que jamais.

     Une « symphonie du hasard » mélodieuse, parfois judicieusement dissonante, émouvante et tendrement drôle avec des personnages marquants parce que là comme ils le sont rarement et comme on devrait toujours essayer de l’être : passionnément vivants. Comme chacun des films de Lelouch l’est, c’est aussi une déclaration d’amour touchante et passionnée. Au cinéma. Aux acteurs. À la vie. À l’amour. Aux hasards et coïncidences. Et ce sont cette liberté et cette naïveté presque irrévérencieuses qui me ravissent. Dans la vie. Au cinéma. Dans le cinéma de Lelouch qui en est la quintessence. Vous l’aurez compris, je vous recommande ce voyage en Inde !

    Critique - Documentaire - D'UN FILM A L'AUTRE

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    Le cinéma de Claude Lelouch a bercé mon enfance. D’ailleurs, moi dont la passion pour le cinéma a été exacerbée à et par Deauville, j’étais presque « condamnée » à aimer son cinéma indissociable de cette ville qu’il a magnifiquement immortalisée.

    Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases récurrentes, ses aphorismes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontre magnifiquement de documentaire, D’un film à l’autre, réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.  Un documentaire qui résume un demi-siècle de cinéma.

    Ayant lu l’autobiographie de Claude Lelouch (Itinéraire d’un enfant très gâté, Robert Laffont) que je vous recommande et ayant vu un grand nombre de ses films, j’ai néanmoins appris pas mal d’anecdotes et an ai réentendu d’autres comme l’histoire de la rencontre de ses parents à laquelle fera formidablement écho la remise de son Oscar des années plus tard (je vous laisse la découvrir si vous ne connaissez pas l’anecdote). Magnifique hasard à l’image de ceux qu’il met en scène.

    Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. « C’est plus difficile aujourd’hui de sortir d’un échec, aujourd’hui la terre entière est au courant. À l’époque, cela restait confidentiel. Derrière un échec on peut rebondir autant qu’on veut si on ne demande rien aux autres. Etant donné que j’ai toujours été un spécialiste du système D, j’ai toujours trouvé le moyen de tourner des films » a-t-il précisé lors du débat.

     La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr Un homme et une femme, palme d’or à Canes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement ! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture,  elle  marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera Un homme et une femme, la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Une histoire que vous redécouvrirez parmi tant d’autres comme les derniers instants de Patrick Dewaere,  et puis des tas d’autres hasards et coïncidences et d’histoires sur les uns et les autres que Lelouch nous raconte en voix off, avec passion et sincérité, comme un film, celui de son existence, une existence à 100 à l’heure, à foncer et ne rien regretter à l’image de son court-métrage C'était un rendez-vous qui ouvre le documentaire. L’histoire d’une vie et une histoire, voire une leçon, de cinéma. Claude Lelouch souligne notamment l’importance de la musique tellement importante dans ses films : « L’image, c’est le faire-valoir de la musique ». « Chaque nouvelle invention modifie l’écriture cinématographique. Mes gros plans c’est ma dictature, et les plans larges c’est ma démocratie, et pas de plan moyen. » a-t-il précisé lors du débat. « Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui va très vite et on n’a plus le temps de lire le mode d’emploi alors que de mon temps on avait le temps de lire le  mode d’emploi mais il y a quelque chose qui n’a pas fait de progrès c’est l’amour.  La montée et la descente d’une histoire d’amour  m’ont toujours fasciné. »

    Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même  n’avait « pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot,  Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ».

    Quel bonheur de revoir Jean-Paul Belmondo, Jacques Villeret, Yves Montand, Annie Girardot, Jean Louis Trintignant, Anouk Aimée, Fabrice Luchini Evelyne Bouix, Catherine Deneuve, Lino Ventura, Fanny Ardant,  Francis Huster, Alessandra Martines, tantôt irrésistibles ou bouleversants, parfois les deux, magnifiés par la caméra de Claude Lelouch qui sait si bien, par sa manière si particulière de tourner et surtout de diriger les acteurs, capter ces fameux fragments de vérités. « Les parfums de vérité plaisent au public français. Donner la chair de poule, c’est l’aristocratie de ce métier. » Comment ne pas être ému en revoyant Annie Girardot dans  Les Misérables (film qui lui vaudra ce César de la meilleure actrice dans un second rôle, en 1996, et sa déclaration d’amour éperdue au cinéma ), Jean-Paul Belmondo et Richard Anconina dans Itinéraire d’une enfant gâté ? Des extraits comme autant de courts-métrages qui nous laissent un goût d’inachevé et nous donnent envie de revoir ses films.

     « Il n’y a pas de vraies rencontres sans miracles » d’après Claude Lelouch et chacun de ces miracles en a donné un autre, celui du cinéma.  «L’idée était de raconter l’histoire des films 13 et comment je suis allée d’un miracle à l’autre car un film est toujours un miracle. »

     Alors tant pis si une certaine critique continue de le mépriser (il y est habitué lui dont un critique clairvoyant disait à ses débuts  "Claude Lelouch... Souvenez-vous bien de ce nom. Vous n'en entendrez plus jamais parler.")  voire les professionnels de la profession  car  comme il le dit lui-même :  « Un seul critique qui compte sur moi, c’est le temps qui passe ».

     Alors si comme moi, vous aimez le cinéma de Claude Lelouch et les fragments de vérités, si vous croyez aux  hasards et coïncidences, fussent-ils improbables, découvrez ce documentaire qui est aussi la leçon d’une vie d’un homme  qui a su tirer les enseignements de ses succès et surtout de ses échecs et d’un cinéaste qui a tellement sublimé l’existence et les acteurs, ce dont témoigne chaque seconde de ce documentaire passionnant, itinéraire d'un enfant gâté, passionné fou de cinéma.

    Retrouvez aussi, ici, mon compte-rendu des 10 ans du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule dont Claude Lelouch était l'invité d'honneur.

    Vous voulez davantage de bonnes adresses ? Retrouvez-en de nombreuses autres sur mon autre site In the mood for hôtels de luxe.

  • Télévision – Documentaire - VOIR L’AUTOMNE, UNE SAISON EN FRANCE de Jeremy Frey (mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2)

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    Que ce soit Verlaine avec sa Chanson d’automne (« Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone… »), Camus ( « L’automne est un second printemps où chaque feuille est une fleur») ou Baudelaire (« La beauté de l’automne est un poème écrit par la nature»)…, nombreux sont les poètes et écrivains à avoir célébré cette saison plurielle et mystérieuse charriant une myriade de couleurs envoûtantes, ombrageuses et/ou éclatantes.

    Voir l'automne, une saison en France. Tel est le titre du documentaire inédit de 97 minutes à découvrir dès le vendredi 17 octobre sur france.tv et le mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2. Réalisé par Jeremy Frey, écrit par Jeremy Frey et Rémi Dupouy, il est produit par Hope Production (Yann Arthus-Bertrand…) et Calt Production.

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    © Hope production / Calt production

    Je vous parlais hier, dans mon compte-rendu du troisième Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule (à lire, ici), dont le palmarès a été délivré samedi dernier, du remarquable documentaire de Yann Arthus-Bertrand et Michael Pitiot, France, une histoire d’amour, à découvrir au cinéma le 5 novembre 2025, lauréat du prix des lycéens du festival. Un film dont la sublime photographie (justement signée Jeremy Frey, réalisateur de Voir l’automne) magnifie la beauté du territoire français, de ses visages et de leur générosité. Yann Arthus-Bertrand y prononce la phrase suivante, qui pourrait aussi s’appliquer à cet autre documentaire que je vous recommande aujourd’hui : « Là on va être dirigé par un dictateur sans conscience, le climat. La vie n'a aucun sens. C'est vous qui décidez de donner un sens à votre vie. On a tous la mission et le devoir de protéger la vie sur terre. J'ai passé ma vie à photographier la beauté. C'est quoi la beauté ? C'est les gens qui font, qui partagent. Cette beauté a un nom très simple. Elle s'appelle l'amour. »

    En 2024, l’automne avait aussi inspiré une fiction avec François Ozon qui, dans Quand vient l’automne, filmait ainsi des personnages aux couleurs lunatiques à l'image de celles de cette saison dont il célébrait la mélancolie troublante. Un film ensorcelant et chamarré comme les couleurs automnales (photographie de Jérome Alméras), doux et cruel, savoureusement ambigu, qui célèbre autant l’automne de la vie que cette saison, et qui s’achève, comme toujours chez Ozon, par la fin logique d’un cycle, entre ambivalence et apaisement.

    Ce documentaire lui rend aussi un magnifique hommage, sensoriel. C’est un hymne à cette saison et à la nature, et un vibrant plaidoyer pour sa préservation. En automne, la nature flamboie, déploie toute une palette de couleurs et d’émotions, dont le réalisateur capte ici avec une infinie sensibilité la moindre nuance et le moindre frémissement.

    Synopsis : Au fil d'images insolites et grandioses, sensibles et inédites de la faune comme de la flore, une découverte de l'automne de l'intérieur, pour mieux en saisir le fonctionnement et les nuances. Des jardiniers, professeurs, pompiers, activistes, gardes forestiers, photographes amateurs ou cantonniers révèlent, à travers leurs expériences, anecdotes et récits, de multiples façons de regarder la nature. Dans des paysages hauts en couleur, ils invitent à une exploration inédite de la nature en France, à un décryptage des phénomènes qui font l'actualité en automne et à une invitation à s'émerveiller devant les temps forts et les bouleversements de cette saison si particulière. "Voir l'automne, une saison en France" nous entraîne dans un voyage sensible à travers ceux qui vivent la saison au plus près du vivant.  Un couple de jeunes vignerons dont les festives vendanges marquent le début de l’automne. Un vieux berger, mémoire du Mercantour, qui transmet son savoir à sa fille en pleine transhumance. Un apnéiste qui vit une histoire avec un phoque dans le Finistère, au moment de la saison des amours. Une acousticienne qui tente de capturer la puissance du brame du cerf. Marie, jeune biologiste à Saint-Pierre-et-Miquelon, face à une baleine à bosse qui entame sa migration. Yann Arthus-Bertrand face à un chasseur à la hutte en baie de Somme. Vincent, dans les Pyrénées, photographe animalier en devenir, le seul à voir régulièrement l’ours, bientôt en hibernation.

    Cela débute par des silhouettes qui s'avancent face à des images somptueuses d'automne dans la brume, comme si ces ombres nous invitaient à entrer dans l’image, à nous glisser dans le fascinant labyrinthe automnal, à nous laisser éblouir avec elles par la magie de cette saison, à pénétrer dans un conte qui narre les grandes étapes de l'automne en France, à travers les « rencontres avec ceux qui les vivent aux premières loges. » « Je crois que tu vas voir l'automne » annonce ainsi le réalisateur Jeremy Frey à Yann Arthus-Bertrand, comme s’il l’invitait lui aussi à entreprendre ce périple fabuleux grâce aux « images tournées en milieu naturel par l'équipe à cette saison ».

    Dès les premiers plans, la beauté stupéfiante des images accompagnées et sublimées par la musique, lyrique et prenante, nous saisit et nous emporte. Nous voilà embarqués pour un voyage qui nous donne à voir la beauté versatile et captivante de l’automne. Chaque plan du film exhale et exalte la beauté éblouissante de la nature. Ses couleurs chatoyantes nous invitent ainsi à une danse consolante.

    Une attention particulière est accordée aux sons. « Car l’automne, c’est aussi une musique. » Le réalisateur explique ainsi avoir travaillé avec « des ingénieurs du son, des acousticiens et des compositeurs pour révéler cette dimension acoustique, pour que les oreilles s’ouvrent autant que les yeux. » Et le résultat est époustouflant. Comme si nous étions un animal se faufilant dans cette nature vibrante, guidés et émerveillés par la poésie de ses bruits : le vent dans les feuilles mortes, le chant des oiseaux, le bourdonnement des abeilles, le bruissement d’ailes ou de pattes sur les feuilles, la pluie qui rebondit et crépite sur la végétation…et même la force (d’autant plus) saisissante des silences et le rire cristallin des enfants.

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    © Hope production / Calt production

    Dans sa note d’intention, le réalisateur explique qu’il souhaite filmer « le sauvage, réellement » et « nous réapprendre à voir l’automne, à l’écouter, à nous en émerveiller. » À cette époque insatiable, dans laquelle l’attention est constamment sollicitée, une émotion supplantée par une autre, dans une surenchère et un enchaînement harassants de bruits et d’images, ce documentaire remplit la salutaire et noble mission de nous inviter à saisir la beauté, à prendre le temps, à voir et à écouter ce qui est là, juste face à nous, et que nous ne distinguons pourtant bien souvent même plus. Ce tableau bouleversant de la nature ne le serait pas sans le regard empreint d’humanité, de sensibilité et de douceur qui se pose dessus mais aussi sans la vision de ceux qui racontent « leur » automne. L’entreprise n’est pas seulement esthétique et sensorielle mais pédagogique, aspirant à contribuer à renouer le lien entre l’homme et la nature, à redonner envie de préserver ce monde qui nous fait vivre.

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    © Hope production / Calt production

    Ce voyage inoubliable, nous fait passer par toutes les couleurs et les émotions de l’automne, des plaines au littoral, en passant par la montagne, les marais, l’océan et les forêts, la mangrove, du mois de septembre avec ses dernières fleurs, en plaine avec les libellules, le sanglier d’Eurasie, le chevreuil d’Europe, en passant par les vignobles, la saison des amours des phoques, jusqu’à décembre avec les premières neiges dans les Alpes du Nord.

    À travers les histoires de chacun, ce voyage intime et universel nous dévoile les merveilles de cette saison méconnue, pourtant essentielle pour beaucoup d’espèces. Le premier intervenant a été victime d’un accident de chasse à cause duquel il a perdu l’usage de tout son corps jusqu’au torse. Sans esprit de revanche mais animé par la bienveillance, il explore la biodiversité, apprend aux enfants à connaître les abeilles, leur explique que, à cause du frelon asiatique, la  « survie de la ruche est engagée si on ne fait rien. » Ce film célèbre la diversité, la richesse et la magnificence de la vie à travers les témoignages. Les histoires à travers lesquelles l’automne est raconté humanisent la nature. Comme la bouleversante Élodie, photographe d’animaux sauvages, pour qui la nature était un refuge quand elle était harcelée à l’école : « La nature, c’était un refuge pour moi, parce que j’ai été harcelée à l’école. J’allais dans la nature pour évacuer. Dans la nature, il n’y a pas de bons ni de mauvais, il n’y a pas de juste ou d’injuste. En fait, la nature, elle est, tout simplement. » Tout concourt à souligner (sans jamais surligner, la caméra caresse l’environnement, avec respect) la puissance émotionnelle de la nature et à souligner le rôle crucial de tout ce et ceux qui la compose(nt). Il nous rappelle aussi que l’observation de la vie sauvage ne nécessite pas forcément d’aller au bout du monde.

    Jeremy Frey est réalisateur de documentaires société comme 7 jours à Kigali la semaine où le Rwanda a basculé, qu’il avait coréalisé avec Mehdi Ba, dont je vous avais déjà parlé, ici. Un documentaire là aussi porté par une réalisation inspirée, élégante, sensible, respectueuse de la parole, des drames et des émotions des victimes auxquelles il rend magistralement hommage et donne une voix. Un documentaire qui nous laissait avec le souvenir glaçant de ces témoignages mais aussi le souvenir de sublimes vues (notamment aériennes) qui immortalisent   la beauté vertigineuse de cette ville auréolée de lumières, malgré ses terribles cicatrices, une ville porteuse d’espoir, si lointaine et soudain si proche de nous. Grâce à la force poignante des images. Et des mots. Foudroyants. Comme le mariage improbable de la beauté et de l’horreur absolues. Jeremy Frey est aussi réalisateur de documentaires nature pour National Geographic, France Télévisions, Netflix et Arte. Il est également le directeur artistique de la série Affaires Sensibles, le réalisateur de Féminicides pour France2/Le Monde, et le fondateur des sociétés Jmage et Saola studio et enfin le directeur photo notamment sur les longs métrages de Yann Arthus-Bertrand, dont Human dont je vous avais longuement parlé, ici, qui est bien plus qu’un documentaire et un projet salutairement naïf et pharaonique. Human est en effet un voyage émotionnel d’une force redoutable (comme l'est Voir l'automne, d'ailleurs), une démonstration implacable de la réitération des erreurs de l’humanité, une radiographie saisissante du monde actuel, un plaidoyer pour la paix, pour l’écoute des blessures de la planète et de l’être humain dans toutes leurs richesses et leurs complexités, une confrontation clairvoyante, poignante au monde contemporain et à ceux qui le composent. Un documentaire nécessaire, d’une bienveillance, d’une empathie et d’une utopie salutaires quand le cynisme ou l’indifférence sont trop souvent glorifiés, et parfois aussi la cause des tourments et les ombres du monde que Human met si bien en lumière.

    Avec la sensibilité et la délicatesse de son regard, qui saisit et suscite les émotions d'une manière si personnelle et universelle, avec une rare acuité, et avec la beauté éblouissante et si singulière  de ses images, nous ne pouvons que souhaiter que le réalisateur de Voir l'automne, une saison en France passe à la fiction, genre qui n’est pas plus ou moins noble que le documentaire, mais auquel il apporterait certainement un supplément d’âme.

    En attendant, vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce documentaire dans lequel, par ailleurs, l’ensemble de l’équipe qui y a contribué est sciemment et intelligemment mise en avant. Soulignons donc aussi le formidable travail de montage qui donne encore plus de vivacité, d’élan et de profondeur au film (montage signé Véronique Algan).

    Un documentaire qui prend au cœur, qui nous donne la sensation de flotter comme la brume qui sinue au-dessus des arbres, ou de tournoyer comme le ballet des baleines, ou de virevolter avec les feuilles qui tombent au sol, ou d’être emportés par le vol majestueux de l’aigle royal. Comme le souligne une des intervenantes qui étudie les bruits de la nature, « On change d'échelle. On devient une fourmi. Un oiseau. » C’est aussi la sensation que procure ce documentaire au téléspectateur. Certaines images restent gravées comme la féérie mirifique des forêts qui s’embrasent. Comme ces chiens de protections de troupeaux. Comme cet « hypnotisant » iguane des petites Antilles, « L'animal du présent qui t'amène dans le passé » comme le qualifie Angeline, l’experte des mangroves, « monstre magnifique » comme le définit le réalisateur. Comme l’isard des Pyrénées et sa course folle et superbe sur les montagnes. Comme la fougue magnifique des chevaux qui galopent. Comme la « danse de la baleine ». Comme le vol des oiseaux dans la baie de Somme. Comme les contrastes entre la noirceur du ciel et la blancheur de la neige. Comme ces phoques absolument sublimes devant lesquels nous ne pouvons que partager le sentiment de Yann Arthus-Bertrand qui trouve si « émouvant de voir des animaux qui ont été exterminés revenir ici chez eux ». Rarement la biodiversité, à travers les différents témoignages et le portrait de l’automne, aura été aussi si bien célébrée.

    Ce documentaire est comme une danse enivrante avec la nature. Il nous invite à valser avec elle, avec douceur, pour en éprouver la force paisible, en ressentir la respiration rassurante et fragile, vibrer à l'unisson de celle-ci. Comme un conte adressé à l’enfant qui subsiste en nous, pour réveiller son émerveillement. Il met en exergue ce que la nature recèle de plus subtil, d’infime ou grandiose. Les odeurs chantantes de l’automne. Le brasier féérique des forêts. Les trajectoires émouvantes de ceux qui traversent l’automne, femmes, hommes ou animaux. Un artifice de couleurs. Un périple étourdissant de beauté. Ours brun, salamandre, vautour fauve, baleine à bosse de l’Atlantique, chocards à bec jaune, bouquetin des Alpes…autant d’animaux (parmi de nombreux autres) qui en sont les héros admirables, filmés dans toute leur noblesse. Quelques animaux en images d’animation renforcent l’aspect poétique, et la beauté picturale de l’ensemble. La musique (elle aussi sublime), principalement la musique originale d’Anna Kova et Full Green mais aussi classique (Vivaldi…) procure encore plus de majestuosité grisante et de souffle épique au film comme s’il était la matérialisation visuelle de cette citation de George Sand : « L’automne est un andante mélancolique et gracieux qui prépare admirablement le solennel adagio de l’hiver ». Un voyage envoûtant au cœur (battant la chamade) de l'automne. Une ode fabuleuse à la nature et à l'émerveillement. Un périple enrichissant, incontournable, pour petits et grands. Dès le vendredi 17 octobre sur france.tv et le mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2.

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    ("Voir l'automne" est gratuitement mis à la disposition des établissements scolaires, associations, ONG et toute initiative non commerciale pour organiser une projection, en toute autonomie. Sur le site voirlautomne.fr., vous trouverez aussi comment vous engager au quotidien (en limitant la consommation de viande, en protégeant les espèces en voie d’extinction, en limitant la chasse, en laissant un coin en friche dans votre jardin en évitant de tondre, en mangeant bio pour diminuer les pesticides si vous en avez les moyens, en plantant des haies, des arbres et des fleurs pour aider la pollinisation, en rejoignant une association de préservation de la biodiversité) et une liste d’associations.