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Cinéma - Page 14

  • Critique – UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN de Sandrine Kiberlain

    Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain - Critique du film.jpg

    Ce film sorti en janvier dernier est désormais disponible en VOD notamment sur Universcine.com. Si comme moi vous l’aviez (honteusement) manqué en salles, et même s’il est toujours (et plus que jamais) préférable de voir un film au cinéma, je ne peux que vous recommander de rattraper ce premier long-métrage de Sandrine Kiberlain, notamment parce que rares sont les films dont le souvenir et le dernier plan vous saisissent ainsi pour ne plus vous quitter.

    Irène (Rebecca Marder) a 19 ans. L’âge de tous les possibles : les élans, les passions, les folies, les joies, l’aplomb et la timidité. Seulement, Irène vit à Paris. Seulement, c’est l’été 1942. Seulement, Irène est juive. En apparence insouciante, elle vit dans le même appartement que son père (André Marcon), son frère Igor (Anthony Bajon) et sa grand-mère Marceline (Françoise Widhoff). Il y a aussi son amie comédienne (India Hair). Ses journées sont rythmées par ses rêves de théâtre et de grand amour. Et par des évanouissements. Elle veut entrer au Conservatoire et répète avec Jo (Ben Attal) la scène qu’ils passeront ensemble pour le concours.

    Irène rayonne, virevolte, court d’un lieu à l’autre, passe d’un rêve à l’autre… Et pourtant sur cette joie juvénile qui pourrait être celle d’une jeune fille d’aujourd’hui plane une ombre grandissante. Jo disparaît, sans que personne ne sache ni où ni pourquoi. Et puis bientôt, l’inscription « juif » doit être placardée sur les cartes d’identité. Les téléphones, bicyclettes, radios sont aussi confisqués…  

    Une jeune fille qui va bien a été présenté en Séance Spéciale à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2021. C’est le premier long-métrage réalisé par Sandrine Kiberlain qui avait auparavant réalisé un court intitulé Bonne figure qui avait également été présenté à la Semaine de la Critique, en 2016. Elle en signe également le scénario. Tant de rôles marquants ont jalonné sa belle carrière. Parmi la soixantaine, je retiendrai celui des Patriotes d'Eric Rochant ou celui du film de Bruno Podalydès Les Deux Alfred, une comédie  à la fantaisie réjouissante, dans laquelle Bruno Podalydès porte un regard à la fois doux et acéré sur les absurdités de notre société, et dans laquelle elle est désopilante, en passant, à l'opposé, par Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé dans lequel en femme rayonnante mais blessée elle parvient à faire passer l'émotion sans jamais la forcer. Et tant d’autres….Avec ce long-métrage, elle s’impose aussi comme une réalisatrice de talent.  Elle s’est inspirée de ses propres souvenirs de cours d’art dramatique et du passé de sa famille sous l’Occupation pour écrire ce film follement solaire, sur fond d’une Histoire pourtant si sombre, dont la légèreté apparente souligne paradoxalement encore davantage la gravité et la violence d’une époque, majoritairement hors champ.

     Sandrine Kiberlain a en effet opter pour ce prisme brillant, pudique et audacieux : donner à son film qui se déroule en 1942 des couleurs intemporelles, et même très actuelles. L’intrigue pourrait parfaitement se dérouler en 2022, si… Et tout comme il est impossible d'oublier la petite fille au manteau rouge au milieu du noir et blanc dans La liste de Schindler de Spielberg, il sera impossible d'oublier la gaieté furieuse d'Irène et sa résistance à la résignation.

    Les décors et les costumes sont d’une sobriété telle qu’ils pourraient être d’aujourd’hui. La musique joue également volontairement la carte de l’anachronisme entre d’un côté la BO de Patrick Desremaux et de Marc Marder dont la clarinette représente la judéité et, de l’autre, des titres préexistants de Metronomy ou Tom Waits. L’identification et la résonance n’en sont que plus fortes. Retranscrire ces heures sombres sous des couleurs joyeuses et estivales rend le drame encore plus universel, poignant. Parce qu’à tout moment nous savons que la noirceur peut les ternir, recouvrir, annihiler. L’implicite et le silence sont omniprésents. L’occupant nazi n’apparaît jamais que par les conséquences de ses actes brutaux et iniques ou partiellement dans un ultime plan, d’une force inouïe. La menace est d’abord invisible. C’est une disparition. Puis, c’est l’antisémitisme de l’époque, qui connaît parfois de terribles résurgences, là aussi qui apparaît par bribes et qui n’a pas vraiment de visage. Les visages mis en lumière sont ceux des victimes et non des bourreaux, qui n’ont ainsi que le sort qu’ils méritent : l’ombre. Sur les victimes, la lumière, pour leur donner la parole et un visage.

     Ce sont aussi des scènes a priori anodines, lorsque Marceline et une amie cherchent la définition du mot peur dans le dictionnaire.  Ou ce silence éloquent lors d’un repas de famille. Et quand Irène doit arborer l’étoile jaune, la caméra n’insiste pas, de même lorsqu’elle est renvoyée de son travail d’ouvreuse dans un théâtre et que la scène est muette, montrée à travers une vitre. Toujours, l’éloquence du silence. Ou encore, lorsque sur ce banc du Jardin du Palais Royal où elle a l’habitude de se retrouver avec son père, la lumière s’abaisse, le plan se resserre. Comme si ce moment de quiétude n'était qu’un leurre.

    Ce film sur le passé célèbre la force et l’énergie du présent, sa beauté et sa fragilité. La force des mots aussi. Les mots tu(é)s. Les mots de Marivaux. Ceux par lesquels commencent le film lorsque les comédiens répètent. Finalement, avec cette tragédie réelle dans laquelle l’innommable se produisit, une réalité effroyable qu’aucune fiction n’aurait pu imaginer, la tragédie inventée semble plus acceptable, un refuge dans le sublime et dans l’ailleurs.

    Rebecca Marder est une Irène qui irradie de joie de vivre. Avec sa charmante maladresse et sa vitalité contagieuse, elle est absolument irrésistible. Elle vibre de l’amour du théâtre et de la vie, des premiers élans amoureux aussi. Et elle contamine tout le film de la fouge de sa jeunesse. Derrière sa légèreté perce pourtant par moments une gravité qui n’en est que plus ravageuse.  Elle apporte toute sa grâce à ce rôle magnifique, délicat, plein de charme et de candeur derrière lesquels elle dissimule la lucidité de ce qui se trame et que son corps lui rappelle par ses évanouissements. Pensionnaire depuis 2015 de la Comédie-Française, elle avait joué auparavant dans La Daronne, Un homme pressé et Seize Printemps, même si c’est là son premier grand rôle, et probablement pas le dernier. Autour d’elle, quelle pléiade d’acteurs ! André Marcon en père attentionné et inquiet qui cherche avant tout à protéger ses enfants, Anthony Bajon dont la présence singulière imprègne toujours fortement, cette fois dans le rôle du frère. India Hair dans le rôle de l’amie dont la capacité à nous faire passer du rire aux larmes contribue beaucoup aussi à la force de la dernière scène. Françoise Widhoff qui interprète la grand-mère Marceline, n’est quant à elle pas actrice productrice et monteuse mais pas moins crédible. Il faut aussi  nommer Cyril Metzger, lui aussi solaire, dans le rôle de l’amoureux.

    Le titre résonne comme un cri de résistance. Après cette course contre l’horreur et pour la vie, la fin nous laisse ko, abasourdis. La menace implicite devient explicite, physique et abrupte, brusquement. On se rappelle alors les mots de Marceline, à son petit-fils Igor : « Rien ni personne ne pourra jamais prendre le dessus sur la vie ».

     Petite fille d’artistes juifs polonais installés en France en 1933, Sandrine Kiberlain appose sur le film ce mélange de gravité et de légèreté qui, me semble-t-il, la caractérisent. « Je pense qu’on se doit de ne jamais oublier ce que fut la Shoah, d’en parler aux enfants pour que ça ne se reproduise pas. On peut le faire à travers la littérature et la musique. Moi, j’ai choisi le cinéma parce que c’est ce qui m’émeut le plus. », « J ’ai repensé à l’effet que m’avait fait deux histoires. L’une que ma grand-mère m’avait racontée et Le Journal d’Anne Frank. » Le générique de fin cite également Le Journal d’Hélène Berr, journal tenu par une étudiante juive parisienne, Hélène Berr, d'avril 1942 à février 1944. « La force de vie et l’écriture d’Hélène Berr m’ont marquée. C’est un livre qui m’a quasiment traumatisée, notamment parce que j’ai été traversée par la jeunesse d’Hélène Berr ce qui fait mesurer avec encore plus d’acuité l’horreur de ce qui va advenir. C’est notamment ce livre qui lui a donné envie de raconter cette période de l’Histoire par le prisme d’une jeune fille » a ainsi expliqué Sandrine Kiberlain.

    Un film aux résonances universelles comme l'est le Journal d’Anne Frank, qui doit tout autant être montré aux jeunes générations. Pour ne pas oublier. Que cela fut. Que cela pourrait advenir à nouveau. Que le présent et la liberté sont aussi précieux que fragiles. Cette ode à la vie les célèbre magnifiquement et nous laisse avec leur empreinte, pugnace et sublime. Un grand premier film qui nous rappelle qu’il ne faut jamais oublier, et que l’on n’oubliera pas. Je ne l'oublierai pas. Et je vous garantis qu'il en sera de même pour vous. Ne passez pas à côté !

  • Critique de CINEMA PARADISO de Giuseppe Tornatore (à -re-voir au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2022)

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    Le 8ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (dont je vous parle plus longuement, ici, et dont nous venons également d’apprendre que son jury serait présidé par Alexandre Astier) rendra cette année hommage à Ennio Morricone avec la projection du film Ennio : The Maestro de Giuseppe Tornatore.

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    Cinema Paradiso sera également diffusé sur la plage de La Baule le vendredi 1er juillet. Une idée d’autant plus judicieuse que cette projection sera aussi l’occasion de rendre hommage au grand acteur et producteur qu’était Jacques Perrin à qui le festival avait d’ailleurs attribué un Ibis d’or d’honneur, en 2018.

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    Je n’avais pas revu ce film depuis mon enfance. Simplement me souvenais-je de ce lieu suintant de vie et de chaleur, au cœur de la Sicile, où se trouve le Cinema Paradiso, du lien si touchant entre Toto et d’Alfredo, de ces extraits de films qui transpirent la passion du cinéma. Et qu’il m’avait bouleversée.  Avec le recul des années, l’émotion fut encore plus forte. Les thèmes évoqués ont pris une tout autre résonance parce que ce que l’enfance laissait deviner, l’âge adulte a permis de l’expérimenter. La nostalgie. La mélancolie. L’écoulement du temps qui emporte tout, même les êtres chers. Mais c’est aussi tout ce que le cinéma, par son pouvoir magique, peut rendre éternel. Et tout ce que ce même temps dévoreur n’emporte pas : les rêves. Parce que Cinéma Paradiso est avant tout cela, une déclaration d’amour fou au cinéma. A sa capacité à procurer à tout ce qui est éphémère des accents d’éternité. Le cinéma, dans ce film, est plus que jamais une fenêtre ouverte sur les rêves, ceux qui bercent d’illusions réconfortantes. Comme celles de cette histoire qu’Alfredo raconte à Toto, cet homme qui promet d’attendre la femme qu’il aime sous sa fenêtre 100 nuits et qui renonce à la 99ème. Comme le dit Alfredo, « La vie, c'est pas ce que tu as vu au cinéma. La vie c'est plus difficile que ça. » Oui, mais il y a le cinéma pour l’adoucir, l’éclairer, en sublimer les sentiments et transcender les émotions. Pour rêver d’une autre vie, pour s’identifier à d’autres destins, ceux projetés sur l’écran. Et pour croire à l'impossible, envers et contre tout.

    Sunset Boulevard de Billy Wilder. Eve et La Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz. Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly. Les Ensorcelés de Minelli. The Artist d’Hazanavicius, La La Land de Damien Chazelle. 8 ½ de Fellini. Les grands films sur le cinéma ne manquent pas. Cinéma Paradiso ne dénote bien sûr pas dans cette liste. Je vous parle aujourd’hui de la version director’s cut de 2H35 dont la dernière partie évoque l’amour de jeunesse de Toto (incarné alors par Brigitte Fossey, coupée dans les autres versions.) La version originale de 173 minutes avait en effet été classifiée défavorablement lors de sa présentation au comité de censure italien en 1989. Le film fut donc écourté pour sa sortie en salle. En 2002 sortait la version « Director's cut ». Cinema Paradiso eut en effet trois versions différentes. Lors de la sortie initiale en 1988 en Italie, le film durait 2 h 35. Pour le Festival de Cannes 1989, la durée fut ramenée à 2 h 03 par la Miramax. Le film obtint alors le Prix spécial du Jury, puis le Golden Globe et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, parmi de nombreuses autres récompenses.

    Un pot de fleurs face à la mer dans un appartement. Le vent qui agite les rideaux. Et la musique de Morricone. Ainsi commence Cinema Paradiso qui, par ce simple plan, déjà, nous ensorcelle par ses parfums de nostalgie. Puis, c’est le coup de fil de la mère de Salvatore qui essaie de le joindre depuis la Sicile. Il ne répond pas. « Il est trop occupé. Il y a bien 30 ans qu'il ne vient plus nous voir …» remarque la sœur de ce dernier. « Il se souviendra. Il se souviendra, j'en suis sûre… » rétorque sa mère. Sa compagne du moment transmet le message à Salvatore. Le message suivant :  « Un certain Alfredo est mort. Demain, c'est son enterrement. »

    Avec la mort d’Alfredo, incarné par Philippe Noiret, pour Salvatore di Vitta (Jacques Perrin), cinéaste reconnu, c'est tout un pan du passé qui s'écroule et qui, subitement, rejaillit dans sa vie. On l’appelait Toto a l'époque. Il partageait son temps libre entre l'office où il était enfant de chœur et la salle de cinéma paroissiale, en particulier la cabine de projection où régnait Alfredo.

    Les souvenirs de Salvatore nous ramènent alors en 1954. Dans un village de Sicile, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Toto, petit garçon facétieux et malin, fou de cinéma, orphelin d’un père qui "ressemblait à Clark Gable", passe son temps à perturber le projectionniste de la salle paroissiale, le Paradiso, avant de devenir son ami, et même son assistant et remplaçant dans la cabine de projection. Alfredo était aussi employé par la paroisse pour couper les scènes trop osées ou en tout cas considérées comme telles à l’époque, quand ne serait-ce qu’un simple baiser constituait déjà une atteinte à la pudeur.  L'histoire de cette salle de cinéma, véritable personnage du film, se confond alors avec celle de Salvatore.

    Une véritable amitié se noue entre le petit garçon turbulent et le vieux bougon autour de leur passion commune pour le cinéma. Le premier va s’assagir et le second va s’adoucir et dévoiler toute sa générosité et tendresse devenant le père de substitution du petit garnement. Lors d’un immense incendie qui ravage le cinéma, Toto sauve Alfredo des flammes. « Comment je fais moi si t’es pas là… » dira ainsi Alfredo, bouleversé et bouleversant.  Alfredo devenu aveugle, Toto le remplace puis le seconde dans ce qui est devenu le Nuovo Cinema Paradiso, reconstruit par un riche mécène.  Toto croise alors Elena, fille d’une famille bourgeoise. Il en tombe fou amoureux et après de nombreux efforts, malgré l’opposition de sa famille, son amour se révèle réciproque.

    Alfredo demande ensuite à Toto de partir de leur village sicilien et de ne jamais revenir. « Va-t-en retourne à Rome. Je ne veux plus t'entendre parler. Je veux juste entendre parler de toi. Ne reviens plus. Ne te laisse pas envahir par la nostalgie. Et si tu ne résistes pas ne viens pas me voir. Je ne te laisserai pas entrer. Quel que soit le métier que tu choisiras, aime-le comme tu as aimé la cabine du Paradiso quand tu étais petit. » Il partira alors pour Rome et y restera 30 ans sans revenir, sans avoir revu Elena qu’il avait attendue et cherché en vain. Le destin, un concours de circonstances et Alfredo les auront séparés.  Quand il revient pour les obsèques d’Alfredo, il se remémore alors son passé et cet amour qu’il n’a jamais oublié…et qu’il croit reconnaître. « Après toutes ces années, je croyais que j'étais devenu plus fort et que j'avais oublié des tas de choses mais en fait je retrouve tout comme avant comme si je n'étais jamais parti. »

    Le cinéma a fermé ses portes, et va être dynamité pour devenir un parking. L’histoire de Cinema Paradiso est aussi celle de l’histoire de la salle de cinéma, ce paradis anéanti par de nouvelles habitudes et de nouveaux loisirs, et par la télévision. C’est la fin d’une époque, celle où il n’y avait pas de télévision chez soi, quand le cinéma concentrait tous les désirs, toute la fièvre d'un village, celle d’un cinéma fédérateur, véritable temple, avant la désaffection des salles dans les années 80.

    Après la mort d'Alfredo, Salvatore récupérera un cadeau rempli d’amour(s) :  toutes les séquences interdites qu’Alfred a soigneusement collées les unes après les autres « Le feu se termine toujours en cendres. Même les plus grandes histoires d'amour se terminent. Et après, il y en a d'autres qui naissent. Tandis que Toto n'a qu'un seul avenir devant lui. » avait dit Alfredo à Elena. La vie et les amours périclitent. Mais le cinéma les rend éternels...

    Que serait ce film sans sa magnifique distribution ? Salvatore Cascio puis Marco Leonardi qui incarnèrent Toto enfant puis adolescent. Mais surtout Jacques Perrin qui apparaît peu à l’écran mais dont la présence puissante et lumineuse procure toute sa force mélancolique au film. Que d’expressions sur son visage  ! La bonté, la nostalgie, l’amour, et l’enfance qui semble toujours là, si prégnante, et qui illumine son visage d'une douce innocence. Comment ne pas fondre quand il dit « Mais je ne t'ai jamais oubliée Elena » ? D’ailleurs, je me demande si le choix de ce prénom dans le scénario de Giuseppe Tornatore n’était pas un hommage au Dernier métro de Truffaut. J'ai alors pensé à cette réplique du film de Truffaut :

     Est-ce que l'amour fait mal?

    - Oui, ça fait mal. [...] Tu es belle, Héléna. Quand je te regarde, c'est une souffrance.

    - Hier, vous disiez que c'était une joie.

    - C'est une joie et une souffrance.

    L'inoubliable musique d’Ennio Morricone vient renforcer toute la poésie mélancolique qui se dégage du film et du visage de Jacques Perrin. De ce "rêve merveilleux" comme Elena qualifiera son histoire d'amour avec Salvatore. Un rêve merveilleux, comme l'est le cinéma...Cinema Paradiso, c'est le récit nostalgique d'une époque révolue. Une ode au rêve. A la puissance du cinéma à laquelle le film par ses nombreux extraits de classiques rend le plus beau des hommages. Mais aussi par ce dernier plan sur le visage de Jacques Perrin qui, par le pouvoir magique du 7ème art, retrouve les émotions de son enfance et le message d'amour que lui envoie Alfredo, par-delà la mort. Un parfum d'éternité. Le cinéma est décidément un paradis. Celui des vivants. Peut-il y avoir plus belle invention que celle qui nous permet d' accéder vivants à ce paradis ? Comment ne pas aimer un film dont toute l'histoire traduit ainsi la magie du cinéma ?

    Je vous laisse reconnaître les nombreux films dont figurent des extraits : L’Ange bleu de Josef von Sternberg, Les Lumières de la ville et Les Temps modernes et La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin,  Autant en emporte le vent de Victor Fleming , Casablanca de Michael Curtiz , Gilda de Charles Vidor, La chevauchée fantastique de John Ford, Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, Les Chemins de la haute ville de Jack Clayton…et beaucoup d’autres. Un voyage dans l’histoire du cinéma, un édifice impressionnant auquel ce film s’ajoute. Tout aussi incontournable ! Rendez-vous sur la plage de La Baule le 1er juillet pour le (re)découvrir dans des conditions exceptionnelles.

  • Podcast - Inédit - Nouvelle "Un Certain 14 novembre" (extraite du recueil "Les illusions parallèles" - Editions du 38 - 2016)

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    Je vous invite à écouter ma nouvelle « Un certain 14 novembre » dont l’intrigue a pour cadre le Festival de Cinéma et de Musique de Film de La Baule.

    Un podcast à écouter sur Spotify, ici.

    Je viens d’enregistrer cette nouvelle, à l’occasion prochaine de la 8ème édition du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule avec l’accord de mon éditeur Les éditions du 38 qui, en 2016, avait publié mon recueil de 16 nouvelles sur le cinéma Les Illusions parallèles contenant ce texte.

    Ce recueil est toujours disponible, en papier et numérique, à la commande (fnac, amazon, librairies indépendantes...) ou encore à la Librairie du Cinéma du Panthéon  mais aussi sur le site des Éditions du 38, ici. J’avais notamment eu le plaisir de le dédicacer dans le cadre du festival 2016, en lien avec la Librairie Lajarrige.

     

    Le principe du recueil est que chaque intrigue, fictive, s’inspire du thème du festival qui lui sert de décor mais aussi d’événements réels. Celle-ci m’a été inspirée par un certain 14 novembre qu’aucun festivalier présent ce jour-là n’a pu oublier...

    L’édition 2022 du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, qui se déroule désormais en été, se tiendra du 28 juin au 3 juillet avec, toujours, la musique de film à l’honneur.

    Vous pouvez d’ores et déjà retrouver mes articles concernant cette édition 2022 (ici)  avec, notamment, la critique de « Cinema Paradiso » de Giuseppe Tornatore qui sera projeté sur la plage de la Ville de La Baule-Escoublac  dans le cadre des hommages à Ennio Morricone et à Jacques Perrin, mais aussi les premières annonces sur la programmation qui sera dévoilée dans son entièreté ce 12 juin (concert d'Alexandre Desplat, présidence du jury attribuée à Alexandre Astier...).

    LES ILLUSIONS PARALLÈLES - EXTRAIT DE LA 4ÈME DE COUVERTURE  :

    « Des textes magnifiques et romanesques, passionnés, d’une écriture délicate et néanmoins incisive, dans lesquels Sandra Mézière fait parfois cruellement tomber les masques et dévoile sans concession l’envers du décor. Elle partage ici sa passion dévorante pour le cinéma et les festivals qu’elle couvre depuis longtemps et dans les coulisses desquels ces nouvelles vous emmèneront pour vous faire voyager, frissonner, rêver, vibrer… comme au cinéma !».

  • Master class acoustique de Gabriel Yared au cinéma Le Balzac

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    Ce 2 juin, au cinéma Le Balzac, organisée par l'association Hors champ (dont l’idée est de dialoguer sur l’origine du geste, qu’il soit celui de la photographie, du cinéma ou de l’art contemporain), avait lieu une passionnante master class acoustique de Gabriel Yared, un dialogue musical animé par Léolo, entrecoupé d'extraits de films et de musiques jouées au piano par Gabriel Yared. Un moment intimiste, privilégié, hors du temps et absolument captivant.

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    Gabriel Yared revenait tout juste du Festival de Cannes dans le cadre duquel a été présenté L’Envol, nouveau long métrage du réalisateur italien Pietro Marcello dont il signe la partition mais également les chansons du film, paroles et musique (sortie prévue en 2023). Le 18 mai 2022, L’Envol a fait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, en Première mondiale. Par ailleurs, le Lundi 23 Mai 2022,  Gabriel Yared a donné une leçon de cinéma au Festival de Cannes en partenariat avec la Sacem qui lui a rendu hommage ainsi qu’à ses 50 ans de carrière.

    Parmi ses nombreuses distinctions, il a remporté l’Oscar de la Meilleure Musique de Film pour Le Patient Anglais.

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     Récemment, Gabriel Yared a également composé la musique du premier long métrage de Jimmy Keyrouz, Le dernier Piano,  notamment choisi pour représenter le Liban pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

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    En 2021, Gabriel Yared a également composé la musique de Broadway (sorti en salle le 1er juin 2022). Une histoire de danseurs, de vagabonds et de voleurs dans l’Athènes des temps modernes. Soutenu en développement par le Sundance Institute et l’Atelier de la Cinéfondation du Festival de Cannes, Broadway est le premier long métrage de Christos Massalas, jeune scénariste et réalisateur grec.

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    Gabriel Yared était également l’invité d’honneur du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2019 lors duquel avait eu lieu un concert en son honneur. Cet hommage avait été rendu à Gabriel Yared  à l’occasion de son 70ème anniversaire et de ses 40 ans de carrière avec plus de 100 musiques de films composées essentiellement pour le cinéma

    Cliquez ici pour retrouver mon article détaillant le programme du 8ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule qui aura lieu du 28 juin au 3 juillet 2022 et dont l'invité d'honneur sera cette année le compositeur Alexandre Desplat.

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    Parmi les musiques incontournables qu'on doit à Gabriel Yared, on peut citer : Sauve qui peut (la vie) (1980), La lune dans le caniveau (1983), Hanna K. (1983), La diagonale du fou (1984), 37°2 le matin (1986), Beyond Therapy (1987), Camille Claudel (1988), Tatie Danielle (1990), Vincent et Théo (1990), La putain du Roi (1990), L’Amant (César de la meilleure musique de film en 1993), La cité des anges (1998), Une bouteille à la mer (1999), Le talentueux Mr Ripley (1999), Un automne à New York (2000), Retour à Cold Mountain (2003), Azur et Asmar (2006), Tom à la ferme (2013), Chocolat (2015), Juste la fin du monde (2016), Dilili à Paris (2018), The Happy Prince (2018), Ma vie avec John F. Donovan (2019)… 

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    Cette master class a donc été l’occasion d’entendre cet autodidacte évoquer son métier avec passion et une grande humilité et notamment ses références, de Franz Liszt à Bernard Herrmann ou Chaplin.

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    Une master class qui fut aussi l’occasion de revoir des extraits de films : Camille Claudel, L’Amant, 37,2° le matin, ou encore la fin, bouleversante, de l’électrisant Juste la fin du monde de Xavier Dolan (dont vous pouvez retrouver ma critique complète, ici) accompagnée par la musique La valse de Gabriel Yared. Une fin en forme de valse de l'Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Quelques citations extraites de cette master class (dont je vous invite à voir un extrait sur mon compte instagram @Sandra_Meziere) :

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    « - Parfois il pleut sur moi des idées.
    Je me nourris beaucoup, pas seulement de musique.
    Cette nourriture me donne envie d'aller vers une certaine perfection que je n'atteins pas.
    Quand j’étais petit, j'aimais Schumann, Chopin, puis j'ai découvert Debussy, Ravel. 

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    Godard m’a dit deux ou trois phrases. Avec quelques adjectifs quelques descriptions, il m’a inspiré. Il m'a dit « pensez un thème pour l'imaginaire ».
    En découvrant le film de Godard, j'ai vu que ma musique au moment où elle s'élançait, elle était coupée net. Après, j'ai compris, il y a une véritable philosophie du son et de la musique chez lui. J'ai adoré travailler avec lui. J'aime les images mais pas comme source d'inspiration. J'ai besoin de lire, de parler, qu’on me décrive. Quand on me décrit, il y a des images subjectives qui se forment.
    Une musique doit être un tout intéressant en lui-même.  Elle doit se tenir en elle-même et servir le film.
    Je me suis découvert grâce à Godard
    Godard me disait : « il faut confronter des idées vagues avec des images claires ».
    Bernard Herrmann est probablement celui que j’aime le plus et m’a le plus inspiré avec Prokofiev, Bartok et Liszt.
    Nous ne venons pas de nulle part. Un compositeur doit connaître le répertoire.
    La musique fait une sorte de pause divine dans un film. La volonté d'accompagner les images ne suffit pas.
    Anthony Minghella est ma plus belle histoire au cinéma : d’amitié, d’entente…
    Minghella m'a dit :  « je pense à Bach, à Puccini, pour l'élégance de ses harmonies et de son écriture. »
    Je veux tendre vers l'éclectisme et la perfection.
    Un mot peut faire naitre une musique. Avec Annaud, j'ai écrit beaucoup de musiques avant le tournage.
    C'est comme si tout mon être était habité par le sujet.
    C'est une recherche en cercles concentriques. Si je trouve un thème même s'il me plait je chercher un autre thème pour le contredire.

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    Je prends la musique que je compose très au sérieux et en même temps je suis fou de joie de faire ce métier.


    J'ai toujours été complexé d’avoir appris tout seul. Alors, je cherche encore plus pour dédiaboliser ce manque de confiance que j'ai et qui me pousse à me dépasser.
    Nous avons tous une musique en nous et on ne l'entend plus car nous sommes devenus sourds.
    La musique est l'art ultime.

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    Camille Claudel me dépasse. Quand je l'entends, je me dis je ne sais pas comment j'ai fait cela.
    Je suis inexistant. Je n'ai pas de grands intérêts dans la vie, que la musique. Inventer, c'est une renaissance permanente.
    Ce qui m'importe le plus ce sont les nouveaux talents.
    J'écris les films pour les maîtres d'œuvre car les films, ce sont eux. C'est ça qui m'intéresse, les relations humaines.
    Je n'aime pas qu'il y ait trop de musique, sauf si c'est justifié, ni que ce soit trop fort, sauf si c'est justifié.
    Pour rester vraiment soi, il faut savoir dire non pour préserver la musique qu'il y a en vous.
    J'acceptais et je perdais l'exigence. Je crois que c'est important de résister.
    Si la musique est un personnage, un personnage ne parle pas tout le temps. Et quand elle est là elle dit quelque chose par rapport au film
    Je pense que toutes les musiques de films dont on se souvient, ce sont des thèmes.
    J’aime beaucoup les musiques de film de Chaplin de Tati."

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  • Palmarès et conférence de presse du jury du 75ème Festival de Cannes

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    Après l’annonce du palmarès de ce 75ème Festival de Cannes (que je vous détaille plus bas et sur lequel je reviendrai, notamment sur les films qui y figurent dont je n’ai pas encore eu le temps de vous parler comme La Conspiration du Caire qui a reçu un prix du scénario, particulièrement mérité), j’ai eu le plaisir d’assister à la conférence de presse du jury longs métrages présidé par Vincent Lindon aux côtés duquel se trouvaient Deepika Padukone, Noomi Rapace, Joachim Trier, Ladj Ly, Jasmine Trinca, Rebecca Hall, Asghar Farhadi et Jeff Nichols.  

    Le président du jury a notamment déclaré que la délibération serait « un secret à vie. On s’y est engagé, c’est tellement beau d’avoir des secrets dans ce monde où tout le monde est au courant de tout, tout le temps. J’ai rarement vu autant de respect entre artistes, d’écoute et d’estime. Ce Jury m’a appris, sinon à voir un film, à réfléchir à un film, à le laisser mûrir. », « Parmi ces neuf personnes de cultures et de nationalités différentes, il y avait un point commun : un enchantement d’être là. Neuf personnes ravies de servir leur passion. On a joui d’un plaisir intense. J’ai l’impression qu’on va tous rentrer chez soi en se disant : « J’ai servi à quelque chose pour la culture et j’ai rendu des gens heureux. » Tandis que Asghar Farhadi a déclaré que « Ces journées et ces soirées passées ensemble ont été un merveilleux exercice de dialogue sur le cinéma. »

    Noomi Rapace est notamment revenue sur le film des frères Dardenne en déclarant : « Tori et Lokita m’a touché, c’est un film tendre et vibrant » mais aussi sur le film de Lukas Dhont :  « Close a été réalisé par un jeune, avec beaucoup de sagesse et de tendresse pour les êtres humains. »

    Retrouvez également, ici, mon article consacré au prix de la création sonore qui a été décerné à Corsage de Marie Kreutzer, une brillante allégorie de notre époque dans laquelle les apparences enserrent et emprisonnent  les femmes dans un corset plus insidieux que celui d’Elisabeth mais parfois non moins destructeur. Une œuvre à l’image de sa création sonore, innovante, à juste titre récompensée, et de sa musique : intense, vibrante, marquante, engagée, puissante.

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     Notez également que Leila et ses frères de Saeed Roustaee, jeune réalisateur iranien de 32 ans qui avait également réalisé La Loi de Téhéran, a reçu le Prix de la Citoyenneté. C'est ainsi la deuxième année consécutive que le Prix de la citoyenneté revient à un film iranien, après Un héros de Asghar Farhadi l'an passé. Je vous parlerai prochainement de ce nouveau film de Saeed Roustaee.

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    La palme d’or a été décerné à Triangle of sadness de Ruben Östlund, une farce cruelle et satirique, tantôt réjouissante, tantôt dérangeante (à dessein), sans la moindre illusion sur le monde.  Après la palme d'or reçue pour The Square en 2017, Ruben Östlund intègre ainsi le cercle très fermé des cinéastes ayant reçu deux fois la prestigieuse récompense (Ken Loach, Michael Haneke, les frères Dardenne, Francis Ford Coppola, Shōhei Imamura, Bille August, Emir Kusturica) avec ce film choc qui peut difficilement laisser indifférent. Là où un Chaplin aurait recouru au rire tendre et burlesque pour souligner les travers de son époque, pour croquer la sienne, Ruben Östlund  a choisi le sarcasme impitoyable, l’ironie mordante, la férocité et l’excès du trait, le cynisme indécent en écho à celui qu’il dénonce.

    Le prix d’interprétation masculine a été attribué à Song Kang Ho pour Les bonnes étoiles de Kore-Eda. Un film grave, tendre et mélancolique mais surtout profondément humaniste, empathique et émouvant.

    Close, le film de Lukas Dhont dont je vous avais dit à quel point il m’avait bouleversée a reçu le Grand Prix ex-aequo. Un film d’une maitrise (de jeu, d’écriture, de mise en scène) rare, empreint de poésie qui ne nuit pas au sentiment de véracité et de sincérité. Et puis il y a ce regard final qui ne nous lâche pas comme l’émotion poignante, la douce fragilité et la tendresse qui parcourent et illuminent ce film. Un regard final qui résonne comme un écho à un autre visage, disparu, dont le souvenir inonde tout le film de sa grâce innocente. Un des grands films de cette édition cannoise, étourdissant de sensibilité.

    Après deux Palmes d’or (pour Rosetta et pour L’Enfant), les Dardenne ont reçu le prix du 75ème pour Tori et Lokita, un film, une nouvelle fois, au cœur de la réalité sociale. Un film poignant et sobre qui évite toujours l'écueil du pathos, d'autant plus émouvant qu'il est filmé à hauteur d'enfants plongés trop tôt dans ce que le monde a de plus rude. Les Dardenne restent les meilleurs cinéastes de l’instant, à la fois de l’intime et de l’universel dans lequel tout peut basculer en une précieuse et douloureuse seconde : un thriller intime.

    La mise en scène ébouriffante et particulièrement brillante de Park Chan-wook pour Decision to leave a été également justement récompensée. Tout est signifiant jusque dans le décor de l’appartement avec ses motifs de papiers peints qui reprennent des idées de vagues et montagnes. Les transitions sont aussi particulièrement brillantes comme une goutte dans une tasse de thé à laquelle répond une goutte dans une sonde à l’hôpital. La mise en scène distend et distord le temps et l’espace.

    Je vous laisse découvrir le reste du palmarès ci-dessous.

    PALME D'OR

    TRIANGLE OF SADNESS

    (SANS FILTRE)

    Ruben ÖSTLUND

    GRAND PRIX (EX-AEQUO)

    CLOSE

    Lukas DHONT

    STARS AT NOON

    Claire DENIS

    PRIX DE LA MISE EN SCÈNE

    PARK CHAN-WOOK

    HEOJIL KYOLSHIM

    (DECISION TO LEAVE)

    PRIX DU SCÉNARIO

    TARIK SALEH

    WALAD MIN AL JANNA

    (LA CONSPIRATION DU CAIRE)

    Tarik SALEH

    PRIX DU JURY (EX-AEQUO)

    LE OTTO MONTAGNE

    (LES HUIT MONTAGNES)

    Felix VAN GROENINGEN,

    Charlotte VANDERMEERSCH

    PRIX DU JURY (EX-AEQUO)

    EO

    Jerzy SKOLIMOWSKI

    PRIX DU 75E

    TORI ET LOKITA

    Jean-Pierre DARDENNE,

    Luc DARDENNE

    PRIX D'INTERPRÉTATION FÉMININE

    ZAR AMIR EBRAHIMI

    HOLY SPIDER

    (LES NUITS DE MASHHAD)

    Ali ABBASI

    PRIX D'INTERPRÉTATION MASCULINE

    SONG KANG HO

    BROKER

    (LES BONNES ÉTOILES)

    KORE-EDA Hirokazu

    PALME D'OR D'HONNEUR

    FOREST WHITAKER

    TOM CRUISE

    PRIX C.S.T. DE L'ARTISTE-TECHNICIEN

    ANDREAS FRANCK , BENT HOLM , JACOB ILGNER , JONAS RUDELS

    TRIANGLE OF SADNESS

    (SANS FILTRE)

    Ruben ÖSTLUND

    PRIX DE LA JEUNE TECHNICIENNE DE CINÉMA, DÉCERNÉ PAR LA C.S.T.

    MARION BURGER

    UN PETIT FRÈRE

    Léonor SERRAILLE

    COURTS MÉTRAGES

    PALME D'OR DU COURT MÉTRAGE

    HAI BIAN SHENG QI YI ZUO XUAN YA

    Jianying CHEN

    MENTION SPÉCIALE - COURT MÉTRAGE

    LORI

    Abinash Bikram SHAH

  • Prix de la meilleure création sonore du Festival de Cannes 2022 : CORSAGE de Marie Kreutzer

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    Dans le cadre de ce 75ème Festival de Cannes, ce 27 Mai à 11h, Corsage de Marie Kreutzer a reçu le prix de la meilleure création sonore. Ce prix est décerné parmi les films de la sélection Un Certain Regard. En 2017, en accord avec le Festival de Cannes, l’association La Semaine du Son a ainsi créé le Prix de la meilleure création sonore. L’association La Semaine du Son, fondé en 1998 par son président Christian Hugonnet, acousticien et expert près de la Cour d’appel de Paris, a « pour but d’amener chaque être humain à prendre conscience que le sonore est un élément d’équilibre personnel fondamental dans sa relation aux autres et au monde. »  Lancé avec le soutien de Costa-Gavras, ce prix récompense un réalisateur pour l’excellence sonore de son film « parce qu’elle sublime la perception artistique, sémantique et narrative du spectateur ». Le jury 2022 était présidé par le cinéaste Christophe Barratier, entouré de la comédienne Anne Parillaud, du compositeur Greco Casadesus, ainsi que de la cheffe opératrice Marie Massiani, et de Janine Langlois-Glandier et Christian Hugonnet, fondateurs du prix.

    Le jury, par la voix de son président, a ainsi explicité son prix décerné au film de Marie Kreutzer, attribué à l’unanimité : « En considération des vertus narratives, esthétiques, sémantiques de la dimension sonore d’une œuvre cinématographique, le jury de la Meilleure Création Sonore 2022, dans le cadre de la sélection Un Certain Regard, décerne son prix au film Corsage de Mary Kreutzer, distinguant ainsi une approche sonore d’un rare équilibre, restituant qualités des timbres de voix, atmosphères d’époques, degré des respirations et silences tout autant que les compositions musicales ».

    Noël 1877, Élisabeth d’Autriche (Sissi), fête son 40e anniversaire. Première dame d’Autriche, femme de l’Empereur François-Joseph Ier, elle n’a pas le droit de s’exprimer et doit rester à jamais la belle et jeune impératrice. Pour satisfaire ces attentes, elle se plie à un régime rigoureux de jeûne, d’exercices, de coiffure et de mesure quotidienne de sa taille. Etouffée par ces conventions, avide de savoir et de vie, Élisabeth se rebelle de plus en plus contre cette image.

    Corsage se focalise ainsi sur six mois de la vie d’Élisabeth d’Autriche, du Noël 1887, où on célèbre son 40ème anniversaire, dont elle semble absente déjà, à l’été suivant. 

    Cela commence d’emblée par un son, avant l’image. Celui du clapotis de l’eau. Sous le regard de deux dames de compagnie, Elisabeth apparaît alors, sous l’eau, dans sa baignoire, en apnée, s’entraînant à ne pas respirer. En apnée, elle le sera tout au long du film qui est avant tout cela : une quête de respiration dans un univers corseté. Oubliez les Sissi avec Romy Schneider, aussi charmants soient-ils, avec les décors kitschs et scénarii acidulés. Si dans les films de Ernst Marischka, Romy Schneider incarnait une Sissi douce et espiègle, 67 ans plus tard, Vicky Krieps interprète une Sissi tourmentée, révoltée, incandescente, obstinée qui veut à tout prix échapper à l’enfermement qu’elle subit et qui se rebelle contre le protocole. Quant aux décors, leurs murs sont souvent nus, délabrés, craquelés comme si ces intérieurs reflétaient l’intériorité des êtres. Les couleurs, souvent froides (magnifique photographie de Judith Kaufmann), reflètent aussi ces âmes glacées par les contraintes extérieures.

     « Ton rôle consiste à représenter. C’est pour cela que je t’ai choisie. C’est pour cela que tu es là » lui dit ainsi son empereur d’époux. « L’important est de laisser une belle image » dit également Elisabeth en passant devant un portrait de sa fille aînée décédée d’une maladie infantile.  « Je t’interdis de te noyer dans mon lac » lui déclare quant à lui son cousin. Voilà, tout est dit. Elisabeth doit constamment faire semblant, être en représentation, n’être qu’un corps qui laisse une belle image, tandis que les tourments de l’âme doivent être tus et étouffés.

    De nombreuses scènes la montrent se faisant habiller, le corset toujours plus serré, entravant sa respiration. On lui rappelle sans cesse son âge, et qu’elle n’est plus celle qu’elle était, dont la beauté fascinait tant. Elle impose des souffrances à ce corps qu’il faut maitriser, notamment par des régimes drastiques, ou par cette pesante coiffure. Elle aime particulièrement aller voir les fous dans les asiles, ceux qui sont enfermés, qui crient leur douleur qu’on veut claquemurer, ceux en lesquels elle se reconnaît. La folie semble aussi être là, toute proche, comme une forme paradoxale d’échappatoire. Alors, elle tape du point sur la table, fume, fait un doigt d’honneur, tire la langue, se coupe les cheveux, essaie à tout prix, même celui de la raison, de s’émanciper jusqu'à ce plan final, parfait contrepoint du début. Elle a besoin qu’on cesse de la regarder comme une image mais qu’on la voit telle qu’elle est. « J’aime te regarder me regarder» dit-elle ainsi.

    En contraste, les scènes où elle se sent enfin libre n’en sont que plus belles et poignantes. Lorsqu’elle s'évade sur son cheval au galop. Lorsqu’elle se baigne dans un lac au cœur de la nuit noire. Le corps échappe alors aux contraintes et aux regards.  La musique et la voix de Camille accompagnent ces moments d’évasion et insufflent une puissance émotionnelle supplémentaire à ces scènes. Ces envolées lyriques sonores font alors écho à celles de l’impératrice. Elles ressemblent tantôt à un cri de douleur, tantôt à un cri de liberté et marquent profondément le film de leur empreinte.

    Elisabeth a besoin de sortir du carcan dans lequel on veut la cadenasser, comme de réveiller sa fille en pleine nuit pour faire du cheval, pour agir et décider de ses mouvements. C’est d’ailleurs pour cela que l’image animée la réjouit autant et qu’elle accepte d’être filmée par un inventeur incarné par Finnegan Oldfield. Dans ces séquences muettes, elle est libre de crier, bouger, d’être. Le cinéma : espace de liberté, comme l’est ce film qui se départit des convenances.

    Vicky Krieps, productrice exécutive, est exceptionnelle et on comprend qu’elle ait à tout prix voulu être cette Sissi frondeuse. Elle est à la fois sombre et excentrique, enfermée et avide de liberté.  Elle a obtenu le prix de la meilleure performance de la sélection Un Certain Regard, pour un rôle très différent de celui qu'elle incarne dans Plus que jamais de Emily Atef qu’elle présentait également à Cannes cette année.

    Corsage n’est donc pas véritablement un biopic mais une réflexion et métaphore astucieuse des règles auxquelles doivent se plier les femmes, d’où l’intemporalité de ce film qui justifie les judicieux anachronismes. C’est le portrait d’une révoltée.  La forme épouse ainsi brillamment le fond. Marie Kreutzer (également scénariste de son film), elle aussi s’échappe : des contraintes formelles et des règles, et même de la vérité. Elle apporte de la modernité dans cette œuvre à l’image de l’impératrice qu’elle dépeint : irrévérencieuse.

    Il y eut le Marie-Antoinette de Sofia Coppola qui se jouait aussi des codes et des conventions, sans s'émanciper du glamour, indissociable du film d'époque en costumes, alors que Marie Kreutzer envoie tout valser pour aboutir à cette brillante allégorie de notre époque dans laquelle les apparences enserrent et emprisonnent  les femmes dans un corset plus insidieux que celui d’Elisabeth mais parfois non moins destructeur. Une œuvre  à l’image de sa création sonore, innovante, à juste titre récompensée, et de sa musique : intense, vibrante, marquante, engagée, puissante.

  • Festival de Cannes 2022 – Compétition officielle - CRITIQUE – LES BONNES ETOILES de Hirokazu Kore-eda

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    Par une nuit pluvieuse, une jeune femme abandonne son bébé. Il est récupéré illégalement par deux hommes, bien décidés à lui trouver une nouvelle famille. Lors d’un périple insolite et inattendu à travers le pays, le destin de ceux qui rencontreront cet enfant sera profondément changé.

    Après son prix du jury en 2013 pour Tel père, tel fils et la palme d’or en 2018 pour Une affaire de famille, avec ce nouveau film particulièrement poignant, Kore-Eda est de nouveau un sérieux prétendant à la récompense cannoise suprême.

    Une affaire de famille oscillait déjà entre le documentaire et la fable. Chaque plan filmé comme un tableau, sans esbrouffe, avec humilité, s’intéressait à nouveau plus que jamais à la famille, et traitait de la société japonaise sous un angle inédit (car critique et s’intéressant aux laissés-pour-compte d’un Japon en crise économique). Ce film mettait en scène des blessés de la vie que la fatalité, la pauvreté et l’indifférence allaient conduire à la rue et réunir par des liens du cœur, plus forts que ceux du sang. Une peinture pleine d’humanité, de nuance, de poésie, de douceur qui n’édulcore pas pour autant la dureté et l’iniquité de l’existence. Comme un long travelling avant, la caméra de Kore-Eda dévoilait progressivement le portrait de chacun des membres de cette famille singulière, bancale et attachante pour peu à peu révéler en gros plan leurs âpres secrets et réalités.

    Kore-Eda, plus que le peintre de la société japonaise est celui des âmes blessées et esseulées, et plus que jamais il faisait vibrer nos cœurs par ce film d’une rare délicatesse et bienveillance, avec cette famille de cœur à l’histoire poignante jalonnée de scènes inoubliables et qui nous laissaient le cœur en vrac. Ainsi vous parlais-je de Une affaire de famille il y a 4 ans. Je pourrais en dire de même de ces bonnes étoiles, film dans lequel Kore-Eda part de la « tradition » coréenne des « baby box ».

     A nouveau Kore-Eda s’intéresse en effet à des blessés de la vie qui se (re)créent une famille, avec une infinie délicatesse, le tout teinté d’humour et de suspense. Cette fois, Kore-Eda nous embarque dans un road-movie entre Busan et Séoul, cadre sublimé par une magnifique lumière (scènes inondées de lumière du bord de mer, magnifiques !) et une mise en scène, un souci du cadre toujours très inspirés. La tendresse avec laquelle le cinéaste regarde ses personnages contrebalance la violence sociale à laquelle ils sont confrontés.

    Et puis des scènes nous accompagnent longtemps après la projection comme une déclaration en haut de la grande roue… Un film grave, tendre et mélancolique mais surtout profondément humaniste, empathique et émouvant qu’il ne serait pas étonnant de retrouver au palmarès, notamment pour son interprétation.

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