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Critique - LES ALGUES VERTES de Pierre Jolivet (au cinéma le 12 juillet 2023)

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Il y a un peu plus d’un an, je vous parlais ici du film Goliath de Frédéric Tellier qui se penchait sur la lutte contre le glyphosate qui est, depuis 2015, considéré comme « cancérogène probable » par l’OMS. Un film percutant sur un sujet essentiel dont je pensais naïvement qu’il recevrait davantage d’échos médiatiques et de soutiens dans le combat qu'il met en exergue. De nombreux films engagés, à l’image de celui précité, évoquent des combats de David contre Goliath. Ceux de Costa-Gavras, Loach, Boisset, Varda ou des films comme L’affaire Pélican de Pakula ou Effets secondaires de Soderbergh ou plus récemment La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé.  Si le cinéma ne change pas toujours le monde, il peut y contribuer, et en tout cas la fiction sans aucun doute peut permettre que les projecteurs soient braqués sur des réalités révoltantes. J’en suis intimement persuadée et plus encore après voir vu le passionnant et édifiant dernier film de Pierre Jolivet que je vous recommande d’emblée. Vous avez tout le temps d’aller voir le dernier volet de Mission impossible (que je vous recommande aussi) mais ce film-ci est fragile, restera forcément moins longtemps à l’affiche, alors allez le voir en premier lieu, et ne tardez pas.

Projeté dans la catégorie « Coups de projecteur » du 9ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, cette semaine sort en salles Les algues vertes, le film de Pierre Jolivet co-écrit avec la journaliste Inès Léraud, et inspiré d’une BD vendue à plus de 130000 exemplaires. En 2019, Inès Léraud publiait ainsi avec Pierre Van Hove Algues vertes, l’histoire interdite aux éditions La Revue dessinée - Delcourt, une BD qui remporta 6 prix dont le grand prix du journalisme et le prix de la BD bretonne. Ensuite, en 2021, elle co-fonda le média d’investigation indépendant Splann ! avec d'autres journalistes travaillant en Bretagne.

Synopsis : À la suite de morts suspectes, Inès Léraud (Céline Sallette), jeune journaliste, décide de s’installer en Bretagne pour enquêter sur le phénomène des algues vertes. À travers ses rencontres, elle découvre la fabrique du silence qui entoure ce désastre écologique et social. Face aux pressions, parviendra-t-elle à faire triompher la vérité ?

« On doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité. » Le long-métrage commence par cette citation de Voltaire, judicieusement choisie, reflétant le double discours du film qui est à la fois une déclaration d’amour à la Bretagne (celle des vivants à qui on « doit des égards ») et un combat légitime et acharné contre le silence retentissant et aberrant qui entoure les algues vertes (la vérité due aux morts qui en furent victimes).

La première scène du film nous montre le rivage vu d’en haut. Indistinctes tout d’abord, les algues vertes dessinent un tableau abstrait presque fascinant. En se rapprochant, on découvre leurs ramifications tentaculaires. Le scandale est flagrant, indéniable… Et pourtant le silence règne face à l’évidence de la prolifération des algues. Bien sûr, rien dans cette image ne traduit encore leur dangerosité que le film démontre ensuite de manière magistrale.

Ce film a ainsi l’intelligence d’être autant une déclaration d’amour à la Bretagne qu’une déclaration de guerre aux algues vertes (et au silence qui entoure ce fléau), et de mettre en parallèle l’histoire personnelle d’Inès (son histoire avec sa compagne Judith et son histoire d’amour avec la Bretagne où elles finiront par s’installer) et son combat. Il commence véritablement au moment du décès de Jean-René Auffray, joggeur retrouvé mort dans une vasière remplie d’algues vertes, dans la baie de Saint-Brieuc, en septembre 2016. Inès ne va avoir de cesse de lutter contre « la fabrique du silence qui entoure l’agroalimentaire breton », en enquêtant inlassablement et en y consacrant toutes ses chroniques radiophoniques, malgré les pressions, les menaces de morts et le silence obstiné des personnes qu’elle sollicite.

Céline Sallette incarne subtilement l’opiniâtreté d’Inès, son courage, son investissement, son empathie, son intégrité, qui ne fléchissent pas, que ce soit face à la virulence d’un représentant de la FNSEA (qui ne réfutera pas l’importance du syndicat dans cette exploitation de la terre à outrance, pas même quand elle dira que la « FNSEA choisit le Ministre de l’Agriculture » et pour qui la vraie violence c’est « le prix du lait à cause des consommateurs qui ne veulent pas payer le prix »), ou face à  la couardise d’un vice-président de Conseil Régional devenu député (incarné par Jonathan Lambert) qui reconnaîtra l’ingratitude de sa profession et arguera des intérêts contradictoires qu’il doit gérer. L’agro-alimentaire est « un État dans l’État » et c’est à ce mastodonte invincible que se confronte Inès. Certains chiffrent donnent le tournis. Imaginez :  on dénombre 14 millions de cochons en Bretagne, soit 4 fois plus que d’habitants !

Le film ne cède jamais au manichéisme. Inès ne fait pas de son combat une lutte contre les agriculteurs, bien au contraire, rappelant qu’ils ne sont que des pions dans cette surexploitation de la terre, des victimes de cette guerre et d’intérêts économiques supérieurs, et que deux agriculteurs par jour se suicident. Ce développement des algues vertes est en effet la conséquence de l’industrie agroalimentaire et notamment des rejets de nitrates provenant de l’élevage intensif. En cas d’accumulation importante, leur décomposition au soleil produit des gaz dangereux pour l’humain comme pour l’animal, notamment l’hydrogène sulfuré (H2S) qui « peut tuer aussi rapidement que du cyanure ».

 Il était tout aussi courageux de la part de Pierre Jolivet de s’attaquer à ce sujet, de dénoncer les complicités politiques (qui nient ou parfois même maquillent la réalité pour préserver les intérêts touristiques et plus largement économiques de toute une région). Tourné essentiellement dans le Finistère-nord, et autour de Saint-Brieuc, là où se concentre une grande partie des algues vertes, le tournage même, en six semaines avec presque 2 décors par jour, fut aussi un véritable défi. Certaines images restent gravées et suscitent forcément notre indignation : ces sangliers morts, ce cours d’eau rouge sang, ces algues vertes à perte de vue.

Ce n’est pas la Bretagne qu’attaque Inès mais cette aberration écologique qui met en danger les populations qui y vivent. La Bretagne est montrée dans toute sa splendeur avec ses paysages d’une rudesse envoûtante. La compagne d’Inès (lumineuse Nina Meurisse dans le rôle de Judith), dira clairement qu’elle tombe amoureuse de la région. Et les baignades d’Inès constituent une respiration dans son quotidien éprouvant, mais aussi pour le spectateur qui suit comme un thriller son haletante et périlleuse enquête.

Céline Sallette est entourée d’une pléiade de remarquables acteurs qui incarnent des personnages parfois bruts mais souvent très attachants : Hervé Mahieux, Françoise Comacle, Eric Combernous. Le personnage de Rosy Auffray (Julie Ferrier) représente magnifiquement, à la fois l’aveuglement, le scepticisme, les choix cornéliens (préserver sa tranquillité ou combattre) en lesquels chacun peut se reconnaître et contribue à l’émotion qui nous emporte totalement à la fin avec l’espoir que, enfin, David l’emporte contre Goliath, nous donnant envie de nous intéresser encore plus au sujet et de savoir ce que donnera l’appel de la vraie Rosy (en cours) dans le procès pour la reconnaissance de la responsabilité des algues vertes dans le décès de son mari.

Pierre Jolivet signe là un magnifique portrait d’héroïne contemporaine, mais surtout un film engagé, militant même, qui pour autant n’oublie jamais le spectateur, et d’être une fiction, certes particulièrement documentée et instructive mais qui s’avère captivante et prenante de la première à la dernière seconde, tout en décrivant avec beaucoup d’humanité et subtilité un scandale sanitaire et toutes les réalités sociales qu’il implique. Ajoutez à cela la subtile musique originale d’Adrien Jolivet et vous obtiendrez un film marquant à la hauteur du sujet, des victimes d’hier et des personnes qui pourraient en être demain, qui rend aussi un vibrant hommage à la beauté renversante de la Bretagne.

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