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  • Critique du documentaire BARDOT de Elora Thevenet et Alain Berliner (au cinéma le 3 décembre 2025)

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    Il y eut Delon. Il y a Bardot.

    Deux mythes construits sur des fragilités. Deux « soleils noirs » de la mélancolie pour paraphraser Gérard de Nerval. Deux êtres complexes, forts et fragiles, mystérieux, libres, solitaires, passionnés (et déclenchant les passions), sincères, controversés, indépendants, adulés, détestés parfois, incompris souvent, partageant un profond amour pour les animaux et une indifférence (souvent rafraîchissante) au politiquement correct. Deux êtres qui touchent le public peut-être pour cela : la vérité qui émane d’eux. Deux icônes d’une beauté incontestable, captivante et incandescente. Deux êtres pétris de contradictions, solaires et ombrageux, qu’il est impossible d’enfermer dans une case.

    C’est à la seconde qu’Elora Thevenet et Alain Berliner consacrent ce passionnant documentaire éponyme, d’abord prévu pour la télévision et qui sortira finalement au cinéma le 3 décembre 2025.

    Ce documentaire fut sélectionné au dernier Festival de Cannes (Sélection officielle, Cannes Classics), à l’American French Film Festival Los Angeles, au Festival de Cinéma et Musique de Film de la Baule, au Festival Sœurs jumelles à Rochefort, au Taormina Film Festival, au South Series Festival Cadix, aux à Rencontres de l’ARP, à Cinemania à Montréal… : ce film intéresse évidemment le monde entier. Brigitte Bardot est en effet l'une des premières icônes du cinéma français à avoir eu ce statut de personnalité reconnue mondialement. Brigitte Bardot fut « trop ou mal aimée, en tout cas pas comme elle le voulait ». Elle passa de la lumière à l'ombre, des studios de cinéma à son refuge de la Madrague pour tenter de fuir la vie publique. Dans ce documentaire, elle revient sur les aspects si contradictoires de sa vie, de sa carrière d’actrice à sa Fondation, éclairés par une quarantaine de témoignages. Exceptionnellement, elle a accepté d’être filmée chez elle, brièvement, de dos, pour commenter certains épisodes de son existence. À 91 ans, sa parole demeure toujours aussi libre, comme ce documentaire qui a l’intelligence de ne pas être hagiographique mais de la montrer dans toute sa complexité.

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    Copyright TimpelPictures

    En préambule de la projection presse, la coréalisatrice, Elora Thevenet, a présenté le film, ainsi : « Beaucoup de gens ont de Bardot une image caricaturale. Elle m'a fait rire et pleurer. J'espère qu'elle va vous toucher. » Et c’est en effet une entière réussite. Ce documentaire m’a étrangement profondément émue. Peut-être parce que, au-delà de Brigitte Bardot, et de la femme iconique (« La France, c'est la tour Eiffel, Bardot et moi. » Tels sont les mots prêtés à De Gaulle), il dresse le portrait d’une femme bien plus profonde et complexe que la caricature à laquelle on a voulu la réduire (celle d’une « ravissante idiote » pour reprendre le titre du film de Molinaro dans lequel elle joua en 1964). Une femme infiniment libre et moderne (et hors de son temps), courageuse, solitaire, fragile et scandaleuse, forte et blessée, ingénue et frondeuse, débordante d’amour et de colère, qui bouscula l’image des femmes (qui incarna la cause des femmes même si sans doute des féministes aujourd’hui lui refuseraient ce titre, et ce n’est pas plus mal, cela l’enfermerait dans  une autre case) et fut en avance sur la conscience écologique et le bien-être animal que plus personne ne remet en question aujourd’hui, son combat fut ainsi  particulièrement précurseur : « Ma vie a été plusieurs vies. Deux vies très différentes. Je voudrais qu’on se souvienne du respect qu'on doit aux animaux. » Peut-être le plus émouvant est-il de voir la « bête traquée » qu’elle fut, dont la liberté mais aussi la tristesse et la solitude traversent le film : « Je porte en moi une tristesse latente très puissante. » Une liberté que l’éducation familiale puis la célébrité ont essayé d’entraver et de claquemurer. Ses multiples tentatives de suicide furent sans doute alors le seul moyen de la retrouver.

    Comment celle dont la carrière n’a duré que vingt et un ans (de 1952 à 1973) est-elle devenue ce mythe pour le monde entier, reconnaissable d’une une simple esquisse (une cascade de cheveux blonds, une moue boudeuse, une marinière, un port de tête royal, une voix singulière et une démarche altière) ?

    Alors que, aujourd’hui, certains courent après la célébrité comme si c’était là l’aboutissement d’une vie, fût-ce par l’exhibition de soi, prêts à tout pour l’atteindre, comment a-t-elle géré ce qui fut pour elle non pas un but mais une malédiction ? « Je voudrais dire que je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'on parle moins se moi. »  Comment alors que le politiquement correct étouffe certains, à l’époque où les réseaux sociaux donnent une résonance décuplée au moindre propos, quitte à les déformer, arrive-t-elle encore à donner de la voix à ses combats ?  Certainement a-t-elle commis des maladresses. De celles des êtres libres et vrais qui n’ont pas peur, qui osent, et parfois vont trop loin. Lelouch qui n’a jamais concrétisé son rêve de la faire tourner la définit comme la « magie incroyable entre ce physique et cette spontanéité ». « Elle a osé avant tout le monde. »

    Le documentaire aborde toutes les facettes de sa vie et de sa carrière : de l’enfant mal aimée au sex-symbol, en passant par la danseuse, l’actrice, la femme amoureuse (« Sa nature, c'est d'aimer », « Elle va cesser la danse par amour pour Vadim »), la chanteuse, l’icône de mode et la femme qui a défendu mieux que nulle autre les droits des animaux, et même la mère : « J'ai pas élevé Nicolas parce que j'étais pas capable. Je ne pouvais pas être cette racine puisque j'étais moi-même déracinée. »

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    Copyright TimpelPictures

    La première bonne idée, ce sont ces sublimes images en motion-design du film (créées par Gilles Pointeau et son équipe) qui permettent parfois de prendre de la distance avec des épisodes douloureux (même si des scènes d’abattoir sont montrées frontalement, à dessein, pour mieux en souligner l’horreur flagrante), ou d’apporter une note de poésie, et de réminiscence de cette enfance après laquelle elle n’a cessé de courir. Ce documentaire est un travail colossal, réalisé par Elora Thevenet et Alain Berliner (Ma vie en rose, La Peau de chagrin...), produit par TimpelPictures (Nicolas Bary), mené avec le soutien des documentalistes et de nombreux monteurs. Il donne la parole à des intervenants très différents qui s’expriment tous assis sur fond noir, et apportent leur vision sur différents aspects de sa personnalité. Sur la cause animale, ce sont Allain Bougrain-Dubourg, Hugo Clément et Paul Watson qui s’expriment. Pour la musique, Jean-Max Rivière, (un de ses paroliers), le groupe Madame Monsieur qui reprend certaines de ses chansons. Pour la mode, Naomi Campbell et Stella McCartney. Pour le cinéma, Claude Lelouch, Frédérique Bel ou encore Ginette Vincendeau, professeure en études cinématographiques. Et bien d’autres.

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    Si Brigitte Bardot avait tourné plusieurs films avant, c’est Et Dieu créa la femme de Vadim, qui lancera vraiment sa carrière. Ce film de 1956 eut un retentissement phénoménal dans le monde entier. Elle incarne Juliette, une jeune femme d'une beauté redoutable dont trois hommes se disputent le cœur indécis. « J'ai vu entrer une personnalité royale », dit ainsi Vadim. Brigitte Bardot était alors perçue comme le démon.  Elle « entre en contradiction avec les codes moraux de l'époque ». Pour le Vatican, elle « incarnait le mal absolu. »

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    Pour ma part, c’est dans En cas de malheur de Claude Autant-Lara (1958) et La Vérité de Henri-Georges Clouzot (1960) que je la trouve la plus bouleversante et stupéfiante. Dans les deux, sa beauté est vue comme un pouvoir diabolique. Dans les deux, elle est une malédiction qui la condamne à mourir.

    Le premier est une adaptation du roman éponyme de Simenon qui a été présenté en sélection officielle en compétition lors de la Mostra de Venise 1958. Elle y interprète la naïve et amorale Yvette Maudet, vingt-deux ans, qui se prostitue occasionnellement, et assomme l'épouse d'un horloger qu'elle tente de dévaliser. Maître André Gobillot (Jean Gabin), avocat quinquagénaire, accepte de la défendre et en tombe amoureux.

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    Dans le second, nommé à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1961, elle joue le rôle de Dominique Marceau jugée en cour d'assises pour le meurtre de son ancien amant, Gilbert Tellier (Sami Frey). Entre flashbacks et scènes de procès, le véritable visage de l'accusée se dessine peu à peu, et la vérité va surgir, celle de son « innocence » mais aussi des mœurs conservatrices et finalement assassines de l'époque. Gilbert, un jeune chef d'orchestre, promis à Annie (Marie-José Nat), violoniste, tombe amoureux de la sœur de celle-ci, Dominique. C'est la première fois que Dominique est amoureuse. Pour Gilbert, c’est une passion dévorante, mais trop possessive pour Dominique. Comment ne pas être bouleversé quand elle crie à cette assemblée pétrifiée, moribonde, renfrognée, enfermée dans ses principes, ses petitesses et sa morale : « Vous êtes là, déguisés, ridicules. Vous voulez juger mais vous n'avez jamais vécu, jamais aimé. C’est pour ça que vous me détestez parce que vous êtes tous morts. Morts ! ». Si vous doutez encore de ses talents d’actrice, revoyez ce film et en particulier cette scène dans laquelle elle est magistrale, passionnément vibrante et vivante. Une des scènes les plus poignantes de l’histoire du cinéma. Un des plus beaux films sur l’idéalisme d’un premier grand amour. Elle racontera ainsi que lors de la scène précitée elle ne « jouait pas la comédie », mais aussi que Clouzot était « un être diabolique. »

    Ensuite, il y eut Le Mépris de Godard en 1963, la « tentative de Godard de la contrôler comme star. »

    Comme son personnage de La Vérité qui possédait tant d’elle, elle n’avait pas peur d’énoncer sa vérité, de remettre certains producteurs abusifs à leur place aussi. Et ce que l’on sait moins, de soutenir de nombreuses femmes, parmi lesquelles son agent, sa productrice, sa maquilleuse et sa doublure, qu’elle appelle ses mamans de substitution. Elle a défendu le droit à l’avortement aux côtés de Simone Veil, et a accompli des choses qui ont contribué à faire progresser les droits des femmes, ne serait-ce que par sa manière d’être, d’assumer qui elle était, sa façon de montrer son corps, de porter ses vêtements, de parler de ses avortements, d’assumer ses relations amoureuses. Depuis qu’elle a quitté les plateaux il y a 50 ans, elle a consacré sa vie à un unique combat : sa Fondation. Il en fallait certainement du courage pour supporter les railleries de l’époque : « Je m’en fous que l’on se souvienne de moi, ce que je voudrais surtout, c’est qu’on se souvienne du respect que l’on doit aux animaux. » Elle sacrifia sa carrière et sa fortune à cette cause si peu populaire à l’époque, dans laquelle elle avait tout à perdre, malgré les sarcasmes, alors qu’aujourd’hui pour beaucoup de personnalités c’est la popularité d’une cause qui guide leur engagement. Cela ne fut pas sans conséquences : des chasseurs l’ont menacée avec leurs fusils, d’autres ont tué ses chiens, des bouchers chevalins vêtus de tabliers et couteaux ensanglantés ont tenté de l’intimider, elle a aussi reçu des menaces de morts dans des courriers anonymes. Mais elle a continué car ce combat a donné un sens à sa vie. Ses tentatives de suicide se sont ainsi interrompues quand elle s’est consacrée à sa Fondation : « Les animaux, c’est la plus belle histoire d’amour de ma vie. » « Les animaux m'ont sauvé la vie. En me battant pour leur vie, j'ai sauvé la mienne. » Sa Fondation travaille aujourd’hui dans 70 pays…

    Si le documentaire montre cette force incroyable, il témoigne aussi d’une véritable fragilité, exacerbée par la solitude, qui l’accompagne depuis son enfance, et le sentiment de rejet qu’elle éprouva alors, duquel découle la volonté de se libérer de son éducation bourgeoise et stricte dont la « droiture » était le mot d’ordre, avec pour corollaire les coups de cravache de son père et le vouvoiement. : « Tout à coup j'ai pensé que j'avais plus de papa, plus de maison, plus de maman, plus rien. J'ai vouvoyé mes parents et toute ma vie j'ai eu l'impression d'être étrangère à eux. » Bardot, tellement entourée, pourtant terriblement seule, vulnérable, isolée par la célébrité, a souvent sombré dans le désespoir. Le public et les médias voulaient la posséder, l’enfermer dans une case, une cage, une image et aujourd’hui encore dans le Golfe de Saint-Tropez les visites guidées désignent la Madrague, tel le refuge impossible d’un animal sauvage et inlassablement traqué  :

     « La gloire vous rend seule. Les gens n’osent pas vous approcher. Les rapports sont faussés. »,

     « Cela a été le début de la fin de ma vie. J'étais prisonnière de moi-même. » 

     « Je trouvais la vie vide sans profondeur sans vérité »,

    « La gloire c'est formidable et c'est invivable. »,

     « J'ai été traquée, bafouée, méprisée très souvent trahie. Je me préserve. Je me méfie. Maintenant je ne veux plus voir personne. Plus ça va dans ma vie et plus j'ai peur de l'être humain. Je suis plus animale qu'humaine. »

    Son accouchement d’un enfant qu’elle ne désirait pas fut ainsi cauchemardesque. Personne ne voulait prendre le risque de l'avorter. Plus de 184 journalistes du monde entier étaient présents. Une photo de Bardot enceinte se vendait 100 millions. Enceinte de 7 mois et demi elle est prisonnière chez elle. « Les gens se sont conduits envers moi d'une façon barbare » commente-t-elle.

    Et puis il y eut Gainsbourg. Et puis il y eut la musique…

    Serge Gainsbourg qui lui signera 9 titres, a su « exploiter au mieux sa personnalité paradoxale, à la fois douce et très dure », « la rencontre de deux personnes fragiles et deux solitaires ». C’est une autre très bonne idée de ce documentaire que d’avoir laissé une aussi large place à la musique, autre passion de Bardot. Trois chansons ont ainsi été magistralement retravaillées par Madame Monsieur – Émilie Satt et Jean-Karl Lucas (auteurs et interprètes talentueux, notamment, parmi de nombreuses autres, de la sublime chanson Mercy) - : Initials B.B. (air qui me trotte dans la tête depuis que j’ai vu le film, jeudi) que Gainsbourg a écrite dans un train vers Londres en imaginant que, comme dans une scène de film, Bardot débarque telle une apparition. Mais aussi Bonnie and Clyde, avec Albin de la Simone en Clyde, et Alice On The Roof, artiste auteure-compositrice belge, en Bonnie. Et enfin Je t’aime, moi non plus que Jane Birkin leur a donné l’autorisation de retravailler, avec Ibrahim Maalouf qui joue la mélodie à la trompette lui donnant une autre couleur comme émanant d’un rêve, avec la voix de Émilie Satt. Sans oublier la version de Harley Davidson par Selah Sue.

    Une autre bonne idée de ce documentaire, qui n’en est décidément pas avare, est d’avoir confié la musique originale à Laurent Perez del Mar, compositeur de musiques de films que je vous avais recommandés comme, récemment, Bambi de Michel Fessler pour lequel il signe une musique éblouissante et bouleversante, d’une grande profondeur, richesse et sensibilité, qui reflète la simplicité et la polysémie du conte, face à la brutalité et la cruauté du monde. Mais aussi de cette expérience sensorielle unique, chef-d’œuvre de Michael Dudok De Wit, La Tortue rouge , film dans lequel la musique est à peine audible d’abord, tombant en gouttes subtiles, pour ne pas troubler le tableau de la nature, avant peu à peu de se faire plus présente. L’émotion du spectateur va aller crescendo à l'unisson, comme une vague qui prendrait de l’ampleur et nous éloignerait peu à peu du rivage de la réalité avant de nous embarquer, loin, dans une bulle poétique et consolatrice. La force romanesque des notes de Laurent Perez del Mar nous projette alors dans une autre dimension, hisse et propulse le film, et le spectateur, dans une sorte de vertige hypnotique et sensoriel d’une force émotionnelle exaltante, rarement vue (et ressentie) au cinéma. Mais aussi dans les films de Rémi Bezançon, comme Un coup de maître à la fin duquel, la musique (qui a parfois des accents de John Barry comme dans cet extrait, Le Chalet, qui me rappelle la musique d’Out of Africa) s’emporte et s’emballe comme des applaudissements victorieux, comme un tourbillon de vie, comme un cœur qui renaît, comme le pouls de la forêt, avec de plus en plus de profondeur aussi, comme si la toile atteignait son paroxysme, sa plénitude. Dévoilant toute sa profondeur, elle emporte alors comme une douce fièvre, harmonieuse, réconfortante, avec ces notes de guitare et cette chanson finale (All you’ve got interprétée par Laure Zaehringer) que l’on emmène avec soi. Vous pouvez aussi actuellement entendre sa musique lyrique, portée par un souffle épique  et grandiose, teintée de judicieuses notes d’ironie, dans le film Le Jour J de Claude Zidi Jr. Ces digressions pour vous dire qu’ici également, narrative une fois de plus, elle apporte un supplément d’âme, ou plutôt reflète judicieusement celle de Bardot. Elle prend de l’amplitude quand Bardot trouve le chemin de son bonheur et le sens de sa vie. Elle se fait en effet là aussi lyrique quand il s’agit de son combat pour les animaux. Elle est teintée de douces notes de guitare qui exhalent le parfum de son enfance. Elle est introspective, nostalgique, lumineuse, reflète les contrastes séduisants de Bardot, entre ombres et lumières, et est aussi un écho à son enfance déchirée, à jamais perdue. Elle accompagne judicieusement la star qui éclot. Elle virevolte alors, puis se teinte de notes rocks annonciatrices de celle qu'elle sera, ou encore prend des accents de Delerue. Et à la fin, quand Bardot semble avoir atteint une sorte de plénitude, elle se fait cristalline, limpide, rassurante. « Une émotion terrifiante » dit-elle en parlant des phoques massacrés. Alors, le son du blizzard remplace la musique qui se tait au moment opportun, mais n’en déploie a posteriori que plus de force.

    Quelle image retenir ? Peut-être celle qui figura en une de Paris Match. Celle qu’elle-même a voulu retenir. Quand elle serre contre elle un bébé phoque. Une photo dont elle dit qu’elle reflète à la fois sa solitude et son amour pour les animaux et ce qu’elle qualifie de sa « plus belle victoire » : J'ai donné ma jeunesse et ma beauté aux hommes. Je donne ma sagesse aux animaux et le meilleur de moi-même ».

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    Je garderai aussi en mémoire cette scène bouleversante du film de Clouzot, où elle est d’une beauté, d’une force et d’une fragilité mêlées, renversantes. Avant cela, l’avocat demande : « Est-ce de sa faute si elle est belle, si les hommes la poursuivent comme un gibier ? » Ce parallèle entre le viseur de l’appareil photo et celui du chasseur est aussi utilisé dans le film.  Finalement, elle aura toujours été cela, une bête d’une sauvagerie impériale, traquée, dont on cherche à mettre en cage la liberté, une enfant fragile qui puise sa force dans les blessures (de l’enfance à celles infligées aux animaux qui font peut-être écho aux siennes) : « J'aurais voulu être amoureuse d'un être humain qui m'aurait rendu ce que me rendaient les animaux ». Quels que fussent ses excès, on ne peut lui nier d’être un être humain au sens noble comme elle-même le définit en reprenant la définition du dictionnaire : « sensible à la pitié, bienfaisant, secourable ». « Une icône de gentillesse et de pitié pour les animaux », comme la qualifie Paul Watson.

    D’elle et de ce documentaire, on retient bien sûr les impressionnantes avancées obtenues pour les animaux par la Fondation  (listées à la fin du film), le cri de passion et de révolte. Mais aussi sa noble innocence et sa douce impertinence. L’éloge de la liberté (d’être et de dire) et le refus de la tiédeur, tellement salutaires et inspirants à une époque où la prudence étouffe.  Le portrait d’une femme touchante, rongée par la solitude, qui ne regrette rien et qui, dans une époque agitée et carnassière, éprise de voyeurisme et de transparence, a su répondre avec la plus grande des élégances, si rare aujourd’hui : le mystère. Le mystère et le silence. Nous laissant avec ces quelques mots qu’elle griffonne en bleu : « Le silence est chargé de merveilleux messages. » Il y aura toujours la beauté du silence face à la laideur tapageuse des rumeurs. Il y aura toujours Delon. Il y aura toujours Bardot. Étoiles éternelles.

    Ne manquez pas ce documentaire foisonnant et passionnant, le 3 décembre 2025, au cinéma.

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  • Critique de DALLOWAY de Yann Gozlan (Séance de Minuit – Festival de Cannes 2025)

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    Clarissa (Cécile de France), romancière en mal d’inspiration, rejoint une résidence d’artistes luxueuse à la pointe de la technologie, à l’abri de la chaleur caniculaire et de la pandémie qui sévissent à l’extérieur dans un Paris futuriste et pourtant familier. Elle trouve en son assistante virtuelle, incarnée par la voix envoûtante de Mylène Farmer et nommée Dalloway comme l’héroïne de Virginia Woolf, un soutien et même une confidente qui l’aide à écrire son nouveau roman justement consacré à l’écrivaine britannique. Mais peu à peu, Clarissa éprouve un malaise face au comportement de plus en plus intrusif de son IA, renforcé par les avertissements d’un autre résident, Mathias Nielsen (Lars Mikkelsen). Se sentant alors surveillée par cette domotique omnisciente, Clarissa se lance secrètement dans une enquête pour découvrir les réelles intentions de ses hôtes. S’agit-il alors d’une menace réelle ou cette dernière, éprouvée par le suicide de son fils, est-elle en plein délire paranoïaque ?

    Le film commence par des images paisibles de la mer, portées par le bruit rassurant des vagues. Ce tableau idyllique disparaît pour laisser place à une chambre, celle de Clarissa. Ce sentiment de quiétude n’était qu’une illusion. Projetée par l’IA. Clarissa se lève, échange avec Dalloway sur la température du jour. Dans la salle de bain, un miroir affiche les résultats de ses tests de santé quotidiens analysés par Dalloway. La journée peut commencer, entièrement régenté par Dalloway qui fait bouillir l’eau, trie les emails, impose sa voix et sa voie. Dalloway est omniprésente et toute puissante. Elle contrôle tout, la température de l’air, la santé de l’artiste, la fermeture de la porte. Elle distille quelques idées à Clarissa pour son roman, lui pose des questions bienveillantes qui se transforment insidieusement en interrogations intrusives.

    Lorsque le roman dont le film est l’adaptation a été écrit, l’Intelligence Artificielle n’était encore qu’une abstraction. Elle s’empare aujourd’hui de toutes les sphères de la société, au point de rendre obsolètes certaines professions. Dalloway est l’adaptation du roman d’anticipation de Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’ombre, publié en 2020. Le contexte de la crise sanitaire qui n’était pas présent dans le roman a été ajouté par les scénaristes (Yann Gozlan, Nicolas Bouvet, en collaboration avec Thomas Kruithof).

    La résidence apparaît donc de prime abord comme un cocon protecteur, et Dalloway comme une présence rassurante. La chambre si confortable de Clarissa et la résidence prestigieuse se transforment peu à peu en univers menaçant et carcéral. Le film brosse le portrait d’un monde, le nôtre déjà, dans lequel des images et des informations nous sollicitent en permanence, et dispersent notre attention. En même temps que Dalloway lui lit la lettre d’une lectrice qui souhaite la rencontrer, Clarissa lui demande l’avis des téléspectateurs sur le fim qu’elle va regarder, zappe d’un film à l’autre, s’intéressant sommairement à la lettre comme aux films. Comme dans la société contemporaine, l’attention est constamment sollicitée. L’émotion est tenue à distance. Une émotion que l’écriture permet de recréer, de cristalliser, de verbaliser.

    Ce film est aussi captivant pour les questions qu’il pose sur les conséquences de l’Intelligence Artificielle que sur l’acte d’écrire. Qu’est-ce qui nourrit l’écriture ? C’est ici la culpabilité et les émotions qui la submergent qui font naitre le récit de Clarissa mais qui vont provoquer une autre culpabilité, et surtout une dépendance. Quand la fuite par l’écriture n’existe plus, quelle issue reste-t-il ? Quelle fenêtre sur l’ailleurs ou quelle introspection trouver encore ? Isolée de son entourage, Clarissa voit en l’IA l’attention que ses proches ne lui accordent pas, à ses risques et périls. Même sa montre connectée est fournie par la résidence pour surveiller ses moindres déplacements. Des capteurs de mouvements sont installés dans son appartement, enregistrant peut-être plus que les simples gestes. Mathias en est d’ailleurs certain : ces capteurs servent à les surveiller et l’IA va s’emparer des émotions des artistes pour se perfectionner, et les remplacer.

    Cette histoire qui aurait semblé invraisemblable il y a cinq ans nous paraît désormais effroyablement plausible. Même ce Paris écrasé de chaleur, aseptisé et fantomatique, où tout est surveillé (des drones observent et suivent les passants), contrôlé (la santé est vérifiée à l’entrée du métro, des chiens robots reniflent les passagers) ne nous est pas totalement étranger.

    La voix, mystérieuse, chaleureuse, et ensorcelante de Mylène Farmer forge la personnalité de l’IA, d’une étrangeté douce et autoritaire. Récemment, elle était déjà la voix (off) d’un autre film, Bambi de Michel Fessler, dans lequel elle était une voix ensorcelante d’une présence discrète qui ne force pas l’émotion mais ajoute subtilement une dimension poétique, parfois philosophique.

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    « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du Samouraï si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle… Peut-être… ». Cette citation qui figure en ouverture du film de Melville pourrait s’appliquer à tous les films de Yann Gozlan qui ont en commun d’ausculter la solitude portée à son paroxysme.

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    Ainsi, dans Boîte noire, Pierre Niney incarnait Mathieu Vasseur, un technicien au BEA, autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile, personnage en apparence aux antipodes d’un autre Mathieu, celui que l’acteur incarnait dans Un homme idéal, sa précédente collaboration avec Yann Gozlan, l’un paraissant aussi sombre que l’autre semblait solaire. Comme dans Un homme idéal néanmoins, et comme dans Dalloway avec Clarissa, se dessine peu à peu le portrait d’un personnage face à ses contradictions, ses failles, ses rêves brisés, qui veut tout contrôler et qui perd progressivement le contact avec la réalité. Dans les deux films, comme dans Dalloway, la réalisation de Yann Gozlan enserre le protagoniste pour souligner son enfermement mental. Déjà dans Un homme idéal, les brillantes références étaient savamment intégrées :  Plein soleil, Match point, La Piscine, Tess, Hitchcock pour l’atmosphère (ce qui est à nouveau le cas dans Dalloway), Chabrol pour l’auscultation impitoyable de la bourgeoisie. La mise en scène était déjà précise, signifiante et le scénario, terriblement efficace, allait à l’essentiel, ne nous laissant pas le temps de réfléchir, le spectateur ayant alors la sensation d’être claquemuré dans le même étau inextricable que Mathieu, aux frontières de la folie.  Il en va de même, là encore, pour Clarissa dans Dalloway.

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    Dans Un homme idéal, cet autre Mathieu a 25 ans et travaille comme déménageur. 25 ans, l’âge, encore, de tous les possibles. L’âge de croire à une carrière d’auteur reconnu. Malgré tous ses efforts, Mathieu n’a pourtant jamais réussi à être édité. C’est lors de l’un de ces déménagements qu’il tombe par hasard sur le manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de décéder. Jusqu’où peut-on aller pour réussir à une époque où celle-ci se doit d’être éclatante, instagramée, twittée, facebookée ? Pour Mathieu : au-delà des frontières de la légalité et de la morale, sans aucun doute…

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    Les films s’évertuent souvent à nous montrer à quel point la création, en particulier littéraire, est un acte jubilatoire et un symbole de réussite (nombreux sont les films à se terminer par l’envol d’un personnage qui, de mésestimé, voire méprisé, devient estimable et célèbre en publiant son premier roman), ce qu’elle est (aussi), mais ce film montre que cela peut également constituer une terrible souffrance, comme elle l’est pour Clarissa qui a choisi d’écrire sur une écrivaine qui s’est suicidée, après le suicide de son propre fils.

    Le talent qu’il n’a pas pour écrire, Mathieu l’a pour mettre en scène ses mensonges, se réinventant constamment, sa vie devenant une métaphore de l’écriture. N’est-elle pas ainsi avant tout un arrangement avec la réalité, un pillage ? De la vie des autres, de soi-même. Elle l’est aussi dans Dalloway puisque Clarissa va puiser dans les émotions de son fils pour écrire…tout comme l’IA va se nourrir des émotions de l’écrivaine.

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    En 2014, le quatrième long métrage de Spike Jonze, Her, nous embarquait dans les réjouissants méandres d’un imaginaire débridé, celui du cinéaste et de son personnage, et nous interrogeait aussi sur les dangers de l’Intelligence Artificielle. Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), écrivain public des temps modernes est inconsolable après une rupture difficile, en effet en instance de divorce avec sa femme Catherine (Rooney Mara), vit seul dans un appartement sans âme. Il fait alors l'acquisition d'un programme informatique ultramoderne, capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il répond à de brèves questions, choisit une voix féminine et fait la connaissance de Samantha (Scarlett Johansson), une voix féminine intelligente, intuitive et dotée d’humour et même d’ironie. Peu à peu, l’impensable va survenir : l’homme et la machine vont tomber amoureux…A l’image de l’affiche, c’est avant tout l’histoire d’un homme seul face à nous, miroir de nos solitudes modernes, et surtout face à lui-même, et dont le métier consiste à envoyer des lettres pour et à des inconnus avant de retrouver son appartement glacial donnant sur les lignes verticales et froides de la ville, avec l’hologramme d’un jeu vidéo pour seule compagnie. Dans la première scène, il dit des mots d’amour face caméra. Puis, nous découvrons qu’il est en réalité sur son lieu de travail, seul face à un ordinateur. Comme une prémonition. Dans cette ville intemporelle et universelle (Spike Jonze a tourné à Shangaï et Los Angeles) se croisent des êtres qui vivent dans leur bulle imaginaire, soliloquant, emmurés dans leurs solitudes comme ils le sont dans cette ville tentaculaire. La technologie froide et déshumanisée va s’humaniser pour devenir l’âme sœur au sens propre, un amour désincarné, cristallisé. Le vrai bonheur semble dans l’ailleurs, l’insaisissable, l’imaginaire, ou alors le passé, cette « histoire qu’on se raconte » et la forme et le fond se répondent intelligemment puisque le passé idéalisé est ici raconté par des flashbacks silencieux auréolés de lumière. Scarlett Johansson réussit le pari de donner corps à cette voix (elle  a même remporté le Prix d'Interprétation Féminine au 8ème Festival International du Film de Rome, en novembre 2013) et de faire exister ce personnage invisible. Un film à la fois salutaire, parce qu’il montre le redoutable et magique pouvoir de l’imaginaire et fait appel à celui du spectateur (par exemple pendant la scène d’amour, seul demeure un écran noir), et terrifiant en ce qu’il nous montre un univers d’une tristesse infinie avec ces êtres « lost in translation » prêts à tout pour ressentir la chaleur rougeoyante d’un amour fou, sublimé, un univers pas si éloigné du nôtre ou de ce qu’il pourrait devenir.

    Cette crainte exprimée dans Her est devenue réalité puisque des cas de personnes tombées amoureuses de leur IA ont déjà été diagnostiqués. Le monde où tout, y compris les émotions, serait régi par l’IA, et qui fabriquerait de l’art à la demande, n’est pas celui de demain mais celui d’aujourd’hui. Cela rend ce film encore plus passionnant et glaçant. Cette Clarissa, peu à peu dépossédée de ses émotions, d’elle-même, qui s’étiole tandis que l’IA au contraire se nourrit et grandit, pourrait exister. L’identification est renforcée par les focales très courtes auxquelles recourt le réalisateur. Et par le jeu de Cécile de France, dans un rôle très éloigné des personnages mémorables qu’elle a incarnés dans Un Secret ou Quand j’étais chanteur ou même des rôles plus « physiques » comme celui de Möbius d’Éric Rochant (remarquable thriller, que je vous recommande), apporte un supplément d’âme, une intensité et une ambivalence qui rendent le délire paranoïaque et l’emprise aussi crédibles l’un que l’autre.

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    Pour le personnage d’Anne Dewinter, qui dirige la résidence, Anna Mouglalis, apporte magnétisme, autorité et mystère. Frédéric Pierrot, qui porte toujours si bien son nom, jouant souvent des personnages lunaires, amène quant à lui sa force tranquille à ce personnage bienveillant de l’ancien mari. 

    La musique de Philippe Rombi accroît le sentiment d’angoisse latente et la paranoïa, avec des notes sombres et minimalistes, mélangeant sons électroniques et cordes acoustiques.

    Un thriller d’anticipation terrifiant en ce qu’il nous parle d’un monde qui nous est familier, et passionnant en ce qu’il interroge ce qui distingue l’homme de la machine, mais aussi le devenir de l’émotion et de la création, dans cet environnement de plus en plus robotisé qui tente de les maîtriser, et qui les tient de plus en plus à distance de ce qui en constitue l’essence : la sincérité et la singularité. Une fois de plus, fortement inspiré par les films noirs et leur indissociable fatalité inexorable et implacable, en explorant les failles de la solitude, et en nous plongeant dans ses abysses, Yann Gozlan m’a captivée. Son prochain film intitulé Gourou racontera ainsi « l’ascension d’un gourou du développement personnel qui va se révéler une personnalité toxique », un thriller dans lequel Pierre Niney tiendra le rôle principal. En attendant ce film que je ne manquerai pas d’aller voir (au cinéma le 28 janvier 2026), je vous recommande de vous laisser charmer par Dalloway sans rien perdre de votre libre-arbitre et de la distance nécessaire que ce film nous invite habilement à questionner dans une société dans laquelle l'Intelligence Artificielle tient une place grandissante.

  • Ouverture du Festival Cinéma à la folie – Critique LES RÊVEURS d’Isabelle Carré

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    Ce mardi 23 septembre, au Cinéma du Panthéon, avait lieu le lancement du festival « Cinéma à la Folie, nouveaux regards sur la santé mentale », avec la projection de la première réalisation de la comédienne et romancière Isabelle Carré, marraine de cet évènement dont Nicolas Philibert est également le parrain.

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    La présence d’Isabelle Carré dans un film est toujours pour moi une raison de le découvrir, tant elle excelle dans ses rôles qu'elle choisit toujours astucieusement, de l’Angélique (si bien nommée) des Émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris, film dans lequel elle parvient à nous faire rire avec les fragilités attendrissantes de son personnage sans que jamais cela soit aux dépends de ce dernier, à la Claire (si bien nommée, aussi) du film Entre ses mains d’Anne Fontaine, fascinée et effrayée, blonde hitchcockienne dans l’obscurité tentatrice et menaçante, tentée et menacée, guidée par une irrépressible attirance pour cet homme meurtri, peut-être meurtrier, incarné par Benoît Poelvoorde. C’est cela qui la distingue, l’empathie qu’elle éprouve pour ses personnages, qu’elle transmet dans son jeu si nuancé, la grâce inconsciente, la délicatesse intense, une force fébrile, une douleur contenue et une douceur puissante. Il faudrait aussi vous parler de son personnage dans Se souvenir des belles choses, et de tant d’autres…

    Le but, louable, de ce festival est de « déstigmatiser la maladie mentale », déclarée cette année cause nationale. Le festival propose six fictions et six documentaires dans huit villes françaises de taille moyenne avec pour objectif de « faire du cinéma un moteur de dialogue autour de ce sujet » sachant qu’« une personne sur trois sera concernée au cours de sa vie par la maladie psychique qui ne se résume pas à la folie, à la violence, à la faiblesse. » Ces films aspirent ainsi à déplacer les stéréotypes. Les organisateurs souhaitent en effet lever les tabous et les clichés encore trop nombreux sur les troubles psychiques. Le festival « Cinéma à la folie, nouveaux regards sur la santé mentale » a été créé avec le soutien de la Fondation Erié et en partenariat avec le Fipadoc, le Festival La Rochelle Cinéma (Fema) et l’Alliance pour la Santé Mentale. Le festival sillonnera la France tout au long du mois d’octobre en passant par Boulogne-sur-Mer, Clermont-Ferrand, La Rochelle, Orléans, Nancy, Nantes, Nîmes et Pau. Des récits inspirants et porteurs d’espoir qui montrent que le rétablissement est possible et qu’avec le bon accompagnement, chacun peut retrouver confiance et qualité de vie. Pour garantir l’inclusivité et l’ouverture à tous, les projections seront accessibles gratuitement avec une séance par ville réservée aux scolaires pour sensibiliser les plus jeunes. Chaque projection sera suivie d’un débat réunissant équipes de films, experts, pairs aidants, associations locales et public afin de mettre des mots sur les maux, de libérer la parole et de valoriser l’expérience vécue. L’ambition du festival est claire : favoriser la compréhension, le soutien et l’accès aux soins, et faire progresser la société vers une plus grande acceptation et une meilleure inclusion.

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    « Un film peut vous sauver une soirée mais peut aussi vous sauver la vie » a déclaré Isabelle Carré avant la projection de son film. Je le crois aussi profondément. Elle a réalisé ce film pour dire « réveillons-nous » face à l’urgence de s’emparer de ce sujet de la santé mentale, en particulier chez les jeunes.

    Dans le dossier de presse de son film, mais aussi lors de l’avant-première, Isabelle Carré a tenu à rappeler que « l’institution a évolué, on sait mieux faire aujourd’hui, mais pas partout. Certaines régions sont totalement dépourvues de pédopsychiatres (il n’en existe que cinq cents en France !), des régions entières sont même dépourvues de lieux de soins. Comment expliquer l’abandon d’une société qui laisse des jeunes en détresse, sans aucun recours possible ? J’ai aussi conçu ce film comme un outil pour dénoncer cet état de fait. Qu’est-ce qu’une société qui néglige l’enfance à ce point ? Il me semble que la fiction a le pouvoir de créer une identification et de dessiner un chemin plus doux pour partager des choses intimes, et faciliter le débat. »

    Dans cette adaptation de son troisième roman, éponyme, Les Rêveurs, publié chez Grasset en 2018, Isabelle Carré incarne une comédienne, Élisabeth. Cette dernière anime des ateliers d’écriture à l’hôpital Necker avec des adolescents en grande détresse psychologique. À leur contact, elle replonge dans sa propre histoire : son internement à 14 ans (Elisabeth, à cet âge, est jouée par Tessa Dumont Janod), dans les années 70, dans une famille de rêveurs (son père Jacques - Pablo Pauly -, sa mère Alice - Judith Chemla -, et son frère) un peu à part, cherchant eux aussi la lumière, et leur parcelle d’ailleurs. Peu à peu, les souvenirs refont surface. Et avec eux, la découverte du théâtre, qui un jour l’a sauvée.

    Isabelle Carré raconte que Marie Rose Moro lui a ouvert les portes de La Maison de Solenn et lui a ainsi permis d’animer un atelier d’écriture dont elle s’est inspirée pour son film dont elle a coécrit le scénario avec Agnès de Sacy.

    Cela commence dans l’appartement familial. Les murs sont rouges (tels ceux de l’appartement d’enfance d’Isabelle Carré). La petite fille tente de retenir ses parents sur le point de sortir pour passer la soirée à l’extérieur, la laissant seule avec son frère. Elle s’accroche désespérément à sa mère. Mais ils les « abandonnent », malgré tout. La voix de Dalida résonne. Un art déjà pour édulcorer la réalité.  Le père, lui aussi, semble fuir constamment. Il dessine des robes pour Cardin. La mère s’enferme dans le refus de manger (ou si peu) et sa mélancolie. Elisabeth se réfugie dans la fantaisie, la musique, le dessin, les allers et retours dans le couloir de l’appartement qu’elle sillonne à rollers. Parfois, aussi, ses rêveries font prendre vie à des oiseaux dessinés qui s’envolent. Pour Elisabeth tout cela (sa famille) sonne faux. Alors, elle se laisse bercer par une histoire d’amour à laquelle elle a envie de croire, avec un copain de son frère qui n’avait d’autre envie que de jouer avec elle, et de parier sur sa naïveté. Elle tente de se suicider, et se retrouve à l’hôpital dans un service de psychiatrie pédiatrique, où elle va rester plusieurs semaines.

    Comme l’a expliqué la réalisatrice, même si l’épisode qu’elle relate dans ce film ne correspond qu’à une courte partie du roman, elle tenait à conserver le titre car « cet internement est le cœur du livre, ce qui m’a fondée ».

    Ce film évoque un sujet âpre avec beaucoup de douceur et d’empathie. Il s’empare de la rêverie comme échappatoire à la douleur.  C’est ici un refuge qui permet de fuir la réalité, de se créer un monde meilleur, de dessiner un avenir dans lequel l’art permettra de l’exorciser. Alors, Elisabeth rêve. En regardant la tour Montparnasse de la fenêtre condamnée de sa chambre d’hôpital. Les petits carrés de lueurs sur la tour sont autant de lucarnes sur des vies plus douces, imaginées. Mais la vraie fenêtre qui s’ouvre pour elle, c’est celle qui lui donne à voir la découverte du film Une femme à sa fenêtre de Pierre Granier-Deferre à l’hôpital, l’émotion de Romy Schneider et cette phrase : « préférer les risques de la vie aux fausses certitudes de la mort ».

    À la fin du film des chiffres, glaçants, nous sont rappelés : « 246, c'est le pourcentage de hausse du nombre de jeunes filles entre 10 et 14 ans hospitalisées en psychiatrie depuis quinze ans, pour la plupart pour tentative de suicide. Un jeune sur deux ne peut pas être suivi par manque de moyen et de place ».

    Ce film nous rappelle ainsi à quel point l’art peut sauver, mais aussi que les douleurs tues peuvent assassiner des vies, aussi jeunes soient-elles. Chaque enfant qu’Elisabeth côtoie à l’hôpital traîne son propre mal-être, ses symptômes, ses cicatrices plus ou moins visibles. La réalisatrice fait exister chacun, donne une voix à leurs maux. Parmi eux, Isker (Mélissa Boros). Isker et ses poignets bandés pour cacher ses entailles. Isker et son teint cadavérique, comme si elle était un personnage irréel forgé par l’imaginaire d’Elisabeth. Isker contre laquelle elle se blottit.

    Isabelle Carré est « pair-aidant ».  Elle parle d’une situation qu’elle a vécue adolescente. Elle en connaît les difficultés, la solitude, et sait ce qui peut redonner de l’espoir. Nous connaissons aujourd’hui davantage les remèdes à la souffrance morale des enfants et adolescents, trop longtemps ignorée ou méprisée, et n’étant pas prise en compte et en charge comme elle devait et doit l’être : moins les médicaments que l’art-thérapie, la créativité, ou le théâtre dans le cas d’Elisabeth, ou la musique (pour son frère et les enfants de l’atelier). L’art sauve, permet de transformer la douleur en beauté. Elisabeth écrit, rêve, voit dans le théâtre une porte d’évasion. Plus tard, sa professeure de théâtre (incarnée par Nicole Garcia qui, en quelques plans, impose sa gravité souriante et rassurante), lui donne Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, le premier texte qu’Isabelle Carré avait joué en entrant dans ce cours de théâtre qui la sauva, qu’elle retrouva quelques années plus tard, et qui lui valut un Molière. Être « else », être l’autre, pour se retrouver.

    Judith Chemla, sa force et sa fragilité entremêlées, incarne avec beaucoup de subtilité la mère qui ne sait pas vraiment quoi faire de cette mélancolie qu’elle traîne constamment, comme de cette enfant dont on voit pourtant qu’elle l’aime profondément. Et puis surtout la vraie découverte (même si tout le casting est judicieusement choisi) : la jeune Tessa Dumont Janod qui joue Elisabeth enfant, en décalage, sombre et rêveuse, butée et perdue, déterminée à fuir la vie dans la mort puis à l’embrasser dans le théâtre. Sa présence d’une intensité douce et fragile, d’une grâce qui s’ignore, rappelle celle d’Isabelle Carré.

    Les décors signés Nicolas de Boiscuillé et la lumière de la cheffe-opératrice Irina Lubtchansky, épousent l’évolution psychique d’Elisabeth. Les couleurs d’abord pâles et ternes à l’hôpital (contrastant avec celles du début, rouges et pailletées, dans l’appartement) reviennent progressivement, avec le goût de la vie, et comme lui, prennent de l’intensité et de la consistance. L’univers fantomatique, insaisissable et claustrophobique reprend peu à peu forme, les sons même deviennent plus présents. La réalisatrice recourt aussi à de judicieux hors-champs pour nous laisser deviner la violence à l’hôpital, comme s’il s’agissait d’un cauchemar. Lorsque Élisabeth quitte l’hôpital, les bruits urbains sont amplifiés, très agressifs. Benoit Carré, membre du groupe Lilicub, signe la musique dont les notes de pianos accompagnent la solitude du personnage, et Isabelle Carré pose sa douce voix sur La Symphonie des éclairs de de Zaho de Sagazan dans le générique de fin, comme une ultime preuve que la fragilité peut se muer et se sublimer en force créatrice.

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    Après la projection de ce drame (largement) autobiographique bouleversant, qui nous a conduit de l’ombre vers la lumière, des douleurs étouffées aux couleurs retrouvées, un cocktail était offert aux invités à l’étage du Cinéma du Panthéon. Comme pour Elisabeth à sa sortie de l’hôpital, il m’était difficile de retrouver les bruits, la lumière, la vie, après cette traversée poignante du cauchemar vers le rêve, ou son espoir. Je repensais à cette très belle scène dans la voiture. Elisabeth et son frère, devenus adultes, évoquent les secrets de leur père, la raison pour laquelle tout sonnait si faux, et son bonheur trouvé. L’habitacle est à l’image de la salle de cinéma : un espace protégé et calfeutré qui permet de donner la parole, d’ouvrir le débat, d’accepter les fêlures, de laisser les émotions nous submerger, parfois même de nous réconcilier avec la vie. Les mots ce soir-là m’ont manqué. J’aurais aimé dire à Isabelle Carré, que j’ai évitée à la sortie du cocktail, cela, simplement : merci. Merci pour la sensibilité avec laquelle elle traite ce sujet délicat, avec tout le souci de l’autre qui la caractérise. Merci pour ce beau film (dont on oublierait presque que c’est une première œuvre) émaillé de rêveries poétiques et musicales que, vous l’aurez compris, je vous recommande vivement. Une ode aux rêves comme pansement sur les balafres à l’âme. Un film qui donne aux enfants et adolescents (et adultes qui portent en eux ces plaies du passé) le droit à l’expression de leurs différences, de leurs fragilités, et de les transformer en forces. Je suis sortie du cinéma : une pluie lacrymale et intrépide inondait Paris, et mes joues. Je l’ai affrontée, le sourire aux lèvres, imaginant que tels les oiseaux dessinés du film qui s’envolent, elle se transformait en goutte d’étoiles ou de diamants éclairant ma route vers des jours plus ensoleillés, comme on imagine celle d'Elisabeth après sa découverte du théâtre.

    Au cinéma le 12 novembre 2025

    Retrouvez toutes les informations sur le festival sur www.cinema-a-la-folie.fr.

  • Festival de la fiction et du documentaire politique de la Baule 2025 : le programme

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    Je vous ai souvent parlé ici de la Baule, cadre d'un certain nombre de mes fictions romanesques, lieu suscitant de nombreuses réminiscences de vacances familiales, et décor du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule que j'ai couvert ici pendant 10 ans. Pour la première fois cette année, je suis ravie de couvrir un tout jeune festival de cinéma dont ce sera la troisième édition, le Festival de la fiction et du documentaire politique qui aura lieu de ce jeudi 2 octobre à ce samedi soir 4 octobre, et qui allie deux de mes passions : la politique et le cinéma. Jeune festival ne signifie pas festival amateur ou inexpérimenté comme le prouve la qualité de la sélection et des invités depuis la première édition.

    Dans un monde dans lequel tout va si vite, dans lequel une actualité en dévore une autre sans que la première ait pu être digérée et appréhendée, dans un monde de plus en plus complexe, un tel festival de cinéma qui permet de la décrypter et disséquer avec une juste distance et d'en explorer les différents ressorts, est plus que nécessaire. Comme le disait Machiavel, "tout n'est pas politique, mais la politique s'intéresse à tout."

    L'an passé le prix du jury de la compétition fiction avait couronné L'Histoire de Souleymane de Boris Lojkine, et en 2023 L'Enlèvement de Marco Bellochio. Un palmarès qui témoigne déjà de la qualité des films présentés, qu'il s'agisse de fictions ou de documentaires.

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    Cette année ne dérogera pas à la règle avec, au, programme, des films parmi les plus attendus des mois à venir, notamment en ouverture, le nouveau film de Thierry Klifa, La femme la plus riche du monde qui avait été présenté à Cannes en mai dernier, ou encore Dossier 137 de Dominik Moll, qui fut également présenté à Cannes, en compétition.

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    Difficile de définir un film politique, tout acte comme tout film l'étant finalement plus ou moins (n'en déplaise à Machiavel, cf citation ci-dessus).  Comme le souligne ainsi les organisateurs : "Quel que soit son genre, quel que soit son thème un film a une dimension politique, car le regard du cinéma est pluriel tant par sa dimension artistique que par sa portée sociopolitique."

    Jérôme Paoli et Anne-Catherine Mendez, les fondateurs du festival précisent aussi très justement que "Le cinéma politique n’est pas seulement un genre, il est une voix. Une voix capable de raconter le réel, de le questionner, parfois de le bousculer. Une voix qui ouvre des chemins de réflexion là où tout semble figé, qui donne à voir ce que l’on n’ose pas toujours dire. Dans un monde marqué par la vitesse et la polarisation, prendre le temps de s’arrêter devant une œuvre, d’en débattre ensemble, devient un acte précieux – presque un geste de résistance."

    Les invités d'honneur du festival sont les suivants : 

    Yaël Braun-Pivet (Présidente de l’Assemblée nationale), Jean Emmanuel Casalta (Président Public Sénat), Hugues Cazenave (Président Opinion Way), Vincent Chauvet (Maire de la ville d'Autun), Michel Field (Directeur de la culture et du spectacle vivant – France Télévisions), Nicolas Daniel (Directeur éditorial chargé de la stratégie et du numérique, LCP), Christian Giacomini (Président Rumeur Publique), Emmanuelle Guilcher (Directrice des programmes Public Sénat), Philippe Guedj (Journaliste au service culture du Point), Cyril Graziani (Chef du service politique de France Télévisions), Emmanuel Kessler (Président-directeur général de LCP-Assemblée nationale), Emmanuel Prévost (Producteur), Carole Rocher (comédienne), Nathalie Saint-Cricq (Directrice de la rédaction nationale de France Télévisions), François de Rugi (Ancien Président de l’Assemblée Nationale, Ancien Ministre), Thomas Sotto (Présentateur et rédacteur en chef de la matinale de RTL), Mario Stasi (Président de Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).

    La troisième édition est présidée par le scénariste et réalisateur Gabriel Le Bomin.

    Quatre jurys viendront récompenser les documentaires et fictions présentés dans le cadre du festival.

    Le jury fiction politique est présidé par  la comédienne, réalisatrice, scénariste Audrey Dana. Elle sera entourée du réalisateur Antoine Raimbault, du producteur Philippe Boeffard, de la Haute Commissaire à l'enfance Sarah El Hairy, et le comédien Arié Elmaleh.

    Le jury documentaire politique est présidé par la comédienne Odile Vuillemin, le producteur Paul Rozemberg, l'ancien ministre de la Mer et de la Biodiversité Député de la 2ème circonscription des Côtes d'Armor, Hervé Berville.

    Le jury presse et médias politique est présidé par l'éditorialiste politique, essayiste, ancien DG de France Télévisions, Patrice Duhamel, le Directeur de la rédaction de la Tribune Dimanche, éditorialiste à BFMTV, Bruno Jeudy, le rédacteur en chef des Echos de la Presqu'île Frédéric Prot, la journaliste et éditorialiste politique, Saveria Rojek, et l'éditorialiste politique de TF1.

    Le jury lycéens politique est présidé par l'ancienne ministre, responsable associative, Najat Vallaud-Belkacem qui sera entourée de Charlie Connan-Levallois, Gustave  Diebolt, Inès Fernandez, Anna Gallou-Papin, Maël Lehuede, Swann Mahyaoui-Chantrel, Elyne Pernet.

    FILMS EN COMPÉTITION

    LA VAGUE

    2025 – Chili

    2h09 – VOSTF

    Réalisation : Sebastián Lelio

    Interprétation : Daniela López, Lola Bravo, Avril Aurora, Paulina Cortés

    Projection le vendredi 3 octobre 2025 à 10h

    THE PRESIDENT’S CAKE

    2025 – Irak

    1h43 – VOSTF

    Réalisation : Hasan Hadi

    Interprétation : Baneen Ahmed Nayyef, Sajad Mohamad Qasem, Waheed

    Thabet Khreibat, Rahim Alhaj

    Projection le vendredi 3 octobre 2025 à 14h

    DOSSIER 137

    2025 – France

    1h56 – VF

    Réalisation : Dominik Moll

    Interprétation : Léa Drucker, Jonathan Turnbull

    Projection le vendredi 3 octobre 2025 à 16h30

    DEUX PROCUREURS

    2025 – France, Allemagne, Pays-Bas, Lettonie, Roumanie, Lituanie

    1h58 – VOSTF

    Réalisation : Sergei Loznitsa

    Interprétation : Aleksandr Kuznetsov, Alexander Filippenko, Anatoli Beliy,

    Andris Keiss, Vytautas Kaniusonis

    Projection le samedi 4 octobre 2025 à 10h

    LES BRAISES

    2025 – France

    1h42 - VF

    Réalisation : Thomas Kruithof

    Interprétation : Virginie Efira, Arieh Worthalter

    Projection le samedi 4 octobre 2025 à 14h en présence du réalisateur Thomas Kruithof

     

    FILMS HORS-COMPÉTITION

    Film d’ouverture

    LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE

    2025 – France, Belgique

    2h03 – VF

    Réalisation : Thierry Klifa

    Interprétation : Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs, Raphaël

    Personnaz, André Marcon, Mathieu Demy

    Projection le jeudi 2 octobre 2025 à 19h30

    JEAN VALJEAN

    2025 – France

    1h36 – VF

    Réalisation : Éric Besnard

    Interprétation : Grégory Gadebois, Bernard Campan, Alexandra Lamy,

    Isabelle Carré

    Projection le vendredi 3 octobre 2025 à 19h en présence du réalisateur

    Éric Besnard

    Film de clôture

    L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE

    2025 – France

    1h46 – VF

    Réalisation : Stéphane Demoustier

    Interprétation : Claes Bang, Sidse Babett Knudsen, Xavier Dolan, Swann

    Arlaud, Michel Fau

    Projection le samedi 4 octobre 2025 à 20h

    Le programme complet

    jeudi 2 octobre

    19h00 : Cérémonie d’ouverture

    19h30 : La Femme la plus riche du monde Hors-Compétition

    vendredi 3 octobre

    10H00 : Holding Liat Compétition Documentaire

    10H00 : La Vague Compétition Fiction

     

    14H00 : France, Une histoire d’amour Compétition Documentaire
    14H00 : The President’s cake Compétition Fiction

     

    16H30 : Les armes secrètes de Poutine Compétition Documentaire
    16H30 : Dossier 137 Compétition Fiction

     

    19H00 : Jean Valjean Hors compétition

     

    Samedi 4 octobre

    10H00 : Les combats méconnus de Robert Badinter Compétition Documentaire
    10H00 : Deux Procureurs Compétition Fiction

    14H00 : Les Glucksmann, une histoire de famille Compétition Documentaire
    14H00 : Les Braises Compétition Fiction

    16h00 : Séance de dédicaces en collaboration avec la librairie les oiseaux

    16h30 : Masterclass Pouvoir en chute: de l’assemblée à l’écran

    19H00 : Cérémonie de clôture

    19H30 : L’inconnu de la Grande Arche Hors compétition

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    Projections au Cinéma Le Gulf Stream

    Salles 1 et 5
    52 Av. du Général de Gaulle, 44500 La Baule-Escoublac
    Tél. : 02 51 75 15 41
    Site internet : cinegulfstream.fr
    Vous y en rendre : GMap
    Tarif unique : 7€

    Suivez-moi en direct du festival sur Instagram (@sandra_meziere) et retrouvez mon compte-rendu détaillé la semaine prochaine sur Inthemoodforcinema.com.

    Pour en savoir plus sur le festival, le site officiel du Festival de la fiction et du documentaire politique de La Baule 2025.

  • Critique de VALEUR SENTIMENTALE de Joachim Trier – Grand Prix du Festival de Cannes 2025

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    En 2021, le jury du 74ème Festival de Cannes attribuait son prix d’interprétation à Renate Reinsve pour son rôle dans Julie (en 12 chapitres), le portrait d’une trentenaire, entre légèreté et mélancolie, un mélodrame toujours d’une grande justesse. Cette fois, son réalisateur, Joachim Trier, est reparti du Festival de Cannes avec le Grand Prix, la palme d’or 2025 ayant été attribuée à Un simple accident de Jafar Panahi.

    « Rien n’est plus beau que les ombres » entend-on dans Valeur sentimentale. C’est peut-être ce dont il est question avant tout dans ce film, d’ombres, celles qui planent sur cette famille et cette maison par le point de vue de laquelle le long métrage commence. Située à Oslo, elle est le témoin du temps qui s’écoule à une vitesse étourdissante. Elle porte en elle un chagrin qui se faufile entre les générations, et qui pèse sur leurs épaules : les fissures du passé, au sens propre comme au sens figuré, comme l’avait déjà compris et analysé la jeune Nora dans sa dissertation dont la bâtisse fut l’objet. Cette maison appartient à Gustav Borg (Stellan Skarsgard), un cinéaste renommé qui n’a pas tourné depuis quinze ans. Il a vécu là avec son ex-femme, Sissel, et ses deux filles, Nora (Renate Reinsve) et Agnès (Inga Ibsdotter Lilleaas), avant de partir et de les délaisser toutes ces années. Il retrouve ses filles le jour de l’enterrement de leur mère, dans cette même maison. Un retour qui déplaît à Nora autant qu’il la bouleverse. Nora est comédienne, rongée par la solitude, et des blessures passées. Son père lui propose le rôle principal du film qu’il a écrit pour elle. Elle refuse le rôle. Elle refuse même de lire le scénario. Gustav décide finalement de le proposer à Rachel Kemp (Elle Fanning), une jeune actrice américaine en vogue que Gustav rencontre au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il se trouvait à l’occasion d’une rétrospective qui lui était consacrée. Les frontières entre fiction et réalité sont d’autant plus étanches qu’il a l’intention de tourner dans la maison familiale, une grande bâtisse teintée de rouge qui recèle une multitude de secrets, comme ceux des patients de leur mère psychologue que les deux filles écoutaient à leur insu. C’est là aussi que l’arrière-arrière-grand-père de Nora et Agnès est mort. C’est là également que leur grand-mère est née et qu’elle est décédée. La maison incarne la mémoire et les ombres de la famille, de l’histoire et de l’Histoire, les secrets enfouis.

    Depuis son premier film, Nouvelle Donne (2006), Joachim Trier n’a cessé de partager ses questionnements personnels dans ses œuvres. Il est lui-même père de deux enfants et cinéaste comme le personnage de Gustav. Dans ce film, l’art, son art, se fait réconciliateur entre ce père et cette fille qui ne savent pas communiquer et se ressemblent pourtant tellement.

    « Prier, c’est accepter son désespoir » a écrit Gustav dans le scénario qu’il destinait à sa fille. Le film est aussi cela, une route vers l’acceptation (« je veux trouver ma place » y est-il aussi écrit), vers le dépassement du désespoir, afin aussi que la maison ne soit plus un décor insondable, qu’on regarde en face toutes les blessures qu’elle a abritées.

    Gustav incarne un père d’avant #metoo, séducteur, hâbleur, égoïste, maladroit. Stellan Skarsgård l’interprète avec beaucoup d’intensité et de douleur contenue.  Elle Fanning est aussi parfaite pour incarner cette actrice humble, pleine de doutes, d’empathie, de clairvoyance, prête à se teindre les cheveux et à prendre un accent pour le rôle, mais pas à se substituer à une autre, et lui voler sa vie.

    Renate Reinsve et Inga Ibsdotter sont bouleversantes, et parfaitement crédibles, dans les rôles de ces deux sœurs, surtout quand leurs chagrins se rencontrent enfin pour, peut-être, se soigner l’un l’autre.

    Coscénaristes depuis Nouvelle donne, Joachim Trier et Eskil Vogt optent pour la première fois pour la narration chorale, qui alterne donc entre les points de vue et les temporalités.

    Le chef opérateur Kaspen Tuxen qui avait déjà travaillé sur Julie (en 12 chapitres) adapte sa lumière au rythme des saisons. Son évolution traduit autant l’évolution dans le temps que les changements dans les états d’esprit des personnages.

    La BO est aussi le malin reflet de ces émotions. Il s’ouvre avec Dancing Girl de Terry Callier et se referme avec Cannock Chase de Labi Siffre. C’est la pianiste, compositrice et chanteuse polonaise Hania Rani qui signe la musique originale. C’est sa première collaboration avec Joachim Trier. Sa mélancolie reflète la fragilité et la tristesse de Nora. Se déploie une multitude de styles musicaux au gré des émotions contrastées des personnages : Roxy Music, New Order, Artie Shaw et même des compositeurs classiques comme Berlioz et Debussy.

    Valeur sentimentale n’est pas seulement l’exploration des blessures familiales. Il multiplie aussi les références au monde du théâtre et du cinéma. De cette scène marquante du début où Nora refuse de monter sur la scène du théâtre, tétanisée, pétrifiée par le trac, à ces scènes au Festival de Deauville lors de la rétrospective sur la carrière de Gustav avec la projection de son film emblématique dans lequel jouait sa fille cadette, enfant. Les scènes sur la plage de Deauville, auréolée de la lumière presque irréelle de l’aurore, offrent une respiration judicieuse. Gustav offre aussi des DVD à son petit-fils de 9 ans. Et le film n’épargne pas Netflix, ce que ces plateformes engendrent comme contraintes à la création, Gustav n’ayant visiblement pas compris que son film ne sortirait pas au cinéma.

    Valeur sentimentale ausculte cependant avant tout les méandres des blessures familiales, les fantômes qui planent sur cette maison, la transmission douloureuse qu’elle représente comme le signifie cette séquence onirique avec les visages empreints de tristesse du père et de ses deux filles qui se (con)fondent. Une histoire universelle et d’une grande sensibilité sur le manque d’amour ou le mal-amour, sur les ombres du passé et du cœur avec des personnages attachants, dans leurs failles comme dans leurs combats. Ces fondus au noir qui séparent les séquences sont comme le masque ou le mur qui sépare les membres de la famille et que le décor reconstitué abattra. Une mise en abyme ingénieuse entre la vie et le cinéma, sur l’art qui guérit les maux de la vie. Joachim Trier dénoue avec beaucoup de pudeur la complexité des rapports familiaux et des blessures intimes, distillant tout doucement l’émotion tout du long, pour susciter la nôtre à la fin. Allez savoir si le décor ne va pas exploser, les fissures se réparer, et la valeur sentimentale l’emporter… Pour cela, il vous faudra vous plonger dans cette Valeur sentimentale subtile et poignante. (Quel beau titre d'ailleurs qui désigne autant ce que représente la maison, que ce qui unit les membres de la famille qu'elle réunit).

  • Critique de SOUS TENSION de Penny Panayotopoulou (au cinéma le 20 août 2025) et CONCOURS (4x2 places à gagner)

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    Au cœur de l’été, quelle meilleure idée que de vous embarquer avec moi pour un pays que j’affectionne et dont je vous ai souvent parlé dans mes articles sur le cinéma mais aussi dans mes fictions littéraires : la Grèce. Ne vous attendez cependant pas à vous extasier devant les paysages idylliques des îles Ioniennes et des Cyclades, ou d’être saisis de vertige devant les magnificences du Parthénon (l’émotion irrationnelle que ce monument fascinant me provoque à chaque fois, mais c’est une autre histoire). Avec son troisième long-métrage, Penny Panayotopoulou nous amène en effet à la découverte de l’envers du décor, pour une plongée dans la réalité sociale de la Grèce contemporaine, qui met en exergue les failles du système hospitalier public. Cela n’en est pas moins passionnant.

    Ce film fut présenté dans le cadre des « Découvertes européennes » du Arras Film Festival 2024. Il a notamment obtenu le Prix du Public et Prix meilleur début pour Giannis Karampampas au Festival international du film de Thessalonique 2024 et le prix de la réalisation au Festival du film grec de Los Angeles 2025.

    Nous suivons ainsi Costas (Giannis Karampampas), depuis peu agent de sécurité dans un hôpital public sous tension. Sa famille a de graves problèmes financiers. Il doit par ailleurs s’occuper de sa jeune nièce, Nicky (Garifalina Kontozu), après le décès brutal de son frère, endetté. Il se laisse alors entraîner dans une combine : monter de toute pièce un dossier pour faute médicale. Costas, poussé par un médecin et une infirmière aussi opportunistes qu’antipathiques, doit alors guetter les situations qui pourraient être transformées en cas d’erreurs médicales, l’avocat alors informé pouvant verser de conséquents dessous-de-table….

    D’emblée, le spectateur devine que la légèreté des premières minutes ne saura durer, la musique mélancolique qui les accompagne résonant déjà comme un avertissement. Sur sa moto avec sa petite amie qui, par jeu refuse de lui dire qu’elle l’aime, Costas tournoie dans ce terrain vague, tandis que la lueur du soleil perce dans le lointain, avec la mer à peine perceptible pour déjà nous signifier que ce ne sera pas cette autre Grèce-là, maritime et iconique, qui nous sera racontée ici. La magie et l’insouciance semblent bien fragiles, déjà. Un voile de tristesse semble parfois teinter le regard de Costas, comme s’il était déjà à l’écart du groupe auquel il  veut s’intégrer. La mort va en effet bien vite constituer son quotidien, entre celles auxquelles il est confronté dans l’hôpital dans lequel il travaille et celle de son frère.

    L’intemporalité et l’universalité du personnage principal et du drame auquel il doit faire face (Qui, malheureusement, ne s'est jamais retrouvé face aux fourberies tragiques du destin ?) nous conduisent à être rapidement en empathie avec Costas, qui est de tous les plans. Certes, l’intrigue se déroule en Grèce, met en lumière les difficultés du système hospitalier public grec, mais l’histoire de cet homme pourrait avoir lieu presque partout ailleurs. La précarité. Le dilemme moral. Le difficile choix (mais en est-ce vraiment un, a-t-il vraiment le choix ?) de devoir renier ses principes moraux pour sauver sa famille. En plus du faible salaire qu’il perçoit, Costas est témoin de racisme, d’injustices diverses, mais il n’a pas le loisir de se rebeller : sous tension permanente, il doit sauver sa famille. Coûte que coûte.

    La réalisatrice utilise avec beaucoup d’intelligence les hors-champ, les ellipses, les symboles. Comme lorsque Costas regarde le lit d’hôpital vide et les quelques affaires qu’une patiente tout juste décédée a laissées. Ce petit sac qui contient toute une vie est plus bouleversant que la vision d’un corps mort. Comme les chatons auxquels Costas refuse l’entrée de la maison. Mais quand il n’en restera plus qu’un survivant, il sera recueilli, choyé, au cœur du foyer. Telle la petite Nicky qui a perdu son père. Et puis il y a cet oranger malade. Costas avait promis à son frère de s’en occuper. Il symbolisera l’espoir retrouvé. La vie qui reprend, malgré tout. « La certitude que rien ne se perd jamais ».

    Giannis Karampampas qui interprète Costas, avec son physique à la fois contemporain et intemporel, d’une beauté fragile, presque humble, se glisse avec beaucoup de justesse dans toutes les nuances de la douleur et de la révolte contenue que connaît son personnage. C’est difficile à croire mais il s’agit pourtant là de son premier rôle au cinéma (une interprétation à juste titre récompensée en festivals). La mère aussi, Despina (Alexandra Sakellaropoulou), contient sa douleur, héroïne tragique dont on devine qu’elle n’a peut-être pas toujours été tendre, qui souffre dans le silence.

    Les jeux de lumière sont particulièrement judicieux. Le bonheur semble toujours là, à flotter dans l’air, dans un ailleurs proche et inaccessible, jusqu’à la bouleversante scène finale lors de laquelle la lumière irradie, éblouit, à la fois naturelle et teintée d’accents irréels. Un travelling virtuose et émouvant l’accompagne et nous emmène de l’autre côté de la maison, dans un havre de sérénité. Costas a sauvé l’essentiel, son âme sans doute. « Aimer la beauté, c'est vouloir la lumière. C'est ce qui fait que le flambeau de l'Europe, c'est-à-dire de la civilisation, a été porté d'abord par la Grèce, qui l'a passé à l'Italie, qui l'a passé à la France. » Voilà qui me fait penser à cette phrase extraite des Misérables de Victor Hugo.

    Un drame familial et moral captivant, mais aussi un état des lieux alarmant du système hospitalier grec, objet de la corruption. L’envers du décor, c’est cela mais aussi des terrains vagues, des immeubles aux constructions interrompues, des lieux qui semblent abandonnés, désincarnés, très éloignés de la carte postale. Même la maison de Costas et sa famille semble chancelante, sous tension elle aussi.

     Il y a du néo-réalisme italien dans l’humanité avec laquelle la réalisatrice accompagne la précarité de son personnage principal. Elle ne néglige cependant aucun des personnages secondaires. C’est le souvenir de chacun d’eux et de l'humanité malmenée et victorieuse de Costas que nous emportons, après cette dernière scène, sublime, poignante, bercée par cette lumière paradisiaque. Mieux peut-être encore que celle figurant sur une carte postale des Cyclades. Ici c’est la vérité brute, atténuée par le regard particulièrement sensible de la cinéaste qui n’édulcore pas la réalité, mais sait en extraire la poésie à laquelle fait écho la magnifique musique de Nikolas Anadolis qui a signé la BO de ce film qui sait relâcher la tension (magnifiques plans de Costas marchant dans les rues vides) pour mieux la signifier, et mieux conserver notre attention. Je vous recommande ce voyage hors des sentiers battus, de la Grèce et du cinéma.

    CONCOURS : 4x2 places pour le film à gagner

    Souhaitant défendre ce film que j'ai particulièrement apprécié, je vous propose de remporter 4x2 places pour celui-ci, en partenariat avec Épicentre Films. Soyez simplement les plus rapides à me dire quel est votre film grec préféré et pourquoi, par email à inthemoodforfilmfestivals@gmail.com, en n'oubliant pas de joindre vos coordonnées postales pour l'envoi des places, et en n'oubliant pas de vérifier qu'il sera bien à l'affiche du lieu où vous vous trouve(re)z. Καλή τύχη !

  • Critique de LA VENUE DE L’AVENIR de Cédric Klapisch

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    Trois ans après En corps, et après une incursion dans la série avec Salade grecque en 2023, Cédric Klapisch revient au cinéma avec ce film grâce auquel il a pour la première fois intégré la sélection cannoise. Ce quinzième long-métrage du cinéaste, coécrit (comme le précédent) avec Santiago Amigorena, fut ainsi projeté hors-compétition dans le cadre du 78ème Festival de Cannes.

    Alors que son avant-dernier long métrage, Deux moi (2019), s’achevait par un cours de danse lors duquel les destinées parallèles de ses protagonistes se croisaient enfin, son précédent, En corps, était entièrement consacré à cet art. En corps commence ainsi par quinze minutes fascinantes. Quinze minutes entre la scène et les coulisses. Un tourbillon éblouissant de bleu et de rouge. Une explosion étourdissante de couleurs et de mouvements (déjà évoquant presque ce geste pictural qu'exalte La Venue de l’avenir). Klapisch y célèbre la force des fragilités. La beauté du ballet aussi, qu’il soit classique, aérien, poétique même, presque abstrait et celle de la danse contemporaine, une beauté brute, presque véhémente et pourtant tout aussi vibrante.
    Ce film lumineux met le cœur en joie, vous cueille quand vous ne vous y attendez pas, par un flashback et un plan, de loin, d’un père qui enlace sa fille, filmés tout en pudeur. Une fois de plus, Klapisch, dans En corps, capte la beauté et le romanesque de Paris mais aussi l’air du temps.  

    C’était déjà le cas, dans le film Paris (2008), dans lequel il filme comme nul autre cette ville au cœur battant. Klapisch dans ce film choral, sublime et confronte l’éphémère dans la ville éternelle. Des destins d’abord présentés comme autant de quartiers épars. Des destins vus ou entrevus ou même imaginés peut-être par Pierre (Romain Duris) qui, du haut de son balcon démiurgique qui surplombe la capitale, atteint d’une maladie cardiaque, ne sachant pas s’il va survivre, porte un regard neuf et différent sur Paris et ceux qui s’y croisent, s’y manquent. Chacun devient le héros des histoires qu’il s’invente, sorte de double de Klapisch scénariste car que fait d’autre le scénariste que de faire des gens qu’il croise, connaît ou devine, les héros d’histoires qu’il s’invente ? Rien ne les rassemble a priori si ce n’est cette ville, les ramifications du destin, telles des lignes de métro qui de toute façon finissent en un même point : le cœur. Tous les chemins mènent au cœur de Paris. Le cœur, justement, celui qui menace de lâcher à tout instant. L’éphémère face à l’éternel. L’insignifiant face à l’essentiel. La vie face à la mort. La ville vue par le prisme d’un condamné à mort : une ville dont le cœur bat, insouciante, une ville qui vibre, qui danse, une ville de tous les possibles, une ville et une vie où rien n’empêche personne de « donner une chance au hasard », de faire valser les fils du destin comme il le fait du haut de son balcon.

    Alors, justement, les fils du destin, Klapisch les fait plus que jamais danser et s’entrelacer dans La Venue de l’avenir qui est une nouvelle fois une ode à l’art : la peinture et la photographie, après la danse, mais aussi à nouveau une ode à la beauté romanesque de Paris.

    Il s’agit également une nouvelle fois d’un récit choral comme il les affectionne et comme les affectionnent ceux qui, comme moi, aiment son cinéma dans lequel les destins se tissent en s'entrecroisant. Pour son premier film en costumes, il n’a pas choisi la facilité puisqu’il se déroule sur deux périodes distinctes, 1895 et 2025, principalement à Paris. Peut-être (1999) se déroulait déjà sur deux époques…et aurait d’ailleurs aussi pu s’intituler La Venue de l’avenir.

    Ainsi, dans ce nouveau film de Cédrid Klapisch qui commence en 2025, une trentaine de personnes issues d’une même famille apprennent qu’ils vont recevoir en héritage une maison située en Normandie, abandonnée depuis des années. Quatre d'entre eux, Seb (Abraham Wapler), le créateur de contenus digitaux, Abdel (Zinedine Soualem), le professeur bientôt à la retraite, Céline (Julia Piaton), l’ingénieure en état dépressif, et Guy (Vincent Macaigne), l’apiculteur idéaliste, sont chargés d’en faire l'état des lieux. Ces lointains « cousins » vont alors découvrir des trésors cachés dans cette vieille maison normande dont le terrain est convoité par des promoteurs immobiliers qui souhaitent y construire un hypermarché avec parking écoresponsable. Ils vont se retrouver sur les traces d'une mystérieuse Adèle Vermillard (Suzanne Lindon) qui a quitté sa Normandie natale, à 20 ans. Cette Adèle se retrouve à Paris en 1895 (quelle année..., évidemment que ce soit celle de la naissance du cinéma n'est pas un hasard), au moment où cette ville est en pleine révolution industrielle et culturelle. Cette fille de la campagne veut y retrouver sa mère (Sara Giraudeau) qu’elle n’a pas connue. Là, elle croisera la route de Sarah Bernhardt, Nadar, Claude Monet…

    Les quatre cousins vont alors découvrir cette période charnière de la fin du XIXème siècle, la naissance d’un nouvel art, la photographie, et d’un courant pictural, l’impressionnisme. Ce voyage dans le passé va les conduire à se questionner sur leur présent et leur avenir et va questionner aussi l’héritage que nous laissent la peinture et la photographie, mémoires d’une époque, et l’art en général.

    Le premier court-métrage de Cédric Klapisch, Ce qui me meut, avait déjà pour cadre de Paris de la fin du XIXème siècle. Avec ce nouveau long-métrage, il mêle les histoires et l’Histoire. Le roman Scènes de la vie de bohème d’Henri Murger a particulièrement nourri le travail du réalisateur et de son coscénariste.

    Chacun des quatre cousins incarne un rapport différent au progrès, le professeur représentant celui pour qui finalement les choses ne changent guère, celui-ci exerçant de surcroît le métier qui devint celui de son ancêtre, Adèle. « Il y a deux manières d'envisager l’avenir : une logique continue du présent ou une rupture » dit ainsi le personnage de Julia Piaton. Lors de la conférence de presse du Festival de Cannes, Klapsich (précisant que sa mère était psychanalyste) a ainsi expliqué : « On a plus dessiné les personnages sur les rapports qu'ils ont avec le futur. Chaque personnage a été construit en fonction de son impact sur le futur »

    Klapisch oppose et relie deux époques, deux façons de regarder le monde qui nous entoure (la première scène, au musée, montre des visiteurs qui tournent le dos aux Nymphéas, plus occupés à regarder leurs smartphones et à faire des selfies qu’à admirer l’œuvre de Monet), et deux rapports au temps : les uns se téléportent quasiment en TGV quand les autres éprouvent le temps long et enrichissant du voyage. Un temps de rencontre aussi puisque c’est à cette occasion qu’Adèle rencontrera le peintre et le photographe, incarnés par Paul Kircher et Vassili Schneider, qui changeront eux aussi son regard sur la vie. Le montage avec des transitions toujours très (bien) pensées rend les passages d’une époque à l’autre fluides et ludiques.

    Le chef opérateur Alexis Kavyrchine a par ailleurs réalisé un travail remarquable en cherchant à imiter les autochromes, premières photos en couleur, pour les scènes ayant lieu en 1895 qui nous immergent dans un Montmartre à la beauté picturale. Ils ont aussi repris des cadrages directement inspirés de tableaux de Monet ou Degas, autre manière de rendre hommage à cette période de la peinture que le film narre.

    La musique fait aussi souvent le lien entre les deux époques. Pour la première fois, Cédric Klapisch a travaillé avec le compositeur Rob -Robin Cudert - (ancien peintre !) pour créer une musique instrumentale moderne qui évoque aussi l’univers de Debussy ou de Satie. Une musique impressionniste qui crée un pont judicieux entre les époques et souligne la majesté des paysages. Le mélange de musique classique (Mozart, Mendelssohn, Schubert, Debussy, Donizetti), d'électro, pop, variété française et de techno (Sawtooz, Alexzavesa, Bequadro, Yvette Guilbert, Léon Malaquais, Aphex Twin, Kompromat) permet aux deux époques de se fondre astucieusement. Et la chanson de Pomme, La Nuit, intégrée à l’intrigue, renforce l’impression de douceur mélancolique qui se dégage film et sublime sa beauté picturale. D’ailleurs sur sa palette, Klapisch mêle les époques mais aussi les tonalités, le film oscillant toujours habilement entre humour et émotion.

    Cela commence sur un portable dos tourné aux œuvres, au milieu de la foule, avec une influenceuse qui se demande si on la voit assez et qui veut changer la couleur des Nymphéas - !- (en opposition au personnage de Pomme qui demande si on ne la voit pas trop devant le spectacle splendide de Paris). Et cela se termine comme si le passé avait imprégné le présent de sa lenteur et de sa douceur. Entre les deux, un film aussi riche, foisonnant, captivant et rassurant qu’un tableau impressionniste. On entre ainsi dans un film de Klapisch, comme dans une œuvre picturale avec une vision d’ensemble, celle qui s’offre à notre premier regard, avant d’en découvrir les multiples nuances. Chacun y trouve sa résonance avec son histoire. Et on en ressort avec la même envie que devant un tableau réussi : le revoir pour en capter les détails et pour ressentir à nouveau les émotions multiples qu’il nous a procurées.

    Comme dans tout film de Klapisch, il est évidemment aussi question d’amour, dans le présent comme dans le passé. Selon Guy : « L’amour c'est une réinvention de la vie et réinventer l'amour, c'est une réinvention de cette réinvention. »

    Dans une sorte de mise en abyme, Klapisch dépeint la venue du jour, immortalise la beauté fugace de l’instant. Et, pour notre plus grand plaisir, fait revivre Monet dessinant Impression, soleil levant : « C'est pas le port que je peins mais juste un instant. » Une réalité à la fois abstraite et poétique...comme le titre du film avec ses allitérations en v et en n.

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    L'équipe du film lors de la conférence de presse au 78ème Festival de Cannes - Photo par Inthemoodforcinema.com

    « J’aime bien mettre de la poésie dans le réel. J'aimais par exemple ce qu'était le réalisme poétique du temps de Marcel Carné. » a déclaré Klapisch lors de la très joyeuse conférence de presse du film à Cannes. Il y a en effet du réalisme poétique dans ce film, du Prévert, et du Carné, peintre « des choses derrière les choses ». On imagine à tout instant Garance elle aussi traverser le temps, faire un bond en 1895, surgir et dire : « Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment d'un aussi grand amour. »  

    Comme toujours, le voyage dans l’univers de Klapisch fait du bien, donne envie d’embrasser la vie : « Il vaut mieux regretter de choses qu'on a faites plutôt que de choses qu'on n’a pas faites. »  C’est finalement Vincent Macaigne qui en a parlé le mieux lors de la conférence de presse cannoise : « Le film est comme une sorte de caresse sur nos peurs. À toute époque, on essaie d'être ensemble, de se lier, de tomber amoureux, on a peur de l'avenir et finalement ce qui reste ce sont les œuvres d'art. Ce film nous donne envie et de créer et d'être ensemble et tous les personnages portent ça en eux. »

    C’est le personnage incarné par Abraham Wapler, Seb, élevé par son grand-père avec lequel il vit toujours, pour lequel ce voyage dans le passé va le plus éclairer le présent et l’avenir. Le jeune photographe va se trouver des liens avec ses illustres aïeux, ce qui éclaire ainsi la voie qu’il doit emprunter, personnellement et professionnellement. : « Je regardais toujours devant et cela m'a fait du bien de réparer derrière. » La transmission est toujours très présente dans le cinéma de Klapisch qui y avait même consacré un film : Ce qui nous lie (2017). Et c’est en effet avant tout de liens qu’il est question ici : des liens avec le passé, des liens amoureux, des liens amicaux, des liens familiaux, des liens que nous entretenons avec l’art. Cet art qui traverse le temps, crée un présent éternel et qui relie les générations.

    Si Abraham Wapler est la découverte du film, lui aussi teintant son jeu sobre de mille nuances, les seconds rôles comme dans les films du réalisme poétique sont aussi savoureux : Cécile de France en historienne de l’art aussi snob que passionnée et finalement attachante, Claire Pommet (Pomme), douce enchanteresse comme sa voix,  Sara Giraudeau dont le timbre si particulier apporte toujours une touche d’enfance à ses personnages écorchés, François Berléand dans le rôle de Victor Hugo… Et, en premiers rôles, le quatuor des cousins fonctionne parfaitement, et Suzanne Lindon est parfaite pour nous transporter dans les dédales du Paris du XIXème siècle, avec sa beauté à la fois intemporelle et singulière.

    Klapisch entremêle brillamment fantaisie et mélancolie, tendresse et nostalgie. Par ce dialogue inventif entre les générations, il brosse le portrait de ce qui nous lie, l’amour et l’art. C’est reposant, coloré, festif, et gaiement nostalgique comme une promenade à Giverny, comme une avenue de l’Opéra qui s’illumine et trace le chemin au milieu d’un Paris plongé dans l’obscurité, comme un tableau de Monet, comme une rencontre sur un bateau qui mène vers le passé. Une fresque qui relève de la fable savoureuse, teintée de nostalgie. Woody Allen, avec son conte jubilatoire, Minuit à Paris, d’une autre manière, avait réenchanté le présent, en montrant qu’on peut s’enrichir du passé pour en saisir l’étendue de la beauté. Klapisch, lui, veut réenchanter le présent et l’avenir, sous l’éclairage du passé, et nous enjoint à ne jamais délaisser l’éblouissement auquel invitent l'amour et surtout l'art, que ce soit la photographie, la peinture...ou le cinéma, et même à les réinventer. Ce film en suscite aussi un, réjouissant.