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Critique de TÉNOR de Claude Zidi Jr. (au cinéma le 4 mai 2022)

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Quand les horreurs et les incongruités de l’actualité obscurcissent autant l’horizon, la salle de cinéma fait plus que jamais office d'antre où s’abriter des tumultes du monde, et plus encore quand elle nous donne à voir des films lumineux dont on ressort revigoré avec l’envie d'enlacer chaque seconde et d’embrasser l’avenir, malgré tout. Telles furent les émotions suscitées par mes trois derniers coups de cœur, uniquement des films français qui d’ailleurs témoignent de la vitalité et de la diversité du cinéma hexagonal (La Brigade de Louis-Julien Petit - au cinéma depuis le 23 mars -, En corps de Cédric Klapisch - au cinéma depuis le 30 mars -, et Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona -disponible en DVD et Blu-ray le 19 avril et depuis peu en VOD-) auxquels il faudra donc d’ores et déjà ajouter un quatrième long métrage, Ténor de Claude Zidi Jr., à découvrir au cinéma le 4 mai prochain.

Antoine (Mohamed Belkhir -MB14-), jeune banlieusard parisien, suit des études de comptabilité sans grande conviction, partageant son temps entre les battles de rap qu’il pratique avec talent et son job de livreur de sushis. Lors d’une course à l’Opéra Garnier, sa route croise celle de Mme Loyseau (Michèle Laroque), professeure de chant dans la vénérable institution, qui détecte chez Antoine un talent brut à faire éclore. Malgré son absence de culture lyrique, Antoine est fasciné par cette forme d’expression et se laisse convaincre de suivre l’enseignement de Mme Loyseau. 

La magie opère dès les premiers plans, un combat de boxe de rue chorégraphié tel un ballet, sous la pluie, filmé au ralenti, porté par une flamboyante musique opératique. La caméra fluide de Claude Zidi Jr. zigzague avec habileté, capture notre attention et nous immisce immédiatement dans l’action et dans le jubilatoire choc des cultures auquel nous invite le film. Confrontation d’univers, urbains mais aussi musicaux : la banlieue de Bondy et l’Opéra Garnier, le rap et l’opéra.

Comme Madame Loyseau l’enseigne à ses élèves, la technique doit toujours être au service de l’émotion. Et ici, elle l’est, incontestablement, d’emblée. Elle permet de nous transmettre celle d’Antoine quand il écoute Madame Butterfly face à la tour Eiffel. Quand un des plus beaux et célèbres poèmes de Victor Hugo, Demain, dès l’aube, est déclamé en rap. Quand Antoine s’adonne à une battle de rap et que les mots cristallisent la violence, comme si Cyrano s’était réincarné. Quand Paris s’offre, majestueuse, depuis le toit de l’Opéra Garnier et qu’Antoine, tel Rastignac, semble la défier de son indissociable « À nous deux ».

Les histoires d’univers et d'êtres opposés qui se rencontrent (se défient puis s'allient) sont souvent synonymes de succès au cinéma et ce film mériterait de ne pas déroger à la règle. Si Toledano et Nakache sont les rois d’un cinéma qui marie avec maestria rires et larmes, et qui fait se rencontrer ceux dont les destinées n’auraient jamais dû se croiser, Claude Zidi Jr., avec ce premier film en solo semble leur emboîter le pas. Cette « filiation » est aussi celle d’un cinéma universel. Si le parcours d’Antoine est évidemment singulier, chacun pourra se reconnaître dans ce combat face à soi-même, cette lutte pour sortir des cases dans lesquelles la société veut nous claquemurer, pour trouver sa voie parmi les routes entre lesquelles il faut choisir. Une jeune femme de Bondy peut devenir militaire comme un jeune rappeur livreur de sushis peut devenir ténor. Tout comme, dans Le Brio d’Yvan Attal, la jeune banlieusarde incarnée par Camelia Jordana devenait la reine des concours d’éloquence.

Le scénario, malin (cosigné Cyrille Droux, Raphaël Benoliel, Claude Zidi Jr. en collaboration avec Hector Cabello-Reyes) frôle les clichés pour mieux les contourner, pour démontrer que rien ne nous assigne à un rôle prédéterminé.  

En regardant l’émission the Voice dont il était un des candidats, le producteur et le réalisateur ont eu la bonne idée de contacter Mohamed Belkhir alors connu sous le nom de MB14 qui, à l’image de son personnage qui débute dans l’opéra, fait ici ses premiers pas dans la comédie. Cette première expérience et le naturel déconcertant de son interprétation (comme l'est celle de son personnage) apportent une fraicheur supplémentaire. Une énergie revigorante. Sans que cela nuise à sa justesse, indéniable.

Face à lui, Michèle Laroque dans ce rôle d’ancienne cantatrice devenue professeure de chant (dont on oublie parfois qu’elle a tourné avec Leconte, Sautet, Berliner, Veber, Kurys...parmi d'autres) trouve ici son meilleur rôle depuis Ma vie en rose avec ce personnage particulièrement attachant auquel elle apporte à la fois folie et gravité, humour et énergie, vivacité, liberté et émotion à fleur de peau, sans jamais tomber dans le pathos ou dans l’outrance comme aurait pu l’y inviter la maladie à laquelle est confronté son personnage. Elle semble se délecter à jouer ses dialogues comme son personnage déguste chaque fraction de seconde. Et quand elle dit « Je vais savourer chaque goutte de de vin et je vais regarder par la fenêtre même si elle est de plus en plus petite », il serait difficile de ne pas la croire, et de ne pas en être ému. Les seconds rôles sont tout aussi parfaits, de Maeva El Aroussi (Samia) à l’irrésistible Samir Decazza (Elio) qui a peur de la…pluie, un des nombreux ressorts comiques du film, ou encore Guillaume Duhesme qui incarne le personnage du frère d’Antoine, Didier, mais aussi Stéphane Debac (Pierre), Marie Oppert (Joséphine), Louis de Lavignère (Maxime). Dans un magnifique plan-séquence, Roberto Alagna fait aussi une apparition marquante.

La réalisation n’est jamais empesée ou statique comme aurait pu l’y contraindre le prestige et la magnificence de l’Opéra Garnier ou comme se cantonnent souvent à l’être les mises en scène de comédies. La cité comme l’opéra sont sublimés par le chef opérateur Laurent Dailland. Un soin particulier a aussi été porté aux décors grâce à la cheffe décoratrice, Lise Péault.

La caméra virevolte comme la musique originale de Laurent Perez del Mar dont les notes délicates accompagnent la mélancolie et la nostalgie de Marie Loyseau. Elles apportent aussi une profondeur et une douceur réconfortante comme si la précieuse beauté du présent prenait le pas sur son angoisse de l’avenir. Elle suggère subtilement les sentiments qui unissent, malgré tout, les deux frères, quand la violence verbale s’empare d’eux. Elle devient plus poignante quand Didier découvre la passion secrète de son frère. Elle évoque la fougue aventureuse de la jeunesse quand elle accompagne, tels des battements de cœurs, la première visite d’Antoine à l’Opéra Garnier. Et, à la fin, elle devient carrément bouleversante, tout en étant solaire et lyrique, allant crescendo, prenant de l'ampleur et de l'amplitude, telle l’émotion qui nous envahit, lorsqu’elle accompagne le magnifique montage (signé Benjamin Favreul) et la lecture d’une lettre (que je vous laisse découvrir). Comme un écho vibrant à l’injonction à vivre sa vie et à croire en soi que ses mots exaltent.  Nous donnant envie de gravir quatre à quatre l’escalier de Garnier…et de l’existence. Sa musique se mêle parfaitement aux notes de Verdi, Puccini, au rap...Une diversité de genres musicaux qui fait de ce film un véritable hymne à la musique et à son pouvoir émotionnel, ici une véritable arme dans le combat pour trouver sa voie/voix car, pour Mme Loyseau, il s'agit autant de transmettre l'apprentissage de la musique que la route pour devenir soi, et le clamer haut et fort.

Produit par Raphaël Benoliel, (qui a notamment coproduit Chéri de Stephen Frears, Minuit à Paris et Magic in the moonlight de Woody Allen), ce conte des temps modernes, tendre, drôle, émouvant, tout en étant savamment pudique et elliptique, nous insuffle une bouffée d’oxygène plus que jamais indispensable. Aussi parce qu’il nous rappelle ce dont il est  crucial de se souvenir, tout particulièrement ces jours-ci, que l’altérité n’est pas une menace mais un enrichissement. Ou encore que tout peut être possible avec de la détermination et un coup de pouce du destin. Et qu'il faut s'accrocher à ses rêves. Comme dans ces films, britanniques surtout (Billy Elliot, Joue-la comme Beckham, Once...) dans lesquels les héros, après avoir bataillé contre la terre entière et surtout contre eux-mêmes, accomplissent leurs rêves, en apparence initialement impossibles. Comme le réalisateur s'est cramponné à celui de ce film qu'il porte depuis de nombreuses années...Et il a bien fait !

Il nous laisse quitter notre antre avec les yeux et le cœur remplis de l'émotion de Nessun dorma de Puccini et de la vision du plafond mirifique de Chagall (qui rend d’ailleurs hommage à quatorze compositeurs et à leurs œuvres). Et avec l’envie de prendre notre place. De saisir chaque étincelle de vie. Là. Maintenant. Tout de suite. Intensément. Et de ne pas attendre pour cela d’être confronté à sa fragilité et à sa vanité.

Ténor vient de recevoir le prix du Public des rencontres du cinéma de Gérardmer. Une raison de plus de le découvrir en salle le 4 mai si celles énumérées ci-dessus ne vous semblaient pas suffisantes.

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