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  • Télévision – Documentaire - VOIR L’AUTOMNE, UNE SAISON EN FRANCE de Jeremy Frey (mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2)

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    Que ce soit Verlaine avec sa Chanson d’automne (« Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone… »), Camus ( « L’automne est un second printemps où chaque feuille est une fleur») ou Baudelaire (« La beauté de l’automne est un poème écrit par la nature»)…, nombreux sont les poètes et écrivains à avoir célébré cette saison plurielle et mystérieuse charriant une myriade de couleurs envoûtantes, ombrageuses et/ou éclatantes.

    Voir l'automne, une saison en France. Tel est le titre du documentaire inédit de 97 minutes à découvrir dès le vendredi 17 octobre sur france.tv et le mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2. Réalisé par Jeremy Frey, écrit par Jeremy Frey et Rémi Dupouy, il est produit par Hope Production (Yann Arthus-Bertrand…) et Calt Production.

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    © Hope production / Calt production

    Je vous parlais hier, dans mon compte-rendu du troisième Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule (à lire, ici), dont le palmarès a été délivré samedi dernier, du remarquable documentaire de Yann Arthus-Bertrand et Michael Pitiot, France, une histoire d’amour, à découvrir au cinéma le 5 novembre 2025, lauréat du prix des lycéens du festival. Un film dont la sublime photographie (justement signée Jeremy Frey, réalisateur de Voir l’automne) magnifie la beauté du territoire français, de ses visages et de leur générosité. Yann Arthus-Bertrand y prononce la phrase suivante, qui pourrait aussi s’appliquer à cet autre documentaire que je vous recommande aujourd’hui : « Là on va être dirigé par un dictateur sans conscience, le climat. La vie n'a aucun sens. C'est vous qui décidez de donner un sens à votre vie. On a tous la mission et le devoir de protéger la vie sur terre. J'ai passé ma vie à photographier la beauté. C'est quoi la beauté ? C'est les gens qui font, qui partagent. Cette beauté a un nom très simple. Elle s'appelle l'amour. »

    En 2024, l’automne avait aussi inspiré une fiction avec François Ozon qui, dans Quand vient l’automne, filmait ainsi des personnages aux couleurs lunatiques à l'image de celles de cette saison dont il célébrait la mélancolie troublante. Un film ensorcelant et chamarré comme les couleurs automnales (photographie de Jérome Alméras), doux et cruel, savoureusement ambigu, qui célèbre autant l’automne de la vie que cette saison, et qui s’achève, comme toujours chez Ozon, par la fin logique d’un cycle, entre ambivalence et apaisement.

    Ce documentaire lui rend aussi un magnifique hommage, sensoriel. C’est un hymne à cette saison et à la nature, et un vibrant plaidoyer pour sa préservation. En automne, la nature flamboie, déploie toute une palette de couleurs et d’émotions, dont le réalisateur capte ici avec une infinie sensibilité la moindre nuance et le moindre frémissement.

    Synopsis : Au fil d'images insolites et grandioses, sensibles et inédites de la faune comme de la flore, une découverte de l'automne de l'intérieur, pour mieux en saisir le fonctionnement et les nuances. Des jardiniers, professeurs, pompiers, activistes, gardes forestiers, photographes amateurs ou cantonniers révèlent, à travers leurs expériences, anecdotes et récits, de multiples façons de regarder la nature. Dans des paysages hauts en couleur, ils invitent à une exploration inédite de la nature en France, à un décryptage des phénomènes qui font l'actualité en automne et à une invitation à s'émerveiller devant les temps forts et les bouleversements de cette saison si particulière. "Voir l'automne, une saison en France" nous entraîne dans un voyage sensible à travers ceux qui vivent la saison au plus près du vivant.  Un couple de jeunes vignerons dont les festives vendanges marquent le début de l’automne. Un vieux berger, mémoire du Mercantour, qui transmet son savoir à sa fille en pleine transhumance. Un apnéiste qui vit une histoire avec un phoque dans le Finistère, au moment de la saison des amours. Une acousticienne qui tente de capturer la puissance du brame du cerf. Marie, jeune biologiste à Saint-Pierre-et-Miquelon, face à une baleine à bosse qui entame sa migration. Yann Arthus-Bertrand face à un chasseur à la hutte en baie de Somme. Vincent, dans les Pyrénées, photographe animalier en devenir, le seul à voir régulièrement l’ours, bientôt en hibernation.

    Cela débute par des silhouettes qui s'avancent face à des images somptueuses d'automne dans la brume, comme si ces ombres nous invitaient à entrer dans l’image, à nous glisser dans le fascinant labyrinthe automnal, à nous laisser éblouir avec elles par la magie de cette saison, à pénétrer dans un conte qui narre les grandes étapes de l'automne en France, à travers les « rencontres avec ceux qui les vivent aux premières loges. » « Je crois que tu vas voir l'automne » annonce ainsi le réalisateur Jeremy Frey à Yann Arthus-Bertrand, comme s’il l’invitait lui aussi à entreprendre ce périple fabuleux grâce aux « images tournées en milieu naturel par l'équipe à cette saison ».

    Dès les premiers plans, la beauté stupéfiante des images accompagnées et sublimées par la musique, lyrique et prenante, nous saisit et nous emporte. Nous voilà embarqués pour un voyage qui nous donne à voir la beauté versatile et captivante de l’automne. Chaque plan du film exhale et exalte la beauté éblouissante de la nature. Ses couleurs chatoyantes nous invitent ainsi à une danse consolante.

    Une attention particulière est accordée aux sons. « Car l’automne, c’est aussi une musique. » Le réalisateur explique ainsi avoir travaillé avec « des ingénieurs du son, des acousticiens et des compositeurs pour révéler cette dimension acoustique, pour que les oreilles s’ouvrent autant que les yeux. » Et le résultat est époustouflant. Comme si nous étions un animal se faufilant dans cette nature vibrante, guidés et émerveillés par la poésie de ses bruits : le vent dans les feuilles mortes, le chant des oiseaux, le bourdonnement des abeilles, le bruissement d’ailes ou de pattes sur les feuilles, la pluie qui rebondit et crépite sur la végétation…et même la force (d’autant plus) saisissante des silences et le rire cristallin des enfants.

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    © Hope production / Calt production

    Dans sa note d’intention, le réalisateur explique qu’il souhaite filmer « le sauvage, réellement » et « nous réapprendre à voir l’automne, à l’écouter, à nous en émerveiller. » À cette époque insatiable, dans laquelle l’attention est constamment sollicitée, une émotion supplantée par une autre, dans une surenchère et un enchaînement harassants de bruits et d’images, ce documentaire remplit la salutaire et noble mission de nous inviter à saisir la beauté, à prendre le temps, à voir et à écouter ce qui est là, juste face à nous, et que nous ne distinguons pourtant bien souvent même plus. Ce tableau bouleversant de la nature ne le serait pas sans le regard empreint d’humanité, de sensibilité et de douceur qui se pose dessus mais aussi sans la vision de ceux qui racontent « leur » automne. L’entreprise n’est pas seulement esthétique et sensorielle mais pédagogique, aspirant à contribuer à renouer le lien entre l’homme et la nature, à redonner envie de préserver ce monde qui nous fait vivre.

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    © Hope production / Calt production

    Ce voyage inoubliable, nous fait passer par toutes les couleurs et les émotions de l’automne, des plaines au littoral, en passant par la montagne, les marais, l’océan et les forêts, la mangrove, du mois de septembre avec ses dernières fleurs, en plaine avec les libellules, le sanglier d’Eurasie, le chevreuil d’Europe, en passant par les vignobles, la saison des amours des phoques, jusqu’à décembre avec les premières neiges dans les Alpes du Nord.

    À travers les histoires de chacun, ce voyage intime et universel nous dévoile les merveilles de cette saison méconnue, pourtant essentielle pour beaucoup d’espèces. Le premier intervenant a été victime d’un accident de chasse à cause duquel il a perdu l’usage de tout son corps jusqu’au torse. Sans esprit de revanche mais animé par la bienveillance, il explore la biodiversité, apprend aux enfants à connaître les abeilles, leur explique que, à cause du frelon asiatique, la  « survie de la ruche est engagée si on ne fait rien. » Ce film célèbre la diversité, la richesse et la magnificence de la vie à travers les témoignages. Les histoires à travers lesquelles l’automne est raconté humanisent la nature. Comme la bouleversante Élodie, photographe d’animaux sauvages, pour qui la nature était un refuge quand elle était harcelée à l’école : « La nature, c’était un refuge pour moi, parce que j’ai été harcelée à l’école. J’allais dans la nature pour évacuer. Dans la nature, il n’y a pas de bons ni de mauvais, il n’y a pas de juste ou d’injuste. En fait, la nature, elle est, tout simplement. » Tout concourt à souligner (sans jamais surligner, la caméra caresse l’environnement, avec respect) la puissance émotionnelle de la nature et à souligner le rôle crucial de tout ce et ceux qui la compose(nt). Il nous rappelle aussi que l’observation de la vie sauvage ne nécessite pas forcément d’aller au bout du monde.

    Jeremy Frey est réalisateur de documentaires société comme 7 jours à Kigali la semaine où le Rwanda a basculé, qu’il avait coréalisé avec Mehdi Ba, dont je vous avais déjà parlé, ici. Un documentaire là aussi porté par une réalisation inspirée, élégante, sensible, respectueuse de la parole, des drames et des émotions des victimes auxquelles il rend magistralement hommage et donne une voix. Un documentaire qui nous laissait avec le souvenir glaçant de ces témoignages mais aussi le souvenir de sublimes vues (notamment aériennes) qui immortalisent   la beauté vertigineuse de cette ville auréolée de lumières, malgré ses terribles cicatrices, une ville porteuse d’espoir, si lointaine et soudain si proche de nous. Grâce à la force poignante des images. Et des mots. Foudroyants. Comme le mariage improbable de la beauté et de l’horreur absolues. Jeremy Frey est aussi réalisateur de documentaires nature pour National Geographic, France Télévisions, Netflix et Arte. Il est également le directeur artistique de la série Affaires Sensibles, le réalisateur de Féminicides pour France2/Le Monde, et le fondateur des sociétés Jmage et Saola studio et enfin le directeur photo notamment sur les longs métrages de Yann Arthus-Bertrand, dont Human dont je vous avais longuement parlé, ici, qui est bien plus qu’un documentaire et un projet salutairement naïf et pharaonique. Human est en effet un voyage émotionnel d’une force redoutable (comme l'est Voir l'automne, d'ailleurs), une démonstration implacable de la réitération des erreurs de l’humanité, une radiographie saisissante du monde actuel, un plaidoyer pour la paix, pour l’écoute des blessures de la planète et de l’être humain dans toutes leurs richesses et leurs complexités, une confrontation clairvoyante, poignante au monde contemporain et à ceux qui le composent. Un documentaire nécessaire, d’une bienveillance, d’une empathie et d’une utopie salutaires quand le cynisme ou l’indifférence sont trop souvent glorifiés, et parfois aussi la cause des tourments et les ombres du monde que Human met si bien en lumière.

    Avec la sensibilité et la délicatesse de son regard, qui saisit et suscite les émotions d'une manière si personnelle et universelle, avec une rare acuité, et avec la beauté éblouissante et si singulière  de ses images, nous ne pouvons que souhaiter que le réalisateur de Voir l'automne, une saison en France passe à la fiction, genre qui n’est pas plus ou moins noble que le documentaire, mais auquel il apporterait certainement un supplément d’âme.

    En attendant, vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce documentaire dans lequel, par ailleurs, l’ensemble de l’équipe qui y a contribué est sciemment et intelligemment mise en avant. Soulignons donc aussi le formidable travail de montage qui donne encore plus de vivacité, d’élan et de profondeur au film (montage signé Véronique Algan).

    Un documentaire qui prend au cœur, qui nous donne la sensation de flotter comme la brume qui sinue au-dessus des arbres, ou de tournoyer comme le ballet des baleines, ou de virevolter avec les feuilles qui tombent au sol, ou d’être emportés par le vol majestueux de l’aigle royal. Comme le souligne une des intervenantes qui étudie les bruits de la nature, « On change d'échelle. On devient une fourmi. Un oiseau. » C’est aussi la sensation que procure ce documentaire au téléspectateur. Certaines images restent gravées comme la féérie mirifique des forêts qui s’embrasent. Comme ces chiens de protections de troupeaux. Comme cet « hypnotisant » iguane des petites Antilles, « L'animal du présent qui t'amène dans le passé » comme le qualifie Angeline, l’experte des mangroves, « monstre magnifique » comme le définit le réalisateur. Comme l’isard des Pyrénées et sa course folle et superbe sur les montagnes. Comme la fougue magnifique des chevaux qui galopent. Comme la « danse de la baleine ». Comme le vol des oiseaux dans la baie de Somme. Comme les contrastes entre la noirceur du ciel et la blancheur de la neige. Comme ces phoques absolument sublimes devant lesquels nous ne pouvons que partager le sentiment de Yann Arthus-Bertrand qui trouve si « émouvant de voir des animaux qui ont été exterminés revenir ici chez eux ». Rarement la biodiversité, à travers les différents témoignages et le portrait de l’automne, aura été aussi si bien célébrée.

    Ce documentaire est comme une danse enivrante avec la nature. Il nous invite à valser avec elle, avec douceur, pour en éprouver la force paisible, en ressentir la respiration rassurante et fragile, vibrer à l'unisson de celle-ci. Comme un conte adressé à l’enfant qui subsiste en nous, pour réveiller son émerveillement. Il met en exergue ce que la nature recèle de plus subtil, d’infime ou grandiose. Les odeurs chantantes de l’automne. Le brasier féérique des forêts. Les trajectoires émouvantes de ceux qui traversent l’automne, femmes, hommes ou animaux. Un artifice de couleurs. Un périple étourdissant de beauté. Ours brun, salamandre, vautour fauve, baleine à bosse de l’Atlantique, chocards à bec jaune, bouquetin des Alpes…autant d’animaux (parmi de nombreux autres) qui en sont les héros admirables, filmés dans toute leur noblesse. Quelques animaux en images d’animation renforcent l’aspect poétique, et la beauté picturale de l’ensemble. La musique (elle aussi sublime), principalement la musique originale d’Anna Kova et Full Green mais aussi classique (Vivaldi…) procure encore plus de majestuosité grisante et de souffle épique au film comme s’il était la matérialisation visuelle de cette citation de George Sand : « L’automne est un andante mélancolique et gracieux qui prépare admirablement le solennel adagio de l’hiver ». Un voyage envoûtant au cœur (battant la chamade) de l'automne. Une ode grandiose à la nature et à l'émerveillement. Un périple enrichissant, incontournable, pour petits et grands. Dès le vendredi 17 octobre sur france.tv et le mardi 21 octobre à 21h10 sur France 2

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    ("Voir l'automne" est gratuitement mis à la disposition des établissements scolaires, associations, ONG et toute initiative non commerciale pour organiser une projection, en toute autonomie. Sur le site voirlautomne.fr., vous trouverez aussi comment vous engager au quotidien (en limitant la consommation de viande, en protégeant les espèces en voie d’extinction, en limitant la chasse, en laissant un coin en friche dans votre jardin en évitant de tondre, en mangeant bio pour diminuer les pesticides si vous en avez les moyens, en plantant des haies, des arbres et des fleurs pour aider la pollinisation, en rejoignant une association de préservation de la biodiversité) et une liste d’associations. 

     

  • Télévision – Fiction - Critique LES AILES COLLÉES de Thierry Binisti (le 14 mai 2025 sur France 2)

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    Il y a quelques jours, je vous parlais ici du film Le Combat d’Alice, également réalisé par Thierry Binisti. Je vous le recommande de nouveau. Cette fiction télévisée qui devait être diffusée en mars sur France Télévisions, dont la programmation a été annulée pour cause d'actualité, est disponible en replay sur France TV, ici. Ainsi concluais-je l’article :

     Je vous recommande vivement cette fiction sur les combats d’Alice pour et vers la vie, qui ne contient aucune scène superflue, qui insinue constamment de l’émotion sans jamais la forcer, qui traite avec nuances, humanité, pudeur, sensibilité et subtilité du deuil et de notre relation à la vie et forcément à la mort, qu’elle soit humaine ou animale. L’histoire d’une double libération (d’un animal mais aussi d’une jeune fille et de son père, emprisonnés dans leurs rancœurs, leurs non-dits, et surtout leurs douleurs), d’un éveil (au militantisme) et d’un retour à la vie. Il n’est jamais trop tard pour panser les blessures les plus ineffables, et pour réparer les liens brisés : ce film le raconte magnifiquement.

    Beaucoup de ces qualificatifs pourraient aussi définir Les Ailes collées, et a fortiori la dernière phrase. Les Ailes collées est peut-être le plus beau film de Thierry Binisti, avec Une bouteille à la mer, qui, comme ce film-ci, aurait eu toute sa place dans les salles de cinéma…

    Le jour de son mariage, Paul (Roby Schinasi) voit ressurgir Joseph (Jeremy Kapone), qu’il n’a pas revu depuis leur adolescence. Cette venue inattendue est une surprise d’Ana (Pauline Bression) qui ignore tout des liens qui les unissaient autrefois. Elle a eu l’idée de cette surprise en tombant par hasard sur une photo d’eux prise vingt ans plus tôt. C’est sur une plage, un bel après-midi d’été, que les deux adolescents s’étaient rencontrés et immédiatement liés d’amitié. L’amitié laissera bientôt place à un amour, fulgurant, qui suscitera un harcèlement homophobe violent et incessant de la part des camarades de classe de Paul. Jusqu’à cette nuit tragique qui bouleversera à jamais leur existence.  Ces retrouvailles font rejaillir les souvenirs brûlants de leur rencontre. Les doutes sur les choix d’une vie et les émois de cette relation interdite vont alors submerger Paul et Joseph. Quinze ans plus tard, le passé encore brûlant fait vaciller le présent... 

    Ce film est l’adaptation du roman éponyme de Sophie de Baere (Lattès, 2022) pour lequel elle fut lauréate de plusieurs prix littéraires : prix Maison de la Presse 2022, prix du LAC 2022.... Cette adaptation est produite par Jean Nainchrik. Le scénario et les dialogues sont signés Alain Layrac et Alexis Bayet. Je vous ai déjà souvent parlé ici du travail d’Alain Layrac, notamment de son remarquable ouvrage sur l’écriture de scénario, Atelier d’écriture, qui avait servi de base au scénario du film Le Cours de la vie de Frédéric Sojcher. Un livre dans lequel il fait notamment l’éloge du roman Martin Eden de Jack London qui « décrit mieux qu’aucun autre livre ce sentiment euphorisant et éphémère de la satisfaction du travail d’écriture accompli. » Je suis bien d’accord…

    La sensibilité de l'écriture d'Alain Layrac se prête tout particulièrement à l’adaptation de ce roman de Sophie de Baere. L’émotion affleure (pour, je vous préviens, totalement nous ravager à la fin du film), de la première à la dernière seconde. Mais, comme toujours dans les films de Thierry Binisti, sans jamais être forcée, toujours amenée avec délicatesse, dès les retrouvailles entre Paul et Joseph, lorsque la mélancolie flotte subitement dans l’air, et que Paul est submergé par l’émotion, et sort, se retrouvant au milieu des ruines. Tout un symbole alors que les vestiges de son propre passé ressurgissent.

    Le voilà replongé vingt ans plus tôt. C’était l’été. Il n’était alors qu’un adolescent qui n’avait pas d’amis : « Mes voyages à moi, c’est plutôt la musique. J’ai pas trop d’amis. Les gens ne s’intéressent pas à moi d’habitude » dit-il à Joseph quand il le rencontre, lequel lui répond que « ça tombe bien, il n’y a que les gens bizarres qui m’intéressent. » La vie de l’un est aussi bohème que celle de l’autre est rangée. Mais tous deux ont des rapports compliqués avec leurs pères. Celui de Joseph vit au Canada. Celui de Paul trompe la mère de ce dernier. L’alchimie est immédiate, entre eux, et à travers l’écran. L’amitié va bientôt se transformer en amour incandescent. Un amour qui passe par la musique aussi, celle que joue Paul, et celle qu’ils écoutent ensemble, notamment le jazz. Certains morceaux comme I Was Telling Him About You de Carol Sloane est ainsi un 33 tours que Joseph offre à Paul et qui symbolise l’amour et le retour à la vie. Une musique qui exacerbe encore l’émotion du film, lui apporte beaucoup de douceur aussi. C’est Jean-Gabriel Becker qui est l’auteur de la musique originale.  Mogens Peterson, Andrew Patrick Oye, Paul Mottram mais aussi Bach, Chopin, Bach et Schubert, et son incontournable et si romantique sérénade, rythment la magnifique BO de ce film.

    Avec Le prochain voyage, fiction télévisée au tournage de laquelle j’avais eu le grand plaisir d’assister, Thierry Binisti s’attelait au sujet si délicat de la fin de vie. Le film était paradoxalement irradié de lumière, et avant tout empreint de tendresse, de douceur, et là aussi de notes vibrantes de jazz, de la beauté toujours flamboyante de Line Renaud (radieuse, espiègle, si juste) et du charme de Jean Sorel, de la touchante histoire d’amour de leurs personnages. Un film qui faisait avant tout l’éloge de la vie et de la liberté. Un film d’une infinie pudeur, sans pathos, porté par des comédiens exceptionnels. C’est une nouvelle fois le cas ici…

    L’amour qui lie les deux adolescents transperce l’écran, et nimbe le film d’une beauté ensorcelante, ce qui rend d’autant plus âpre et insupportable le harcèlement, la violence, les mots et maux qu’il provoque et qui cherchent à l’enlaidir. Lors d’un exposé une camarade de classe de Paul, celle-ci explique que 6 millions de Juifs sont morts pendant la Shoah, et qu’effectuer une minute de silence pour chacun reviendrait à être silencieux pendant onze ans et demi, ajoutant qu’il n’y avait pas que les Juifs qui subirent ce sort mais aussi notamment les homosexuels qui, eux, portaient un triangle rose. La violence imbécile des harceleurs de Paul se révèle alors en une image, atroce, quand ils lui collent à son tour ce triangle rose sur le dos.

    Que ce soit lorsque l’un des deux garçons déclare son amour à l’autre, ou lorsqu’ils se retrouvent des années plus tard et que, malgré la présence de leurs conjoints respectifs, les regards trahissent la force de leurs sentiments, la musique est toujours là pour dire ce que les mots taisent, et les scènes sont toujours filmées avec la même infinie délicatesse (je me répète, mais c’est vraiment le point commun entre toutes les réalisations de Thierry Binisti). Avec des images très cinématographiques, qui restent, comme lorsque Paul, à Paris avec ses parents, éloigné de Joseph, écoute du jazz et pense à lui, derrière la vitre de la voiture sur laquelle se reflète la tour Eiffel.

    Et puis il y a ce papillon claquemuré, fou de douleur, qui se cogne contre les parois du lustre, qui cherche l’air, la lumière, à libérer ses ailes emprisonnées dans le silence et la souffrance L’emprisonnement à nouveau. Comme dans Le Combat d’Alice. Comme dans Louis XV, le soleil noir enfermé dans sa prison doré (Versailles), comme dans  Une bouteille à la mer (un bijou que je vous recommande, découvert au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz dans le cadre duquel il fut primé du Prix du meilleur film en 2011, une adaptation du roman de Valérie Zenatti Une bouteille à la mer de Gaza) où Naïm et Tal sont aussi enfermés physiquement de part et d’autre de la frontière, et dans un amour impossible.

    La mère de Paul lit La femme fardée de Sagan…comme sa femme des années plus tard. Un livre dans lequel le drame est latent, et la tension constante, dans lequel la musique est aussi cathartique. Comme les histoires de Sagan, aussi ancrées dans une époque soient-elles, ce film raconte une histoire universelle. Une histoire d’amour(s). Une histoire d’intolérance et donc de violence et de bêtise. Une histoire de rendez-vous manqués (impossible de vous en dire plus sans trop en dévoiler, mais c’est aussi ce qui rend ce film particulièrement poignant). Une histoire de renaissance.

    Le film a été distingué au Festival des créations télévisuelles de Luchon par le prix de la meilleure interprétation masculine, attribué ex-aequo à Max Libert et Alexis Rosenstiehl. Ils le méritent amplement. Tout le casting est d’ailleurs impeccable. Mais ces deux acteurs (et ceux qui incarnent leurs personnages des années plus tard, Roby Schinasi et Jeremy Kapone) sont pour beaucoup dans la bouleversante justesse de ce film. Mais aussi ceux qui les entourent (aucun rôle n’est négligé) comme les deux comédiennes qui interprètent les mères de Joseph et Paul.

    Une fois de plus, dans le cinéma de Thierry Binisti, intime et sujet politique s’entremêlent brillamment.  Dans son troisième long-métrage pour le cinéma, Le Prix du passage, il partait là aussi de l’intime pour parler du politique. Là aussi, il s’agissait de deux personnages forts. Là aussi il s’agissait de désirs (d’ailleurs). Là aussi l’histoire singulière donnait une incarnation à une situation plus universelle, celle des migrants qui, au péril de leur vie, fuient et bravent tous les dangers pour se donner une chance d'un avenir meilleur.

    Les Ailes collées est un film incandescent et marquant. Un film indispensable et déchirant, d’une profonde sensibilité, un plaidoyer vibrant contre l’intolérance et le harcèlement. Un film pour libérer du fardeau du silence et qui, je l’espère, éveillera quelques consciences, et permettra à quelques ailées collées de se libérer, et de prendre leur envol, vers la lumière, vers la parole et la liberté (d'être, d'aimer). Un film que vous n'oublierez pas.

    Dès le jeudi 8 mai sur france.tv et le mercredi 14 mai à 21.10 sur France 2. France Télévisions propose ce film à l’approche de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, et mobilise sa plateforme france.tv, ses antennes linéaires et ses médias sociaux avec une offre de programmes impactante et diversifiée, à l’image de son engagement permanent contre toutes les formes d’exclusion, de violence, de harcèlement et de discrimination. La fiction inédite Les ailes collées, réalisée par Thierry Binisti, est au cœur de ce dispositif éditorial.

  • Critique - LE COMBAT D’ALICE de Thierry Binisti (fiction télévisée – en replay sur France.tv)

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    Cette fiction télévisée qui devait être diffusée en mars sur France Télévisions, dont la programmation a été annulée pour cause d'actualité, est disponible en replay sur France TV, ici. Une nouvelle date de diffusion sera bientôt annoncée. Je vous la communiquerai.

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    J’ai souvent évoqué ici les fictions de Thierry Binisti dont j’avais découvert l’univers avec le mémorable Une bouteille à la mer, au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz dans le cadre duquel il fut primé du Prix du meilleur film en 2011. Ce film était une adaptation du roman de Valérie Zenatti Une bouteille à la mer de Gaza, l’histoire de Tal (Agathe Bonitzer), une jeune Française de 17 ans installée à Jérusalem avec sa famille, qui, après l’explosion d’un kamikaze dans un café de son quartier, écrit une lettre à un Palestinien imaginaire dans laquelle elle exprime ses interrogations et son refus d’admettre que seule la haine puisse régner entre les deux peuples.

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    J’avais ensuite été totalement embarquée par son docu-fiction Louis XV, le soleil noir qu’il avait réalisé pour France 2, un divertissement pédagogique passionnant, de très grande qualité, aussi bien dans le fond que dans la forme, une immersion dans les allées tumultueuses de Versailles et dans les mystérieux murmures de l'Histoire, dans le bouillonnant siècle des Lumières et dans la personnalité tourmentée de Louis XV. Les similitudes entre ce téléfilm et Une bouteille à la mer étaient d’ailleurs assez nombreuses : Versailles, une prison (certes dorée) pour Louis XV comme pouvait l’être Gaza pour Naïm, un portrait nuancé de Louis XV comme l’étaient ceux de Naïm et Tal, une combinaison astucieuse entre fiction et documentaire.

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    Tout comme le docu-fiction évoqué ci-dessus, Une bouteille à la mer ne laissait pas de place à l’approximation, avec un scénario particulièrement documenté. Ces deux voix qui se répondent, à la fois proches et parfois si lointaines, se font écho, s’entrechoquent, se confrontent et donnent un ton singulier au film, grâce à une écriture ciselée et précise, et sont ainsi le reflet de ces deux mondes si proches et si lointains qui se parlent, si rarement, sans s’entendre et se comprendre. Thierry Binisti ne tombe jamais dans l’angélisme ni la diabolisation de l’un ou l’autre côté du « mur ». Il montre au contraire Palestiniens et Israéliens, par les voix de Tal et Naïm, si différents mais si semblables dans leurs craintes et leurs aspirations, et dans l’absurdité de ce qu’ils vivent. Il nous fait tour à tour épouser le point de vue de l’un puis de l’autre, leurs révoltes, leurs peurs, leurs désirs finalement communs, au-delà de leurs différences, si bien que nous leur donnons tour à tour raison. Leurs conflits intérieurs mais aussi au sein de leurs propres familles sont alors la métaphore des conflits extérieurs qui, paradoxalement, les rapprochent.

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    Nous retrouvions aussi ces qualités dans son troisième long-métrage pour le cinéma, Le Prix du passage, là aussi très documenté, notamment grâce à l’expérience de la scénariste Sophie Gueydon qui a travaillé avec des associations à Paris puis à Calais, et noué des liens avec les migrants rencontrés alors. Avec Pierre Chosson, elle a écrit un scénario puissant dénué de manichéisme. Là aussi, il s’agit de la rencontre entre deux mondes qui n’auraient jamais dû se côtoyer, qui vont s’enrichir l’un l’autre. Là aussi il s’agit de partir de l’intime pour parler du politique. Là aussi, il s’agit de deux personnages forts. Là aussi il s’agit de désirs (d’ailleurs) qui vont éclore. Cette histoire singulière dont le rythme ne faiblit jamais, le montage mettant ainsi en exergue le sentiment d'urgence et de risque constants qui étreint les deux protagonistes, donne une incarnation à une situation plus universelle, celle des migrants qui, au péril de leur vie, fuient et bravent tous les dangers pour se donner une chance d'un avenir meilleur. Ce film riche de ses nuances nous donne aussi envie, comme la protagoniste, de prendre conscience de la préciosité de notre liberté, et d’en savourer chaque seconde… Un film nuancé et palpitant dont on ressort le cœur empli du souvenir revigorant et rassérénant de ce plan d'un horizon ensoleillé mais aussi du souvenir de ces deux magnifiques personnages, deux combattants de la vie qui s'enrichissent de la confrontation de leurs différences.

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    Plus récemment, avec Le prochain voyage, fiction télévisée au tournage de laquelle j’avais eu le grand plaisir d’assister, Thierry Binisti s’attelait cette fois au sujet si délicat de la fin de vie. Le film était paradoxalement irradié de lumière, et avant tout empreint de tendresse, de douceur, de notes vibrantes de jazz, de la beauté toujours flamboyante de Line Renaud (radieuse, espiègle, si juste) et du charme de Jean Sorel (Belle de jour, La ronde…), de la touchante histoire d’amour de leurs personnages. Un film qui faisait avant tout l’éloge de la vie (de la beauté de « La structure d'une marguerite ou d'un flocon de neige, des lumières d'un coucher de soleil, du vol d'un albatros, de la voie lactée » ou encore de celle d’un couple d’employés de l’hôtel qui incarne la fugacité incandescente de la jeunesse), et de la liberté. Un film d’une infinie pudeur, sans pathos, porté par des comédiens remarquables.

    Des qualités que l’on retrouve dans cette dernière fiction de Thierry Binisti intitulée Le combat d’Alice (dont le titre initial était Le Sanctuaire), une adaptation de 8865, le livre de Dominique Legrand publié aux éditions Hugo Publishing en 2020. Le tournage a eu lieu en 2024 en Auvergne-Rhône-Alpes, dans les départements du Rhône (Chaussan, Lyon, Messmy, Meyzeu, Mornant, Saint-Martin-en-Haut, Thurins, Yzeron) et de l’Ain (Miribel). Le livre avait marqué le scénariste Mikael Ollivier, qui eut l'idée de cette adaptation, qu’il suggéra au producteur Pierre Sportolaro. Le film a été projeté en compétition officielle au Festival de la Fiction de la Rochelle 2024 et hors compétition au Luchon Festival 2025.

    Récemment, deux films remarquables évoquaient des sujets liés au militantisme écologique. Le premier était Goliath de Frédéric Tellier en 2022. Nombreux sont évidemment les films engagés ou les films qui évoquent le combat de David contre Goliath. Ceux de Costa-Gavras, Loach, Boisset, Varda ou des films comme L’affaire Pélican de Pakula ou Effets secondaires de Soderbergh. Et s’il existe de nombreux documentaires sur ce sujet des pesticides, c’était à ma connaissance la première fiction à l’évoquer ainsi, et à l’évoquer avec autant de force. Et Les algues vertes de Pierre Jolivet, un magnifique portrait d’héroïne contemporaine, mais surtout un film engagé, militant même, qui pour autant n’oublie jamais le spectateur, et d’être une fiction, certes particulièrement documentée et instructive mais qui s’avère captivante et prenante de la première à la dernière seconde, tout en décrivant avec beaucoup d’humanité et subtilité un scandale sanitaire et toutes les réalités sociales qu’il implique. Ajoutez à cela la subtile musique originale d’Adrien Jolivet et vous obtiendrez un film marquant à la hauteur du sujet, des victimes d’hier et des personnes qui pourraient en être demain, qui rend aussi un vibrant hommage à la beauté renversante de la Bretagne.

    Dans Le combat d'Alice, c’est à une autre réalité révoltante que s’intéresse Alice, 16 ans (Lucy Loste Berset) qui a perdu sa mère deux ans auparavant. Depuis lors, elle vit seule avec son père, Joscelin (Nicolas Gob). L’un et l’autre affrontent cette épreuve du mieux qu’ils le peuvent, chacun dans leur « bulle », le père d’Alice en se consacrant entièrement à son travail. Quant à Alice, elle est exclue quelques jours de son lycée après s’y être battue avec une autre élève. Son père l’envoie à la campagne, chez ses grands-parents paternels, maraîchers (Luce Mouchel et Pasquale d’Inca). Là elle se prend d’affection pour Vidocq, un veau tout juste né, promis à l’abattoir par son éleveuse Isabelle (Carole Bianic) qui se bat pour rouvrir un abattoir intercommunal pour « accompagner les bêtes de la naissance à la mort, ne pas renoncer au circuit court ». Elle rencontre aussi Lola (Léonie Dahan-Lamort), une jeune militante écologiste et végane avec qui elle se lie d’amitié. Prête à tout pour sauver le veau, Alice se rapproche d’un groupe de militants et s’engage avec la passion et l’excès de son âge. Alice va alors prendre conscience de la maltraitance animale, devenir végétarienne et se rapprocher alors d’un mouvement de désobéissance civile

    L’histoire débute dans un cimetière lyonnais. Toute sa famille attend Alice pour ce jour anniversaire de la mort de sa mère. En vain. Son père appelle le lycée et apprend que sa fille s’est battue. D’emblée, le film est placé sous le sceau du deuil, thème qu’il traite avec beaucoup de sensibilité. Avant tout, Alice cherche en effet à surmonter la mort de sa mère. Elle va s’attacher à ce petit veau qu’elle surnomme « Vidocq » ou plutôt « VieDoc ». Cette mort-là, elle peut encore l’empêcher pour faire triompher la vie, et cela va devenir pour elle un combat viscéral, vital.

    Nicolas Gob interprète avec beaucoup de nuances ce père désarçonné, dépassé par le mutisme, la virulence, le désarroi, la révolte, l’impertinence de sa fille campée magistralement et avec intensité par Lucy Loste Berset.  La communication entre eux est devenue impossible, trop de non-dits les éloignent l’un de l’autre. Ils sont pourtant aussi perdus et en colère l’un que l’autre.

    Le scénario de Mikaël Ollivier et le montage de Julien Beray, par leur subtilité et des ellipses judicieuses, font honneur à la complexité de la jeune fille (les émois et les élans de l’adolescence sont évoqués en filigrane, sans jamais en devenir les clichés) mais aussi à celle du sujet de l’abattage des animaux. Les images des abattoirs sont plus suggérées (par les réactions qu’elles suscitent) que réellement montrées (nous en voyons bien suffisamment pour que nous comprenions le dégoût d’Alice), le propos n’en a ainsi que plus de force. Le film n’élude pas les difficultés que rencontrent les éleveurs tandis que le fils de l’éleveuse donne un prénom à son steak, ce qui humanise les deux discours. Et comment donner tort à Alice quand, avec toute l’innocence, la rage poignante, et les excès de son âge, elle dit : « Tu crois vraiment qu'il y a une bonne façon de tuer un animal ,de supprimer une vie » ?

    Une fois de plus, dans le cinéma de Thierry Binisti, intime et sujet politique s’entrelacent brillamment. Ce film se place à hauteur de ses personnages, et n’est jamais sentencieux. Il évite l’écueil du manichéisme. Et l’émotion s’empare du spectateur à de nombreuses reprises. La douleur indicible de cette jeune fille qui a perdu sa mère et qui met toute sa souffrance dans son combat contre celle qu’on veut infliger à ce veau est aussi bouleversante que le désarroi de ce père face à la plaie béante de sa fille qu’il se sent incapable de soigner. Leur incapacité à communiquer donne lieu à des scènes particulièrement fortes, d’une rare intensité. Et les moments de tendresse entre le père et la fille n’en sont que plus bouleversants, quand il lui dit qu’elle a un « aussi joli sourire » que sa maman ou qu’ils auraient « pu faire un voyage tous les deux en Sicile, l’endroit où on avait fait notre voyage de noces avec maman, elle rêvait de te le faire découvrir. » L’émotion est toujours subtilement amenée, comme lorsqu’Alice dit à son amie Lola que sa mère est morte.

    La magnifique musique originale d’Olly Gorman permet d’apporter un peu de légèreté et de douceur, et rappelle l’amour qui sous-tend les relations du père et de la fille malgré l’âpreté apparente de leurs échanges. La musique se fait aussi plus douce quand Alice est en compagnie des animaux, plus apaisée, accompagnant certains plans qui relèvent du conte comme lorsque le veau s’échappe, boit l’eau d’un étang qui resplendit sous la pleine lune et part seul, libre.

    Je vous recommande vivement cette fiction sur les combats d’Alice pour et vers la vie, qui ne contient aucune scène superflue, qui insinue constamment de l’émotion sans jamais la forcer, qui traite avec nuances, humanité, pudeur, sensibilité et subtilité du deuil et de notre relation à la vie et forcément à la mort, qu’elle soit humaine ou animale. L’histoire d’une double libération (d’un animal mais aussi d’une jeune fille et de son père, emprisonnés dans leurs rancœurs, leurs non-dits, et surtout leurs douleurs), d’un éveil (au militantisme) et d’un retour à la vie. Il n’est jamais trop tard pour panser les blessures les plus ineffables, et pour réparer les liens brisés : ce film le raconte magnifiquement.

    Le mercredi 14 mai à 21h10, ne manquez pas non plus la dernière réalisation de Thierry Binisti, Les ailes collées, une fiction adaptée du roman de Sophie de Baere publié en 2022 chez JC Lattès.

  • Critique de TU NE TUERAS POINT de Leslie Gwinner (sur France 2, le 3 avril, à 21h10)

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    Il y a quelques mois, je vous recommandais la fiction Le prochain voyage, diffusée sur France 2, suivie d'un débat présenté par Julian Bugier destiné à aborder et comprendre les questions cruciales autour de la fin de vie. L’histoire de la rencontre d’une vie qui éclaire « le prochain voyage »,  l'ultime aussi, une plongée dans le néant paradoxalement irradiée de lumière, empreinte de douceur, de notes vibrantes de jazz, de la beauté toujours flamboyante de Line Renaud, un éloge, a priori paradoxal, de la vie, et de la liberté. Le service public jouait pleinement son rôle, la fiction permettant de susciter l’empathie et les questionnements du téléspectateur, de lui laisser une empreinte mémorielle, en fictionnalisant une situation, en donnant corps à un sujet qui peut-être n’était pour lui alors qu’abstrait et lointain.

    Ce sera à nouveau le cas ce 3 avril, à 21h10, le lendemain de la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme avec la diffusion sur France 2 d’une nouvelle « Soirée continue », avec la fiction Tu ne tueras point, réalisée par Leslie Gwinner (avec notamment Samuel Le Bihan, Natacha Régnier, Martine Chevallier, Daniel Benoin, Christophe Kourotchkine, Thomas Cousseau...), également suivie d’un débat présenté par Julian Bugier.

    « Le 2 avril sera en effet la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Les troubles du spectre autistique, de la petite enfance à l'âge adulte, touchent ainsi 1 % de la population. De nombreux progrès restent à accomplir pour faire avancer la recherche thérapeutique et adapter la société à la neurodiversité. France Télévisions se mobilise autour de cette Journée mondiale en proposant une programmation spéciale afin de sensibiliser le grand public aux attentes et difficultés quotidiennes des familles qui restent immenses. »

    La fiction débute au tribunal, là où officie, dans une affaire subalterne, celui qui fut un pénaliste de renom, Simon Marchand (Samuel Le Bihan). Et s’il exerce toujours, ce n’est désormais plus en tant que pénaliste. « Ma carrière de pénaliste est derrière moi » martèle-t-il. Tombé amoureux d'une femme accusée de meurtre, une cliente avec laquelle il avait eu une liaison, il s’était laissé trop vite convaincre de son innocence. Cette affaire l’avait conduit à frôler la radiation du barreau et à divorcer. Depuis, il essaie de rebâtir sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Jusqu’au jour où la mère (Martine Chevallier) d’Elsa Sainthier (Natacha Régnier) vient le voir en lui demandant de revêtir à nouveau la robe de pénaliste et de défendre sa fille mise en examen pour assassinat, plus exactement pour infanticide, pour avoir « poussé sa fille dans l’eau du fleuve ».  Elle lui explique que sa fille a mis fin aux jours de son enfant « pour abréger ses souffrances ». « La mère monstrueuse qui tue de sang-froid, ce n'est pas ma fille » ajoute-t-elle. Elsa Sainthier a en effet reconnu le crime et dit avoir voulu mettre fin aux immenses et irrémédiables souffrances de son enfant, atteinte de polyhandicap et de troubles autistiques sévères, sans autres perspectives que des structures d’accueil faites pour les troubles psychiques des adultes. Elsa n'attend rien de ce procès, elle ne cherche pas à ce qu’on la comprenne, la plaigne ou l’excuse, ni à ce qu’on la défende : « Cela m'est égal d'être défendue. Il n'y a rien à expliquer. Je peux pas expliquer. » Elle se sent surtout coupable du handicap de sa fille : « On ne soulage pas le handicap, on apprend à vivre avec. À croire que j'y suis pas arrivée. »  Elle n’acceptait plus la place laissée à sa fille dans la société (ou plutôt qu’on ne lui laissait pas). Plutôt que de le décourager, l’attitude d’Elsa déclenche chez Simon l’envie de la défendre, non pour la dédouaner mais pour expliquer, pour comprendre : « Le rôle de la justice, ce n'est pas seulement de condamner ou d'innocenter mais de comprendre, comprendre comment on a pu en arriver là… ». Et pour faire en sorte qu’elle soit condamnée pour meurtre et non pour assassinat. Mais surtout pour qu’un tel drame ne se reproduise plus jamais.

    Entre le début (l’avocat apparaît d’abord de dos, plaidant au tribunal une affaire immobilière) et la fin (il apparaît de face, triomphant), l’histoire d’un homme qui se relève, qui reprend sa place d’avocat pénaliste et de père, qui fait face, à travers les mots, à travers un combat qu’il porte avec une ardente conviction, à travers une plaidoirie magistrale qui, au-delà de sa cliente, vise à  défendre une cause nationale. À une époque où tout est souvent simplifié, comme si les réseaux sociaux avaient imposé à la société entière leur rythme et leur vision souvent dichotomique, intransigeante, univoque, il rappelle la complexité de la nature humaine, et la nécessité de la prendre en compte, qu’ « on ne peut jamais préjuger de nos réactions face à l’adversité » :  « Tu ne peux pas résumer une personne à une seule de ses actions. Cela peut arriver à tout le monde de faire quelque chose de terrible. Quelque chose qui ne ressemble pas à la personne que tu es. »

     La tâche est évidemment ardue pour l’avocat puisque sa cliente incarne le « tabou ultime » : la mère infanticide. Jusqu’où une mère peut-elle accepter de voir son enfant souffrir ? Une « enfant qui a les capacités d’un enfant de 18 mois, et pour toujours  » ? Une enfant qui « souffre et le fait comprendre en se frappant » ? Qui grandit alors qu’aucun lieu ne l’accueille parce que l’institut qui avait fini par l’accepter l’exclut parce qu’elle est devenue trop violente ?

    Plutôt que de plaider l’innocence (de toute façon, la société l’a déjà condamnée, elle-même s’est déjà condamnée à vie), il plaide la dignité de la personne humaine, bafouée : « Et si c'était de vivre en dehors de toute dignité qui était contre-nature. Ce n'est pas le handicap qui empêche la dignité mais plutôt la façon dont il est perçu, ignoré. La mort de Clara doit conduire la société à accepter les gens les plus vulnérables, à cesser de faire comme s'ils n'existaient pas. » « Si Clara n’était pas indigne de vivre, cette vie était indigne d’elle. »

    Face à l’aveuglement de la société, face à la déshumanisation imposée à ceux qu’elle exclut, les mots sont une arme pour alerter sur une thématique rarement abordée, celle de la place du handicap. Une arme redoutable face à l’adversité, face au silence, face à l’injustice. La force des convictions de l’avocat donne un poids considérable à chaque argument. On connaît le sixième commandement : « Tu ne tueras point ». Mais ce n'est pas tuer sa fille qu'a voulu Elsa, c'est qu'elle cesse de vivre dans la souffrance.

    Le scénario et la réalisation s’emparent de ce sujet avec toute la délicatesse qui lui sied.  La réalisatrice, Leslie Gwinner, dont c’est ici le premier film, a auparavant travaillé comme assistante réalisatrice sur des séries telles que Baron noir, Engrenages, Dérapages, avant de passer à la réalisation en 2023. Sa caméra n’est jamais impudique, ou voyeuriste, et la lumière est aussi douce que le sujet est âpre. L’infanticide n’est jamais montré, juste reconstitué, la scène n'en a d'ailleurs que plus de force, de sens et de portée. C’est de l’après dont il est avant tout question ici.

    Le scénario, librement inspiré de faits réels, d’une grande délicatesse, est signé Julien Guérif et Charlotte Pons, sur une idée originale de Samuel Le Bihan, lui-même père d’une enfant autiste (également coproducteur avec Delphine Wautier). On sent à quel point Samuel Le Bihan est imprégné de son sujet, à quel point les mots prononcés par l’avocat qu’il incarne pourraient être les siens, à quel point il les ressent et les vit viscéralement, et quand, lors de sa plaidoirie, il s’effondre pour se relever et dire ensuite « C'est ce à quoi ce procès nous invite, à lire les apparences à la lumière d'une réalité qui n'est pas la nôtre. », c’est nous qu’il interpelle et qu’il invite à voir cette réalité. Il était aussi judicieux de choisir la région lyonnaise et le cinégénique tribunal de Lyon comme cadres de l'intrigue, de portée aussi plus universelle qu'un décor parisien.

     Le scénario a l'intelligence de ne pas rendre la mère sympathique. Il ne s’agit pas de la dédouaner mais d’alerter sur une situation qui dépasse son propre cas comme l’explique très bien Samuel Le Bihan :  « Le film interroge l’accompagnement ou son manque et la terrible solitude des parents. Il ne faut pas chercher à comprendre son geste mais le regarder en face et de se demander ce qu’il dit de notre société, de notre humanité. »  

    Natacha Régnier (décidément trop rare au cinéma ces dernières années) incarne avec gravité et émotion contenue cette femme dans le cyclone de la tragédie, effondrée, broyée, à bout de souffle, qui ne cherche pas à se défendre, cette ingénieure « brillante cheffe d’équipe » qui a tout abandonné pour s’occuper de sa fille parce que ce sont « les mères les responsables », cette femme barricadée dans sa douleur ineffable.

    L’avocate générale (remarquable Raphaëlle Rousseau), citant Racine, va jusqu'à établir un parallèle avec Agrippine et son fils Néron qu’elle manipule : 

    « Et que derrière un voile, invisible et présente,

    J'étais de ce grand corps l'âme toute-puissante. »

    Elle rejette l’argument de la dignité comme enjeu du procès, rappelant que la mère « ne pouvait pas s'arroger le droit de lui donner la mort », que « l'euthanasie est interdite dans ce pays », et que «parmi tous les droits dont disposent les plus faibles figure le droit de vivre.» Mais vivre dans quelles conditions ?

    Si le film ne cherche pas à excuser le geste fatal, en revanche l’émotion (son humanité) affleure quand la mère retourne à son domicile, retrouve les jouets épars, la vie arrêtée en plein vol. Ce qu’elle ne dit pas, la musique l’exprime avec douceur et subtilité, à travers le thème d’une beauté renversante, entêtante et déchirante de Laurent Perez del Mar dont l'émotion va crescendo à l'unisson de celle qui s'empare de la mère. L’amour qu’elle éprouve pour son enfant, la nostalgie, et la douleur intolérable de l’absence, qu’elle tait, transpirent à travers la musique. Comme si Clara était là encore et dictait chacune des notes. Et quand l’avocat conclut sa plaidoirie  par ces mots « Je ne vous demande pas de l'aimer. Oui, elle doit être condamnée mais elle a droit a une chose, c'est à notre compassion. Si ce mot a encore un sens, c'est à vous de lui donner aujourd'hui », la musique ne paraphrase pas mais prend le relais et reflète l'émotion que cet appel à la compassion fait surgir. Comme le disait si justement Franz Liszt, « Les arts sont le plus sûr moyen de se dérober au monde : ils sont aussi le plus sûr moyen de s'unir avec lui.». C’est par ailleurs par quelques notes qui tambourinent mélodieusement sur des plans du tribunal que s'ouvre le film. Comme en un écho plus apaisé, sur le générique final, résonnent les notes d'espoir de la chanson (Tomorrow)  portée par la voix envoûtante de Laure Zaehringer, qui interprétait déjà la chanson de fin du film Un coup de maître de Rémi Bezançon, également écrites et composées par Laurent Perez del Mar.

    Il n’y a pas de gagnants ou de perdants quand un enfant est mort, quand la société a échoué à le protéger et à lui permettre de garder sa dignité, mais s’il n’y a pas de victoire juridique,  il y a une victoire humaine : « J'espère qu'elle fera bouger les lignes sur la prise en charge du handicap et l'écoute des aidants. Le handicap n'appartient pas à la sphère privée, c'est une question d'ordre politique. » L'avocat épelle les acronymes, exemple parmi d'autres, tellement révélateur de « l’enfer administratif » auquel sont confrontées les familles, ce « monde où les parents sont investis, solidaires, engagés à la place d'un État absent, défaillant », « un État condamné 5 fois par le conseil de l'Europe pour discrimination à l'égard des enfants autistes. »

    Cette fiction sensible sur cette tragédie, fait véritablement œuvre de service public, et possède ainsi l’immense vertu d’interroger la place du handicap dans notre société, mais aussi, au-delà de l’autisme, la place accordée aux plus fragiles, à la différence, aux plus vulnérables, mais aussi à ceux qui les entourent. On parle beaucoup des aidants mais ils sont bien souvent démunis et isolés face à des situations indicibles, et devant un État défaillant. Espérons que ce film ouvrira le débat, et la voie à une volonté décuplée des pouvoirs publics, une prise de conscience de l'urgence de la situation, et des solutions rapides et pérennes.

    Dans une société dans laquelle le bonheur semble être l'objectif ultime, il est salutaire de rappeler que ce bonheur, si tant est qu'il existe, ne réside pas forcément dans une réussite éclatante mais résulte pour certains simplement dans une absence de souffrance. « Cachez ces malades que je ne saurais voir. »  Un tel film, jamais impudique, mais d’une force saisissante, grâce à la musique poignante, à une distribution parfaite, l'interprétation convaincue et convaincante de Natacha Régnier et Samuel Le Bihan qui incarnent les deux protagonistes, au pouvoir combatif des mots judicieusement choisis (plus que joués et prononcés avec éloquence : vécus ), est plus persuasif que n’importe quel discours politique pour alerter sur une situation révoltante. Quand, face caméra, l’avocat demande « Que la République se regarde en face, que les gouvernements tiennent leurs promesses ! Le combat est encore long mais j'en serai et j'espère que nous serons nombreux », c’est à chacun de nous qu’il s’adresse. C'est à chacun de nous qu'il revient de clamer : ne cachons plus ces malades et leurs familles dont nous ne saurons plus ignorer la détresse, ne bafouons plus leur dignité.

  • DELON MELVILLE, LA SOLITUDE DE DEUX SAMOURAÏS, un documentaire de LAURENT GALINON (à voir sur Ciné + Classic)

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    Le Samouraï (1967). Le Cercle rouge (1970). Un flic (1972). Trois polars mythiques sur lesquels Melville et Delon ont collaboré. C’est à ces trois films et à la solitude de ces deux « samouraïs » que s’intéresse le passionnant documentaire de Laurent Galinon (également auteur du livre Alain Delon en clair-obscur ) à voir sur la plateforme de Canal + et sur Ciné + Classic (24.02 à 19h55, 28.02 à 23h, 28.02 à 23h, 03.03 à 19H55), entre témoignages, images de tournages et séquences des films.

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     Dans la soirée du 2 août 1973, alors qu'il est attablé dans un restaurant de la Côte d'Azur, Alain Delon apprend que Jean-Pierre Melville a fait un malaise à Paris. Immédiatement, il prend sa voiture et remonte en pleine nuit vers Paris pour se rendre au chevet de son réalisateur fétiche qui est, avant tout, un ami, un modèle, un père de substitution.

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    L’atmosphère du documentaire est-elle-même judicieusement melvillienne (laquelle se caractérise par une lumière grisonnante, bleutée, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, d’ombres condamnées à la clandestinité pour agir), grâce à sa photographie sombrement envoûtante (de Matthieu Moerlen), accompagnée d’une musique qui l’est tout autant (remarquable,d’Olivier Casassus), portée par un magnifique texte prononcé en voix off par Judith Perrignon.

    Ce documentaire est ainsi « l’antithèse d’une époque hystérique » comme l’a qualifié son réalisateur, et s’intéresse à celui qui se composait « le visage de la mort », « soleil noir » fascinant, à ses relations avec Melville, mais aussi à la beauté foudroyante des silences melvilliens (des silences qui semblaient régir aussi les relations entre les deux hommes). N’oublions pas que le premier long-métrage du cinéaste fut Le silence de la mer.

    Quelques digressions pour vous donner envie de voir ce documentaire qui lui-même donne furieusement envie de (re)voir les films de Melville, et en particulier les trois précités...

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     Rappelez-vous d’abord ce premier plan du film Le Samouraï. Delon est à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte. Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » (une phrase censée provenir du Bushido, et en fait inventée par Melville). Une introduction placée sous le sceau de la noirceur et de la fatalité comme celui du Cercle rouge au début duquel on peut lire la phrase suivante : «  Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit :  Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna) ». Ensuite, avec calme et froideur, Costello enfile sa « panoplie », trench-coat et chapeau (qui ressemble tant à celle de Melville), tandis que son regard bleu acier affronte son image élégante et glaciale dans le miroir. Le ton est donné, celui d’un hiératisme silencieux et captivant qui ne sied pas forcément à notre époque agitée et tonitruante. Pendant le premier quart d’heure du film, Costello va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Les dialogues sont d’ailleurs rares tout au long du film mais ils ont la précision chirurgicale et glaciale des meurtres et des actes de Costello, et un rythme d’une justesse implacable : « Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. - C’est une règle ? -  Une habitude. »

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    Solitude encore avec le début du Cercle rouge lorsque deux hommes rentrent en silence dans une cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l’un est policier et l’autre un prévenu. Il n’y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Seuls.  Dans Le Cercle rouge, cette économie de mots est portée à son apogée avec la longue -25 minutes !- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu’une parole ne soit échangée.


    Dans Le Samouraï, le plan du début et celui de la fin se répondent ainsi ingénieusement : deux solitudes (encore…) qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant.  Une danse de regards avec la mort annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue, comme dans Le Cercle rouge. Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité. La mise en scène de Melville est un modèle du genre, très épurée (inspirée des estampes japonaises), mise en valeur par la magnifique photographie d’Henri Decae, entre rues grises et désertes, atmosphère âpre du 36 quai des Orfèvres, passerelle métallique de la gare, couloirs gris, et l’atmosphère plus lumineuse de la boîte de jazz ou l’appartement de Jane. Il porte à la fois le polar à son paroxysme mais le révolutionne aussi, chaque acte de Costello étant d’une solennité dénuée de tout aspect spectaculaire.

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    Et pour établir encore une digression dans ces digressions, rappelez-vous aussi le premier plan de L’armée des ombres, qui joue aussi de cette sensation d’étirement du temps. Une place vide puis les bruits de bottes hors champ des soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Ensuite vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre et pluvieuse, est déjà plantée.

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    Ces trois films ne seraient sans doute pas des chefs-d’œuvre sans la présence d’Alain Delon, et le documentaire le démontre magnifiquement. Dans Le Samouraï, il parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant, dont le regard, l’espace d’un instant, lors d’une scène face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. Alain Delon, lui-même n'était sans doute pas si éloigné de ce samouraï charismatique dont le seul vrai ami est un oiseau, loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel, comme il n’était pas si éloigné du gangster désabusé et hiératique du Cercle rouge.

    Le documentaire nous rappelle (notamment !) que Melville possédait ses propres studios, les studios Jenner, des studios ravagés par un incendie lors duquel périt le bouvreuil du Samouraï.  Vous l’aurez compris, je vous encourage vivement à regarder ce documentaire, que vous soyez comme moi inconditionnels du cinéma melvillien et de ces trois films avec Delon (vous apprendrez forcément des choses, et l’atmosphère très melvilienne du film ne pourra que vous séduire ) ou que vous ne le connaissiez pas et souhaitiez les découvrir comme le documentaire vous y incitera certainement tant il dépeint si bien la singularité fascinante du cinéma melvillien, mais aussi de ces deux hommes solitaires et de leurs relations.

    Delon/Melville, la solitude de 2 samouraïs, un documentaire de Laurent Galinon, dès cette semaine sur Ciné + classic.

  • Critique de PLEIN SOLEIL de René Clément à voir ce soir à 20H50 sur Ciné + Classic

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    Ma critique du jour : "PLEIN SOLEIL" de René Clément à voir ce soir sur Ciné plus Classic à 20H50.

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    (Photos prises lors de la projection de « Plein soleil » en copie restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2013.)

    Chaque année, la section Cannes Classics réserve de très belles surprises avec des projections de classiques du cinéma en copies restaurées. Il m’a fallu renoncer à quelques-unes (ah, les choix cornéliens entre les multiples projections cannoises !) mais s’il y en a bien une que je n’aurais manqué sous aucun prétexte, c’est celle de «Plein soleil » de René Clément, en présence d’Alain Delon, de retour à Cannes, trois ans après la projection du « Guépard » également en copie restaurée avec, alors, ce poignant écho entre le film de Visconti qui évoque la déliquescence d’un monde, et la réalité, et cette image que je n’oublierai jamais d’Alain Delon et Claudia Cardinale, se regardant sur l’écran, 47 ans auparavant, bouleversants et bouleversés.

    Alain Delon dit régulièrement de René Clément que c’est pour lui le plus grand réalisateur mais surtout le plus grand directeur d’acteurs au monde. Sa présence à l’occasion de la projection de « Plein soleil » à Cannes Classics était donc une évidence. L’acteur a par ailleurs tenu à ce qu’il ne s’agisse pas d’un hommage à Alain Delon mais d’un hommage à René Clément.

    Rappelons que Delon devait d’ailleurs au départ interpréter le rôle que Maurice Ronet jouera finalement et, malgré son jeune âge (24 ans alors), il avait réussi à convaincre Clément (et d’abord sa femme…) de le faire changer de rôle.

    C’est une longue ovation qui a accueilli Alain Delon dans la salle Debussy où a été projeté le film. Ce dernier était visiblement très ému par l’accueil qui lui avait été réservé lors de la montée des marches mais aussi dans la salle. Voici, ci-dessous en italique, avant ma critique du film, la retranscription de sa présentation du film, pleine d’émotion, d’humour et d’élégance. Un beau moment de cinéma et d’émotion.

    « C’est gentil de dire bravo et de m’applaudir mais attendez de voir le film, peut-être que vous allez être déçus, a-t-il répondu, avant de remercier son « très cher » Bertrand [Delanoe] et la Ministre de la Culture pour lui avoir fait « l’honneur et le bonheur » de l’accompagner dans la montée des marches. « C’est un grand moment pour moi. Je veux que vous sachiez que ma présence ici est avant tout un hommage, un hommage que je veux rendre à mon maître absolu, René, René Clément. Le 17 Mars passé, René aurait eu 100 ans et j’aurais tellement aimé qu’il soit là ce soir. Je sais qu’il aurait été bouleversé. « Plein soleil », ça a été mon 4ème film. Personne ne savait qui j’étais. Lorsque ce film est sorti il a fait la tour du monde et ça a été un triomphe, de l’Est à l’Ouest, de la Chine à l’Argentine, et ce film a été la base de toute ma carrière et ça je le dois à René qui m’a dirigé à ce moment-là comme personne. Tout de suite après, j’ai eu la chance de faire « Rocco et ses frères ». C’est après la vision de « Plein soleil » que Visconti a décidé « je veux que ce soit Alain Delon qui soit mon Italien du Sud ». J’avais plein de choses à dire mais là vous m’avez tellement coincé, dans la rue, ça a été extraordinaire donc vraiment merci René, merci de tout ce qu’il m’a donné car ce film, je n’aurais pas eu la chance de le faire en 1959, je ne sais pas où je serais, sûrement pas là ce soir. Après « Rocco et ses frères », il y a eu un autre Clément « Quelle joie de vivre » puis « Le Guépard ». Vous voyez qu’on peut commencer plus mal. Comme Luchino m’a toujours expliqué « la première chose qu’il faut c’est des bases » et avec Clément j’ai eu mes bases, voilà. Je voudrais avoir une pensée aussi ce soir pour quelqu’un qui m’était tellement cher qui est Maurice Ronet. Il riait tout le temps, il s’amusait de cela. Il disait « tu sais nous sommes les deux meilleurs amis du monde et dans tous les films il faut que tu me tues ». On n’a jamais compris mais c’était comme ça. Et puis une pensée pour Elvire Popesco qui fait une apparition qui était ma patronne et ma maîtresse de théâtre et enfin des gens que vous n’avez pas connus mais certains ici savent de qui je parle, les producteurs qui ont été formidables avec moi dans ce film et dans d’autres, ce sont les frères Robert et Raymond Hakim. Je vais vous laisser voir ce film que je qualifie d’exceptionnel, d’extraordinaire mais vraiment extra-ordinaire. Ceux qui ne l’ont pas vu vont comprendre, ceux qui l’ont déjà vu vont se le remémorer et vous verrez en plus une copie remasterisée. Vous allez voir ce qu’est un film remasterisé, on a l’impression qu’il a été tourné la semaine dernière. Bonne soirée. Bon film. Pour terminer, car je sais qu’il y a ici quelques sceptiques, quelques douteux, je voudrais simplement leur dire que l’acteur qui joue dans ce film le rôle de Tom Ripley, il y a 54 ans, c’est bien moi. »

    Quel acteur peut se vanter d’avoir tourné dans autant de chefs d’œuvre ? En tout cas, c’est avec « Le Cercle rouge », « Le Samouraï », « Monsieur Klein », « Le Guépard », « Rocco et ses frères », « La Piscine », « Plein soleil » que ma passion pour le cinéma est devenu joyeusement incurable… et cet acteur en reste pour moi indissociable.

    Dans ce film de 1960, Alain Delon est Tom Ripley, qui, moyennant 5000 dollars, dit être chargé par un milliardaire américain, M.Greenleaf, de ramener son fils Philippe (Maurice Ronet) à San Francisco, trouvant que ce dernier passe de trop longues vacances en Italie auprès de sa maîtresse Marge (Marie Laforêt). Tom est constamment avec eux, Philippe le traite comme son homme à tout faire, tout en le faisant participer à toutes ses aventures sans cesser de le mépriser. Mais Tom n’est pas vraiment l’ami d’enfance de Philippe qu’il dit être et surtout il met au point un plan aussi malin que machiavélique pour usurper l’identité de Philippe.

    « Plein soleil » est une adaptation d’un roman de Patricia Highsmith (écrite par Paul Gégauff et René Clément) et si cette dernière a été très souvent adaptée (et notamment le roman le « Talentueux Monsieur Ripley » titre originel du roman de Patricia Highsmith qui a fait l’objet de très nombreuses adaptations et ainsi en 1999 par Anthony Minghella avec Matt Damon dans le rôle de Tom Ripley), le film de René Clément était selon elle le meilleur film tiré d’un de ses livres.

    Il faut dire que le film de René Clément, remarquable à bien des égards, est bien plus qu’un thriller. C’est aussi l’évocation de la jeunesse désinvolte, oisive, désœuvrée, égoïste, en Italie, qui n’est pas sans rappeler la « Dolce vita » de Fellini.

    Cette réussite doit beaucoup à la complexité du personnage de Tom Ripley et à celui qui l’incarne. Sa beauté ravageuse, son identité trouble et troublante, son jeu polysémique en font un être insondable et fascinant dont les actes et les intentions peuvent prêter à plusieurs interprétations. Alain Delon excelle dans ce rôle ambigu, narcissique, où un tic nerveux, un regard soudain moins assuré révèlent l’état d’esprit changeant du personnage. Un jeu double, dual comme l’est Tom Ripley et quand il imite Philippe (Ronet) face au miroir avec une ressemblance à s’y méprendre, embrassant son propre reflet, la scène est d’une ambivalente beauté. Si « Plein soleil » est le quatrième film d’Alain Delon, c’est aussi son premier grand rôle suite auquel Visconti le choisit pour « Rocco et ses frères ». Sa carrière aurait-elle était la même s’il avait joué le rôle de Greenleaf qui lui avait été initialement dévolu et s’il n’avait insisté pour interpréter celui de Tom Ripley ? En tout cas, avec « Plein soleil » un mythe était né et Delon depuis considère toujours Clément comme son « maître absolu ». Ils se retrouveront d’ailleurs peu après pour les tournages de « Quelle joie de vivre » (1960), « Les Félins » (1964) et enfin « Paris brûle-t-il ? » en 1966.

    Face à lui, Ronet est cynique et futile à souhait. Le rapport entre les deux personnages incarnés par Delon et Ronet est d’ailleurs similaire à celui qu’ils auront dans « La Piscine » de Jacques Deray 9 ans plus tard, le mépris de l’un conduisant pareillement au meurtre de l’autre. Entre les deux, Marge se laisse éblouir par l’un puis par l’autre, victime de ce jeu dangereux mais si savoureux pour le spectateur qui ne peut s’empêcher de prendre fait et cause pour l’immoral Tom Ripley.

    L’écriture et la réalisation de Clément procurent un caractère intemporel à ce film de 1960 qui apparaît alors presque moins daté et plus actuel que celui de Minghella qui date pourtant de 1999 sans compter la modernité du jeu des trois acteurs principaux qui contribue également à ce sentiment de contemporanéité.

    « Plein soleil » c’est aussi la confrontation entre l’éternité et l’éphémère, la beauté éternelle et la mortalité, la futilité pour feindre d’oublier la finitude de l’existence et la fugacité de cette existence.

    Les couleurs vives avec lesquelles sont filmés les extérieurs renforcent cette impression de paradoxe, les éléments étant d’une beauté criminelle et trompeuse à l’image de Tom Ripley. La lumière du soleil, de ce plein soleil, est à la fois élément de désir, de convoitise et le reflet de ce trouble et de ce mystère. Une lumière si bien mise en valeur par le célèbre chef opérateur Henri Decaë sans oublier la musique de Nino Rota et les sonorités ironiquement joyeuses des mandolines napolitaines. L’éblouissement est celui exercé par le personnage de Tom Ripley qui est lui-même fasciné par celui dont il usurpe l’identité et endosse la personnalité. Comme le soleil qui à la fois éblouit et brûle, ils sont l’un et l’autre aussi fascinants que dangereux. La caméra de Clément enferme dans son cadre ses personnages comme ils le sont dans leurs faux-semblants.

    Acte de naissance d’un mythe, thriller palpitant, personnage délicieusement ambigu, lumière d’été trompeusement belle aux faux accents d’éternité, « Plein soleil » est un chef d’œuvre du genre dans lequel la forme coïncide comme rarement avec le fond, les éléments étant la métaphore parfaite du personnage principal. « Plein soleil », un film trompeusement radieux par lequel je vous conseille vivement de vous laisser éblouir !

  • Critique de THUNDER ROAD à voir ce soir sur Ciné + club (Grand Prix du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2018)

    Critique extraite de mon compte rendu du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2018, à lire ici.

    44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 91

    C’est à ce film atypique que le jury a choisi de décerner le grand prix, « un film insolite et si inventif, écrit, joué, produit et réalisé par un jeune homme à part », « quelle joie et quelle émotion d’assister à la naissance d’un artiste, à l’arrivée d’une comète qui suscite le rire et les pleurs avec une singularité qui nous bluffe, un film qui a le mérite de ne ressembler à aucun autre » a ainsi souligné la présidente du jury, Sandrine Kiberlain.

    thunder road

    Synopsis : L'histoire de Jimmy Arnaud, un policier texan qui essaie tant bien que mal d'élever sa fille. Le portrait tragi-comique d'une figure d'une Amérique vacillante.

    Thunder road est un film très différent des autres longs métrages de la compétition de ce 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. Très différent en apparence seulement. Comme les autres, il dépeint en effet un personnage englué dans une quotidienneté étouffante. Comme les autres, il appelle à une nécessaire évasion. La comparaison s’arrête là car en effet, Jim Cummings est « une comète » qui a débarqué sur la planète cinéma et risque de ne pas en partir de sitôt tant son talent (de cinéaste, d’auteur et d’acteur) crève l’écran. Tout commence par un sidérant plan-séquence de plus de dix minutes qui était au départ le sujet d’un court-métrage de Jim Cummings qui lui valut une récompense à Sundance en 2016. La caméra passe fugacement sur l’assemblée d’un enterrement avant de s’attarder sur le fils de la défunte vêtu de son uniforme de policier. Il commence alors un long monologue tandis qu’un lent travelling avant nous rapproche doucement comme pour mieux débusquer les fêlures de plus en plus apparentes au fur et à mesure que le discours fantasque se déroule. Et comme tout le reste du film, autant dans son montage que dans les réactions de son personnage, Thunder road nous embarque toujours là où on ne l’attend pas. Ainsi, nous n’entendrons jamais la chanson de Bruce Springsteen qui donne son nom au film (le radio cassette enfantin qui aurait dû le diffuser pendant l’enterrement ne démarrera jamais). Ce discours d’ouverture totalement décalé, entre digressions, larmes, et pas de danse totalement improbables, nous place d’emblée en empathie avec le personnage principal, totalement démuni face à ce deuil. Tenter de danser devant un cercueil, quelle belle et déchirante métaphore de l'existence, non ? Le personnage en question sera d’ailleurs de tous les plans. Et les réactions à ses fantaisies burlesques sont toujours ou presque hors champ. Il semble tenter en vain et seul contre tous de sortir de ce cadre (de cinéma et de vie) qui l’étouffe, ne lui laisse pas de répit, comme une distorsion de la réalité. Sa vie est en effet devenue un cauchemar. Dans ce cauchemar qui l’emprisonne, la folie n’est pas bien loin, qui guette. Son univers s’est écroulé avec la mort de sa mère et il ne sait plus comment gérer ses émotions dévastatrices que son éducation lui a probablement appris à masquer et qui le submergent. « On fait tous son deuil différemment on est tous uniques, il n'y a pas de bonne façon ou de mauvaise façon», entend-on dans la première partie du film qui est aussi la démonstration de cette impossibilité de faire face quand on est confronté à l’impensable. Thunder road, la chanson de Springsteen invite à découvrir le monde et à quitter la petite ville dont il est question comme un écho à ce « tu veux qu’on s’évade ? » de Jimmy Arnaud à sa fille. Certains spectateurs ou commentateurs y ont vu une farce tragi-comique. J’y ai surtout vu le bouleversant (et certes fantasque) portrait d’un homme désorienté et, au-delà, d’une Amérique déboussolée de laquelle une évasion semble possible, ou en tout cas un lendemain plus joyeux comme nous le dit cette ultime scène et ce regard final dans lequel passe une multitude d’émotions, nous étreignant nous aussi d’émotions. En plus de toutes les casquettes évoquées par Sandrine Kiberlain, Jim Cummings est aussi le musicien de son film…le tout pour un budget de 180000 euros. N’attendez pas pour découvrir ce film singulier. Je vous le garantis, vous serez à votre tour charmé par ce personnage aussi excessif que fragile, dérouté que déroutant, interprété par un artiste plein d’énergie et de fantaisie dont, sans aucun doute, ce film signe la prometteuse éclosion.