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  • Critique de BIRDMAN de Alejandro González Iñárritu à 20H45 sur Ciné + Emotion

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    Alejandro González Iñárritu en est « seulement » à son cinquième long-métrage. C’est difficile à croire tant chacun de ses films a marqué les esprits, par une maîtrise étonnante et un style, dans l’écriture du scénario, la mise en scène et surtout le montage que certains ont jugé excessif mais qui était en tout cas toujours singulier, voire novateur. Après « Amours chiennes », « 21 grammes », « Babel » pour lequel il avait reçu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2006 et après « Biutiful » qui avait permis à Javier Bardem de recevoir le prix d’interprétation masculine à Cannes en 2010, avec ce nouveau film, « Birdman », il a de nouveau récolté les récompenses des professionnels puisqu’il est le grand vainqueur de la cérémonie des Oscars 2015 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleure photographie).

    « Birdman », c’est l’histoire d’un acteur, Riggan Thomson (Michael Keaton) qui, à l’époque où il incarnait un célèbre super-héros (qui ressemble à s’y méprendre à Batman que Michael Keaton a lui-même incarné avant de lui-même connaître une traversée du désert), était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste qu’une affiche bien embarrassante lui rappelant une notoriété qui n’est plus ce qu’elle était ou ce qu’il voudrait qu’elle soit. Il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Cette pièce est inspirée d’une nouvelle de Raymond Carver intitulée « What We Talk About When We Talk About Love ». Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille (son ex-femme, sa fille qui sort de cure de désintoxication), son passé, ses rêves et son ego…

    Dès les premières minutes, l’étrangeté savoureuse de ce film qui mêle les genres et ne ressemble à aucun autre saute aux yeux et rassure, aussi (enfin un film qui ose, déroute, se fiche bien de la catégorie de spectateurs auxquels il serait censé devoir s’adresser) : un homme, Riggan, simplement -dé-vêtu, assis, comme suspendu dans les airs. De dos alors qu’il ne rêve à nouveau que d’être sous les feux des projecteurs et au devant de la scène (attention : métaphore). Le spectateur n’est pas au bout de ses surprises, car en plus d’une voix off (sa voix intérieure, celle du personnage qu’il a incarné qui apparaît parfois à ses côtés), le film est tourné et monté de telle sorte que le spectateur a l’impression qu’il ne s’agit que d’un seul plan séquence (à une exception près, au dénouement). De la scène du théâtre à ses couloirs exigus, en passant par les rues grouillantes de New York, la caméra d’une virtuosité époustouflante passe d’un lieu ou d’un personnage à l’autre. A l’image de la vie de l’acteur, les lieux dans lesquels il évolue deviennent un labyrinthe inextricable dans lesquels nous aussi, spectateurs, avons la sensation d’être enfermés.

    Déjà dans « Biutiful », le personnage central était encerclé, enserré même par la caméra d’Iñárritu qui le suivait jusqu’à son dernier souffle. L’unité de temps, l’unité de lieu et d’action renforçaient l’impression de fatalité inéluctable. Dans « Biutiful », la construction était plus linéaire que dans « Babel » mais déjà des incursions oniriques ponctuaient un film par ailleurs extrêmement réaliste comme si le seul espoir possible était dans un ailleurs poétique mais irréel, comme c’est d’une certaine manière également le cas dans « Birdman ».

    Difficile de ne pas être admirative devant autant de maîtrise et d’audace techniques, certes. « Birdman » a été tourné à New York en trente jours et les transitions sont d’une ingéniosité époustouflante. Les dialogues fusent. Edward Norton est irrésistible dans le rôle de l’acteur qui pousse le réalisme aux frontières de la folie et de la violence (et les dépasse même) mais je dois l’avouer, ce qui m’arrive très rarement au cinéma, j’ai trouvé le temps long…

    Au-delà de la prouesse technique, encore une fois admirable, grandiose, jubilatoire, j’ai eu l’impression de voir un énième film dans et sur les coulisses du spectacle et la vie d’artiste (et tant de chefs d’œuvre l’ont précédé : « Eve », «La comtesse aux pieds nus », « Le dernier métro », « Vous n’avez encore rien vu », « The Artist » et tant d’autres) sur le narcissisme, l’égocentrisme, la folie, l’excès ou le manque de confiance (l’un étant souvent le masque de l’autre) des acteurs.

    Le film n’échappe pas aux clichés : la fille toxico qui tombe immédiatement dans les bras de l’acteur (Emma Stone, déjà irrésistible dans « Magic in the moonlight » de Woody Allen, juste dans ce rôle, personnage qui aurait pu être intéressant, dommage que son amourette prometteuse soit survolée comme le sont tous les personnages hors de l’univers de Riggan, ce qui peut certes se justifier par son égocentrisme et le parti pris du film –oui, j’aime bien être ma propre contradictrice-), la journaliste qui fait de la critique faute de faire de l’art et qui met tout la frustration générée par le talent artistique qu’elle n’a pas dans la violence et la virulence de ses articles (force est de constater que ce « cliché » n’en est pas tout à fait un et se révèle souvent vrai) . Et puis surtout, plus encore qu’avec les acteurs, Iñárritu n’est pas tendre et se révèle même cynique avec le spectateur. Ce spectateur à qui il faut toujours plus de réalisme et d’explosions pour s’enthousiasmer, Iñárritu poussant l’ironie à mettre lui-même en scène une explosion. Force est de constater que c’est très drôle, cinglant et efficace. J’avoue cependant, sur une thématique similaire, avoir été beaucoup plus touchée par « Sils maria » d’Assayas, moins clinquant mais plus profond.

    Le thème de l’incommunicabilité qu’Iñárritu avait traité mieux que nul autre dans « Babel » est à nouveau esquissé ici. Riggan Thomson est ravagé en réalisant avoir filmé la naissance de sa fille et avoir oublié de la vivre. Je commence à en être lasse de ces films qui se croient obligés de mettre des réseaux sociaux pour faire dans l’air du temps et la critique en est ici plutôt pertinente.

    Le montage a toujours été au centre des films d’Iñárritu et est donc une nouvelle fois le grand intérêt de celui-ci qui est donc un film inégal porté par d’excellents acteurs, des solos de batterie admirables, une photographie inspirée ( signée Emmanuel Lubezki notamment directeur de la photographie de  « Gravity », « Tree of life ») mais qui n’arrive pas à la hauteur du chef d’œuvre clairvoyant qu’était « Babel » qui m’a davantage bousculée, (em)portée.  Une originalité indéniable et fascinante dans le montage qui certes  aurait mérité peut-être plus d’audace encore dans l’écriture.  Je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qu’Alain Resnais en aurait fait…

    Voyez « Birdman » qui vaut le déplacement pour sa forme ingénieuse mais surtout revoyez Babel qui est plus qu’un film : une expérience et surtout pas un vain exercice de style, un prétexte à une démonstration stylistique ostentatoire. Dans « Babel », la construction ciselée illustre le propos du cinéaste, traduisant les vies fragmentées, l’incommunicabilité universelle. Le montage ne cherche pas à surprendre mais à appuyer le propos, à refléter un monde chaotique, brusque et impatient, des vies désorientées, des destins morcelés. Jamais il n’a été aussi matériellement facile de communiquer. Jamais la communication n’a été aussi compliquée. Jamais nous n’avons reçu autant d’informations et avons si mal su les décrypter. Jamais un film ne l’a aussi bien traduit. Chaque minute du film illustre cette incompréhension, parfois par un simple arrière plan, par une simple image qui se glisse dans une autre, par un regard qui répond à un autre, par une danse qui en rappelle une autre, du Japon au Mexique, l’une éloignant et l’autre rapprochant. Je me souviens de la virtuosité des raccords aussi : un silence de la Japonaise muette qui répond à un cri de douleur de l’Américaine, un ballon de volley qui rappelle une balle de fusil. Un monde qui se fait écho, qui crie, qui vocifère sa peur et sa violence et sa fébrilité, qui appelle à l’aide et qui ne s’entend pas comme la Japonaise n’entend plus, comme nous n’entendons plus à force que notre écoute soit tellement sollicitée, comme nous ne voyons plus à force que tant d’images nous soient transmises, sur un mode analogue, alors qu’elles sont si différentes. Des douleurs, des sons, des solitudes qui se font écho, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre. Et les cordes de cette guitare qui résonnent comme un cri de douleur et de solitude (le pendant du solo de batterie dans « Birdman »). Un film magnifique et éprouvant dont la mise en scène vertigineuse nous emporte dans sa frénésie d’images, de sons, de violences, de jugements hâtifs, et nous laisse avec ses silences, dans le silence d’un monde si bruyant.   Je sais, cet article devait être consacré à « Birdman », mais plusieurs jours après l’avoir vu, il ne m’en reste que quelques plans, certes vertigineux (au propre comme au figuré, d’ailleurs) alors que de « Babel » il me reste la sensation d’avoir vécu une expérience cinématographique hors du commun grâce à la puissance du montage et du scénario et qui n’est pas que cela mais aussi une subtile et brillante radiographie critique de notre époque fébrile, impatiente et amnésique.

  • Critique de WINTER SLEEP de Nuri Bilge Ceylan à ne pas manquer ce soir sur Cine + Club (20H45)

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    « Winter Sleep » a remporté la Palme d’or du 67ème Festival de Cannes, voilà qui complètait le (déjà prestigieux) palmarès cannois de Nuri Bilge Ceylan, un habitué du festival, après son Grand Prix en 2003, pour « Uzak »,  celui de la mise en scène en 2008 pour « Les Trois Singes » et un autre Grand Prix en 2011 pour « Il était une fois en Anatolie ». En 2012, il fut  également récompensé d’un Carrosse d’Or, récompense décernée dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs par la Société des Réalisateurs de Films à l’un de leurs pairs. Son premier court-métrage, « Koza », fut par ailleurs repéré par le festival et devint le premier court turc qui y fut sélectionné, en 1995.  Il fut par ailleurs membre du jury cannois en 2009, sous la présidence d’Isabelle Huppert. Son film « Les Climats » reçut   le prix FIPRESCI de la critique internationale en 2006.

    J’essaie de ne jamais manquer les projections cannoises de ses films tant ils sont toujours brillamment mis en scène, écrits, et d’une beauté formelle époustouflante. « Winter sleep » ne déroge pas à la règle…et c’est d’autant plus impressionnant que Nuri Bilge Ceylan est à la fois réalisateur, scénariste (coscénariste avec sa femme), coproducteur et monteur de son film…et qu’il semble pareillement exceller dans tous ces domaines.

    Inspiré de 3 nouvelles de Tchekhov, se déroulant dans une petite ville de Cappadoce, en Anatolie centrale, « Winter sleep » raconte l’histoire d’Aydin (Haluk Bilginer), comédien à la retraite, qui y tient un petit hôtel avec son épouse de 20 ans sa cadette, Nihal (Melisa Sözen) dont il s’est éloigné sentimentalement, et de sa sœur Necla (Demet Akbağ ) qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements… Et dire que tout avait commencé par la vitre d’une voiture sur laquelle un enfant avait jeté une pierre. La première pierre…

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    Sans doute la durée du film (3H16) en aura-t-elle découragé plus d’un et pourtant…et pourtant je ne les ai pas vues passer, que ce soit lors de la première projection cannoise ou lors de la seconde puisque le film a été projeté une deuxième fois le lendemain de la soirée du palmarès, très peu de temps après.

    La durée, le temps, l’attente sont toujours au centre de ses films sans que jamais cela soit éprouvant pour le spectateur qui, grâce à la subtilité de l’écriture, est d’emblée immergé dans son univers, aussi rugueux puisse-t-il être. Une durée salutaire dans une époque qui voudrait que tout se zappe, se réduise, se consomme et qui nous permet de plonger dans les tréfonds des âmes qu’explore et dissèque le cinéaste. Nuri Bilge Ceylan déshabille en effet les âmes de ses personnages.

     Le premier plan se situe en extérieur. Au loin, à peine perceptible, un homme avance sur un chemin. Puis images en intérieur, zoom sur Aydin de dos face à la fenêtre, enfermé dans sa morale, ses certitudes, son sentiment de supériorité, tournant le dos (à la réalité), ou le passage de l’extérieur à l’intérieur (des êtres) dont la caméra va se rapprocher de plus en plus pour  mettre à nu leur intériorité. « Pour bien joué, il faut être honnête », avait dit un jour Omar Sharif à Aydin. Aydin va devoir apprendre à bien jouer, à faire preuve d’honnêteté, lui qui se drape dans la morale, la dignité, les illusions pour donner à voir celui qu’il aimerait -ou croit-être.

    Homme orgueilleux, riche, cultivé, ancien comédien qui se donne « le beau rôle », Aydin est un personnage terriblement humain, pétri de contradictions, incroyablement crédible, à l’image de tous les autres personnages du film (quelle direction d’acteurs !) si bien que, aujourd’hui encore, je pense à eux comme à des personnes réelles tant Nuri Bilge Ceylan leur donne corps, âme, vie.

    Pour Aydin, les autres n’existent pas et, ainsi, à ses yeux comme aux nôtres, puisque Nihal apparaît au bout de 30 minutes de film seulement. Il ne la regarde pas. Et quand il la regarde c’est pour lui demander son avis sur une lettre qui flatte son ego. C’est à la fois drôle et cruel, comme à diverses moments du film, comme lorsqu’il raconte à sa sœur une pièce dans laquelle elle ne se souvient visiblement pas l’avoir vu jouer :  « La pièce où je jouais un imam. J’entrais en cherchant les toilettes ».

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    Que de gravité et d’intensité mélancoliques, fascinantes, dont il est impossible de détacher le regard comme s’il s’était agi de la plus palpitante des courses-poursuites grâce au jeu habité et en retenue des comédiens, au caractère universel et même intemporel de l’intrigue, grâce à la beauté foudroyante et presque inquiétante des paysages de la Cappadoce, presque immobile comme un décor de théâtre. L’hôtel se nomme d’ailleurs « Othello ».  Dans le bureau d’Aydin, ancien acteur de théâtre, se trouvent des affiches de « Caligula » de Camus, et de « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare. La vie est un théâtre. Celle d’Aydin, une représentation, une illusion que l’hiver va faire voler en éclats.

    « Winter sleep », à l’image de son titre, est un film à la fois rude, rigoureux et poétique. Il est porté par des dialogues d’une finesse exceptionnelle mêlant cruauté, lucidité, humour, regrets (« j’ai voulu être ce grand acteur charismatique dont tu rêvais »), comme ces deux conversations, l’une avec sa sœur, l’autre avec Nihal, qui n’épargnent aucun d’eux et sont absolument passionnantes comme dans une intrigue policière, chacune de ces scènes donnant de nouveaux indices sur les caractères des personnages dont les masques tombent, impitoyablement : « Avant tu faisais notre admiration » », « On croyait que tu ferais de grandes choses », « On avait mis la barre trop haut », « Ce romantisme sirupeux », « Cet habillage lyrique qui pue le sentimentalisme », « Ton altruisme m’émeut aux larmes.», « Ta grande morale te sert à haïr le monde entier ».

     Ces scènes sont filmées en simples champs/contre-champs. La pièce est à chaque fois plongée dans la pénombre donnant encore plus de force aux visages, aux expressions, aux paroles ainsi éclairés au propre comme au figuré, notamment grâce au travail de Gökhan Tiryaki, le directeur de la photographie. Nuri Bilge Ceylan revendique l’influence de Bergman particulièrement flagrante lors de ces scènes.

    Les temps de silence qui jalonnent le film, rares, n’en sont que plus forts, le plus souvent sur des images de l’extérieur dont la beauté âpre fait alors écho à celle des personnages. Sublime Nihal dont le visage et le jeu portent tant de gravité, de mélancolie, de jeunesse douloureuse. Pas une seconde pourtant l’attention (et la tension ?) ne se relâchent, surtout pas pendant ces éloquents silences sur les images de la nature fascinante, d’une tristesse éblouissante.

    Nuri Bilge Ceylan est terriblement lucide sur ses personnages et plus largement sur la nature humaine, mais jamais cynique. Son film résonne comme un long poème mélancolique d’une beauté triste et déchirante porté par une musique parcimonieuse, sublimé par la sonate n°20 de Schubert et des comédiens exceptionnels. Oui, un long poème mélancolique à l’image de ces personnages : lucides, désenchantés, un poème qui nous accompagne longtemps après la projection et qui nous touche au plus profond de notre être et nous conduit, sans jamais être présomptueux, à nous interroger sur la morale, la (bonne) conscience, et les faux-semblants, les petitesses en sommeil recouvertes par l’immaculée blancheur de l’hiver. Un peu les nôtres aussi. Et c’est ce qui est le plus magnifique, et terrible.

  • Cinéma - Télévision - Critique de UN + UNE de Claude Lelouch ce mardi 27 décembre 2016 à 21H sur Canal +

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    En 1966, avec « Un homme et une femme », sa sublime histoire de la rencontre de deux solitudes blessées avec laquelle il a immortalisé Deauville, Claude Lelouch recevait la Palme d’or, l’Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario (parmi 42 récompenses reçues au total pour ce film) … à 29 ans seulement ! Ce 45ème film de Claude Lelouch, presque cinquante ans plus tard, raconte à nouveau l’histoire d’un homme et d’une femme, et les années et les films qui séparent ces deux longs-métrages semblent n’avoir en rien entaché la fougue communicative, la réjouissante candeur, le regard enthousiaste, la curiosité malicieuse du cinéaste. Ni la fascination avec laquelle il regarde et révèle les acteurs. Les acteurs et la vie qu’il scrute et sublime. Bien que les critiques ne l’aient pas toujours épargné, il est en effet toujours resté fidèle à sa manière, singulière, de faire du cinéma, avec passion et sincérité, et fidélité, à la musique de Francis Lai, aux fragments de vérité, aux histoires d’amour éblouissantes, à sa vision romanesque de l’existence, à son amour inconditionnel du cinéma et de l’amour, à ses phrases récurrentes, à ses aphorismes, aux sentiments grandiloquents et à la beauté parfois terrible des hasards et coïncidences.

    Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même n’avait «pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot,   Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ». Et tous ceux qui m’ont fait aimer le cinéma. Avec son film « Roman de gare », les critiques l’avaient enfin épargné, mais pour cela il avait fallu que le film soit au préalable signé d’un autre nom que le sien. Peu m’importe. Claude Lelouch aime la vie. Passionnément. Sous le regard fiévreux et aiguisé de sa caméra, elle palpite. Plus qu’ailleurs. Et ce nouveau film ne déroge pas à la règle.

    Après Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Sandrine Bonnaire dans « Salaud, on t’aime », c’est un autre trio charismatique qui est à l’honneur dans ce nouveau film : Jean Dujardin, Elsa Zylberstein et Christophe Lambert (voire un quatuor avec Alice Pol). Son dernier film « Salaud, on t’aime » se rapprochait de « Itinéraire d’un enfant gâté », du moins en ce qu’il racontait l’histoire d’un homme à l’automne de sa vie, un autre « enfant gâté » passé à côté de l’essentiel et qui, contrairement au film précité, n’allait pas fuir sa famille mais tenter de la réunir. Ici, c’est finalement aussi d’un homme passé à côté non pas de sa vie mais de lui-même dont Lelouch nous raconte l’histoire, une histoire que j’attendais de découvrir depuis que j’avais vu cette affiche du film orner les murs de Cannes, lors du festival, en mai dernier.

    La manière dont le film est né ressemble déjà à un scénario de film de Claude Lelouch. Jean Dujardin et Elsa Zylberstein ont ainsi plusieurs fois raconté sa genèse. Le hasard qu’affectionne tant Claude Lelouch les a réunis sur le même vol entre Paris et Los Angeles lors duquel ils ont parlé de cinéma pendant des heures et notamment d’un film de Claude Lelouch, « Un homme qui me plaît », qu'ils adorent tous les deux. L'histoire d'amour entre un compositeur incarné par Jean-Paul Belmondo et une actrice incarnée par Annie Girardot qui tombent amoureux à l'autre bout du monde. Elsa Zylberstein a appelé Claude Lelouch et l’histoire était lancée, une histoire d’amour qui, eux aussi, les a emmenés à l’autre bout du monde…

    Jean Dujardin incarne ici le séduisant, pragmatique, talentueux Antoine. Antoine est compositeur de musiques de films. Antoine regarde la vie avec distance, humour et légèreté. Antoine est comme un enfant joueur et capricieux. D’ailleurs, il porte le prénom du petit garçon dans « Un homme et une femme ». Hasard ? Ou coïncidence ? Il part en Inde travailler sur une version très originale de « Roméo et Juliette » intitulée « Juliette et Roméo » et alors que sa compagne (Alice Pol) le demande en mariage par téléphone. A l’occasion d’une soirée donnée en son honneur à l’Ambassade de France, il rencontre la pétillante Anna (Elsa Zylberstein), la femme de l’ambassadeur (Christophe Lambert), aussi mystique qu’il est pragmatique, une femme qui, en apparence, ne lui ressemble en rien, pourtant, dès ce premier soir, entre ces deux-là, semble régner une magnétique connivence. Cette rencontre va les entraîner dans une incroyable aventure. Et le spectateur avec eux.

    Ce que j’aime par-dessus tout dans les films de Claude Lelouch, ce sont ces personnages, toujours passionnément vivants. Dans chacun de ses films, la vie est un jeu. Sublime et dangereux. Grave et léger. Un jeu de hasards et coïncidences. Le cinéma, son cinéma, l’est aussi. Et dans ce film plus que dans tout autre de Claude Lelouch. Le fond et la forme coïncident ainsi en une ludique mise en abyme. Le film commence par l’histoire d’un voleur qui va inspirer le film dont Antoine a composé la musique et dont les images jalonnent le film…de Lelouch. Le présent, le passé et le rêve s’entrelacent constamment pour peu à peu esquisser le portrait des deux protagonistes, pour se jouer de notre regard sur eux et sur la beauté troublante des hasards de la vie.

    Cela commence par des images de l’Inde, fourmillante, colorée, bouillonnante de vie dont la caméra de Lelouch, admirative, caresse l’agitation multicolore. Prémisses d’un voyage au pays « du hasard » et « de l’éternité. » Un voyage initiatique. Puis, il nous raconte une première histoire. Celle du voleur qui sauve sa victime, et de leur histoire d’amour. Celle du film dans le film. Un miroir de celle d’Anne et d’Antoine. Presque un conte. D’ailleurs, devant un film de Lelouch, j’éprouve la sensation d’être une enfant aux yeux écarquillés à qui on raconte une fable. Ou plein d’histoires puisque ce film est une sorte de poupée russe. Oui, une enfant à qui on rappelle magnifiquement les possibles romanesques de l’existence.

    Ensuite, Antoine rencontre Anna lors du dîner à l’ambassade. Antoine pensait s’ennuyer et le dit et le clame, il passe un moment formidable et nous aussi, presque gênés d’assister à cette rencontre, leur complicité qui crève les yeux et l’écran, leur conversation fulgurante et à l’image de l’Inde : colorée et bouillonnante de vie. Il suffirait de voir cet extrait pour deviner d’emblée qu’il s’agit d’un film de Lelouch. Cette manière si particulière qu’ont les acteurs de jouer. Ou de ne pas jouer. Vivante. Attendrissante. Saisissante de vérité. En tout cas une scène dans laquelle passe l’émotion à nous en donner le frisson. Comme dans chacun des tête-à-tête entre les deux acteurs qui constituent les meilleurs moments du film, dans lesquels leurs mots et leurs silences combattent en vain l’évidente alchimie. Ils rendent leurs personnages aussi attachants l’un que l’autre. Le mysticisme d’Anna. La désinvolture et la sincérité désarmante d’Antoine avec ses irrésistibles questions que personne ne se pose. Antoine, l’égoïste « amoureux de l’amour ».

    Comme toujours et plus que jamais, ses acteurs, ces deux acteurs, la caméra de Lelouch les aime, admire, scrute, sublime, magnifie, révèle, caresse presque, exacerbe leur charme fou. Ce film comme chaque film de Lelouch comporte quelques scènes d’anthologie. Dans son précédent film « Salaud, on t’aime », les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy nous rejouaient « Rio Bravo » et c’était un régal. Et ici, chacun des échanges entre Antoine et Anna l’est aussi. Comme dans tout film de Lelouch aussi les dialogues sont parsemés de petites phrases dont certaines reviennent d’un film à l’autre, souvent pour nous rappeler les « talents du hasard » :

    « Mon agent, c’est le hasard. »

    « Mon talent, c’est la chance. »

    « Le pire n’est jamais décevant. »

     Ce film dans lequel l’amour est l’unique religion est une respiration salutaire a fortiori en cette période bien sombre. Un hymne à l’amour, à la tolérance, au voyage aussi bigarrés et généreux que le pays qu’il nous fait traverser. Un joyeux mélange de couleurs, de fantaisie, de réalité rêvée ou idéalisée, évidemment souligné et sublimé par le lyrisme de la musique du fidèle Francis Lai (retrouvez mon récit de la mémorable master class commune de Lelouch et Lai au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014, ici) et celle de la Sérénade de Schubert (un peu trop utilisée par les cinéastes ces temps-ci mais c’est celle que je préfère donc je ne m’en lasse pas), par des acteurs que le montage inspiré, la musique lyrique, la photographie lumineuse ( de Robert Alazraki), le scénario ingénieux (signé Valérie Perrin et Claude Lelouch), et l’imparable et incomparable direction d’acteurs de Lelouch rendent plus séduisants, convaincants, flamboyants et vibrants de vie que jamais.

     Une « symphonie du hasard » mélodieuse, parfois judicieusement dissonante, émouvante et tendrement drôle avec des personnages marquants parce que là comme ils le sont rarement et comme on devrait toujours essayer de l’être : passionnément vivants. Comme chacun des films de Lelouch l’est, c’est aussi une déclaration d’amour touchante et passionnée. Au cinéma. Aux acteurs. A la vie. A l’amour. Aux hasards et coïncidences. Et ce sont cette liberté et cette naïveté presque irrévérencieuses qui me ravissent. Dans la vie. Au cinéma. Dans le cinéma de Lelouch qui en est la quintessence. Vous l’aurez compris, je vous recommande ce voyage en Inde !

    A lire également: mon compte rendu de la master class de Claude Lelouch au dernier Festival du Film Britannique de Dinard.

  • Critique de TITANIC de James Cameron à 20H55 sur TF1 ce 18 décembre 2016

    La critique ci-dessous est celle que j’avais publiée suite à l’avant-première de la version 3D.

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    Rares sont les films à s’être transformés en phénomènes de société. « Titanic » fait partie de ceux-là. 11 Oscars pour 14 nominations. 20, 7 millions d’entrées en France où il obtint le César du meilleur film étranger mais surtout un projet lui-même titanesque avec un budget de production de 200 000 000$  qui a connu un succès mondial retentissant avec des recettes atteignant 600 788 188 $ aux Etats-Unis et 1 843 201 268 $ dans le monde entier.

    Evidemment, on se dit que ressortir le film 15 ans après, fut-ce (ou justement parce que) en 3D, relève de l’opération commerciale, de surcroit sachant que cela tombe l’année du centenaire du naufrage. « Titanic  en 3D » (en salles à nouveau, un 4 avril, le naufrage a eu lieu le 14 avril 1912) n’est-il qu’une opération commerciale ? La 3D apporte-t-elle vraiment une valeur ajoutée à la version initiale ? 15 ans après, ce nouveau projet pharaonique qui a coûté 18 millions de dollars, nécessité 300 techniciens et 60 semaines de travail, rend-il le film  plus fascinant  ou n’est-il que de la poudre aux yeux?

     

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    Southampton, 10 avril 1912. L’évènement est international. Le paquebot le plus grand et le plus moderne du monde, réputé insubmersible, le « Titanic » qui doit son nom à son gigantisme, appareille pour son premier voyage, une transatlantique en direction de New York. Quatre jours plus tard, il heurte un iceberg avant de sombrer dans les eaux glaciales de l’Atlantique.

     Jack Dawson (Leonardo DiCaprio), un artiste pauvre et libre comme l’air, gagne son billet de 3ème classe au poker et embarque in extremis. De son côté, en première classe, la jeune Rose DeWitt Bukater (Kate Winslet) embarque avec son futur époux, Caledon Hockley (Billy Zane), aussi emprisonnée dans les conventions et dans un avenir cadenassé que Jack est libre de toute entrave. Rose va tenter de se suicider en se jetant d’un pont du paquebot. Jack va la sauver. Ils vont tomber amoureux et vivre une histoire d’amour intense, éphémère et éternelle, au milieu du chaos.

    Des années plus tard, Brock Lovett coordonne une équipe de fouilles de l’épave du Titanic. Lors d’une plongée en sous-marin, il espère enfin retrouver le Cœur de l’Océan, un bijou inestimable, porté par Louis XVI. Le coffre-fort qu’il remonte des profondeurs ne contient qu’un dessin représentant une jeune fille nue portant le bijou.

    Une dame très âgée, Rose Calvert, découvre ce dessin à la télévision. Elle appelle Lovett en affirmant être la jeune fille en question…

    Il faut le dire d’emblée : le résultat est saisissant. Jamais encore la 3D ne m’avait semblée avoir cet impact (d’ailleurs, jamais encore la 3D ne m’avait semblée avoir d’impact tout court)… L’immersion est immédiate et l’émotion au rendez-vous. L’éclat de la photographie mais surtout la précision, le souci du détail nous fascinent et immergent immédiatement dans cette aventure tragique et romanesque. Une poupée de porcelaine. Une brosse. Un miroir brisé. Une chaussure. Un coffre…Tous ces objets qui flottent au milieu de l’épave semblent terriblement réels et rendent soudain particulièrement palpable et tangible l’humanité de la tragédie qui s’y est déroulée et de ceux qui l’ont vécue, et nous embarquent dès le début dans l’aventure bien que nous la connaissions par cœur.

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     La 3D n’est pas ici un gadget mais un véritable atout qui procure au spectateur de vraies sensations et émotions, que ce soit dans les premières scènes à Southampton au cours desquelles nous découvrons le paquebot et où nous avons l’impression d’être dominés par son gigantisme et sa majesté ou dans les scènes du naufrage. Quand le navire apparaît dans toute sa splendeur, nous oublions qu’il n’est déjà plus qu’une épave engloutie, pour embarquer et croire qu’il est réellement insubmersible. Quand, beaucoup plus tard, le paquebot se lève, comme un mourant émet son dernier râle, avant de sombrer à jamais, tout en rejetant ses passagers à la mer, quand le silence précède le terrifiant fracas, la scène nous glace d’effroi.

    Les scènes intimistes sont presque plus impressionnantes encore que les scènes à grand spectacle tant le spectateur a l’impression d’être un intrus, de s’immiscer dans une sphère privée, et pas seulement d’en être spectateur. Et lorsque les mains de Jack et Rose se frôlent et s’étreignent, ou lorsque Jack peint Rose dénudée, nous avons presque envie de retenir notre souffle pour ne pas les déranger, tant leur trouble irradie l’écran.

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     Grâce à la 3D, le danger, aussi, devient palpable, la somptuosité des décors ensuite ravagée est plus éblouissante encore, mais surtout la lâcheté, le courage, la beauté  nous happent et heurtent plus que jamais. La scène où Rose déambule dans les couloirs en cherchant de l’aide nous donne la sensation magique et inquiétante d’être à ses côtés, tétanisés par le danger, révoltés par la couardise de certains passages, et lors de celle où Jack et Rose s’enlacent et « volent », la sensation est étourdissante comme si nous virevoltions aussi.

    Si « Titanic » était déjà romanesque, flamboyant et spectaculaire, cette conversion le transforme en une expérience exaltante, vertigineuse et parfois effroyable grâce à la profondeur de champ et grâce au souci du détail qui sont alors flagrants (tasse de porcelaine ou vestiges du naufrage, tout semble, pas seulement exister sur l’écran, mais prendre vie sous nos yeux).

    L’intrigue n’a pas changé, aucune scène n’a été ajoutée ou modifiée. L’écriture presque schématique, voire dichotomique, est toujours aussi efficace. Les pauvres opposés aux riches. Le courage à la lâcheté. La raison à l’amour. L’insouciance à la gravité. La liberté de Jack opposée à l’enfermement de Rose. La clairvoyance de Jack opposée à l’aveuglement de ceux qui entourent Rose. Le silence de mort de la 1ère classe face à la musique et au rythme effréné de la gigue irlandaise dans la 3ème. L’éphémère et l’éternité qui ne s’opposent pas mais que réunit la catastrophe. Les sentiments y sont simples voire simplistes et manichéens mais tout est là pour nous étonner avec ce que nous attendons. Le mélange du spectaculaire et de l’intime, de la tragédie et de l’amour nous rappellent les plus grandes fresques (« Autant en emporte le vent » -ah, que serait l’incendie de Tara en 3D ?-, « Docteur Jivago ») ou histoires d’amour (« Casablanca », « Le dernier métro ») dans lesquelles la menace gronde (souvent la guerre) et renforce les sentiments alors confrontés aux obstacles (ici, la nature, la société). « Titanic » parvient à être à la fois un film catastrophe épique et une histoire d’amour vibrante sans que l’un prenne le pas sur l’autre, mais au contraire en se renforçant mutuellement. Un soufflé épique qui nous emporte contre notre raison même qui nous avertit de ces défauts comme certains personnages caricaturaux nous le rappellent comme l’égoïste, médiocre, odieux au possible fiancé de Rose ou comme une certaine outrance dans le mélodrame. Qu’importe ! Comme lorsque nous vivons une histoire d’amour, « Titanic » nous charme et nous envoûte, nous emporte dans cette aventure trépidante et nous rend sourds à notre raison.

    Avec la 3D, les traits de Leonardo DiCaprio et Kate Winslet que nous avons vus grandir apparaissent dans leur éclat et l’innocence de leur jeunesse, et les visages blafards qui flottent sur l’eau n’en sont que plus redoutables, en miroir de cette splendeur passée et si proche. Il est d’ailleurs injuste que, contrairement à Kate Winslet, Leonardo Di Caprio n’ait pas été nommé aux Oscars comme meilleur acteur. Si la première interprète l’impétueuse, passionnée, fière et lumineuse Rose avec vigueur et talent, Leonardo DiCaprio, sans doute incarne-t-il un personnage trop lisse pour certains (mais il prouvera par la suite à quel point il peut incarner toutes les nuances et des rôles beaucoup plus sombres, notamment dans « Shutter island » de Martin Scorsese ou récemment encore dans « J.Edgar » de Clint Eastwood), il n’en est pas moins parfait dans son personnage d’artiste vagabond, libre, faussement désinvolte, malin, séduisant et courageux. Dans le chef d’œuvre de Sam Mendes, « Les noces rebelles », Kate Winslet et Leonardo DiCaprio, réunis à nouveau, ont d’ailleurs su prouver qu’ils étaient de grands acteurs (aux choix judicieux), dans des rôles qui sont à l’opposé de leurs rôles romantiques de Rose et Jack.

    Alors, bien sûr, l’art c’est aussi de laisser place à l’imaginaire du spectateur et sans doute ce nouveau procédé est-il une manière de prendre le spectateur par la main, de lui dicter ce qu’il doit regarder et même éprouver, ce qui pourrait faire s’apparenter le cinéma à une sorte de parc d’attraction abêtissant mais ce tour de manège-là est tellement étourdissant que ce serait faire preuve de mauvaise foi que de bouder notre plaisir.

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    Ce « Titanic » 2012 permet de revisiter le film de James Cameron. Ou quand le cinéma devient une expérience au service de l’émotion, des sensations mais surtout du film et du spectateur. Vous aurez l’impression étrange et vertigineuse d’être réellement impliqués dans une des plus belles histoires d’amour de l’histoire du cinéma. Histoire d’amour mais aussi histoire intemporelle et universelle, d’orgueil, d’arrogance et de lâcheté, une tragédie métaphorique des maux de l’humanité, une course au gigantisme et à la vitesse au détriment de l’être humain et de la nature, qui fait s’entrelacer mort et amour, éphémère et éternité, et qui reste aussi actuelle et émouvante 15 ans après. Un film avec de la profondeur (dans les deux sens du terme désormais), et pas un simple divertissement. Un moment de nostalgie aussi pour ceux qui, comme moi, l’ont vu en salles il y a 15 ans et pour qui ce sera aussi une romantique réminiscence que de redécouvrir les amants immortels, « Roméo et Juliette » du XXème siècle, et de sombrer avec eux, avant de retrouver la lumière du jour et de quitter à regrets les eaux tumultueuses de l’Atlantique et cette histoire d’amour rendue éternelle par les affres du destin, et par la magie du cinéma.

    Ce dimanche, plongez au « cœur de l’océan » et au cœur du cinéma… Achetez votre billet pour embarquer sur le Titanic (vous en aurez vraiment l’impression), je vous promets que vous ne regretterez pas le voyage, cette expérience unique, magique, étourdissante, réjouissante : définition du cinéma (du moins, de divertissement) finalement porté ici à son paroxysme! A (re)voir et vivre absolument.

  • Critique de THE IMMIGRANT de James Gray à 20H55 sur Arte

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    Projeté en compétition officielle du 66ème Festival de Cannes, The Immigrant de James Gray décidément à l’honneur cette année-là puisqu’il est aussi le coscénariste de  "Blood ties" réalisé par Guillaume Canet (également présenté à Cannes) est, seulement, le cinquième long-métrage du cinéaste américain ( après Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two lovers) et nous avons bien du mal à le croire tant chacun de ses films précédents était déjà maîtrisé, et James Gray comptant, déjà, comme un des plus grands cinéastes américains contemporains. The Immigrant a apparemment déçu bon nombre de ses admirateurs alors que, au contraire, c’est à mon sens son film le plus abouti, derrière son apparente simplicité. Il s’agit en effet de son film le plus sobre, intimiste et épuré mais quelle maîtrise dans cette épure et sobriété!

    On y retrouve les thèmes chers au cinéaste: l’empreinte de la Russie, l’importance du lien fraternel, le pardon mais c’est aussi son film le plus personnel puisque sa famille d’origine russe est arrivée à Ellis Island, où débute l’histoire, en 1923.

    L’histoire est centrée sur le personnage féminin d’Ewa interprétée par Marion Cotillard. 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine et Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution.  L’arrivée d’Orlando (Jeremy Renner), illusionniste et cousin de Bruno (Joaquin Phoenix), lui redonne confiance et l’espoir de jours meilleurs. Mais c’est sans compter sur la jalousie de Bruno…

    James Gray a écrit le rôle en pensant à Marion Cotillard (très juste et qui aurait mérité un prix d’interprétation) qui ressemble ici à une actrice du temps du cinéma muet, au visage triste et expressif. The Immigrant est ainsi un mélo assumé qui repose sur le sacrifice de son héroïne qui va devoir accomplir un véritable chemin de croix pour (peut-être…) accéder à la liberté et faire libérer sa sœur. Les personnages masculins, les deux cousins ennemis, sont  en arrière-plan, notamment Orlando. Quant à Bruno interprété par l’acteur fétiche de James Gray, Joaquin Phoenix, c’est un personnage complexe et mystérieux qui prendra toute son ampleur au dénouement et montrera aussi à quel point le cinéma de James Gray derrière un apparent manichéisme est particulièrement nuancé et subtil.

    Le tout est sublimé par la photographie de Darius Khondji (qui avait d’ailleurs signé la photographie de la palme d’or du Festival de Cannes 2012, Amour de Michael Haneke) grâce à laquelle certains plans sont d’une beauté mystique à couper le souffle.

    James Gray a par ailleurs tourné à Ellis Island, sur les lieux où des millions d’immigrés ont débarqué de 1892 à 1924, leur rendant hommage et, ainsi, à ceux qui se battent, aujourd’hui encore, pour fuir des conditions de vie difficiles, au péril de leur vie. C’est de dos qu’apparaît pour eux la statue de la liberté au début du film. C’est en effet la face sombre de cette liberté qu’ils vont découvrir, James Gray ne nous laissant d’ailleurs presque jamais entrevoir la lumière du jour. Si le film est situé dans les années 1920, il n’en est pas moins intemporel et universel. Une universalité et intemporalité qui, en plus de ses très nombreuses qualités visuelles, ne lui ont pas permis de figurer au palmarès cannois auquel il aurait mérité d’accéder.

    Tout comme dans La Nuit nous appartient qui en apparence opposait les bons et les méchants, l’ordre et le désordre, la loi et l’illégalité, et semblait au départ très manichéen, dans lequel le personnage principal était écartelé,  allait évoluer,  passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres, ici aussi le personnage de Bruno au cœur qui a « le goût du poison », incarne toute cette complexité, et le film baigné principalement dans des couleurs sombres, ira vers la lumière. Un plan, magistral, qui montre son visage à demi dans la pénombre sur laquelle la lumière l’emporte peu à peu, tandis qu’Ewa se confesse, est ici aussi prémonitoire de l’évolution du personnage. L’intérêt de Two lovers  provenait avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. C’est aussi le cas ici même si le thème du film et la photographie apportent encore une dimension supplémentaire. James Gray s’est inspiré des photos « quadrichromes » du début du XXe  siècle, des tableaux qui mettent en scène le monde interlope des théâtres de variétés de Manhattan. Il cite aussi comme référence Le Journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson.

    James Gray parvient, comme avec Two lovers, à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Longtemps après, en effet, j’ai été  éblouie par la noirceur de ce film, une noirceur de laquelle émerge une lueur de clarté sublimée par une admirable simplicité et maitrise des contrastes sans parler du dernier plan, somptueux, qui résume toute la richesse et la dualité du cinéma de James Gray et de ce film en particulier.

  • Critique de HER de Spike Jonze à 20H45 ce lundi 28 novembre 2016 sur Ciné + Emotion

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      Quatrième long métrage de Spike Jonze après « Dans la peau de John Malkovich» (1999),  « Adaptation » (2002) et « Max et les maximonstres » (2009), à l’image du premier que j’avais découvert avec jubilation au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il fut primé en 1999, « Her »  nous embarque dans les réjouissants méandres d’un imaginaire débridé, celui du cinéaste et de son personnage. A ses risques et périls.

    Direction Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly (Joaquin Phoenix),  écrivain public des temps modernes,  est inconsolable suite à une rupture difficile, en effet en instance de divorce avec sa femme Catherine (Rooney Mara) et vit seul dans un appartement sans âme. Il fait alors l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il répond à de brèves questions,  choisit une voix féminine et fait la connaissance de Samantha (Scarlett Johansson), une voix féminine intelligente, intuitive et dotée d’humour et même d’ironie. Peu à peu, l’impensable va survenir : l’homme et la machine  vont tomber amoureux…

    La cristallisation amoureuse est sans aucun doute un éternel et non moins passionnant sujet romanesque et même romantique, pour la littérature aussi bien que pour le cinéma. Un sujet maintes fois abordé que Spike Jonze modernise ici en le liant à la solitude des vies et villes contemporaines même s’il s’agit ici (en apparence) de science-fiction. Spike Jonze ou le Stendhal des temps modernes…

    A l’image de l’affiche, c’est avant tout l’histoire d’un homme seul face à nous, miroir de nos solitudes modernes, et surtout face à lui-même, et dont le métier consiste à envoyer des lettres pour et à des inconnus avant de retrouver son appartement glacial donnant sur les lignes verticales et froides de la ville, avec l’hologramme d’un jeu vidéo pour seule compagnie. Dans la première scène, il dit des mots d’amour face caméra. Puis, nous  découvrons qu’il est en réalité sur son lieu de travail, seul face à un ordinateur. Comme une prémonition.

    Nommé dans cinq catégories à la 86ème cérémonie des Oscars (meilleur film, meilleure musique, meilleure chanson, meilleur décor et meilleur scénario original), « Her » est un film d’une indéniable originalité, dans son écriture (il a obtenu le Golden Globe et l’Oscar du meilleur scénario) et dans sa réalisation. Originalité et perspicacité puisque, en exacerbant le rôle des technologies,  en nous faisant accepter pour réalité cette histoire d’amour aux frontières de la folie et de l’absurde (pléonasme ?), il porte à son paroxysme ce que nous inspirent les nouvelles technologies : le sentiment amoureux, cette « forme de démence acceptée par la société » (magnifique définition), qu’il dépeint  magistralement dans sa sublime exaltation.

    Dans cette ville intemporelle et universelle (Spike Jonze a tourné à Shangai et Los Angeles) se croisent des êtres qui vivent dans leur bulle imaginaire, soliloquant, emmurés dans leurs solitudes comme ils le sont dans cette ville tentaculaire. La technologie froide et déshumanisée va s’humaniser pour devenir l’âme sœur au sens propre, un amour désincarné, cristallisé. Her. Elle qui devient son univers au point qu’il se teinte du rouge qui la caractérise, biaise sa vision du monde, l’embellit, le transcende. La description de l’état amoureux est particulièrement réussie,  cette ivresse insensée, cette idéalisation démente, cette projection, cette réécriture de la réalité, ce cinéma, finalement. Le vrai bonheur semble dans l’ailleurs, l’insaisissable, l’imaginaire, ou alors le passé, cette « histoire qu’on se raconte » et la forme et le fond se répondent intelligemment puisque le passé idéalisé est ici raconté par des flashbacks silencieux auréolés de lumière et de bonheur.

    Spike Jonze a fait appel aux réalisateurs David O.Russell et Steven Soderbergh, pour que ces derniers confient leurs impressions sur la première version du film. Soderbergh aurait même fait des coupures radicales, peut-être que cette multiplicité de points de vue est à l’origine de l’unique défaut du film : l’impression de ruptures de rythme.

    Scarlett Johansson réussit le pari de donner corps à cette voix (elle  a même remporté le Prix d’Interprétation Féminine au 8ème Festival International du Film de Rome, en novembre 2013) et de faire exister ce personnage invisible. Quant à Joaquin Phoenix, il est une nouvelle fois d’une justesse étonnante qui contribue à nous faire croire à l’existence de ce personnage invisible dont il tombe amoureux. Un rôle majeur de plus après déjà tant de rôles marquants, que ce soit dans « La nuit nous appartient » de James Gray dans lequel il avait cet incroyable regard lunatique, fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté,  film dans lequel il est un magistral écorché vif dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère de claustrophobie du film ou encore dans le fascinant « I’m still here » , objet filmique singulier posant des questions passionnantes sur le statut de l’image (au double sens du terme d’ailleurs : image cinématographique et image de l’artiste)  et évidemment en incarnant l’inoubliable fragile Leonard dans « Two lovers ».

    Les décors et les costumes sont également particulièrement ingénieux s’inspirant du style des années 30 : Theodore porte une moustache et des pantalons tailles hautes, jamais de jeans, pas de revers, ni de col. Un univers singulier à la fois proche et lointain. L’omniprésence du rouge, la lumière naturelle dont est baigné l’appartement, tout contribue à cette impression de bulle irréelle et aveuglante que suscite le sentiment amoureux et nous transporte dans cet ailleurs vertigineux, fascinant, étourdissant et parfois effrayant.

    Un film à la fois salutaire, parce qu’il montre le redoutable et magique pouvoir de l’imaginaire et fait appel à celui du spectateur  ( par exemple pendant la scène d’amour, seul demeure un écran noir), et terrifiant en ce qu’il nous montre un univers d’une tristesse infinie avec ces êtres « lost in translation » prêts à tout pour ressentir la chaleur rougeoyante d’un amour fou, sublimé, un univers pas si éloigné du nôtre ou ce qu’il pourrait devenir.

    Une fable poétique envoûtante, terriblement mélancolique, sublimée par la musique du groupe Arcade Fire, par une réalisation inspirée et élégante mais dont la tristesse et la suffocante solitude qui en émane m’ont terrassée malgré un magnifique plan de fin qui fait intelligemment écho à celui du début et qui nous incite à regarder vers l’horizon, à ressentir de vraies émotions, ou peut-être à regarder la vie telle qu’elle est : avec ses aspérités mais toujours riche de promesses.

  • Critique de 007 SPECTRE de Sam Mendes à voir ce 25.11.2016 sur Canal +

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    Spectre. 24ème James Bond. Le quatrième James Bond incarné par Daniel Craig après « Casino Royale » en 2006, « Quantum of solace » en 2008, « Skyfall » en 2012 en attendant le cinquième puisque Daniel Craig a déjà annoncé avoir signé pour le prochain. A nouveau, pour la deuxième fois après "Skyfall", c'est le réalisateur (notamment) du chef d'œuvre "Les Noces rebelles", Sam Mendes, qui est à la réalisation. Avec un budget estimé à 300 millions de dollars, Spectre est le James Bond le plus cher, ce qui devrait être rapidement rentabilisé au regard de son succès en salles (le meilleur démarrage en France avec ses 900 000 entrées comptabilisées le jour de sa sortie en France) et cela malgré de nombreuses critiques mitigées qui me laissent perplexe au regard de la réussite de ce « Spectre » dont je n’ai réalisé qu’une fois sortie de la salle qu’il durait 2H30 tant le temps a passé vite… Sans doute ces critiques s’expliquent-elles par une exigence de surenchères et rebondissements scénaristiques (que contenait le meilleur scénario de la franchise, « Casino Royale »), une lacune relative pourtant largement compensée par tout ce que contient ce 24ème Bond. Il ne faut pas oublier non plus que les producteurs du film ont été forcés de faire réécrire le script après le piratage de Sony, ce qui a radicalement changé le déroulement de l’intrigue, la transformant en une judicieuse mise en abyme puisque la surveillance mondialisée se trouve au centre de ce Bond palpitant et ombrageux aux ramifications arachnéennes.

    Comme toujours haletant, le pré-générique se déroule en plan-séquence et sur les chapeaux de roue, dans une contrée lointaine, cette fois le Mexique lors de la fête des morts. Bond au bras d’une sublime créature se faufile à toute allure dans les rues grouillantes et animées de Mexico, affublé d’un masque de squelette, environné de simulacres de morts. D’emblée, le ton de ce nouveau Bond est donné. Sombre et sensuel. Sur lequel plane l’ombre de la mort. De spectres menaçants. (pléonasme?)

    A Mexico, Bond tue un célèbre criminel, le mari de Lucia Sciarra (Monica Bellucci) avant d’infiltrer une réunion secrète révélant une redoutable organisation qui répond au doux nom de Spectre pour les intimes (signifiant "Service Pour l'Espionnage, le Contre-espionnage, le Terrorisme, la Rétorsion et l'Extorsion", en VO :"Special Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge and Extortion") après avoir été démis de ses fonctions. Pendant ce temps, à Londres, Max Denbigh, le nouveau directeur du Centre pour la Sécurité Nationale, remet en cause les actions de Bond et l’existence même du MI6, dirigé par M (Ralph Fiennes).

    Bond persuade alors Moneypenny (Naomie Harris) et Q (Ben Whishaw) de l’aider secrètement à localiser Madeleine Swann (Léa Seydoux), la fille de son vieil ennemi, Mr White, qui pourrait détenir le moyen de détruire Spectre. Fille de tueur et solitaire, Madeleine comprend Bond mieux que personne… Sa Madeleine (de Proust ?) qui lui rappelle ses propres blessures.

    Depuis qu’il est incarné par Daniel Craig, James Bond est plus tourmenté, plus sombre, plus viril, plus glacial. Paradoxalement, plus humain, aussi. Le personnage a gagné en épaisseur en délaissant les stéréotypes du svelte dandy au sourire ravageur et carnassier aussi collectionneur de gadgets que de James Bond girls. Sixième acteur à incarner le célèbre héros de Ian Flemming, Daniel Craig est aussi à mon avis le meilleur, celui qui a apporté le plus d’épaisseur, de séduction brute, et de complexité au personnage. C’est ici dans cette complexité et non dans un scénario acadabrantesque que réside l’intérêt de ce nouveau James Bond. Un homme seul, un orphelin (doublement puisqu’il a aussi perdu M dans « Skyfall ») hanté par les démons du passé, par les morts et les ennemis qui ont jalonné sa route.

    La mort, la solitude, la noirceur président ainsi à ce nouveau James Bond, plus tourmenté et ombrageux que jamais. Cela n’en est pas moins un flamboyant divertissement. Bond est ici « un cerf volant qui danse dans un ouragan ». L’accent est en effet plus que jamais mis sur sa solitude, soulignée par la réalisation inspirée de Sam Mendes. Bond traversant une place vide et grisâtre. Bond pour la première fois dans son appartement où sur le sol gisent des tableaux qu’il n’a pas pris le temps d’accrocher. Bond au milieu de grandes étendues désertiques. Bond passant sous des arbres décharnés. Bond qui traverse constamment des décors qui font écho à ses démons et sa solitude.

    « Spectre » s’inscrit ainsi dans la continuité de « Skyfall », le retour aux sources qui, pour la première fois, évoquait l’enfance de Bond qui alors n’était plus une sorte de machine de guerre mais qui apparaissait pour la première fois comme un être de chair et de sang, construit par une blessure d’enfance. A nouveau, comme dans "Skyfall", il se retrouve confronté à un homme assoiffé de vengeance incarné par Christoph Waltz, manichéen comme tout méchant de Bond qui se respecte.

    L’élégance de la réalisation, la pénombre et les ombres du passé qui planent constamment (a fortiori celles de M et Vesper) rendent ce « Spectre » particulièrement nostalgique et mélancolique. Dès le prégénérique, nous étions prévenus, « les morts sont vivants ». Cette mélancolie annoncée est corroborée par un générique tentaculaire étourdissant de noirceur et sensualité mêlées avec la voix déchirée et déchirante de Sam Smith qui interprète "Writing's on the Wall". Danse funèbre enivrante qui m’a immédiatement transportée dans l’univers sombrement envoûtant de ce nouveau  Bond.

    Les destinations plus ou moins exotiques qui caractérisent les James Bond n’ont pas été oubliées et nous passons en un rien de temps du Mexique à Londres, de Londres à Rome, de Rome à l’Autriche, de l’Autriche au Maroc…avant de revenir à Londres. La psychologie des personnages féminins n’atteint pas celle de Vesper dans « Casino Royale » mais Bond pour la première fois depuis Vesper se laisse attendrir. L’amour face à un monde qui se meurt. Les scènes avec Léa Seydoux (7ème française à incarner une James Bond girl) n’égalent ainsi pas la joute verbale entre Bond et Vesper dans « Casino Royale » et  leur duel sensuel inoubliable mais apportent une touche d’émotion et de glamour. De même pour la scène d’amour avec Belluci dans la pénombre  délicieusement inquiétante d’un palais romain, baigné d’opéra et de mort.

    Ce Bond est aussi l’histoire d’une confrontation au passé. Le passé de son organisation. Le passé de Bond et ses fantômes qui ressurgissent. Son avenir n'est guère plus réjouissant, annoncé par son nom écrit en lettres rouges sang sur un mur, ajouté à une liste de morts.

    Comme toujours l’interprétation de Daniel Craig mêle élégance et dureté, avec une pointe d'humour, même si la carapace se fissure doucement. Glamour, sombre, spectaculaire, sensuel, nostalgique, mélancolique, dominé par un personnage plus torturé, élégant, ténébreux et donc séduisant que jamais et par la réalisation particulièrement brillante de Sam Mendes, ce James Bond est un divertissement de qualité en plus d’un hommage aux anciens James Bond. Laissez-vous enserrer par cette pieuvre spectrale qui vous embarquera dans un périple sombrement fascinant et divertissant, une grisant tourbillon d'amour et de morts.