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Cinéma

  • Les films de mon roman "La Symphonie des rêves" à l’honneur sur Universcine

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    Mon roman La Symphonie des rêves, à partir de mercredi, sera doublement à l’honneur sur la plateforme de VOD Universcine.com (@universcine), puisque non seulement trois exemplaires du roman seront à gagner pour les abonnés mais aussi parce que les 15 films dont les titres figurent ci-dessous, évoqués dans le livre, sont à honneur sur la page d’accueil du site.

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     Inutile de vous dire que je vous recommande ardemment chacun de ces longs-métrages. Dans tous, la musique joue un rôle primordial. D’ailleurs, c’est l’émotion que procure la musique (son potentiel comme lien romanesque) qui m’a donnée l’idée de ce roman (et son rôle consolateur que définit si bien cette citation de Stendhal qui figure au début du roman « La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore ») dont une large partie se déroule ainsi dans le cadre du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule.

    Alors, avant de vous retrouver pour de nouvelles séances de dédicaces, notamment au Festival de Cannes (Fnac de Cannes, probablement le 20 Mai), au Salon Livres et Musiques de Deauville (le 4 mai), à Saint-Malo (Cultura, le 20 avril),...je vous laisse avec ces films que vous croiserez au fil des pages du roman dans lequel il sont cités plus ou moins explicitement…

    Pour certains, vous retrouverez mes critiques ci-dessous. Je remercie Universcine.com pour ce magnifique coup de projecteur.

    En rouge, les films dont mes critiques figurent ci-dessous.

    César et Rosalie de Claude Sautet

    Monsieur Klein de Joseph Losey

    In the mood for love de Wong Kar Wai

    La tortue rouge de Michael Dudok de Wit

    Le temps de l'innocence de Martin Scorsese

    Les parapluies de Cherbourg de Jacques  Demy

    Les choses de la vie de Claude Sautet

    La main au collet d'Alfred Hitchcock

    La bête humaine de Jean Renoir

    Deux hommes dans la ville de José Giovanni

    Le Train de Pierre Granier-Deferre

    Une vie cachée de Terrence Malick

    Le Chat de Pierre Granier-Deferre

    Sueurs froides d'Alfred Hitchcock

    Lawrence d'Arabie de David Lean

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  • Critique de BOLÉRO d’ANNE FONTAINE

    Critique Bolero Anne Fontaine.jpg

    Boléro. Cette œuvre de Ravel mondialement (re)connue est jouée tous les quarts d’heure quelque part dans le monde. C’est aussi le titre anglais d’un célèbre film de 1981 de Claude Lelouch, Les uns et les autres. Qui ne connaît pas ce thème entêtant, d’une sensualité envoûtante, répété dix-sept fois ? Mais connaît-on vraiment la genèse de cette musique ? Connaît-on vraiment Maurice Ravel ?

    En 1928, alors que Paris vit au rythme des années folles, l’exubérante et fantasque danseuse Ida Rubinstein (Jeanne Balibar), ex-danseuse des Ballets Russes, devenue la star et la productrice de ses propres spectacles, commande à Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) la musique de son prochain ballet qu’elle veut d’influence espagnole. En panne d’inspiration, le compositeur va alors plonger au plus profond de lui-même pour créer son œuvre universelle, le Boléro, imprégné des pages de sa vie et des sons qui ont jalonné son existence, de ses souvenirs de la Grande Guerre à ceux liés à l’amour impossible qu’il éprouve pour sa muse Misia Sert (Doria Tillier).

    Après le générique, un montage qui compile une multitude de versions du Boléro aux quatre coins du monde et dans tous les styles musicaux, le début du film nous présente un Maurice Ravel déambulant dans les travées d’une usine (son père était ainsi ingénieur), au son du bourdonnement des machines. À ses côtés se trouve la flamboyante Ida Rubinstein qui trouve tout « prodigieux ».

    Le scénario a été écrit par Anne Fontaine, d’après l’œuvre de Marcel Marnat, avec Claire Barré, et la collaboration de Jacques Fieschi et Pierre Trividic. Jacques Fieschi a notamment écrit le scénario d’Un cœur en hiver de Claude Sautet dans lequel la musique de Ravel transcrit les dissonances des cœurs et les sentiments insondables des personnages, un film inspiré d’Un héros de notre temps de Lermontov, un héros dont la personnalité présente des similitudes avec Ravel, claquemuré dans sa musique et cet amour indicible.

    Dans Les Forêts de Sibérie, la sobriété et la justesse du jeu de Raphaël Personnaz seyait déjà parfaitement au personnage dont on percevait d’autant mieux les changements qui s’opèrent en lui au fil du temps et qui le transfigurent, celui-ci retrouvant peu à peu la pureté et la spontanéité des joies enfantines. Depuis que Tavernier l’a révélé au grand public dans le rôle du Duc d’Anjou dans La Princesse de Montpensier, un film d’une âpre beauté dont la fièvre contenue explose au dénouement en un paradoxal et tragique silence (il avait d’ailleurs avant déjà tourné dans de nombreux films), Raphaël Personnaz ne cesse de prouver son talent par l’intelligence de ses choix et l’éclectisme de ses interprétations, avec toujours une indéniable présence magnétique : Tavernier à nouveau (Quai d’Orsay), Corsini (Trois mondes),  Marius et Fanny de Daniel Auteuil, L’affaire SK1 de Frédéric Tellier… sans oublier le romantique After de Géraldine Maillet ou plus récemment Le Tourbillon de la Vie de Olivier Treiner dans lequel il passe du rôle du jeune premier irrésistible à l’homme plus ambivalent, mathématicien brillant qui perd peu à peu de vue ses rêves et son éthique par appât du gain.

    Lui-même pianiste, Raphaël Personnaz, amaigri de dix kilos pour ce rôle, par un jeu sobre mais habité et convaincant, nous fait entrer magistralement dans la tête de Ravel tout en reflétant son mystère, son introversion, sa droiture (physique et morale), sa délicatesse, sa retenue mais aussi son insatisfaction perfectionniste.

    À l’exception de son ami Cipa (Vincent Perez), autour de lui ne gravitent que des femmes au premier rang desquelles son amie, amour impossible et muse, Misia Sert (Doria Tillier). Une mécène qui a eu une vie trépidante qui mériterait un film entier. Chaque rencontre entre eux est un moment suspendu comme lorsque Ravel ôte délicatement un bijou de son cou, un moment qui possède la force émouvante de l’étreinte que lui refuse Ravel. Mais aussi, autour de lui : Anne Alvaro dans le rôle de la mère, Sophie Guillemin dans le rôle de Madame Rouveleau, la gouvernante, Emmanuelle Devos dans le rôle de la pianiste Marguerite Long.

    « Je n'ai écrit qu'un seul chef-d'œuvre, le Boléro, malheureusement il est vide de musique » disait Ravel. Le film rend pourtant magnifiquement hommage à la richesse d’inspiration de cette musique pour la composition de laquelle Ravel a puisé dans un maelström de souvenirs : du jazz lors d’une tournée américaine, à la folie de la première guerre mondiale, au cliquetis du réveil ou de la pluie… Lors de la première du Boléro à l'Opéra de Paris, le 22 novembre 1928, la puissance sensuelle et hypnotique de sa musique exacerbée par la danse d'Ida Rubinstein, une parabole de la vie qui s’achève dans le chaos, emportera l’adhésion du public, jusqu’au critique le plus féroce (et imbuvable) Lalo, interprété par le pianiste Alexandre Tharaud, conseiller sur le film. Ce dernier a par ailleurs enregistré les musiques du film, interprétant les parties au piano, tandis que la musique originale de Bruno Coulais reflète les tourments intérieurs de Ravel.

    L’intelligence de la structure du scénario, avec sa construction sensorielle et cyclique, consiste à lui faire épouser le mécanisme de « construction » impressionniste du chef-d’œuvre de Ravel, jusqu’au crescendo, comme une plongée palpitante dans les affres de la création. Anne Fontaine collabore ici pour la quatrième fois avec le directeur de la photographie Christophe Beaucarne. Ils ont tous deux œuvré à ce travail sur les sensations, et à rendre visible l’invisible : le processus créatif.  Anne Fontaine a tourné dans la vraie maison de Ravel, Le Belvédère, à Montfort-l'Amaury dans les Yvelines dont on ressent l’étroitesse.

    La réalisatrice se penche donc de nouveau sur une personnalité emblématique de l’entre-deux guerres après Coco avant Chanel (2009). Après le vertigineux Maestro de Bradley Cooper sur Leonard Bernstein (Netflix), c’est cette fois le cinéma français qui s’intéresse à un compositeur (on retrouve d’ailleurs là aussi Netflix au générique). Anne Fontaine ajoute ainsi une pierre à l’édifice d’une filmographie riche et diversifiée, du récent, intense et sous-estimé Police au fascinant Entre ses mains. Quelques mots sur ce film si vous ne l’avez pas déjà vu… La fascination est celle qu’exerce sur Claire (Isabelle Carré), assureur, Laurent, le singulier vétérinaire (Benoît Poelvoorde), venu déclarer un sinistre. Celle qu’exerce sur le spectateur ce film troublant et son duo d’acteurs étonnants. C’est bientôt Noël, c’est à Lille et un tueur en séries sévit depuis quelques jours. Leur rencontre se déroule a priori dans un cadre anodin mais peu à peu la quotidienneté va laisser la place à l’étrangeté d’une relation magnifiquement tragique… Anne Fontaine dissèque brillamment chaque frémissement, chaque tremblement dans cette tranquille ville de province soudainement en proie à la violence comme la tranquille Claire est en proie (la proie aussi) à celle de ses désirs. Les regards hésitants, égarés, déstabilisants, déstabilisés, de Poelvoorde, expriment une pluralité de possibles, l’impensable surtout. L’amour impossible est ici en effet amour impensable. Un film effroyablement envoûtant, dérangeant. Captivant. Fascinant, définitivement. De son Coco avant Chanel, on se souvient de cette caméra qui glisse avec sensualité sur les étoffes et caresse amoureusement le noir et blanc. On retrouve cette langueur envoûtante dans Boléro, dans le froissement des gants sur la peau.

    Le film s’achève sur la danse de François Alu tandis qu’un Ravel ayant retrouvé la force de sa jeunesse dirige avec fougue l’orchestre qui interprète le Boléro. Immortels. L’émotion qui parcourt subtilement et discrètement le film s'immisce peu à peu en nous comme une musique entêtante et nous emporte à la fin comme l'issue du crescendo du Bolero qui nous laisse ko. Elle est à l’image de la personnalité de Ravel, contenue, mais jaillissant par moments avec puissance, comme quand l’adulte qu’il est devenu, depuis l’embrasure d’une porte, revoit l’enfant qu’il était écouter les leçons bienveillantes de sa mère, rappelant cette phrase du film prononcé par Ravel : « C’est sérieux comme l’enfance, la beauté. »

    Un film qui nous donne envie de (ré)écouter le Boléro à la lueur de la personnalité de celui qui l’a composé que ce film éclaire (bien heureusement) sans en lever toutes les passionnantes zones d’ombre, mais aussi d’autres œuvres célèbres comme Daphnie et Chloé, La Valse, Jeux d’eau, Pavane pour une infante défunte… 

    Pour terminer un passage d’une déclaration de Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts, à l'enterrement de Ravel, qui en parle mieux que je ne le ferais :

    « Dans le langage et dans l'univers de la musique, et sans jamais briser ni dépasser cet univers, mais au contraire en usant jusqu'à l'infini et avec une généreuse, une inépuisable malice, de toutes les ressources de cet univers, Maurice Ravel s'est efforcé de montrer tout ce que sa merveilleuse intelligence était capable d'accomplir, tout ce qu'elle était capable d'exprimer. Et cela sans négliger les choses obscures, ni les choses douloureuses, ni les choses passionnées. Sans non plus tomber dans la virtuosité pour la virtuosité, la parade pour la parade. Le sortilège ravélien n'est pas une simple prestidigitation ; il n'est pas seulement éblouissant. Il n'y a nulle sécheresse en lui. Et s'il est sans grandiloquence, cela ne veut pas dire qu'il soit sans grandeur. Sa grandeur vient justement de cette vigilance perpétuelle de l'intelligence, de cette présence constante de l'esprit qui mesure, cherche, indique, décompose, connaît et au besoin sourit. »

  • DELON MELVILLE, LA SOLITUDE DE DEUX SAMOURAÏS, un documentaire de LAURENT GALINON (à voir sur Ciné + Classic)

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    Le Samouraï (1967). Le Cercle rouge (1970). Un flic (1972). Trois polars mythiques sur lesquels Melville et Delon ont collaboré. C’est à ces trois films et à la solitude de ces deux « samouraïs » que s’intéresse le passionnant documentaire de Laurent Galinon (également auteur du livre Alain Delon en clair-obscur ) à voir sur la plateforme de Canal + et sur Ciné + Classic (24.02 à 19h55, 28.02 à 23h, 28.02 à 23h, 03.03 à 19H55), entre témoignages, images de tournages et séquences des films.

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     Dans la soirée du 2 août 1973, alors qu'il est attablé dans un restaurant de la Côte d'Azur, Alain Delon apprend que Jean-Pierre Melville a fait un malaise à Paris. Immédiatement, il prend sa voiture et remonte en pleine nuit vers Paris pour se rendre au chevet de son réalisateur fétiche qui est, avant tout, un ami, un modèle, un père de substitution.

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    L’atmosphère du documentaire est-elle-même judicieusement melvillienne (laquelle se caractérise par une lumière grisonnante, bleutée, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, d’ombres condamnées à la clandestinité pour agir), grâce à sa photographie sombrement envoûtante (de Matthieu Moerlen), accompagnée d’une musique qui l’est tout autant (remarquable,d’Olivier Casassus), portée par un magnifique texte prononcé en voix off par Judith Perrignon.

    Ce documentaire est ainsi « l’antithèse d’une époque hystérique » comme l’a qualifié son réalisateur, et s’intéresse à celui qui se composait « le visage de la mort », « soleil noir » fascinant, à ses relations avec Melville, mais aussi à la beauté foudroyante des silences melvilliens (des silences qui semblaient régir aussi les relations entre les deux hommes). N’oublions pas que le premier long-métrage du cinéaste fut Le silence de la mer.

    Quelques digressions pour vous donner envie de voir ce documentaire qui lui-même donne furieusement envie de (re)voir les films de Melville, et en particulier les trois précités...

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     Rappelez-vous d’abord ce premier plan du film Le Samouraï. Delon est à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte. Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » (une phrase censée provenir du Bushido, et en fait inventée par Melville). Une introduction placée sous le sceau de la noirceur et de la fatalité comme celui du Cercle rouge au début duquel on peut lire la phrase suivante : «  Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit :  Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna) ». Ensuite, avec calme et froideur, Costello enfile sa « panoplie », trench-coat et chapeau (qui ressemble tant à celle de Melville), tandis que son regard bleu acier affronte son image élégante et glaciale dans le miroir. Le ton est donné, celui d’un hiératisme silencieux et captivant qui ne sied pas forcément à notre époque agitée et tonitruante. Pendant le premier quart d’heure du film, Costello va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Les dialogues sont d’ailleurs rares tout au long du film mais ils ont la précision chirurgicale et glaciale des meurtres et des actes de Costello, et un rythme d’une justesse implacable : « Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. - C’est une règle ? -  Une habitude. »

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    Solitude encore avec le début du Cercle rouge lorsque deux hommes rentrent en silence dans une cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l’un est policier et l’autre un prévenu. Il n’y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Seuls.  Dans Le Cercle rouge, cette économie de mots est portée à son apogée avec la longue -25 minutes !- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu’une parole ne soit échangée.


    Dans Le Samouraï, le plan du début et celui de la fin se répondent ainsi ingénieusement : deux solitudes (encore…) qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant.  Une danse de regards avec la mort annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue, comme dans Le Cercle rouge. Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité. La mise en scène de Melville est un modèle du genre, très épurée (inspirée des estampes japonaises), mise en valeur par la magnifique photographie d’Henri Decae, entre rues grises et désertes, atmosphère âpre du 36 quai des Orfèvres, passerelle métallique de la gare, couloirs gris, et l’atmosphère plus lumineuse de la boîte de jazz ou l’appartement de Jane. Il porte à la fois le polar à son paroxysme mais le révolutionne aussi, chaque acte de Costello étant d’une solennité dénuée de tout aspect spectaculaire.

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    Et pour établir encore une digression dans ces digressions, rappelez-vous aussi le premier plan de L’armée des ombres, qui joue aussi de cette sensation d’étirement du temps. Une place vide puis les bruits de bottes hors champ des soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Ensuite vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre et pluvieuse, est déjà plantée.

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    Ces trois films ne seraient sans doute pas des chefs-d’œuvre sans la présence d’Alain Delon, et le documentaire le démontre magnifiquement. Dans Le Samouraï, il parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant, dont le regard, l’espace d’un instant, lors d’une scène face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. Alain Delon, lui-même n'était sans doute pas si éloigné de ce samouraï charismatique dont le seul vrai ami est un oiseau, loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel, comme il n’était pas si éloigné du gangster désabusé et hiératique du Cercle rouge.

    Le documentaire nous rappelle (notamment !) que Melville possédait ses propres studios, les studios Jenner, des studios ravagés par un incendie lors duquel périt le bouvreuil du Samouraï.  Vous l’aurez compris, je vous encourage vivement à regarder ce documentaire, que vous soyez comme moi inconditionnels du cinéma melvillien et de ces trois films avec Delon (vous apprendrez forcément des choses, et l’atmosphère très melvilienne du film ne pourra que vous séduire ) ou que vous ne le connaissiez pas et souhaitiez les découvrir comme le documentaire vous y incitera certainement tant il dépeint si bien la singularité fascinante du cinéma melvillien, mais aussi de ces deux hommes solitaires et de leurs relations.

    Delon/Melville, la solitude de 2 samouraïs, un documentaire de Laurent Galinon, dès cette semaine sur Ciné + classic.

  • CRITIQUE de LA BÊTE de Bertrand Bonello

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    N’écoutez pas ceux qui vous diront que ce film (2H26) est trop long, opaque, rébarbatif, labyrinthique au point de vous égarer. Si vous acceptez de vous laisser embarquer, parfois dérouter, peu à peu s’insinuera en vous la magie de ce film hybride, profond, puissant, hypnotique, dont l’émotion, à l’image de celles qui s’emparent de son héroïne, s’insinuera peu à peu en vous pour vous saisir et vous terrasser au dénouement qui en éclaire tragiquement les zones d’ombre.

    Tout commence ainsi : au milieu d’un décor constitué uniquement d’un fond vert, une actrice (Léa Seydoux) suit les instructions données par un metteur en scène invisible qui lui demande de jouer la terreur face à une bête menaçante, elle aussi invisible, puis de s’emparer d’un couteau posé sur une table. Un écho à la dernière scène du film, aussi sublime que glaçante (croyez-moi, ce serait dommage de ne pas poursuivre ce déroutant voyage jusque-là). Tout est dit là, déjà, dans ces premières minutes. La bête est un mal invisible, une menace insidieuse, et absolument terrifiante. Et un démiurge tout aussi invisible la manipule.

    Le film se déroule sur 3 périodes : 1910, 2014 et 2044. Chaque période correspond à une vie différente de Gabrielle incarnée à chacune d’elles par Léa Seydoux. À chaque époque, elle rencontre Louis joué par George MacKay. À chaque fois, entre eux, c’est la même attirance irrépressible. À chaque fois, c’est la même issue tragique.

    Ils se rencontrent pour la deuxième fois en 1910. L’atmosphère est magnétique, chaleureuse. Dans une robe de soirée, Gabrielle Monnier, pianiste de renom, déambule dans une soirée, entre différents salons, captive l’attention, cherche son mari, se retrouve face à des tableaux de nus, lugubres et troublants. Mais Gabrielle dissimule un secret, un sentiment très profond, celui que quelque chose de terrible va arriver. Elle l’avait confiée à Louis qu’elle revoit là par hasard quelques années plus tard (nous n’assistons pas à la première rencontre qui eut lieu en Italie) et qui lui rappelle ce qu’elle lui avait dit alors : « Une chose rare, étrange, terrible. Vous étiez convaincue qu’elle finirait par vous foudroyer. »

    Du film en costumes et des salons du début du 20ème siècle, La Bête passe ensuite à la dystopie et nous embarque en 2044, un futur proche pas si éloigné de notre présent, un futur plausible dans lequel il faut choisir entre le travail et les affects. Choix affreux et cornélien qui ne semble pas si utopique. Dans ce monde règne une sérénité qui n’est qu’apparente et qui reflète une réalité effrayante : celle d’une société dont l’idéal consiste à ne plus éprouver. Les rues sont froides, désertes, déshumanisées. Y errent sans communiquer, sans même sembler se voir, des êtres tristement semblables, silhouettes grisâtres armées de masques qui dissimulent totalement traits et expressions. L’intelligence artificielle est là pour « aider à se débarrasser de ses affects. Nettoyer son ADN. Replonger dans ses vies antérieures. Se purifier des traumatismes hérités depuis des siècles. » Gabrielle passe un entretien d’embauche lors duquel elle répond à des questions posées par une voix off (celle de Xavier Dolan, coproducteur du film).  Elle y croise de nouveau Louis, venu pour la même raison qu’elle, et de nouveau ils sont aimantés l’un par l’autre. En Gabrielle subsiste pourtant cette peur : celle d’une catastrophe qui va surgir. Malgré ses réticences, elle finit par accepter de nettoyer son ADN. On l’immerge dans un bain constitué d’un liquide noir, un robot lui fait une piqûre dans l’oreille et ses émotions sont alors censées disparaître.

    La Bête est adaptée d’une longue nouvelle d’Henry James intitulée La Bête dans la jungle, parue pour la première fois dans le recueil The Better Sort en 1903, l’histoire d’un homme qui attend un événement extraordinaire. Il demande à une femme de l’attendre avec lui. Ce sont six chapitres qui relatent la singulière liaison entre May Bartram et John Marcher. « Il ne tient qu’à vous … si vous restez aux aguets avec moi » dit John. « Je resterai avec vous aux aguets », répond May.  « Quelque chose se tenait embusqué quelque part le long de la route sinueuse de son destin comme une bête à l’affût se tapit dans l’ombre de la jungle, prête à bondir » écrit encore Henry James. Ce récit a déjà été porté au cinéma par Patric Chiha, l’an passé.

    Pour savoir ce qu’est véritablement cette « bête fauve tapie dans la jungle » et qui terrifie et pourchasse Gabrielle à travers le temps, il vous faudra attendre la dernière minute du film. Mais cette bête dangereuse et fascinante, c’est aussi l’amour. Ce vertige foudroyant. Ce doux risque. Cette tendre douleur dont en 2044 on veut se débarrasser. Cette joie et cette souffrance, pour reprendre une expression chère à Truffaut (dans La Sirène du Mississippi et dans Le dernier métro). Ou ces quelques vers de Prévert  :

    Le tendre et dangereux
    visage de l’amour
    m’est apparu un soir
    après un trop long jour
    blessure de l’amour

    [...]

    Tout ce que je sais
    c’est qu’il m’a blessée
    blessée au cœur
    et pour toujours

    En 2044, l’émotion est vécue comme une menace.  Un risque qu’on ne veut plus prendre. « Lequel est le plus fort ? Votre peur ? Ou votre amour pour moi ? »  demande ainsi Louis à Gabrielle.  « Il y a forcément un risque. Mais un risque, c'est beau. C'est fort, c'est vivant. » La Bête, en représentant leur potentielle disparition exalte les sentiments, leur puissance, leur nécessité, la beauté des réminiscences qui dévorent et exaltent. Se faire ôter toute capacité à éprouver, même les émotions les plus perturbantes, n’est-ce pas après tout perdre toute humanité ? « Ça rend vivant, l'angoisse », souligne ainsi Gabrielle.

    Dans ce film foisonnant, les prestigieuses références abondent elles aussi. Que ce soit avid Lynch  ou encore Alain Resnais, entre Je t'aime, je t'aime (l’histoire d’un homme dépressif qui a tenté de se suicider et qui devient le cobaye d'une machine à remonter le temps qui lui fait revivre une histoire d'amour tragique dans une chronologie aléatoire) et L’amour à mort (Déclaré cliniquement mort, un homme ressuscite quelques instants après son décès. Bouleversé par cette expérience, il retrouve la femme avec qui il vivait une intense histoire d'amour et entend bien profiter pleinement du temps qui lui reste à vivre).

    Dans ce monde-là, il n’y a plus de place pour l’amour que l’art représente, mis en scène à chaque époque du film, que ce soit avec les nus en 1910, avec l’opéra ( Madame Butterfly de Puccini) ou encore avec la musique qui, dans une boîte de nuit (qui change de nom empruntée à chaque fois à une année différente, la boîte de nuit diffusant alors uniquement la musique de cette année-là), décuple les émotions, ces émotions que l’IA incarnée par Guslagie Malanda qui accompagne Gabrielle ne ressent plus. Comme toutes ces poupées que fabrique le mari de Gabrielle dans son usine : des êtres devenus des corps désincarnés, blêmes, interchangeables.

    La beauté changeante de Léa Seydoux s’adapte parfaitement à chaque époque. Certains critiquent son jeu. Je la trouve au contraire d’une justesse implacable. Et lors d’une scène où son visage se mue de la gaieté en celui d’une poupée, par la seule force de son jeu et de la mobilité de son visage, en un quart de seconde elle fait plonger le film dans le fantastique. Magistral ! À chaque époque elle semble une femme différente, seules demeurent communes ce qu’on cherche à lui retirer : ses émotions. La Bête est dédiée à Gaspard Ulliel qui devait à l'origine incarner Louis. Après son décès brutal en 2022, c’est donc George MacKay qui le remplace, et son mélange d’élégance, de mystère, de retenue (avec une palette de jeu impressionnante, entre le Louis de 1910 et celui de 2014) en font un parfait Louis, aussi séduisant que parfois inquiétant.

    Ce film inventif et hybride, romantique, fantastique, vous emporte dans son vertige d’une beauté étourdissante, parfois aux frontières de l’effroi, porté par ce désir constamment suspendu, latent, retenu, éternel qui survit au temps, à la mort, et résiste même à un monde abreuvé d’images et sons, aveuglants et assourdissants. Formellement, l’inventivité est aussi au rendez-vous tant dans la réalisation que dans le montage, entre une scène de suspense où le feu extérieur succède au feu intérieur, à une scène qui use du split screen avec maestria.

    De la partition de Schönberg que Gabrielle doit jouer, à Puccini, mais aussi à sa musique originale (composée par Bonello lui-même avec sa fille Anna), entre piano et harpe, la musique est elle aussi formidablement hybride mais surtout un vecteur de ces émotions que l’intelligence artificielle voudrait annihiler. Mais aussi avec des emprunts ingénieux comme une chanson de Salvatore Adamo en japonais, la musique country de Patsy Cline, la musique italienne de Gino Paoli, un rock de Joseph Tanner et Roy Orbison…

    Un film qui, s’il avait été présenté à Cannes, aurait constitué une magnifique palme d’or tant il est parfait sur (et dans) tous les plans : mise en scène, interprétation, scénario (magnifiques dialogues aussi, quelques phrases empruntées à Henry James dans la partie de 1910), musique, le tout avec une résonance sociétale.

    Cet amour labyrinthique et cette histoire tentaculaire continuent de résonner intensément en moi plusieurs jours après l’avoir vu. Un film passionnant, autant dans les scènes intimes que dans les scènes spectaculaires, avec certains plans inoubliables, de mains qui se frôlent et s’étreignent, d’un incendie qui menace et ravage (au propre comme au figuré), de rues de Paris englouties sous les eaux… Une magnifique histoire d’amour impossible, une dystopie terrifiante et fascinante, imprégné d’un désir contenu, bouleversant et foudroyant au dénouement. Une adaptation inventive qui prouve la force de ce que la bête voudrait détruire : les sentiments. Une démonstration incontestable aussi de leur nécessité, jusque dans le générique, à la forme glaçante. Un très grand film. 

  • Palmarès des Paris Film Critics Awards 2024

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    « Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants. » Cette phrase de Marcel Pagnol a été citée dans l’introduction du magnifique discours de Vincent Lindon, le récipiendaire du Prix d’honneur des Paris Film Critics Awards 2024 dont a eu lieu hier soir la troisième édition, particulièrement réussie. Des joies, le cinéma m’en a procuré tant, devant et au-delà de l’écran, fiction et réalité s’entrelaçant parfois en un tango endiablé.  Des joies à l’image de celles procurées par les films primés cette année.

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    Damien Chazelle © Paris Film Critics

    En tête des lauréats figurent ainsi 2 films (4 récompenses chacun) pour lesquels j'avais partagé longuement mon enthousiasme ici : Anatomie d’une chute de Justine Triet  (meilleur film, meilleure actrice pour Sandra Hüller, meilleur scénario original, meilleur montage) et Babylon de Damien Chazelle (meilleur réalisateur, Brad Pitt meilleur acteur dans un second rôle, meilleure musique originale, meilleurs décors).

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    Le jury des Paris Film Critics Awards est constitué d’un collège de votants composé de 100 critiques et journalistes professionnels de cinéma et culture basés à Paris (l’académie des Paris Film Critics) dont j’ai le plaisir de faire partie. L’académie en question désigne ainsi les meilleurs longs-métrages (sortis en salles ou sur des plateformes durant l’année 2023) et talents du cinéma français et international en compétition lors de cette 3ème édition des Paris Film Critics Awards.

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    Créés à l’initiative de Sam Bobino (fondateur & co-président du Festival du Film de La Baule -vous pouvez retrouver ici mon compte-rendu de la dernière édition de ce festival-, délégué général de la Semaine du Cinéma Positif à Cannes), les 3èmes Paris Film Critics Awards ont été décernés lors d’une cérémonie qui a eu lieu ce 4 février  au Silencio des Prés, présentée par les journalistes et membres de l’académie, Elodie Suigo (France Info) et Kevin Elarbi (Canal+ / Le Cercle).

    À l’image des New York Film Critics Circle Awards, Los Angeles Film Critics Association Awards ou London Critics Film Awards, les Paris Film Critics Awards récompensent chaque année le meilleur du cinéma mondial.

    Parmi les nouveautés cette année : la création de trois nouveaux prix, celui des meilleurs costumes, de la contribution exceptionnelle au cinéma et celui rendant hommage à une institution majeure du cinéma (cette année, la Warner Bros.).

    Le palmarès de la première édition des Paris Film Critics Awards avait couronné beaucoup de films français et avait ainsi témoigné de la diversité de la production cinématographique française, ce qui fut d'ailleurs à nouveau le cas l’an passé. En 2022, c’est ainsi le long-métrage de Xavier Giannoli, Illusions perdues, qui avait reçu le Paris Film Critics Awards du meilleur film tandis que son acteur Vincent Lacoste recevait celui du meilleur second rôle masculin pour cette adaptation magistrale du chef-d’œuvre de Balzac. Vous pouvez retrouver mon compte-rendu complet de cette première édition des Paris Film Critics Awards ainsi que le palmarès, dans mon article, ici. L’an passé, La Nuit du 12 avait été élu meilleur film de l’année. Le film de Dominik Moll avait également reçu le prix de la meilleure adaptation et du meilleur second rôle féminin par Anouk Grinberg. Je vous invite à lire mon récit complet de la cérémonie 2023 et le détail du palmarès ici.

    Cette année, c'est donc à nouveau un film français qui a reçu le Paris Film Critics Award du film de l'annnée.

    Cette cérémonie a également rendu hommage à deux figures marquantes du cinéma international en attribuant un prix d’honneur à Vincent Lindon et un prix pour l’ensemble d’une carrière à Jerry Schatzberg (à l’issue de la cérémonie a été également diffusé le documentaire de Pierre Filmon, Jerry Schatzberg portrait paysage, dont vous pouvez lire ma critique en bas de cet article).

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    Un prix de la contribution exceptionnelle au cinéma a également été attribué au critique de cinéma récemment disparu, Michel Ciment.

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    « Tout art aspire à la musique », « Il n’y a rien de plus magique qu’un tournage de film ». Ces deux citations extraites de Babylon de Damien Chazelle donnent une idée de l’impression qui subsiste après ce voyage étourdissant, cette épopée à dessein cacophonique et fougueuse qui exhale une fièvre qui nous emporte comme un morceau de jazz échevelé, ce jazz qui parcourt le film avec cette bo remarquable, énergique et entêtante, tantôt lyrique tantôt sauvage, signée Justin Hurwitz. La musique sert aussi de lien dans ce film de désordres assumés.  Un film délicieusement excessif qui trouve indéniablement la musique à laquelle il aspire. Puissante. Envoûtante. Démente.  Un film d’une captivante extravagance, effervescent et mélancolique, un chaos étourdissant aussi repoussant qu’envoûtant, qui heurte et emporte, une parabole du cinéma avec son mouvement perpétuel, dont vous ne pourrez que tomber amoureux si vous aimez le cinéma parce qu’il en est la quintessence éblouissante et novatrice.

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    Avec Anatomie d’une chute, Justine Triet et Arthur Harari (coscénariste) livrent un film palpitant sur le doute, le récit, la vérité, la complexité du couple, et plus largement des êtres. Un film qui fait une confiance absolue au spectateur. Un film dont le rythme ne faiblit jamais, que vous verrez au travers du regard de Daniel, l'enfant que ce drame va faire grandir violemment, comme lui perdu entre le mensonge et la vérité, juge et démiurge d’une histoire qui interroge avec maestria les pouvoirs et les dangers de la fiction. Sandra Hüller, récompensée hier, est impressionnante d’opacité, de froideur, de maitrise, d’ambiguïté dans ce personnage de femme libre à la personnalité retorse. Plus que de vérité, il est question de réécriture de la vérité, de choix de récit et c’est aussi cela, ce questionnement sur l’écriture, qui rend cette histoire passionnante.

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    Si le lauréat du Paris Film Critics Award du documentaire, signé Kaouther Ben Hania, Les Filles d’Olfa interroge aussi la notion de vérité, il nous interpelle également sur le cycle de la violence. Une mise en abyme, une théâtralisation du réel intéressante pour les questions avec lesquelles elle nous laisse et que cela fait émerger, les doutes sur la réécriture de la réalité. Finalement, c’est aussi à une « anatomie d’une chute » que procède Kaouther Ben Hania, presque une enquête pour comprendre comment deux jeunes filles gaies et lumineuses ont pu ainsi se radicaliser, se tourner vers la noirceur, l’obscurantisme et la violence aveugle et inouïe. La musique d’Amine Bouhafa amplifie encore l’émotion. Par ce dispositif, la réalisatrice exalte aussi le rôle de la parole, là où elle n’était plus possible avec celles qui ne voulaient plus entendre que leur vérité, dogmatique. Le dernier regard face caméra nous hantera longtemps et renforce nos interrogations. Ce documentaire qui ne cède jamais au manichéisme, et qui brouille intelligemment la frontière entre réalité et fiction, pour mieux enfanter la vérité, est aussi original que fascinant, citoyen, instructif et poignant.

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    Kaouther Ben Hania, Nadim Cheikhrouha © Rachid Bellak

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    Bravo également à Ella Rumpf pour son prix de la meilleure révélation féminine pour un film dont je vous avais longuement parlé à l'occasion du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2023, dans le cadre duquel je l'avais découvert : Le Théorème des Marguerite d'Anna Novion. Un sublime portrait de femme et une brillante dissection métaphorique des effets de la création, de la solitude et de l'abnégation qu'elle implique, mais surtout un film sensible, parfaitement écrit et interprété, passionnant de la première à la dernière seconde.

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    Ella Rumpf © Jérôme Domine

    Le prix d'honneur attribué à Vincent Lindon récompense les quarante ans de carrière d’un artiste complet, prix d’interprétation au Festival de Cannes en 2015 pour La loi du Marché de Stéphane Brizé, suivi d’un César en 2016, un film qu’il a également co-produit tout comme Un autre monde (2021) du même Stéphane Brizé. Mais aussi interprète principal et inoubliable dans des films incontournables du cinéma français comme La Crise de Coline Serreau (1992), Fred et Ma Petite Entreprise de Pierre Jolivet (1997 et 1999), La Moustache d’Emmanuel Carrère (2004), Welcome de Philippe Lioret (2009), Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé (2009), Pater d’Alain Cavalier – dont il est aussi co-scénariste – (2011), Quelques heures de Printemps de Stéphane Brizé (2012), Rodin de Jacques Doillon (2017), En Guerre de Stéphane Brizé (2018) ou plus récemment Titane de Julia Ducournau (Palme d’or à Cannes en 2021), Enquête sur un Scandale d’État de Thierry de Peretti (2021), Un autre Monde – pour lequel il retrouve Stéphane Brizé – (2021) et Avec Amour et Acharnement de Claire Denis (2022). En 2022, il a été président du jury de la 75ème édition du Festival de Cannes où il a succédé à Spike Lee. Vincent Lindon est actuellement à l’affiche de la nouvelle série phare de Canal+, D’Argent et de Sang, créée par Xavier Giannoli et dans laquelle il tient le rôle principal. On le retrouvera prochainement dans les nouveaux films de Nicolas Boukhrief, Delphine et Muriel Coulin, Gilles Bourdos et Quentin Dupieux.

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    Vincent Lindon et Sam Bobino © Jérôme Domine

     

    Quelques oubliés du palmarès (qui figuraient parmi les films en lice, l'occasion pour moi de vous en parler à nouveau afin de vous inciter à les découvrir de même que les films figurant au palmarès) :

    -The Fabelmans : la une déclaration d’amour fou à ses parents et au cinéma de Spielberg. Film mélancolique, flamboyant, intime et universel. Ode aux rêves qu’il faut poursuivre coûte que coûte, malgré le danger, comme on pourchasserait une tornade dévastatrice. Un film sur le pardon, la curiosité. À fleur de peau. À fleur d’enfance. La force du cinéma en un film. Le cinéma qui transcende, transporte, révèle. Qui mythifie la réalité et débusque le réel. Le cinéma qui éclaire et sublime la réalité comme une danse à la lueur des phares. L’art cathartique aussi comme instrument de distanciation. L’art qui capture la beauté, même tragique. 

     - Tár, avec Cate Blanchett, prodigieuse dans cette ode à la polysémie et à la complexité humaines et artistiques, aussi palpitante qu’un thriller dont l’énigme consiste à découvrir qui était Linda Tarr devenue Lydia Tár.  La force du film réside dans le fait de ne pas la lever totalement, donnant juste quelques pistes dans l'alcôve d'une modeste maison d'enfance américaine dans laquelle elle croise un frère dédaigneux.

    Parmi les oubliésn India Hair, magistrale dans le premier long-métrage de Delphine Deloget, Rien à perdre, mais aussi Koji Yakusho, l’acteur de Perfect days, la promenade poétique de Wim Wenders dont on ressort avec l’envie de croire en tous les possibles de l’existence que ce film esquisse avec une infinie délicatesse.

    Je regrette que The Son de Florian Zeller n'ait pas été récompensé pour l'adaptation, seul prix pour lequel ce film était nommé. Un film sur les cœurs déchirés, meurtris, inconsolables, dévorés par la souffrance, l’impuissance ou la culpabilité. Une magistrale tragédie universelle dont la réalisation fait contraster ces espaces gris et déshumanisés de New York avec les jours ensoleillés, épousant l’instabilité des êtres, avec la caméra qui caresse les espaces inertes ou un chapeau qui s’égare dans les flots pour dire les souvenirs broyés, ou encore pour chavirer devant la beauté lumineuse, fugace et renversante d’une danse au son de It’s not unusual de Tom Jones puis de Wolf de Awir Leon, une joie évincée en un éclair comme le sera un personnage par un brillant mouvement de caméra.

    Autre oublié, le long-métrage renversant d’émotions de Charlotte Wells, Aftersun en premier film, un film avec un dernier plan inoubliable. Un dernier plan qui évoque le vide et le mystère que laissent les (êtres et moments, essentiels) disparus, et les instants en apparence futiles dont on réalise trop tard qu’ils étaient cruciaux, fragiles et uniques. Celui du manque impossible à combler. Celui du (couloir) du temps qui dévore tout. Mais Chien de la casse, qui a reçu ce prix, le méritait en effet au moins autant.

    - Le scénario de L’Innocence de Kore-eda (récompensé lors du dernier Festival de Cannes) ne pouvait que figurer parmi les nommés même s'il était sans doute difficile de rivaliser avec celui d'Anatomie d'une chute qui a obtenu cette récompense. Un film qui, là aussi, incarne toute la beauté et la force du cinéma : sonder la complexité des êtres, nous perdre pour mieux nous aider à trouver une vérité, nous trouver aussi parfois, nous éblouir pour nous éclairer (avec ces  plans du début et de fin, enflammé pour l’un et irradié pour l’autre, qui se répondent). Un film doux et poétique sur la rugosité des êtres et de la société japonaise, sur l’enfance et ses cruautés. Un film labyrinthique qui nous ramène à la source du tunnel et du secret qu’il traque comme dans un polar, celui des mystères de l’adolescence et de la fausse innocence des adultes. Un film sur les blessés de la vie, thème cher au cinéaste, comme la famille. Scénario et réalisation magistraux à l’unisson portés par la sublime ultime bo de Ryuichi Sakamoto. 

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    MEILLEUR FILM

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    Marie-Ange_Luciani David Thion © Rachid Bellak

    ANATOMIE D’UNE CHUTE / Justine Triet 
    BABYLON / Damien Chazelle
    JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES / Jeanne Herry
    KILLERS OF THE FLOWER MOON / Martin Scorsese
    OPPENHEIMER / Christopher Nolan
    L’ENLÈVEMENT / Marco Bellocchio
    THE FABELMANS / Steven Spielberg

    MEILLEUR.E RÉALISATEUR.TRICE

    CHRISTOPHER NOLAN / Oppenheimer
    DAMIEN CHAZELLE / Babylon 
    JUSTINE TRIET / Anatomie d’une chute
    STEVEN SPIELBERG / The Fabelmans
    THOMAS CAILLEY / Le Règne animal
    MARCO BELLOCCHIO / L’Enlèvement
    JEANNE HERRY / Je verrai toujours vos visages

    MEILLEURE ACTRICE

    CATE BLANCHET / Tar
    CATHERINE DENEUVE / Bernadette
    HAFSIA HERZI / Le Ravissement
    LEA DRUCKER / L’Été Dernier
    LILY GLADSTONE / Killers of the Flower Moon
    MARION COTILLARD / Little Girl Blue
    SANDRA HÜLLER / Anatomie d’une chute 

    MEILLEUR ACTEUR

    ARIEH WORTHALTER / Le Procès Goldman 
    BENJAMIN LAVERNHE / L’Abbé Pierre – Une vie de combats
    CILLIAN MURPHY / Oppenheimer
    KOJI YAKUSHO / Perfect Days
    PAUL GIAMATTI / Winter Break
    RAPHAËL QUENARD / Yannick
    VINCENT LACOSTE / Le Temps d’aimer

    MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE

    ADÈLE EXARCHOPOULOS / Je verrai toujours vos visages
    BLANCHE GARDIN / Le livre des solutions
    DA’VINE JOY RANDOLPH / Winter Break
    EMILY BLUNT / Oppenheimer
    INDIA HAIR / Rien à Perdre
    MICHÈLE WILLIAMS / The Fabelmans
    NOÉMIE MERLANT / Tar

    MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE

    BRAD PITT / Babylon 
    LOUIS GARREL / Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan
    RAPHAËL QUENARD / Chien de la Casse
    ROBERT DE NIRO / Killers of the Flower Moon
    ROBERT DOWNEY JR. / Oppenheimer
    ROMAIN DURIS / Le Règne Animal
    RYAN GOSLING / Barbie

    MEILLEURE RÉVÉLATION FÉMININE

    CARRIE CROWLEY / The Quiet Girl
    ELLA RUMPF / Le Théorème de Marguerite (Lauréat)
    KIM HIGELIN / Le Consentement
    MAGALIE LÉPINE-BLONDEAU / Simple Comme Sylvain
    MIA MCKENNA-BRUCE / How To Have Sex
    STEPHANE CAILLARD / Flo
    SUZY BEMBA / Le Retour

    MEILLEURE RÉVÉLATION MASCULINE

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    Raphael Quenard © Rachid Bellak

    ARTHUR HARARI / Le Procès Goldman
    DIEGO CALVA / Babylon
    GABRIEL LABELLE / The Fabelmans
    MILO MACHADO GRANER / Anatomie d’une chute
    PAUL KIRCHER / Le Règne Animal
    RAPHAËL QUENARD / Chien de la casse 
    SAMUEL KIRCHER / L’Été Dernier

    MEILLEUR SCÉNARIO ORIGINAL

    ANATOMIE D’UNE CHUTE / Justine Triet, Arthur Harari 
    BABYLON / Damien Chazelle
    JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES / Jeanne Herry
    LE PROCES GOLDMAN / Cédric Khan, Nathalie Herzberg
    LE RÈGNE ANIMAL / Thomas Cailley, Pauline Munier
    L’INNOCENCE / Yüji Sakamoto
    THE FABELMANS / Steven Spielberg, Tony Kushner

    MEILLEURE ADAPTATION

    KILLERS OF THE FLOWER MOON / Eric Roth, Martin Scorsese 
    LE CONSENTEMENT / Vanessa Fiho, Vanessa Springora, François Pirot
    LES ALGUES VERTES / Pierre Jolivet, Inès Léraud
    LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN / Alexandre de La Patellière, Mathieu Delaporte
    MON CRIME / François Ozon
    OPPENHEIMER / Christopher Nolan
    THE SON / Christopher Hampton, Florian Zeller

    MEILLEURE PHOTOGRAPHIE

    ANATOMIE D’UNE CHUTE / Simon Beaufils
    BABYLON / Linus Sandgren
    KILLERS OF THE FLOWER MOON / Rodrigo Prieto
    LA FEMME DE TCHAÏKOVSKI / Vladislav Opelyants
    LE RÈGNE ANIMAL / David Cailley
    OPPENHEIMER / Hoyte van Hoytema 
    THE FABELMANS / Janusz Kaminski

    MEILLEUR MONTAGE

    ANATOMIE D’UNE CHUTE / Laurent Sénéchal 
    BABYLON / Tom Cross
    KILLERS OF THE FLOWER MOON / Thelma Schoonmaker
    LE RÈGNE ANIMAL / Lilian Corbeille
    LE LIVRE DES SOLUTIONS / Élise Fievet
    OPPENHEIMER / Jennifer Lame
    TAR / Monika Willi

    MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE

    BABYLON / Justin Hurwitz 
    DISCO BOY / Vitalic
    LE GARÇON ET LE HÉRON / Joe Hisaiishi
    LE RÈGNE ANIMAL / Andrea Laszlo De Simone
    LINDA VEUT DU POULET ! / Clément Ducol
    OPPENHEIMER / Ludwig Göransson
    THE FABELMANS / John Williams

    MEILLEURS DÉCORS

    BABYLON / Florencia Martin 
    BARBIE / Sarah Greenwood
    KILLERS OF THE FLOWER MOON / Jack Fisk
    LES TROIS MOUSQUETAIRES :
    D’ARTAGNAN / Stéphane Taillasson
    MON CRIME / Jean Rabasse
    OPPENHEIMER / Ruth De Jong
    THE FABELMANS / Rick Carter

    MEILLEURS COSTUMES

    BABYLON / Mary Zophres
    BARBIE / Jacqueline Durran
    KILLERS OF THE FLOWER MOON / Jacqueline West
    LA FEMME DE TCHAÏKOVSKI / Dimitri Andreïev
    L’ENLÈVEMENT / Sergio Ballo, Daria Calvelli
    LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN / Thierry Delettre 
    NAPOLÉON / David Crossman, Janty Yates

    MEILLEUR PREMIER FILM

    AFTERSUN / Charlotte Wells
    BERNADETTE / Léa Domenach
    CHIEN DE LA CASSE / Jean-Baptiste Durand 
    HOW TO HAVE SEX / Molly Manning Walker
    LE RAVISSEMENT / Iris Kaltenback
    RIEN À PERDRE / Delphine Deloget
    VINCENT DOIT MOURIR / Stéphan Castang

    MEILLEUR FILM D’ANIMATION

    INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS / Alain Ughetto
    LE GARÇON ET LE HÉRON / Hayao Miyazaki
    LINDA VEUT DU POULET ! / Chiara Malta, Sébastien Laudenbach
    MARS EXPRESS / Jérémie Périn 
    MON AMI ROBOT / Pablo Berger
    SPIDER MAN : ACROSS THE SPIDER-VERSE / Joaquim Dos Santos, Kemp Powers, Justin K. Thompson
    SUZUME / Makoto Shinkai

    MEILLEUR DOCUMENTAIRE

    LA RIVIÈRE / Dominique Marchais
    LES FILLES D’OLFA / Kaouther Ben Hania 
    LITTLE GIRL BLUE / Mona Achache
    NOTRE CORPS / Claire Simon
    SUR L’ADAMANT / Nicolas Philibert
    TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG VERSÉ / Laura Poitras
    VOYAGE AU PÔLE SUD / Luc Jacquet

    MEILLEURE SÉRIE (ou Mini-Série)

    D’ARGENT ET DE SANG / Xavier Giannoli 
    LA NUIT OU LAURIER GAUDREAULT S’EST RÉVEILLÉ / Xavier Dolan
    POLAR PARK / Gérald Hustache-Mathieu
    SAMBRE / Alice Géraud, Marc Herpoux
    SUCCESSION / Jesse Armstrong
    TAPIE / Tristan Séguéla, Olivier Demangel
    TOUT VA BIEN / Camille de Castelnau

    PRIX D’HONNEUR / HONORARY AWARD

    VINCENT LINDON

    PRIX POUR L’ENSEMBLE D’UNE CARRIÈRE

    JERRY SCHATZBERG

     PRIX DE LA CONTRIBUTION EXCEPTIONNELLE AU CINÉMA

    MICHEL CIMENT

    PRIX DE LA MEILLEURE CONTRIBUTION À L’ART DU CINÉMA

    WARNER BROS.

     

    CRITIQUE DE JERRY SCHATZBERG, PORTRAIT PAYSAGE de PIERRE FILMON

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    Je vous avais déjà parlé de Pierre Filmon, l’an passé, à l’occasion de la sortie de Entre deux trains (Long Time No See), son deuxième long-métrage et son premier long-métrage de fiction pour lequel j’avais eu un énorme coup de cœur. Je vous le recommande à nouveau vivement. Il est désormais disponible en DVD chez Tamasa éditions. Il a d’ailleurs reçu de nombreux prix dans le monde. Il a ainsi parcouru 35 festivals internationaux et 17 pays. Pierre Rochefort a obtenu le prix du meilleur acteur en Espagne. Au Chili, le film a obtenu le prix du Best fiction film. En Inde, au Rajasthan IFF, Pierre Filmon a obtenu deux prix : honorary Award et best directeur. Au Kosovo, le film a obtenu le prix du meilleur film… Et si cela ne suffisait pas pour vous convaincre de le découvrir, vous trouverez à nouveau ma critique ci-dessous.

    Pierre Filmon a réalisé plusieurs courts-métrages et son premier long-métrage, Close encounters with Vilmos Zsigmond, était en Sélection officielle au Festival de Cannes 2016 dans le cadre de Cannes Classics. Ce documentaire est consacré à Vilmos Zsigmond, formidable directeur de la photographie qui a travaillé avec les plus grands réalisateurs : Robert Altman, John Boorman, Steven Spielberg, Brian de Palma, Peter Fonda et… Jerry Schatzberg.

    C’est justement à ce dernier que Pierre Filmon a donc consacré ce dernier documentaire : Jerry Schatzberg, portrait paysage, qui se focalise sur « l’univers photographique de Jerry Schatzberg, jeune homme de 95 ans, le dernier des Mohicans du Nouvel Hollywood, photographe et cinéaste qui a réalisé des films avec Al Pacino, Gene Hackman, Meryl Streep, Faye Dunaway et Morgan Freeman et a obtenu une Palme d’Or en 1973 pour L’épouvantail». Le film a été présenté en Première Mondiale à la 79ème Mostra, en septembre dernier.

    Entre deux trains transpirait déjà la passion du cinéma, avec de nombreuses influences, d’Agnès Varda à David Lean. Et c’est cette même passion de l’art du passionné Pierre Filmon que l’on retrouve dans ce documentaire qui s’intéresse au travaille de photographe de Jerry Schatzberg. Même si vous ne connaissiez pas son travail, vous aviez forcément vu une de ses plus célèbres photos, celle, sublimissime, de Faye Dunaway, auréolée de noir, qui avait été mise à l’honneur sur l’affiche du Festival de Cannes 2011, modèle de grâce, d’épure, de sobriété, de sophistication, de mystère, de classe, de glamour, et même pourvue d’une certaine langueur… Cette photo avait été prise par Jerry Schatzberg en 1970.

    Le documentaire de Pierre Filmon qui est le plus beau des hommages au travail remarquable et fascinant de Jerry Schatzberg est un dialogue de ce dernier avec le critique Michel Ciment au gré d’une exposition lors de laquelle il croise des portraits (dont, d’ailleurs, le sien), l’occasion de revenir sur ces fabuleuses rencontres qui ont donné lieu à ces photos singulières et marquantes. Ce plan-séquence permet de découvrir la richesse, la profondeur, la diversité du travail de l’artiste né dans le Bronx en 1927 (un an avec Kubrick au même endroit !) découvert par Pierre Ricient qui s’est battu pour que son premier film sorte en France. Rien ne prédestinait à la photographie et au cinéma celui qui travailla d’abord comme fourreur, comme son père, (ce qu’il détesta) avant de commencer comme assistant photographe pour le New York Times jusqu’ à devenir ce photographe immensément talentueux qui parvient toujours à capter quelque chose de la vérité des êtres (que ce soit de la toute jeune Catherine Deneuve, Aretha Franklin ou un enfant inconnu ou même des photos de nus) même dans des photos plus sophistiquées.

    Michel Ciment a rappelé quel découvreur de talents il a aussi été, ayant notamment à son actif les découvertes d’Al Pacino ou Guillaume Canet qu’il avait fait tourner dès 2001 dans The day the ponies come back. « Ce qui le caractérisé, c'est de faire du mouvement, du presque cinéma dans un décor naturel réaliste» a expliqué hier Michel Ciment. Ce fut «le contraire pour Bob Dylan»  avec des photos en studio dans lesquelles Schatzberg a « capté sa sensibilité, son intelligence et son charisme » a souligné Michel Ciment. Par ailleurs, pour ce dernier, « pas un seul metteur en scène américain n’a fait à la suite trois films aussi extraordinaires ».

    Ce travail en petite équipe, 4 personnes avec Olivier Chambon qui avait déjà été le filmeur de la séquence sur Jerry Schatzberg dans le film de Pierre Filmon sur Vilmos Zsigmond, procure tout son caractère intimiste, sincère et naturel à ce documentaire.

    Michel Ciment a conclu en disant que « le rapport émotionnel avec le sujet est très important » et que Jerry Schatzberg est un « esthète, grand metteur en scène formel mais qui s'intéresse aussi aux émotions, aux rapports humains comme c'est le cas de tous les grands metteurs en scène. Le public vient au cinéma pour ressentir des émotions. C'est ce travail formel qui lui permet d’accéder aux émotions. » C’est sans aucun doute aussi le cas du cinéma de Pierre Filmon qui cherche toujours à saisir l’émotion, par la fiction ou le documentaire.

    Il se pourrait qu’il y ait une suite. Espérons-le tant ce documentaire nous donne envie d’en savoir plus sur Jerry Schatzberg mais aussi de retrouver le regard aiguisé, passionné et enthousiaste de Pierre Filmon sur celui-ci et sur le cinéma en général.

    Pour en savoir plus : http://pierrefilmon.com.

    Et pour le Silencio des Prés : https://lesilencio.com/  

  • PARIS FILM CRITICS AWARDS 2024 : nominations, Prix d'honneur décerné à Vincent Lindon et projection du documentaire de Pierre Filmon

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    Comme chaque année, avec le mois de janvier vient l’heure de l’annonce des nominations pour les Paris Film Critics Awards dont ce sera cette année la 3ème édition et dont j’ai toujours le plaisir de faire partie du jury constitué d’un collège de votants composé de 100 critiques et journalistes professionnels de cinéma et culture basés à Paris (l’académie des Paris Film Critics). L’académie en question désigne ainsi les meilleurs longs-métrages (sortis en salles ou sur des plateformes durant l’année 2023) et talents du cinéma français et international qui seront en compétition lors de cette 3ème édition des Paris Film Critics Awards.

    Pour rappel : créés à l’initiative de Sam Bobino (fondateur & co-président du Festival du Film de La Baule -vous pouvez retrouver ici mon compte-rendu de la dernière édition de ce festival-, délégué général de la Semaine du Cinéma Positif à Cannes), les 3èmes Paris Film Critics Awards seront décernés lors d’une cérémonie qui aura lieu le 4 février prochain à Paris et qui sera présentée par les journalistes et membres de l’académie, Elodie Suigo (France Info) et Kevin Elarbi (Canal+ / Le Cercle).

    Lors de cette cérémonie, l’académie des Paris Film Critics Awards honorera les membres de l’industrie cinématographique qui ont excellé dans leur domaine, durant l’année précédente, et rendra hommage à deux grandes figures du cinéma international avec le prix d’honneur et le prix pour l’ensemble d’une carrière dont les noms seront dévoilés le soir même.

    Parmi les nouveautés cette année, la création de trois nouveaux prix, celui des meilleurs costumes, de la contribution exceptionnelle au cinéma et celui rendant hommage à une institution majeure du cinéma.

    À l’image des New York Film Critics Circle Awards, Los Angeles Film Critics Association Awards ou London Critics Film Awards, les Paris Film Critics Awards récompensent chaque année le meilleur du cinéma mondial.

    Le palmarès de la première édition des Paris Film Critics Awards avait couronné beaucoup de films français et avait ainsi témoigné de la diversité de la production cinématographique française, ce qui fut d'ailleurs à nouveau le cas l’an passé. En 2022, c’est ainsi le long-métrage de Xavier Giannoli, Illusions perdues, qui avait reçu le Paris Film Critics Awards du meilleur film tandis que son acteur Vincent Lacoste recevait celui du meilleur second rôle masculin pour cette adaptation magistrale du chef-d’œuvre de Balzac. Vous pouvez retrouver mon compte-rendu complet de cette prelière édition des Paris Film Critics Awards ainsi que le palmarès, dans mon article, ici. L’an passé, La Nuit du 12 avait été élu meilleur film de l’année. Le film de Dominik Moll avait également reçu le prix de la meilleure adaptation et du meilleur second rôle féminin par Anouk Grinberg. Je vous invite à lire mon récit complet de la cérémonie 2023 et le détail du palmarès ici.

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    Crédit photo : Nick & Chloé

    L’acteur, Vincent Lindon (aussi scénariste et producteur), recevra un Paris Film Critics Award d’honneur récompensant l’ensemble de sa carrière. Ce prix honorifique lui sera décerné par les membres de l’Académie des Paris Film Critics. La récompense lui sera remise lors de la cérémonie qui aura lieu ce 4 février. Ce trophée récompensera les quarante ans de carrière d’un artiste complet, prix d’interprétation au Festival de Cannes en 2015 pour La loi du Marché de Stéphane Brizé, suivi d’un César en 2016, un film qu’il a également co-produit tout comme Un autre monde (2021) du même Stéphane Brizé. Mais aussi interprète principal et inoubliable dans des films incontournables du cinéma français comme La Crise de Coline Serreau (1992), Fred et Ma Petite Entreprise de Pierre Jolivet (1997 et 1999), La Moustache d’Emmanuel Carrère (2004), Welcome de Philippe Lioret (2009), Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé (2009), Pater d’Alain Cavalier – dont il est aussi co-scénariste – (2011), Quelques heures de Printemps de Stéphane Brizé (2012), Rodin de Jacques Doillon (2017), En Guerre de Stéphane Brizé (2018) ou plus récemment Titane de Julia Ducournau (Palme d’or à Cannes en 2021), Enquête sur un Scandale d’État de Thierry de Peretti (2021), Un autre Monde – pour lequel il retrouve Stéphane Brizé – (2021) et Avec Amour et Acharnement de Claire Denis (2022). En 2022, il a été président du jury de la 75ème édition du Festival de Cannes où il a succédé à Spike Lee. Vincent Lindon est actuellement à l’affiche de la nouvelle série phare de Canal+, D’Argent et de Sang, créée par Xavier Giannoli et dans laquelle il tient le rôle principal. On le retrouvera prochainement dans les nouveaux films de Nicolas Boukhrief, Delphine et Muriel Coulin, Gilles Bourdos et Quentin Dupieux.

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    A l'issue de la cérémonie sera projeté le documentaire de Pierre Filmon, Jerry Schatzberg, portrait paysage (cf critique en bas de cet article). Un prix sera également remis à Jerry  Schatzberg.

    Un hommage sera également rendu au grand critique de cinéma, Michel Ciment, récemment disparu.

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    Cette année, en tête des nominations figurent Babylon (10), Oppenheimer (10), Killers of the flower moon (8), The Fabelmans (8).

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    Le cinéma hexagonal est aussi représenté en tête de ces nominations par la palme d’or de Justine Triet, Anatomie d’une chute (7). Des films qui, pour la plupart, interrogent l'art, la vérité et la fiction.

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    Le film de Justine Triet est ainsi un film palpitant sur le doute, le récit, la vérité, la complexité du couple, et plus largement des êtres. Un film qui fait une confiance absolue au spectateur. Un film dont le rythme ne faiblit jamais, que vous verrez au travers du regard de Daniel, l'enfant que ce drame va faire grandir violemment, comme lui perdu entre le mensonge et la vérité, juge et démiurge d’une histoire qui interroge, aussi, avec maestria, les pouvoirs et les dangers de la fiction.

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    Babylon, épopée à dessein cacophonique et fougueuse, exhale une fièvre qui nous emporte comme un morceau de jazz échevelé. Un film d’une captivante extravagance, excessif, effervescent et mélancolique, un chaos étourdissant aussi repoussant qu’envoûtant, qui heurte et emporte, une parabole du cinéma avec son mouvement perpétuel, dont vous ne pourrez que tomber amoureux si vous aimez le cinéma parce qu’il en est la quintessence, une quintessence éblouissante et novatrice.

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    The Fabelmans est une déclaration d’amour fou à ses parents et au cinéma de Spielberg. Film mélancolique, flamboyant, intime et universel. Ode aux rêves qu’il faut poursuivre coûte que coûte, malgré le danger, comme on pourchasserait une tornade dévastatrice. Un film sur le pardon, la curiosité. À fleur de peau. À fleur d’enfance. La force du cinéma en un film. Le cinéma qui transcende, transporte, révèle. Qui mythifie la réalité et débusque le réel. Le cinéma qui éclaire et sublime la réalité comme une danse à la lueur des phares. L’art cathartique aussi comme instrument de distanciation. L’art qui capture la beauté, même tragique. 

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    Je me réjouis aussi des trois nominations de Tár, notamment celle de Cate Blanchett, prodigieuse dans cette ode à la polysémie et à la complexité humaines et artistiques, aussi palpitante qu’un thriller dont l’énigme consiste à découvrir qui était Linda Tarr devenue Lydia Tár.  La force du film réside dans le fait de ne pas la lever totalement, donnant juste quelques pistes dans l'alcôve d'une modeste maison d'enfance américaine dans laquelle elle croise un frère dédaigneux.

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    Ravie d’y voir également figurer les acteurs India Hair, magistrale dans le premier long-métrage de Delphine Deloget, Rien à perdre, mais aussi Koji Yakusho, l’acteur de Perfect days, la promenade poétique de Wim Wenders dont on ressort avec l’envie de croire en tous les possibles de l’existence que ce film esquisse avec une infinie délicatesse.

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    Je regrette qu'il n'y ait qu’une seule nomination (pour l’adaptation) de The Son de Florian Zeller, un film sur les cœurs déchirés, meurtris, inconsolables, dévorés par la souffrance, l’impuissance ou la culpabilité. Une magistrale tragédie universelle dont la réalisation fait contraster ces espaces gris et déshumanisés de New York avec les jours ensoleillés, épousant l’instabilité des êtres, avec la caméra qui caresse les espaces inertes ou un chapeau qui s’égare dans les flots pour dire les souvenirs broyés, ou encore pour chavirer devant la beauté lumineuse, fugace et renversante d’une danse au son de It’s not unusual de Tom Jones puis de Wolf de Awir Leon, une joie évincée en un éclair comme le sera un personnage par un brillant mouvement de caméra.

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    Dans cette même catégorie de l’adaptation figure également Les algues vertes, magnifique portrait d’héroïne contemporaine, mais surtout un film engagé, militant même, qui pour autant n’oublie jamais le spectateur, et d’être une fiction, certes particulièrement documentée et instructive mais qui s’avère prenante de la première à la dernière seconde, tout en décrivant avec beaucoup d’humanité et subtilité un scandale sanitaire et toutes les réalités sociales qu’il implique.

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    Autre réjouissante nomination, celle du long-métrage renversant d’émotions de Charlotte Wells, Aftersun en premier film, un film avec un dernier plan inoubliable. Un dernier plan qui évoque le vide et le mystère que laissent les (êtres et moments, essentiels) disparus, et les instants en apparence futiles dont on réalise trop tard qu’ils étaient cruciaux, fragiles et uniques. Celui du manque impossible à combler. Celui du (couloir) du temps qui dévore tout.

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    Le scénario de L’Innocence de Kore-eda (récompensé lors du dernier Festival de Cannes) ne pouvait que figurer parmi les nommés. Un film qui, là aussi, incarne toute la beauté et la force du cinéma : sonder la complexité des êtres, nous perdre pour mieux nous aider à trouver une vérité, nous trouver aussi parfois, nous éblouir pour nous éclairer (avec ces  plans du début et de fin, enflammé pour l’un et irradié pour l’autre, qui se répondent). Un film doux et poétique sur la rugosité des êtres et de la société japonaise, sur l’enfance et ses cruautés. Un film labyrinthique qui nous ramène à la source du tunnel et du secret qu’il traque comme dans un polar, celui des mystères de l’adolescence et de la fausse innocence des adultes. Un film sur les blessés de la vie, thème cher au cinéaste, comme la famille. Scénario et réalisation magistraux à l’unisson portés par la sublime ultime bo de Ryuichi Sakamoto.

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    Je me réjouis également de la nomination de Ella Rumpf pour Le théorème de Marguerite  : un sublime portrait de femme et une brillante dissection métaphorique des effets de la création, de la solitude et de l'abnégation qu'elle implique, mais surtout un film sensible, parfaitement écrit et interprété, passionnant de la première à la dernière seconde.

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    Enfin, parmi les nommés pour le meilleur documentaire figure le remarquable film de Kaouther Ben Hania, Les Filles d'Olfa, lauréat du Prix de la Citoyenneté du dernier Festival de Cannes, une mise en abyme, une théâtralisation du réel aussi intéressante pour les questions avec lesquelles elle nous laisse et que cela fait émerger, les doutes sur la réécriture de la réalité également. Finalement, c’est aussi à une « anatomie d’une chute » que procède Kaouther Ben Hania, presque une enquête pour comprendre comment deux jeunes filles gaies et lumineuses ont pu se radicaliser, se tourner vers la noirceur, l’obscurantisme et la violence aveugle et inouïe. La musique d’Amine Bouhafa amplifie encore l’émotion. Par ce dispositif, la réalisatrice exalte aussi le rôle de la parole, là où elle n’était plus possible avec celles qui ne voulaient plus entendre que leur vérité, dogmatique. Le dernier regard face caméra nous hantera longtemps et renforce nos interrogations. Ce documentaire qui ne cède jamais au manichéisme, et qui brouille intelligemment la frontière entre réalité et fiction, pour mieux enfanter la vérité, est aussi original que fascinant, citoyen, instructif et poignant.


    Je vous donne rendez-vous le 4 février pour le palmarès. En attendant, retrouvez les nominations complètes ci-dessous et, ici, mon article sur mon bilan de l'année cinéma 2023 dans lequel vous retrouverez la plupart des films nommés…et quelques oubliés.

    NOMINATIONS PARIS FILM CRITICS AWARDS 2024

    MEILLEUR FILM

    ANATOMIE D’UNE CHUTE /Justine Triet

    BABYLON/Damien Chazelle

    JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES /Jeanne Herry

    KILLERS OF THE FLOWER MOON/Martin Scorsese

    OPPENHEIMER/Christopher Nolan

    L’ENLÈVEMENT /Marco Bellocchio

    THE FABELMANS / Steven Spielberg

     

    MEILLEUR.E RÉALISATEUR.TRICE

    CHRISTOPHER NOLAN/Oppenheimer

    DAMIEN CHAZELLE /Babylon

    JUSTINE TRIET /Anatomie d’une chute

    STEVEN SPIELBERG/The Fabelmans

    THOMAS CAILLEY/ Le Règne animal

    MARCO BELLOCCHIO/ L’Enlèvement

    JEANNE HERRY/Je verrai toujours vos visages

     

    MEILLEURE ACTRICE

    CATE BLANCHET /Tar

    CATHERINE DENEUVE /Bernadette

    HAFSIA HERZI/ Le Ravissement

    LEA DRUCKER/ L’Été Dernier

    LILY GLADSTONE / Killers of the Flower Moon

    MARION COTILLARD/ Little Girl Blue

    SANDRA HULLER/Anatomie d’une chute

     

    MEILLEUR ACTEUR

    ARIEH WORTHALTER/ Le Procès Goldman

    BENJAMIN LAVERNHE / L’Abbé Pierre – Une vie de combats

    CILLIAN MURPHY/Oppenheimer

    KOJI YAKUSHO/Perfect Days

    PAUL GIAMATTI/Winter Break

    RAPHAËL QUENARD/Yannick

    VINCENT LACOSTE / Le Temps d’aimer

     

    MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE

    ADÈLE EXARCHOPOULOS /Je verrai toujours vos visages

    BLANCHE GARDIN/ Le livre des solutions

    DA’VINE JOY RANDOLPH/Winter Break

    EMILY BLUNT /Oppenheimer

    INDIA HAIR/Rien à Perdre

    MICHÈLE WILLIAMS /The Fabelmans

    NOÉMIE MERLANT /Tar

     

    MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE

    BRAD PITT /Babylon

    LOUIS GARREL / Les Trois Mousquetaires: D’Artagnan

    RAPHAËL QUENARD/Chien de la Casse

    ROBERT DE NIRO/ Killers of the Flower Moon

    ROBERT DOWNEY JR./Oppenheimer

    ROMAIN DURIS / Le Règne Animal

    RYAN GOSLING/Barbie

     

    MEILLEURE RÉVÉLATION FÉMININE

    CARRIE CROWLEY/The Quiet Girl

    ELLA RUMPF / Le Théorème de Marguerite

    KIM HIGELIN/ Le Consentement

    MAGALIE LÉPINE-BLONDEAU/ Simple Comme Sylvain

    MIA MCKENNA-BRUCE /How To Have Sex

    STEPHANE CAILLARD/ Flo

    SUZY BEMBA/ Le Retour

     

    MEILLEURE RÉVÉLATION MASCULINE

    ARTHUR HARARI/ Le Procès Goldman

    DIEGO CALVA/Babylon

    GABRIEL LABELLE /The Fabelmans

    MILO MACHADO GRANER/Anatomie d’une chute

    PAUL KIRCHER/ Le Règne Animal

    RAPHAËL QUENARD/Chien de la casse

    SAMUEL KIRCHER/ L’Été Dernier

     

    MEILLEUR SCÉNARIO ORIGINAL

    ANATOMIE D’UNE CHUTE /Justine Triet, Arthur Harari

    BABYLON/Damien Chazelle

    JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES / Jeanne Herry

    LE PROCES GOLDMAN/Cédric Khan, Nathalie Herzberg

    LE RÈGNE ANIMAL /Thomas Cailley, Pauline Munier

    L’INNOCENCE /Yüji Sakamoto

    THE FABELMANS / Steven Spielberg, Tony Kushner

     

    MEILLEURE ADAPTATION

    KILLERS OF THE FLOWER MOON/ Eric Roth,

    Martin Scorsese

    LE CONSENTEMENT /Vanessa Fiho, Vanessa Springora,

    François Pirot

    LES ALGUES VERTES /Pierre Jolivet, Inès Léraud

    LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN/Alexandre

    de La Patellière, Mathieu Delaporte

    MON CRIME / François Ozon

    OPPENHEIMER/Christopher Nolan

    THE SON/Christopher Hampton, Florian Zeller

     

    MEILLEURE PHOTOGRAPHIE

    ANATOMIE D’UNE CHUTE / Simon Beaufils

    BABYLON/ Linus Sandgren

    KILLERS OF THE FLOWER MOON/Rodrigo Prieto

    LA FEMME DE TCHAÏKOVSKI/Vladislav Opelyants

    LE RÈGNE ANIMAL /David Cailley

    OPPENHEIMER/Hoyte van Hoytema

    THE FABELMANS /Janusz Kaminski

     

    MEILLEUR MONTAGE

    ANATOMIE D’UNE CHUTE / Laurent Sénéchal

    BABYLON/Tom Cross

    KILLERS OF THE FLOWER MOON/Thelma Schoonmaker

    LE RÈGNE ANIMAL / Lilian Corbeille

    LE LIVRE DES SOLUTIONS / Élise Fievet

    OPPENHEIMER/Jennifer Lame

    TAR/Monika Willi

     

    MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE

    BABYLON/Justin Hurwitz

    DISCO BOY/Vitalic

    LE GARÇON ET LE HÉRON/Joe Hisaiishi

    LE RÈGNE ANIMAL /Andrea Laszlo De Simone

    LINDA VEUT DU POULET !/Clément Ducol

    OPPENHEIMER/ Ludwig Göransson

    THE FABELMANS /John Williams

     

    MEILLEURS DÉCORS

    BABYLON/ Florencia Martin

    BARBIE / Sarah Greenwood

    KILLERS OF THE FLOWER MOON/Jack Fisk

    LES TROIS MOUSQUETAIRES :

    D’ARTAGNAN/ Stéphane Taillasson

    MON CRIME /Jean Rabasse

    OPPENHEIMER/Ruth De Jong

    THE FABELMANS /Rick Carter

     

    MEILLEURS COSTUMES

    BABYLON/Mary Zophres

    BARBIE /Jacqueline Durran

    KILLERS OF THE FLOWER MOON/Jacqueline West

    LA FEMME DE TCHAÏKOVSKI/Dimitri Andreïev

    L’ENLÈVEMENT / Sergio Ballo, Daria Calvelli

    LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN/Thierry

    Delettre

    NAPOLÉON/David Crossman, Janty Yates

     

    MEILLEUR PREMIER FILM

    AFTERSUN/Charlotte Wells

    BERNADETTE / Léa Domenach

    CHIEN DE LA CASSE /Jean-Baptiste Durand

    HOW TO HAVE SEX/Molly Manning Walker

    LE RAVISSEMENT /Iris Kaltenback

    RIEN À PERDRE /Delphine Deloget

    VINCENT DOIT MOURIR/ Stéphan Castang

     

    MEILLEUR FILM D’ANIMATION

    INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS /Alain Ughetto

    LE GARÇON ET LE HÉRON/Hayao Miyazaki

    LINDA VEUT DU POULET !/Chiara Malta, Sébastien

    Laudenbach

    MARS EXPRESS /Jérémie Périn

    MON AMI ROBOT /Pablo Berger

    SPIDER MAN: ACROSS THE SPIDER-VERSE /Joaquim Dos

    Santos, Kemp Powers, Justin K. Thompson

    SUZUME /Makoto Shinkai

     

    MEILLEUR DOCUMENTAIRE

    LA RIVIÈRE /Dominique Marchais

    LES FILLES D’OLFA/ Kaouther Ben Hania

    LITTLE GIRL BLUE /Mona Achache

    NOTRE CORPS /Claire Simon

    SUR L’ADAMANT /Nicolas Philibert

    TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG VERSÉ / Laura Poitras

    VOYAGE AU PÔLE SUD/ Luc Jacquet

     

    MEILLEURE SÉRIE (ou Mini-Série)

    D’ARGENT ET DE SANG/Xavier Giannoli

    LA NUIT OU LAURIER GAUDREAULT S’EST RÉVEILLÉ /Xavier

    Dolan

    POLAR PARK /Gérald Hustache-Mathieu

    SAMBRE /Alice Géraud, Marc Herpoux

    SUCCESSION/Jesse Armstrong

    TAPIE /Tristan Séguéla, Olivier Demangel

    TOUT VA BIEN/Camille de Castelnau

     

    CRITIQUE DE JERRY SCHATZBERG, PORTRAIT PAYSAGE de PIERRE FILMON

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    Je vous avais déjà parlé de Pierre Filmon, l’an passé, à l’occasion de la sortie de Entre deux trains (Long Time No See), son deuxième long-métrage et son premier long-métrage de fiction pour lequel j’avais eu un énorme coup de cœur. Je vous le recommande à nouveau vivement. Il est désormais disponible en DVD chez Tamasa éditions. Il a d’ailleurs reçu de nombreux prix dans le monde. Il a ainsi parcouru 35 festivals internationaux et 17 pays. Pierre Rochefort a obtenu le prix du meilleur acteur en Espagne. Au Chili, le film a obtenu le prix du Best fiction film. En Inde, au Rajasthan IFF, Pierre Filmon a obtenu deux prix : honorary Award et best directeur. Au Kosovo, le film a obtenu le prix du meilleur film… Et si cela ne suffisait pas pour vous convaincre de le découvrir, vous trouverez à nouveau ma critique ci-dessous.

    Pierre Filmon a réalisé plusieurs courts-métrages et son premier long-métrage, Close encounters with Vilmos Zsigmond, était en Sélection officielle au Festival de Cannes 2016 dans le cadre de Cannes Classics. Ce documentaire est consacré à Vilmos Zsigmond, formidable directeur de la photographie qui a travaillé avec les plus grands réalisateurs : Robert Altman, John Boorman, Steven Spielberg, Brian de Palma, Peter Fonda et… Jerry Schatzberg.

    C’est justement à ce dernier que Pierre Filmon a donc consacré ce dernier documentaire : Jerry Schatzberg, portrait paysage, qui se focalise sur « l’univers photographique de Jerry Schatzberg, jeune homme de 95 ans, le dernier des Mohicans du Nouvel Hollywood, photographe et cinéaste qui a réalisé des films avec Al Pacino, Gene Hackman, Meryl Streep, Faye Dunaway et Morgan Freeman et a obtenu une Palme d’Or en 1973 pour L’épouvantail». Le film a été présenté en Première Mondiale à la 79ème Mostra, en septembre dernier.

    Entre deux trains transpirait déjà la passion du cinéma, avec de nombreuses influences, d’Agnès Varda à David Lean. Et c’est cette même passion de l’art du passionné Pierre Filmon que l’on retrouve dans ce documentaire qui s’intéresse au travaille de photographe de Jerry Schatzberg. Même si vous ne connaissiez pas son travail, vous aviez forcément vu une de ses plus célèbres photos, celle, sublimissime, de Faye Dunaway, auréolée de noir, qui avait été mise à l’honneur sur l’affiche du Festival de Cannes 2011, modèle de grâce, d’épure, de sobriété, de sophistication, de mystère, de classe, de glamour, et même pourvue d’une certaine langueur… Cette photo avait été prise par Jerry Schatzberg en 1970.

    Le documentaire de Pierre Filmon qui est le plus beau des hommages au travail remarquable et fascinant de Jerry Schatzberg est un dialogue de ce dernier avec le critique Michel Ciment au gré d’une exposition lors de laquelle il croise des portraits (dont, d’ailleurs, le sien), l’occasion de revenir sur ces fabuleuses rencontres qui ont donné lieu à ces photos singulières et marquantes. Ce plan-séquence permet de découvrir la richesse, la profondeur, la diversité du travail de l’artiste né dans le Bronx en 1927 (un an avec Kubrick au même endroit !) découvert par Pierre Ricient qui s’est battu pour que son premier film sorte en France. Rien ne prédestinait à la photographie et au cinéma celui qui travailla d’abord comme fourreur, comme son père, (ce qu’il détesta) avant de commencer comme assistant photographe pour le New York Times jusqu’ à devenir ce photographe immensément talentueux qui parvient toujours à capter quelque chose de la vérité des êtres (que ce soit de la toute jeune Catherine Deneuve, Aretha Franklin ou un enfant inconnu ou même des photos de nus) même dans des photos plus sophistiquées.

    Michel Ciment a rappelé quel découvreur de talents il a aussi été, ayant notamment à son actif les découvertes d’Al Pacino ou Guillaume Canet qu’il avait fait tourner dès 2001 dans The day the ponies come back. « Ce qui le caractérisé, c'est de faire du mouvement, du presque cinéma dans un décor naturel réaliste» a expliqué hier Michel Ciment. Ce fut «le contraire pour Bob Dylan»  avec des photos en studio dans lesquelles Schatzberg a « capté sa sensibilité, son intelligence et son charisme » a souligné Michel Ciment. Par ailleurs, pour ce dernier, « pas un seul metteur en scène américain n’a fait à la suite trois films aussi extraordinaires ».

    Ce travail en petite équipe, 4 personnes avec Olivier Chambon qui avait déjà été le filmeur de la séquence sur Jerry Schatzberg dans le film de Pierre Filmon sur Vilmos Zsigmond, procure tout son caractère intimiste, sincère et naturel à ce documentaire.

    Michel Ciment a conclu en disant que « le rapport émotionnel avec le sujet est très important » et que Jerry Schatzberg est un « esthète, grand metteur en scène formel mais qui s'intéresse aussi aux émotions, aux rapports humains comme c'est le cas de tous les grands metteurs en scène. Le public vient au cinéma pour ressentir des émotions. C'est ce travail formel qui lui permet d’accéder aux émotions. » C’est sans aucun doute aussi le cas du cinéma de Pierre Filmon qui cherche toujours à saisir l’émotion, par la fiction ou le documentaire.

    Il se pourrait qu’il y ait une suite. Espérons-le tant ce documentaire nous donne envie d’en savoir plus sur Jerry Schatzberg mais aussi de retrouver le regard aiguisé, passionné et enthousiaste de Pierre Filmon sur celui-ci et sur le cinéma en général.

    Pour en savoir plus : http://pierrefilmon.com.

    Et pour le Silencio des Prés : https://lesilencio.com/  

  • Critique de LA ZONE D’INTÉRÊT de Jonathan Glazer (au cinéma le 31.01.2024)

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    Photo ci-dessus : présentation du film dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023

    La Zone d’intérêt figurait parmi les films en compétition du dernier Festival de Cannes (d’où il est reparti avec le Grand Prix), fut présenté en avant-première au dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville, dans le cadre duquel je l’ai découvert, et le sera également la semaine prochaine au Dinard Festival du Film Britannique (dont je vous détaille le programme, ici).

    Rarement un film m’aura autant bousculée, de la première à la dernière seconde, et hantée, des jours après. Cela commence par un écran noir, interminable, tandis que des notes lancinantes et douloureuses viennent déjà heurter notre tranquillité, nous avertir que la sérénité qui lui succèdera sera fallacieuse. La première scène nous donne à voir une image bucolique, celle d’une famille au bord d’une rivière par une journée éclatante. Celle de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz de 1940 à 1943, qui habite avec sa famille dans une villa avec jardin, juste derrière les murs du camp. À qui ignorerait l’histoire (et l’Histoire) et ne serait pas attentif, la vie de cette famille semblerait de prime abord presque « normale ». Un air de vacances et de gaieté flotte dans l’air. Les corps s’exhibent, en pleine santé. Pourtant c’est dans cette normalité, cette banalité que réside toute l’horreur, omniprésente, dans chaque son, chaque arrière-plan, chaque hors-champ. Cette zone d’intérêt, ce sont les 40 kilomètres autour du camp, ainsi qualifiés par les nazis. Une qualification qui englobe déjà le cynisme barbare de la situation. La biographie de Rudolf Höss avait inspiré La mort est mon métier de Robert Merle, puis le roman The Zone of Interest de Martin Amis (publié chez Calmann-Lévy en 2015) dont le film est adapté. Il décrit le quotidien de cet artisan de l’horreur avec Hedwig, son épouse et leurs cinq enfants.

    Avant même le premier plan, ce qui nous interpelle, c’est le son, incessant, négation permanente de la banalité des scènes de la maisonnée. C’est le bruit d’un wagon. Ce sont des cris étouffés. Ce sont des coups de feu. Ce sont des aboiements. Ce sont ces ronronnements terrifiants et obsédants des fours crématoires. Mais c’est l’arrière-plan aussi qui teinte d’horreur tout ce qui se déroule au premier, cette indifférence criante qui nous révulse. C’est la vue de cette cheminée, juste au-dessus du jardin, dont une fumée noire s’échappe, sans répit. Ce sont les barbelés. C’est ce prisonnier qui s’affaire dans le jardin du Commandant. C’est la vue de ces trains qui ne cessent d’arriver. Ce sont ces os que charrie la rivière. L’horreur est là, omniprésente, et pourtant insignifiante pour les occupants de la zone d’intérêt qui vivent là comme si de rien n’était, comme si la mort ne se manifestait pas à chaque seconde. La vie est là dans ce jardin, entre le père qui fume, les pépiements des oiseaux et les cris joyeux des enfants, éclaboussant de son indécente frivolité la mort qui sévit constamment juste à côté. La « banalité du mal » définie par Hannah Arendt représentée dans chaque plan.

    Hedwig Höss se glorifie même d’être gratifiée du titre de « reine d’Auschwitz » par son mari. Hedwig est en effet très fière : de son statut, de ce qu’elle fait de sa maison, surtout de son jardin, avec sa serre et sa piscine. Son havre de paix au cœur de l’horreur absolue. Son mari est muté. Pour elle, l’horreur absolue s’inscrit cependant là : dans la perspective de devoir déménager de son « paradis ». Cette « zone d’intérêt » qu’elle ne quitterait pour rien au monde. Ce cliché de propagande nazie.

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    Claude Lanzmann (dont le documentaire Shoah, reste l’incontournable témoignage sur le sujet, avec également le court-métrage d’Alain Resnais, Nuit et brouillard) écrivit ainsi : « L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu de l’horreur est intransmissible : prétendre pourtant le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. » Le film de Glazer a cette intelligence-là : ne jamais montrer l’intransmissible. L’imaginer est finalement plus parlant encore. Ainsi, nous ne voyons rien de ce qui se déroule dans le camp mais nous le devinons. Nous ne voyons que des objets appartenant aux déportés qui contiennent en eux des destins tragiques et racontent la folie des hommes : un manteau de fourrure, des vêtements d'enfants, des bijoux, ou ce rouge à lèvres appartenant à une déportée qu’Hedwig s’applique soigneusement, et dans cette application en apparence insignifiante s’insinue le souffle glaçant de la mort qui la sous-tend. Le film adopte la retenue qui sied au sujet, au respect des victimes dont l’absence à l’image ne contribue pas à les nier mais n’est que le reflet de ce qu’elles étaient pour leurs bourreaux : des chiffres, des êtres dont on occultait sans état d'âme l'humanité. Le dénouement leur rend la lumière et la dignité. La Zone d’intérêt a été tourné à Auschwitz même, encore une fois avec ce souci, de respect des victimes et de fictionnaliser le moins possible. Pas d’esthétisation. Pas de lumière artificielle. Le sentiment de contemporanéité n’en est que plus frappant.

    Sandra Hüller figurait au générique de deux films remarquables en compétition du Festival de Cannes 2023, puisqu’elle incarne aussi la Sandra de Anatomie d’une chute de Justine Triet, la palme d’or de cette édition. Révélée à Cannes en 2016 dans Toni Erdmann, dans le film de Justine Triet, elle est impressionnante d’opacité, de froideur, de maitrise, d’ambiguïté. Ici, dans le rôle d'Hedwig, elle est carrément glaçante. Elle se délecte à essayer un manteau de fourrure trop grand pour elle dont il est aisé de deviner l’origine. Elle distribue des vêtements à ses amis dont la provenance ne fait aucun doute là non plus. Elle est si fière d’être cette femme à la vie si privilégiée, clamant qu’elle a une vie « paradisiaque » dans ce jardin qu’elle montre avec orgueil à sa mère, comme cette chambre d’enfant où elle l’héberge, avec fenêtre sur les miradors et cheminées. Elle est monstrueuse dans l’apparente normalité de ses gestes et paroles, et laissant même éclater toute sa violence lorsqu’une assiette n’est pas là où elle doit être. Ou quand elle demande à « Rudolf » de l'« emmener encore dans ce spa italien »  tandis que rugissent les fours crématoires, et la mort, alors qu’elle ne pense qu’à jouir de la vie, sans scrupules.

    Pour le Commandant (Christian Friedel), seule compte la fierté de servir le 3ème Reich. Obstinément. Des industriels viennent louer les qualités de leurs fours, comme s’il s’agissait d’un quelconque produit industriel. Comment ne pas avoir la nausée devant l’ignominieuse distance et l’abominable froideur avec lesquelles ils discutent des modalités de la solution finale et du principe d’un "four crématoire circulaire" ? Les réunions des directeurs de camps sont aussi nauséeuses dans leur apparence ordinaire. Il est question d’efficacité, de rendement, de logistique. Comme si rien de tout cela ne concernait des êtres humains, et leur mort atroce.

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     Une folie qui semble contaminer jusqu’aux enfants quand l’un enferme son frère dans la serre. On pense alors au chef-d’œuvre de Michael Haneke, Le ruban blanc. Ce ruban blanc, dans le film d’Haneke, c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc, c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc. Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres. La forme, comme dans le film de Glazer, démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.

    Je ne saurais citer un autre film dans lequel le travail sur le son est aussi impressionnant que dans La Zone d’intérêt, la forme sonore tellement au service du fond (parmi les films récents, je songe au long-métrage de Vincent Maël Cardona,  Les Magnétiques mais le sujet est à des années-lumière de celui du film de Glazer) : cette dichotomie permanente entre ce vacarme et l’indifférence qu’il suscite. Ce grondement incessant qui nous accompagne des jours après. Les musiques composées par Mica Levi et les sons du concepteur sonore Johnnie Burn sont pour beaucoup dans la singularité de cette œuvre et dans sa résonance. Ces dissonances qui constamment nous rappellent que tout cela n'a rien de normal, qui nous oppressent. Et au cas où nous aurions souhaité occulter ce que ces sons représentent, ce qui se joue là, derrière les discussions sur la façon d’agencer le jardin ou les jeux des enfants, un écran brusquement rouge vient nous heurter, comme un écho à l’écran noir du début, nous signifiant bien que ce paradis bucolique masque un enfer, que le vert qui envahit l’écran n’est là que pour masquer le rouge qui déferle à quelques mètres. Seules des parenthèses en négatif laissent éclater un peu d’humanité (lueur d’espoir apparaissant alors comme irréalité au milieu de cette inconcevable réalité), et peut-être le départ anticipé de la mère d’Hedwig avec un mot dont nous ne connaîtrons pas la teneur et dont on a envie de croire qu'il dénonce l'horreur, et qui pourtant a elle aussi profité des déportés, en l’occurrence ses anciens patrons. C’est tout. Pas d'autre lueur d'espoir.

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    En 2015, avec Le Fils de Saul, László Nemes nous immergeait dans le quotidien d'un membre des Sonderkommandos, en octobre 1944, à Auschwitz-Birkenau. Saul Ausländer est alors membre de ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums où il est chargé de « rassurer » les Juifs qui seront exterminés et qui ignorent ce qui les attend, puis de nettoyer… quand il découvre le cadavre d’un garçon en lequel il croit ou veut croire reconnaître son fils. Tandis que le Sonderkommando prépare une révolte (la seule qu’ait connue Auschwitz), il décide de tenter l’impossible : offrir une véritable sépulture à l’enfant afin qu’on ne lui vole pas sa mort comme on lui a volé sa vie, dernier rempart contre la barbarie. La profondeur de champ, infime, renforce cette impression d’absence de lumière, d’espoir, d’horizon, nous enferme dans le cadre avec Saul, prisonnier de l’horreur absolue dont on a voulu annihiler l’humanité mais qui en retrouve la lueur par cet acte de bravoure à la fois vain et nécessaire, son seul moyen de résister. Que d’intelligence dans cette utilisation du son, de la mise en scène étouffante, du hors champ, du flou pour suggérer l’horreur ineffable, ce qui nous la fait d’ailleurs appréhender avec plus de force encore que si elle était montrée. László Nemes s’est beaucoup inspiré de Voix sous la cendre, un livre de témoignages écrit par les Sonderkommandos eux-mêmes.

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    Avec le plus controversé La vie est belle, Benigni a lui opté pour le conte philosophique, la fable pour démontrer toute la tragique et monstrueuse absurdité à travers les yeux de l’enfance, de l’innocence, ceux de Giosué. Benigni ne cède pour autant à aucune facilité, son scénario et ses dialogues sont ciselés pour que chaque scène « comique » soit le masque et le révélateur de la tragédie qui se « joue ». Bien entendu, Benigni ne rit pas, et à aucun moment, de la Shoah mais utilise le rire, la seule arme qui lui reste, pour relater l’incroyable et terrible réalité et rendre l’inacceptable acceptable aux yeux de son enfant. Benigni cite ainsi Primo Levi dans Si c’est un homme qui décrit l’appel du matin dans le camp. « Tous les détenus sont nus, immobiles, et Levi regarde autour de lui en se disant : “Et si ce n’était qu’une blague, tout ça ne peut pas être vrai…” C’est la question que se sont posés tous les survivants : comment cela a-t-il pu arriver ? ». Tout cela est tellement inconcevable, irréel, que la seule solution est de recourir à un rire libérateur qui en souligne le ridicule. Le seul moyen de rester fidèle à la réalité, de toute façon intraduisible dans toute son indicible horreur, était donc, pour Benigni, de la styliser et non de recourir au réalisme. Quand il rentre au baraquement, épuisé, après une journée de travail, il dit à Giosué que c’était « à mourir de rire ». Giosué répète les horreurs qu’il entend à son père comme « ils vont faire de nous des boutons et du savon », des horreurs que seul un enfant pourrait croire mais qui ne peuvent que rendre un adulte incrédule devant tant d’imagination dans la barbarie (« Boutons, savons : tu gobes n’importe quoi ») et n’y trouver pour seule explication que la folie (« Ils sont fous »). Benigni recourt à plusieurs reprises intelligemment à l’ellipse comme lors du dénouement avec ce tir de mitraillette hors champ, brusque, violent, où la mort terrible d’un homme se résume à une besogne effectuée à la va-vite. Les paroles suivantes le « C’était vrai alors » lorsque Giosué voit apparaître le char résonne alors comme une ironie tragique. Et saisissante.

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    Autre approche encore que celle de La Liste de Schindler de Spielberg dont le scénario sans concessions au pathos de Steven Zaillian, la photographie entre expressionnisme et néoréalisme de Janusz Kaminski (splendides plans de Schindler partiellement dans la pénombre qui reflètent les paradoxes du personnage), l’interprétation de Liam Neeson, passionnant personnage, paradoxal, ambigu et humain à souhait, et face à lui, la folie de celui de Ralph Fiennes, la virtuosité et la précision de la mise en scène (qui ne cherche néanmoins jamais à éblouir mais dont la sobriété et la simplicité suffisent à retranscrire l’horrible réalité), la musique poignante de John Williams par laquelle il est absolument impossible de ne pas être ravagé d'émotions à chaque écoute (musique solennelle et austère qui sied au sujet -les 18 premières minutes sont d’ailleurs dénuées de musique- avec ce violon qui larmoie, voix de ceux à qui on l’a ôtée, par le talent du violoniste israélien Itzhak Perlman, qui devient alors, aussi, le messager de l’espoir), et le message d’espérance malgré toute l’horreur en font un film bouleversant et magistral. Et cette petite fille en rouge que nous n'oublierons jamais, perdue, tentant d’échapper au massacre (vainement) et qui fait prendre conscience à Schindler de l’individualité de ces juifs qui n’étaient alors pour lui qu’une main d’œuvre bon marché. 

    Avec The Zone of Interest, Jonathan Glazer prouve d’une nouvelle manière, singulière, puissante, audacieuse et digne, qu’il est possible d’évoquer l’horreur sans la représenter frontalement, par des plans fixes, en nous en montrant le contrechamp, reflet terrifiant de la banalité du mal, non moins insoutenable, dont il signe une démonstration implacable. Cette image qui réunit dans chaque plan deux mondes qui coexistent et dont l’un est une insulte permanente à l’autre est absolument effroyable.  Si cette famille nous est montrée dans sa quotidienneté, c’est avant tout pour nous rappeler que la monstruosité peut porter le masque de la normalité. L’intelligence réside aussi dans la fin, qui avilit le monstre et le fait tomber dans un néant insondable tandis que nous restent les images de ce musée d’Auschwitz dans lequel s’affairent des femmes de ménage, au milieu des amas des valises, de chaussures et de vêtements, et des portraits des victimes. C’est d’eux dont il convient de se souvenir. De ces plus de cinq millions de morts tués, gazés, exterminés, parfois par des journées cyniquement ensoleillées. Un passé si récent comme nous le rappellent ces plans de la maison des Höss aujourd’hui transformée en mémorial. Une barbarie passée contre la résurgence de laquelle nous avons encore trop peu de remparts. Le film s’achève par un écran noir accompagné d’une musique lugubre, là pour nous laisser le temps d’y songer, de nous souvenir, de respirer après cette plongée suffocante, et de reprendre nos esprits et notre souffle face à l’émotion qui nous submerge. Un choc cinématographique. Un choc nécessaire. Pour rester en alerte. Pour ne pas oublier les victimes de l’horreur absolue mais aussi que le mal peut prendre le visage de la banalité. Un film brillant, glaçant, marquant, incontournable. Avec ce quatrième long-métrage (après Sexy Beast, Birth, Under the skin) Jonathan Glazer a apporté sa pierre à l'édifice mémoriel. De ce film, vous ne ressortirez pas indemnes. Vous ne pourrez pas (l') oublier. Voyez-le, impérativement.

    La Zone d'intérêt de Jonathan Glazer sortira sur les écrans français le 31 janvier 2024.