Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vincent macaigne

  • Critique de LA VENUE DE L’AVENIR de Cédric Klapisch

    cinéma, film, critique, La venue de l'avenir, Cédric Klapisch, critique de la venue de l'avenir de Cédric Klapisch, Vincent Macaigne, Julia Piaton, Zinedine Soualem, Abarahm Wapler, 78ème Festival de Cannes, Rob, Paris, Suzanne Lindon, Vassili Schneider, Paul Kircher, Sara Giraudeau

    Trois ans après En corps, et après une incursion dans la série avec Salade grecque en 2023, Cédric Klapisch revient au cinéma avec ce film grâce auquel il a pour la première fois intégré la sélection cannoise. Ce quinzième long-métrage du cinéaste, coécrit (comme le précédent) avec Santiago Amigorena, fut ainsi projeté hors-compétition dans le cadre du 78ème Festival de Cannes.

    Alors que son avant-dernier long métrage, Deux moi (2019), s’achevait par un cours de danse lors duquel les destinées parallèles de ses protagonistes se croisaient enfin, son précédent, En corps, était entièrement consacré à cet art. En corps commence ainsi par quinze minutes fascinantes. Quinze minutes entre la scène et les coulisses. Un tourbillon éblouissant de bleu et de rouge. Une explosion étourdissante de couleurs et de mouvements (déjà évoquant presque ce geste pictural qu'exalte La Venue de l’avenir). Klapisch y célèbre la force des fragilités. La beauté du ballet aussi, qu’il soit classique, aérien, poétique même, presque abstrait et celle de la danse contemporaine, une beauté brute, presque véhémente et pourtant tout aussi vibrante.
    Ce film lumineux met le cœur en joie, vous cueille quand vous ne vous y attendez pas, par un flashback et un plan, de loin, d’un père qui enlace sa fille, filmés tout en pudeur. Une fois de plus, Klapisch, dans En corps, capte la beauté et le romanesque de Paris mais aussi l’air du temps.  

    C’était déjà le cas, dans le film Paris (2008), dans lequel il filme comme nul autre cette ville au cœur battant. Klapisch dans ce film choral, sublime et confronte l’éphémère dans la ville éternelle. Des destins d’abord présentés comme autant de quartiers épars. Des destins vus ou entrevus ou même imaginés peut-être par Pierre (Romain Duris) qui, du haut de son balcon démiurgique qui surplombe la capitale, atteint d’une maladie cardiaque, ne sachant pas s’il va survivre, porte un regard neuf et différent sur Paris et ceux qui s’y croisent, s’y manquent. Chacun devient le héros des histoires qu’il s’invente, sorte de double de Klapisch scénariste car que fait d’autre le scénariste que de faire des gens qu’il croise, connaît ou devine, les héros d’histoires qu’il s’invente ? Rien ne les rassemble a priori si ce n’est cette ville, les ramifications du destin, telles des lignes de métro qui de toute façon finissent en un même point : le cœur. Tous les chemins mènent au cœur de Paris. Le cœur, justement, celui qui menace de lâcher à tout instant. L’éphémère face à l’éternel. L’insignifiant face à l’essentiel. La vie face à la mort. La ville vue par le prisme d’un condamné à mort : une ville dont le cœur bat, insouciante, une ville qui vibre, qui danse, une ville de tous les possibles, une ville et une vie où rien n’empêche personne de « donner une chance au hasard », de faire valser les fils du destin comme il le fait du haut de son balcon.

    Alors, justement, les fils du destin, Klapisch les fait plus que jamais danser et s’entrelacer dans La Venue de l’avenir qui est une nouvelle fois une ode à l’art : la peinture et la photographie, après la danse, mais aussi à nouveau une ode à la beauté romanesque de Paris.

    Il s’agit également une nouvelle fois d’un récit choral comme il les affectionne et comme les affectionnent ceux qui, comme moi, aiment son cinéma dans lequel les destins se tissent en s'entrecroisant. Pour son premier film en costumes, il n’a pas choisi la facilité puisqu’il se déroule sur deux périodes distinctes, 1895 et 2025, principalement à Paris. Peut-être (1999) se déroulait déjà sur deux époques…et aurait d’ailleurs aussi pu s’intituler La Venue de l’avenir.

    Ainsi, dans ce nouveau film de Cédrid Klapisch qui commence en 2025, une trentaine de personnes issues d’une même famille apprennent qu’ils vont recevoir en héritage une maison située en Normandie, abandonnée depuis des années. Quatre d'entre eux, Seb (Abraham Wapler), le créateur de contenus digitaux, Abdel (Zinedine Soualem), le professeur bientôt à la retraite, Céline (Julia Piaton), l’ingénieure en état dépressif, et Guy (Vincent Macaigne), l’apiculteur idéaliste, sont chargés d’en faire l'état des lieux. Ces lointains « cousins » vont alors découvrir des trésors cachés dans cette vieille maison normande dont le terrain est convoité par des promoteurs immobiliers qui souhaitent y construire un hypermarché avec parking écoresponsable. Ils vont se retrouver sur les traces d'une mystérieuse Adèle Vermillard (Suzanne Lindon) qui a quitté sa Normandie natale, à 20 ans. Cette Adèle se retrouve à Paris en 1895 (quelle année..., évidemment que ce soit celle de la naissance du cinéma n'est pas un hasard), au moment où cette ville est en pleine révolution industrielle et culturelle. Cette fille de la campagne veut y retrouver sa mère (Sara Giraudeau) qu’elle n’a pas connue. Là, elle croisera la route de Sarah Bernhardt, Nadar, Claude Monet…

    Les quatre cousins vont alors découvrir cette période charnière de la fin du XIXème siècle, la naissance d’un nouvel art, la photographie, et d’un courant pictural, l’impressionnisme. Ce voyage dans le passé va les conduire à se questionner sur leur présent et leur avenir et va questionner aussi l’héritage que nous laissent la peinture et la photographie, mémoires d’une époque, et l’art en général.

    Le premier court-métrage de Cédric Klapisch, Ce qui me meut, avait déjà pour cadre de Paris de la fin du XIXème siècle. Avec ce nouveau long-métrage, il mêle les histoires et l’Histoire. Le roman Scènes de la vie de bohème d’Henri Murger a particulièrement nourri le travail du réalisateur et de son coscénariste.

    Chacun des quatre cousins incarne un rapport différent au progrès, le professeur représentant celui pour qui finalement les choses ne changent guère, celui-ci exerçant de surcroît le métier qui devint celui de son ancêtre, Adèle. « Il y a deux manières d'envisager l’avenir : une logique continue du présent ou une rupture » dit ainsi le personnage de Julia Piaton. Lors de la conférence de presse du Festival de Cannes, Klapsich (précisant que sa mère était psychanalyste) a ainsi expliqué : « On a plus dessiné les personnages sur les rapports qu'ils ont avec le futur. Chaque personnage a été construit en fonction de son impact sur le futur »

    Klapisch oppose et relie deux époques, deux façons de regarder le monde qui nous entoure (la première scène, au musée, montre des visiteurs qui tournent le dos aux Nymphéas, plus occupés à regarder leurs smartphones et à faire des selfies qu’à admirer l’œuvre de Monet), et deux rapports au temps : les uns se téléportent quasiment en TGV quand les autres éprouvent le temps long et enrichissant du voyage. Un temps de rencontre aussi puisque c’est à cette occasion qu’Adèle rencontrera le peintre et le photographe, incarnés par Paul Kircher et Vassili Schneider, qui changeront eux aussi son regard sur la vie. Le montage avec des transitions toujours très (bien) pensées rend les passages d’une époque à l’autre fluides et ludiques.

    Le chef opérateur Alexis Kavyrchine a par ailleurs réalisé un travail remarquable en cherchant à imiter les autochromes, premières photos en couleur, pour les scènes ayant lieu en 1895 qui nous immergent dans un Montmartre à la beauté picturale. Ils ont aussi repris des cadrages directement inspirés de tableaux de Monet ou Degas, autre manière de rendre hommage à cette période de la peinture que le film narre.

    La musique fait aussi souvent le lien entre les deux époques. Pour la première fois, Cédric Klapisch a travaillé avec le compositeur Rob -Robin Cudert - (ancien peintre !) pour créer une musique instrumentale moderne qui évoque aussi l’univers de Debussy ou de Satie. Une musique impressionniste qui crée un pont judicieux entre les époques et souligne la majesté des paysages. Le mélange de musique classique (Mozart, Mendelssohn, Schubert, Debussy, Donizetti), d'électro, pop, variété française et de techno (Sawtooz, Alexzavesa, Bequadro, Yvette Guilbert, Léon Malaquais, Aphex Twin, Kompromat) permet aux deux époques de se fondre astucieusement. Et la chanson de Pomme, La Nuit, intégrée à l’intrigue, renforce l’impression de douceur mélancolique qui se dégage film et sublime sa beauté picturale. D’ailleurs sur sa palette, Klapisch mêle les époques mais aussi les tonalités, le film oscillant toujours habilement entre humour et émotion.

    Cela commence sur un portable dos tourné aux œuvres, au milieu de la foule, avec une influenceuse qui se demande si on la voit assez et qui veut changer la couleur des Nymphéas - !- (en opposition au personnage de Pomme qui demande si on ne la voit pas trop devant le spectacle splendide de Paris). Et cela se termine comme si le passé avait imprégné le présent de sa lenteur et de sa douceur. Entre les deux, un film aussi riche, foisonnant, captivant et rassurant qu’un tableau impressionniste. On entre ainsi dans un film de Klapisch, comme dans une œuvre picturale avec une vision d’ensemble, celle qui s’offre à notre premier regard, avant d’en découvrir les multiples nuances. Chacun y trouve sa résonance avec son histoire. Et on en ressort avec la même envie que devant un tableau réussi : le revoir pour en capter les détails et pour ressentir à nouveau les émotions multiples qu’il nous a procurées.

    Comme dans tout film de Klapisch, il est évidemment aussi question d’amour, dans le présent comme dans le passé. Selon Guy : « L’amour c'est une réinvention de la vie et réinventer l'amour, c'est une réinvention de cette réinvention. »

    Dans une sorte de mise en abyme, Klapisch dépeint la venue du jour, immortalise la beauté fugace de l’instant. Et, pour notre plus grand plaisir, fait revivre Monet dessinant Impression, soleil levant : « C'est pas le port que je peins mais juste un instant. » Une réalité à la fois abstraite et poétique...comme le titre du film avec ses allitérations en v et en n.

    cinéma, film, critique, La venue de l'avenir, Cédric Klapisch, critique de la venue de l'avenir de Cédric Klapisch, Vincent Macaigne, Julia Piaton, Zinedine Soualem, Abarahm Wapler, 78ème Festival de Cannes, Rob, Paris, Suzanne Lindon, Vassili Schneider, Paul Kircher, Sara Giraudeau

    L'équipe du film lors de la conférence de presse au 78ème Festival de Cannes - Photo par Inthemoodforcinema.com

    « J’aime bien mettre de la poésie dans le réel. J'aimais par exemple ce qu'était le réalisme poétique du temps de Marcel Carné. » a déclaré Klapisch lors de la très joyeuse conférence de presse du film à Cannes. Il y a en effet du réalisme poétique dans ce film, du Prévert, et du Carné, peintre « des choses derrière les choses ». On imagine à tout instant Garance elle aussi traverser le temps, faire un bond en 1895, surgir et dire : « Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment d'un aussi grand amour. »  

    Comme toujours, le voyage dans l’univers de Klapisch fait du bien, donne envie d’embrasser la vie : « Il vaut mieux regretter de choses qu'on a faites plutôt que de choses qu'on n’a pas faites. »  C’est finalement Vincent Macaigne qui en a parlé le mieux lors de la conférence de presse cannoise : « Le film est comme une sorte de caresse sur nos peurs. À toute époque, on essaie d'être ensemble, de se lier, de tomber amoureux, on a peur de l'avenir et finalement ce qui reste ce sont les œuvres d'art. Ce film nous donne envie et de créer et d'être ensemble et tous les personnages portent ça en eux. »

    C’est le personnage incarné par Abraham Wapler, Seb, élevé par son grand-père avec lequel il vit toujours, pour lequel ce voyage dans le passé va le plus éclairer le présent et l’avenir. Le jeune photographe va se trouver des liens avec ses illustres aïeux, ce qui éclaire ainsi la voie qu’il doit emprunter, personnellement et professionnellement. : « Je regardais toujours devant et cela m'a fait du bien de réparer derrière. » La transmission est toujours très présente dans le cinéma de Klapisch qui y avait même consacré un film : Ce qui nous lie (2017). Et c’est en effet avant tout de liens qu’il est question ici : des liens avec le passé, des liens amoureux, des liens amicaux, des liens familiaux, des liens que nous entretenons avec l’art. Cet art qui traverse le temps, crée un présent éternel et qui relie les générations.

    Si Abraham Wapler est la découverte du film, lui aussi teintant son jeu sobre de mille nuances, les seconds rôles comme dans les films du réalisme poétique sont aussi savoureux : Cécile de France en historienne de l’art aussi snob que passionnée et finalement attachante, Claire Pommet (Pomme), douce enchanteresse comme sa voix,  Sara Giraudeau dont le timbre si particulier apporte toujours une touche d’enfance à ses personnages écorchés, François Berléand dans le rôle de Victor Hugo… Et, en premiers rôles, le quatuor des cousins fonctionne parfaitement, et Suzanne Lindon est parfaite pour nous transporter dans les dédales du Paris du XIXème siècle, avec sa beauté à la fois intemporelle et singulière.

    Klapisch entremêle brillamment fantaisie et mélancolie, tendresse et nostalgie. Par ce dialogue inventif entre les générations, il brosse le portrait de ce qui nous lie, l’amour et l’art. C’est reposant, coloré, festif, et gaiement nostalgique comme une promenade à Giverny, comme une avenue de l’Opéra qui s’illumine et trace le chemin au milieu d’un Paris plongé dans l’obscurité, comme un tableau de Monet, comme une rencontre sur un bateau qui mène vers le passé. Une fresque qui relève de la fable savoureuse, teintée de nostalgie. Woody Allen, avec son conte jubilatoire, Minuit à Paris, d’une autre manière, avait réenchanté le présent, en montrant qu’on peut s’enrichir du passé pour en saisir l’étendue de la beauté. Klapisch, lui, veut réenchanter le présent et l’avenir, sous l’éclairage du passé, et nous enjoint à ne jamais délaisser l’éblouissement auquel invitent l'amour et surtout l'art, que ce soit la photographie, la peinture...ou le cinéma, et même à les réinventer. Ce film en suscite aussi un, réjouissant.

  • Critique - UN COUP DE MAÎTRE de Rémi Bezançon (au cinéma le 9 août 2023)

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

     

    « Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. » Dans Un homme et une femme de Claude Lelouch, Jean-Louis (Jean-Louis Trintignant), en citant cette phrase de Giacometti, demande à Anne (Anouk Aimée) si elle « choisirait l’art ou la vie ». Mais peut-être y aurait-il une troisième voie qui consisterait à les entrelacer…

    « L'art n'est pas juste une représentation de la réalité. L'art peut créer sa propre réalité. » Dès les premières secondes d'Un coup de maître, juste avant cette phrase, notre attention est attisée, déjà, par une mystérieuse toile dont on se rapproche et qu'accompagnent les notes cristallines puis ardentes de Laurent Perez del Mar tandis qu’Arthur (Vincent Macaigne), off, prononce ces mots : « Cette pièce est l’œuvre de l’artiste Renzo Nervi. »

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    ©Thomas Nolf

     

    Renzo Nervi (Bouli Lanners) est ainsi un « peintre figuratif radical en pleine crise existentielle » et surtout l’ami de longue date d’Arthur Forestier (Vincent Macaigne), propriétaire d'une galerie d'art passionné qui le représente et avec qui il partage son amour de l'art. Déprimé, ne parvenant plus à peindre, Renzo sombre dans l'ennui le plus total. Il accepte tout de même un assistant (Bastien Ughetto), cédant à l'insistance de celui qui le considère comme une « légende vivante ». De son côté, Arthur s'acharne à reconstruire ce que son ami peintre, aussi dépressif qu'excessif, s'acharne à détruire. Pour sauver Renzo, il va ainsi jusqu'à élaborer un plan audacieux qui finira par les dépasser… Jusqu’où peut-on aller par amitié ?

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    ©Thomas Nolf

    Quatre ans après Le Mystère Henri Pick, qui réunissait Fabrice Luchini et Camille Cottin dans l’adaptation de l'excellent roman éponyme de David Foenkinos, Rémi Bezançon met à nouveau en scène un savoureux duo de comédiens. Après l’hommage au livre et au pouvoir des mots, c’est cette fois l’art pictural qui est à l’honneur. Ce septième long-métrage de Rémi Bezançon est donc à nouveau une adaptation, en l'occurrence d’un film argentin, Mi obra maestra de Gaston Duprat, dont il a cosigné le scénario avec Vanessa Portal, également cosignataire de ses scénarios des films suivants : Le Premier jour du reste de ta vie, Un heureux évènement, Nos futurs, le Mystère Henri Pick mais aussi de Premiers crus de Jérôme Le Maire.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    C’est en 2005, au Festival du Film de Cabourg dans le cadre duquel il présentait son premier long-métrage, Ma vie en l’air, que j’avais découvert l’univers de Rémi Bezançon, interpellée déjà par son écriture ciselée, un cinéma de la nostalgie et de la mélancolie teintées d’humour, d'un romantisme dénué de mièvrerie.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Vint ensuite, en 2008, Le premier jour du reste de ta vie, un beau succès estival qui avait allègrement dépassé le million d’entrées et récolté 9 nominations aux César. « 5 personnages. 5 membres d’une même famille. 5 journées déterminantes. 12 ans. » À nouveau, nous retrouvions ce ton mêlant astucieusement tendre ironie et drame qui s’imposait dès la première scène, la première journée : la mort décidée du chien de 18 ans et le départ de l’aîné, au grand désarroi, plus ou moins avoué, du reste de la famille. Un pan de vie et d’enfance qui se détachait, violemment. Le spectateur se reconnaît forcément à un moment ou à un autre de ce film personnel et universel, dans un instant, un regard, un déchirement, une émotion, des pudeurs, des non-dits, un étrange hasard, la tendresse ou la complicité ou l’incompréhension d’un sentiment filial, la déchirure d’un deuil (d’un être ou de l’enfance), ou encore ces instants d’une beauté redoutable lors desquels bonheur et horreur indicibles semblent se narguer et témoigner de toute l’ironie, parfois d’une cruauté sans bornes, de l’existence. Cinq regards sur le temps qui passe impitoyablement et que chacun tente de retenir. Un film empreint de la nostalgie, douce et amère, délicieuse et douloureuse, de l'enfance, porté par une judicieuse synchronisation entre le fond et la forme et une utilisation tout aussi judicieuse du hors-champ et de l'ellipse. De ces films que l'on revoit avec le même plaisir à chaque diffusion. Ne manquez pas la prochaine...

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Puis, en 2011, il y eut Un heureux évènement, l'adaptation du roman éponyme d'Éliette Abécassis, publié en 2005.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Ensuite, ce fut Zarafa, en 2012, coréalisé avec Jean-Christophe Lie. Ce film d’animation était déjà une histoire d’amitié indéfectible, entre Maki, un enfant de 10 ans, et Zarafa, une girafe orpheline, cadeau du Pacha d’Égypte au Roi de France Charles X. Un périple palpitant, entre récit initiatique et conte, basé sur une réalité historique, avec un scénario là encore particulièrement réussi (de Alexander Abela et Rémi Bezançon) qui évoquait ainsi l'esclavage, la fraternité et la liberté.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Nos futurs, le cinquième long-métrage réalisé par Rémi Bezançon, était une tragi-comédie surprenante et double, définition qui peut d’ailleurs s’appliquer à Un coup de maître dont le titre est aussi polysémique que celui du film précité. Nos futurs, c’est l’histoire de « deux amis d’enfance, qui s’étaient perdus de vue depuis le lycée, se retrouvent et partent en quête de leurs souvenirs… ». 

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    L’amitié est donc aussi au centre d'Un coup de maître, celle, inébranlable, pétrie d’admiration que voue Arthur à Renzo, de son côté reconnaissant que son ami lui soit toujours resté fidèle malgré « les ponts d’or que lui offraient les galeries à sa grande époque ». « Même si tout les oppose, l'amour de l'art les réunit » précise le pitch officiel qui pourrait être celui d'une comédie romantique dont le film reprend et détourne d'ailleurs la structure et les codes. L'amitié au cinéma a été sublimée par Claude Sautet. Il y avait Vincent, François, Paul et les autres. Il y a désormais Arthur et Renzo.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    ©Thomas Nolf

    Qu’avons-nous fait de nos rêves ? De nos espoirs d’adolescence ? De ce sentiment de « no future », que la mort n’arriverait jamais ou n’arriverait qu’aux autres, aux inconnus ? Telles sont les questions auxquelles répondait No future, récit initiatique particulièrement sensible sur l’amitié, les souvenirs, les douleurs insondables, la nostalgie et la nécessité d’y faire face pour affronter le présent et l’avenir. Un coup de maître s’interroge aussi sur les rêves, plutôt sur les concessions à sa liberté qu'accepte ou n'accepte pas un artiste pour accéder à ses rêves, ou à la « réussite » dans sa sphère artistique. Mais c’est d’abord une comédie jubilatoire qui brocarde le monde de l’art et sa marchandisation effrénée : « Le milieu de l'art est une farce. Il est l'illustration de la corruption du monde que nous laissons derrière nous. L'art est désormais un investissement comme un autre. »

    Un coup de maître n’épargne pas non plus la versatilité des flagorneurs qui disparaissent quand le succès se tarit (et qui réapparaissent tout aussi vite en cas de revirement de fortune), laquelle peut tout autant s’appliquer au milieu de la peinture qu'à celui du cinéma. Le snobisme des expressions employées pour qualifier les toiles pourrait aussi venir de certains critiques de films : « Sous la cruauté de cette peinture se dégage une ironie, une certaine commisération, de la mansuétude même. » (Il faut voir le tableau en question pour juger de l’absurdité et donc de l'effet comique de cet avis !). Sans parler de ce critique qui évoque la « matrice mortifère de son existentialisme » à propos de la peinture de Renzo. L’humour noir est aussi omniprésent. Renzo est ainsi hanté par le souvenir de sa femme disparue : « C'est le gros problème de la mort. La mort, il y a quelque chose d'irrémédiable dedans. »

    Labyrinthes. Tel est le nom de l’exposition de Renzo. Un labyrinthe scénaristique, peut-être est-ce ainsi que l’on pourrait qualifier chaque film de Rémi Bezançon. Mais un labyrinthe dont on retrouve toujours la sortie, avec la lueur réconfortante au dénouement. C’était déjà le scénario « labyrinthique » que j’avais tant aimé dans No future : une construction particulièrement astucieuse qui jouait avec le temps, sa perception, telle celle que nous avons de notre propre passé, forcément biaisée en raison du prisme déformant des souvenirs, souvent infidèles. Un habile puzzle qui, une fois reconstitué au dénouement, nous ravageait. Un film qui nous donnait envie de refaire le voyage à l’envers pour le revivre à la lueur de son arrivée et dire à nos amis à quel point nous sommes heureux qu'ils fassent partie de nos futurs.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    ©Thomas Nolf

    Ce qui échappe à la marchandisation, c’est donc l’amitié, à l’honneur dans Zarafa, No future et Un coup de maître, mais aussi l’émotion que procure une œuvre d’art. C’est d’ailleurs cette émotion qui a fait naître l’amitié entre Arthur et Renzo, le premier étant bouleversé en découvrant pour la première fois une œuvre du second. La valeur de l’art, c’est la valeur du souvenir et non sa valeur marchande, comme celle que Renzo attribue au Portrait de Maude Abrantès de Modigliani, un tableau devant lequel l’ami d’Arthur rêverait de passer ses journées.

    Vincent Macaigne est parfait dans le rôle de l’ami d'une fidélité inaltérable, un peu gauche, mais prêt à tout par amitié. Aussi crédible en galeriste qu'en médecin de nuit dans le film éponyme d'Élie Wajeman dans lequel il est magistral, aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie comme dans Chronique d’une liaison passagère, la fable d’une trompeuse légèreté d'Emmanuel Mouret, expression par laquelle on pourrait d'ailleurs également définir Un coup de maître.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    © Hélène Legrand

    Bouli Lanners, dans le rôle du peintre qui préfère perdre sa vie plutôt que son âme, ou plutôt que de la « vendre au diable », livre une prestation savoureuse de bougon désabusé, entier, déprimé, obstiné, exubérant, et faussement misanthrope, témoignant une nouvelle fois de toute l’étendue de son jeu après son rôle de gendarme tourmenté dans La nuit du 12 de Dominik Moll pour lequel il a reçu le César 2023 du meilleur acteur dans un second rôle.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Zinc. Film

    Les seconds rôles, justement, sont judicieusement distribués : Anaïde Rozam, Aure Atika, Bastien Ughetto. Aure Atika incarne ici Dudu, une galeriste impudente. Elle aussi a toujours autant de présence et de précision dans la comédie que dans le drame (et mériterait davantage de premiers grands rôles, notamment dramatiques). Ainsi, récemment, dans Rose d’Aurélie Saada, elle était très émouvante dans le rôle de ce personnage aveuglé par l’amour qui sombre puis renaît mais aussi dans le film, plus ancien, de Stéphane Brizé, Mademoiselle Chambon, dans lequel elle est d'une sobriété et d'une justesse remarquables.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Hélène Perkins

    On se souvient également de Bastien Ughetto, déjà inénarrable dans un autre film labyrinthique, joyeusement immoral, drôle et cruel, la comédie grinçante de François Ozon, Dans la maison.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    © Thomas Nolf

    Comme toujours dans le cinéma de Rémi Bezançon, la bande originale est particulièrement marquante. Après Sinclair pour Le premier jour du reste de ta vie, avec une BO aussi parsemée de morceaux de Bowie, The Divine Comedy, Janis Joplin, Lou Reed et évidemment Etienne Daho avec cette magnifique chanson à laquelle le réalisateur a emprunté son titre pour celui de son film, après la musique signée Pierre Adenot pour No future, cette fois il retrouve son compositeur de Zarafa et Le Mystère Henri Pick, Laurent Perez del Mar. La musique se fait la complice du montage ingénieux de Sophie Fourdrinoy et de la somptueuse photographie de Philippe Guilbert (qui a de nombreux longs-métrages à son actif parmi lesquels le bouleversant J'enrage de son absence de Sandrine Bonnaire), lequel a visiblement puisé son inspiration dans l'univers de peintres renommés, de Rembrandt à Monnet en passant par Renoir. Preuve en est l'image ci-dessous...

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    © Thomas Nolf

    La puissance magnétique de la musique de Laurent Perez del Mar accompagne le geste du peintre, et caresse les toiles. Dès le début, ces notes qui ruissellent, rebondissent et tombent comme le feraient des gouttes cristallines sur un miroir, préfigurant les premiers mots en off, nous enjoignent à bien regarder, au-delà. Le mélange astucieux de modernité et de classicisme, avec ces claviers, guitares, et violoncelles, illustre ainsi le caractère de ce film : salutairement inclassable. La musique se fait aussi onirique, fantastique ou même cauchemardesque, sur le sublime poème de Victor Hugo, Le Tombeau de Théophile Gautier. Comme un peintre avec les couleurs sur sa palette, le compositeur entremêle instruments, teintes et sonorités, à la fois bigarrées et logiques.

    Chacune des BO de Laurent Perez del Mar frappe la mémoire, et y laisse une forte empreinte, immortalisant ainsi le souvenir des images qu'elle colore, approfondit ou éclaire. Comme dans La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit, cette musique foudroyante de pureté et d'émotions, en harmonie avec celles que suscite la Nature, démiurgique, fascinante et poétique dont elle exacerbe la magnificence. Comme dans La Brigade de Louis-Julien Petit, avec ces notes venues d’ailleurs qui rappellent les vies exilées et les périples des jeunes migrants. Comme dans Carole Matthieu de Louis-Julien Petit, quand la musique d'une beauté déchirante accompagne cette dernière dans un crescendo bouleversant, telle une armée en marche. Comme dans Les Éblouis de Sarah Suco, quand les envolées des violons, à la fois flamboyantes et délicates, ponctuées des larmes subtiles du piano, reflètent les tourments et les élans de la jeune Camille. Comme dans My son de Christian Carion, avec ces notes lancinantes et obsédantes, obscurément envoûtantes, sur les paysages grandioses et sauvages, à leur image : d'une beauté sombre, étrangement ensorcelante. Comme dans Ténor de Claude Zidi Jr, quand la musique suggère la mélancolie et la nostalgie de la professeure de chant, la fougue aventureuse de la jeunesse, ou quand elle accompagne la lecture de la poignante Lettre de Marie, prenant alors de l’ampleur et de l’amplitude à l’unisson de l’émotion qu'elle transcende. Comme dans Les Invisibles de Louis-Julien Petit, ces visages de femmes maquillées, dont la chanson Move over the light souligne joyeusement l'élan d'espoir et de renaissance. Comme dans Zarafa, quand elle procure un souffle épique aux images...

    Dans Un coup de maître, la musique semble duale, comme ce film avec son début et sa fin en miroir, avec ces notes, récurrentes, entendues dès le générique, dont on a l'impression qu'elles tintinnabulent. Là aussi, grâce à la musique, il y a des plans qui restent en mémoire. Ce rai de lumière qui éblouit sur ce moment de « folie » de Renzo avec ces notes légèrement dissonantes qui rappellent celles du début, ces notes qui carillonnent presque comme un reflet sonore de la lumière éblouissante, qui se font ensuite plus douces et apaisées. Mais aussi ces plans « à la Rembrandt » à la lueur des bougies auxquels la musique procure une aura presque magique. Renzo lui-même se réfère d’ailleurs au peintre néerlandais : « Je suis né en 360 à partir de Rembrandt. Je préfère compter à partir de Rembrandt qui était un vrai génie. »

    À la fin, la musique s’emporte et s’emballe comme des applaudissements victorieux, comme un tourbillon de vie, comme un cœur qui renaît, comme le pouls de la forêt, avec de plus en plus de profondeur aussi, comme si la toile atteignait son paroxysme, sa plénitude. Dévoilant toute sa profondeur, elle emporte alors comme une douce fièvre, harmonieuse, réconfortante, avec ces notes de guitare et cette chanson finale (All you’ve got interprétée par Laure Zaehringer) que l’on emmène avec soi.

    La musique illustre ainsi parfaitement le propos du film. Ce qui compte, comme avec le tableau de Modigliani, comme avec toute œuvre d’art, ce sont les émotions qu'elle convoque. Ce qui importe vraiment dans l’art, même si « le monde de l’art est une farce », ce sont les images et les réminiscences que suscite une œuvre, comme ce Portrait de Maude Abrantes pour Renzo. La musique et les plans du début et de la fin se répondent ainsi brillamment, illustrant cette première phrase « l’art crée sa propre réalité », comme si nous pouvions finalement imaginer tout cela à partir d’un tableau, celui qui apparaît au tout début du film. Ce qui compte, c’est bel et bien de « saisir l'expérience que l'œuvre offre à vos sens » qu’il s’agisse d’une musique, d’un film ou d’un tableau.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Thomas Nolf


    Cette tragi-comédie burlesque et mélancolique, aux dialogues d'une ironie mordante et au scénario labyrinthique et brillant, est donc une invitation à l’imaginaire, à mieux regarder, à privilégier l’émotion qu’offre une œuvre d’art. Comme dans les précédents films de Rémi Bezançon, on retrouve cet enchevêtrement de second degré et de profondeur, de gravité et de légèreté apparente, de comédie et de drame, cette mélancolie teintée d’humour comme une « politesse du désespoir ». On en ressort la tête pleine d'images, de peintures, de poésie, de dialogues savoureux, de musique (bref, d'arts !), et avec l’envie de « bien regarder » car, comme le disait Picasso : « L'art est un mensonge qui nous permet de dévoiler la vérité.» Oui, apprendre à regarder, c’est l’essentiel. » À regarder derrière la toile. Ou derrière les apparences et les êtres de prime abord misanthropes…

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma,renzo nervi,action contre la faim

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma,renzo nervi,action contre la faim,vente aux enchères

    Une tragi-comédie maligne aussi, qui joue et jongle avec l'art et la réalité, au-delà même du film puisque Anne-Dominique Toussaint et Zinc.* ont présenté une exposition des tableaux du peintre fictif Renzo Nervi réalisés pour le film par Adam Martyniak, Milosz Flis et Anita Werter. Intitulée Labyrinthes (comme celle du peintre fictif Renzo Nervi !), cette exposition a eu lieu dans l’espace de la Galerie Cinéma* : « 18 tableaux réalisés pour le film qui nous emportent dans l’univers coloré et énigmatique d’un artiste controversé (et dans celui du cinéaste). Un faux documentaire sur Renzo Nervi, ainsi que des (vraies) interviews avec le réalisateur et les chefs décorateurs, sont visibles dans la petite salle de projection de la Galerie pendant l’exposition. Une vente aux enchères des tableaux est organisée cet été au profit de l’association Action contre la faim. » Une idée aussi généreuse qu'astucieuse puisque les 20 tableaux spécialement créés pour le film pour donner vie à l'univers du peintre interprété par Bouli Lanners (qui a aussi réalisé un des tableaux vendus) sont ainsi vendus aux enchères au profit d'Action contre la faim, du 17 juillet au 31 août. Vous pouvez ainsi participer à la vente aux enchères caritative, ici, ou visiter la galerie virtuelle des oeuvres, là. Vous pourrez également voir les œuvres à la maison Tajan (37 rue des Mathurins, 75008 - Paris), du 21 au 31 août 2023 de 10h à 18h (fermé les 26 et 27 août. Vous y trouverez notamment le tableau RENZO NERVI (né en 360 après Rembrandt) REGARDEZ. Le prix de départ pour toutes les œuvres est à 100 euros. 

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma,renzo nervi,action contre la faim

    Entre l'art et la vie, définitivement, peut-être est-il préférable de ne pas choisir, d'opter pour la mise en abyme et de se fondre dans le décor (comme le fait d'ailleurs le cinéaste lui-même dans le film), parce que, comme l'écrivait Oscar Wilde, « la vie imite l'art, bien plus que l'art n'imite la vie », ce qui n'est surtout pas une raison pour vous dispenser de l'art et d'aller voir ce film à l'image de son duo : réjouissant et (car) inclassable ! Souhaitons à cette ode à l'amitié (et à l'émotion inestimable -au sens propre comme au sens figuré- que procure la peinture, et l'art en général), décalée, burlesque, inventive, tendre, inattendue, incisive, mélancolique, profonde et drôle, le même succès estival qu'au Premier jour du reste de ta vie, sorti il y a 15 ans, également en plein été.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Zinc. Film

    Bonus : Rémi Bezançon a aussi réalisé plusieurs spots pour la sécurité routière, dont ce dernier de 2023, formidable, que je vous recommande vivement.

    Découvrez la bande-annonce du film Un coup de maître, ici.

    *Ce film a été distribué par la jeune maison de distribution, Zinc., tout comme Les Petites victoires de Mélanie Auffret dont je vous avais parlé, ici.

    *Galerie Cinéma | 26, rue Saint-Claude 75003 Paris | contact@galeriecinema.com | +33 (0) 1 45 35 14 04 | du mardi au samedi, 11h - 19h 

  • Critique - CHRONIQUE D’UNE LIAISON PASSAGERE de EMMANUEL MOURET

    cinéma, chronique d'une liaison passagère, Emmanuel Mouret, critique, film, Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne

    Chaque film d’Emmanuel Mouret donne envie de saisir chaque seconde, de désirer et d’enchanter la vie. Celui-ci ne déroge pas à la règle.

     « Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus… » Tel était le pitch du film d’Emmanuel Mouret, L’art d’aimer. Tel pourrait être aussi le pitch de chacun des films d’Emmanuel Mouret, et notamment de celui-ci. Dès les premiers plans, l’eau scintillante sur laquelle se superposent les notes de la Javanaise de Gainsbourg, se dégage un charme captivant. Puis, nous arrivons dans un bar dans lequel un homme et une femme sont en pleine conversation. Nous entrons alors immédiatement dans le vif du sujet de cette liaison passagère.

    Il s’agit de celle de Charlotte, une mère célibataire (Sandrine Kiberlain) et Simon, un homme marié (Vincent Macaigne). Ils décident de devenir amants. Ils s’engagent à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux mais au fil des rendez-vous, au fil des mois, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité. Le contrat  verbal qu’ils se sont fixés au début de leur relation leur en interdit cependant l’expression…

    Simon est aussi gauche et indécis (entre Antoine Doinel et Woody Allen) que Charlotte est audacieuse, déterminée et libérée.  Comme dans tous les films de Mouret, planent ainsi les ombres de Truffaut, Rohmer et Allen mais aussi cette gravité légère et fantaisiste qu’ils ont en commun.

    Kiberlain et Macaigne sont tellement parfaits dans leurs rôles qu’il est impossible d’imaginer quels autres acteurs auraient pu incarner aussi bien ce contraste, et apporter cette fantaisie à leurs personnages, ce ton si particulier, sur le fil, entre légèreté et gravité. D’infimes variations dans leur jeu nous font comprendre l’évolution des sentiments indicibles de leurs personnages. Charlotte dit détester le mot passion « parce qu’on l’affiche trop souvent comme une obligation » et ce qu’il incarne mais semble peu à peu y succomber. Georgia Scalliet, qui fut sociétaire de la Comédie-Française, est elle aussi d’une remarquable justesse, tout en émotions, dans le rôle de Louise qui vient perturber le fragile équilibre du couple. Sandrine Kiberlain, solaire et aventureuse, (irrésistible dans des comédies comme Les Deux Alfred récemment mais aussi bouleversante dans un film comme Mademoiselle Chambon en institutrice introverti) et Vincent Macaigne (époustouflant dans Médecin de nuit mais aussi dans le précédent film de Mouret) prouvent une nouvelle fois qu’ils sont aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie.

    L’occasion pour moi de faire une digression (mais après tout, les films de Mouret en regorgent souvent !) pour vous recommander à nouveau Une jeune fille qui va bien, le premier long-métrage en tant que réalisatrice de Sandrine Kiberlain, actuellement sur Canal + cinéma. Un film aux résonances universelles comme l'est le Journal d’Anne Frank, qui doit tout autant être montré aux jeunes générations. Pour ne pas oublier. Que cela fut. Que cela pourrait advenir à nouveau. Que le présent et la liberté sont aussi précieux que fragiles. Cette ode à la vie les célèbre magnifiquement et nous laisse avec leur empreinte, pugnace et sublime. Un grand premier film qui nous rappelle qu’il ne faut jamais oublier, et que l’on n’oubliera pas. 

    Les dialogues qui excellaient dans Les chose qu’on dit, les choses qu’on fait et plus encore dans Mademoiselle de Joncquières sont ici à nouveau savoureux, grâce à l’écriture ciselé d’Emmanuel Mouret et Pierre Giraud. Dans Madamoiselle de Joncquières, adaptation d'un épisode de Jacques le Fataliste de Diderot, les dialogues sont délectables de la première à la dernière phrase, d'une beauté, d'une richesse, d'un lyrisme, d'une ironie, d'une profondeur jubilatoires, d'autant plus que les acteurs jonglent avec les mots et les émotions avec un talent rare, au premier rang desquels Cécile de France qui passe en une fraction de seconde d'une émotion à l'autre, sidérante de justesse en femme cruelle car et seulement car blessée au cœur. Les plans-séquence et les judicieuses ellipses (ou quand deux livres symbolisent magnifiquement une scène d'amour), la façon de passer de l'extérieur à l'intérieur, tout est le reflet des âmes sinueuses ou tourmentées. Edouard Baer manie aussi la langue du 18ème siècle avec brio et incarne avec une élégance tout en désinvolture ce libertin qui peu à peu découvre les affres de la passion après les avoir tant singées et s'en être si souvent lassé. Cette nouvelle digression pour dire que ce film n’était pas sans rappeler l’œuvre de Laclos, Les liaisons dangereuses et que le titre de ce nouveau film de Mouret nous y fait aussi songer mais également l'esprit du 18ème siècle que l’on retrouve dans les dialogues qui font aussi penser à ceux de Baisers volés de Truffaut qui en étaient  imprégnés. Nous retrouvons aussi ici ce mélange tendresse et drôlerie, légèreté et mélancolie présents également dans l’œuvre de Truffaut.

    L’inventivité de la mise en scène est une nouvelle fois remarquable. La caméra virevolte entre les acteurs, les accompagne dans leurs mouvements incessants, dans leur indécision, leur ambivalence, notamment par des plans-séquence magistraux ou les plongeant dans des décors plus grands qu’eux, ceux de la grande aventure de leur vie. Ils sont aussi souvent filmés dans de superbes contre-jours ou de dos. Ces choix de mise en scène incitent ainsi le spectateur à interpréter leurs émotions dans leurs gestes tout en retenue au contraire de ceux  des personnages de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman que Charlotte et Simon vont voir au cinéma comme un malin contrepoint à leur relation.

    La (trompeuse) légèreté de cette fable fait un bien fou…et ne rend que plus émouvants la partie finale qui nous cueille savamment et subitement et ces plans de décors vides où ils vécurent des moments heureux auxquels la musique apporte une douce mélancolie.

    La musique joue d’ailleurs un rôle central. De la Javanaise par Juliette Gréco (qui là aussi fait penser à Baisers volés et au rôle primordial qu'y joue la chanson de Charles Trenet Que reste-t-il de nos amours) à Haendel en passant par Mozart et… Ravi Shankar. Après cette fantaisie enchantée, nous repartons de la salle de cinéma avec en tête la Javanaise et les sonates de Mozart et l’envie de danser la vie !

     Chronique d'une liaison passagère était présenté dans le cadre du Festival de Cannes 2022, en sélection officielle, dans la section Cannes Première.