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abarahm wapler

  • Critique de LA VENUE DE L’AVENIR de Cédric Klapisch

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    Trois ans après En corps, et après une incursion dans la série avec Salade grecque en 2023, Cédric Klapisch revient au cinéma avec ce film grâce auquel il a pour la première fois intégré la sélection cannoise. Ce quinzième long-métrage du cinéaste, coécrit (comme le précédent) avec Santiago Amigorena, fut ainsi projeté hors-compétition dans le cadre du 78ème Festival de Cannes.

    Alors que son avant-dernier long métrage, Deux moi (2019), s’achevait par un cours de danse lors duquel les destinées parallèles de ses protagonistes se croisaient enfin, son précédent, En corps, était entièrement consacré à cet art. En corps commence ainsi par quinze minutes fascinantes. Quinze minutes entre la scène et les coulisses. Un tourbillon éblouissant de bleu et de rouge. Une explosion étourdissante de couleurs et de mouvements (déjà évoquant presque ce geste pictural qu'exalte La Venue de l’avenir). Klapisch y célèbre la force des fragilités. La beauté du ballet aussi, qu’il soit classique, aérien, poétique même, presque abstrait et celle de la danse contemporaine, une beauté brute, presque véhémente et pourtant tout aussi vibrante.
    Ce film lumineux met le cœur en joie, vous cueille quand vous ne vous y attendez pas, par un flashback et un plan, de loin, d’un père qui enlace sa fille, filmés tout en pudeur. Une fois de plus, Klapisch, dans En corps, capte la beauté et le romanesque de Paris mais aussi l’air du temps.  

    C’était déjà le cas, dans le film Paris (2008), dans lequel il filme comme nul autre cette ville au cœur battant. Klapisch dans ce film choral, sublime et confronte l’éphémère dans la ville éternelle. Des destins d’abord présentés comme autant de quartiers épars. Des destins vus ou entrevus ou même imaginés peut-être par Pierre (Romain Duris) qui, du haut de son balcon démiurgique qui surplombe la capitale, atteint d’une maladie cardiaque, ne sachant pas s’il va survivre, porte un regard neuf et différent sur Paris et ceux qui s’y croisent, s’y manquent. Chacun devient le héros des histoires qu’il s’invente, sorte de double de Klapisch scénariste car que fait d’autre le scénariste que de faire des gens qu’il croise, connaît ou devine, les héros d’histoires qu’il s’invente ? Rien ne les rassemble a priori si ce n’est cette ville, les ramifications du destin, telles des lignes de métro qui de toute façon finissent en un même point : le cœur. Tous les chemins mènent au cœur de Paris. Le cœur, justement, celui qui menace de lâcher à tout instant. L’éphémère face à l’éternel. L’insignifiant face à l’essentiel. La vie face à la mort. La ville vue par le prisme d’un condamné à mort : une ville dont le cœur bat, insouciante, une ville qui vibre, qui danse, une ville de tous les possibles, une ville et une vie où rien n’empêche personne de « donner une chance au hasard », de faire valser les fils du destin comme il le fait du haut de son balcon.

    Alors, justement, les fils du destin, Klapisch les fait plus que jamais danser et s’entrelacer dans La Venue de l’avenir qui est une nouvelle fois une ode à l’art : la peinture et la photographie, après la danse, mais aussi à nouveau une ode à la beauté romanesque de Paris.

    Il s’agit également une nouvelle fois d’un récit choral comme il les affectionne et comme les affectionnent ceux qui, comme moi, aiment son cinéma dans lequel les destins se tissent en s'entrecroisant. Pour son premier film en costumes, il n’a pas choisi la facilité puisqu’il se déroule sur deux périodes distinctes, 1895 et 2025, principalement à Paris. Peut-être (1999) se déroulait déjà sur deux époques…et aurait d’ailleurs aussi pu s’intituler La Venue de l’avenir.

    Ainsi, dans ce nouveau film de Cédrid Klapisch qui commence en 2025, une trentaine de personnes issues d’une même famille apprennent qu’ils vont recevoir en héritage une maison située en Normandie, abandonnée depuis des années. Quatre d'entre eux, Seb (Abraham Wapler), le créateur de contenus digitaux, Abdel (Zinedine Soualem), le professeur bientôt à la retraite, Céline (Julia Piaton), l’ingénieure en état dépressif, et Guy (Vincent Macaigne), l’apiculteur idéaliste, sont chargés d’en faire l'état des lieux. Ces lointains « cousins » vont alors découvrir des trésors cachés dans cette vieille maison normande dont le terrain est convoité par des promoteurs immobiliers qui souhaitent y construire un hypermarché avec parking écoresponsable. Ils vont se retrouver sur les traces d'une mystérieuse Adèle Vermillard (Suzanne Lindon) qui a quitté sa Normandie natale, à 20 ans. Cette Adèle se retrouve à Paris en 1895 (quelle année..., évidemment que ce soit celle de la naissance du cinéma n'est pas un hasard), au moment où cette ville est en pleine révolution industrielle et culturelle. Cette fille de la campagne veut y retrouver sa mère (Sara Giraudeau) qu’elle n’a pas connue. Là, elle croisera la route de Sarah Bernhardt, Nadar, Claude Monet…

    Les quatre cousins vont alors découvrir cette période charnière de la fin du XIXème siècle, la naissance d’un nouvel art, la photographie, et d’un courant pictural, l’impressionnisme. Ce voyage dans le passé va les conduire à se questionner sur leur présent et leur avenir et va questionner aussi l’héritage que nous laissent la peinture et la photographie, mémoires d’une époque, et l’art en général.

    Le premier court-métrage de Cédric Klapisch, Ce qui me meut, avait déjà pour cadre de Paris de la fin du XIXème siècle. Avec ce nouveau long-métrage, il mêle les histoires et l’Histoire. Le roman Scènes de la vie de bohème d’Henri Murger a particulièrement nourri le travail du réalisateur et de son coscénariste.

    Chacun des quatre cousins incarne un rapport différent au progrès, le professeur représentant celui pour qui finalement les choses ne changent guère, celui-ci exerçant de surcroît le métier qui devint celui de son ancêtre, Adèle. « Il y a deux manières d'envisager l’avenir : une logique continue du présent ou une rupture » dit ainsi le personnage de Julia Piaton. Lors de la conférence de presse du Festival de Cannes, Klapsich (précisant que sa mère était psychanalyste) a ainsi expliqué : « On a plus dessiné les personnages sur les rapports qu'ils ont avec le futur. Chaque personnage a été construit en fonction de son impact sur le futur »

    Klapisch oppose et relie deux époques, deux façons de regarder le monde qui nous entoure (la première scène, au musée, montre des visiteurs qui tournent le dos aux Nymphéas, plus occupés à regarder leurs smartphones et à faire des selfies qu’à admirer l’œuvre de Monet), et deux rapports au temps : les uns se téléportent quasiment en TGV quand les autres éprouvent le temps long et enrichissant du voyage. Un temps de rencontre aussi puisque c’est à cette occasion qu’Adèle rencontrera le peintre et le photographe, incarnés par Paul Kircher et Vassili Schneider, qui changeront eux aussi son regard sur la vie. Le montage avec des transitions toujours très (bien) pensées rend les passages d’une époque à l’autre fluides et ludiques.

    Le chef opérateur Alexis Kavyrchine a par ailleurs réalisé un travail remarquable en cherchant à imiter les autochromes, premières photos en couleur, pour les scènes ayant lieu en 1895 qui nous immergent dans un Montmartre à la beauté picturale. Ils ont aussi repris des cadrages directement inspirés de tableaux de Monet ou Degas, autre manière de rendre hommage à cette période de la peinture que le film narre.

    La musique fait aussi souvent le lien entre les deux époques. Pour la première fois, Cédric Klapisch a travaillé avec le compositeur Rob -Robin Cudert - (ancien peintre !) pour créer une musique instrumentale moderne qui évoque aussi l’univers de Debussy ou de Satie. Une musique impressionniste qui crée un pont judicieux entre les époques et souligne la majesté des paysages. Le mélange de musique classique (Mozart, Mendelssohn, Schubert, Debussy, Donizetti), d'électro, pop, variété française et de techno (Sawtooz, Alexzavesa, Bequadro, Yvette Guilbert, Léon Malaquais, Aphex Twin, Kompromat) permet aux deux époques de se fondre astucieusement. Et la chanson de Pomme, La Nuit, intégrée à l’intrigue, renforce l’impression de douceur mélancolique qui se dégage film et sublime sa beauté picturale. D’ailleurs sur sa palette, Klapisch mêle les époques mais aussi les tonalités, le film oscillant toujours habilement entre humour et émotion.

    Cela commence sur un portable dos tourné aux œuvres, au milieu de la foule, avec une influenceuse qui se demande si on la voit assez et qui veut changer la couleur des Nymphéas - !- (en opposition au personnage de Pomme qui demande si on ne la voit pas trop devant le spectacle splendide de Paris). Et cela se termine comme si le passé avait imprégné le présent de sa lenteur et de sa douceur. Entre les deux, un film aussi riche, foisonnant, captivant et rassurant qu’un tableau impressionniste. On entre ainsi dans un film de Klapisch, comme dans une œuvre picturale avec une vision d’ensemble, celle qui s’offre à notre premier regard, avant d’en découvrir les multiples nuances. Chacun y trouve sa résonance avec son histoire. Et on en ressort avec la même envie que devant un tableau réussi : le revoir pour en capter les détails et pour ressentir à nouveau les émotions multiples qu’il nous a procurées.

    Comme dans tout film de Klapisch, il est évidemment aussi question d’amour, dans le présent comme dans le passé. Selon Guy : « L’amour c'est une réinvention de la vie et réinventer l'amour, c'est une réinvention de cette réinvention. »

    Dans une sorte de mise en abyme, Klapisch dépeint la venue du jour, immortalise la beauté fugace de l’instant. Et, pour notre plus grand plaisir, fait revivre Monet dessinant Impression, soleil levant : « C'est pas le port que je peins mais juste un instant. » Une réalité à la fois abstraite et poétique...comme le titre du film avec ses allitérations en v et en n.

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    L'équipe du film lors de la conférence de presse au 78ème Festival de Cannes - Photo par Inthemoodforcinema.com

    « J’aime bien mettre de la poésie dans le réel. J'aimais par exemple ce qu'était le réalisme poétique du temps de Marcel Carné. » a déclaré Klapisch lors de la très joyeuse conférence de presse du film à Cannes. Il y a en effet du réalisme poétique dans ce film, du Prévert, et du Carné, peintre « des choses derrière les choses ». On imagine à tout instant Garance elle aussi traverser le temps, faire un bond en 1895, surgir et dire : « Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment d'un aussi grand amour. »  

    Comme toujours, le voyage dans l’univers de Klapisch fait du bien, donne envie d’embrasser la vie : « Il vaut mieux regretter de choses qu'on a faites plutôt que de choses qu'on n’a pas faites. »  C’est finalement Vincent Macaigne qui en a parlé le mieux lors de la conférence de presse cannoise : « Le film est comme une sorte de caresse sur nos peurs. À toute époque, on essaie d'être ensemble, de se lier, de tomber amoureux, on a peur de l'avenir et finalement ce qui reste ce sont les œuvres d'art. Ce film nous donne envie et de créer et d'être ensemble et tous les personnages portent ça en eux. »

    C’est le personnage incarné par Abraham Wapler, Seb, élevé par son grand-père avec lequel il vit toujours, pour lequel ce voyage dans le passé va le plus éclairer le présent et l’avenir. Le jeune photographe va se trouver des liens avec ses illustres aïeux, ce qui éclaire ainsi la voie qu’il doit emprunter, personnellement et professionnellement. : « Je regardais toujours devant et cela m'a fait du bien de réparer derrière. » La transmission est toujours très présente dans le cinéma de Klapisch qui y avait même consacré un film : Ce qui nous lie (2017). Et c’est en effet avant tout de liens qu’il est question ici : des liens avec le passé, des liens amoureux, des liens amicaux, des liens familiaux, des liens que nous entretenons avec l’art. Cet art qui traverse le temps, crée un présent éternel et qui relie les générations.

    Si Abraham Wapler est la découverte du film, lui aussi teintant son jeu sobre de mille nuances, les seconds rôles comme dans les films du réalisme poétique sont aussi savoureux : Cécile de France en historienne de l’art aussi snob que passionnée et finalement attachante, Claire Pommet (Pomme), douce enchanteresse comme sa voix,  Sara Giraudeau dont le timbre si particulier apporte toujours une touche d’enfance à ses personnages écorchés, François Berléand dans le rôle de Victor Hugo… Et, en premiers rôles, le quatuor des cousins fonctionne parfaitement, et Suzanne Lindon est parfaite pour nous transporter dans les dédales du Paris du XIXème siècle, avec sa beauté à la fois intemporelle et singulière.

    Klapisch entremêle brillamment fantaisie et mélancolie, tendresse et nostalgie. Par ce dialogue inventif entre les générations, il brosse le portrait de ce qui nous lie, l’amour et l’art. C’est reposant, coloré, festif, et gaiement nostalgique comme une promenade à Giverny, comme une avenue de l’Opéra qui s’illumine et trace le chemin au milieu d’un Paris plongé dans l’obscurité, comme un tableau de Monet, comme une rencontre sur un bateau qui mène vers le passé. Une fresque qui relève de la fable savoureuse, teintée de nostalgie. Woody Allen, avec son conte jubilatoire, Minuit à Paris, d’une autre manière, avait réenchanté le présent, en montrant qu’on peut s’enrichir du passé pour en saisir l’étendue de la beauté. Klapisch, lui, veut réenchanter le présent et l’avenir, sous l’éclairage du passé, et nous enjoint à ne jamais délaisser l’éblouissement auquel invitent l'amour et surtout l'art, que ce soit la photographie, la peinture...ou le cinéma, et même à les réinventer. Ce film en suscite aussi un, réjouissant.