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  • Critique de L'HERMINE de Christian Vincent à 21H sur Canal +

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    25 ans après « La Discrète », Christian Vincent retrouve Fabrice Luchini, non plus dans le rôle d’un écrivain mais dans celui d’un président de cour d’assises. Le personnage qu'il incarne se nomme ici Michel Racine. Voilà un patronyme qui sied parfaitement à cet amoureux des mots qui sait si bien les servir et sublimer.

    Michel Racine apparaît d’abord comme un homme dur et exigeant dans son travail (à tel point qu’on le surnomme « le Président à deux chiffres » car les peines, avec lui, dépassent toujours les dix années), voire misanthrope. Lorsque, pour un nouveau procès, l’homicide d’un enfant dont est accusé le père de celui-ci, Racine tire au sort les noms des derniers jurés, l’un d’eux le fait hésiter avant qu’il le prononce, il semble même légèrement le troubler. Il s’agit de Ditte Lorensen-Coteret, un médecin anesthésiste dont on découvre bientôt qu’il l’a aimée en secret, six ans auparavant.

    L'hermine, c'est la fourrure blanche fixée à la robe de magistrat de Racine. C’est aussi cet animal dont le pelage est brun foncé dessus et blanchâtre dessous en été et qui devient entièrement blanc l’hiver. Tout est dit : Racine est un homme qui se cache derrière son hermine et qui, comme l’hermine, possède une double couleur, un double visage. L’idée du double et du jeu est d’ailleurs omniprésente. La cour est un théâtre et le président d’assises y est en représentation. C’est d’ailleurs aussi la couleur du théâtre, le rouge, qu’il arbore autour du cou, une écharpe qui sert à attirer l’attention et mieux se dissimuler derrière.

    Au début du film, Michel Racine est grippé, fiévreux, affaibli physiquement et moralement, en instance de divorce et visiblement autant redouté par son entourage professionnel (se drapant alors dans son hermine et sa dureté) que méprisé par son entourage personnel.

    Si les scènes de procès sont passionnantes en ce qu’elles montrent les arcanes d’un procès d’assises, tragiquement drôles même parfois, elles sont là aussi pour apporter de nouveaux traits au portrait de Racine qui s’esquisse peu à peu. Intransigeant dans son travail (son rôle), il se révèle presque timide, enfantin et surtout infiniment touchant dans sa relation avec la solaire et douce Ditte. Face à elle, il semble progressivement s’éclairer, s’illuminer, laisser tomber la carapace, l’écharpe rouge et l’hermine. Il se révèle homme mélancolique, lucide (« Vous êtes heureux ? lui demande-t-on. Je n’ai pas cette ambition, répond-il), blessé plus que misanthrope. Et quand il dit à ses jurés « Acceptez de ne pas savoir, acceptez que peut-être jamais n’éclatera la vérité », on songe autant au procès qu’à sa véritable personnalité que les avocats et juges assesseurs imaginent visiblement aux antipodes de celle de cet homme qui ressemble à un enfant, fougueux et intimidé, attendri, ému et exigeant, face à Ditte. Sa vérité qui jamais n’éclatera à leurs yeux. Ditte, habillée et coiffée de manière plus austère au début, se libère aussi progressivement. Les scènes du café où se retrouvent Racine et Ditte sont d’ailleurs filmées au plus près de leurs visages, leurs émotions, leur vérité tandis que dans les scènes de procès Racine apparaît souvent en plans plus larges.

    Tous les personnages sont passionnants, là aussi impeccablement dessinés. Christian Vincent montre très bien comment un procès brasse toutes les origines et fait sortir ceux qui y participent (jurés, témoins) de leur carcan habituel, social et familial, créant des moments de vie qui dérogent au quotidien, uniques. Quant au personnage de Racine, il apporte au film toute sa sensibilité, sa singularité, sa délicatesse (même et surtout parce que dissimulée), sa dualité et à son image le film est double et de film de procès devient un film d’amour. Le film d’ailleurs est presque divisé en deux parties même si la deuxième est éclairée par la première, laissant alors plus de place à la musique et la lumière. Et il en va des êtres comme des films, ceux qui ne révèlent pas immédiatement leur vraie nature, qui ne sont pas d’emblée outrageusement sympathiques ou lisibles, sont aussi souvent les plus vrais, riches et intéressants.

    Il fallait un acteur, exceptionnel, subtil, à la personnalité complexe, comme Luchini pour apporter autant de nuances et de sobriété(d'autant plus surprenante de la part de celui qui, sur les plateaux se montrent si souvent emphatique et extraverti) à ce personnage. Face à lui, Sidse Babett Knudsen est irrésistiblement lumineuse. Quel plaisir aussi de retrouver la truculente Corinne Masiero parmi cette distribution exceptionnelle (des premiers aux seconds rôles). Mention spéciale également pour l’actrice qui interprète la fille de Ditte (Eva Lallier), qui, par sa spontanéité et sa vérité éclatantes, fait d’autant plus sortir Racine de son rôle. Et son nom, Racine, apparaît alors comme une belle ironie de sort : celui de l’écrivain qui a si bien décrit la passion qui anime et détruit les « puissants ».

    Quant à la scène finale qui fait éclater la vérité des êtres, aux yeux de tous, mais visibles par les deux amoureux seuls, elle est aussi magnifique que bouleversante. Un prix du scénario et un prix d’interprétation masculine à la dernière Mostra de Venise, entièrement mérités, et une belle découverte de cette fin d’année 2015. A voir absolument !

  • 69ème Festival de Cannes: bilan de la sélection officielle et palmarès

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    La folie des passions

    « Je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence », cette phrase prononcée par Xavier Dolan (empruntée à Anatole France), bouleversant et la voix brisée par l’émotion, lorsqu’il a reçu son Grand Prix (amplement mérité, retrouvez ma critique de Juste la fin du monde en cliquant ici), je pourrais la faire mienne.

    Avant de vous livrer, au fil des semaines, mes critiques de la vingtaine de films vus pendant ce 69ème Festival de Cannes, en voici un premier bilan guidé par « la folie des passions » et les émotions qui ont jalonné ces 12 jours joyeusement tumultueux qui n’en ont pas été avares.

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    Cela commence toujours Gare de Lyon, comme il y a 15 ans, lorsque j’avais été sélectionnée par le Ministère de la Jeunesse et des sports et que j’étais invitée pour la première fois à vivre ce festival dont je rêvais depuis l’enfance, qui représentait alors pour moi un univers mystérieux, fascinant, lointain. Inaccessible. Je regardais ces trains qui menaient vers Cannes, qui me semblaient conduire vers l’inconnu, vers un univers fascinant et légèrement inquiétant, pleine de doutes et d’appréhension, ignorant encore que j’allais vivre 12 journées intenses et inoubliables et que chaque année ensuite j’aurais la joie d’y retourner. A chaque fois que je me retrouve Gare de Lyon pour partir à Cannes, sorte de sas vers une autre réalité, ou plutôt vers la réalité entre parenthèses (enchantées), je repense à ce moment qui sans aucun doute a changé le cours de mon existence et je sais que, comme à chaque fois, de ces 12 jours, je reviendrai avec un état d’esprit un peu différent, renforcée par cette tornade de rêves et de cinéma(s) dans laquelle m’emporte toujours le Festival de Cannes, m’insufflant une nouvelle énergie.

    Bien sûr, cette année, c’était différent, il y a eu une réalité tragique qu’il était difficile d’oublier, il y a eu le 13 novembre, il y a eu un basculement que la sécurité draconienne et omniprésente nous rappelait sans cesse bien qu’il m’aurait été, même sans cela, impossible de l’oublier, même si Cannes nous donne la sensation de nous plonger dans un cocon hors des vicissitudes du monde que ses écrans reflètent pourtant.

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    L’intérieur du Palais des Festivals de Cannes dont les baies vitrées ouvrent sur la mer

    « La vie est une comédie écrite par un auteur sadique » pouvait-on entendre dans le magnifique « Café Society » de Woody Allen, film d’ouverture de cette 69ème édition. Certes. Elle a par ailleurs sans aucun doute souvent au moins autant d’imagination que les fictions présentées sur les écrans du festival, nous embarquant dans une douce et hypnotique confusion entre le cinéma et la réalité, a fortiori lorsque les nuits sont si courtes, que le jour et la nuit et la réalité et la fiction ne semblent plus faire qu’un, et que le festival semble ne jamais devoir finir et toujours nous protéger des soubresauts de la vie et du monde, paradoxalement tout en nous en projetant chaque jour ses blessures et ses révoltes, dans cette atmosphère ouatée de cinéma, électrique, ce monde parallèle dans lequel assister à une séance devient impérieux et vital, manger et dormir accessoire.

    Sur un air de jazz…

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    Cela a donc commencé avec Woody Allen. Un festival ne peut être que réussi lorsqu’il commence par un film de Woody Allen surtout lorsque ce dernier signe un nouvel hommage à la beauté incendiaire de New York, un hommage empreint d’une féroce nostalgie du Hollywood et du New York des années 1930 mais aussi empreint de la nostalgie des amours passées devenues impossibles (retrouvez ma critique de « Café Society », ici). Une scène vaudevillesque digne de Lubitsch et une autre romantique à Central Park et bien sûr le dénouement d’une mélancolie foudroyante valent le voyage sans oublier de réjouissantes citations avec lesquelles nous régale toujours Woody Allen. Un film qui possède un charme nostalgique notamment grâce à une écriture d’une précision redoutable. Woody Allen fait dire à un de ses personnages «  Il sait donner au drame une touche de légèreté » alors pour le paraphraser disons que dans ce nouveau film, comme souvent, le cinéaste sait donner à la légèreté une touche de drame. Et comment ne pas avoir l’impression comme dans « La Rose pourpre du Caire » que les personnages ou que la fiction traversent l’écran quand un film est autant rythmé par le jazz (dont la tristesse sous-jacente à ses notes joyeuses fait écho à la joie trompeuse des personnages) et que le jazz rythme chaque jour l’attente des festivaliers dans le Grand Théâtre Lumière. Le festival avait à peine commencé que déjà la réalité s’éloignait, que ce magicien surdoué qu’est le Festival de Cannes refermait ses bras sur nous, nous enlaçant de cinéma…

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    Le décor du dîner de Jean-François Piège sur le thème du « Guépard » de Visconti sur la plage Nespresso.

    Ne perdriez-vous pas à votre tour contact avec la réalité si vous dîniez dans un décor inspiré de votre film préféré (en l’occurrence « Le Guépard » de Visconti), si vous rencontriez une personne d’une rare bienveillance que vous avez toujours admirée, si vous aviez écrit un roman qui justement parle de la fragile frontière entre cinéma et réalité, de la difficulté de vivre un deuil dans une société à l’attention et l’émotion volatiles et versatiles, a fortiori en plein Festival de Cannes et que vous vous retrouviez dans cette situation, si votre réalité dépassait parfois la réalité décrite dans le roman que vous avez écrit vous faisant réaliser que certains personnages que vous craigniez trop caricaturaux sont en fait en-deçà de la réalité, si par une suite de hasards rocambolesques votre roman  comme une bouteille à la mer se retrouvait entre les mains d’un talentueux cinéaste qui y est évoqué ? J’aime les bouteilles à la mer. Les actes fougueux, vains, déraisonnables. Mais c’est une autre histoire…La folie des passions, encore et toujours…

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    La mise en abyme d’une histoire de mise en abyme…

    Le miroir des blessures du monde

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    La réalité était pourtant bien présente sur les écrans du festival, Cannes, comme chaque année, en étant le reflet, le miroir informant, grossissant comme l’est en particulier le film qui a reçu la palme d’or « Moi, Daniel Blake » de Ken Loach. 10 ans après l’avoir déjà obtenue pour « Le vent se lève » , Ken Loach, ainsi, intégrait le cénacle des cinéastes ayant reçu deux palmes d’or : les Dardenne, Francis Ford Coppola, Shohei Imamura, Emir Kusturica, Michael Haneke. Alors qu’il avait annoncé il y a deux ans, après « Jimmy’s hall » (en compétition officielle du Festival de Cannes 2014) qu’il ne tournerait plus, Ken Loach est donc revenu à Cannes et en est reparti avec la récompense suprême. Une évidence tant ce film capte et clame les absurdités cruelles et révoltantes d’un monde  et d’une administration qui broient l’individu, l’identité, la dignité comme celles de Daniel Blake (formidable Dave Johns), menuisier veuf, atteint d’une maladie cardiaque mais que l’administration ne considère pas comme suffisamment malade pour avoir droit à une pension d’invalidité.  Le regard plein d’empathie, de compassion que porte Loach sur Daniel Blake, et celui plein de clairvoyance qu’il porte sur le monde qui l’entoure et plein de colère contre les injustices dont il est victime contribuent à cette  œuvre à la fois très personnelle et universelle. Que Daniel Blake évoque sa femme décédée, que Ken Loach dessine les contours d’ une famille qui se reconstitue (Daniel Blake rencontre une jeune mère célibataire de deux enfants contrainte d’accepter un logement à 450 kms de sa ville natale pour ne pas être placée en famille d’accueil), son point de vue est toujours plein de tendresse sur ses personnages, teinté d’humour parfois aussi, et de révolte contre ces « décisionnaires » qui abusent de leur pouvoir, presque de vie et de mort, dans des bureaux qui ressemblent aux locaux labyrinthiques, grisâtres et déshumanisés  de « Playtime »  comme un écho à cette époque d’une modernité  aliénante, déshumanisante et parfois inhumaine que Tati savait déjà si bien tourner en dérision et envelopper dans un vaste manège. « Moi, Daniel Blake », c’est l’histoire d’un homme qui veut rester maître de son existence, qui se réapproprie son identité et son honneur que cette administration étouffante essaie de lui nier, qui prend le pouvoir, celui de dire non, de clamer son patronyme, son existence, lors de deux scènes absolument bouleversantes. Le poing levé de Ken Loach  qui nous lance un uppercut en plein cœur, ce cœur qui (ce n’est sans doute pas un hasard que le mal se situe là)  lâche peu à peu Daniel Blake, lui qui en possède tant.  « Moi, Daniel Blake » c’est un film qui donne la parole à tous ceux qu’un système inique veut murer dans le silence et leur détresse. « Moi, Daniel Blake »,  c’est la démonstration implacable de la férocité meurtrière d’un système, un film d’une force, d’une simplicité, d’une beauté, mais aussi d’une universalité redoutables et poignantes. Une palme d’or en forme de cri de colère, de douleur, et d’appel à l’humanité dont les lueurs traversent le film et nous transpercent le cœur, bien après les derniers battements de ceux de Daniel Blake.  « Dans cette période de désespoir il faut ramener de l’espoir. » «Un autre monde est possible et nécessaire » a conclu Ken Loach avant de le répéter en Français, en recevant ce prix.

    Money Monster

    Dans un style radicalement différent « Money monster » (hors compétition), de Jodie Foster nous parlait aussi d’un monde mondialisé et d’ultra-communication,  totalement déshumanisé et aveuglé. 40 ans après avoir accédé à la notoriété et après avoir foulé les marches avec « Taxi Driver », Jodie Foster était ainsi de retour pour une montée des marches au comble du glamour  en compagnie de George Clooney (qui incarne ici une personnalité influente de la télévision grâce à une émission dans laquelle il conseille des placements boursiers) et de Julia Roberts qui les gravissait pour la première fois, radieuse et, faisant fi du protocole, pieds nus s’il vous plaît. Une critique acerbe et avisée de la quête du profit à outrance mais plus encore des chaînes d’information, de leur cynisme et leur course à l’audience au mépris de la morale et de ceux qui la regardent qui ne sont alors plus que des consommateurs avides qui ingurgitent des images toujours plus sensationnelles.

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    Le tableau dressé par la plupart des cinéastes était d’ailleurs non seulement celui d’un monde inique qui dévore les plus faibles mais aussi celui d’une société et d’administrations corrompues aux quatre coins du monde, du Brésil avec « Aquarius » de Kleber Filho Mendonça (dans lequel le cinéaste filait la métaphore entre le cancer de la protagoniste et cette maladie qui gangrène la société) aux Philippines avec « Ma’Rosa » de Brillante Mendoza (qui a d’ailleurs valu à son actrice principale le prix d’interprétation féminine : « Les femmes dans les familles sont si importantes dans mon pays », « Brillante Mendoza a voulu montrer ce qui se passe dans mon pays. C’est si vrai et je le remercie pour ça » a ainsi déclaré l’actrice Jaclyn Jose lors de la conférence de presse des lauréats. « La performance de l’actrice de « Ma’Rosa » a brisé mon cœur » a par ailleurs expliqué Arnaud Desplechin  lors de la conférence de presse du jury), un prix d’interprétation féminine que l’actrice  d’ « Aquarius », Sonia Braga, aurait également mérité, deux femmes fortes qui tentent de résister à la fatalité.

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     Le tableau dressé de la Roumanie dans« Baccalaureat » de Cristian Mungiu n’était guère plus flatteur.  Un père y met ainsi tout en œuvre pour que sa fille soit acceptée dans une université anglaise, devant pour cela renoncer aux principes qu’il lui a inculqués. Chaque plan de ce film est  par ailleurs une composition d’une richesse et d’une acuité éblouissantes qui lui ont valu un prix de la mise en scène (ex-aequo avec Olivier Assayas dont j’ai manqué le film : « C’est peu de dire que je suis très ému, le plus beau prix que je partage avec un cinéaste que j’admire depuis longtemps » a ainsi déclaré ce dernier lors de la clôture).

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    Trois œuvres fortes et courageuses de cinéastes qui se font les porte-paroles d’une société muselée, en proie à la corruption et aux compromissions. Comme un écho aux paroles de Vincent Lindon  lorsqu’il a ouvert le festival (prix d’interprétation l’an passé pour « La loi du marché » qui d’ailleurs présente des similitudes avec la palme d’or de cette année) : « Je me suis empressé de dire oui au festival qui depuis plus d’un demi-siècle témoigne du monde et de son imaginaire et qui aide à se battre contre les injustices, les préjugés, les différences, il est rudement courageux. Essayons de l’être autant que lui. Vive le cinéma ».

    Des personnages de pères et de femmes forts, et des liens familiaux mis à mal

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     Peut-être est-ce pour cela que la culpabilité était aussi un thème récurrent de cette édition : notre culpabilité face à un monde soumis aux inégalités et aux injustices révoltantes, thème que l’on retrouvait, outre « Baccalauréat », dans « La fille inconnue » des Dardenne (sans doute leur film le plus bancal, avec un scénario trop cousu de fils blancs et des personnages auxquels manquait cette vérité éclatante caractéristique de leur cinéma), ou encore dans le sublimement romanesque « Julieta » de Pedro Almodovar dans lequel la perfection de tous les éléments même si ce n’est pas son film le plus exubérant ( scénario labyrinthique et ciselée sur la violence indicible du deuil et de la culpabilité que le temps qui passe cadenasse dans le silence mais n’affaiblit pas, réalisation d’une beauté éblouissante dès le premier plan, interprétation d’une justesse bouleversante, musique poignante) auraient pu faire de ce mélodrame flamboyant une palme d’or à côté de laquelle le cinéaste espagnol passe pourtant donc une nouvelle fois.

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    La palme de l’originalité pour le dossier de presse de « Julieta ».

    Là encore dans le film d’Almodovar, et comme toujours dans son cinéma, ce sont des personnages de femmes fortes comme dans de nombreux films de cette sélection, des femmes qui souvent menaient la danse comme l’indiquaient d’ailleurs les titres des films comme « Elle » ou « Mademoiselle »,  mais c’était aussi le cas notamment dans le sobre et pudique « Loving »,  des femmes qui combattent pour leur liberté, d’être, d’aimer et de vivre comme elles l’entendent.

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    Ce festival nous a offert aussi de grands et beaux scénarios avec des personnages combattifs comme celui incarné par Marion Cotillard dans le sublime film sur la cristallisation et la quête d’absolu qu’est « Mal de pierres » de Nicole Garcia. Un film fiévreux porté par un scénario parfait, avec des tonalités truffaldiennes ( au passage signé du talentueux et prolifique Jacques Fieschi) , et par une réalisation éblouissante (avec même des accents à la John Ford) et au service de très beaux personnages, « sauvagement » vivants. Un film dont je vous reparlerai longuement.

    Des personnages de femmes fortes étaient ainsi mis à l’honneur mais aussi de pères comme dans le film allemand « Toni Erdmann » qui oscille entre humour et émotion pour interroger le sens de la vie et de l’essentiel ou encore dans « Baccalauréat » de Mungiu dans lequel un père abandonne ses grands principes et se trouve à son tour pris dans l’engrenage des « services », entendez par là la corruption et le trafic d’influence.

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    Quand certains films nous projetaient la réalité en pleine face », d’autres sublimaient le vertige de l’art, que cela soit celui de la danse (« La Danseuse », dans la sélection Un Certain Regard, un film poétique dont il a été question pour l’apparition de Lily-Rose Depp qui y crève l’écran mais qui vaut aussi pour l’interprétation de Soko), ou du cinéma (« Le Bon Gros Géant » de Spielberg, métaphore du cinéma de son réalisateur dans lequel, à l’image de ce dernier, le géant capture nos rêves et nous captive avec notamment une scène hilarante avec La Reine d’Angleterre qui, à elle seule, vaut le déplacement). Dans cette sélection, l’ inclassable et misanthrope « Ma Loute » de Bruno Dumont apportait un vent de folie salutaire avec un Fabrice Luchini aussi singulier et fascinant dans le film qu’en conférence de presse, une  fantaisie délicieusement déconcertante à l’image de jeu de Luchini, savamment grotesque dont la folie décontenance et réjouit. « J’ai voulu raconter une histoire de dingues avec néanmoins une histoire d’amour, une histoire policière,… une histoire colorée.», « Je filme toujours quelque chose pour parler d’autre chose »,, « On est à la fois des salauds et des saints, des crétins et des génies. Cette coexistence me passionne. », a ainsi déclaré Bruno Dumont lors de la conférence de presse du film.

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     « Ma loute » était une des trois comédies de ce festival certes fortement teintée de noirceur à l’image des deux autres, tandis que Jim Jarmush nous berçait avec son poème filmique « Paterson ».

    La famille se trouvait donc souvent au centre des films en compétition, mais une famille écartelée, soumise aux mensonges, aux non dits, à la culpabilité et l’incommunicabilité comme dans « Sieranevada » de Cristi Puiu qui, à travers les oppositions et les dissensions d’une famille révèle celles de la société roumaine (Puiu qui, comme son compatriote aurait mérité un prix de la mise en scène) et comme dans « La fin du monde » le Grand Prix signé Xavier Dolan, même si dans l’un de ces deux films, les cris disent ce que dans l’autre ils masquent. Dans le film de Dolan, en effet, chaque silence de ses personnages interprétés par des acteurs au firmament crient l’indicible comme ceux de « Julieta » d’Almodovar s’enferment dans l’ineffabke douleur de l’absence et croulent sous le poids des silences.

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    Mensonges (étatiques ou familiaux), culpabilité, absurdité de l’administration, course au profit et à l’audience, Cannes était une fois de plus une fenêtre « ouverte sur le monde ». Un monde écartelé, blessé, dans lequel des cris contre l’indifférence et la barbarie (qu’elles soient familiales ou sociétales) se perdent dans le silence, ce que Sean Penn a lui aussi maladroitement essayé de montrer dans un film au sujet à palme d’or dont les excès mélodramatiques ont malheureusement nui au propos et ont suscité l’unanimité contre lui.

    L’entente plus que cordiale du jury

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    Comme l’an passé, après la clôture, j’ai eu le plaisir de couvrir la conférence de presse du jury puis des lauréats. Laszlo Nemes à propos du film de Xavier Dolan a ainsi déclaré: « Quand cela commence vous entendez la voix spécifique du réalisateur. »  C’est sans doute ce qui caractérise les cinéastes primés et un grand cinéaste : cette voix spécifique. Lors de la conférence de presse du jury, son président, George Miller, a tenu à souligner que « c’était émotionnellement épuisant car chacun parlait avec passion.. »

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    Sans doute certains auront-ils été étonnés de la double récompense reçue par « Le Client » de Farhadi (que je dois également rattraper) : prix d’interprétation masculine et prix du scénario. « Les films qui ont le grand prix, le prix de la mise en scène et la palme d’or ne peuvent gagner un autre prix » a ainsi expliqué George Miller. Le jury a également expliqué qu’un seul film peut obtenir deux prix.  « C’était une très intéressante sélection représentative du cinéma d’aujourd’hui » a  précisé Valeria Golino.  Sutherland à propos jury a tenu à souligner que : « C’était l’association du gens que vous avez envie de voir encore et encore tout le long de votre vie ».

    En conclusion :

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    La cérémonie de clôture était finalement un condensé du Festival de Cannes et en résumait toute la diversité des styles et des émotions qu’il suscite : l’émotion communicative de Xavier Dolan, le cinéma d’hier qui valsait avec celui d’aujourd’hui avec la palme d’honneur décerné à Jean-Pierre Léaud (il faudra que je vous parle du plaisir  de revoir « Un Homme et une femme » pour les 50 ans de sa palme d’or, en présence de Claude Lelouch, dans le cadre de Cannes Classics), et des récompenses décernées majoritairement à des films engagés aux messages forts : des cris de colère et de révolte dont on espère que leurs prix leurs permettront d’arriver à destination. A l’image de la sublime affiche de cette 69ème édition, incandescente, solaire, ouvrant sur de nouveaux horizons (image tirée du « Mépris » de Godard) et sur cette ascension solitaire, teintée de langueur et de mélancolie, Cannes une fois de plus nous a éclairés sur les ombres du monde et a élargi nos horizons.

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     « Le cinéma d’auteur continue à exister grâce au Festival de Cannes »  a ainsi rappelé Cristian Mungiu lors de la clôture, ajoutant lors de la conférence de presse des lauréats : »Le cinéma n’est pas une affaire de gagnants ou de perdants mais de ce que les films ont à vous dire. », « C’est très important de préserver la diversité du cinéma. C’est bien d’avoir des voix et des points de vue différents » ainsi rappelant à ceux qui en douteraient encore le rôle essentiel de ce festival pour la survie du cinéma, de tous les cinémas.

    Mais bien sûr, plus que tout, ce sont les émotions qui resteront, notamment celles suscitées par ce discours et le film de son auteur, Xavier Dolan : « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.  Il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres. La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue »… « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. »

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    Dans ce tourbillon d’émotions, de films, de musique aussi, il y a bien sûr eu des rendez-vous manqués mais j’en reviens avec un fol amour pour le cinéma, renouvelé, l’envie d’écrire, sur les films, mais aussi de raconter des histoires, et la sensation d’avoir vécu un film de 12 jours palpitant. 12 jours de grand cinéma, de films percutants, de plans éblouissants  et de personnages forts qui m’accompagnent encore et pour longtemps. 12 jours où la vie ressemblait à du grand cinéma, celle que l’on aime dictée par « la folie des passions » même si planait l’ombre des absents. 12 jours dont le credo, emprunté au film d’ouverture, en aura été : « Vis chaque jour comme le dernier, un jour ça le sera. »

    En attendant les critiques (je commence par Juste la fin du monde de Xavier Dolan, à lire ici), quelques clichés de mes pérégrinations cannoises, version 2016.

    Palmarès du 69ème Festival de Cannes

    (Sous le palmarès, retrouvez d’autres photos de ce Festival de Cannes, prises via mon compte Instagram @sandra_meziere).

    Palme d’or

     I, DANIEL BLAKE 

     (MOI, DANIEL BLAKE) 

    Ken LOACH

    Grand Prix

     JUSTE LA FIN DU MONDE 

    Xavier DOLAN

    Prix de la mise en scène (Ex-aequo)

     Cristian MUNGIU 

     BACALAUREAT 

     (BACCALAUREAT) 

    Cristian MUNGIU

    Prix de la mise en scène (Ex-aequo)

     Olivier ASSAYAS 

     PERSONAL SHOPPER 

    Olivier ASSAYAS

    Prix du scénario

     Asghar FARHADI 

     FORUSHANDE 

     (LE CLIENT) 

    Asghar FARHADI

    Prix du Jury

     AMERICAN HONEY 

    Andrea ARNOLD

    Prix d’interprétation féminine

     Jaclyn JOSE 

     MA’ ROSA 

    Brillante MENDOZA

    Prix d’interprétation masculine

     Shahab HOSSEINI 

     FORUSHANDE 

     (LE CLIENT) 

    Asghar FARHADI

    Prix Vulcain de l’Artiste-Technicien, décerné par la C.S.T.

     Seong-Hie RYU 

     MADEMOISELLE 

    PARK Chan-Wook

    Courts Métrages

    Palme d’or du court métrage

     TIMECODE 

    Juanjo GIMENEZ

    Mention spéciale – court métrage

     A MOÇA QUE DANÇOU COM O DIABO 

     (LA JEUNE FILLE QUI DANSAIT AVEC LE DIABLE) 

    João Paulo MIRANDA MARIA

    Quelques photos de ce 69ème Festival de Cannes (prises via mon compte Instagram @sandra_meziere ainsi

    que toutes les autres photos de cet article).

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    Les 24 marches les plus célèbres du monde…

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     Sur la plage Nespresso…

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    Sur le toit du palais des festivals, au Mouton Cadet Wine Bar

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    Vue depuis le toit du palais des Festivals, du Mouton Cadet Wine Bar

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    Les escabeaux toujours prêts toujours là…

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    Remise des prix de la Cinéfondation après un discours plein d’autodérision de son président, Gilles Jacob

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    Les casiers presse, passage quotidien incontournable pour récupérer les dossiers de presse (que je n’ai malheureusement pas tous ramenés).

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    Le lauréat de la palme d’or, Ken Loach, lors de la conférence de presse des lauréats.

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    Pause quotidienne sur la plage Majestic, merci à ADR Prod

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    Valeria Golino, membre du jury, lors de la conférence de presse des membres du jury après la clôture

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    Clôture de Un Certain Regard

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    LA nouvelle bonne adresse cannoise qui a ouvert juste avant le festival, située juste en face le palais des festivals, « La Californie » (qui appartient à Sénequier)

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    Petite pause goûter à la plage Majestic et une assiette sur mesure

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    Interview de Charles Tesson, délégué général de la Semaine de la Critique (compte rendu à suivre)

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    L’équipe du film de Sean Penn, en compétition officielle, lors de sa conférence de presse

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    Vue sur la Croisette depuis le palais des festivals

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    Projections des films de clôture de la Semaine de la Critique signés Chloé Sévigny, Laetitia Casta et Sandrine Kiberlain

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    Une autre de mes cantines cannoises

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    L’équipe de « Aquarius » sur les marches

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    L’équipe de « Loving » de Jeff Nichols

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    Vanessa Paradis lors de la conférence de presse du jury après la clôture

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    Ken Loach lors de la conférence de presse du jury après la clôture

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    Dîner sur la plage Nespresso, signé Jean-François Piège et sur le thème du « Guépard » de Visconti (photos ci-dessous)

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    Ci-dessus, les lauréats du prix Talents Nespresso

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    Passionnante leçon de cinéma par Tomer Sisley dans un anglais irréprochable

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    Au concert privé de LEJ au Majestic Barrière

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    Vue vertigineuse sur la Croisette depuis le Club By Albane

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  • César 2016 : nominations complètes commentées

     

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    Ce matin, à 10H, au Fouquet's, sur les Champs-Elysées, avait lieu la conférence de presse d'annonce des nommés aux César 2016, l'occasion de se rappeler à quel point la production cinématographique française fut riche et diversifiée en 2015 mais aussi à quel point le Festival de Cannes est un découvreur de grands films et de talents tant sont nombreux les films en lice pour ces César 2016 présentés dans les différentes sélections du Festival de Cannes 2015 et même primés.

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    La cérémonie aura lieu le 26 février 2016 au Théâtre du Châtelet. La maîtresse de cérémonie sera Florence Foresti. Le César d'honneur sera décerné à Michael Douglas.

    Cliquez ici pour retrouver mon compte rendu de la cérémonie des César 2015.

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    En tête de ces nominations 2016 figurent "Marguerite" de Xavier Giannoli (11 nominations), "Trois souvenirs de ma jeunesse" d'Arnaud Desplechin (11 nominations), "Dheepan" de Jacques Audiard (9 nominations) et  "Mustang" de Deniz Gamze Ergüven (9 nominations) .

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    Suivent ensuite: "Mon roi" de Maïwenn (8 nominations), "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot (8 nominations), "Les Cowboys" (4 nominations), "Fatima" de Philippe Faucon (4 nominations), "Valley of love" de Guillaume Nicloux ( 3 nominations), "Journal d'une femme de chambre" de Benoît Jacquot (3 nominations), "La loi du marché " de Stéphane Brizé (3 nominations).

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    Sont particulièrement réjouissants:

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    -les 3 nominations pour "La loi du marché" de Stéphane Brizé (meilleur acteur, meilleure réalisation, meilleur acteur) même si le film en aurait mérité plus et notamment pour le scénario. Vincent Lindon avait déjà reçu le prix d'interprétation masculine (amplement mérité) lors du dernier Festival de Cannes pour ce rôle d'homme que la loi du marché infantilise, aliène, broie et à laquelle avec une justesse sidérante il oppose sa dignité, son humanité, sa fragilité. Retrouvez ma critique de "La loi du marché" en cliquant ici.

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    -les nommés comme meilleur acteur même si la "concurrence" sera particulièrement rude avec notamment Depardieu, Damiens, Luchini, Lindon, Cassel entre lesquels mon cœur balance même s'ils sont tous remarquables dans leurs rôles respectifs. Un prix pour Vincent Lindon me ravirait de même qu'un prix pour Depardieu pour le sublime "Valley of love" reparti bredouille du dernier Festival de Cannes et pour lequel Isabelle Huppert est également nommée. Certaines phrases du film résonnent avec d’autant plus de justesse qu’elles sont dites par des comédiens qui les prononcent avec une infinie délicatesse, qui trouvent constamment la note juste : « Si on se met à détester quelqu’un avec qui on a vécu c’est qu’on ne l’a jamais vraiment aimé. Quand on aime quelqu’un c’est pour toujours. » La force de ces deux immenses comédiens est de malgré tout nous faire oublier Depardieu et Huppert et de nous laisser croire qu’ils sont ces Isabelle et Gérard qu'ils incarnent. Et il leur suffit de lire une lettre dans le décor épuré d’une chambre, sans autre artifice que leur immense talent, pour nous émouvoir aux larmes sans parler de cette scène finale bouleversante qui m’a ravagée. Retrouvez ma critique de "Valley of love" ici.

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    -les nominations comme meilleur espoir masculin de Rod Paradot et Swann Arlaud. Le premier crève l'écran dans "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot et je me souviens encore de son étonnante maturité lors de la conférence de presse du Festival de Cannes qui avait estomaqué l'assistance. Quant à Swann Arlaud (nommé pour "Les Anarchistes"), c'est un comédien d'une justesse remarquable, avec un supplément d'âme qui le rend unique et que j'avais remarqué il y a longtemps déjà dans un court-métrage présenté au Festival du Film de Cabourg. - Retrouvez ma critique de "La tête haute" en cliquant ici.-

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    -la nomination de Sidse Babett Knudsen pour "L'Hermine" de Christian Vincent. Par sa spontanéité et sa vérité éclatantes, elle fait d’autant plus sortir le juge Racine (Luchini) de son rôle. L'absence de nomination du film pour le scénario est un mystère. Cliquez ici pour lire ma critique de "L'Hermine".

    J'espère que ce César du meilleur scénario reviendra à "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot. Après « Clément », « Backstage », «  Elle s’en va », Emmanuelle Bercot confirme qu’elle est une grande scénariste et réalisatrice (et actrice comme l'a prouvé son prix d'interprétation cannois pour  "Mon roi") avec qui le cinéma va devoir compter, avec ce film énergique et poignant, bouillonnant de vie, qui nous laisse avec un salutaire espoir, celui que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend (au propre comme au figuré) et qui rend un bel hommage à ceux qui se dévouent pour que les enfants blessés et défavorisés par la vie puissent grandir la tête haute. Un film qui « ouvre » sur un nouveau monde (là aussi au propre comme au figuré), un nouveau départ et une bouffée d’optimisme. Et ça fait du bien. Une très belle idée que d’avoir placé ce film à cette place de choix d'ouverture du 68ème Festival de Cannes et de lui donner cette visibilité.

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    -les nominations comme meilleure actrice pour Isabelle Huppert et Catherine Deneuve Là aussi, mon cœur balance. Elles seront face à Loubna Abidar, Emmanuelle Bercot, Cécile de France, Catherine Frot, Soria Zeroual. Il est probable que  Catherine Frot l'emportera même si je suis restée hermétique à ce film et a fortiori à sa prestation et à ce personnage. Catherine Deneuve est une nouvelle fois remarquable dans ce rôle de juge dans "La tête haute", pour lequel elle marie et manie avec brio autorité et empathie. Espérons qu'il lui permettra de décrocher ce César.

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    -la nomination d'Ennio Morricone pour la meilleure musique de "En mai fais ce qu'il te plaît"

    -la nomination de Benoît Magimel comme meilleur second rôle pour son rôle d'éducateur dans "La tête haute", qui se reconnaît dans le parcours de ce jeune délinquant incarné par Rod Paradot qui réveille ses propres failles. Il y est remarquable.

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    -les nominations comme meilleur film étranger de Birdman, Le fils de Saul, Je suis mort mais j'ai des amis, Mia Madre, Taxi Téhéran, Le tout nouveau testament, Après le déluge, Youth. Le choix sera là aussi cornélien notamment entre le film de Laszlo Nemes, "Le fils de Saul" (un 1er film, que d’intelligence dans cette utilisation du son, de la mise en scène étouffante, du hors champ, du flou pour suggérer l’horreur ineffable de camps de concentration, ce qui nous la fait d’ailleurs appréhender avec plus de force encore que si elle était montrée) ou encore "Mia madre" (L’illusion de légèreté du cinéma pour tenter d’affronter le gouffre étourdissant de la mort et du lendemain après la perte forcément insensée d’un parent. Un film pudique, profondément émouvant et un regard final qui vous hante longtemps après la projection et qui me hante et bouleverse encore.) ou encore "Taxi Téhéran"à la mise en scène particulièrement rusée et brillante (ma critique à suivre).

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    -les multiples nominations des grands films projetés et parfois primés au dernier Festival de Cannes: "Dheepan" (palme d'or"), "La loi du marché" (prix d'interprétation masculine), "Mon roi" (prix d'interprétation féminine), "La tête haute" (film d'ouverture), "Le fils de Saul" (grand prix) etc. 

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    NOMINATIONS 2016

     

    Sont nommées pour le César du Meilleur Espoir Féminin

    CAMILLE COTTIN dans CONNASSE, PRINCESSE DES CŒURS

    SARA GIRAUDEAU dans LES BÊTISES

    ZITA HANROT dans FATIMA

    DIANE ROUXEL dans LA TÊTE HAUTE

    LOU ROY-LECOLLINET dans TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Espoir Masculin

    SWANN ARLAUD dans LES ANARCHISTES

    QUENTIN DOLMAIRE dans TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

    FÉLIX MOATI dans À TROIS ON Y VA

    FINNEGAN OLDFIELD dans LES COWBOYS

    ROD PARADOT dans LA TÊTE HAUTE

     

    Sont nommées pour le César de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle

    SARA FORESTIER dans LA TÊTE HAUTE

    AGNÈS JAOUI dans COMME UN AVION

    SIDSE BABETT KNUDSEN dans L’HERMINE

    NOÉMIE LVOVSKY dans LA BELLE SAISON

    KARIN VIARD dans 21 NUITS AVEC PATTIE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Acteur dans un Second Rôle

    MICHEL FAU dans MARGUERITE

    LOUIS GARREL dans MON ROI

    BENOÎT MAGIMEL dans LA TÊTE HAUTE

    ANDRÉ MARCON dans MARGUERITE

    VINCENT ROTTIERS dans DHEEPAN

     

    Sont nommées pour le César de la Meilleure Actrice

    LOUBNA ABIDAR dans MUCH LOVED

    EMMANUELLE BERCOT dans MON ROI

    CÉCILE DE FRANCE dans LA BELLE SAISON

    CATHERINE DENEUVE dans LA TÊTE HAUTE

    CATHERINE FROT dans MARGUERITE

    ISABELLE HUPPERT dans VALLEY OF LOVE

    SORIA ZEROUAL dans FATIMA

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Acteur

    JEAN-PIERRE BACRI dans LA VIE TRÈS PRIVÉE DE MONSIEUR SIM

    VINCENT CASSEL dans MON ROI

    FRANÇOIS DAMIENS dans LES COWBOYS

    GÉRARD DEPARDIEU dans VALLEY OF LOVE

    ANTONYTHASAN JESUTHASAN dans DHEEPAN

    VINCENT LINDON dans LA LOI DU MARCHÉ

    FABRICE LUCHINI dans L’HERMINE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Scénario Original

    NOÉ DEBRÉ, THOMAS BIDEGAIN, JACQUES AUDIARD pour DHEEPAN

    XAVIER GIANNOLI pour MARGUERITE

    DENIZ GAMZE ERGÜVEN, ALICE WINOCOUR pour MUSTANG

    EMMANUELLE BERCOT, MARCIA ROMANO pour LA TÊTE HAUTE

    ARNAUD DESPLECHIN, JULIE PEYR pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Adaptation

    DAVID OELHOFFEN, FRÉDÉRIC TELLIER pour L’AFFAIRE SK1

    SAMUEL BENCHETRIT pour ASPHALTE

    VINCENT GARENQ, STÉPHANE CABEL pour L’ENQUÊTE

    PHILIPPE FAUCON pour FATIMA

    HÉLÈNE ZIMMER, BENOIT JACQUOT pour JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE

     

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Musique Originale

    RAPHAËL pour LES COWBOYS

    ENNIO MORRICONE pour EN MAI, FAIS CE QU’IL TE PLAÎT

    STEPHEN WARBECK pour MON ROI

    WARREN ELLIS pour MUSTANG

    GRÉGOIRE HETZEL pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César des Meilleurs Costumes

    ANAÏS ROMAND pour JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE

    PIERRE-JEAN LARROQUE pour MARGUERITE

    SELIN SÖZEN pour MUSTANG

    CATHERINE LETERRIER pour L’ODEUR DE LA MANDARINE

    NATHALIE RAOUL pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César des Meilleurs Décors

    MICHEL BARTHÉLÉMY pour DHEEPAN

    KATIA WYSZKOP pour JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE

    MARTIN KUREL pour MARGUERITE

    JEAN RABASSE pour L’ODEUR DE LA MANDARINE

    TOMA BAQUENI pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Photo

    EPONINE MOMENCEAU pour DHEEPAN

    GLYNN SPEECKAERT pour MARGUERITE

    DAVID CHIZALLET pour MUSTANG

    IRINA LUBTCHANSKY pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

    CHRISTOPHE OFFENSTEIN pour VALLEY OF LOVE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Montage

    JULIETTE WELFLING pour DHEEPAN

    CYRIL NAKACHE pour MARGUERITE

    SIMON JACQUET pour MON ROI

    MATHILDE VAN DE MOORTEL pour MUSTANG

    LAURENCE BRIAUD pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Son

    DANIEL SOBRINO, VALÉRIE DELOOF, CYRIL HOLTZ pour DHEEPAN

    FRANÇOIS MUSY, GABRIEL HAFNER pour MARGUERITE

    NICOLAS PROVOST, AGNÈS RAVEZ, EMMANUEL CROSET pour MON ROI

    IBRAHIM GÖK, DAMIEN GUILLAUME, OLIVIER GOINARD pour MUSTANG

    NICOLAS CANTIN, SYLVAIN MALBRANT, STÉPHANE THIÉBAUT pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Réalisation

    JACQUES AUDIARD pour DHEEPAN

    STÉPHANE BRIZÉ pour LA LOI DU MARCHÉ

    XAVIER GIANNOLI pour MARGUERITE

    MAÏWENN pour MON ROI

    DENIZ GAMZE ERGÜVEN pour MUSTANG

    EMMANUELLE BERCOT pour LA TÊTE HAUTE

    ARNAUD DESPLECHIN pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film de Court Métrage

    LA CONTRE-ALLÉE réalisé par CÉCILE DUCROCQ, produit par STÉPHANE DEMOUSTIER, GUILLAUME DREYFUS

    LE DERNIER DES CÉFRANS réalisé par PIERRE-EMMANUEL URCUN, produit par PIERRE-EMMANUEL URCUN, ROY ARIDA, VINCENT LE PORT, LOUIS TARDIVIER

    ESSAIE DE MOURIR JEUNE réalisé par MORGAN SIMON, produit par JESSICA ROSSELET

    GUY MOQUET réalisé par DEMIS HERENGER, produit par NAÏM AÏT-SIDHOUM, JULIEN PERRIN, ELSA MINISINI, ÉLISABETH PAWLOWSKI MON HÉROS réalisé par SYLVAIN DESCLOUS, produit par FLORENCE BORELLY

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film d’Animation pour le court métrage

    LA NUIT AMÉRICAINE D’ANGÉLIQUE réalisé par PIERRE-EMMANUEL LYET, JORIS CLERTÉ, produit par MARYLINE CHARRIER

    LE REPAS DOMINICAL réalisé par CÉLINE DEVAUX, produit par RON DYENS

    SOUS TES DOIGTS réalisé par MARIE-CHRISTINE COURTÈS, produit par JEAN-FRANÇOIS LE CORRE, MARC FAYE

    TIGRES À LA QUEUE LEU LEU réalisé par BENOÎT CHIEUX, produit par DORA BENOUSILIO pour le long métrage ADAMA réalisé par SIMON ROUBY, produit par PHILIPPE AIGLE, SÉVERINE LATHUILLIÈRE, AZMINA GOULAMALY, ALAIN SÉRAPHINE

    AVRIL ET LE MONDE TRUQUÉ réalisé par CHRISTIAN DESMARES, FRANCK EKINCI, produit par MARC JOUSSET, FRANCK EKINCI LE PETIT PRINCE réalisé par MARK OSBORNE, produit par DIMITRI RASSAM, ATON SOUMACHE, ALEXIS VONARB

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Premier Film

    L’AFFAIRE SK1 réalisé par FRÉDÉRIC TELLIER, produit par JULIEN MADON, JULIEN LECLERCQ

    LES COWBOYS réalisé par THOMAS BIDEGAIN, produit par ALAIN ATTAL MUSTANG réalisé par DENIZ GAMZE ERGÜVEN, produit par CHARLES GILLIBERT

    NI LE CIEL NI LA TERRE réalisé par CLÉMENT COGITORE, produit par JEAN-CHRISTOPHE REYMOND, AMAURY OVISE NOUS

    TROIS OU RIEN réalisé par KHEIRON, produit par SIMON ISTOLAINEN, SIDONIE DUMAS

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film Documentaire

    LE BOUTON DE NACRE réalisé par PATRICIO GUZMÁN, produit par RENATE SACHSE

    CAVANNA, JUSQU’À L’ULTIME SECONDE, J’ÉCRIRAI réalisé par DENIS ROBERT, NINA ROBERT, produit par NINA ROBERT, DENIS ROBERT, BERTRAND FAIVRE

    DEMAIN réalisé par CYRIL DION, MÉLANIE LAURENT, produit par BRUNO LEVY

    L’IMAGE MANQUANTE réalisé par RITHY PANH, produit par CATHERINE DUSSART

    UNE JEUNESSE ALLEMANDE réalisé par JEAN-GABRIEL PÉRIOT, produit par NICOLAS BREVIÈRE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film Étranger

    BIRDMAN réalisé par ALEJANDRO GONZÁLEZ IÑÁRRITU, distribution France TWENTIETH CENTURY FOX

    LE FILS DE SAUL réalisé par LÁSZLÓ NEMES, distribution France AD VITAM

    JE SUIS MORT MAIS J’AI DES AMIS réalisé par GUILLAUME MALANDRIN, STÉPHANE MALANDRIN, coproduction France TS PRODUCTIONS (Miléna Poylo, Gilles Sacuto)

    MIA MADRE réalisé par NANNI MORETTI, coproduction France LE PACTE (Jean Labadie)

    TAXI TÉHÉRAN réalisé par JAFAR PANAHI, distribution France MEMENTO FILMS DISTRIBUTION

    LE TOUT NOUVEAU TESTAMENT réalisé par JACO VAN DORMAEL, coproduction France

    APRÈS LE DÉLUGE (Jaco Van Dormael, Olivier Rausin, Daniel Marquet)

    YOUTH réalisé par PAOLO SORRENTINO, coproduction France BARBARY FILMS (Fabio Conversi)

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film

    DHEEPAN produit par PASCAL CAUCHETEUX, GRÉGOIRE SORLAT, réalisé par JACQUES AUDIARD

    FATIMA produit par YASMINA NINI-FAUCON, PHILIPPE FAUCON, réalisé par PHILIPPE FAUCON

    LA LOI DU MARCHÉ produit par CHRISTOPHE ROSSIGNON, PHILIP BOËFFARD, réalisé par STÉPHANE BRIZÉ

    MARGUERITE produit par OLIVIER DELBOSC, MARC MISSONNIER, réalisé par XAVIER GIANNOLI

    MON ROI produit par ALAIN ATTAL, réalisé par MAÏWENN MUSTANG produit par CHARLES GILLIBERT, réalisé par DENIZ GAMZE ERGÜVEN

    LA TÊTE HAUTE produit par FRANÇOIS KRAUS, DENIS PINEAU-VALENCIENNE, réalisé par EMMANUELLE BERCOT

    TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE produit par PASCAL CAUCHETEUX, GRÉGOIRE SORLAT, réalisé par ARNAUD DESPLECHIN

     

  • Critique de L’HERMINE de Christian Vincent

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    25 ans après « La Discrète », Christian Vincent retrouve Fabrice Luchini, non plus dans le rôle d’un écrivain mais dans celui d’un président de cour d’assises. Le personnage qu'il incarne se nomme ici Michel Racine. Voilà un patronyme qui sied parfaitement à cet amoureux des mots qui sait si bien les servir et sublimer.

    Michel Racine apparaît d’abord comme un homme dur et exigeant dans son travail (à tel point qu’on le surnomme « le Président à deux chiffres » car les peines, avec lui, dépassent toujours les dix années), voire misanthrope. Lorsque, pour un nouveau procès, l’homicide d’un enfant dont est accusé le père de celui-ci, Racine tire au sort les noms des derniers jurés, l’un d’eux le fait hésiter avant qu’il le prononce, il semble même légèrement le troubler. Il s’agit de Ditte Lorensen-Coteret, un médecin anesthésiste dont on découvre bientôt qu’il l’a aimée en secret, six ans auparavant.

    L'hermine, c'est la fourrure blanche fixée à la robe de magistrat de Racine. C’est aussi cet animal dont le pelage est brun foncé dessus et blanchâtre dessous en été et qui devient entièrement blanc l’hiver. Tout est dit : Racine est un homme qui se cache derrière son hermine et qui, comme l’hermine, possède une double couleur, un double visage. L’idée du double et du jeu est d’ailleurs omniprésente. La cour est un théâtre et le président d’assises y est en représentation. C’est d’ailleurs aussi la couleur du théâtre, le rouge, qu’il arbore autour du cou, une écharpe qui sert à attirer l’attention et mieux se dissimuler derrière.

    Au début du film, Michel Racine est grippé, fiévreux, affaibli physiquement et moralement, en instance de divorce et visiblement autant redouté par son entourage professionnel (se drapant alors dans son hermine et sa dureté) que méprisé par son entourage personnel.

    Si les scènes de procès sont passionnantes en ce qu’elles montrent les arcanes d’un procès d’assises, tragiquement drôles même parfois, elles sont là aussi pour apporter de nouveaux traits au portrait de Racine qui s’esquisse peu à peu. Intransigeant dans son travail (son rôle), il se révèle presque timide, enfantin et surtout infiniment touchant dans sa relation avec la solaire et douce Ditte. Face à elle, il semble progressivement s’éclairer, s’illuminer, laisser tomber la carapace, l’écharpe rouge et l’hermine. Il se révèle homme mélancolique, lucide (« Vous êtes heureux ? lui demande-t-on. Je n’ai pas cette ambition, répond-il), blessé plus que misanthrope. Et quand il dit à ses jurés « Acceptez de ne pas savoir, acceptez que peut-être jamais n’éclatera la vérité », on songe autant au procès qu’à sa véritable personnalité que les avocats et juges assesseurs imaginent visiblement aux antipodes de celle de cet homme qui ressemble à un enfant, fougueux et intimidé, attendri, ému et exigeant, face à Ditte. Sa vérité qui jamais n’éclatera à leurs yeux. Ditte, habillée et coiffée de manière plus austère au début, se libère aussi progressivement. Les scènes du café où se retrouvent Racine et Ditte sont d’ailleurs filmées au plus près de leurs visages, leurs émotions, leur vérité tandis que dans les scènes de procès Racine apparaît souvent en plans plus larges.

    Tous les personnages sont passionnants, là aussi impeccablement dessinés. Christian Vincent montre très bien comment un procès brasse toutes les origines et fait sortir ceux qui y participent (jurés, témoins) de leur carcan habituel, social et familial, créant des moments de vie qui dérogent au quotidien, uniques. Quant au personnage de Racine, il apporte au film toute sa sensibilité, sa singularité, sa délicatesse (même et surtout parce que dissimulée), sa dualité et à son image le film est double et de film de procès devient un film d’amour. Le film d’ailleurs est presque divisé en deux parties même si la deuxième est éclairée par la première, laissant alors plus de place à la musique et la lumière. Et il en va des êtres comme des films, ceux qui ne révèlent pas immédiatement leur vraie nature, qui ne sont pas d’emblée outrageusement sympathiques ou lisibles, sont aussi souvent les plus vrais, riches et intéressants.

    Il fallait un acteur, exceptionnel, subtil, à la personnalité complexe, comme Luchini pour apporter autant de nuances et de sobriété(d'autant plus surprenante de la part de celui qui, sur les plateaux se montrent si souvent emphatique et extraverti) à ce personnage. Face à lui, Sidse Babett Knudsen est irrésistiblement lumineuse. Quel plaisir aussi de retrouver la truculente Corinne Masiero parmi cette distribution exceptionnelle (des premiers aux seconds rôles). Mention spéciale également pour l’actrice qui interprète la fille de Ditte (Eva Lallier), qui, par sa spontanéité et sa vérité éclatantes, fait d’autant plus sortir Racine de son rôle. Et son nom, Racine, apparaît alors comme une belle ironie de sort : celui de l’écrivain qui a si bien décrit la passion qui anime et détruit les « puissants ».

    Quant à la scène finale qui fait éclater la vérité des êtres, aux yeux de tous, mais visibles par les deux amoureux seuls, elle est aussi magnifique que bouleversante. Un prix du scénario et un prix d’interprétation masculine à la dernière Mostra de Venise, entièrement mérités, et une belle découverte de cette fin d’année. A voir absolument !

    En salles depuis le 18 novembre 2015

  • Critique de DANS LA MAISON de François Ozon (ce soir, à 20H45, sur Ciné plus club)

    Cliquez sur l'affiche du film ci-dessous pour lire ma critique publiée sur Inthemoodlemag.com.

    cinéma, critique, film, Dans la maison, François Ozon, Fabrice Luchini

  • Critique de LES FEMMES DU 6ème ETAGE de Philippe Le Guay à 20H45, sur France 2

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    Film déprogrammé pour "Les tontons flingueurs" de Georges Lautner dans le cadre de l'hommage à ce dernier.

    Présenté à la Berlinale 2011, « Les femmes du 6ème étage » est un film  dans lequel Philippe Le Guay filmait pour la troisième fois Fabrice Luchini qui lui-même joue ici pour la troisième avec Sandrine Kiberlain (qui, elle, en revanche n’avait jamais tourné avec Philippe Le Guay), mais tout cela n’est pas qu’affaire de chiffres ou si, juste un dernier : 60, les années pendant lesquelles se déroule l’intrigue.

    Jean-Louis Joubert (Fabrice Luchini), agent de change rigoureux (de père en fils) de 45 ans, mari de Suzanne Joubert (Sandrine Kiberlain) et père de famille de deux enfants renvoie la femme de ménage, à leur service depuis des années, et en emploie une nouvelle, Maria (Natalia Verbeke), une jeune espagnole. A cette occasion, Jean-Louis découvre une joyeuse cohorte de bonnes espagnoles vivant au sixième étage de son immeuble bourgeois, un univers exubérant et folklorique à l’opposé des manières et de l’austérité de son milieu.

    Un film avec Fabrice Luchini est toujours une curiosité et surtout la manière dont un réalisateur tire profit de son exubérante personnalité (comme dans « Beaumarchais l’insolent ») ou la canalise, comme ici. C’est en effet (dans un premier temps) un personnage éteint, presque étriqué, austère qui, quatre étages au-dessus de chez lui, va découvrir un autre univers, vivant, coloré, joyeux. Ce n’est pas lui ici qui incarne l’exubérance mais les femmes espagnoles au contact desquelles il va s’illuminer, se réveiller, se libérer.

    Ces femmes forment ici une joyeuse communauté malgré (ou à cause de) la pauvreté et la dictature à cause desquelles elles ont quitté leur pays, Carmen Maura en tête mais pas seulement. Ces cinq femmes ne constituent pas une caricature de casting almodovarien mais une communauté éclectique avec la syndicaliste, celle qui cherche à se marier, celle qui est battue par son mari… mais de toutes se dégage une humanité et une joie de vivre communicatives.

    Il aurait été aisé de tomber dans les clichés ou la condescendance, ce que Philippe Le Guay évite toujours soigneusement. Même le personnage de l’épouse, irrésistible Sandrine Kiberlain constamment « é-pui-sée » alors que ses journées laborieuses se partagent en réalité entre coiffeur, manucure, bridge et thé avec ses amies est à la fois superficielle, légère, mais aussi fragile et finira elle aussi par évoluer.

    Avec ses « femmes du 6ème étage » Philippe Le Guay ne révolutionnera certes pas le cinéma (mais ce n’est par ailleurs probablement pas ce à quoi il aspire ni le spectateur en allant voir ce genre de film) et signe une comédie sociale romantique plus maligne qu’elle n’en a l’air (l’inconnu-e- si proche, intemporel-le-), pleine de gaieté communicative et réjouissante. Une fable sans doute utopique mais non moins touchante, pétillante et pleine de charme grâce à « Maria pleine de grâce » et ses joyeuses acolytes espagnoles auxquelles Philippe Le Guay rend un bel hommage, sans oublier Fabrice Luchini et Sandrine Kiberlain dont chaque apparition est un régal pour le spectateur. Vous auriez tort de vous priver de cette rayonnante escapade au 6ème étage!

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  • Critique de DANS LA MAISON de François Ozon à 20H50 sur Canal plus cinéma

    Comme je le fais avec certains de ses ainés (Resnais, Téchiné…) du cinéma français, je m’efforce (très doux effort, d’ailleurs) de ne manquer aucun film de François Ozon, promesse toujours d’une promenade dans les méandres de son imagination fertile servie, toujours aussi, par une réalisation maligne, complice ou traitre, qui nous conduit dans les secrets, souvent enfouis ou inavoués, de l’intérieur…des âmes et/ou des habitations. Et justement, ce nouveau long-métrage librement adapté de la pièce espagnole de Juan Mayorga intitulée « Le Garçon du dernier rang » s’intitule « Dans la maison ».

     Cette maison, c’est celle dans laquelle s’immisce un garçon de 16 ans, Claude (Ernst Umhauer), celle d’un élève de sa classe, Rapha(ël). C’est ce qu’il commence à raconter à son professeur de français, Germain Germain (incarné par Fabrice Luchini)  dans une rédaction, un devoir donné par ce dernier demandant à ses élèves (pardon : ses apprenants) de raconter leur week end. Plus doué que les autres dont les rédactions ne sont qu’une suite de banalités désespérantes, l’élève attire son attention par son intelligence malgré (à cause de ?) son mépris de « l’odeur de la femme de la classe moyenne". La rédaction se termine par « A suivre ». Et des suites, il y en aura beaucoup. Reprenant goût à l’enseignement, Germain le professeur aigri, écrivain raté, continue à donner des cours particuliers et à demander des rédactions à son brillant élève qui dénote parmi ses élèves à uniformes (et uniformisés) et qui continue ainsi à lui raconter et/ou inventer les suites de son aventure et de son intrusion dans la maison. Germain va alors devenir le complice, le manipulateur et la victime de cette brillante rédaction/manipulation à suivre encore et toujours…

    « Dans la maison » commence avec Germain, professeur sans histoire(s), dans le hall vide et austère du lycée, à l’image de son existence, un premier plan auquel le dernier très hitchcockien (je ne vous dirai évidemment pas en quoi il consiste), au contraire riche d’histoires, fait brillamment écho. Entre les deux, François Ozon, s’amuse avec les mots, rend hommage à leur prodigieux pouvoir, à leur troublante beauté, nous donne des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipule tout comme son élève manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme.  Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités : Germain Germain, les deux jumelles (très courte mais irrésistible apparition de Yolande Moreau) et évidemment la plus maligne et féroce d’entre toutes,  le spectateur et Germain pareillement manipulés, voyant leur curiosité aiguisée par  un autre duo Claude/Ozon.

     Et c’est ce qu’est avant tout ce nouveau film de François Ozon : une brillante leçon de manipulation et (donc) surtout d’écriture et de scénario (de ce point de vue comme le prolongement de « Swimming pool » et, dans une moindre mesure, de « Sous le sable »). Tout comme Germain donne un cours d’écriture à Claude en lui parlant de personnages, d’objectifs et de conflits ou encore de ce en quoi consiste une bonne fin (« Quand le spectateur se dit  Je ne m’attendais pas à ça et ça ne pouvait pas finir autrement »),  Ozon nous en donne une à nous aussi, en ne suivant justement pas ce schéma habituel, pour mieux nous dérouter, manipuler, et maintenir ainsi constamment le suspense, la surprise, voire l’emprise. Nous sommes sa marionnette consentante, dans la même situation que Germain, avides de connaître ce que cache ce « A suivre », Claude étant d’ailleurs, plus qu’un brillant écrivain, surtout très habile pour  encourager la fibre voyeuriste de son lecteur (enfin, de ses lecteurs, puisque Germain lit tous ses textes à son épouse). Ce n’est évidemment pas un hasard si Germain et cette dernière vont au cinéma pour voir « Match point » de Woody Allen, la plus brillante des leçons de scénario et manipulation qui soit (critique en bonus à la fin de cet article, avec celle de « Potiche » également de François Ozon).

     Et puis, surtout, Ozon s’amuse. Avec les mots, faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Avec les noms propres (Germain Germain). Avec les codes de l’art : son absurdité, parfois (scènes irrésistibles dans la galerie de l’épouse de Germain interprétée par Kristin Scott Thomas) et sa beauté, souvent (« L’art nous éveille à la beauté des choses » ).  Cela pourrait devenir un thriller mais Ozon se contente d’une inquiétante normalité qui, d’un instant à l’autre, semble pouvoir  dériver vers le drame, toujours latent, retenant ainsi constamment notre attention. Riche de ses influences et références : de Pasolini (« Théorème ») à Hitchcock (« Fenêtre sur cour »), ce nouveau film de François Ozon se situe quelque part entre Chabrol et Polanski mais surtout témoigne de son style bien à lui prouvant, si besoin en était, la vitalité du cinéma français qui compte parmi les meilleurs films de cette année ( dans des genres différents : « J’enrage de son absence », « Une bouteille à la mer », « Vous n’avez encore rien vu », « Les Adieux à la reine », « Comme des frères »… ).

     Le jeu trouble des acteurs, les angles changeants de la caméra (souvent trompeurs et doubles, eux aussi) permettent de brouiller les repères et de mêler les genres cinématographiques, les perceptions, la fiction et la réalité, de s’amuser avec ce jeu dangereux et délectable qu’est l’écriture, avec les clichés aussi. Clichés d’une famille qui semble tout droit sortie d’une sitcom avec sa maison à la décoration proprette, le père incarné par un Denis Ménochet moustachu et réjouissant (qui se prénomme Rapha comme le fils, brouillant là aussi d’autres repères) obsédé par la Chine et le basket, le fils totalement insipide, et la mère (Emmanuelle Seigner, parfaite dans ce contre-emploi de femme au foyer) constamment plongée dans ses magazines de décoration, caricatures de la classe moyenne vue par l’esprit arrogant de Claude.

    Puis il y a Luchini, plus juste que jamais, cet amoureux des mots, sublimes et périlleux, auxquels Ozon rend si bien hommage, citant justement les auteurs que l’acteur aime tant : La Fontaine, Flaubert, Céline, ou encore Dostoïevski (à qui Woody Allen faisait d’ailleurs largement référence dans « Match point ») qui transpose « des êtres pathétiques, nuls, en personnages inoubliables ».  Je vous reparlerai de Luchini et de l’amour des mots demain avec mon compte-rendu de la Master class de Jean-Laurent Cochet, le maître de l’acteur qui continue d’ailleurs de le citer régulièrement.

     Un film brillant et ludique, un labyrinthe (avec et sans minotaure) joyeusement immoral, drôle et cruel, une comédie grinçante et un jeu délicieusement pervers, qui ne pourra que plaire aux amoureux de la littérature et de l’écriture qui sortiront de la salle heureux de voir que, toujours, le cinéma et l’écriture illuminent (ou, certes, dramatisent) l’existence et, en tout cas, sortent vainqueur, et peut-être sortiront-ils aussi en ressassant cette phrase : « Même pieds nus la pluie n’irait pas danser ».  A suivre…

    Critique de "Match point" de Woody Allen

     

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    Un film de Woody Allen comme le sont ceux de la plupart des grands cinéastes est habituellement immédiatement reconnaissable, notamment par le ton, un humour noir corrosif, par la façon dont il (se) met en scène, par la musique jazz, par le lieu (en général New York).

    Cette fois il ne s'agit pas d'un Juif New Yorkais en proie à des questions existentielles mais d'un jeune irlandais d'origine modeste, Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer), qui se fait employer comme professeur de tennis dans un club huppé londonien. C'est là qu'il sympathise avec Tom Hewett (Matthew Goode), jeune homme de la haute société britannique avec qui il partage une passion pour l'opéra. Chris fréquente alors régulièrement les Hewett et fait la connaissance de Chloe (Emily Mortimer), la sœur de Tom, qui tombe immédiatement sous son charme. Alors qu'il s'apprête à l'épouser et donc à gravir l'échelle sociale, il rencontre Nola Rice (Scarlett Johansson), la pulpeuse fiancée de Tom venue tenter sa chance comme comédienne en Angleterre et, comme lui, d'origine modeste. Il éprouve pour elle une attirance immédiate, réciproque. Va alors commencer entre eux une relation torride...

     

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    Je mets au défi quiconque n'ayant pas vu le nom du réalisateur au préalable de deviner qu'il s'agit là d'un film de Woody Allen, si ce n'est qu'il y prouve son génie, dans la mise en scène, le choix et la direction d'acteurs, dans les dialogues et dans le scénario, « Match point » atteignant d'ailleurs pour moi la perfection scénaristique.

    Woody Allen réussit ainsi à nous surprendre, en s'affranchissant des quelques « règles » qui le distinguent habituellement : d'abord en ne se mettant pas en scène, ou en ne mettant pas en scène un acteur mimétique de ses tergiversations existentielles, ensuite en quittant New York qu'il a tant sublimée. Cette fois, il a en effet quitté Manhattan pour Londres, Londres d'une luminosité obscure ou d'une obscurité lumineuse, en tout cas ambiguë, à l'image du personnage principal, indéfinissable.

    Dès la métaphore initiale, Woody Allen nous prévient (en annonçant le thème de la chance) et nous manipule (pour une raison que je vous laisse découvrir), cette métaphore faisant écho à un rebondissement (dans les deux sens du terme) clé du film. Une métaphore sportive qu'il ne cessera ensuite de filer : Chris et Nola Rice se rencontrent ainsi autour d'une table de ping pong et cette dernière qualifie son jeu de « très agressif »...

    « Match point » contrairement à ce que son synopsis pourrait laisser entendre n'est pas une histoire de passion parmi d'autres (passion dont il filme d'ailleurs et néanmoins brillamment l'irrationalité et la frénésie suffocante que sa caméra épouse) et encore moins une comédie romantique (rien à voir avec « Tout le monde dit I love you » pour lequel Woody Allen avait également quitté les Etats-Unis) ; ainsi dès le début s'immisce une fausse note presque imperceptible, sous la forme d'une récurrente thématique pécuniaire, symbole du mépris insidieux, souvent inconscient, que la situation sociale inférieure du jeune professeur de tennis suscite chez sa nouvelle famille, du sentiment d'infériorité que cela suscite chez lui mais aussi de sa rageuse ambition que cela accentue ; fausse note qui va aller crescendo jusqu'à la dissonance paroxystique, dénouement empruntant autant à l'opéra qu'à la tragédie grecque. La musique, notamment de Verdi et de Bizet, exacerbe ainsi encore cette beauté lyrique et tragique.

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    C'est aussi le film des choix cornéliens, d'une balle qui hésite entre deux camps : celui de la passion d'un côté, et de l'amour, voire du devoir, de l'autre croit-on d'abord ; celui de la passion amoureuse d'un côté et d'un autre désir, celui de réussite sociale, de l'autre (Chris dit vouloir « apporter sa contribution à la société ») réalise-t-on progressivement. C'est aussi donc le match de la raison et de la certitude sociale contre la déraison et l'incertitude amoureuse.

    A travers le regard de l'étranger à ce monde, Woody Allen dresse le portrait acide de la « bonne » société londonienne avec un cynisme chabrolien auquel il emprunte d'ailleurs une certaine noirceur et une critique de la bourgeoisie digne de La cérémonie que le dénouement rappelle d'ailleurs.

    Le talent du metteur en scène réside également dans l'identification du spectateur au (anti)héros et à son malaise croissant qui trouve finalement la résolution du choix cornélien inéluctable, aussi odieuse soit-elle. En ne le condamnant pas, en mettant la chance de son côté, la balle dans son camp, c'est finalement notre propre aveuglement ou celui d'une société éblouie par l'arrivisme que Woody Allen stigmatise. Parce-que s'il aime (et d'ailleurs surtout désire) la jeune actrice, Chris aime plus encore l'image de lui-même que lui renvoie son épouse : celle de son ascension.

    Il y a aussi du Renoir dans ce Woody Allen là qui y dissèque les règles d'un jeu social, d'un match fatalement cruel ou même du Balzac car rarement le ballet de la comédie humaine aura été aussi bien orchestré.

    Woody Allen signe un film d'une férocité jubilatoire, un film cynique sur l'ironie du destin, l'implication du hasard et de la chance. Un thème que l'on pouvait notamment trouver dans « La Fille sur le pont » de Patrice Leconte. Le fossé qui sépare le traitement de ce thème dans les deux films est néanmoins immense : le hiatus est ici celui de la morale puisque dans le film de Leconte cette chance était en quelque sorte juste alors qu'elle est ici amorale, voire immorale, ...pour notre plus grand plaisir. C'est donc l'histoire d'un crime sans châtiment dont le héros, sorte de double de Raskolnikov, est d'ailleurs un lecteur assidu de Dostoïevski (mais aussi d'un livre sur Dostoïevski, raison pour laquelle il épatera son futur beau-père sur le sujet), tout comme Woody Allen à en croire une partie la trame du récit qu'il lui « emprunte ».

    Quel soin du détail pour caractériser ses personnages, aussi bien dans la tenue de Nola Rice la première fois que Chris la voit que dans la manière de Chloé de jeter négligemment un disque que Chris vient de lui offrir, sans même le remercier . Les dialogues sont tantôt le reflet du thème récurrent de la chance, tantôt d'une savoureuse noirceur (« Celui qui a dit je préfère la chance au talent avait un regard pénétrant sur la vie », ou citant Sophocle : « n'être jamais venu au monde est peut-être le plus grand bienfait »...). Il y montre aussi on génie de l'ellipse (en quelques détails il nous montre l'évolution de la situation de Chris...).

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    Cette réussite doit aussi beaucoup au choix des interprètes principaux : Jonathan Rhys-Meyer qui interprète Chris, par la profondeur et la nuance de son jeu, nous donnant l'impression de jouer un rôle différent avec chacun de ses interlocuteurs et d'être constamment en proie à un conflit intérieur ; Scarlett Johansson d'une sensualité à fleur de peau qui laisse affleurer une certaine fragilité (celle d'une actrice en apparence sûre d'elle mais en proie aux doutes quant à son avenir de comédienne) pour le rôle de Nola Rice qui devait être pourtant initialement dévolu à Kate Winslet ; Emily Mortimer absolument parfaite en jeune fille de la bourgeoisie londonienne, naïve, désinvolte et snob qui prononce avec la plus grande candeur des répliques inconsciemment cruelles(« je veux mes propres enfants » quand Chris lui parle d'adoption ...). Le couple que forment Chris et Nola s'enrichit ainsi de la fougue, du charme électrique, lascif et sensuel de ses deux interprètes principaux.

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    La réalisation de Woody Allen a ici l'élégance perfide de son personnage principal, et la photographie une blancheur glaciale semble le reflet de son permanent conflit intérieur.

    Le film, d'une noirceur, d'un cynisme, d'une amoralité inhabituels chez le cinéaste, s'achève par une balle de match grandiose au dénouement d'un rebondissement magistral qui par tout autre serait apparu téléphoné mais qui, par le talent de Woody Allen et de son scénario ciselé, apparaît comme une issue d'une implacable et sinistre logique et qui montre avec quelle habileté le cinéaste a manipulé le spectateur (donc à l'image de Chris qui manipule son entourage, dans une sorte de mise en abyme). Un match palpitant, incontournable, inoubliable. Un film audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu'à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d'un regard désabusé et d'une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un chef d'œuvre à voir et à revoir !

    « Match point » est le premier film de la trilogie londonienne de Woody Allen avant « Scoop » et « Le rêve de Cassandre ».

     

     Critique de "Potiche" de François Ozon

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    Il semblerait que François Ozon ait adopté le rythme woodyallenien d’un film par an, signant ainsi avec « Potiche » son douzième long-métrage en douze ans, en passant par des films aussi divers et marquants que « Sitcom », « Swimming pool », « Sous le sable », « Huit femmes »… mais avec toujours la même exigence et toujours un casting de choix.

    Ainsi, dans « Potiche » c’est Catherine Deneuve (que François Ozon retrouve ici 8 ans après « Huit femmes ») qui incarne Suzanne Pujol, épouse soumise de Robert Pujol (Fabrice Luchini) que sa propre fille Joëlle (Judith Godrèche) qualifie avec une cruelle naïveté de «potiche ». Nous sommes en 1977, en province, et Robert Pujol est un patron d’une usine de parapluies irascible et autoritaire aussi bien avec ses ouvriers qu’avec sa femme et ses enfants. A la suite d’une grève et d’une séquestration par ses employés, Robert a un malaise qui l’oblige à faire une cure de repos et s’éloigner de l’usine. Pendant son absence, il faut bien que quelqu’un le remplace. Suzanne est la dernière à laquelle chacun pense pour remplir ce rôle et pourtant elle va s’acquitter de sa tâche avec beaucoup de brio, secondée par sa fille Joëlle et par son fils Laurent (Jérémie Rénier)…

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    Difficile d’imaginer une autre actrice que Catherine Deneuve dans ce rôle (autrefois tenu par une actrice qui ne lui ressemble guère, Jacqueline Maillan, dans la pièce de Barillet et Grédy dont le film est l’adaptation) tant elle y est successivement et parfois en même temps : lumineuse, maligne, snob, touchante, malicieuse, drôle, tendre, naïve, naïvement féroce …et tant ce film semble être une véritable déclaration d’amour à l’actrice. Qu’elle chante « Emmène-moi danser ce soir », qu’elle esquisse quelques pas de danse avec Depardieu ou qu’elle fasse son jogging avec bigoudis, jogging à trois bandes, en parlant aux animaux (et à une nature, prémonitoire, elle aussi moins naïve qu'il n'y paraît) et écrivant des poèmes naïfs ou qu’elle se transforme en leader politique, chacune de ses apparitions (c’est-à-dire une grosse majorité du film) est réellement réjouissante. Depuis que je l’avais vue, ici, lors d’une inoubliable rencontre à sciences-po ou lors de sa leçon de cinéma, tout aussi inoubliable, dans le cadre du Festival de Cannes 2005 (dont vous pouvez retrouver mon récit, ici), j’ai compris aussi à quel point elle était aussi dans la « vraie vie » touchante et humble en plus d’être talentueuse et à quel point sa popularité était méritée. Et puis, je n’oublierai jamais non plus son regard dans la dernière scène de cet autre film, d’une bouleversante intensité à l’image du film en question.

    Ici, lorsqu’elle se retrouve avec Babin-Depardieu, c’est toute la mythologie du cinéma que François Ozon, fervent cinéphile, semble convoquer, six ans après leur dernier film commun « Les temps qui changent » de Téchiné et trente ans après le couple inoubliable qu’ils formèrent dans « Le Dernier métro » de Truffaut. Emane de leur couple improbable (Depardieu interprète un député-maire communiste) une tendre nostalgie qui nous rappelle aussi celui, qui l’était tout autant, de « Drôle d’endroit pour une rencontre » de François Dupeyron. Et les parapluies multicolores ne sont évidemment pas sans nous rappeler ceux de Demy dont l’actrice est indissociable.

    Si le film est empreint d’une douce nostalgie, et ancré dans les années 1970 et une période d’émancipation féminine, Ozon s’amuse et nous amuse avec ses multiples références à l’actualité et les couleurs d’apparence acidulées se révèlent beaucoup plus acides, pour notre plus grand plaisir. D’un Maurice Babin dont l’ inénarrable inspiration capillaire vient de Bernard Thibault, à un Pujol aux citations sarkozystes en passant par une Suzanne qui s’émancipe et prend le pouvoir telle une Ségolène dans l’ombre de son compagnon qui finit par lui prendre la lumière sans oublier les grèves et les séquestrations de chefs d’entreprise, les années 70 ne deviennent qu’un prétexte pour croquer notre époque avec beaucoup d’ironie. Acide aussi parce qu’une fois de plus il n’épargne pas les faux-semblants bourgeois derrière le vaudeville d’apparence innocente.

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    Si Catherine Deneuve EST le film, il ne faudrait pas non plus oublier Fabrice Luchini en patron imbuvable, Judith Godrèche en fille réactionnaire aux allures de Farrah Fawcett, Jérémie Rénier en fils à la sexualité incertaine aux allures de Claude François et Karin Viard irrésistible en secrétaire s’émancipant peu à peu du joug de son patron. Les costumes, sont aussi des acteurs à part entière, et en disent parfois plus longs que des discours et montrent à quel point Ozon ne laisse rien au hasard.

    Un film à la fois drôle et tendre, nostalgique et caustique dont on ressort avec l’envie de chanter, comme Ferrat et Suzanne, « C’est beau la vie »…malgré un scénario parfois irrégulier et quelques ralentissements que nous fait vite oublier cette savoureuse distribution au premier rang de laquelle Catherine Deneuve plus pétillante, séduisante et audacieuse que jamais .