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juste la fin du monde

  • JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan, ce soir, sur Arte

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    Ce soir, sur Arte, à 20H55, ne manquez pas Juste la fin du monde de Xavier Dolan. Comment  ne pas penser à ce film bouleversant avec la tragique disparition de Gaspard Ulliel, un film placé sous le sceau de la mort et de la fatalité ? Il y est remarquable dans le rôle du « roi » Louis, personnage auquel son interprétation magistrale  apporte une infinie douceur. Dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences, il semble ainsi crier sa détresse indicible. 

     Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.
    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau du 69ème Festival de Cannes dans le cadre duquel le film fut projeté.

    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ? Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante.


    La caméra de Dolan, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non-dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.


    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle du Festival de Cannes la même année) semble converser dans ses silences.Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.


    Nathalie Baye, comme dans Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater.
    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi. Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité écrivais-je plus haut, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.


    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel (ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).


    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence ». Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture qui avait marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Critique - JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan à voir ce soir à la télévision à 20H45 sur Ciné + Premier

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    Il y a des films, rares, qui possèdent ce supplément d’âme, qui exhalent cette magie indescriptible (la vie, au fond,  cette « vitalité » que François Trufffaut évoquait à propos des films de Claude Sautet) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est ainsi comme un coup de foudre amoureux. Il anesthésie notre raison, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous procure une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie.

    Voilà ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de Mommy en sortant de sa projection cannoise, film pour lequel Xavier Dolan avec obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes 2014. Voilà ce que je pourrais tout aussi bien écrire à propos Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2016 -dont vous pouvez lire mon premier bilan en cliquant ici- (mais aussi le prix du jury œcuménique dont le but est de récompenser des films « aux qualités humaines qui touchent à la dimension spirituelle »). « Cette récompense est inattendue et extrêmement appréciée » a ainsi déclaré Xavier Dolan à propos de son Grand Prix lors de la conférence de presse des lauréats après la clôture du festival.

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    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

    xavier dolan,juste la fin du monde,gaspard ulliel,marion cotillard,nathalie baye,léa seydoux,vincent cassel,grand prix,festival de cannes,69ème festival de cannes,festival de cannes 2016,mommy,laurence anyways,les amours imaginaires

    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Ma critique de JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan à l'honneur sur Canalplus.fr

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    Chaque mois, je vous recommande un film diffusé sur Canal plus dont ma critique est mise à l'honneur sur Canalplus.fr. Ce mois-ci, je n'ai su choisir entre mes deux coups de cœur de 2016, "Frantz" de François Ozon et "Juste la fin de monde" de Xavier Dolan. Après "Frantz"( dont vous pouvez retrouver ma critique, ici), c'est donc ma critique du film de Xavier Dolan qui est à l'honneur. Vous pourrez (re)voir le film à la fin du mois sur Canal plus. Cliquez ici ou sur l'image ci-dessous pour lire ma critique.

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  • Critique - JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan (disponible en DVD/Blu-ray et VOD ce 7 février 2017)

     

     

    L'annonce de la date de sortie du film en DVD, Blu-ray, VOD est pour moi l'occasion de vous parler de ce film magistral qui figure dans mon top 3 de l'année 2016, un top de 10 films (ou un peu plus) que je vous livrerai très bientôt...

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    Il y a des films, rares, qui possèdent ce supplément d’âme, qui exhalent cette magie indescriptible (la vie, au fond,  cette « vitalité » que François Trufffaut évoquait à propos des films de Claude Sautet) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est ainsi comme un coup de foudre amoureux. Il anesthésie notre raison, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous procure une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie.

    Voilà ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de Mommy en sortant de sa projection cannoise, film pour lequel Xavier Dolan avec obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes 2014. Voilà ce que je pourrais tout aussi bien écrire à propos Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2016 -dont vous pouvez lire mon  bilan en cliquant ici- (mais aussi le prix du jury œcuménique dont le but est de récompenser des films « aux qualités humaines qui touchent à la dimension spirituelle »). « Cette récompense est inattendue et extrêmement appréciée » a ainsi déclaré Xavier Dolan à propos de son Grand Prix lors de la conférence de presse des lauréats après la clôture du festival.

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    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

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    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Le film sortira en salles le 21 septembre 2016. Sans aucun doute y retournerai-je pour, à nouveau, être étourdie d’émotions par ce film palpitant. Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Critique - JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan (en salles le 21 septembre 2016)

     

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    Il y a des films, rares, qui possèdent ce supplément d’âme, qui exhalent cette magie indescriptible (la vie, au fond,  cette « vitalité » que François Trufffaut évoquait à propos des films de Claude Sautet) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est ainsi comme un coup de foudre amoureux. Il anesthésie notre raison, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous procure une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie.

    Voilà ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de Mommy en sortant de sa projection cannoise, film pour lequel Xavier Dolan avec obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes 2014. Voilà ce que je pourrais tout aussi bien écrire à propos Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2016 -dont vous pouvez lire mon premier bilan en cliquant ici- (mais aussi le prix du jury œcuménique dont le but est de récompenser des films « aux qualités humaines qui touchent à la dimension spirituelle »). « Cette récompense est inattendue et extrêmement appréciée » a ainsi déclaré Xavier Dolan à propos de son Grand Prix lors de la conférence de presse des lauréats après la clôture du festival.

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    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

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    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Le film sortira en salles le 21 septembre 2016. Sans aucun doute y retournerai-je pour, à nouveau, être étourdie d’émotions par ce film palpitant. Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Critique de MOMMY de Xavier Dolan à 20H45 sur Ciné + Emotion le 20 septembre

     

    Alors que ce mercredi sort en salles, "Juste la fin du monde", le nouveau film de Xavier Dolan mais aussi LE film du Festival de Cannes 2016 (il a d'ailleurs reçu le grand prix), demain soir, sur Ciné + Emotion, vous pourrez revoir "Mommy", film pour lequel le jeune cinéaste a reçu le prix du jury du Festival de Cannes 2014. Retrouvez ci-dessous ma critique de "Mommy" et, plus bas, celle de "Juste la fin du monde".

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    Petite digression avant d’évoquer le film : je me souviens avoir lu dans le petit journal du Festival Lumière, en 2014,  que Xavier Dolan est « un très grand fan » d’Un cœur en hiver de Claude Sautet, alors projeté à Lyon dans le cadre de la rétrospective consacrée à ce dernier, accessoirement mon film préféré dont je ne me lasse pas de vous parler et dont vous pourrez retrouver ma critique, en cliquant ici. Voilà qui me rassure, moi qu’on regarde toujours avec circonspection (au mieux) quand je parle de ce film avec passion.

    Mommy, c’est Diane Després (Anne Dorval), surnommée…Die (l’ironiquement bien nommée), une veuve qui hérite de la garde de son fils, Steve, un adolescent TDAH impulsif et violent (Antoine-Olivier Pilon). Ils tentent de surmonter leurs difficultés, notamment financières. Sur leurs routes, ils vont trouver Kyla (Suzanne Clément), l’énigmatique voisine d’en face, qui va leur venir en aide.

    Il y a des films, rares, singuliers, qui possèdent ce supplément d’âme ineffable, qui exhalent cette magie indicible (la vie, au fond,  cette « vitalité » dont Truffaut parlait à propos des films de Claude Sautet, on y revient…) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est comme un coup de foudre amoureux. Il rend impossible toute raison, tout raisonnement, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous donne une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie. Et de croire en l’avenir.

    La situation vécue par Diane et son fils est âpre et chaotique mais Xavier Dolan l’auréole de lumière, de musique et d’espoir. Dès les premières minutes, avec ces éclats de lumière et du soleil qui caressent Diane, la magie opère. Xavier Dolan nous happe dans son univers pour ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière, bouleversante, seconde. Un univers éblouissant, étourdissant, dans la forme comme dans le fond qui envoûte, électrise, bouleverse, déroute. En un quart du seconde, il nous fait passer du rire aux larmes, mêlant parfois les deux, mêlant aussi l’emphase et l’intime (il n’est finalement pas si étonnant que Titanic  soit un de ses films de prédilection) avec pour résultat cette émotion, ce mélodrame poignant, poétique, fougueux, étincelant, vivace. Débordant de vie.

    Certaines scènes (nombreuses) sont des moments d’anthologie, parfois à la frontière entre (mélo)drame et comédie. Il y a  notamment cette scène onirique qui raconte ce que la vie aurait pu être « si » Steve n’avait pas été malade et qui m’a bouleversée. Que peut-il y avoir de plus bouleversant que de songer à ce que la vie pourrait être « si »…? Ou encore cette scène où, dans un karaoké, si fier, Steve chante Andrea Bocelli, sous les quolibets, et alors que sa mère a le dos tourné, nous faisant éprouver avec lui la douleur qu’il ressent alors, la violence, contenue d’abord, puis explosive.

    Mommy, c’est donc Anne Dorval qui incarne avec une énergie débordante et un charme et un talent irrésistibles cette mère révoltée, excentrique et pudique, exubérante, malicieuse, forte et blessée qui déborde de vitalité et surtout d’amour pour son fils. Suzanne Clément, plus en retrait, mal à l’aise avec elle-même (elle bégaie) et la vie,  est tout aussi touchante et juste, reprenant vie au contact de Diane et son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement. Ces trois-là vont retrouver l’espoir au contact les uns des autres, se charmer, nous charmer. Parce que si le film raconte une histoire dramatique, il déborde de lumière et d’espoir. Un film solaire sur une situation sombre, à la fois exubérant et pudique, à l’image de Diane.

    Le film ne déborde pas seulement de lumière et d’espoir mais aussi d’idées brillantes et originales comme le format 1:1 qui n’est pas un gadget ou un caprice mais un vrai parti pris formel qui crée une véritable résonance avec le fond (Xavier Dolan l’avait déjà utilisé sur le clip College Boy d’Indochine en 2013) sans parler de ce format qui se modifie au cours du film (je vous laisse découvrir quand et comment, scène magnifique) quand l’horizon s’élargit pour les trois protagonistes.  Par ce procédé et ce quadrilatère, le visage -et donc le personnage- est au centre (tout comme il l’est d’ailleurs dans les films de Claude Sautet, et si Un cœur en hiver est mon film préféré, c’est notamment parce que ses personnages sont d’une complexité passionnante). Grâce à ce procédé ingénieux, rien ne distrait notre attention qui en est décuplée.

    Les films de Xavier Dolan, et celui-ci ne déroge pas à la règle, se distinguent aussi par une bande originale exaltante, entraînante, audacieuse, judicieuse, ici Céline Dion, Oasis, Dido, Sarah McLachlan, Lana del Rey ou encore Andrea Bocelli. Un hétéroclisme à l’image de la folie joyeuse qui réunit ces trois êtres blessés par la vie qui transporte littéralement le spectateur.

    Bien sûr plane l’ombre d’Elephant de Gus Van Sant mais ce film et le cinéma de Xavier Dolan en général ne ressemblent à aucun autre.  Sur les réseaux (a)sociaux (je repense à cette idée de Xavier Dolan -qui, comme Paolo Sorrentino et Pedro Almodovar, dans le cadre du Festival Lumière, comme le veut désormais la tradition du festival, a été invité à tourner sa version de « La sortie des usines Lumière »,- qui a choisi de demander à ses acteurs d’un jour de se filmer eux-mêmes pour montrer le narcissisme et l’égoïsme des réseaux dits sociaux), certains critiquent la précocité de Xavier Dolan encensée par les médias. Sans doute de la jalousie envers son indéniable talent. D’ailleurs, plus que de la précocité, c’est une maturité qui m’avait déjà fascinée dans Les amours imaginaires. Je m’étais demandée comment, à 21 ans, il  pouvait faire preuve d’autant de perspicacité sur les relations amoureuses. Je vous recommande au passage Les amours imaginaires, cette fantasmagorie pop et poétique sur la cristallisation amoureuse, sur ces illusions exaltantes et destructrices, sublimes et pathétiques, un film enivrant et entêtant comme… un amour imaginaire.

    Mommy est le cinquième film, déjà, de Xavier Dolan. C’est d’autant plus fascinant qu’il ne se « contente » pas de  mettre en scène et de diriger, magistralement, ses acteurs mais qu’il est aussi scénariste, monteur, producteur, costumier. Ici, il ne joue pas (en plus de tout cela, c’est aussi un très bon acteur), se trouvant trop âgé pour le rôle d’Antoine-Olivier Pilon qui crève d’ailleurs littéralement l’écran et dont le personnage, malgré ses excès de violence et de langage, emporte la sympathie du spectateur.

    Vous savez ce qu’il vous reste à faire (le film est encore à l’affiche) si vous voulez, vous aussi, ressentir les frissons savoureux procurés par le poignant Mommy de Dolan, fable sombre inondée de lumière, de musique, de courage, quadrilatère fascinant qui met au centre son antihéros attachant et sa mère dans un film d’une inventivité, maturité, vitalité, singularité,  émotion rares et foudroyantes de beauté et sensibilité. Un coup de foudre, vous dis-je.

    Les mots de Xavier Dolan lors de son discours de clôture du Festival de Cannes ont profondément résonné en moi. Un discours qui résume toute la force et la beauté de la création artistique, la violence et la légèreté surtout qu’elle suscite, qui permet de croire que, malgré les terribles vicissitudes de l’existence, tout est possible. Tout reste possible. Merci Xavier Dolan pour ce moment d’émotion sincère et partagé, pour ces films à votre image, vibrants de vie, de passion, de générosité, d’originalité, de folie, de singularité, d’intelligence. J’aurais aimé vous dire tout cela lorsque je vous ai croisé lors du dîner/buffet de clôture au lieu de passer mon chemin. Mais redoutant que mes mots ne soient à la hauteur de mes émotions et de la vôtre, j’ai préféré me taire et rester avec les mots si vibrants de votre discours dont voici un extrait :

     « Une note pour les gens de mon âge, les jeunes de ma génération. Ce sont les notes des dernières années dans ce monde de fous. Malgré les gens qui s’attachent à leurs goûts et n’aiment pas ce que vous faites, mais restez fidèles à ce que vous êtes.  Accrochons nous à nos rêves, car nous pouvons changer le monde par nos rêves, nous pouvons faire rire les gens, les faire pleurer. Nous pouvons changer leurs idées, leurs esprits. Et en changeant leurs esprits, nous pouvons changer le monde. Ce ne sont pas que les hommes politiques et les scientifiques qui peuvent changer le monde, mais aussi les artistes. Ils le font depuis toujours. Il n’y a pas de limite à notre ambition à part celles que nous nous donnons et celles que les autres nous donnent. En bref, je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais. Et puisse ce prix en être la preuve la plus rayonnante ».

    Critique de JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan

     

     

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    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

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    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Le film sortira en salles le 21 septembre 2016. Sans aucun doute y retournerai-je pour, à nouveau, être étourdie d’émotions par ce film palpitant. Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Critique de JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan – Grand Prix du Festival de Cannes 2016

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    Il y a des films, rares, qui possèdent ce supplément d’âme, qui exhalent cette magie indescriptible (la vie, au fond,  cette « vitalité » que François Trufffaut évoquait à propos des films de Claude Sautet) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est ainsi comme un coup de foudre amoureux. Il anesthésie notre raison, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous procure une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie.

    Voilà ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de Mommy en sortant de sa projection cannoise, film pour lequel Xavier Dolan avec obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes 2014. Voilà ce que je pourrais tout aussi bien écrire à propos Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2016 -dont vous pouvez lire mon premier bilan en cliquant ici- (mais aussi le prix du jury œcuménique dont le but est de récompenser des films « aux qualités humaines qui touchent à la dimension spirituelle »). « Cette récompense est inattendue et extrêmement appréciée » a ainsi déclaré Xavier Dolan à propos de son Grand Prix lors de la conférence de presse des lauréats après la clôture du festival.

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    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

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    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Le film sortira en salles le 21 septembre 2016. Sans aucun doute y retournerai-je pour, à nouveau, être étourdie d’émotions par ce film palpitant. Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.