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  • Critique de L’HERMINE de Christian Vincent

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    25 ans après « La Discrète », Christian Vincent retrouve Fabrice Luchini, non plus dans le rôle d’un écrivain mais dans celui d’un président de cour d’assises. Le personnage qu'il incarne se nomme ici Michel Racine. Voilà un patronyme qui sied parfaitement à cet amoureux des mots qui sait si bien les servir et sublimer.

    Michel Racine apparaît d’abord comme un homme dur et exigeant dans son travail (à tel point qu’on le surnomme « le Président à deux chiffres » car les peines, avec lui, dépassent toujours les dix années), voire misanthrope. Lorsque, pour un nouveau procès, l’homicide d’un enfant dont est accusé le père de celui-ci, Racine tire au sort les noms des derniers jurés, l’un d’eux le fait hésiter avant qu’il le prononce, il semble même légèrement le troubler. Il s’agit de Ditte Lorensen-Coteret, un médecin anesthésiste dont on découvre bientôt qu’il l’a aimée en secret, six ans auparavant.

    L'hermine, c'est la fourrure blanche fixée à la robe de magistrat de Racine. C’est aussi cet animal dont le pelage est brun foncé dessus et blanchâtre dessous en été et qui devient entièrement blanc l’hiver. Tout est dit : Racine est un homme qui se cache derrière son hermine et qui, comme l’hermine, possède une double couleur, un double visage. L’idée du double et du jeu est d’ailleurs omniprésente. La cour est un théâtre et le président d’assises y est en représentation. C’est d’ailleurs aussi la couleur du théâtre, le rouge, qu’il arbore autour du cou, une écharpe qui sert à attirer l’attention et mieux se dissimuler derrière.

    Au début du film, Michel Racine est grippé, fiévreux, affaibli physiquement et moralement, en instance de divorce et visiblement autant redouté par son entourage professionnel (se drapant alors dans son hermine et sa dureté) que méprisé par son entourage personnel.

    Si les scènes de procès sont passionnantes en ce qu’elles montrent les arcanes d’un procès d’assises, tragiquement drôles même parfois, elles sont là aussi pour apporter de nouveaux traits au portrait de Racine qui s’esquisse peu à peu. Intransigeant dans son travail (son rôle), il se révèle presque timide, enfantin et surtout infiniment touchant dans sa relation avec la solaire et douce Ditte. Face à elle, il semble progressivement s’éclairer, s’illuminer, laisser tomber la carapace, l’écharpe rouge et l’hermine. Il se révèle homme mélancolique, lucide (« Vous êtes heureux ? lui demande-t-on. Je n’ai pas cette ambition, répond-il), blessé plus que misanthrope. Et quand il dit à ses jurés « Acceptez de ne pas savoir, acceptez que peut-être jamais n’éclatera la vérité », on songe autant au procès qu’à sa véritable personnalité que les avocats et juges assesseurs imaginent visiblement aux antipodes de celle de cet homme qui ressemble à un enfant, fougueux et intimidé, attendri, ému et exigeant, face à Ditte. Sa vérité qui jamais n’éclatera à leurs yeux. Ditte, habillée et coiffée de manière plus austère au début, se libère aussi progressivement. Les scènes du café où se retrouvent Racine et Ditte sont d’ailleurs filmées au plus près de leurs visages, leurs émotions, leur vérité tandis que dans les scènes de procès Racine apparaît souvent en plans plus larges.

    Tous les personnages sont passionnants, là aussi impeccablement dessinés. Christian Vincent montre très bien comment un procès brasse toutes les origines et fait sortir ceux qui y participent (jurés, témoins) de leur carcan habituel, social et familial, créant des moments de vie qui dérogent au quotidien, uniques. Quant au personnage de Racine, il apporte au film toute sa sensibilité, sa singularité, sa délicatesse (même et surtout parce que dissimulée), sa dualité et à son image le film est double et de film de procès devient un film d’amour. Le film d’ailleurs est presque divisé en deux parties même si la deuxième est éclairée par la première, laissant alors plus de place à la musique et la lumière. Et il en va des êtres comme des films, ceux qui ne révèlent pas immédiatement leur vraie nature, qui ne sont pas d’emblée outrageusement sympathiques ou lisibles, sont aussi souvent les plus vrais, riches et intéressants.

    Il fallait un acteur, exceptionnel, subtil, à la personnalité complexe, comme Luchini pour apporter autant de nuances et de sobriété(d'autant plus surprenante de la part de celui qui, sur les plateaux se montrent si souvent emphatique et extraverti) à ce personnage. Face à lui, Sidse Babett Knudsen est irrésistiblement lumineuse. Quel plaisir aussi de retrouver la truculente Corinne Masiero parmi cette distribution exceptionnelle (des premiers aux seconds rôles). Mention spéciale également pour l’actrice qui interprète la fille de Ditte (Eva Lallier), qui, par sa spontanéité et sa vérité éclatantes, fait d’autant plus sortir Racine de son rôle. Et son nom, Racine, apparaît alors comme une belle ironie de sort : celui de l’écrivain qui a si bien décrit la passion qui anime et détruit les « puissants ».

    Quant à la scène finale qui fait éclater la vérité des êtres, aux yeux de tous, mais visibles par les deux amoureux seuls, elle est aussi magnifique que bouleversante. Un prix du scénario et un prix d’interprétation masculine à la dernière Mostra de Venise, entièrement mérités, et une belle découverte de cette fin d’année. A voir absolument !

    En salles depuis le 18 novembre 2015