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CHRONIQUES LITTERAIRES - Page 3

  • Le Salon du livre 2010 en direct

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    Je vous en ai déjà parlé à plusieurs reprises: je fait partie du jury du Prix littéraire des lectrices de Elle 2010. Outre le privilége de recevoir une vingtaine de livres, j'ai la chance, vendredi prochain, d'être invitée au Salon du livre pour rencontrer quelques auteurs:  Antonin Varenne, Camille de Villeneuve,  Véronique Ovaldé, Sarah Kaminsky, Hélène Castel, Dominique Torres et Jean-Marie Pourtaut, Gérard Garouste, Judith Perrignon, Eric Fottorino. Je vous raconterai bien entendu cet après-midi d'exception sur ce blog. Si vous aussi faîtes partie du jury Elle, n'hésitez pas à laisser un message dans les commentaires ou via email (inthemoodforcinema@gmail.com ).

    Le Salon fête cette année ses 30 ans et il se tiendra, comme chaque année, Porte de Versailles, au Parc des Expositions, du 26 au 31 Mars.

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  • « Ce que je sais de Vera Candida » de Véronique Ovaldé-Sélection Prix des lectrices de Elle 2010

    veracandida.jpgCela faisait un moment que je ne vous avais pas proposé de critiques de livres lus dans le cadre du Grand Prix de lectrices de Elle 2010 dont je fais toujours partie du jury. Il faut dire qu'à l'exception de « La Délicatesse » de David Foenkinos,  cette noirceur qui semble commune à tous les livres de la sélection me désespère, une règle à laquelle ne déroge pas vraiment ma dernière lecture:  « Ce que je sais de Vera Candida » de Véronique Ovaldé.

    Véronique Ovaldé nous emmène dans une Amérique du Sud imaginaire, sur l'île de Vatapuna, où naissent trois femmes d'une même lignée avec le même destin : enfanter une fille sans jamais pouvoir révéler le nom du père. Elles sont toutes éprises de liberté, téméraires mais aussi mélancoliques et victimes de la même triste fatalité. Seule Vera Candida osera briser les chaînes du destin, prendre son destin en main en fuyant Vatapuna dès ses 15 ans et en partant pour le continent,  à Lahomeria, pour se forger une nouvelle vie, sans passé... C'est aussi là qu'elle rencontre Itxaga, journaliste à l'Indépendant.

    L'idée de ces chaînes du destin et de la fatalité qu'une femme brisera était aussi judicieuse qu'intéressante. Tout comme celle de ces lieux à la fois imaginaires et si réalistes, empreints de la chaleur, de la moiteur d'une Amérique du Sud qui n'échappe pas à la corruption. Sans doute  l'écriture de Véronique Ovaldé est-elle vive et marquée d'une certaine légèreté (d'humour même), idée plutôt astucieuse pour évoquer les passés de ces femmes qui sont de véritables fardeaux.

    Véronique Ovaldé a un style bien à elle mais qui semble tellement maniéré (phrases interminables, parfois des majuscules quand il n'en faut pas ou sans majuscules quand il en faudrait...) que cela en perd (à mes yeux) tout intérêt. Je n'ai rien contre la modernité littéraire revendiquée et marquée par des audaces stylistiques, même parfois hasardeuses, même quand elle prend des libertés avec la grammaire ... à condition que cela ne freine pas la lecture et l'enrichisse d'une manière ou d'une autre. En ce qui me concerne, cela a constitué un frein à l'envie de savoir ce qu'elle savait de Vera Candida....  Pour moi trop de style et surtout d'obstination à en faire preuve et le démontrer, tue le style et surtout le fil de l'histoire.  Le titre en est un parfait exemple...

    Et puis je suis un peu lasse de ces destins sordides que je retrouve livres après livres (de cette sélection en tout cas), quels qu'en soient les lieux et époques.

     Véronique Ovaldé signe ainsi certes des portraits de femmes fortes que je n'ai néanmoins pas réussi à trouver attachantes. Les chaînes de leurs destins transforment ce qui aurait pu être des contes enchanteurs en contes désenchantés. Un livre qui aura au moins le mérité de nous parler d'ici (un "ici ailleurs" néanmoins souvent glauque) en nous emmenant ailleurs. Il faut ainsi reconnaître que Véronique Ovaldé parvient à nous faire croire en cet ailleurs... tout en nous dissuadant d'y aller !

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  • "Le sens de la famille" de A.M. Homes (sélection prix du jury des lectrices de Elle 2010)

    Homes.jpgAvant-dernier des 7 livres que je dois lire ce mois-ci pour le jury du prix des lectrices de Elle 2010 : « Le sens de la famille » de A.M Homes.

    Dans ce récit autobiographique, la romancière new yorkaise A.M Homes ( issue d'une liaison entre Elle Ballmann, une jeune femme de 22 ans et de son employeur Norman Hecht, un homme marié plus âgé quelle et déjà père de famille, adoptée par un couple d'universitaires après le décès de leur fils) raconte comment,  à l'âge de 31 ans, elle a vu ses parents biologiques surgir dans son existence, l'un après l'autre, et alors qu'elle était en train de connaître ses premiers succès littéraires.

    Avec ce roman dans lequel elle évoque de manière factuelle les évènements, A.M nous plonge dans sa quête et son voyage identitaires... Une mise à nu nécessaire mais périlleuse, brutale, parfois même glaciale. Mais comment ne pas être perturbée par un si violent surgissement du passé?

    Elle se retrouve en effet avec 4 parents avec ce que cela engendre de tiraillements, questionnements, souvent d'ailleurs sans réponses. A.M Homes nous plonge ainsi dans son conflit intérieur, menant l'enquête pour éclaircir les nombreuses zones d'ombre du passé, avec une rage obsessionnelle, celle de connaître ses racines, le sens de son existence.

    Ses mots sont parfois cassants, ses phrases sont souvent percutantes, aussi fracassantes qu'habiles, ses blessures prenant souvent le masque de l'ironie ou même du cynisme.

     « Le sens de la famille » est avant tout un poignant cri de douleur, une quête d'amour, de sens. A.M Homes essaie de mettre des mots sur ses maux, parfois avec la violence qui leur sied. Ainsi elle s'estime « là pour panser les plaies, pour remplacer un enfant mort ».  Ses parents adoptifs ne sont ainsi pas non plus épargnés, et elle se retrouve écartelée entre ces derniers et sa mère biologique qui la harcèle, étouffante, souvent pathétique de même que son père adoptif, un être lâche lui aussi souvent d'une pathétique maladresse.

    Mais « le sens de la famille » est aussi un hommage au pouvoir rédempteur de l'écriture, le moyen d'expression d'un viscéral cri de douleur. Le titre du livre précédent de A.M Homes prend alors tout son sens « Ce livre va vous sauver la vie ». Un voyage éprouvant et courageux dans une identité, finalement nécessaire pour son auteur et peut-être d'autres qui ont vécu cette même souffrance, cette même quête éperdue de sens à laquelle elle donne une douloureuse noblesse.

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  • « Belle Epoque » de Kate Cambor (sélection prix littéraire des lectrices de Elle 2010)

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    Cinquième des sept livres que je dois lire ce mois-ci pour le jury du prix littéraire des lectrices de Elle 2010, « Belle Epoque » de Kate Cambor était un premier roman particulièrement prometteur. Signée par une historienne vivant aux Etats-Unis, il ambitionnait de nous raconter la Belle Epoque à travers trois destinées et celles de ceux qu'ils ont côtoyés : le fils d'Alphonse Daudet, la petite-fille de Victor Hugo et le fils du professeur Charcot respectivement nommés Léon, Jeanne et Jean-Baptiste. Héritiers de noms illustres mais aussi de la jalousie et de l'admiration suscitées par leurs aînés. Jeanne est la seule qui n'a pas souhaité avoir de destin propre, qui a toujours revendiqué sa condition de petite-fille de Victor Hugo, ce grand-père tant admiré qui avait écrit pour elle « L'Art d'être grand-père ». Léon va vivre entre littérature, journalisme et politique et Jean-Baptiste va partir explorer les mers et continents. Ces trois jeunes gens sont très liés et ont presque grandi ensemble, vivant la même jeunesse dorée. Jeanne épousera ainsi Léon avant de divorcer pour épouser Jean-Baptiste avant... de divorcer à nouveau. En suivant les fils de leurs destinées nous croisons d'autres noms tout aussi illustres : Flaubert, Zola, Tourgueniev, Goncourt... et les grands faits de cette époque : le scandale de Panama, l'affaire Dreyfus...

    Quelle ambition, certes louable, que de  vouloir raconter l'histoire de la Belle Epoque. Pour la vulgariser, Kate Cambor a donc choisi trois personnages au centre des évènements qui l'ont jalonnée et qui vont voir les attentes qu'ils ont suscitées anéanties autant par « leurs propres démons » que par les évènements internationaux. Leur quête identitaire et leur envie de s'écrire une histoire va se heurter à l'Histoire, la grande, en pleine ébullition. Plus que de vivre à la Belle Epoque, ils en incarnent les espoirs et les désillusions, les réussites et les défaites, « les possibilités et les frustrations ».

    Kate Chambor à force de vouloir vulgariser a peut-être trop simplifié des évènements parfois complexes, et à trop vouloir romancer donne souvent l'impression de broder sur des sentiments, des évènements, des personnalités qu'elle rend ainsi certes vivants, humains mais auxquels elle fait perdre de l'épaisseur et de la crédibilité. Plutôt que de m'immerger dans l'époque, cela n'a fait que me tenir à distance, ayant l'impression qu'elle ne cessait d'extrapoler, de prêter à ses personnages des pensées qu'ils n'ont pas forcément eues.

    Quant à l'aspect historique, les évènements relatés figurent dans tous les livres d'Histoire et Kate Cambor ne nous apprend finalement pas grand-chose. En alternant entre roman et essai historique, elle a finalement fait perdre de la crédibilité et de l'intensité à l'un et à l'autre. Les incessants retours en arrière nous empêchent de suivre les histoires de Jeanne, Léon et Jean-Baptises comme celles d'un roman et les évènements historiques au lieu de les intégrer à cette Histoire donnent souvent l'impression d'être catalogués à des moments inopportuns.

    Sans doute ma plus grande déception de cette sélection tant la quatrième couverture nous promettait un voyage historique alléchant mais après tout il ne s'agit que d'un premier roman avec ses faiblesses inhérentes qui a au moins le mérite de nous replonger dans cette époque palpitante jalonnée de grands bouleversements qui ont fait changer la face du monde entre grandes découvertes, grands hommes et montées des totalitarismes! Ainsi l'explique très bien Kate Cambor : «Personne mieux que Léon Daudet, Jean-Baptiste Charcot et Jeanne Hugo ne reflète les contradictions et les confusions inhérentes à cette génération. Ils ont grandi à l'époque où les voitures à chevaux circulaient dans Paris et ils sont morts alors que les avions s'emparaient du ciel. Enfants, on leur parlait d'une Europe pas si lointaine gouvernée par des rois et des conquérants corses; adultes, ils ont vu avec terreur et incrédulité des dictateurs et des assassins en chemise brune asservir un continent apeuré et docile.»

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  • "Les Fantômes de Saint-Michel" de Jake Lamar (Sélection prix littéraire des lectrices de Elle 2010)

    saintmichel.jpgVoici le quatrième livre des sept que je dois lire ce mois-ci, dans le cadre de ma participation au jury du prix des lectrices de Elle 2010 : « Les Fantômes de Saint-Michel » de l'Américain Jake Lamar, parisien d'adoption depuis 1993. C'est en toute logique que l'auteur a donc situé l'intrigue de son dernier roman, à Paris, la fontaine Saint-Michel ayant inspiré le titre (il s'agit ici de fantômes du passé, au sens abstrait donc, ne vous attendez pas à voir apparaître des spectres effrayants ! ) jouant ici un rôle central.

    Marva Dobbs est une figure emblématique de la communauté afro-américaine de Paris. Son restaurant Soul Food Kitchen dont la bonne réputation n'est plus à faire est en permanence complet, fréquenté par de nombreuses célébrités et par  les Américains de passage ou vivant à Paris. A plus de soixante ans, elle est toujours amoureuse de son mari français, Loïc. Leur fille Naima vit à New York où elle débute une carrière dans le cinéma. Marva a une liaison avec le nouveau cuisinier Hassan, qui a plus de la moitié de son âge, une liaison à laquelle elle est décidée à mettre fin avant d'apprendre qu'il a disparu. Au même moment un attentat est perpétré dans un organisme culturel américain. Quelques heures plus tard, Marva disparaît à son tour  de l'hôpital où elle était soignée après avoir eu un accident de voiture. Naïma est rappelée en catastrophe par son père, elle revient à Paris et découvre que ses parents avaient bien des secrets...

     Une fois encore, comme plusieurs autres romans de cette sélection, « Les Fantômes de Saint-Michel » est un roman dont la construction est davantage cinématographique que littéraire : flashbacks (particulièrement abondants ici !), rythme haletant souvent au mépris de la psychologie des personnages (pas tous, certains étant certes d'une réjouissante complexité), langage très simple pour que le lecteur se forge facilement des images... et pour couronner le tout ici, fin des plus ouvertes pour déjà préparer et susciter l'envie d'une inéluctable suite !

    Ce roman a donc les qualités de ses défauts précités : rythme trépidant et donc pas une seconde d'ennui, facilité d'écriture  et de lecture. Mais  aussi avec ses limites avec pour principal effet de nous laisser un désagréable goût d'inachevé. En raison du grand nombre de personnages secondaires d'abord que Jake Lamar abandonne parfois en route. En raison d'une fin particulièrement frustrante ensuite qui donne l'impression que rien n'est résolu, que les personnages n'ont finalement pas évolué, et que nous avons été menés en bateau pour rien et que ce roman n'a été écrit que pour nous donner envie de lire la suite (ce qui est de ce point de vue d'ailleurs particulièrement réussi, l'attachement aux personnages principaux que Jake Lamar crée avec beaucoup d'habileté nous donnant envie de savoir quelles seront leurs destinées). En raison de la multitude d'évènements historiques, enfin, de fantômes du passé convoqués (combat entre libérateurs de Paris et occupants en 1944, attentat du RER Saint-Michel en 1995, tragique massacre des Algériens le 17 octobre 1961), qu'il aurait été intéressant de creuser davantage et qui semblent n'être là que pour donner une justification au titre et aux hasards et coïncidences du destin, même si leur rapprochement est loin d'être dénué d'intérêt et même la bonne idée du roman .

    Par ailleurs, le regard d'Américain à Paris de Jake Lamar alourdit l'ensemble de détails inutiles pour tout Français connaissant un petit minimum Paris... même s'il parvient à éviter les clichés.

     Malgré tout, la dextérité de l'auteur pour nouer et dénouer les fils de l'intrigue, le caractère complexe et attachant de ses personnages, les liens qu'il tisse entre les fils capricieux de leurs destins, la peinture de la vie française des expatriés noirs américains rendent son roman attrayant et divertissant. Dommage qu'il manque de  profondeur  même si la menace du 11 septembre avant lequel se déroule l'intrigue  et l'ombre qu'elle fait planer procurent à l'ensemble un autre degré de lecture et un relief ambigu et intéressant.

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  • "Personne" de Gwenaëlle Aubry - sélection prix littéraire des lectrices de Elle 2010

    personne.jpgDans le cadre de ma participation au jury des lectrices de Elle 2010, le marathon des lectures se poursuit, même s'il me reste encore 4 livres à lire pour ce mois-ci, ma préférence pour la sélection de ce mois-ci allant toujours vers celui de David Foenkinos « La Délicatesse ».

    « Personne » c'est ainsi que s'intitule le roman dont je vais vous parler aujourd'hui pour lequel Gwenaëlle Aubry vient de recevoir le prix Femina. « Personne » est le second roman de cette sélection du prix littéraire des lectrices de Elle 2010 à être celui d'un auteur consacré à son père disparu « L'Homme qui m'aimait tout bas » d'Eric Fottorino étant le premier. Là s'arrêtera la comparaison, les deux pères et les deux styles des deux auteurs pour les évoquer étant radicalement différents...même s'il s'agit dans les deux cas d'un hommage, d'un moyen de tenter d'exprimer la douleur indicible et suffocante, de s'en décharger, un peu en tout cas...  C'est aussi le deuxième roman à évoquer la folie après  «L'Intranquille » de Gérard Garouste co-écrit avec Judith Perrignon.

    « Personne » est le cinquième roman de Gwenaëlle Aubry, un roman grave et poignant dans lequel elle donne une voix à son père mort récemment, François-Xavier Aubry, juriste, professeur à la Sorbonne, spécialiste de la décentralisation et atteint d'une psychose maniaco-dépressive à laquelle il a finalement succombé.

     Pour dresser le portrait de cet homme dont le cerveau déconstruisait le réel, habité par une foule d'autres et de désordres, Gwenaëlle Aubry a choisi la logique et l'ordre des lettres. C'est en effet sous forme de roman abécédaire, d'Antonin Artaud à Zelig, qu'elle raconte son histoire, sa « personne-alité », ses brisures, ses gouffres. Pour cela elle a choisi deux voix : la sienne et celle de son père par le biais d'un manuscrit retrouvé après sa mort qui portait le titre de « Mouton noir mélancolique » dans lequel il racontait sa maladie.

     Peu à peu le puzzle se reconstitue, les lettres s'assemblent pour que celui qui n'était plus personne à force d'endosser tant de personnalités devienne une personne. Entre exaltation et désespoir, lumière et déchéance, entre son milieu bourgeois conservateur et celui des marginaux, d'une certaine manière Gwenaëlle Aubry épouse cette folie, en tout cas cette double vie dans laquelle rien n'est stable, rien n'est logique, tout est incertain, insaisissable et douloureux. Elle nous parle de l'enfant qu'il était. De l'enfance qu'elle a perdue à ses côté.

    Elle tente ainsi d'établir un portrait « en vingt-six angles et au centre absent », chaque lettre évoquant « une des figures dans lesquelles il se projetait ». Plus qu'un portrait, c'est un hommage, une enquête, un désir de comprendre cette âme chaotique, de reconstituer ces fragments éparpillés d'un être étrange et étranger. Au monde. Aux autres. Et surtout à lui-même.

    Les longues phrases de Gwenaëlle Aubry, parfois sans ponctuation, à bout de souffle essaient de lui faire retrouver une respiration, un second souffle, de combler le vide en même temps qu'elles en expriment la douleur et le délire. Un témoignage et un hommage bouleversants mais surtout suffocants davantage qu'un roman même s'il en porte le titre et en comporte la richesse, la beauté grave et mélancolique  et la complexité.

    "Je reçois ce prix comme une double reconnaissance, à la fois de mon travail d'écrivain et du texte de mon père dont je suis partie", a-t-elle souligné après l'annonce du prix Femina : "Le mouvement d'écriture a été très libérateur et curieusement euphorisant. Je n'ai pas du tout écrit ce livre dans la douleur ou dans le deuil. Il y avait quelque chose de fondamentalement vivant à accompagner, à partir du manuscrit qui m'a été légué par mon père".

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  • "Les Visages" de Jesse Kellerman (sélection prix littéraire de Elle 2010)

    vsaiges.jpgJe viens de terminer la lecture d'un deuxième roman sur les sept que compte la sélection de ce mois-ci dans le cadre du jury des lectrices de Elle 2010, cette fois un polar se déroulant  à New York, élu meilleur thriller de l'année par le New York Times.

     Le roman commence dans une galerie d'art, plus précisément celle dont Ethan Muller est propriétaire. Il découvre une série de dessins d'une qualité exceptionnelle dont le mystérieux auteur qui vit dans un appartement miteux, Victor Crack, a disparu... Cela n'empêche pas Ethan Muller de vendre ses dessins jusqu'à ce qu'un policier à la retraite reconnaisse sur certains portraits de Victor Crack les visages d'enfants victimes d'un mystérieux tueur en série, des années plus tôt. Ethan va alors mener sa propre enquête qui va le mener bien plus loin qu'il ne l'aurait imaginé...et que le lecteur l'aurait sans doute imaginé.

    Ma première réaction a été de me dire : encore une histoire sordide et en plus de disparitions ou meurtres d'enfants, sujets déjà abordés dans deux autres romans de la sélection (celui-ci, pour le sordide; et celui-là, mon préféré des trois). Le livre est précédé d'une citation de Dubuffet : « Le vrai art est toujours là où on ne l'attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L'art déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt » puis les premiers mots du narrateur sont « Au début, je me suis mal comporté. » Ces deux citations pourraient résumer ce roman qui est d'abord un portrait du monde l'art contemporain à New York, un monde cynique et opportuniste. C'est aussi l'histoire d'un homme qui s'est « mal comporté », et qui peu à peu va tisser des liens inattendus avec son passé. Un homme qui, à l'image de ce roman, est plutôt antipathique, et va nous emporter bien malgré nous dans son histoire.

    Il faut dire que Jesse Kellerman ne ménage pas les techniques et les rebondissements pour y parvenir. D'abord, le personnage principal narrateur s'adresse régulièrement au lecteur, faisant preuve d'autocritique et d'autodérision, histoire d'avoir l'empathie du lecteur en attendant d'emporter sa sympathie. Puis, alors que l'attention du lecteur aurait pu faiblir, il « met en scène » des interludes (qui se reproduiront à divers passages du roman) dont le premier nous renvoie au 18ème siècle et nous plonge dans l'histoire passée des ancêtres d'Ethan, une histoire passée qui va rejoindre et éclairer le présent. Ensuite, il manie avec dextérité le langage, l'adaptant judicieusement aux personnages dont il transcrit les pensées, évitant un ton monocorde et ennuyeux. Enfin, l'astucieux renversement de situation final nous laisse forcément une forte impression.

    Plus qu'un polar, « Les Visages » est d'abord une réflexion souvent ironique, et lucide, sur l'art contemporain mais c'est  aussi et surtout une histoire de filiation, une histoire qui relie habilement passé et présent, et dont les visages qu'il révèle sont autant ceux des tableaux, des victimes que les vrais visages, à nu, d'un père et son fils. C'est finalement la partie la plus intéressante du roman, l'intérêt principal étant de nous plonger dans les pensées de l'un et de l'autre qui ne se parlent plus et dont les fêlures et les blessures sont finalement si proches.  L'intérêt aussi de montrer un homme écartelé, Ethan. Entre deux femmes (l'une représentant son passé, cynique et indépendante, l'autre son potentiel avenir, plus douce et tentant de le relier à des racines). Entre deux vies possibles.

    Mais ce qui m'a à nouveau marquée dans ce roman, c'est l'utilisation de « recettes » très cinématographiques. La voix du narrateur ressemble à une voix off avec cette dérision dont savent faire preuve un grand nombre de voix off dans les films américains. Avec ses flashbacks. Avec son rebondissement final destiné à nous laisser forte impression, une image forte.  Avec ce langage très direct qui vise l'efficacité avant tout.

     La construction est donc extrêmement habile, et ne révèle son ingéniosité et son vrai visage qu'à la toute dernière page. Malgré mes réticences initiales liées au sujet, malgré certains passages qui, au cinéma, pourraient être qualifiés de racoleurs, Jesse Kellerman a un indéniable talent pour tenir le lecteur en haleine, le dérouter et le surprendre...même si une description encore plus précise du milieu de l'art  lui aurait procuré davantage encore de profondeur.

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