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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Cannes, c’est avant tout la compétition officielle à laquelle je consacre chaque année la majorité de mes articles ici mais ce sont aussi, en sélection officielle hors compétition, de purs moments jubilatoires de cinéma à grand spectacle, de ceux qui nous rappellent à quel point voir un film sur grand écran est un plaisir inégalé, a fortiori après ces mois de pandémie. En cela, ce blockbuster remplit pleinement son rôle et avait particulièrement sa place à Cannes, l’antre de la cinéphilie mais aussi du rêve … comme l’incarna également un film comme Gatsby le magnifique de Baz Luhrmann qui fit l’ouverture il y a quelques années.
Après avoir été l’un des meilleurs pilotes de chasse de la Marine américaine pendant plus de trente ans, Pete “Maverick" Mitchell (Tom Cruise) continue à repousser ses limites en tant que pilote d'essai. Il refuse de monter en grade, car cela l’obligerait à renoncer à voler. Il est chargé de former un détachement de jeunes diplômés de l’école Top Gun pour une mission spéciale qu’aucun pilote n'aurait jamais imaginée. Lors de cette mission, Maverick rencontre le lieutenant Bradley “Rooster” Bradshaw (Miles Teller), le fils de son défunt ami, le navigateur Nick “Goose” Bradshaw. Face à un avenir incertain, hanté par ses fantômes, Maverick va devoir affronter ses pires cauchemars au cours d’une mission qui exigera les plus grands des sacrifices.
L’effervescence était hier à son comble sur la Croisette avec la présence de la patrouille de France mais aussi celle de l’acteur qui incarne Pete « Maverick » Mitchell, Tom Cruise, qui, pour l’occasion, a donné une masterclass et s’est vu remettre une palme d’or d’honneur.
En 1986, le budget de Top gun était de 15 millions de dollars. Il en avait rapporté 357. Le budget de cette suite était presque 10 fois plus élevé : 140 millions de dollars ! Le pari devrait être gagné et les recettes seront certainement au rendez-vous avec cette suite attendue depuis des décennies, une suite qui en met plein les yeux. Si elle est spectaculaire, elle n’en oublie pas pour autant l’émotion notamment dans une scène de face à face avec Tom "Iceman" Kazansky (Val Kilmer). Certes le scénario fourmille de scènes et personnages archétypaux, voire caricaturaux, la romance est plus que convenue et même bâclée, mais c’est aussi ce que le public attend de ce genre de blockbuster, être rassuré en retrouvant ces « figures » familières.
Le BO, entêtante et galvanisante, comme celle du film de 1986 ne manquera pas de susciter l’engouement et de contribuer au succès du film, notamment la chanson Hold My Hand signée Lady Gaga.
La nostalgie est aussi au rendez-vous avec des clins d’œil assumés : d’un match de football américain sur la plage, clin d’œil évident à la scène de beach-volley, à des scènes de moto sur fond de soleil éblouissant.
Un blockbuster spectaculaire qui devrait réjouir les inconditionnels de Top gun et faire venir en masse les spectateurs en salles. Certes pas de surprise : la bannière étoilée, l’honneur, l’héroïsme et les bons sentiments triomphent. Mais les scènes aériennes majestueusement chorégraphiées vous cloueront à votre siège et vous feront oublier le temps et la réalité et, rien que pour cela, ce vol ébouriffant vaut le voyage ! Rendez-vous en salles le 25 mai prochain !
Ce jour qui aurait dû être celui de l'ouverture de sa 73ème édition, je vous raconte ce que représente pour moi le Festival de Cannes... :
« Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments » déclare le personnage incarné par Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse dans le film de Michael Haneke, Amour (palme d’or du Festival de Cannes 2012). Parce que dans mon "film de Cannes" il y aurait trop de souvenirs, de films magistraux ou de rencontres marquantes ou de moments inoubliables, inénarrables parfois, à citer ou raconter, j’ai plutôt choisi de vous parler des sentiments que m'inspire Cannes et dont je me souviens…
Ce soir, L'Aquarium du Carnaval des animaux de Saint-Saëns ne résonnera pas sur la Croisette. Réminiscence émouvante de tant de souvenirs, depuis mon premier Festival de Cannes il y a 20 ans (grâce à l'écriture déjà, alors étudiante en sciences politiques grâce à un concours du Ministère de la jeunesse et des sports, j'avais remporté une semaine au festival avec le sentiment un peu coupable de faire l'école buissonnière mais surtout exaltant de faire un pas de plus vers cette passion pour le cinéma qui m'animait depuis l'enfance), sans imaginer alors que 18 autres lui succéderaient. Ce soir, je ne déambulerai pas dans ce labyrinthe délicieusement inextricable dont les frontières sont délimitées par les confins d’une ville appelée Cannes qui, pendant douze jours, devient le centre du monde. Ou du moins nous en donne la troublante illusion. Parce que là bat le cœur exalté et insatiable du cinéma soudain omniprésent, omniscient, omnipotent même. Jours et nuits, réalité et fiction s’y imbriquent et confondent. A voyager immobiles dans les cinématographies du monde entier, à regarder la réalité du monde, poétique parfois, âpre souvent, confortablement installés à l’abri de ses tumultes. Miroir grossissant et informant du monde. Un monde dont ce festival met en lumière les ombres et les blessures alors que, n’étant pas à un paradoxe près, il nous en tient tellement éloignés. Avec cette Croisette insolemment insomniaque où se frôle une faune excentrique et volubile. Là se réunissent des curiosités inextinguibles pour le cinéma et la vie qui s’y entremêlent, s’y défient et entrechoquent. Tourbillon de cinéma avec ses rituels, dérisoires et soudain essentiels.
A Cannes, nous sommes tous des enfants gâtés et capricieux qui oublions le lendemain, qui oublions que tout doit finir un jour, que la vie ne peut être une fête et un spectacle et une histoire et une nuit sans fin. Cannes et sa frénésie : de fêtes, de bruit, de rumeurs, de scandales, et de cinéma heureusement. Cannes effervescente qui s’enivre de murmures, qui se grise de lumières fugaces. Cannes où des rêves achoppent, où des projets s’esquissent, où des carrières s’envolent, se brisent aussi parfois, où des films vous éblouissent, où des regards étincellent, où des cinéastes émergent, se révèlent au monde, nous révèlent un monde. Le leur. Le nôtre. Cannes et sa palme. D’or et de bruit et de lumières. Tonitruante, retentissante, scintillante. Cannes aux intentions pacifistes, aux débats presque belliqueux. Cannes paradoxale. Multiple et unique. Lumineuse et violente. J’y ai découvert des films inoubliables, j'y ai assisté à des master classes passionnantes et j’y ai vécu des moments uniques, insolites et irréels et improbables aussi, parfois plus encore que ceux auxquels je venais d’assister sur les écrans. J’y ai ressenti de formidables frissons cinéphiliques. De bonheur. D’effroi. De tension. Cannes, étourdissant manège pour cinéphiles. Même si je connais les pièges et revers de ce théâtre des vanités, cette comédie humaine fascinante et terrifiante (un peu, parfois, aussi), la versatilité des personnalités et avis pour un sursaut d'orgueil. Même si je sais que tant d’illusions s’y fracassent, que Cannes peut encenser, broyer, magnifier, dévaster et en a perdu certains à force de les éblouir, les fasciner, les aliéner.
Ainsi, j’aime :
Entendre le petit cliquetis lorsque les contrôleurs scannent les badges à l'entrée de la salle Debussy ou du Grand Théâtre Lumière comme un passeport pour le paradis, celui des cinéphiles. Me laisser envoûter par le lever du soleil en allant à la première projection du matin sur une Croisette alors étrangement déserte et sereine et avoir l’impression que l'avenir m’appartient, soudain sans un nuage pour l'assombrir. Oublier que ce tourbillon enivrant de cinéma ne durera pas toujours, que les nuages reviennent forcément un jour ou l'autre, et que des illusions s’y perdent, aussi. Avoir le cœur qui bat la chamade en entrant dans le Grand Théâtre Lumière, comme la première fois où je découvrais cet antre du cinéma. Ce moment palpitant lorsque la salle est plongée dans le noir et avant que ne s’allume l’écran lorsque le souffle de la salle est suspendu à ces premières images qui nous happeront dans un nouvel univers, un nouveau monde, une nouvelle aventure. Ce moment à la fin du film où, aussi, la salle retient son souffle, avant de se taire, glaciale, ou d'applaudir, éperdue de reconnaissance. Rarement dans la demi-mesure. Lorsque les applaudissements semblent ne devoir jamais arrêter leur course folle et s'élancent en une vague de gratitude. Cette bulle d'irréalité où les émotions, les joies réelles et cinématographiques, si disproportionnées, procurent un sentiment d'éternité éphémère. Parler cinéma à toute heure du jour et de la nuit. Redécouvrir des classiques du cinéma à Cannes classics, ceux par lesquels j'ai commencé à l'aimer et se dire que la boucle est bouclée et que tout recommence, toujours. Découvrir des pépites du septième art et en être exaltée. Être heurtée, brusquée par un film et en être exaltée, aussi, malgré tout. Gravir les marches les plus célèbres du monde au son de la musique sous un soleil éblouissant et, l'espace d'un instant, être envahie par l'irréalité étincelante que procure ce moment qui suspend le vol du temps et la conscience et la terreur de la fin, de toute fin. Sortir d'une projection tardive, un peu étourdie, éblouie, et de retour sur la Croisette, être portée par la force ravageuse d’un film, avec l’impression d’être dans son prolongement ou dans le plan-séquence d’un long-métrage inédit de Fellini où se côtoieraient les êtres les plus élégants et les dégaines les plus improbables. Retrouver celles et ceux que je ne croise qu'une fois par an là-bas et avoir l'impression de les avoir quittés la veille. Et ainsi avoir le sentiment que Cannes abolit toutes les frontières, même celles du temps. Cette impression que tout y est possible, que cela ne s’arrêtera jamais. Être fascinée devant un film (hongrois en l’occurrence) et l’instant d’après, sur le toit du palais des festivals, regarder le soleil décliner, face à une vue à couper le souffle, tout en écoutant religieusement Michel Legrand réinterpréter magistralement avec une générosité et une énergie admirables la musique des Parapluies de Cherbourg sur différents tempos, nous procurant la sensation de nous envoler et de voltiger comme dans ledit film, mais aussi que rien n'est impossible, a fortiori si on le rêve ardemment. Et puis tant de mises en abyme. Comme celle d'assister à un chef-d’œuvre, 46 ans après sa palme d'or, accessoirement mon film préféré, assise derrière ses protagonistes et de les voir signifier ainsi la déliquescence du monde que le film reflète, sublimes encore, terrassés par l'émotion de se revoir éclatants de jeunesse et de vitalité, bouleversants. Ces deux souvenirs parmi une multitude d'autres car ils illustrent cette mise en abyme. À Cannes, la frontière entre l'écran et la réalité est si ténue qu'ils semblent même parfois s'entrelacer comme dans La rose pourpre du Caire.
J’aime moins :
Quand Cannes devient théâtre des vanités. Là tout est démultiplié. Les émotions. Les solitudes qui se grisent et s’égarent et se noient dans la multitude. Les soirées sans fin, sans faim à force d’être enchaînées pour certains. La foule pressée et ha-ra-ssée du festival qui, mieux que nulle autre, sait être passionnément exaltée et aussi impitoyable avec la même incoercible exaltation. Cette valse troublante des apparences que Cannes exhale et exhibe, adore et abhorre. Cannes décidément si versatile...Les parures d’orgueil que revêtissent ceux qui s’y donnent ainsi l'illusion d’exister. Ceux qui s’émeuvent et s’offusquent des drames mis en lumière sur l’écran mais qui sont totalement insensibles à ceux qui se produisent au même moment, dans l’ombre, au-delà des frontières du labyrinthe. La volatilité de l’attention, aux autres et à l'instant, là où pourtant on célèbre « un certain regard ». Les semblants d’amitiés piétinées sans vergogne pour grimper dans l’échelle de la vanité. Les personnalités qui se révèlent, tristement parfois, dans ce théâtre des apparences car là plus qu’ailleurs, les personnalités peuvent prendre des reflets changeants, finalement éclairants, révélant le portrait de Dorian Gray en chacun. L’exacerbation par la hiérarchie festivalière des rancœurs de ceux qui sont "en bas" et la vanité de ceux qui sont en "haut" de cette hiérarchie et qui croient y déceler là un signe de leur supériorité, et qui oublient que, au bout de dix jours, l’égalité et la réalité reprendront leurs droits. Les Georges Duroy, Rastignac, Lucien de Rubempré de ce siècle qui s’y croisent, s’y défient, s’y méprisent.
Ces contrastes et paradoxes, excès et contradictions, me font parfois hésiter à revenir mais la passion du cinéma l'emporte toujours. Parce que chaque année, lorsqu'arrive le dernier jour de cet enivrant oubli de l'ailleurs et du lendemain qui nous laisse grisés et légèrement désenchantés, le sentiment persistant est celui que laisse un grand film, un magma d’émotions et de réflexions. Alors, il faut souvent un peu de recul pour les appréhender, pour découvrir quelles images auront résisté à l’écoulement du temps, aux caprices de la mémoire, à ce flux et flot d’informations ininterrompues. Ce dernier jour, j’ai toujours un peu l'impression que le festival vient de commencer et de l'avoir traversé comme un rêve éveillé, même émaillé de quelques visions cauchemardesques mais surtout de souvenirs qui soudain semblent irréels. Alors, brusquement je réalise que le tour de manège est terminé et j'aimerais remonter le temps pour revenir au premier jour quand les films que j'y ai découverts n'étaient encore que des mystères, comme autant de cadeaux à déballer.
Et puis de tout cela, même si le festival n’aura pas lieu cette année, reste l’essentiel : des amitiés précieuses. Et l’amour, fou, du cinéma. Le Festival de Cannes n’aura en effet pas lieu cette année (des films se verront simplement attribuer le "label Cannes"). Mais d’autres « petits » festivals (qui présentent l’avantage de n’être pas aussi des théâtres des vanités et qui mettent en lumière des films qui le méritent tout autant que ceux présentés à Cannes) devraient pouvoir se dérouler (je leur souhaite et le souhaite pour le cinéma) alors…quand le temps sera venu et si vous en avez la possibilité, profitez-en pour partir à leur découverte parce que ces derniers et les films qui y seront projetés et ceux qui ont travaillé à leur élaboration en auront plus que jamais besoin alors que le Festival de Cannes est un navire insubmersible qui, forcément, se remettra à flots. En attendant, et plus que jamais : vive le cinéma !
Pour retrouver l'ensemble de mes articles sur le Festival de Cannes, rendez-vous sur http://inthemoodforcannes.com.
Premier article d’une série consacrée au Festival de Cannes 2019. Je commence avec la mémorable projection officielle du film Les plus belles années d’une vie de Claude Lelouch.
Il pleuvait ce soir-là à Cannes. Inlassablement. Mais il pleuvait gaiement. Parce que c’était joyeux de monter les marches pour retrouver 53 ans après Anne Gauthier et Jean-Louis Duroc dans la ville et le festival qui ont vu et fait éclore leur incroyable destin avec la Palme d’or 1966, suivie des Oscars du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi tant d’autres récompenses et alors que Claude Lelouch n’avait que 29 ans. Oui, c’était joyeux. Même sous une pluie intarissable. Comme dans un film de Sautet, après tout. Intarissable comme mes larmes d’émotion dès les premières minutes du film. L’émotion d’être là. L’émotion d’avoir rendez-vous avec mes premiers élans cinématographiques. L’émotion d’entendre les notes de musique de Francis Lai, notes mythiques d’un film mythique dans une salle elle aussi devenue mythique. Rendez-vous avec la mythologie du cinéma. L’émotion communicative de l’équipe du film. L’émotion d’une partie du public du Grand Théâtre Lumière. L’émotion dès les premières minutes, lors de ces plans sur le visage de Jean-Louis Duroc / Trintignant. L'émotion autant de retrouver le personnage de Jean-Louis Duroc que de retrouver Jean-Louis Trintignant au cinéma. Et quel Jean-Louis Trintignant !
Avant d’en revenir à cette émotion, d’abord le synopsis. Désormais, l’ancien pilote de course Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant) vit dans une maison médicalisée, le bien nommé « Domaine de l’orgueil » (il n’y a que Lelouch pour oser nommer ainsi une maison de retraite et pas les Acacias, les Rosiers, ou les Peupliers, mais c’est ce qu’on aime, non, cette audace romanesque ?) et il se perd un peu sur les chemins de sa mémoire. Pour l’aider, son fils va retrouver celle que son père n’a pas su garder mais qu’il évoque sans cesse, Anne Gauthier (Anouk Aimée), le « meilleur souvenir » de Jean-Louis qui a pourtant pour habitude de « tout oublier ». Anne va alors accepter de revoir Jean-Louis et reprendre leur histoire où ils l'avaient laissée.
Pour Jean-Louis qui a beaucoup couru, sur les circuits et « après les femmes », cette résidence médicalisée n’est pas vraiment l’idéal. Peu importe, il y a le rêve justement pour s’évader. Les souvenirs. Tout ce qui permet de faire s’entremêler présent et passé, rêve et réalité parce que « jamais personne n’est mort d’une overdose de rêves ». « Qu’est-ce qu’on ne ferait pas par amour ! » dit-il ainsi à Anne. Et par amour pour elle, il en a fait : des kilomètres, des déclarations, des coups de fil après avoir prononcé de sa voix inimitable le fameux « Montmartre 1540 » qu’il est si émouvant de l’entendre à nouveau prononcer ici. La mémoire, du superflu du moins, s’est envolée mais il est toujours là le coureur, celui qui dit « il faut prendre des risques quand on est amoureux ».
On aurait pu craindre que ce film soit la suite de trop, celui qui nous aurait fait penser qu’il fallait rester avec les souvenirs intacts, celui qui nous aurait laissés mélancoliques avec l’idée que le temps dévore tout, que même les personnages et leurs amours qu’on croyait éternelles s’abiment. C’est tout le contraire. Certes, le temps dévore tout mais Anne et Jean-Louis sont si lumineux, si justes, qu’on oublierait presque qu’ils n’ont plus l’âge qu’ils avaient il y a 53 ans. « Depuis la nuit des temps, la seule chose qui n’a pas bougé, c’est l’amour », entend-on Anne dire à sa fille. Et, soudain, par la magie du cinéma, cela semble si vrai. Lorsqu'ils se retrouvent pour la première fois, notre cœur de cinéphile bat à tout rompre. C'est plut palpitant qu'une course-poursuite à toute allure dans un James Bond, c'est juste, c'est tendre, c'est drôle, c'est émouvant, et nostalgique, juste un peu. C'est un film en soi. C'est tout ce que sont Les plus belles années d'une vie.
Tourner le film dans l’ordre en quelques jours était un un défi et au lieu de donner une impression d'inachevé ou d'imprécision, cela fait au contraire davantage surgir ces fragments de vérité qu’affectionne Claude Lelouch.
En préambule figure une citation de Victor Hugo : « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues », des paroles que chante ici Nicole Croisille dont il est aussi si émouvant de retrouver la voix, indissociable de l’histoire d’Anne Gauthier et Jean-Louis Duroc.
Cela débute donc dans le fameux Domaine de l’Orgueil. Les résidents participent à un jeu destiné à tester leurs mémoires des évènements et des dates. La caméra se rapproche du visage de Jean-Louis Trintignant en fauteuil roulant. Derrière lui se trouve son fils Antoine (incarné par Antoine Sire comme le petit Antoine d’Un homme et une femme tout comme d’ailleurs la petite Françoise est toujours incarnée par Saoud Amidou, quel plaisir là aussi de les retrouver ! ). Et puis au fur et à mesure comme pour Jean-Louis, tout cela ne devient plus pour nous qu’un brouhaha sans intérêt. Nous ne voyons plus que ce visage passionnant sur lequel passent tant d'expressions, tant de films, tant d'évènements, tant de souvenirs. Quel beau moment de cinéma ! Quel hommage à ce sublime acteur ! Quelles émotions, encore, déjà.
« Je me suis embarqué sur ce film comme dans cette voiture que j’ai conduite à l’époque de mon court métrage C’était un rendez-vous, comme une métaphore de l’existence. Foncer dans la vie comme j’avais foncé dans Paris en 1976. Griller les feux, prendre tous les risques avec ces dangers à travers lesquels on passe… ou pas. » a ainsi déclaré Claude Lelouch. Utiliser les images de ce court-métrage est d’ailleurs une des nombreuses magnifiques idées de ce film. Lelouch reprend aussi de nombreuses images de Un homme et une femme, toujours à bon escient. Souvenez-vous…
Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...
Ce film, Claude Lelouch l’a, comme souvent, réalisé après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, elle marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera Un homme et une femme, la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.
Il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation (Deauville d’ailleurs à nouveau magnifiquement filmée dans Les plus belles années d’une vie), Un homme et une femme ayant créé la légende du réalisateur tout comme cela a contribué à celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point que, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.
J'ai vu ce film un grand nombre de fois et, à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques ont si souvent raillé le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.
Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout Un homme et une femme nous la font aimer. Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.
Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après avoir reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...
Avec Un homme et une femme, Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film, citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie », Lelouch n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.
Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint toutes les récompenses précitées et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à Un homme et une femme, le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite Un homme et une femme, 20 ans déjà réunissant à nouveau les deux protagonistes. Et 53 ans après Un homme et une femme, nous avons ainsi eu le plaisir de retrouver ces personnages mythiques dans Les plus belles années d'une vie.
Ce film qui aurait pu être morose est au contraire plein de vie même si et justement même parce qu’on y entend à plusieurs reprises « La mort, c’est l’impôt de la vie. » La vie est là, tout le temps. Eblouissante. Quand Anne et Jean-Louis s’évadent en voiture et que le soleil insolent perce à travers les feuilles. Quand Jean-Louis crie fougueusement à Anne « Embrassez-moi ». Quand les femmes regardent Jean-Louis, ou que Jean-Louis regarde les femmes de sa vie. Avec tant de tendresse. La tendresse, ce film en regorge. L’humour aussi. Lors de multiples clins d’œil au film de 1966 comme lorsque Jean-Louis roule sur les planches et s’étonne que ce soit interdit et qu’un policier lui rétorque que c’est interdit « depuis 50 ans, depuis qu’un crétin a roulé ici avec sa Ford Mustang. »
Quelle justesse lorsqu’il dit « Je me souviens d’elle comme si c’était hier » ou lorsqu’elle dit « On est toujours beaux quand on est amoureux ». Cela aurait pu être mièvre. Par le talent de ces deux immenses acteurs et de Lelouch c’est infiniment beau et émouvant. Et ce visage de Trintignant quand soudain il s'illumine par la force des souvenirs de son grand amour, comme transfiguré, jeune, si jeune soudain. Et la majesté d'Anouk Aimée, sa grâce quand elle remet sa mèche de cheveux. Il faut dire aussi qu’ils sont si amoureusement filmés. Et que d'intensité poétique et poignante lorsqu'ils sont l'un avec l'autre comme si le cinéma (et/ou l'amour) abolissai(en)t les frontières du temps et de la mémoire. Encore un des pouvoirs magiques du cinéma auxquels ce film est aussi un hommage.
Et puis, évidemment, il y a la musique, toujours si importante dans les films de Lelouch, a fortiori dans Un homme et une femme. La musique originale est signée Francis Lai et Calogero et les chansons originales sont interprétées par Nicole Croisille et Calogero sur des paroles de Didier Barbelivien.
Cette fois, Les plus belles années d’une vie était présenté hors compétition, contrairement à Un homme et une femme qui avait été présenté en compétition. Et s’il avait été en compétition, quel sort lui aurait réservé le jury ?
Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce film si lumineux, tendrement drôle (d'une infinie tendresse), émouvant, joyeusement nostalgique, gaiement mélancolique, optimiste, hymne à la vie, à l’amour, hommage au cinéma, sublimé par la beauté si lumineuse de Trintignant et Aimée. Comme le Domaine de l'orgueil, si bien nommée.
Je vous laisse imaginer l’émotion qui a envahi la salle lors du générique de fin, de cette dernière image sur Deauville, qui m’a envahie en tout cas. Un beau moment de vie et de cinéma entremêlés et il me semble encore entendre le fameux « Chabadabada » que le public du Grand Théâtre Lumière a repris en chœur résonner dans ma tête (rendez-vous sur mon compte instagram @sandra_meziere pour en voir un extrait), comme cette pensée que « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues ». Un air entêtant, joyeusement mélancolique, comme Deauville aussi amoureusement filmée, à nouveau.
CONFERENCE DE PRESSE
Quelques citations et quelques photos de la conférence de presse cannoise à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister.
Claude Lelouch a ainsi rappelé que le film a été « tourné dans l’ordre en quelques jours. » « C’est le film qui m’a fait le plus peur. On ne pourra pas faire le film si les miracles ne sont pas au rendez-vous ». « La rencontre entre Anne et Jean-Louis, les 19 minutes ont été tournées dans la journée. Le soir en rentrant, j’ai dit on a déjà au moins un bon court-métrage. »
- A propos d’Un homme et une femme : « C’est difficile d’expliquer les miracles. En 1H30, on est passés de l’ombre à la lumière. Le public s’est approprié cette histoire. », « Encore une fois, le hasard a eu beaucoup de talent dans ma vie ». « J’ai vu dans ses yeux des choses qui m’ont interpellé, un sourire incroyable et je lui ai fait un pitch rapide. Il a Alzheimer. La seule personne dont il se souvient, c’est toi. ». « Il a fallu un millier de miracles. » « Il a fallu un alignement de planètes pour qu’on soit tous là aujourd’hui ». « C’était un rendez-vous » : c’est le film dont je suis le plus fier et dont j’ai le plus honte. J’ai grillé 18 feux rouges. Je me suis souvent comporté comme un petit voyou et si je n’avais pas été un voyou je n’aurais pas fait 50 films ». « Francis Lai n’a pas eu le temps de voir le film. » « Pour moi les minutes sont des années, j’ai envie de réussir le sprint de ma vie. », « Les nouvelles technologies du cinéma sont formidables ». « Avec les plus belles années, j’ai voulu rendre hommage au cinéma d’hier et d’aujourd’hui », « Le plus grand scénariste du monde c’est la vie et je travaille avec ce scénariste et le plus grand scénariste de ma vie, c’est ma femme. »
Bellucci : « C’était la première fois que j’étais dirigée comme ça. » A propos de l’Union Européenne et des Européennes pour lesquelles elle tient à voter : « Seul on va vite, ensemble on va plus loin ». Denicourt : « C’était un rêve car Jean-Louis Trintignant est un de mes acteurs préférés. »
Antoine Sire « Un cadeau incroyable », « Je suis acteur tous les 53 ans ».
Romantique et politique. Ainsi le Délégué Général du festival a-t-il défini la sélection officielle de cette 72ème édition du Festival de Cannes lors de sa conférence de presse à Paris. Je vous confirmerai ou vous infirmerai ces qualificatifs prometteurs le 26 mai mais en tout cas j’y ajoute d’ores et déjà ceux d’éclectique et jubilatoire à la lecture de ce programme. C’est donc avec un enthousiasme renouvelé que je couvrirai le festival pour la 19ème année consécutive, avec le plaisir de découvrir de nouveaux cinéastes, de voir émerger de nouveaux talents mais aussi d’assister aux projections des derniers films de cinéastes pour lesquels je m’enflamme (presque) toujours : Pedro Almodovar, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Xavier Dolan, Elia Suleiman, Bong Joon Ho, Ira Sachs, Claude Lelouch -qui nous permettra de retrouver les inoubliables personnages de la palme d’or 1966 -.
Je me réjouis aussi d’assister à la Palme d’or d’Honneur de l’acteur dont les films sont au premier rang de ceux à l’origine de ma passion pour le cinéma.
A quelques jours d’entrer à nouveau dans le mythique et vertigineux Théâtre Lumière, je sais déjà que, comme à chaque fois, j’y éprouverai un sentiment de réminiscence de la première fois, en 2001. Même si (et parce que) je connais les pièges et revers de ce théâtre d’orgueils, cette comédie humaine fascinante et terrifiante (un peu, parfois, aussi), la versatilité des personnalités et avis pour un sursaut de vanité, même si je sais que tant d’illusions s’y fracassent, que Cannes peut encenser, broyer, magnifier, dévaster oui, malgré tout cela, je me réjouis déjà :
-D’entendre le petit cliquetis lorsque les contrôleurs scannent les badges à l’entrée de la salle Debussy, du Grand Théâtre Lumière ou des autres salles du festival comme un passeport pour le paradis, celui des cinéphiles. De me laisser envoûter par le lever du soleil en allant à la première projection presse du matin sur une Croisette clairsemée où errent parfois encore les derniers noctambules hagards et d’avoir alors l’impression que le monde m’appartient. D’oublier que ce tourbillon enivrant de cinéma ne durera pas toujours et que des illusions s’y perdent, aussi. D’avoir le cœur qui bat la chamade en entrant dans le Grand Théâtre Lumière, comme la première fois, comme pour un premier rendez-vous, avec un univers, un film. Fenêtre ouverte sur le monde, un monde... De revivre ce moment palpitant lorsque la salle s’éteint et que les premières images d’un film inconnu supplantent l’obscurité, à l’unisson de cette salle au souffle suspendu à ces premières images qui nous embarqueront pour un nouvel univers, une nouvelle aventure. De ne plus faire la distinction entre le jour et la nuit, la fiction et la réalité, mes souvenirs et mon imaginaire. De retenir mon souffle, lors de cette seconde cruciale, à la fin du film, avant qu’un silence assourdissant, des murmures désapprobateurs ou des applaudissements effrénés (effréné, tout l’est à Cannes de toute façon, non ?), ne succèdent aux derniers mots du film. De parler cinéma à toute heure du jour et de la nuit, avec passion, comme si la vie en dépendait. De redécouvrir des classiques du cinéma avec Cannes Classics. De découvrir des bijoux du septième art et en être exaltée. D’être heurtée, brusquée par un film et en être exaltée, aussi, malgré tout. D’entendre « Aquarium » de Camille Saint-Saëns et savoir que la magie va à nouveau opérer. De sortir d’une projection tardive, un peu étourdie, éblouie, arpenter la Croisette et avoir l’impression de me retrouver dans un film de Fellini. De retrouver celles et ceux, festivaliers, que je ne croise qu’une fois par an là-bas et avoir l’impression de les avoir quittés la veille. De me souvenir de la petite fille que j’étais qui, avec son père, à la télévision, regardait tout cela de loin, comme un monde lointain et inaccessible et avoir conscience de ma chance, et le dire avec fierté, même si y exhiber sa lassitude et son cynisme y est de mise parce que bien sûr il y a aussi les personnalités qui se révèlent, tristement parfois, dans ce théâtre des apparences, les Dorian Gray, Georges Duroy, Rastignac, Lucien de Rubempré de notre temps qui s’y croisent, s’y défient, s’y méprisent et probablement s’y perdent. Parce qu’il y a aussi la célérité avec laquelle Cannes passe de l’adoration à la haine. La violente versatilité de la Croisette, sa capacité à déifier puis piétiner, avec la même pseudo-conviction et force. Parce qu’il y a encore ceux qui viennent à Cannes et disent que c’est forcément mieux ailleurs et que, forcément, ils ne pouvaient pas faire autrement que d’y aller, contraints et forcés, parce qu’oubliant ou justement se rappelant très bien tous ceux qui aimeraient avoir leur chance. Mais je sais déjà que lorsqu’arrivera le dernier jour j’aurai l’impression que le festival vient de commencer et de l’avoir traversé comme un songe. Et qu’il n’y aura qu’un seul vainqueur : le cinéma.
A partir du 16 Mai, suivez-moi en direct du Festival de Cannes et, en attendant, retrouvez mon article détaillant la programmation de cette édition 2019 (ci-dessous) MAIS AUSSI :
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L'an passé, je vous avais parlé de ce nouveau prix remis à un film de la compétition du Festival de Cannes (retrouvez, en bas de cette note, mon article complet sur le Prix de la Citoyenneté 2018 avec la critique du film lauréat, la présentation détaillée du prix et l'interview de sa cofondatrice, Line Toubiana).
Cette année à nouveau, le film lauréat sera choisi "pour ses qualités artistiques et ses valeurs d'humanisme, de laïcité et d'universalisme", des valeurs plus que jamais essentielles.
Le cinéaste Amos Gitaï présidera le jury 2019. Il sera accompagné de : Raja Amari (réalisatrice tunisienne), Eva Bettan (journaliste française, France Inter), Emmanuel Gras (réalisateur français), Marème N'Diaye (actrice sénégalaise). Le Prix est attribué par l'association Clap Citizen Cannes présidée par Laurent Cantet. Les Présidentes d'honneur sont Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay.
Ne manquez pas la table ronde autour du thème "Cinéma et Citoyenneté", à 11H au Pavillon des Cinémas du Monde avec pour intervenants notamment Amos Gitaï et les autres membres du jury du Prix de la Citoyenneté.
Le Jury du Prix de la Citoyenneté montera les marches avec ses partenaires le 23 Mai.
La remise du Prix de la Citoyenneté aura lieu le 25 Mai à 11H, au Salon des Ambassadeurs du Festival de Cannes,, notamment en présence du réalisateur ou de la réalisatrice du film primé, des membres du jury, les Présidentes honoraires de l'association et le Délégué Général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux.
CRITIQUE DU PRIX DE LA CITOYENNETE 2018, VIDEOS DE LA REMISE DU PRIX, PRESENTATION DETAILLEE DU PRIX DE LA CITOYENNETE ET INTERVIEW DE SA COFONDATRICE LINE TOUBIANA
En mai 2018, en plus du Prix du Jury du Festival de Cannes, Capharnaüm, troisième long métrage de Nadine Labaki, recevait le Prix de la Citoyenneté. Une projection en avant-première du film a eu lieu au CNC après la remise du prix à Cannes.
Ci-dessus, le discours de Nadine Labaki au CNC la semaine dernière.
Retrouvez, ci-dessous, après la critique du film, la présentation détaillée de ce Prix de la Citoyenneté avec, notamment, une interview de Line Toubiana, membre cofondatrice du prix avec Françoise Camet, Guy Janvier et Jean-Marc Portolano.
Créé cette année et attribué par un jury de professionnels (présidé par Abderrahmane Sissako pour l’édition 2018), ce prix sera chaque année décerné à un des films de la compétition officielle du Festival de Cannes. Le jury du Prix de la Citoyenneté visionne ainsi l’ensemble des films de la compétition officielle avant de choisir celui qui, parmi ceux-ci, se verra décerner cette noble récompense.
Si, comme tous les ans, plusieurs films évoquaient l’âpreté du monde contemporain, le film de Nadine Labaki était sans aucun doute celui qui correspondait le mieux aux valeurs humanistes, laïques et universalistes défendues par ce prix.
À l'intérieur d'un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans, est présenté devant le juge. À la question : « Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ? », Zain lui répond : « Pour m'avoir donné la vie ! ». Capharnaüm retrace l'incroyable parcours de cet enfant en quête d'identité et qui se rebelle contre la vie qu'on cherche à lui imposer.
Zain vit ainsi avec ses parents, frères et sœurs dans un appartement insalubre et spartiate qui appartient à un marchand du quartier pour lequel travaillent les enfants pour pouvoir payer le loyer. Ils transforment aussi des médicaments en stupéfiants avant de les revendre quand ils ne sont pas contraints de mendier dans la rue. Dans leur vie ne subsiste ainsi aucune lueur, ni d’enfance, ni de joie, ni d’espoir, comme dans le regard de Zain qui, à lui seul, semble exprimer toute la colère et la détresse de ses frères et sœurs face à ce quotidien misérable. Il ne s’adoucit qu’en présence de sa sœur Sahar dont il comprend rapidement qu’elle va être vendue au boutiquier. Après avoir tenté en vain et avec opiniâtreté de la sauver de cette terrible destinée, il s’enfuit…
Dès les premiers plans, le regard buté, boudeur, déterminé, et d’une tristesse insondable du petit Zain accroche notre attention et notre empathie pour ne plus les lâcher jusqu’à la respiration finale. Avant cela, constamment en mouvement, la caméra épouse sa fébrilité, et son énergie portée par sa rage contre les adultes, contre son destin, contre le malheur et la violence qui constamment s’abattent sur lui et qui le contraignent à en devenir un bien avant l’heure.
Nous suivons Zain dans le chaos poussiéreux, ce dédale tentaculaire qu’est le bidonville de Beyrouth, ce capharnaüm gigantesque et oppressant. Téméraire, il tente de survivre malgré la dureté révoltante de son quotidien. Sur son chemin, il rencontre Cafardman, personnage burlesque, lunaire, drôle et tragique, qui semble là pour nous rappeler que « l’humour est la politesse du désespoir ». Ainsi, dans ce capharnaüm, même les héros de l’enfance ont le cafard. Zain dort d’abord dans un parc d’attractions, celui où travaille Cafardman. Plans sublimement tristes de Zain qui erre dans ce lieu censé être de jeu et de joie devenu fantomatique et sinistre, comme un vestige de son enfance à jamais inaccessible et révolue. Il y rencontre une immigrée éthiopienne qui a quitté son travail d’employée de maison après être tombée enceinte. Elle élève seule Yonas, son bébé qu’elle entoure et grise d’amour, qu’elle cache aux autorités de crainte qu’ils ne soient expulsés. A la tendresse dont elle entoure son bébé, s’opposent l’indifférence glaciale et même la violence et les coups que Zain a subis de la part de ses parents. Quand elle disparait, il s’occupe pourtant du bébé, le nourrit, le trimballe partout avec lui, et déploie une force admirable pour celui-ci. Leur duo improbable est poignant, d’autant plus que le bébé est d’une rare expressivité et que la réalisatrice en fait un personnage à part entière. Malgré tout ce qu’il a affronté et subi, ce petit homme qu’est Zain, malgré ce regard duquel semble avoir disparu toute candeur, conserve en lui une humanité salvatrice qu’il déploie pour s’occuper de Yonas comme un pied-de-nez à ce cercle vicieux de la violence et de l’indifférence et de l’absence de tendresse.
Les acteurs sont des non professionnels dont l'existence tragique ressemble à celle des personnages, et l’émotion qui se dégage du film en est décuplée. La réalisatrice s’est ainsi véritablement imprégnée du réel. Elle a effectué trois années de recherche et le tournage a duré six mois avec plus de 520 heures de rushes. Au premier rang des acteurs, Zain, qui porte le même prénom que son personnage, et qui se nomme Zain Al Rafeea, un petit Syrien de 14 ans, réfugié au Liban avec sa famille et découvert par une directrice de casting à Beyrouth. Avec son naturel déconcertant, son énergie phénomènale, sa force, son regard noir et déterminé, il crève littéralement l’écran et nous emporte avec lui dans sa course folle contre le destin et contre cette roue du malheur qui semble tout emporter et broyer sur son passage, a fortiori l’humanité.
Si dans la première version projetée à Cannes en mai dernier, la musique était parfois trop emphatique, en particulier au dénouement, cette nouvelle version resserrée présentée au CNC est absolument parfaite et quand enfin ce capharnaüm s’apaise, la lueur d’espoir qu’il laisse entrevoir est sidérante d’émotion. Comme une démonstration et une plaidoirie implacables du petit Zain et de tous les enfants qu’il représente. Le regard final face caméra, face au monde, face à nous et le sourire esquissé sont parmi les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir au cinéma. Une respiration, enfin, après cette étouffante descente aux Enfers sans répit, malheureusement celle que vivent tant d’enfants comme le petit Zain. Ce n’est pas pour rien que Nadine Labaki joue l’avocate qui défend Zain dans le procès qui l’oppose à ses parents. Rarement l’enfance maltraitée aura connu telle plaidoirie. Ajoutez à cela un souffle romanesque, une réalisation vive et inspirée et vous obtiendrez un film bouleversant d’une rare intensité et d’une force incontestable. Oui, un film humaniste et universel, et citoyen : indéniablement.
Quelques vidéos du jury du Prix de la Citoyenneté, de ses fondateurs, du Président de l'association Citizen Clap Laurent Cantet, et de Nadine Labaki à Cannes.
Nadine Labaki à Cannes lors de la remise du Prix de la Citoyenneté
Discours de Danièle Heymann, membre du jury du Prix de la Citoyenneté, lors de la remise du prix
Laurent Cantet à propos du Prix de la Citoyenneté à Cannes
Abderrahmane Sissako à propos du Prix de la Citoyenneté à Cannes
Line Toubiana lors de la présentation du film au CNC
A propos du Prix de la Citoyenneté : présentation du prix
Line Toubiana (retrouvez son interview en bas de cet article), Françoise Camet, Guy Janvier, Jean-Marc Portolano ont créé en 2017 une association, Clap Citizen Cannes. Ces quatre fondateurs de l'association, tous critiques et cinéphiles passionnés, sont attachés aux valeurs d'humanisme, d'universalisme et de laïcité de la Citoyenneté. Le président de l'association est Laurent Cantet (palme d'or 2008 pour son mémorable Entre les murs).
Photo - Copyright Haut et Court
Cette association a pour but de décerner le prix de la citoyenneté à un des films de la sélection officielle du Festival du Film International de Cannes dont l'édition 2018 aura lieu du 8 au 19 Mai.
Le film primé incarnera des valeurs humanistes, laïques et universalistes. Le président du jury de la première édition du prix de la citoyenneté sera le cinéaste Abderrhamane Sissako.
Le prix a obtenu le soutien et l’appui logistique de Pierre Lescure et Thierry Frémaux, respectivement Directeur général et Délégué général du Festival de Cannes pour décerner ce "Prix de la Citoyenneté" qui sera remis à un film de la sélection officielle et pour la première fois à l’issue du Festival de Cannes 2018.
Encore un prix vous direz-vous certainement. Certes, mais celui-ci me semble tout particulièrement nécessaire "parce que le monde change et parce que notre société est de plus en plus ouverte sur le monde". Il est ainsi destiné à accompagner son évolution : "Quel meilleur vecteur que le cinéma et sa puissance créatrice pour évoquer, analyser et réfléchir à l'évolution des réalités humaines, sociales, politiques, territoriales ?" peut-on ainsi lire sur le site officiel du prix.
Ce Prix s'inscrit dans2 traditions :
Celle de la citoyenneté telle qu’elle a été définie dans la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789
- Article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
Celle de la résistance à l’oppression
...sous toutes ses formes que symbolise si bien Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts qui a créé le premier Festival de Cannes en 1939, en opposition à la Mostra de Venise soutenue à l'époque par le pouvoir fasciste.
Cet prix met en avant des valeurs humanistes, des valeurs universalistes et des valeurs laïques. Ce nouveau « Prix » célèbre ainsi l'engagement d'un film, d'un réalisateur et d'un scénariste en faveur de ces valeurs."Le prix de la citoyenneté du Festival International du Film de Cannes doit permettre l'émergence de valeurs humanistes, universelles et laïques, fondatrices d'une communauté de destins". Je vous recommande ainsi les pages passionnantes du site officiel du prix de la citoyenneté qui définissent ces valeurs.
Abderrhamane Sissako présidera le jury. Le Prix de la citoyenneté pour sa première édition pouvait difficilement trouver meilleur président tant ses films, dont son chef-d'œuvre Timbuktu,défendent ces valeurs.
A ses côtés :
-Francescoa Giai Via, critique de cinéma et professionnel de la culture et notamment directeur artistique du festival Annecy cinéma italien.
-Danièle Heymann, journaliste française et critique de cinéma officiant notamment au Masque et la plume sur France inter. Elle a également été membre du jury du Festival de Cannes 1987.
-Patrick Bézier, directeur général d'Audiens, groupe de protection sociale des secteurs de la culture, de la communication et des médias.
-Léa Rinaldi, réalisatrice et productrice indépendante (Alea Films), spécialisée dans le documentaire d'immersion.
Pour en savoir plus, je vous encourage à découvrir le site internet du prix de la citoyenneté, extrêmement bien conçu sur lequel vous pourrez également participer à un quizz sur la citoyenneté et ainsi tester vos connaissances : https://www.prix-de-la-citoyenneté.fr
-Vous êtes cofondatrice de ce nouveau prix, le prix de la citoyenneté, une judicieuse initiative qui permettra de récompenser un film défendant des valeurs citoyennes parmi les films de la compétition officielle du Festival de Cannes. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce prix ? En quoi, selon vous, un nouveau prix et celui-ci en particulier, était-il nécessaire ?
L'idée de ce prix est née à la faveur du 70 ème anniversaire du Festival de Cannes qui rappelle la mémoire de Jean Zay, fondateur du Festival de Cannes. Il nous a semblé nécessaire de remettre à l'honneur les valeurs essentielles de la citoyenneté qui étaient siennes : résistance à l’oppression, humanisme, universalisme et laïcité.
- On imagine aisément que la création d’un tel prix au sein du plus grand festival de cinéma au monde nécessite une importante logistique mais aussi des moyens conséquents. Pourquoi est-ce important d’adhérer à l’association ?
Nous avons d’abord obtenu l’accord du président Pierre Lescure qui nous a assuré du soutien logistique du Festival. Nous avons de ce fait créé notre association Clap Citizen Cannes et avons demandé à Laurent Cantet (Palme d’or 2008) d’en être le Président. Les trois autres membres fondateurs, Françoise Camet, Guy Janvier, Jean-Marc Portolano et moi-même sommes fiers de la constitution de notre jury dont le président est Abderrhamane Sissako.
La mise en œuvre de ce Prix en amont, et sur place à Cannes, exige un investissement important et des partenaires. Si nous avons quelques contributions, celles-ci restent encore très justes. C’est pourquoi le soutien d’adhérents nombreux nous aiderait à réaliser cette manifestation dans de bonnes conditions. Je ne peux qu’encourager l’adhésion qui est en ligne sur notre site. Je tiens à signaler, si besoin est, que nous sommes tous les 4 fondateurs et organisateurs de ce Prix, parfaitement bénévoles. Le site : https://www.prix-de-la-citoyenneté.fr
Les adhérents seront invités à la projection du film primé en avant-première lors de la sortie nationale du film, à Paris ou à Cannes, en présence du réalisateur.
Nous sommes ravis d’avoir également un partenariat au Festival de Cannes avec France média Monde qui va contribuer à donner un rayonnement et une visibilité internationale à notre prix.
-Vous êtes également auteure (vous avez notamment coécrit Un lieu à soi - Editions L’Harmattan, déclaration d’amour à Cannes, pleine de sensibilité et de douce mélancolie) mais aussi critique de cinéma. Vous animez ainsi une émission de cinéma. Et vous couvrez le Festival de Cannes depuis de nombreuses années. Depuis quand couvrez-vous ainsi le festival ? Quel regard portez-vous sur celui-ci et sur son évolution ? Si un film projeté dans le cadre du festival depuis sa création devait pour vous symboliser les valeurs que défend le prix de la citoyenneté, quel serait-il ?
Cela fait effectivement très longtemps que je suis passionnée de cinéma, du Festival de Cannes et de la ville de Cannes. Comme l’indique le titre de mon ouvrage Un lieu à soi je me sens cannoise à part entière, mais aussi citoyenne du monde ! J’ai couvert le festival aussi bien pour la presse écrite que pour la radio et je l’ai vu grandir et évoluer jusqu’à devenir le plus grand évènement artistique mondial. Grâce à Gilles Jacob, ses prédécesseurs et successeurs, le Festival promeut le cinéma international d’auteur, de qualité, de haut niveau artistique. Si je garde bien sûr un regard quelque peu nostalgique sur l’Ancien Palais et le Blue bar, je ne suis pas moins admirative des proportions gigantesques qu’a pris ce festival d’année en année.
Il est difficile de choisir un film le plus citoyen parmi des centaines, mais je mettrais en avant le cinéma des frères Dardenne qui est le plus en accord avec les valeurs de ce prix.
- Si vous aviez eu à remettre le prix de la citoyenneté parmi un film de la compétition officielle du Festival de Cannes 2017, lequel selon vous aurait le mieux incarné les valeurs défendues par le prix ?
Sans hésiter pour le film The Square de Ruben Ostlund, film dérangeant et provocateur mais qui prône sans concession, avec force et talent, la nécessité de la vraie solidarité et de l’altruisme dans notre société en proie à la violence et à la misère.
-Que pensez-vous de la sélection officielle 2018, en particulier au regard du prix de la citoyenneté qui sera décerné parmi un de ces films ?
Il y a beaucoup de cinéastes engagés dans cette sélection très prometteuse des valeurs que défend ce Prix : Asghar Farhadi, Stéphane Brizé, Spike Lee, Kirill Serebrennikov… Mais un film citoyen n’est pas seulement militant. Je pense que le Jury a pour cette première année, la chance d’avoir une matière idéologique et artistique à débattre, de superbe tenue.
- Vous avez l’honneur d’avoir pour président de l’association Laurent Cantet et pour président du jury de la première édition, Abderrhamane Sissako. Pouvez-vous nous dire en quoi ils incarnent les valeurs défendues par ce prix, les raisons de ces choix et comment ces derniers ont accueilli la création de ce prix ?
Ces deux grands cinéastes se sont imposés tout naturellement dans le choix des deux présidences. Nous avons eu effectivement le grand honneur qu’ils acceptent tout aussi volontiers d’être les personnalités phares de l’association et du premier Jury du Prix de la citoyenneté.
Leurs filmographies respectives interrogent le monde sur les questions de liberté, de tolérance, de transmission, de respect de l’homme et de sa dignité.. Aussi bien les films Timbuktu d’Abderrhamane Sissako qu’Entre les murs de Laurent Cantet portent, chacun à sa manière, au plus haut point, les valeurs que défend ce Prix d’une citoyenneté toujours vigilante.
D'un film à l'autre...En attendant la projection hors compétition du film de Claude Lelouch Les plus belles années d'une vie (tourné en partie à Deauville) au Festival de Cannes, le 20 Mai (cliquez ici pour retrouver mon article sur la sélection officielle du 72ème Festival de Cannes détaillée), je vous parle aujourd'hui à nouveau de son chef-d'œuvre Un homme et une femme (Palme d'or 1966). Vous trouverez aussi en bas à cet article de nombreux liens vers mes articles consacrés au cinéma de Claude Lelouch et les premières informations sur Les plus belles années d'une vie et sa bande annonce (qui donne des frissons !) ci-dessus.
Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses formules récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontrait aussi magnifiquement de documentaire « D’un film à l’autre » réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.
Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr Un homme et une femme, palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement! Film que Claude Lelouch a, comme souvent, réalisé après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, elle marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera Un homme et une femme, la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.
Je ne sais plus très bien si j'ai vu ce film avant d'aller à Deauville, avant que cette ville soit indissociablement liée à tant d'instants de mon existence, ou bien si je l'ai vu après, après mon premier séjour à Deauville, un séjour qui a modifié le cours de mon « destin »... Toujours est-il qu'il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation, « Un homme et une femme » ayant créé la légende du réalisateur tout comme cela a contribué à celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point que, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.
Alors sans doute êtes-vous de ceux qui adorent ou détestent Claude Lelouch, ses « instants de vérité », ses hasards et coïncidences. Rares sont ceux qu'il indiffère. Quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez, peut-être ce film « d'auteur » vous a-t-il néanmoins mis d'accord...
Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...
J'ai vu ce film un grand nombre de fois et, à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd'hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.
Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer. Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch. Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après qu'il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...
Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d'un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires. Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie » Lelouch, n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie. Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d'or à Cannes en 1966, l'oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes. Et 53 ans après "Un homme et une femme" nous aurons ainsi le plaisir de retrouver ces personnages mythiques dans "Les plus belles années d'une vie" que je ne manquerai pas d'aller voir pour vous en parler.
À lire aussi mes articles suivants sur Claude Lelouch :
-Critique de "Itinéraire d'un enfant gâté" de Claude Lelouch:
Le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (mon compte rendu complet, ici) permet aussi de revoir des classiques du cinéma. Parmi les nombreux classiques au programme (j’aurais aimé tous les revoir mais il a fallu faire des choix) figurait « Itinéraire d’un enfant gâté » de Claude Lelouch, un des plus grands succès du cinéaste datant de 1988, une projection d’autant plus riche en émotions que lui a succédé un échange passionnant avec Richard Anconina. Un film que j’ai choisi de mettre en parallèle avec une avant-première du festival, deux films qui ont en commun d’être des tours de manège, de nous raconter l’histoire d’hommes qui se choisissent une famille et dont les vies sont jalonnées de hasards et coïncidences. Deux films qui sont de magnifiques métaphores du cinéma qui permet de réinventer nos vies.
Sam Lion (Jean-Paul Belmondo) a été élevé dans le milieu du cirque puis a dû faire une reconversion forcée comme chef d’entreprise. Mais la cinquantaine passée, il se lasse de ses responsabilités et de son fils, Jean-Philippe, dont la collaboration ne lui est pas d’un grand secours. Il décide d’employer les grands moyens et de disparaître en Afrique, après avoir simulé un naufrage lors de sa traversée de l’Atlantique en solitaire. Mais son passé va l’y rattraper en la personne d’Albert Duvivier (Richard Anconina), un de ses anciens employés licencié qu’il retrouve par hasard en Afrique et qui le reconnaît…
« Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». La citation d’Albert Cohen qui ouvre le film le place sous le sceau du pessimisme et de la solitude, impression que renforce la chanson de Nicole Croisille qui ouvre le film. « Qui me dira, les mots d’amour qui font si bien, du mal ? Qui me tiendra, quand tu iras décrocher toutes les étoiles ? Qui me voudra, avec le nez rouge, et le cœur en larmes ? Qui m’aimera, quand je n’serai plus que la moitié d’une femme ? » La musique est reprise en chœur tandis qu’un petit garçon seul sur un manège attend désespérément sa mère. Un homme s’occupe de lui, découvre le carton qu’il a autour du cou et qui indique que sa mère l’a abandonné. La musique épique, flamboyante, lyrique, accompagne ensuite les premières années et les numéros de cirque étourdissants qui défilent (sans dialogues juste avec la musique pour faire le lien) jusqu’à l’accident fatidique. Les flashbacks alternent avec les vagues sur lesquelles flotte le navire de Sam Lion, des vagues qui balaient le passé. Les premières minutes sont bouleversantes, captivantes, montées et filmées sur un rythme effréné, celui sur lequel Sam Lion (ainsi appelé parce qu’il a été élevé dans un cirque) va vivre sa vie jusqu’à ce qu’il décide de disparaître.
Rares sont les films qui vous émeuvent ainsi, dès les premiers plans et qui parviennent à maintenir cette note jusqu’au dénouement. Pour y parvenir, il fallait la subtile et improbable alliance d’ une musique fascinante comme un spectacle de cirque, d’acteurs phénoménaux au sommet de leur art, de dialogues jubilatoires magistralement interprétés, un scénario ciselé, des paysages d’une beauté à couper le souffle, des histoires d’amour (celles qui ont jalonné la vie de Sam Lion, avec les femmes de sa vie, son grand amour décédé très jeune, sa seconde femme, sa fille Victoria pour qui il est un héros et un modèle et qui l’aime inconditionnellement, mais aussi celles d’Albert avec Victoria), jouer avec nos peurs (l’abandon, la disparition des êtres chers, le besoin de reconnaissance), nos fantasmes (disparaître pour un nouveau départ, le dépaysement) et les rêves impossibles (le retour des êtres chers disparus).
Sam Lion va par hasard rencontrer un employé de son entreprise (entre temps il a construit un empire, une entreprise de nettoyage), ce jeune homme maladroit et qui manque de confiance en lui va devenir l’instrument de son retour et sa nouvelle famille. Cela tombe bien : il commence à s’ennuyer.
Peu à peu le puzzle de la vie et des déchirures de Sam Lion, grâce aux flashbacks, se reconstitue, celui des blessures de cet homme qui l’ont conduit à tout quitter, écrasé par les responsabilités sans avoir le temps de penser à ses blessures, ni de les panser, porté par la soif d’ailleurs, de vérité, de liberté.
Alors bien sûr il y a la si célèbre et irrésistible scène du bonjour, toujours incroyablement efficace, tant la candeur d’Albert est parfaitement interprété par Anconina, tant la scène est magistralement écrite, tant les comédiens sont admirablement dirigés mais chaque scène (les acteurs sont filmés en gros plan, au plus près des émotions) sont des moments d’anthologie de comédie, d’humour, de poésie, d’émotion (parfois tout cela en même temps lorsque Victoria est conduite à son père grimé en pompiste et qu’on lui présente comme le sosie parfait de son père qu’elle croit mort, lors de la demande en mariage…) et toujours ces moments qui auraient pu être de simples saynètes contribuent à faire évoluer l’intrigue et à nous faire franchir un cran dans l’émotion, dans ces parfums de vérité qu’affectionne tant le réalisateur. Claude Lelouch ne délaisse aucun de ses personnages ni aucun de ses acteurs. Chacun d’entre eux existe avec ses faiblesses, ses démons, ses failles, ses aspirations. Et puis quelle distribution ! En plus des acteurs principaux : Marie-Sophie L, Michel Beaune, Pierre Vernier, Daniel Gélin.
Jean-Paul Belmondo, plusieurs années après « Un homme qui me plaît » retrouvait ici Claude Lelouch qui lui offre un de ses plus beaux rôles en lui faisant incarner pour la première fois un homme de son âge au visage marqué par le temps mais aussi un personnage non moins héroïque. En choisissant Anconina pour lui faire face, il a créé un des duos les plus beaux et les plus touchants de l’histoire du cinéma.
« Itinéraire d’un enfant gâté » est une magnifique métaphore du cinéma, un jeu constant avec la réalité : cette invention qui nous permet d’accomplir nos rêves et de nous faire croire à l’impossible, y compris le retour des êtres disparus. Belmondo y interprète l’un de ses plus beaux rôles qui lui vaudra d’ailleurs le César du Meilleur Acteur, césar que le comédien refusera d’aller chercher.
On sort de la projection, bouleversés de savoir que tout cela n’était que du cinéma, mais avec la farouche envie de prendre notre destin en main et avec, en tête, la magnifique et inoubliable musique de Francis Lai : « Qui me dira… » et l’idée que si « chaque homme est seul », il possède aussi les clefs pour faire de cette solitude une force, pour empoigner son destin. Et ce dernier plan face à l’horizon nous laisse à la fois bouleversés et déterminés à regarder devant, prendre le large ou en tout cas décider de notre itinéraire. Un grand film intemporel, réjouissant, poignant.
-Critique de "Un + Une" de Claude Lelouch :
En 1966, avec « Un homme et une femme », sa sublime histoire de la rencontre de deux solitudes blessées avec laquelle il a immortalisé Deauville, Claude Lelouch recevait la Palme d’or, l’Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement ! Ce 45ème film de Claude Lelouch, presque cinquante ans plus tard raconte à nouveau l’histoire d’un homme et d’une femme et les années et les films qui séparent ces deux longs-métrages semblent n’avoir en rien entaché la fougue communicative, la réjouissante candeur, le regard enthousiaste, la curiosité malicieuse du cinéaste. Ni la fascination avec laquelle il regarde et révèle les acteurs. Les acteurs et la vie qu’il scrute et sublime. Bien que les critiques ne l’aient pas toujours épargné, il est en effet toujours resté fidèle à sa manière, singulière, de faire du cinéma, avec passion et sincérité, et fidélité, à la musique de Francis Lai, aux fragments de vérité, aux histoires d’amour éblouissantes, à sa vision romanesque de l’existence, à son amour inconditionnel du cinéma et de l’amour, à ses phrases récurrentes, à ses aphorismes, aux sentiments grandiloquents et à la beauté parfois terrible des hasards et coïncidences.
Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même n’avait «pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot, Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ». Et tous ceux qui m’ont fait aimer le cinéma. Avec son film « Roman de gare », les critiques l’avaient enfin épargné, mais pour cela il avait fallu que le film soit au préalable signé d’un autre nom que le sien. Peu m’importe. Claude Lelouch aime la vie. Passionnément. Sous le regard fiévreux et aiguisé de sa caméra, elle palpite. Plus qu’ailleurs. Et ce nouveau film ne déroge pas à la règle.
Après Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Sandrine Bonnaire dans « Salaud, on t’aime », c’est un autre trio charismatique qui est à l’honneur dans ce nouveau film : Jean Dujardin, Elsa Zylberstein et Christophe Lambert (voire un quatuor avec Alice Pol). Son dernier film « Salaud, on t’aime » se rapprochait de « Itinéraire d’un enfant gâté », du moins en ce qu’il racontait l’histoire d’un homme à l’automne de sa vie, un autre « enfant gâté » passé à côté de l’essentiel et qui, contrairement au film précité, n’allait pas fuir sa famille mais tenter de la réunir. Ici, c’est finalement aussi d’un homme passé à côté non pas de sa vie mais de lui-même dont Lelouch nous raconte l’histoire, une histoire que j’attendais de découvrir depuis que j’avais vu cette affiche du film orner les murs de Cannes, lors du festival, en mai dernier.
La manière dont le film est né ressemble déjà à un scénario de film de Claude Lelouch. Jean Dujardin et Elsa Zylberstein ont ainsi plusieurs fois raconté sa genèse. Le hasard qu’affectionne tant Claude Lelouch les a réunis sur le même vol entre Paris et Los Angeles lors duquel ils ont parlé de cinéma pendant des heures et notamment d’un film de Claude Lelouch, « Un homme qui me plaît », qu'ils adorent tous les deux. L'histoire d'amour entre un compositeur incarné par Jean-Paul Belmondo et une actrice incarnée par Annie Girardot qui tombent amoureux à l'autre bout du monde. Elsa Zylberstein a appelé Claude Lelouch et l’histoire était lancée, une histoire d’amour qui, eux aussi, les a emmenés à l’autre bout du monde…
Jean Dujardin incarne ici le séduisant, pragmatique, talentueux Antoine. Antoine est compositeur de musiques de films. Antoine regarde la vie avec distance, humour et légèreté. Antoine est comme un enfant joueur et capricieux. D’ailleurs, il porte le prénom du petit garçon dans « Un homme et une femme ». Hasard ? Ou coïncidence ? Il part en Inde travailler sur une version très originale de « Roméo et Juliette » intitulée « Juliette et Roméo » et alors que sa compagne (Alice Pol) le demande en mariage par téléphone. A l’occasion d’une soirée donnée en son honneur à l’Ambassade de France, il rencontre la pétillante Anna (Elsa Zylberstein), la femme de l’ambassadeur (Christophe Lambert), aussi mystique qu’il est pragmatique, une femme qui, en apparence, ne lui ressemble en rien, pourtant, dès ce premier soir, entre ces deux-là, semble régner une magnétique connivence. Cette rencontre va les entraîner dans une incroyable aventure. Et le spectateur avec eux.
Ce que j’aime par-dessus tout dans les films de Claude Lelouch, ce sont ces personnages, toujours passionnément vivants. Dans chacun de ses films, la vie est un jeu. Sublime et dangereux. Grave et léger. Un jeu de hasards et coïncidences. Le cinéma, son cinéma, l’est aussi. Et dans ce film plus que dans tout autre de Claude Lelouch. Le fond et la forme coïncident ainsi en une ludique mise en abyme. Le film commence par l’histoire d’un voleur qui va inspirer le film dont Antoine a composé la musique et dont les images jalonnent le film…de Lelouch. Le présent, le passé et le rêve s’entrelacent constamment pour peu à peu esquisser le portrait des deux protagonistes, pour se jouer de notre regard sur eux et sur la beauté troublante des hasards de la vie.
Cela commence par des images de l’Inde, fourmillante, colorée, bouillonnante de vie dont la caméra de Lelouch, admirative, caresse l’agitation multicolore. Prémisses d’un voyage au pays « du hasard » et « de l’éternité. » Un voyage initiatique. Puis, il nous raconte une première histoire. Celle du voleur qui sauve sa victime, et de leur histoire d’amour. Celle du film dans le film. Un miroir de celle d’Anne et d’Antoine. Presque un conte. D’ailleurs, devant un film de Lelouch, j’éprouve la sensation d’être une enfant aux yeux écarquillés à qui on raconte une fable. Ou plein d’histoires puisque ce film est une sorte de poupée russe. Oui, une enfant à qui on rappelle magnifiquement les possibles romanesques de l’existence.
Ensuite, Antoine rencontre Anna lors du dîner à l’ambassade. Antoine pensait s’ennuyer et le dit et le clame, il passe un moment formidable et nous aussi, presque gênés d’assister à cette rencontre, leur complicité qui crève les yeux et l’écran, leur conversation fulgurante et à l’image de l’Inde : colorée et bouillonnante de vie. Il suffirait de voir cet extrait pour deviner d’emblée qu’il s’agit d’un film de Lelouch. Cette manière si particulière qu’ont les acteurs de jouer. Ou de ne pas jouer. Vivante. Attendrissante. Saisissante de vérité. En tout cas une scène dans laquelle passe l’émotion à nous en donner le frisson. Comme dans chacun des tête-à-tête entre les deux acteurs qui constituent les meilleurs moments du film, dans lesquels leurs mots et leurs silences combattent en vain l’évidente alchimie. Ils rendent leurs personnages aussi attachants l’un que l’autre. Le mysticisme d’Anna. La désinvolture et la sincérité désarmante d’Antoine avec ses irrésistibles questions que personne ne se pose. Antoine, l’égoïste « amoureux de l’amour ».
Comme toujours et plus que jamais, ses acteurs, ces deux acteurs, la caméra de Lelouch les aime, admire, scrute, sublime, magnifie, révèle, caresse presque, exacerbe leur charme fou. Ce film comme chaque film de Lelouch comporte quelques scènes d’anthologie. Dans son précédent film « Salaud, on t’aime », les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy nous rejouaient « Rio Bravo » et c’était un régal. Et ici, chacun des échanges entre Antoine et Anna l’est aussi. Comme dans tout film de Lelouch aussi les dialogues sont parsemés de petites phrases dont certaines reviennent d’un film à l’autre, souvent pour nous rappeler les « talents du hasard » :
« Mon agent, c’est le hasard. »
« Mon talent, c’est la chance. »
« Le pire n’est jamais décevant. »
Ce film dans lequel l’amour est l’unique religion est une respiration salutaire a fortiori en cette période bien sombre. Un hymne à l’amour, à la tolérance, au voyage aussi bigarrés et généreux que le pays qu’il nous fait traverser. Un joyeux mélange de couleurs, de fantaisie, de réalité rêvée ou idéalisée, évidemment souligné et sublimé par le lyrisme de la musique du fidèle Francis Lai (retrouvez mon récit de la mémorable master class commune de Lelouch et Lai au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014, ici) et celle de la Sérénade de Schubert (un peu trop utilisée par les cinéastes ces temps-ci mais c’est celle que je préfère donc je ne m’en lasse pas), par des acteurs que le montage inspiré, la musique lyrique, la photographie lumineuse ( de Robert Alazraki), le scénario ingénieux (signé Valérie Perrin et Claude Lelouch), et l’imparable et incomparable direction d’acteurs de Lelouch rendent plus séduisants, convaincants, flamboyants et vibrants de vie que jamais.
Une « symphonie du hasard » mélodieuse, parfois judicieusement dissonante, émouvante et tendrement drôle avec des personnages marquants parce que là comme ils le sont rarement et comme on devrait toujours essayer de l’être : passionnément vivants. Comme chacun des films de Lelouch l’est, c’est aussi une déclaration d’amour touchante et passionnée. Au cinéma. Aux acteurs. A la vie. A l’amour. Aux hasards et coïncidences. Et ce sont cette liberté et cette naïveté presque irrévérencieuses qui me ravissent. Dans la vie. Au cinéma. Dans le cinéma de Lelouch qui en est la quintessence. Vous l’aurez compris, je vous recommande ce voyage en Inde !
-Master class de Claude Lelouch au Festival du Film Britannique de Dinard :
Le grand moment de ce festival fut indéniablement la master class de Claude Lelouch. Même si j’ai déjà eu le plaisir de l’entendre parler cinéma dans d’autres festivals et de nombreuses fois, cette conversation en petit comité était un moment privilégié mais aussi une belle leçon de cinéma qui nous a permis de revoir des extraits vus et revus (notamment de « Un homme et une femme », « Tout ça pour ça », « Itinéraire d’un enfant gâté », « L’aventure, c’est l’aventure ») mais cela n’en était pas moins plaisant de les revoir et surtout magique d’entendre le public rire alors que, sans doute comme moi, l’assistance avait vu ces films et ces extraits une multitude de fois. Furent aussi projetés des extraits plus rares comme celui du film « À nous deux » qui a ouvert la master class, un film de 1979 avec Catherine Deneuve et Jacques Dutronc dans lequel le sens du récit et de l’image de Lelouch est comme toujours, époustouflant.
Le cinéma de Claude Lelouch a bercé mon enfance. D’ailleurs, moi dont la passion pour le cinéma a été exacerbée à et par Deauville, j’étais presque « condamnée » à aimer son cinéma indissociable de cette ville qu’il a magnifiquement immortalisée.
Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontrait aussi magnifiquement de documentaire « D’un film à l’autre » réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.
Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr « Un homme et une femme », palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, elle marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme », la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires. C’est une des histoires qu’il a à nouveau raconté lors de cette master class.
Quelle émotion aussi de revoir ses extraits de films en sa présence, le passage malicieux lors duquel Jean Dujardin dans « Un +Une » critique les festivals, celui de « La Bonne année » où le talent de Ventura crève l’écran, la fameuse scène de la plage dans « L’aventure, c’est l’aventure » (dont Lelouch a raconté qu’elle avait été improvisée après avoir surpris Aldo dans des tentatives de drague sur la plage, entre deux prises) et notamment, un des passages que je préfère d’ « Un homme et une femme » , celui qui donne lieu à ce dialogue :
Elle : C’est beau, hein… Cet homme avec son chien… Regardez : ils ont la même démarche.
Lui : C’est vrai. Vous avez entendu parler du sculpteur Giacometti ?
…
Lui : Vous ne savez pas ?Il a dit une phrase extraordinaire. ..il a dit : « Dans un incendie, entre Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. »
Elle : Oui, et même : « Je laisserais partir le chat après. »
Lui : C’est vrai ?
Elle : Oh ! oui, c’est ça qui est merveilleux justement… non ?
Lui : Oui, c’est très beau. Ça veut dire : « Entre l’art et la vie, je choisis la vie. »
Elle : C’est formidable. Pourquoi m’avez-vous posé cette question ?
Lui : Sur Giacometti ?
Elle : Oui
Lui : À propos de… du monsieur, là, avec son chien.
Voilà ce qu’a répondu Claude Lelouch à cette même question :
Claude Lelouch a ravi les festivaliers par ses aphorismes et ses petites phrases :
-« J’ai la chance de vivre une grande histoire d’amour avec le cinéma car j’aime la vie malgré tous ses défauts. »
-« Nous avons tous les qualités de nos défauts et nos défauts sont plus photogéniques ».
-« Le seul mot fin c’est quand on reçoit la lettre de licenciement final. »
-« Je ne crois pas du tout à la mort surtout après mon voyage en Inde. Les Indiens expliquent que la misère, l’horreur est la meilleure préparation. »
– « La plus grande université du monde c’est l’échec si on essaie de prendre l’échec à son compte. »
-« Plus le malheur est grand plus il est grand de vivre/ »
-« J’ai fait des films d’humeur sur l’humeur du moment, j’ai essayé d’être le reporter de ces hommes et ces femmes qui me fascinent dans leurs contradictions. »
-« Je pense que les gens qui ont souffert sont plus aptes à apprécier la vie. La souffrance est le jogging du bonheur. »
-« Le bonheur c’est quand les emmerdes se reposent. »
-« Le bonheur est l’art du présent. »
-« Une seconde de bonheur peut justifier une vie d’emmerdes. »
-« La contrainte sollicite l’imagination. La souffrance est au cœur de la création. »
-« Je ne veux pas être un enfant de la Nouvelle Vague. Je leur ai dit : vous m’avez montré ce qu’il ne fallait pas faire : des films chiants. Un film doit être une récréation. La Nouvelle Vague était pour moi un mouvement d’écrivains formidables qui se servaient du cinéma pour vendre leurs bouquins. Je ne conçois pas qu’un film ne soit pas avant tout une récréation ».
-« Je crois en la force du cinéma pour nous permettre de passer de l’égoïsme à la générosité. »
-« En Normandie c’est un climat qui fait fuir les imbéciles ».
-« Je pense qu’on est fidèle tant qu’on a pas trouvé mieux. »
-« La notion de récréation est importante dans tous mes films. »
-« Le plan de la fin d’Un homme et une femme, je l’ai inventé au dernier moment me disant qu’il est obligé d’aller la chercher. »
-« La vie est plus forte que nous. La vie est le plus grand cinéaste du monde. »
-Les détracteurs bien-pensants de Lelouch seront certainement ravis d’apprendre qu’un des cinéastes qu’ils encensent montrait ses films en exemple :
« La bonne année était un des films préférés de Kubrick qui montrait ce film à ses comédiens avant de tourner. »
Lelouch a également raconté comment, dans « L’aventure, c’est l’aventure » la scène de la drague a été improvisée en voyant Aldo séduire sur la plage entre deux prises avec une démarche qui a inspiré la célèbre scène du film. Lino et Brel, un peu honteux de tourner cette scène, disaient ainsi : « de toute façon ce n’est pas grave, ce film ne sortira jamais ».
-« Il faut faire confiance au hasard qui a toujours du talent. Il m’emmène là où mon intelligence n’aurait pas le courage d’aller. »
-« Il m’est arrivé de faire des films à pile ou face. »
-« Le cinéma m’a permis depuis un peu plus de 50 ans de partager ce que je crois voir dans le genre humain. »
-« « Quand passent les cigognes » est le film qui m’a le plus influencé. »
-« J’ai adoré les comédies musicales qui sont des métaphores formidables. »
-« Les Italiens sont des français qui ne se prennent pas au sérieux. »
-« Mon prochain film s’appellera « Le bonheur c’est mieux que la vie ». Je me tournerai dans un an ou deux et je ne sais pas avec qui. »
À propos du Film "Les plus belles années d'une vie" :
Au CINÉMA LE 22 MAI avec
ANOUK AIMÉE JEAN-LOUIS TRINTIGNANT MARIANNE DENICOURT SOUAD AMIDOU ANTOINE SIRE AVEC LA PARTICIPATION DE MONICA BELLUCCI
MUSIQUE ORIGINALE FRANCIS LAI CALOGERO CHANSONS ORIGINALES INTERPRÉTÉES PAR NICOLE CROISILLE CALOGERO PAROLES DIDIER BARBELIVIEN
Synopsis :
Ils se sont connus voilà bien longtemps. Un homme et une femme, dont l’histoire d’amour fulgurante, inattendue, saisie dans une parenthèse devenue mythique, aura révolutionné notre façon de voir l’amour.
Aujourd’hui, l’ancien pilote de course se perd un peu sur les chemins de sa mémoire. Pour l’aider, son fils va retrouver celle que son père n’a pas su garder mais qu’il évoque sans cesse. Anne va revoir Jean-Louis et reprendre leur histoire où ils l'avaient laissée.
Voilà une annonce qui complète en beauté un programme de sélection officielle déjà exceptionnel. Le très attendu Once upon a time in… Hollywood de Quentin Tarantino sera bien en compétition du 72ème Festival de Cannes, 10 ans après Inglourious Basterds (dont vous pouvez retrouver ma critique ci-dessous).
Voici la déclaration de Thierry Frémaux au sujet de cette sélection (communiqué de presse officiel du Festival de Cannes) :
« On a craint que le film, ne sortant que fin juillet, ne soit pas prêt mais Quentin Tarantino, qui n’a pas quitté sa salle de montage depuis quatre mois, est un vrai enfant de Cannes, fidèle et ponctuel ! Comme pour Inglourious Basterds, il sera bien là, vingt-cinq ans après la Palme d’or de Pulp Fiction, avec un film terminé, projeté en 35mm et en présence de sa troupe d’acteurs : Leonardo DiCaprio, Margot Robbie, Brad Pitt. Son film est une déclaration d’amour au Hollywood de son enfance, une visite rock à l’année 1969 et une ode au cinéma tout entier.C’est aussi un travail qui dépasse nos attentes et prouve la maturité de l’artiste. C’est pourquoi, en plus de Quentin et sa team pour les jours et les nuits passés au montage, le Festival remercie spécialement les équipes de Sony Pictures, qui ont rendu tout cela possible. »
Critique de INGLOURIOUS BASTERDS de Quentin Tarantino
Photos ci-dessus prises à l'occasion de la présentation en compétition du Festival de Cannes 2009.
Pitch : Dans la France occupée de 1940, Shosanna Dreyfus assiste à l’exécution de sa famille tombée entre les mains du colonel nazi Hans Landa ( Christoph Waltz). Shosanna (Mélanie Laurent) s’échappe de justesse et s’enfuit à Paris où elle se construit une nouvelle identité en devenant exploitante d’une salle de cinéma. Quelque part, ailleurs en Europe, le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt) forme un groupe de soldats juifs américains pour mener des actions punitives particulièrement sanglantes contre les nazis. « Les bâtards », nom sous lequel leurs ennemis vont apprendre à les connaître, se joignent à l’actrice allemande et agent secret Bridget von Hammersmark (Diane Krüger) pour tenter d’éliminer les dignitaires du troisième Reich. Leurs destins vont se jouer à l’entrer du cinéma où Shosanna est décidée à mettre à exécution une vengeance très personnelle.
De ce film, seul film américain de cette compétition officielle 2009, je n’avais pas lu le pitch, tout juste vu la bande-annonce qui me faisait craindre une grandiloquence maladroite, un humour douteux, voire indécent sur un sujet délicat. Je redoutais, je pensais même détester ce film et ne m’attendais donc pas à ce que la première séquence (le film est divisé en 5 chapitres qui correspondent aux parcours de 5 personnages) me scotche littéralement à l’écran dès la première seconde, à ne plus pouvoir m’en détacher jusqu’à la dernière ligne du générique.
L’un des premiers plans nous montre une hache dans un univers bucolique que la caméra de Tarantino caresse, effleure, esquisse et esquive : finalement ce simple plan pourrait résumer le ton de ce film, où la menace plane constamment, où le décalage est permanent, où toujours le spectateur est sur le qui-vive, la hache pouvant à chaque instant venir briser la sérénité. Cette première séquence dont nous ne savons jamais si nous devons en rire, ou en frissonner de plaisir (parce qu’elle est jubilatoire à l’image de tout ce film, une première séquence au sujet de laquelle je ne vous en dirai pas plus pour maintenir le suspense et la tension incroyables qui y règnent) ou de peur, est sans nul doute une des plus réussies qu’il m’ait été donné de voir au cinéma.
Chaque séquence au premier rang desquelles la première donc recèle d’ailleurs cette même ironie tragique et ce suspense hitchcockien, le tout avec des plans d’une beauté, d’une inventivité sidérantes, des plans qui sont ceux d’un grand cinéaste mais aussi d’un vrai cinéphile (je vous laisse notamment découvrir ce plan magnifique qui est un hommage à La Prisonnière du désert de John Ford ) et d’un amoureux transi du cinéma. Rien que la multitude de références cinématographiques mériterait une deuxième vision tant l’admiration et la surprise lors de la première empêchent de toutes les distinguer.
Oui, parce que Inglourious Basterds est aussi un western. Inglourious Basterds appartient en réalité à plusieurs genres… et à aucun : western, film de guerre, tragédie antique, fable, farce, comédie, film spaghetti aussi. (Inglourious Basterds est inspiré d’un film italien réalisé par Enzo G.Castellari). Un genre et un univers qui, en réalité, n’appartiennent qu’à Tarantino et auxquels il parvient à nous faire adhérer, quels qu’en soient les excès, même celui de réécrire l’Histoire, même celui de se proclamer chef-d’œuvre avec une audace et une effronterie incroyables. Cela commence ainsi comme un conte (« il était une fois »), se termine comme une farce.
Avec quelle facilité il semble passer d’un ton à l’autre, nous faire passer d’une émotion à une autre, comme dans cette scène entre Mélanie Laurent et Daniel Brühl, dans la cabine de projection, une scène qui, en quelques secondes, impose un souffle tragique poignant, époustouflant, d’un rouge éblouissant. Une scène digne d’une tragédie antique.
Il y a du Hitchcock dans ce film mais aussi du Chaplin pour le côté burlesque et poétique et du Sergio Leone pour la magnificence des plans, et pour cet humour ravageur, voire du Melville aussi pour la réalisation, Melville à qui un autre cinéaste (Johnnie To) de cette compétition 2009 se référait d’ailleurs. Voilà, en un endroit tenu secret, Tarantino, après les avoir fait kidnapper et fait croire à leurs disparitions au monde entier, a réuni Chaplin, Leone, et Hitchcock et même Melville et Ford et leur a fait réaliser ce film qui mêle avec brio poésie et sauvagerie, humour et tragédie.
Et puis, il y a en effet le cinéma. Le cinéma auquel ce film est un hommage permanent, une déclaration d’amour passionnée, un hymne vibrant à tel point que c’est le cinéma qui, ici, va sauver le monde, réécrire la page la plus tragique de l’Histoire, mais Tarantino peut bien se le permettre : on pardonne tout au talent lorsqu’il est aussi flagrant. Plus qu’un hommage au cinéma c’est même une leçon de cinéma, même dans les dialogues : « J’ai toujours préféré Linder à Chaplin. Si ce n’est que Linder n’a jamais fait un film aussi bon que « Le Kid ». Le grand moment de la poursuite du « Kid ». Superbe . » Le cinéma qui ravage, qui submerge, qui éblouit, qui enflamme (au propre comme au figuré, ici). Comment ne pas aimer un film dont l’art sort vainqueur, dans lequel l’art vainc la guerre, dans lequel le cinéma sauve le monde ?
Comment ne pas non plus évoquer les acteurs : Mélanie Laurent, Brad Pitt, Diane Krüger, Christoph Waltz, Daniel Brühl y sont magistraux, leur jeu trouble et troublant procure à toutes les scènes et à tous les dialogues (particulièrement réussis) un double sens, jouant en permanence avec le spectateur et son attente. Mélanie Laurent qui a ici le rôle principal excelle dans ce genre, de même que Daniel Brühl et Brad Pitt.
Que dire de la BO (signée Ennio Morricone) incroyable qui, comme toujours chez Tarantino, apporte un supplément de folie, d’âme, de poésie, de lyrisme et nous achève…
Quentin Tarantino avec ce septième long-métrage a signé un film audacieux, brillant, insolent, tragique, comique, lyrique, exaltant, décalé, fascinant, irrésistible, cynique, ludique, jubilatoire, dantesque, magistral. Une leçon et une déclaration d’amour fou et d’un fou magnifique, au cinéma. Ce n’est pas que du cinéma d’ailleurs : c’est un opéra baroque et rock. C’est une chevauchée fantastique. C’est un ouragan d’émotions. C’est une explosion visuelle et un ravissement permanent et qui font passer ces 2H40 pour une seconde !
A contrario de ses « bâtards sans gloire », Tarantino mérite indéniablement d’en être auréolé ! « Inglourious Basters » était le film le plus attendu de ce festival 2009. A juste titre.
Qu’a pensé Pedro Almodovar, également présent à la séance à laquelle j’ai vu ce film ? Sans doute que tous deux aiment passionnément le cinéma, et lui rendent un vibrant hommage (la dernière réplique du film de Tarantino fait ainsi écho à celle d’Almodovar Etreintes brisées, en compétition à Cannes la même année).