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IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) - Page 3

  • CESAR 2022 : nominations commentées et palmarès détaillé

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    1/ Nominations commentées

    (retrouvez en bas de cet article le palmarès commenté mis à jour le 26/02/2022)

    Ce soir, retransmise à 21h, sur Canal +, en direct de l'Olympia, aura lieu la 47ème cérémonie des César, un mois avant la cérémonie des Oscars qui se tiendra le 27 mars. Bien sûr, dans cet effroyable contexte de l’invasion de l’Ukraine et de la guerre, tout cela peut sembler futile et anecdotique, néanmoins nombreux sont les films en lice à nous rappeler que le cinéma est aussi cela : un moyen de mettre en lumière les ombres du monde (comme dans La Loi de Téhéran), de donner un coup de projecteur sur les maux de la société et des êtres (comme dans La Fracture, Médecin de nuit, Les Intranquilles...), souvent porté par une volonté sincère de changer les choses à l’exemple aussi d’ailleurs de films qui sortiront le mois prochain et dont je vous ai parlé il y a quelques jours comme Goliath de Frédéric Tellier ou La Brigade de Louis-Julien Petit.

    L’édition 2021 des César avait été marquée par le contexte sanitaire et par la surprenante apparition de Corinne Masiero. Il ne fait aucun doute que la situation internationale s’invitera ce soir à L’Olympia.

    Après Marina Foïs, ce sera Antoine de Caunes qui présentera la cérémonie cette année…pour la dixième fois, avec la volonté de « remettre le cinéma au cœur du dispositif, qu'on parle de cinéma, qu'on ait du plaisir à retourner dans les salles. »

    C’est la scénariste et réalisatrice Danièle Thompson qui présidera la soirée.

     A l’image de l’affiche de cette édition, la cérémonie rendra hommage à Jean-Paul Belmondo ou encore à Bertrand Tavernier. La soirée sera dédiée à Gaspard Ulliel. Xavier Dolan lui rendra hommage.

    Le César d’honneur sera attribué à Cate Blanchett.

    Parmi les 2217 professionnels du cinéma proposés aux suffrages des votants de l’Académie, subsistent 126 nominations et forcément quelques oubliés qui auraient mérité d'y figurer que vous trouverez dans ma rubrique "Critiques des films à l'affiche en 2021" comme les remarquables Rose d'Aurélie Saada, My son de Christian Carion, L'Etat du Texas contre Melissa de Sabrina van Tassel ou encore Albatros de Xavier Beauvois.

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    Illusions perdues, la sublime adaptation de Balzac par Xavier Giannoli figure en tête des nominations,  15 fois en lice. Pour ce film, Xavier Giannoli était accompagné de Jacques Fieschi au scénario, il y avait donc déjà fort à parier que ce serait une réussite, l’un et l’autre ayant à leur actif des peintures ciselées des dissonances du cœur et des tourments de l’âme. Jacques Fieschi est en effet notamment le scénariste de Quelques jours avec moi, Un cœur en hiver, Nelly et Monsieur Arnaud, Place Vendôme, Mal de pierres, Un balcon sur la mer. Le casting est aussi pour beaucoup dans cette réussite. À commencer par Benjamin Voisin qui crevait déjà l'écran dans Eté 85 de François Ozon qui, au bout de quelques minutes, m’a fait oublier l’image de Lucien de Rubempré que je m’étais forgée. Le héros de Balzac aura désormais ses traits, sa naïveté, sa fougue, son cynisme, sa vitalité, sa complexité (c’est aussi une richesse de cette adaptation de ne pas en faire un personnage manichéen) auxquels il donne corps et âme avec une véracité déconcertante. Il EST Lucien qui évolue, grandit, se fourvoie puis chute, Lucien ébloui par ses ambitions et sa soif de revanche jusqu’à tout perdre, y compris ses illusions. Vincent Lacoste est tout aussi sidérant de justesse dans le rôle d’Etienne à la fois charmant et horripilant. Xavier Dolan aussi dans le rôle de Nathan, un personnage qui est une judicieuse idée parmi d’autres de cette adaptation. Jeanne Balibar est une Marquise d'Espard manipulatrice et perfide à souhait. Cécile de France est, comme toujours, parfaite. Gérard Depardieu en éditeur qui ne sait ni lire ni écrire mais très bien compter bouillonne et tonitrue avec ardeur, Louis-Do de Lencquesaing est irréprochable en patron de presse, Jean-François Stévenin aussi en cynique marchant de succès et d’échecs, sans oublier Salomé Dewaels, vibrante Coralie qui a l’intelligence du cœur qui se donne sans retenue, corps et âme, telle que je l’aurais imaginée. Il faudrait encore parler de la photographie de Christophe Beaucarne et de la musique, notamment de Schubert, qui achèvent de nous transporter dans ce monde d’hier qui ressemble à s’y méprendre à celui d’aujourd’hui. Cette adaptation d’un classique de la littérature qu’est Illusions perdues est tout sauf académique. Cette satire de l’arrivisme, du théâtre des vanités que furent et sont encore Paris et le monde des médias, des « bons » mots, armes vengeresses qui blessent et tuent parfois, est d’une modernité époustouflante comme l’était l’œuvre de Balzac. Bien sûr, comme le roman, l’adaptation de Giannoli n’est pas seulement une peinture sociale mais aussi un film d’amour condamné sur l’autel d’une fallacieuse réussite. « L'amour véritable offre de constantes similitudes avec l'enfance : il en a l'irréflexion, l'imprudence, la dissipation, le rire et les pleurs. » écrivit ainsi magnifiquement Balzac dans Illusions perdues. Si, comme moi, vous aimez passionnément Balzac, son écriture, ses peintures de la société et des sentiments et leurs illusions (nobles, sacrifiés, sublimés, éperdus, terrassés), alors cette adaptation parfois intelligemment infidèle mais toujours fidèle à l’esprit de l’œuvre devrait vous séduire. Et si vous ne connaissez pas encore ce roman alors la modernité, la beauté, la clairvoyance et la flamboyance de cette adaptation devraient vous donner envie de le dévorer surtout que vous ne verrez pas passer ces 2H29 absolument captivantes qui s’achèvent sur cette citation de Balzac terrible et sublime : « Je pense à ceux qui doivent trouver quelque chose en eux après le désenchantement ». Espérons que, comme cela est parfois arrivé à certains films multi-nommés lors de précédentes éditions, malgré ses 15 nominations, le film de Xavier Giannoli ne repartira pas bredouille.

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    Vient ensuite Annette avec 11 nominations, l’opéra-rock poétiquement sombre de Léos Carax. Cette expérience déroutante et flamboyante, lyrique, tragique, étourdissante, cruelle, captivante, ode au pouvoir de l’imaginaire et donc du cinéma, a récemment reçu deux Paris Film Critics Awards, l’un pour la photographie envoûtante de Caroline Champetier et l’autre pour la musique originale des Sparks, qui mériteraient aussi d’être récompensés lors de ces César. Adam Driver, nommé comme meilleur acteur, sera présent à la cérémonie.  Face à lui, des comédiens auxquels on doit aussi  de formidables prestations comme Damien Bonnard dans  Les intranquilles de Joachim Lafosse, Vincent Macaigne dans Médecin de nuit d' Elie Wajeman , ou encore Benoît Magimel dans De son vivant d'Emmanuelle Bercot.

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    Ensuite figure Aline de Valérie Lermercier  avec ses 10 nominations et Bac Nord de Cédric Jimenez  avec 7 nominations.

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    Le film de Catherine Corsini, La Fracture, a été nommé 6 fois. Catherine Corsini, une fois de plus, avec cette tragicomédie sociale, a su brillamment marier  et manier les genres cinématographiques et faire se côtoyer les mondes pour nous emporter avec elle dans ce tourbillon à la fois drôle et désespéré sur la fracture et les maux d’une époque. Un cri d’alerte retentissant et surtout clairvoyant. Les acteurs sont pour beaucoup dans cette réussite au premier rang desquels des comédiens non professionnels comme Aissatou Diallo Sagna (nommée au César de la meilleure actrice dans un second rôle). Elle est absolument bouleversante dans le rôle de l’infirmière Kim. Valeria Bruni-Tedeschi (nommée pour le César de la meilleure actrice) est une Raf à la fois exaspérante et touchante, égocentrique et attachante, et surtout blessée dans tous les sens du terme. Quant à Pio Marmaï (également nommé, pour le César du meilleur acteur), il incarne l’énergie du désespoir avec une conviction qui force l’admiration.

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    Notons également 5 nominations pour Boîte noire de Yann Gozlan qui narre l’histoire d’un Technicien au BEA, autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile, Mathieu Vasseur (Pierre Niney, nommé pour le César du meilleur acteur) est propulsé enquêteur en chef sur une catastrophe aérienne sans précédent. Après un premier plan séquence vertigineux à l’intérieur de l’avion, ensuite pendant (presque) tout le film le point de vue est celui de Matthieu. Hermétique, méticuleux, même maniaque, n’esquissant jamais l’ombre d’un sourire, s’exprimant d’une voix atone. Comme dans Un homme idéal néanmoins, se dessine peu à peu le portrait d’un homme face à ses contradictions, ses failles, ses rêves brisés (les siens ou ceux que son père avait forgés pour lui) qui veut tout contrôler et qui semble perdre progressivement le contact avec la réalité. Dans les deux films, la réalisation de Yann Gozlan enserre le protagoniste pour souligner son enfermement mental. Déjà dans Un homme idéal les brillantes références étaient savamment distillées : Plein soleil, Match point, La Piscine, Tess, Hitchcock pour l’atmosphère, Chabrol pour l’auscultation impitoyable de la bourgeoisie… La mise en scène était déjà précise, signifiante et le scénario, terriblement efficace, allait à l’essentiel, ne nous laissant pas le temps de réfléchir, le spectateur ayant alors la sensation d’être claquemuré dans le même étau inextricable que Mathieu, aux frontières de la folie.  C’est ici à nouveau le cas avec un scénario signé Yann Gozlan, Simon Moutaïrou, Nicolas Bouvet. Un film sobre, intense, haletant, dans lequel le son et la musique de Philippe Rombi jouent un rôle à part entière. Un film qui s’inspire autant des héros melvilliens, des films noirs avec leur fatalité inexorable, que de Sydney Pollack et des thrillers des années 70. Dans le rôle de l’épouse glaciale (en écho à l’archétype de la femme fatale du film noir) toujours époustouflante et si différente à chaque rôle, Lou de Laâge, dont la carapace se fissure peu à peu, la froideur laissant finalement place à l’émotion qui la saisit, enfin, et nous saisit à l’issue de cette quête effrénée de vérité, où la machine comme l’homme laissent apparaître leurs failles. Un film palpitant, brillamment interprété, mis en scène et en « sons ».

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    L'événement d’Audrey Diwan est également nommé 4 fois et pourrait aussi figurer parmi les lauréats, le film ayant déjà remporté de nombreux prix comme le Lion d'Or à la Mostra de Venise.

     La palme d'or du dernier Festival de Cannes, Titane de Julia Ducournau, a également récolté 4 nominations.

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    Arthur Harari est, quant à lui, nommé 4 fois. Il a récemment reçu le prix du meilleur réalisateur aux Paris Films Critics Awards pour Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, un prix que lui a remis Régis Wargnier qui a ainsi déclaré que : « La grande mise en scène se voit assez mais ne dépasse jamais le récit » et qui a qualifié Arthur Harari de «fils naturel de Lean et Kurosawa» tout en ajoutant que «C’est une folie de faire un film pareil.» Ce film est en effet une expérience, d’une lenteur paradoxalement palpitante, l’histoire vraie d’un Japonais qui, sur une île philippine, obsédé par une croyance obsessionnelle, a continué à se battre pendant des années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et cela malgré la reddition du Japon, ou la mise en scène inspirée d’une prison mentale ou d'un huis-clos dans un décor extérieur.

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    Seulement une nomination pour The Father de Florian Zeller (dans la catégorie César du meilleur film étranger) . Il y a parfois des brûlures nécessaires pour nous rappeler la glaçante vanité de l’existence mais aussi pour nous rappeler de ne pas oublier l’essentiel : les sentiments, la fugacité du bonheur et de la mémoire, la fuite inexorable du temps qu’une montre ne suffit pas à retenir (ce n’est pas un hasard si c’est l’objet auquel s’accroche tant Anthony), la fragilité des êtres car il n’y a guère que sur un tableau (qui d’ailleurs finira aussi par disparaître) qu’une petite fille court sans jamais vieillir, sans jamais s’abîmer, sans jamais devoir mourir. « Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments » entend-on ainsi le personnage incarné Jean-Louis Trintignant dire en racontant une anecdote à son épouse, victime d’une attaque cérébrale, dans Amour d’Haneke, film dans lequel ces deux octogénaires sont enfermés dans leur appartement, unis pour un ultime face à face, une lente marche vers la déchéance puis la mort. Un Impromptu de Schubert accompagne cette marche funèbre. Dans The Father, Anthony lui aussi a son appartement pour seul univers et la musique pour compagnie (Norma de Bellini, Les Pêcheurs de perles de Bizet). De l’autre côté de sa fenêtre, la vie s’écoule, immuable, rassurante, mais à l’intérieur de l’appartement, comme dans son cerveau, tout est mouvant, incertain, fragile, inquiétant. Un labyrinthe inextricable, vertigineux. Peu à peu le spectateur s’enfonce avec lui dans ce brouillard, plonge dans cette expérience angoissante. Les repères spatio-temporels se brouillent, les visages familiers deviennent interchangeables. Dans chaque instant du quotidien s’insinue une inquiétante étrangeté qui devient parfois une équation insoluble. Une mise en scène et en abyme de la folie qui tisse sa toile arachnéenne nous envahit et progressivement nous glace d’effroi.  Pour cela nul besoin d’artifices mais un scénario, brillant, de Christopher Hampton et Florian Zeller, qui nous fait expérimenter ce chaos intérieur. L’interprétation magistrale d’Anthony Hopkins y est aussi pour beaucoup, jouant de la confusion entre son personnage (qui s’appelle d’ailleurs, à dessein, Anthony) et l’homme vieillissant qui l’incarne. Comment ne pas être bouleversée quand The Father redevient un enfant inconsolable secoué de sanglots, réclamant que sa maman vienne le chercher, l’emmener loin de cette prison mentale et de cette habitation carcérale ? Quand je suis sortie de la salle, une chaleur, accablante, s’est abattue sur moi, ressentie comme une caresse, celle de la vie tangible et harmonieuse, une respiration après ce suffocant voyage intérieur, me rappelant cette phrase du film : « Et tant qu’il y a du soleil il faut en profiter car cela ne dure jamais. »   Une brûlure décidément nécessaire.  Pour mieux savourer la sérénité de ces feuilles qui bruissent, là, de l’autre côté de la fenêtre, avant ou après la tempête. Ou la beauté d’un Impromptu de Schubert.

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    Une seule nomination aussi pour Les choses humaines d'Yvan Attal, dans la catégorie du César de la meilleure adaptation. Ce film a presque inventé un genre, le thriller sociétal, qui dresse un tableau passionnant mais effrayant de notre société, dans laquelle des mondes se côtoient sans se comprendre, dans laquelle même dans l’ère post #Metoo des comportements inacceptables restent banalisés. Il questionne notre époque, et dans celle-ci le rapport à l’autre, à la vérité, au corps. Il en est un instantané brillant et nuancé. Un film qui fait confiance à l’intelligence du spectateur à qui il appartiendra de se forger une opinion après ce plan de la fin et ce visage, poignant, qui pour moi apporte une réponse sur ces faits qu’Yvan Attal a eu la brillante idée de laisser hors champ. Mais pour chacun sans doute cette réponse sera-t-elle différente. Et là réside aussi le mérite de ce film :  susciter le débat sur la manière dont chacun perçoit les « choses humaines ». Et les restituer dans toute leur ambivalence. Un film qui m’a laissée bouleversée et KO comme au dénouement d’un thriller, palpitant.

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    Un film en écho au poignant film de Charlène Favier, Slalom, qui mériterait également de trouver sa place au palmarès.

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    A noter également, 3 nominations pour Les magnétiques (pour Thimotée Robart dans la catégorie meilleur espoir masculin, dans la catégorie son, et comme meilleur premier film ) qui porte si bien son nom qui mériterait d’être récompensé ne serait-ce que pour le formidable travail sur le son.

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    Dans la catégorie meilleur premier film, il faudra aussi compter sur Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh,  un conte envoûtant qui nous embarque dans une sorte de rêve, en apesanteur, un périple qui nous évade de la réalité  comme le ferait un voyage interstellaire. Un film audacieux, métaphorique, onirique, fabuleux. Un film qui, tout en douceur, prône la résistance par le rêve et par la puissance de l'imaginaire et du cinéma pour faire face aux fracas de la réalité et pour ne pas quitter l'enfance.

    Retrouvez l’ensemble des nominations ci-dessous.

     

    2. Nominations et palmarès commenté (Article complété le 26/02/2022)

    Au regard des nominations commentées ci-dessous, vous ne serez pas surpris que j’écrive à quel point ce palmarès me réjouit. Mais aussi que le cinéma ait été au centre de la cérémonie globalement réussie, sans égarements, et que la situation internationale n’ait pas non plus été oubliée, mentionnée par plusieurs lauréats (Vincent Maël Cardona, Cate Blanchett, Nelly Quettier) et aussi en ouverture par le maître de cérémonie :  « Ce que nous célébrons ce soir est précieux. Ce soir nous pensons aux Ukrainiens. Et soyons à la hauteur de la chance qu’ils n’ont pas. » Cette soirée a été un bel hommage au cinéma, à la salle de cinéma (« la magie de la salle de cinéma que jamais rien ne remplacera » comme l’a évoquée la présidente de cette 47ème édition, Danièle Thompson, et en écho le cri de colère de Arthur Harari, César du meilleur scénario original pour Onoda, 10 000 nuits dans la jungle qui a ainsi déclaré : « on ne va pas au supermarché pour avoir une émotion »). De cette édition, je retiendrai : les 7 César dont celui du meilleur film pour Illusions perdues de Xavier Giannoli (qui avait battu le record de nominations avec 15 citations) et 5 pour Annette dont celui de la meilleure réalisation pour Léos Carax, amplement mérités (cf ce que je vous disais ci-dessus sur ces deux films), le César du meilleur film étranger pour The Father de Florian Zeller, la reconnaissance du travail de scénariste du prolifique et si talentueux Jacques Fieschi, le vibrant hommage de Xavier Dolan à Gaspard Ulliel et l’évocation de la plaie béante du deuil dans une magnifique lettre ouverte adressée à la mère du disparu, la reconnaissance du talent magistral d’un acteur exceptionnel avec le sacre de Benoît Magimel mais aussi de la prestation d’une non professionnelle, Aissatou Diallo Sagna, dans la formidable tragicomédie de Catherine Corsini, La Fracture, le César du meilleur premier film pour Les Magnétiques, un film qui l’est tellement, justement magnétique, la classe de Cate Blanchett, la prestation enchanteresse des Sparks (récompensés pour la musique originale d’Annette), l’hommage trop court à Bertrand Tavernier au regard de son immense carrière… Et, malgré tout, une belle célébration du septième art, rudement éprouvé ces dernières années, qui a mis en lumière la richesse et la diversité du cinéma français.

    Je vous laisse découvrir le palmarès complet ci-dessous.

    CÉSAR DE LA MEILLEURE ACTRICE

     

    LEÏLA BEKHTI dans LES INTRANQUILLES

    VALERIA BRUNI TEDESCHI dans LA FRACTURE

    LAURE CALAMY dans UNE FEMME DU MONDE

    VIRGINIE EFIRA dans BENEDETTA

    VICKY KRIEPS dans SERRE MOI FORT

    VALÉRIE LEMERCIER dans ALINE

    LÉA SEYDOUX dans FRANCE

     

     CÉSAR DU MEILLEUR ACTEUR

     

    DAMIEN BONNARD dans LES INTRANQUILLES

    ADAM DRIVER dans ANNETTE

    GILLES LELLOUCHE dans BAC NORD

    VINCENT MACAIGNE dans MÉDECIN DE NUIT

    BENOÎT MAGIMEL dans DE SON VIVANT

    PIO MARMAÏ dans LA FRACTURE

    PIERRE NINEY dans BOÎTE NOIRE

     

    CÉSAR DE LA MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE

     

    JEANNE BALIBAR dans ILLUSIONS PERDUES

    CÉCILE DE FRANCE dans ILLUSIONS PERDUES

    AISSATOU DIALLO SAGNA dans LA FRACTURE

    ADÈLE EXARCHOPOULOS dans MANDIBULES

    DANIELLE FICHAUD dans ALINE

     

    CÉSAR DU MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE

     

    FRANÇOIS CIVIL dans BAC NORD

    XAVIER DOLAN dans ILLUSIONS PERDUES

    VINCENT LACOSTE dans ILLUSIONS PERDUES

    KARIM LEKLOU dans BAC NORD

    SYLVAIN MARCEL dans ALINE

     

    CÉSAR DU MEILLEUR ESPOIR FÉMININ

     

    NOÉE ABITA dans SLALOM

    SALOMÉ DEWAELS dans ILLUSIONS PERDUES

    AGATHE ROUSSELLE dans TITANE

    ANAMARIA VARTOLOMEI dans L’ÉVÉNEMENT

    LUCIE ZHANG dans LES OLYMPIADES

     

    CÉSAR DU MEILLEUR ESPOIR MASCULIN

     

    SANDOR FUNTEK dans SUPRÊMES

    SAMI OUTALBALI dans UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR

    THIMOTÉE ROBART dans LES MAGNÉTIQUES

    MAKITA SAMBA dans LES OLYMPIADES

    BENJAMIN VOISIN dans ILLUSIONS PERDUES

     

    CÉSAR DU MEILLEUR SCÉNARIO ORIGINAL

     

    VALÉRIE LEMERCIER, BRIGITTE BUC pour ALINE

    LEOS CARAX, RON MAEL, RUSSELL MAEL pour ANNETTE

    YANN GOZLAN, SIMON MOUTAÏROU, NICOLAS BOUVET-LEVRARD pour BOÎTE NOIRE

    CATHERINE CORSINI, LAURETTE POLMANSS, AGNÈS FEUVRE pour LA FRACTURE

    ARTHUR HARARI, VINCENT POYMIRO pour ONODA, 10 000 NUITS DANS LA JUNGLE

     

    CÉSAR DE LA MEILLEURE ADAPTATION

     

    YAËL LANGMANN, YVAN ATTAL pour LES CHOSES HUMAINES

    AUDREY DIWAN, MARCIA ROMANO pour L’ÉVÉNEMENT

    XAVIER GIANNOLI, JACQUES FIESCHI pour ILLUSIONS PERDUES

    CÉLINE SCIAMMA, LÉA MYSIUS, JACQUES AUDIARD pour LES OLYMPIADES

    MATHIEU AMALRIC pour SERRE MOI FORT

     

    CÉSAR DE LA MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE

     

    RON MAEL, RUSSELL MAEL pour le groupe Sparks pour ANNETTE

    GUILLAUME ROUSSEL pour BAC NORD

    PHILIPPE ROMBI pour BOÎTE NOIRE

    RONE pour LES OLYMPIADES

    WARREN ELLIS, NICK CAVE pour LA PANTHÈRE DES NEIGES

     

    CÉSAR DU MEILLEUR SON

     

    OLIVIER MAUVEZIN, ARNAUD ROLLAND, EDOUARD MORIN, DANIEL SOBRINO pour ALINE

    ERWAN KERZANET, KATIA BOUTIN, MAXENCE DUSSÈRE, PAUL HEYMANS, THOMAS GAUDER

    pour ANNETTE

    NICOLAS PROVOST, NICOLAS BOUVET-LEVRARD, MARC DOISNE pour BOÎTE NOIRE

    FRANÇOIS MUSY, RENAUD MUSY, DIDIER LOZAHIC pour ILLUSIONS PERDUES

    MATHIEU DESCAMPS, PIERRE BARIAUD, SAMUEL AÏCHOUN pour LES MAGNÉTIQUES

     

    CÉSAR DE LA MEILLEURE PHOTO

     

    CAROLINE CHAMPETIER pour ANNETTE

    CHRISTOPHE BEAUCARNE pour ILLUSIONS PERDUES

    PAUL GUILHAUME pour LES OLYMPIADES

    TOM HARARI pour ONODA, 10 000 NUITS DANS LA JUNGLE

    RUBEN IMPENS pour TITANE

     

    CÉSAR DU MEILLEUR MONTAGE

     

    NELLY QUETTIER pour ANNETTE

    SIMON JACQUET pour BAC NORD

    VALENTIN FÉRON pour BOÎTE NOIRE

    FRÉDÉRIC BAILLEHAICHE pour LA FRACTURE

    CYRIL NAKACHE pour ILLUSIONS PERDUES

     

    CÉSAR DES MEILLEURS COSTUMES

     

    CATHERINE LETERRIER pour ALINE

    PASCALINE CHAVANNE pour ANNETTE

    MADELINE FONTAINE pour DÉLICIEUX

    THIERRY DELETTRE pour EIFFEL

    PIERRE-JEAN LARROQUE pour ILLUSIONS PERDUES

     

    CÉSAR DES MEILLEURS DÉCORS

     

    EMMANUELLE DUPLAY pour ALINE

    FLORIAN SANSON pour ANNETTE

    BERTRAND SEITZ pour DÉLICIEUX

    STÉPHANE TAILLASSON pour EIFFEL

    RITON DUPIRE-CLÉMENT pour ILLUSIONS PERDUES

     

    CÉSAR DES MEILLEURS EFFETS VISUELS

     

    SÉBASTIEN RAME pour ALINE

    GUILLAUME PONDARD pour ANNETTE

    OLIVIER CAUWET pour EIFFEL

    ARNAUD FOUQUET, JULIEN MEESTERS pour ILLUSIONS PERDUES

    MARTIAL VALLANCHON pour TITANE

     

    CÉSAR DE LA MEILLEURE RÉALISATION

     

    VALÉRIE LEMERCIER pour ALINE

    LEOS CARAX pour ANNETTE

    CÉDRIC JIMENEZ pour BAC NORD

    AUDREY DIWAN pour L’ÉVÉNEMENT

    XAVIER GIANNOLI pour ILLUSIONS PERDUES

    ARTHUR HARARI pour ONODA, 10 000 NUITS DANS LA JUNGLE

    JULIA DUCOURNAU pour TITANE

     

    CÉSAR DU MEILLEUR FILM DE COURT MÉTRAGE D’ANIMATION

     

    EMPTY PLACES

    réalisé par GEOFFROY DE CRÉCY,

    produit par NICOLAS SCHMERKIN

    FOLIE DOUCE, FOLIE DURE

    réalisé par MARINE LACLOTTE,

    produit par CHRISTIAN PFOHL

    LE MONDE EN SOI

    réalisé par SANDRINE STOÏANOV, JEAN-CHARLES FINCK,

    produit par JÉRÔME BARTHÉLEMY, DANIEL SAUVAGE

    PRÉCIEUX

    réalisé par PAUL MAS,

    produit par MARC JOUSSET, PERRINE CAPRON

     

    CÉSAR DU MEILLEUR FILM DE COURT MÉTRAGE DOCUMENTAIRE

     

    AMERICA

    réalisé par GIACOMO ABBRUZZESE,

    produit par SÉBASTIEN HUSSENOT, MARIE SAVARE DE LAITRE

    LES ANTILOPES

    réalisé par MAXIME MARTINOT,

    produit par QUENTIN BRAYER

    LA FIN DES ROIS

    réalisé par RÉMI BRACHET,

    produit par JOSÉPHINE MOURLAQUE, ANTOINE SALOMÉ

    MAALBEEK

    réalisé par ISMAËL JOFFROY CHANDOUTIS,

    produit par LIONEL MASSOL, PAULINE SEIGLAND, JULES REINARTZ, MAXENCE VOISEUX

     

    CÉSAR DU MEILLEUR FILM DE COURT MÉTRAGE DE FICTION

     

    L’ÂGE TENDRE

    réalisé par JULIEN GASPAR-OLIVERI,

    produit par HÉLÈNE MITJAVILE

    LE DÉPART

    réalisé par SAÏD HAMICH BENLARBI,

    produit par SOPHIE PENSON

    DES GENS BIEN

    réalisé par MAXIME ROY,

    produit par ALICE BLOCH

    LES MAUVAIS GARÇONS

    réalisé par ELIE GIRARD,

    produit par LIONEL MASSOL, PAULINE SEIGLAND

    SOLDAT NOIR

    réalisé par JIMMY LAPORAL-TRÉSOR,

    produit par MANUEL CHICHE, VIOLAINE BARBAROUX, NICOLAS BLANC, SARAH EGRY

     

    CÉSAR DU MEILLEUR FILM D’ANIMATION

     

    MÊME LES SOURIS VONT AU PARADIS

    réalisé par DENISA GRIMMOVÁ, JAN BUBENICEK,

    coproducteurs France ALEXANDRE CHARLET, JONATHAN HAZAN

    LE SOMMET DES DIEUX

    réalisé par PATRICK IMBERT,

    produit par JEAN-CHARLES OSTORERO, DIDIER BRUNNER, DAMIEN BRUNNER

    LA TRAVERSÉE

    réalisé par FLORENCE MIAILHE,

    produit par DORA BENOUSILIO, LUC CAMILLI

     

    CÉSAR DU MEILLEUR FILM DOCUMENTAIRE

     

    ANIMAL

    réalisé par CYRIL DION,

    produit par GUILLAUME THOURET, CÉLINE ROUX, PATRICE LORTON, JEAN-MARIE MICHEL,

    THOMAS BÉNET, CYRIL DION, PATRICK FOURNIER

    BIGGER THAN US

    réalisé par FLORE VASSEUR,

    produit par DENIS CAROT, FLORE VASSEUR

    DEBOUT LES FEMMES !

    réalisé par GILLES PERRET, FRANÇOIS RUFFIN,

    produit par THIBAULT LHONNEUR

    INDES GALANTES

    réalisé par PHILIPPE BÉZIAT,

    produit par PHILIPPE MARTIN, DAVID THION

    LA PANTHÈRE DES NEIGES

    réalisé par MARIE AMIGUET, VINCENT MUNIER,

    produit par LAURENT BAUJARD, PIERRE-EMMANUEL FLEURANTIN, VINCENT MUNIER

     

    CÉSAR DU MEILLEUR PREMIER FILM

     

    GAGARINE

    réalisé par FANNY LIATARD, JÉRÉMY TROUILH,

    produit par JULIE BILLY, CAROLE SCOTTA

    LES MAGNÉTIQUES

    réalisé par VINCENT MAËL CARDONA,

    produit par MARC-BENOÎT CRÉANCIER, TOUFIK AYADI, CHRISTOPHE BARRAL

    LA NUÉE

    réalisé par JUST PHILIPPOT,

    produit par THIERRY LOUNAS, MANUEL CHICHE

    LA PANTHÈRE DES NEIGES

    réalisé par MARIE AMIGUET, VINCENT MUNIER,

    produit par LAURENT BAUJARD, PIERRE-EMMANUEL FLEURANTIN, VINCENT MUNIER

    SLALOM

    réalisé par CHARLÈNE FAVIER,

    produit par ÉDOUARD MAURIAT, ANNE-CÉCILE BERTHOMEAU

     

    CÉSAR DU MEILLEUR FILM ÉTRANGER

     

    COMPARTIMENT N°6

    réalisé par JUHO KUOSMANEN,

    distribution France HAUT ET COURT DISTRIBUTION

    DRIVE MY CAR

    réalisé par RYÛSUKE HAMAGUCHI,

    distribution France DIAPHANA DISTRIBUTION

    FIRST COW

    réalisé par KELLY REICHARDT,

    distribution France CONDOR DISTRIBUTION

    JULIE (EN 12 CHAPITRES)

    réalisé par JOACHIM TRIER,

    coproduction France MK PRODUCTIONS (Nathanaël Karmitz, Juliette Schrameck, Elisha Karmitz)

    LA LOI DE TÉHÉRAN

    réalisé par SAEED ROUSTAEE,

    distribution France WILD BUNCH DISTRIBUTION

    MADRES PARALELAS

    réalisé par PEDRO ALMODÓVAR,

    distribution France PATHÉ

    THE FATHER

    réalisé par FLORIAN ZELLER,

    coproduction France F COMME FILM (Jean-Louis Livi), CINÉ-@. (Philippe Carcassonne)

     

    CÉSAR DU MEILLEUR FILM 

     

    ALINE

    produit par EDOUARD WEIL, ALICE GIRARD, SIDONIE DUMAS,

    réalisé par VALÉRIE LEMERCIER

    ANNETTE

    produit par CHARLES GILLIBERT,

    réalisé par LEOS CARAX

    BAC NORD

    produit par HUGO SÉLIGNAC,

    réalisé par CÉDRIC JIMENEZ

    L’ÉVÉNEMENT

    produit par EDOUARD WEIL, ALICE GIRARD,

    réalisé par AUDREY DIWAN

    LA FRACTURE

    produit par ELISABETH PEREZ,

    réalisé par CATHERINE CORSINI

    ILLUSIONS PERDUES

    produit par OLIVIER DELBOSC, SIDONIE DUMAS,

    réalisé par XAVIER GIANNOLI

    ONODA, 10 000 NUITS DANS LA JUNGLE

    produit par NICOLAS ANTHOMÉ, LIONEL GUEDJ,

    réalisé par ARTHUR HARARI

     

    * Les 7 films nommés au César du Meilleur Film seront également soumis au vote de 1866 lycéens pour le César des Lycéens.

     

    DECOMPTE DES NOMINATIONS

     

    15 pour ILLUSIONS PERDUES

    11 pour ANNETTE

    10 pour ALINE

    7 pour BAC NORD

    6 pour LA FRACTURE

    5 pour BOÎTE NOIRE

    5 pour LES OLYMPIADES

    4 pour L’ÉVÉNEMENT

    4 pour ONODA, 10 000 NUITS DANS LA JUNGLE

    4 pour TITANE

    3 pour EIFFEL

    3 pour LES MAGNÉTIQUES

    3 pour LA PANTHÈRE DES NEIGES

    2 pour DÉLICIEUX

    2 pour LES INTRANQUILLES

    2 pour SERRE MOI FORT

    2 pour SLALOM

    1 pour L’ÂGE TENDRE

    1 pour AMERICA

    1 pour ANIMAL

    1 pour LES ANTILOPES

    1 pour BENEDETTA

    1 pour BIGGER THAN US

    1 pour LES CHOSES HUMAINES

    1 pour COMPARTIMENT N°6

    1 pour DE SON VIVANT

    1 pour DEBOUT LES FEMMES !

    1 pour LE DÉPART

    1 pour DES GENS BIEN

    1 pour DRIVE MY CAR

    1 pour EMPTY PLACES

    1 pour LA FIN DES ROIS

    1 pour FIRST COW

    1 pour FOLIE DOUCE, FOLIE DURE

    1 pour FRANCE

    1 pour GAGARINE

    1 pour INDES GALANTES

    1 pour JULIE (EN 12 CHAPITRES)

    1 pour LA LOI DE TÉHÉRAN

    1 pour MAALBEEK

    1 pour MADRES PARALELAS

    1 pour MANDIBULES

    1 pour LES MAUVAIS GARÇONS

    1 pour MÉDECIN DE NUIT

    1 pour MÊME LES SOURIS VONT AU PARADIS

    1 pour LE MONDE EN SOI

    1 pour LA NUÉE

    1 pour PRÉCIEUX

    1 pour SOLDAT NOIR

    1 pour LE SOMMET DES DIEUX

    1 pour SUPRÊMES

    1 pour THE FATHER

    1 pour LA TRAVERSÉE

    1 pour UNE FEMME DU MONDE

    1 pour UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR

    TOTAL : 126 NOMINATIONS

    Lien permanent Imprimer Catégories : CESAR 2022, IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) Pin it! 0 commentaire
  • Rétrospective Losey à la Cinémathèque Française : "Monsieur Klein" en ouverture le 6.01.2022

    Critique de Mr Klein de Losey.jpg

    L'ouverture de la rétrospective Joseph Losey à la Cinémathèque Française, demain, 6 janvier 2022, à 20H, avec Monsieur Klein me donne l'occasion de vous parler à nouveau de ce chef-d'œuvre à (re)voir absolument. Retrouvez le programme complet de la rétrospective, ici. 

    Retrouvez ma critique du film ci-dessous mais aussi mon récit de la remise de la palme d'or d'honneur à Alain Delon, là, lors du Festival de Cannes 2019.

    A chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef-d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  A chaque projection, je le vois  et l'appréhende différemment.  Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

    Il s'agit de Robert Klein. Le monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein, interprété par Alain Delon, voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal Informations juives adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et Monsieur Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime il devient suspect. Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître.

    La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, Monsieur Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. Monsieur Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égards pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable (et sans doute inconsciente) effronterie : « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

    Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de Monsieur Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner, n'est-ce pas déjà une négation de l'identité ? Cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne.

    Cet homonyme veut-il lui  sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là, l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

     Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre (direction de la photographie signée Gerry Fisher) mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante ( de Egisto Macchi et Pierre Porte).  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre Monsieur Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité. Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

    Le malentendu (volontairement initié ou non ) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique  depuis Louis XIV», lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». Klein est donc  certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça» mais qui clame surtout : «  Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

    Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de  voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à  la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié, et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

    Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation de ceux qui avaient à cette époque un rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

    Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la Rafle du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse délibérément emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme  à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'Histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

    La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

    Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque,  un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que Monsieur Klein soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et  des meilleurs décors.

    Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

    A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant, quête de conscience et d'identité d'un homme, mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires, implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et banale,  Monsieur Klein est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie, des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier. Plus que jamais.

     

  • 27ème Cérémonie des Lumières de la Presse internationale : les nominations

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    Ce matin, au Cinéma des Cinéastes, furent annoncées les nominations des Prix Lumières 2022 en tête desquelles on retrouve la flamboyante et passionnante adaptation du chef-d'œuvre de Balzac par Xavier Giannoli, Illusions perdues.  

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    Cette adaptation d’un classique de la littérature qu’est Illusions perdues est tout sauf académique et méritait ainsi de figurer en tête des nominations. Cette satire de l’arrivisme, du théâtre des vanités que furent et sont encore Paris et le monde des médias, des « bons » mots, armes vengeresses qui blessent et tuent parfois, est d’une modernité époustouflante comme l’était l’œuvre de Balzac. Bien sûr, comme le roman, l’adaptation de Giannoli n’est pas seulement une peinture sociale mais aussi un film d’amour condamné sur l’autel d’une fallacieuse réussite. « L'amour véritable offre de constantes similitudes avec l'enfance : il en a l'irréflexion, l'imprudence, la dissipation, le rire et les pleurs. » écrivit ainsi magnifiquement Balzac dans Illusions perdues. Si, comme moi, vous aimez passionnément Balzac, son écriture, ses peintures de la société et des sentiments (nobles, sacrifiés, sublimés, éperdus, terrassés), alors cette adaptation parfois intelligemment infidèle mais toujours fidèle à l’esprit de l’œuvre devrait vous séduire. Et si vous ne connaissez pas encore ce roman alors la modernité, la beauté, la clairvoyance et la flamboyance de cette adaptation devraient vous donner envie de le dévorer surtout que vous ne verrez pas passer ces 2H29 absolument captivantes qui s’achèvent sur cette citation de Balzac terrible et sublime : « Je pense à ceux qui doivent trouver quelque chose en eux après le désenchantement ».

    Créés en 1995 par la volonté d’un journaliste britannique, Edward Behr, et d’un producteur français, Daniel Toscan du Plantier, les prix annuels de l’Académie des Lumières se veulent un regard différent, international, sur le cinéma français. L’Académie des Lumières se donne pour but de susciter l’intérêt parmi les nombreux correspondants à Paris de la presse internationale pour le cinéma français.

    L'an passé, le petit bijou d'écriture signé Emmanuel Mouret, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait avait remporté le Lumière du meilleur film. Pour savoir quel film lui succèdera, il vous faudra suivre la cérémonie le 17 janvier à 20H et en clair sur Canal +.

    Pour en savoir plus  : L'Académie des Lumières - Académie des lumières (academiedeslumieres.com)

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    NOMINATIONS 2022

    FILM
    ANNETTE de Leos Carax
    DE SON VIVANT de Emmanuelle Bercot
    L’ÉVÉNEMENT de Audrey Diwan
    ILLUSIONS PERDUES de Xavier Giannoli
    ONODA, 10 000 nuits dans la jungle de Arthur Harari

    MISE EN SCENE
    Jacques Audiard pour LES OLYMPIADES
    Leos Carax pour ANNETTE
    Audrey Diwan pour L’ÉVÉNEMENT
    Xavier Giannoli pour ILLUSIONS PERDUES
    Arthur Harari pour ONODA, 10 000 nuits dans la jungle

    SCÉNARIO
    Antoine Barraud pour MADELEINE COLLINS
    Leyla Bouzid pour UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR
    Catherine Corsini pour LA FRACTURE
    Xavier Giannoli pour ILLUSIONS PERDUES
    Arthur Harari, Vincent Poymiro pour ONODA, 10 000 nuits dans la jungle

    FILM DOCUMENTAIRE
    9 JOURS À RAQQA de Xavier de Lauzanne
    DELPHINE ET CAROLE INSOUMUSES de Callisto Mc Nulty
    INDES GALANTES de Philippe Béziat
    LE KIOSQUE de Alexandra Pianelli
    LA PANTHÈRE DES NEIGES de Marie Amiguet et Vincent Munier

    FILM D’ANIMATION
    PIL de Julien Fournet
    PRINCESSE DRAGON de Anthony « Tot » Roux et Jean-Jacques Denis
    LE SOMMET DES DIEUX de Patrick Imbert
    LA TRAVERSÉE de Florence Miailhe
    LE TOUR DU MONDE EN 80 JOURS de Samuel Tourneux

    ACTRICE
    Suliane Brahim pour LA NUÉE
    Virginie Efira pour BENEDETTA
    Valérie Lemercier pour ALINE
    Sophie Marceau pour TOUT S’EST BIEN PASSÉ
    Anamaria Vartolomei pour L’ÉVÉNEMENT

    ACTEUR
    Damien Bonnard pour LES INTRANQUILLES
    André Dussollier pour TOUT S’EST BIEN PASSÉ
    Vincent Lindon pour TITANE
    Benoît Magimel pour DE SON VIVANT
    Benjamin Voisin pour ILLUSIONS PERDUES

    REVELATION FEMININE
    Zbeida Belhajamor pour UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR
    Aïssatou Diallo Sagna pour LA FRACTURE
    Daphné Patakia pour BENEDETTA
    Agathe Rousselle pour TITANE
    Lucie Zhang pour LES OLYMPIADES

    REVELATION MASCULINE
    Alseni Bathily pour GAGARINE
    Abdel Bendaher pour IBRAHIM
    Sami Outalbali pour UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR
    Thimotée Robart pour LES MAGNÉTIQUES
    Makita Samba pour LES OLYMPIADES

    PREMIER FILM
    GAGARINE de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh
    IBRAHIM de Samir Guesmi
    LES MAGNÉTIQUES de Vincent Maël Cardona
    LA NUÉE de Just Philippot
    SOUS LE CIEL D’ALICE de Chloé Mazlo

    COPRODUCTION INTERNATIONALE
    FÉVRIER de Kamen Kalev
    LA FIÈVRE DE PETROV de Kirill Serebrennikov
    LES INTRANQUILLES de Joachim Lafosse
    JULIE (EN 12 CHAPITRES) de Joachim Trier
    THE FATHER de Florian Zeller

    IMAGE
    Christophe Beaucarne pour ILLUSIONS PERDUES
    Romain Carcanade pour LA NUÉE
    Caroline Champetier pour ANNETTE
    Tom Harari pour ONODA, 10 000 nuits dans la jungle
    Laurent Tangy pour L’EVENEMENT

    MUSIQUE
    Amine Bouhafa pour LE SOMMET DES DIEUX
    Warren Ellis et Nick Cave pour LA PANTHERE DES NEIGES
    Evgueni Galperine, Sacha Galperine, Amine Bouhafa pour GAGARINE
    Ron Mael et Russell Mael / SPARKS pour ANNETTE
    Jim Williams pour TITANE

  • LE CERCLE ROUGE de Jean-Pierre Melville (au cinéma le 01/12/2021 en version restaurée 4k)

    Le 1er décembre 2021, vous pourrez découvrir Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville au cinéma, en version restaurée 4K. L'occasion de vous parler à nouveau de ce chef-d'œuvre. 

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    Le retour en salles, le 1er décembre prochain, du chef-d'œuvre de Melville, "Le cercle rouge"(1970) (grâce à Carlotta et Studio Canal, dans sa version restaurée 4K inédite, est pour moi l'excellent prétexte pour vous en parler en espérant ainsi vous donner envie de le (re)découvrir ainsi que les autres films de Melville parmi lesquels "Le Samouraï" (1967) et "L'armée des ombres"(1969) dont je vous parle aussi ci-dessous au gré de quelques (nombreuses) digressions.
     
    Synopsis : Le commissaire Matteï (Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s’enfuir et demeure introuvable malgré l’importance des moyens déployés. Au même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit dans sa cellule la visite d’un gardien venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l’affaire proposée par le gardien : le cambriolage d’une bijouterie de la Place Vendôme. Ils s’adjoignent ensuite les services d’un tireur d’élite : Jansen (Yves Montand), un ancien policier, rongé par l’alcool.
     
    Dès la phrase d’exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité :  "Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit :  Quand des hommes, même s'ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge ."
     
    Comment ne pas établir un parallèle avec le debut du "Samourai" dans lequel Melville parvient là aussi d'emblée à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains… Le premier plan met en scène le Samouraï, à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil.
     
    La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate, avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis).  Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début là aussi placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité.
     
    Même parallèle avec le début de "L'armée des ombres". Dès le premier plan, on éprouve là aussi cette sensation d’étirement du temps. La place est d’abord vide puis on entend les bruits de bottes hors champ puis on distingue les soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Puis vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre, pluvieuse, est déjà plantée. Le récit lui-même est claustrophobique, enfermé sur lui-même et semble sans issue. Ainsi, en effet, le film commence par une trahison et par le meurtre de celui qui a donné un résistant et il s’achève par l’exécution « nécessaire » de Mathilde (la Résistante incarnée par Simone Signoret) par ses propres compagnons. Le film commence à l’Arc de triomphe et s’achève à l’Arc de triomphe. Par ailleurs, les deux indices temporels sont ceux du début, le 20 octobre 1942 et de la fin, le 23 février 1943, un peu moins d’une année qui enferme le récit et les personnages dans leurs tragiques destins. Un sentiment oppressant se dégage du film et pas même les panneaux de la fin ne viendront le démentir puisqu’ils nous annoncent la mort de tous les protagonistes, le plus souvent torturés et exécutés. Ils nous renvoient ainsi au défilé militaire du début et ce qui s’est passé entre les deux semble n’y avoir rien changé, ce qui exacerbe encore l’horreur vaine des actes commis.
     
    Dans "Le cercle rouge", c’est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira là aussi tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policiers et gangsters, le Commissaire Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers. Reviennent alors les propos de l’inspecteur général des services pour qui les hommes sont « tous coupables ».
     
    Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l’un est policier et l’autre un prévenu. Il n’y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu’ils traquent sont des hommes seuls. À deux reprises, il nous est montré avec ses chats qu’il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l’alcool lui fait imaginer. Tous sont prisonniers. Prisonniers d’une vie de solitude. Prisonniers d’intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l’appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l’extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique. Implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d’une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu’elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).
     
    Dans "L'armée des ombres", c'était déjà là aussi un univers sombre, cruel, sordide qui nous était dépeint, rappelant l’univers de gangsters que Melville s’attache habituellement à filmer que ce soit dans "Le Doulos,", "le Samouraï" ou "Le deuxième souffle" etc.
     
    Les hommes de la Résistance sont là aussi plongés dans ce « cercle rouge », ce « cercle de la mort où les hommes se retrouvent tous un jour. Dans « Le Doulos », « Le Deuxième souffle » et même dans une autre mesure « L’armée des ombres », on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de « L’armée des ombres » qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connue sous la Résistance. Dans les  films précédant « L’armée des ombres » comme « Le Samouraï », Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Les mêmes acteurs jouent d'ailleurs dans ses deux « catégories » de films, encore faudrait-il y voir deux catégories distinctes car les points communs foisonnent. Ainsi Paul Meurisse et Lino Ventura étaient déjà à l’affiche du "Deuxième souffle" et Serge Reggiani avait interprété un rôle dans "le Doulos". Par ailleurs, les poursuites rappellent celles entre policiers et truands. Ainsi, certaines scènes de "L’armée des ombres", sorties de leur contexte pourraient très bien figurer dans un film policier notamment lorsque Félix (Paul Crauchet) est arrêté dans une rue tranquille puis encadré et entraîné brutalement par deux hommes surgis de nulle part vers une voiture qui démarre en trombe. La chambre où le traître est exécuté rappelle ainsi celle de Costello/Delon dans "Le Samouraï". Leur allure vestimentaire rappelle également celle des gangsters, notamment le chapeau qu’arbore la plupart du temps les Résistants du film et qui renvoie au fameux chapeau de Costello dans "Le Samouraï". Gangsters et Résistants sont obsédés par le secret et les uns et les autres ont bien souvent une double vie.
     
    Les personnages vivent ici aussi dans la clandestinité afin de pouvoir réaliser leur objectif qui est de libérer la France tout comme ils vivent en clandestinité quand ils sont dans l’illégalité. Enfin, les protagonistes de ces deux types de films sont également soumis à la solitude, à l’angoisse, au danger. Dans "L'Armée des ombres", les Résistants ne sont pas des jeunes aventuriers intrépides comme on l’a souvent vu au cinéma. Melville casse délibérément cette image. Il montre des combattants de l’ombre dans leur quotidien. Ils se cachent, fuient, attendent dans un silence quasi absolu. On les voit douter des leurs convictions et parfois poussés par la peur à trahir, trahison qui engendre une exécution par la suite. On retrouve également l’influence du cinéma américain de ce cinéaste qui était un grand admirateur de Wyler. Melville rend même explicitement hommage au cinéma américain en reprenant le son du "Coup de l’escalier" dans la scène de l’ambulance où Mathilde vient sauver Félix. Ce son saccadé, haché, semble faire écho aux battements de cœur des Résistants que nous imaginons derrière leur impassibilité de façade. Ils martèlent aussi le temps qui passe et l’étirement des secondes dont chacune d’entre elles peut être décisive ou fatale. Tout comme le montrera ensuite Louis Malle avec le controversé Lacombe Lucien, la frontière entre le traître et le héros, l’homme de loi et le hors la loi, est bien fragile, surtout à cette époque troublée au cours de laquelle Melville nous montre ainsi qu’elle devait parfois être franchie, ainsi le nécessitait le passage de la lumière à l’ombre pour ensuite revenir à une autre lumière, celle de la Libération.
     
    Comme dans « L’armée des ombres », dans « Le Samouraï » déjà la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité.
     
    Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.
     
    Le scénario du "Samouraï" comme celui du "Cercle rouge" sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en  flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer à Mattei et à son « tous coupables » dans « Le Cercle rouge ». C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».
     
    Avec "Le Samouraï', film noir, polar exemplaire, Meville avait inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il avait déjà donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans « Le Battant ». Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.
     
    Évidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef-d’œuvre sans la présence d’Alain Delon qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux (anti)héros melvillien.
     
    De même déjà dans "Le Samouraï", le plan du début et celui de la fin se répondaient ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant.  Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue là aussi comme dans "Le Cercle rouge". Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.
     
    Dans "Le cercle rouge" avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu’une parole ne soit échangée), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe là aussi un polar d’une noirceur, d’une intensité, d’une sobriété rarement égalées.
     
    Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c’est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l’alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s’il tourna ensuite « Le mur de l’Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ».  Ce sont pourtant d’autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour Le commissaire Matteï, Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.
     
    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu’il est l’auteur du scénario original et de cette idée qu’il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu’ j’ai tournés, parce que j’en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l’écrivant. »
    En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernière fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu’inoubliable. À (re)voir absolument de même que les autres films de Melville qui se font tous écho pour former  une œuvre magistrale.
  • Rétrospective Alain Resnais à La Cinémathèque Française (du 3 au 29 novembre 2021)

    À l'occasion de la rétrospective que La Cinémathèque Française consacrera à Alain Resnais du 3 au 29 novembre 2021, je vous propose trois critiques de films qui y seront projetés à cette occasion (je vous recommande tout autant les autres, évidemment) : "On connaît la chanson" (ce film de 1997 ouvrira la rétrospective ce 3 novembre à 20h et sera aussi projeté le 13 novembre à 14h30), "Vous n'avez encore rien vu" (le 14 novembre à 21h30 et le 27 novembre à 18h30) et "Cœurs" (le 19 novembre à 19h et le 24 novembre à 21h30). 

    CRITIQUE de ON CONNAÎT LA CHANSON d'Alain Resnais (1997)

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    Toute la malice du cinéaste apparaît déjà dans le titre de ce film de 1997, dans son double sens, propre et figuré, puisqu’il fait à la fois référence aux chansons en playback interprétées dans le film mais parce qu’il sous-entend à quel point les apparences peuvent être trompeuses et donc que nous ne connaissons jamais vraiment la chanson…

    Suite à un malentendu, Camille (Agnès Jaoui), guide touristique et auteure d’une thèse sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru » s’éprend de l’agent immobilier Marc Duveyrier (Lambert Wilson). Ce dernier est aussi le patron de Simon (André Dussolier), secrètement épris de Camille et qui tente de vendre un appartement à Odile (Sabine Azéma), la sœur de Camille. L’enthousiaste Odile est décidée à acheter cet appartement malgré la désapprobation muette de Claude, son mari velléitaire (Pierre Arditi). Celui-ci supporte mal la réapparition après de longues années d’absence de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), vieux complice d’Odile qui devient le confident de Simon et qui est surtout très hypocondriaque.

    Ce film est pourtant bien plus que son idée de mise en scène, certes particulièrement ludique et enthousiasmante, à laquelle on tend trop souvent à le réduire. A l’image de ses personnages, le film d’Alain Resnais n’est pas ce qu’il semble être. Derrière une apparente légèreté qui emprunte au Boulevard et à la comédie musicale ou du moins à la comédie (en) »chantée », il débusque les fêlures que chacun dissimule derrière de l’assurance, une joie de vivre exagérée, de l’arrogance ou une timidité.

    C’est un film en forme de trompe-l’œil qui commence dès la première scène : une ouverture sur une croix gammée, dans le bureau de Von Choltitz au téléphone avec Hitler qui lui ordonne de détruire Paris. Mais Paris ne disparaîtra pas et sera bien heureusement le terrain des chassés croisés des personnages de « On connaît la chanson », et cette épisode était juste une manière de planter le décor, de nous faire regarder justement au-delà du décor, et de présenter le principe de ces extraits chantés. La mise en scène ne cessera d’ailleurs de jouer ainsi avec les apparences, comme lorsqu’Odile parle avec Nicolas, lors d’un dîner chez elle, et que son mari Claude est absent du cadre, tout comme il semble d’ailleurs constamment « absent », ailleurs.

    Resnais joue habilement avec la mise en scène mais aussi avec les genres cinématographiques, faisant parfois une incursion dans la comédie romantique, comme lors de la rencontre entre Camille et Marc. L’appartement où ils se retrouvent est aussi glacial que la lumière est chaleureuse pour devenir presque irréelle mais là encore c’est une manière de jouer avec les apparences puisque Marc lui-même est d’une certaine manière irréel, fabriqué, jouant un personnage qu’il n’est pas.

    Le scénario est signé Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et témoigne déjà de leur goût des autres et de leur regard à la fois acéré et tendre sur nos vanités, nos faiblesses, nos fêlures. Les dialogues sont ainsi des bijoux de précision et d’observation mais finalement même s’ils mettent l’accent sur les faiblesses de chacun, les personnages ne sont jamais regardés avec condescendance mais plutôt lucidité et indulgence. Une phrase parfois suffit à caractériser un personnage comme cette femme qui, en se présentant dit, « J’suis une collègue d’Odile. Mais un petit cran au-dessus. Mais ça ne nous empêche pas de bien nous entendre ! ». Tout est dit ! La volonté de se montrer sous son meilleur jour, conciliante, ouverte, indifférente aux hiérarchies et apparences…tout en démontrant le contraire. Ou comme lorsque Marc répète à deux reprises à d’autres sa réplique adressée à Simon dont il est visiblement très fier « Vous savez Simon, vous n’êtes pas seulement un auteur dramatique, mais vous êtes aussi un employé dramatique ! » marquant à la fois ainsi une certaine condescendance mais en même temps une certaine forme de manque de confiance, et amoindrissant le caractère a priori antipathique de son personnage.

    Les personnages de « On connaît la chanson » sont avant tout seuls, enfermés dans leurs images, leurs solitudes, leur inaptitude à communiquer, et les chansons leur permettent souvent de révéler leurs vérités masquées, leurs vrais personnalités ou désirs, tout en ayant souvent un effet tendrement comique. De « J’aime les filles » avec Lambert Wilson au « Vertige de l’amour » avec André Dussolier (irrésistible ) en passant par le « Résiste » de Sabine Azéma. C’est aussi un moyen de comique de répétition dont est jalonné ce film : blague répétée par Lambert Wilson sur Simon, blague de la publicité pour la chicorée lorsque Nicolas montre la photo de sa famille et réitération de certains passages chantés comme « Avoir un bon copain ».

    Chacun laissera tomber son masque, de fierté ou de gaieté feinte, dans le dernier acte où tous seront réunis, dans le cadre d’une fête qui, une fois les apparences dévoilées (même les choses comme l’appartement n’y échappent pas, même celui-ci se révèlera ne pas être ce qu’il semblait), ne laissera plus qu’un sol jonché de bouteilles et d’assiettes vides, débarrassé du souci des apparences, et du rangement (de tout et chacun dans une case) mais la scène se terminera une nouvelle fois par une nouvelle pirouette, toute l’élégance de Resnais étant là, dans cette dernière phrase qui nous laisse avec un sourire, et l’envie de saisir l’existence avec légèreté.

    Rien n’est laissé au hasard, de l’interprétation (comme toujours chez Resnais remarquable direction d’acteurs et interprètes judicieusement choisis, de Dussolier en amoureux timide à Sabine Azéma en incorrigible optimiste en passant par Lambert Wilson, vaniteux et finalement pathétique et presque attendrissant) aux costumes comme les tenues rouges et flamboyantes de Sabine Azéma ou d’une tonalité plus neutre, voire fade, d’Agnès Jaoui.

    « On connaît la chanson » a obtenu 7 César dont celui du meilleur film et du meilleur scénario original. C’est pour moi un des films les plus brillants et profonds qui soient malgré sa légèreté apparente, un mélange subtile –à l’image de la vie – de mélancolie et de légèreté, d’enchantement et de désenchantement, un film à la frontière des émotions et des genres qui témoigne de la grande élégance de son réalisateur, du regard tendre et incisif de ses auteurs et qui nous laisse avec un air à la fois joyeux et nostalgique dans la tête. Un film qui semble entrer dans les cadres et qui justement nous démontre que la vie est plus nuancée et que chacun est forcément plus complexe que la case à laquelle on souhaite le réduire, moins lisse et jovial que l’image « enchantée » qu’il veut se donner. Un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération…même si nous connaissons déjà la chanson !

    CRITIQUE de VOUS N'AVEZ ENCORE RIEN VU d'Alain Resnais (2011)

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    Ce film fut mon énorme coup de coeur de l'édition 2012 du Festival de Cannes dans le cadre duquel il fut projeté.

    Après tant de grands films, des chefs d’œuvres souvent même, Alain Resnais prouve une nouvelle fois qu’il peut réinventer encore et encore le dispositif cinématographique, nous embarquer là où on ne l’attendait pas, jouer comme un enfant avec la caméra pour nous donner à notre tour ce regard d’enfant émerveillé dont il semble ne s’être jamais départi. A bientôt 90 ans, il prouve que la jeunesse, l’inventivité, la folie bienheureuse ne sont pas questions d’âge.

    Antoine, homme de théâtre, convoque après sa mort, ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions d’Eurydice, pièce qu’il a écrite. Il a enregistré, avant de mourir, une déclaration dans laquelle il leur demande de visionner une captation des répétitions de cette pièce: une jeune troupe lui a en effet demandé l'autorisation de la monter et il a besoin de leur avis.

    Dès le début, la mise en abyme s’installe. Les comédiens appelés par leurs véritables noms reçoivent un coup de fil leur annonçant la mort de leur ami metteur en scène. Première répétition avant une succession d’autres. Puis, ils se retrouvent tous dans cette demeure étrange, presque inquiétante, tel un gouffre un peu morbide où leur a donné rendez-vous Antoine. Cela pourrait être le début d’un film policier : tous ces comédiens réunis pour découvrir une vérité. Mais la vérité qu’ils vont découvrir est autre. C’est celle des mots, du pouvoir et de la magie de la fiction.

    Puis se passe ce qui arrive parfois au théâtre, lorsqu’il y a ce supplément d’âme, de magie, lorsque ce pouvoir des mots vous embarque ailleurs, vous hypnotise, vous fait oublier la réalité, tout en vous ancrant plus que jamais dans la réalité, vous faisant ressentir les palpitations de la vie. En 1942, Alain Resnais avait ainsi assisté à une représentation d’ « Eurydice » de Jean Anouilh de laquelle il était sorti bouleversé à tel point qu’il avait fait deux fois le tour de Paris à bicyclette. C’est aussi la sensation exaltante que m’a donné ce film.

    Chaque phrase prononcée, d’une manière presque onirique, magique, est d’une intensité sidérante de beauté et de force et exalte la force de l’amour. Mais surtout Alain Resnais nous livre ici un film inventif et ludique. Il joue avec les temporalités, avec le temps, avec la disposition dans l’espace (usant parfois aussi du splitscreen entre autres « artifices »). Il donne à jouer des répliques à des acteurs qui n’en ont plus l’âge. Cela ne fait qu’accroître la force des mots, du propos, leur douloureuse beauté et surtout cela met en relief le talent de ses comédiens. Rarement, je crois, j’aurais ainsi été émue et admirative devant chaque phrase prononcée quel que soit le comédien. A chaque fois, elle semble être la dernière et la seule, à la fois la première et l’ultime. Au premier rang de cette distribution (remarquable dans sa totalité), je citerai Pierre Arditi, Lambert Wilson, Anne Consigny, Sabine Azéma mais en réalité tous sont extraordinaires, aussi extraordinairement dirigés.

    C’est une des plus belles déclarations d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Contrairement à ce qui a pu être écrit ce n’est pas une œuvre posthume mais au contraire une mise en abyme déroutante, exaltante d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est de toutes façons transcendée. C’est aussi la confrontation entre deux générations ou plutôt leur union par la force des mots. Ajoutez à cela la musique de Mark Snow d’une puissance émotionnelle renversante et vous obtiendrez un film inclassable et si séduisant (n’usant pourtant d’aucune ficelle pour l’être mais au contraire faisant confiance à l’intelligence du spectateur).

    Ce film m’a enchantée, bouleversée, m’a rappelé pourquoi j’aimais follement le cinéma et le théâtre, et les mots. Ce film est d’ailleurs au-delà des mots auquel il rend pourtant un si bel hommage. Ce film aurait mérité un prix d’interprétation collectif, un prix de la mise en scène…et pourquoi pas une palme d’or ! Ces quelques mots sont bien entendu réducteurs pour vous parler de ce grand film, captivant, déroutant, envoûtant, singulier.

    CRITIQUE de COEURS d'ALAIN RESNAIS (2006)

     

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     « Cœurs » est un film de 2006. Le film choral était alors à la mode. Alain Resnais, cinéaste emblématique de la modernité, ne suit pas les modes mais les initie, encore. Malgré le temps, sa modernité n’a pas pris une ride et de ce point de vue du haut de ses 80 ans et quelques, mais surtout du haut de ses innombrables chefs d’œuvre (Hiroshima, mon amour, L’année dernière à Marienbad, Nuit et brouillard, On connaît la chanson, Smoking, no smoking, Je t’aime, je t’aime et tant d’autres), il reste le plus jeune des cinéastes. Coeurs est l’adaptation de Private fears in public places, une pièce de théâtre de l’auteur anglais Alain Ayckbourn dont Alain Resnais avait déjà adapté en 1993 une autre de ses œuvres, pour en faire Smoking, No smoking.

    Ce film, choral donc, croise les destins de six « cœurs en hiver » dans le quartier de la Grande Bibliothèque, quartier froid, moderne et impersonnel, sous la neige du début à la fin du film. La neige, glaciale, évidemment. La neige qui incite à se presser, à ne pas voir, à ne pas se rencontrer, à fuir l’extérieur. C’est donc à l’intérieur qu’il faut chercher la chaleur. Normalement. A l’intérieur qu’on devrait se croiser donc. Alors, oui, on se croise mais on ne se rencontre pas vraiment.

    C’est probablement d’On connaît la chanson que se rapproche le plus ce film, en particulier pour la solitude des personnages. Le dénouement est pourtant radicalement différent et avec les années qui séparent ces deux films la légèreté s’est un peu évaporée. Ainsi, dans On connaît la chanson les personnages chantent. Là, ils déchantent plutôt. Ils sont en quête surtout. En quête de désirs. De désir de vivre, surtout, aussi. Même dans un même lieu, même ensemble, ils sont constamment séparés : par un rideau de perle, par la neige, par une séparation au plafond, par une cloison en verre, par des couleurs contrastées, par des cœurs qui ne se comprennent plus et ne battent plus à l’unisson. Non, ces cœurs-là ne bondissent plus. Ils y aspirent pourtant.

    Le coeur se serre plus qu’il ne bondit. A cause des amours évanouis. Des parents disparus. Du temps passé. Ils sont enfermés dans leur nostalgie, leurs regrets même si la fantaisie et la poésie affleurent constamment sans jamais exploser vraiment. La fantaisie est finalement recouverte par la neige, par l’apparence de l’innocence. L’apparence seulement. Chaque personnage est auréolé de mystère. Resnais a compris qu’on peut dire beaucoup plus dans les silences, dans l’implicite, dans l’étrange que dans un excès de paroles, l’explicite, le didactique. Que la normalité n’est qu’un masque et un vain mot.

    Comme toujours chez Resnais les dialogues sont très et agréablement écrits. La mise en scène est particulièrement soignée : transitions magnifiquement réussies, contrastes sublimes et saisissants des couleurs chaudes et froides, jeu sur les apparences (encore elles). Rien d’étonnant à ce qu’il ait obtenu le Lion d’Argent du meilleur réalisateur à Venise.

    De la mélancolie, Alain Resnais est passé à la tristesse. De l’amour il est passé à la tendresse. Celle d’un frère et d’une sœur qui, à la fin, se retrouvent, seuls, enlacés. Sur l’écran de télévision qu’ils regardent, s’inscrit alors le mot fin. Espérons qu’elle ne préfigure pas la croyance du réalisateur en celle du cinéma, peut-être sa disparition sur le petit écran du moins. Peut-être la fin des illusions du cinéaste.

    En suivant les cœurs de ces personnages désenchantés, leurs « cœurs en hiver », Alain Resnais signe là un film particulièrement pessimiste, nostalgique, cruel parfois aussi. On en ressort tristes, nous aussi, tristes qu’il n’ait plus le cœur léger. Un film qui mérite néanmoins d’être vu. Pour ses acteurs magistraux et magistralement dirigés. Pour la voix de Claude Rich vociférant. Pour le vibrant monologue de Pierre Arditi. Pour le regard d’enfant pris en faute de Dussolier. Pour la grâce désenchantée d’Isabelle Carré. Pour la fantaisie sous-jacente de Sabine Azéma. Pour l’égarement de Lambert Wilson. Pour la voix chantante de Laura Morante soudainement aussi monotone que les appartements qu’elle visite. Pour et à cause de cette tristesse qui vous envahit insidieusement et ne vous quitte plus. Pour son esthétisme si singulier, si remarquablement soigné. Pour la sublime photographie d’Eric Gautier. Pour sa modernité, oui, encore et toujours. Parce que c’est une pierre de plus au magistral édifice qu’est l’œuvre d’Alain Resnais.

  • Rétrospective Nicole Garcia à La Cinémathèque Française (du 15 au 26 novembre 2021)

    Du 15 au 26 novembre, la Cinémathèque Française, vous pourrez découvrir la rétrospective consacrée à Nicole Garcia qui débute ce 15 novembre avec la projection de son dernier film "Amants" qui sort en salles ce 17 novembre.

    Le 17 novembre 2021, à La Cinémathèque, à 19h00, vous pourrez également (re)voir "15 août" et "Un beau dimanche" présentés par Pierre Rochefort et Nicole Garcia. Et le Jeudi 18 novembre 2021, à 19h00, vous pourrez assister à une séance de "Place Vendôme" présentée par Catherine Deneuve et Nicole Garcia.
     
    Cette rétrospective est pour moi l'occasion d'évoquer ici deux films de Nicole Garcia que j'affectionne tout particulièrement, "Un balcon sur la mer" et "Mal de pierres" dont je vous propose mes critiques ci-dessous. Vous pourrez revoir le premier le 19 novembre à 19h30  et le second le même jourà 22h. Pour en savoir plus sur cette rétrospective, rendez-vous sur le site de la Cinémathèque.
     
    Critique de UN BALCON SUR LA MER de Nicole Garcia

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    Quatre ans après « Selon Charlie » (alors injustement malmené par la critique, notamment lors de sa présentation en compétition du Festival de Cannes), Nicole Garcia revenait à la réalisation avec «Un balcon sur la mer » dans lequel Marc (Jean Dujardin), marié à un professeur (Sandrine Kiberlain), et père d’une petite fille, est agent immobilier dans le Sud de la France. Il mène une vie paisible et confortable jusqu’au jour où, lors d’une visite immobilière, il rencontre une femme mystérieuse (Marie-Josée Croze) représentant un acquéreur. Il pense reconnaître en cette femme énigmatique au charme envoûtant Cathy, l’amour de ses 12 ans, alors qu’il vivait en Algérie, à la fin de la guerre d’indépendance. Après une nuit d’amour, la jeune femme disparait et le doute s’empare de Marc sur la réelle identité de cette dernière. Va alors débuter pour lui une quête. Amoureuse et identitaire. En partant à se recherche, c’est avant tout son propre passé enfoui qu’il va (re)trouver.

    Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur l’enfance, ce qu’il en reste, et sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité. Tout en finesse. Avec une lenteur appréciable quand le cinéma vise de plus en plus l’efficacité, oubliant d’ailleurs qu’elle n’est pas forcément synonyme de fracas et de vitesse mais parfois de silences et de lenteur, oubliant que le message ou le sujet qu’il véhicule n’en a que plus de force en s’immisçant plutôt qu’en s’imposant bruyamment.

    Ce « balcon sur la mer » est à l’image de la lumière du sud dont il est baigné, d’abord éblouissante puis laissant entrevoir la mélancolie et la profondeur, plus ombrageuse, derrière cette luminosité éclatante, laissant entrevoir aussi ce qui était injustement resté dans l’ombre, d’une beauté a priori moins étincelante mais plus profonde et poignante.

    A l’image de la mémoire fragmentaire et sélective de Marc, le passé et la vérité apparaissent par petites touches, laissant sur le côté ce qui devient secondaire. Ainsi peut-on d’abord regretter le caractère elliptique du scénario, par exemple concernant la vie conjugale de Marc, mais cette ellipse se révèle avec le recul un judicieux élément dramatique puisque notre point de vue épouse alors celui de Marc. Sa femme est effacée comme son présent s’efface pour laisser place au passé qui ressurgit. Avec lui, on chemine vers ce balcon sur la mer, vers ce lieu de l’enfance perdue.

    Sans doute la présence de Jacques Fieschi, coscénariste (et notamment ancien scénariste de Claude Sautet) n’y est-elle pas étrangère, mais Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ». Des idées simples de mise en scène mais qui ont toutes une réelle signification comme ces souvenirs (re)vus à hauteur d’enfant, laissant les adultes et parfois la violence dans les limbes de la mémoire. Une manière délicate de dire l’indicible. De montrer simplement toute l’ambivalence humaine comme le personnage de Marie-Josée Croze qui multiplie ainsi les identités : celle qu’elle endosse en tant que prête-nom, celle qu’elle endosse pour Marc, jouant donc constamment un rôle dans la vie avant de le faire sur scène débarrassée de ses artifices. C’est paradoxalement en jouant qu’elle se trouvera elle-même. En cela, « Un balcon sur la mer » est aussi une véritable mise en abyme de l’imaginaire et donc du cinéma, un hommage à leur pouvoir salvateur.

    La plus grande réussite du film c’est néanmoins sans aucun doute les choix de Jean Dujardin et Marie-Josée Croze dans les rôles principaux. Le premier incarne Marc à la perfection, traduisant avec beaucoup de justesse et de nuances les doutes de cet homme qui retrouve son passé, son enfance et ainsi un ancrage dans le présent. Il rend son personnage touchant et bouleversant sans jamais forcer le trait et montre une nouvelle fois la large palette de son jeu. Face à lui, Marie-Josée Croze est plus mystérieuse et incandescente que jamais après le mésestimé « Je l’aimais » de Zabou Breitman. De leur couple se dégage beaucoup de charme, de mystère, mais aussi une forme d’innocence qui renvoie à l’enfance.

    En toile de fond, l’Algérie, sa violence et la nostalgie qu’elle suscite, et la ville d’Oran où a vécu Nicole Garcia enfant (et d’ailleurs également Jacques Fieschi). Une violente nostalgie qui est aussi celle de ces souvenirs d’enfance et de ces doux regrets qui ressurgissent brutalement et submergent, dans ce sens «Un balcon sur la mer » est un film à la fois très personnel et universel. Le balcon sur la mer : c’est cet endroit secret de nos mémoires qui donne sur les souvenirs d’enfance enfouis, dont la réminiscence est tantôt douloureusement heureuse ou joyeusement douloureuse mais jamais exempte d’émotion. Un subtil thriller sentimental au parfum doux, violent et enivrant des souvenirs d’enfance.

    Critique de MAL DE PIERRE de Nicole Garcia

     

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    Après avoir été en compétition du Festival de Cannes pour L’Adversaire en 2002 et pour  Selon Charlie en 2005, Nicole Garcia l'était à nouveau en 2016 avec ce film dans lequel Marion Cotillard tient le rôle principal, elle-même alors pour la cinquième année consécutive en compétition à Cannes. L’une et l’autre sont reparties sans prix de la Croisette même si ce beau film enfiévré d’absolu l’aurait mérité.  Mal de Pierres est une adaptation du roman éponyme de l’Italienne Milena Agus publié en 2006 chez Liana Lévi. Retour sur un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2016…

    Marion Cotillard incarne Gabrielle, une jeune femme qui a grandi dans la petite bourgeoisie agricole de Provence. Elle ne rêve que de passion. Elle livre son fol amour à un instituteur qui la rejette. On la croit folle, son appétit de vie et d’amour dérange, a fortiori à une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage. « Elle est dans ses nuages » dit ainsi d’elle sa mère.  Ses parents la "donnent" à José parce qu’il semble à sa mère qu’il est « quelqu’un de solide » bien qu’il ne « possède rien », un homme que Gabrielle n’aime pas, qu’elle ne connaît pas, un ouvrier saisonnier espagnol chargé de faire d’elle « une femme respectable ».  Ils vont vivre au bord de mer… Presque de force, sur les conseils d’un médecin, son mari la conduit en cure thermale à la montagne pour soigner ses calculs rénaux, son mal de pierres qui l’empêche d’avoir des enfants qu’elle ne veut d’ailleurs pas, contrairement à lui. D’abord désespérée dans ce sinistre environnement, elle reprend goût à la vie en rencontrant un lieutenant blessé lors de la guerre d’Indochine, André Sauvage (Louis Garrel). Cette fois, quoiqu’il advienne, Gabrielle ne renoncera pas à son rêve d’amour fou…

    Dès le début émane de ce film une sensualité brute. La nature entière semble brûler de cette incandescence qui saisit et aliène Gabrielle : le vent qui s’engouffre dans ses cheveux, les champs de lavande éblouissants de couleurs, le bruit des grillons, l’eau qui caresse le bas de son corps dénudé, les violons et l’accordéon qui accompagnent les danseurs virevoltants de vie sous un soleil éclatant. La caméra de Nicole Garcia caresse les corps et la nature, terriblement vivants, exhale leur beauté brute, et annonce que le volcan va bientôt entrer en éruption.

     Marion Cotillard incarne la passion aveugle et la fièvre de l’absolu qui ne sont pas sans rappeler celles d’Adèle H, mais aussi l’animalité et la fragilité, la brutalité et la poésie, la sensualité et une obstination presque enfantine. Elle est tout cela à la fois, plus encore, et ses grands yeux bleus âpres et lumineux nous hypnotisent et conduisent à notre tour dans sa folie créatrice et passionnée. Gabrielle incarne une métaphore du cinéma, ce cinéma qui « substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ». Pour Gabrielle, l’amour est d’ailleurs un art, un rêve qui se construit. Ce monde c’est André Sauvage (le bien nommé), l’incarnation pour Gabrielle du rêve, du désir, de l’ailleurs, de l’évasion. Elle ne voit plus, derrière sa beauté ténébreuse, son teint blafard, ses gestes douloureux, la mort en masque sur son visage, ses sourires harassés de souffrance. Elle ne voit qu’un mystère dans lequel elle projette ses fantasmes d’un amour fou et partagé. « Elle a parfaitement saisi la dimension à la fois animale et possédée de Gabrielle, de sa folie créatrice » a ainsi déclaré Nicole Garcia lors de la conférence de presse cannoise. « Je n’ai pas pensé à filmer les décors. Ce personnage est la géographie. Je suis toujours attirée par ce que je n’ai pas exploré » a-t-elle également ajouté.

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    Face à Gabrielle, les personnages masculins n’en sont pas moins bouleversants. Le mari incarné par Alex Brendemühl représente aussi une forme d’amour fou, au-delà du désamour, de l’indifférence, un homme, lui aussi, comme André Sauvage, blessé par la guerre, lui aussi secret et qui, finalement, porte en lui tout ce que Gabrielle recherche, mais qu’elle n’a pas décidé de rêver… « Ce personnage de femme m’a beaucoup touchée. Une ardeur farouche très sauvage et aussi une sorte de mystique de l’amour, une quête d’absolu qui m’a enchantée. J’aime beaucoup les hommes du film, je les trouve courageux et pudiques» a ainsi déclaré Marion Cotillard (qui, comme toujours, a d'ailleurs admirablement parlé de son personnage, prenant le temps de trouver les mots justes et précis) lors de la conférence de presse cannoise du film (ma photo ci-dessus).  Alex Brendemühl dans le rôle du mari et Brigitte Roüan (la mère mal aimante de Gabrielle) sont aussi parfaits dans des rôles tout en retenue.

    Au scénario, on retrouve le scénariste notamment de Claude Sautet, Jacques Fieschi, qui collabore pour la huitième fois avec Nicole Garcia et dont on reconnaît aussi l’écriture ciselée et l’habileté à déshabiller les âmes et à éclairer leurs tourments, et la construction scénaristique parfaite qui sait faire aller crescendo l’émotion sans non plus jamais la forcer. La réalisatrice et son coscénariste ont ainsi accompli un remarquable travail d’adaptation, notamment en plantant l’histoire dans la France des années 50 heurtée par les désirs comme elle préférait ignorer les stigmates laissés par les guerres. Au fond, ce sont trois personnages blessés, trois fauves fascinants et égarés.

    Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité comme dans le sublime « Un balcon sur la mer ». Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ».

    Rarement un film aura aussi bien saisi la force créatrice et ardente des sentiments, les affres de l’illusion amoureuse et de la quête d’absolu. Un film qui sublime les pouvoirs magiques et terribles de l’imaginaire qui portent et dévorent, comme un hommage au cinéma. Un grand film romantique et romanesque. Dans ce rôle incandescent, Marion Cotillard, une fois de plus, est époustouflante, et la caméra délicate et sensuelle de Nicole Garcia a su mieux que nulle autre transcender la beauté âpre de cette femme libre qu’elle incarne, intensément et follement  vibrante de vie.

    La Barcarolle de juin de Tchaïkovsky et ce plan à la John Ford qui, de la grange où se cache Gabrielle, dans l’ombre, ouvre sur l’horizon, la lumière, l’imaginaire, parmi tant d’autres images, nous accompagnent  bien longtemps après le film. Un plan qui ouvre sur un horizon d’espoirs à l’image de ces derniers mots où la pierre, alors, ne symbolise plus un mal mais un avenir rayonnant, accompagné d’un regard qui, enfin, se pose et se porte au bon endroit. Un très grand film d’amour(s). A voir absolument.


     
  • Exposition "Enfin le cinéma !" au Musée d'Orsay

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    Quel lieu plus propice à une exposition intitulée "Enfin le cinéma !" que le Musée d'Orsay, fenêtre ouverte sur Paris, décor fantasmagorique à l'aura tellement cinématographique qu'il fut d'ailleurs souvent le cadre de tournages ? Quel lieu plus propice à cette exposition que ce temple de l'art aux dédales romanesques dans lequel l'imaginaire vagabonde au gré des œuvres par lesquelles le regard est happé mais aussi dans les interstices à rêver toutes les histoires qui ont précédé la genèse de chacune d'elles et toutes celles qu'abritent ces allées au fil desquelles se croisent tant de destins ?

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    Cette passionnante exposition s'attache à ce "balcon" qu'est le cinéma depuis lequel "nous pouvons comprendre les lois d'accomodation optique, psychologique et sociale qui ont vu naître le spectateur des images en mouvement." Elle nous invite notamment à appréhender le lien entre le mythe de Pygmalion et le cinématographe, la manière dont la ville moderne a généré de nouvelles représentations et de nouveaux comportements de spectateurs ou encore l'impact de la photographie puis du cinématographe sur la représentation des corps. Ou encore comment le spectateur a vu LE mouvement avant de voir EN mouvement. Mais c'est surtout l'occasion de se laisser captiver et émouvoir par des œuvres fascinantes comme l'ensorcelant Le Campo Santo de Pise de Daguerre et Bouton (absolument fascinant !), La Place des Cordeliers de Lyon en 55 photogrammes de Louis Lumière, Le Pont de l'Europe de Gustave Caillebotte...

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    L’exposition rassemble ainsi près de 300 œuvres, objets et films de Pierre Bonnard à Auguste Rodin en passant par Gustave Caillebotte, Léon Gaumont, Jean Léon Gérôme, Alice Guy, Auguste et Louis Lumière, Jules Etienne Marey, Georges Méliès, Claude Monet, Berthe Morisot, Charles Pathé.
     
    Une exposition synchronique et thématique qui fait dialoguer la production cinématographique française des années 1895-1907 avec l’histoire des arts. Elle se conclut vers 1906-1907 quand le cinématographe devient le cinéma.

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    Si ce voyage ne vous procure pas assez d'émotions, vous pourrez toujours le terminer par une échappée belle sous "La nuit étoilée" de Van Gogh, déjà un film en soi... Mais vous l'aurez compris, je vous la recommande vivement !

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    Pour en savoir plus : https://www.musee-orsay.fr/ - Jusqu'au 16 janvier 2022
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