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IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) - Page 5

  • Rétrospective Nicole Garcia à La Cinémathèque Française (du 15 au 26 novembre 2021)

    Du 15 au 26 novembre, la Cinémathèque Française, vous pourrez découvrir la rétrospective consacrée à Nicole Garcia qui débute ce 15 novembre avec la projection de son dernier film "Amants" qui sort en salles ce 17 novembre.

    Le 17 novembre 2021, à La Cinémathèque, à 19h00, vous pourrez également (re)voir "15 août" et "Un beau dimanche" présentés par Pierre Rochefort et Nicole Garcia. Et le Jeudi 18 novembre 2021, à 19h00, vous pourrez assister à une séance de "Place Vendôme" présentée par Catherine Deneuve et Nicole Garcia.
     
    Cette rétrospective est pour moi l'occasion d'évoquer ici deux films de Nicole Garcia que j'affectionne tout particulièrement, "Un balcon sur la mer" et "Mal de pierres" dont je vous propose mes critiques ci-dessous. Vous pourrez revoir le premier le 19 novembre à 19h30  et le second le même jourà 22h. Pour en savoir plus sur cette rétrospective, rendez-vous sur le site de la Cinémathèque.
     
    Critique de UN BALCON SUR LA MER de Nicole Garcia

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    Quatre ans après « Selon Charlie » (alors injustement malmené par la critique, notamment lors de sa présentation en compétition du Festival de Cannes), Nicole Garcia revenait à la réalisation avec «Un balcon sur la mer » dans lequel Marc (Jean Dujardin), marié à un professeur (Sandrine Kiberlain), et père d’une petite fille, est agent immobilier dans le Sud de la France. Il mène une vie paisible et confortable jusqu’au jour où, lors d’une visite immobilière, il rencontre une femme mystérieuse (Marie-Josée Croze) représentant un acquéreur. Il pense reconnaître en cette femme énigmatique au charme envoûtant Cathy, l’amour de ses 12 ans, alors qu’il vivait en Algérie, à la fin de la guerre d’indépendance. Après une nuit d’amour, la jeune femme disparait et le doute s’empare de Marc sur la réelle identité de cette dernière. Va alors débuter pour lui une quête. Amoureuse et identitaire. En partant à se recherche, c’est avant tout son propre passé enfoui qu’il va (re)trouver.

    Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur l’enfance, ce qu’il en reste, et sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité. Tout en finesse. Avec une lenteur appréciable quand le cinéma vise de plus en plus l’efficacité, oubliant d’ailleurs qu’elle n’est pas forcément synonyme de fracas et de vitesse mais parfois de silences et de lenteur, oubliant que le message ou le sujet qu’il véhicule n’en a que plus de force en s’immisçant plutôt qu’en s’imposant bruyamment.

    Ce « balcon sur la mer » est à l’image de la lumière du sud dont il est baigné, d’abord éblouissante puis laissant entrevoir la mélancolie et la profondeur, plus ombrageuse, derrière cette luminosité éclatante, laissant entrevoir aussi ce qui était injustement resté dans l’ombre, d’une beauté a priori moins étincelante mais plus profonde et poignante.

    A l’image de la mémoire fragmentaire et sélective de Marc, le passé et la vérité apparaissent par petites touches, laissant sur le côté ce qui devient secondaire. Ainsi peut-on d’abord regretter le caractère elliptique du scénario, par exemple concernant la vie conjugale de Marc, mais cette ellipse se révèle avec le recul un judicieux élément dramatique puisque notre point de vue épouse alors celui de Marc. Sa femme est effacée comme son présent s’efface pour laisser place au passé qui ressurgit. Avec lui, on chemine vers ce balcon sur la mer, vers ce lieu de l’enfance perdue.

    Sans doute la présence de Jacques Fieschi, coscénariste (et notamment ancien scénariste de Claude Sautet) n’y est-elle pas étrangère, mais Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ». Des idées simples de mise en scène mais qui ont toutes une réelle signification comme ces souvenirs (re)vus à hauteur d’enfant, laissant les adultes et parfois la violence dans les limbes de la mémoire. Une manière délicate de dire l’indicible. De montrer simplement toute l’ambivalence humaine comme le personnage de Marie-Josée Croze qui multiplie ainsi les identités : celle qu’elle endosse en tant que prête-nom, celle qu’elle endosse pour Marc, jouant donc constamment un rôle dans la vie avant de le faire sur scène débarrassée de ses artifices. C’est paradoxalement en jouant qu’elle se trouvera elle-même. En cela, « Un balcon sur la mer » est aussi une véritable mise en abyme de l’imaginaire et donc du cinéma, un hommage à leur pouvoir salvateur.

    La plus grande réussite du film c’est néanmoins sans aucun doute les choix de Jean Dujardin et Marie-Josée Croze dans les rôles principaux. Le premier incarne Marc à la perfection, traduisant avec beaucoup de justesse et de nuances les doutes de cet homme qui retrouve son passé, son enfance et ainsi un ancrage dans le présent. Il rend son personnage touchant et bouleversant sans jamais forcer le trait et montre une nouvelle fois la large palette de son jeu. Face à lui, Marie-Josée Croze est plus mystérieuse et incandescente que jamais après le mésestimé « Je l’aimais » de Zabou Breitman. De leur couple se dégage beaucoup de charme, de mystère, mais aussi une forme d’innocence qui renvoie à l’enfance.

    En toile de fond, l’Algérie, sa violence et la nostalgie qu’elle suscite, et la ville d’Oran où a vécu Nicole Garcia enfant (et d’ailleurs également Jacques Fieschi). Une violente nostalgie qui est aussi celle de ces souvenirs d’enfance et de ces doux regrets qui ressurgissent brutalement et submergent, dans ce sens «Un balcon sur la mer » est un film à la fois très personnel et universel. Le balcon sur la mer : c’est cet endroit secret de nos mémoires qui donne sur les souvenirs d’enfance enfouis, dont la réminiscence est tantôt douloureusement heureuse ou joyeusement douloureuse mais jamais exempte d’émotion. Un subtil thriller sentimental au parfum doux, violent et enivrant des souvenirs d’enfance.

    Critique de MAL DE PIERRE de Nicole Garcia

     

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    Après avoir été en compétition du Festival de Cannes pour L’Adversaire en 2002 et pour  Selon Charlie en 2005, Nicole Garcia l'était à nouveau en 2016 avec ce film dans lequel Marion Cotillard tient le rôle principal, elle-même alors pour la cinquième année consécutive en compétition à Cannes. L’une et l’autre sont reparties sans prix de la Croisette même si ce beau film enfiévré d’absolu l’aurait mérité.  Mal de Pierres est une adaptation du roman éponyme de l’Italienne Milena Agus publié en 2006 chez Liana Lévi. Retour sur un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2016…

    Marion Cotillard incarne Gabrielle, une jeune femme qui a grandi dans la petite bourgeoisie agricole de Provence. Elle ne rêve que de passion. Elle livre son fol amour à un instituteur qui la rejette. On la croit folle, son appétit de vie et d’amour dérange, a fortiori à une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage. « Elle est dans ses nuages » dit ainsi d’elle sa mère.  Ses parents la "donnent" à José parce qu’il semble à sa mère qu’il est « quelqu’un de solide » bien qu’il ne « possède rien », un homme que Gabrielle n’aime pas, qu’elle ne connaît pas, un ouvrier saisonnier espagnol chargé de faire d’elle « une femme respectable ».  Ils vont vivre au bord de mer… Presque de force, sur les conseils d’un médecin, son mari la conduit en cure thermale à la montagne pour soigner ses calculs rénaux, son mal de pierres qui l’empêche d’avoir des enfants qu’elle ne veut d’ailleurs pas, contrairement à lui. D’abord désespérée dans ce sinistre environnement, elle reprend goût à la vie en rencontrant un lieutenant blessé lors de la guerre d’Indochine, André Sauvage (Louis Garrel). Cette fois, quoiqu’il advienne, Gabrielle ne renoncera pas à son rêve d’amour fou…

    Dès le début émane de ce film une sensualité brute. La nature entière semble brûler de cette incandescence qui saisit et aliène Gabrielle : le vent qui s’engouffre dans ses cheveux, les champs de lavande éblouissants de couleurs, le bruit des grillons, l’eau qui caresse le bas de son corps dénudé, les violons et l’accordéon qui accompagnent les danseurs virevoltants de vie sous un soleil éclatant. La caméra de Nicole Garcia caresse les corps et la nature, terriblement vivants, exhale leur beauté brute, et annonce que le volcan va bientôt entrer en éruption.

     Marion Cotillard incarne la passion aveugle et la fièvre de l’absolu qui ne sont pas sans rappeler celles d’Adèle H, mais aussi l’animalité et la fragilité, la brutalité et la poésie, la sensualité et une obstination presque enfantine. Elle est tout cela à la fois, plus encore, et ses grands yeux bleus âpres et lumineux nous hypnotisent et conduisent à notre tour dans sa folie créatrice et passionnée. Gabrielle incarne une métaphore du cinéma, ce cinéma qui « substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ». Pour Gabrielle, l’amour est d’ailleurs un art, un rêve qui se construit. Ce monde c’est André Sauvage (le bien nommé), l’incarnation pour Gabrielle du rêve, du désir, de l’ailleurs, de l’évasion. Elle ne voit plus, derrière sa beauté ténébreuse, son teint blafard, ses gestes douloureux, la mort en masque sur son visage, ses sourires harassés de souffrance. Elle ne voit qu’un mystère dans lequel elle projette ses fantasmes d’un amour fou et partagé. « Elle a parfaitement saisi la dimension à la fois animale et possédée de Gabrielle, de sa folie créatrice » a ainsi déclaré Nicole Garcia lors de la conférence de presse cannoise. « Je n’ai pas pensé à filmer les décors. Ce personnage est la géographie. Je suis toujours attirée par ce que je n’ai pas exploré » a-t-elle également ajouté.

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    Face à Gabrielle, les personnages masculins n’en sont pas moins bouleversants. Le mari incarné par Alex Brendemühl représente aussi une forme d’amour fou, au-delà du désamour, de l’indifférence, un homme, lui aussi, comme André Sauvage, blessé par la guerre, lui aussi secret et qui, finalement, porte en lui tout ce que Gabrielle recherche, mais qu’elle n’a pas décidé de rêver… « Ce personnage de femme m’a beaucoup touchée. Une ardeur farouche très sauvage et aussi une sorte de mystique de l’amour, une quête d’absolu qui m’a enchantée. J’aime beaucoup les hommes du film, je les trouve courageux et pudiques» a ainsi déclaré Marion Cotillard (qui, comme toujours, a d'ailleurs admirablement parlé de son personnage, prenant le temps de trouver les mots justes et précis) lors de la conférence de presse cannoise du film (ma photo ci-dessus).  Alex Brendemühl dans le rôle du mari et Brigitte Roüan (la mère mal aimante de Gabrielle) sont aussi parfaits dans des rôles tout en retenue.

    Au scénario, on retrouve le scénariste notamment de Claude Sautet, Jacques Fieschi, qui collabore pour la huitième fois avec Nicole Garcia et dont on reconnaît aussi l’écriture ciselée et l’habileté à déshabiller les âmes et à éclairer leurs tourments, et la construction scénaristique parfaite qui sait faire aller crescendo l’émotion sans non plus jamais la forcer. La réalisatrice et son coscénariste ont ainsi accompli un remarquable travail d’adaptation, notamment en plantant l’histoire dans la France des années 50 heurtée par les désirs comme elle préférait ignorer les stigmates laissés par les guerres. Au fond, ce sont trois personnages blessés, trois fauves fascinants et égarés.

    Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité comme dans le sublime « Un balcon sur la mer ». Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ».

    Rarement un film aura aussi bien saisi la force créatrice et ardente des sentiments, les affres de l’illusion amoureuse et de la quête d’absolu. Un film qui sublime les pouvoirs magiques et terribles de l’imaginaire qui portent et dévorent, comme un hommage au cinéma. Un grand film romantique et romanesque. Dans ce rôle incandescent, Marion Cotillard, une fois de plus, est époustouflante, et la caméra délicate et sensuelle de Nicole Garcia a su mieux que nulle autre transcender la beauté âpre de cette femme libre qu’elle incarne, intensément et follement  vibrante de vie.

    La Barcarolle de juin de Tchaïkovsky et ce plan à la John Ford qui, de la grange où se cache Gabrielle, dans l’ombre, ouvre sur l’horizon, la lumière, l’imaginaire, parmi tant d’autres images, nous accompagnent  bien longtemps après le film. Un plan qui ouvre sur un horizon d’espoirs à l’image de ces derniers mots où la pierre, alors, ne symbolise plus un mal mais un avenir rayonnant, accompagné d’un regard qui, enfin, se pose et se porte au bon endroit. Un très grand film d’amour(s). A voir absolument.


     
  • Exposition "Enfin le cinéma !" au Musée d'Orsay

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    Quel lieu plus propice à une exposition intitulée "Enfin le cinéma !" que le Musée d'Orsay, fenêtre ouverte sur Paris, décor fantasmagorique à l'aura tellement cinématographique qu'il fut d'ailleurs souvent le cadre de tournages ? Quel lieu plus propice à cette exposition que ce temple de l'art aux dédales romanesques dans lequel l'imaginaire vagabonde au gré des œuvres par lesquelles le regard est happé mais aussi dans les interstices à rêver toutes les histoires qui ont précédé la genèse de chacune d'elles et toutes celles qu'abritent ces allées au fil desquelles se croisent tant de destins ?

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    Cette passionnante exposition s'attache à ce "balcon" qu'est le cinéma depuis lequel "nous pouvons comprendre les lois d'accomodation optique, psychologique et sociale qui ont vu naître le spectateur des images en mouvement." Elle nous invite notamment à appréhender le lien entre le mythe de Pygmalion et le cinématographe, la manière dont la ville moderne a généré de nouvelles représentations et de nouveaux comportements de spectateurs ou encore l'impact de la photographie puis du cinématographe sur la représentation des corps. Ou encore comment le spectateur a vu LE mouvement avant de voir EN mouvement. Mais c'est surtout l'occasion de se laisser captiver et émouvoir par des œuvres fascinantes comme l'ensorcelant Le Campo Santo de Pise de Daguerre et Bouton (absolument fascinant !), La Place des Cordeliers de Lyon en 55 photogrammes de Louis Lumière, Le Pont de l'Europe de Gustave Caillebotte...

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    L’exposition rassemble ainsi près de 300 œuvres, objets et films de Pierre Bonnard à Auguste Rodin en passant par Gustave Caillebotte, Léon Gaumont, Jean Léon Gérôme, Alice Guy, Auguste et Louis Lumière, Jules Etienne Marey, Georges Méliès, Claude Monet, Berthe Morisot, Charles Pathé.
     
    Une exposition synchronique et thématique qui fait dialoguer la production cinématographique française des années 1895-1907 avec l’histoire des arts. Elle se conclut vers 1906-1907 quand le cinématographe devient le cinéma.

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    Si ce voyage ne vous procure pas assez d'émotions, vous pourrez toujours le terminer par une échappée belle sous "La nuit étoilée" de Van Gogh, déjà un film en soi... Mais vous l'aurez compris, je vous la recommande vivement !

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    Pour en savoir plus : https://www.musee-orsay.fr/ - Jusqu'au 16 janvier 2022
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  • Reims Polar 2021 - 38ème Festival du Film Policier (Découvrez "Boîte noire" de Yann Gozlan)

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    Sur instagram (@sandra_meziere), je vous parlais récemment du Festival du Film Policier de Cognac devenu en 2009 le Festival du Film Policier de Beaune. En 2022, le festival quittera Beaune pour Reims. L’édition 2021 du Festival du Film Policier a lieu en ligne sur festivalfilmpolicier.com, rebaptisé Reims Polar. L’occasion de découvrir (jusqu’à ce soir minuit) des films inédits, de la section sang neuf, hors compétition ou encore en compétition parmi lesquels « Boîte noire » de Yann Gozlan.

    « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du Samouraï si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle… Peut-être… ». Cette citation figure au début du film qui représente la quintessence du polar : « Le Samouraï » de Melville. La solitude portée à son paroxysme. Un style épuré. Une beauté froide, glaçante même. Des caractéristiques que l’on retrouve dans « Boîte noire ».

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     Technicien au BEA, autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile, Mathieu Vasseur (@pierreniney) est propulsé enquêteur en chef sur une catastrophe aérienne sans précédent. Après un premier plan séquence vertigineux à l’intérieur de l’avion, ensuite pendant (presque) tout le film le point de vue est celui de Matthieu. Hermétique, méticuleux, même maniaque, n’esquissant jamais l’ombre d’un sourire, s’exprimant d’une voix atone. Peu à peu se dessine le portrait d’un personnage en apparence aux antipodes d’un autre Mathieu, celui que l’acteur incarnait dans « Un homme idéal » sa précédente collaboration avec Yann Gozlan, l’un paraissant aussi sombre que l’autre semblait solaire. Comme dans « Un homme idéal » néanmoins, se dessine peu à peu le portrait d’un homme face à ses contradictions, ses failles, ses rêves brisés (les siens ou ceux que son père avait forgés pour lui) qui veut tout contrôler et qui semble perdre progressivement le contact avec la réalité. Dans les deux films, la réalisation de Yann Gozlan enserre le protagoniste pour souligner son enfermement mental. Déjà dans « Un homme idéal » les brillantes références étaient savamment distillées : « Plein soleil », « Match point », « La Piscine », « Tess », Hitchcock pour l’atmosphère, Chabrol pour l’auscultation impitoyable de la bourgeoisie… La mise en scène était déjà précise, signifiante et le scénario, terriblement efficace, allait à l’essentiel, ne nous laissant pas le temps de réfléchir, le spectateur ayant alors la sensation d’être claquemuré dans le même étau inextricable que Mathieu, aux frontières de la folie.  C’est ici à nouveau le cas avec un scénario signé Yann Gozlan, Simon Moutaïrou, Nicolas Bouvet.

    Un film sobre, intense, haletant, dans lequel le son et la musique de Philippe Rombi jouent un rôle à part entière. Un film qui s’inspire autant des héros melvilliens, des films noirs avec leur fatalité inexorable, que de Sydney Pollack et des thrillers des années 70. Dans le rôle de l’épouse glaciale (en écho à l’archétype de la femme fatale du film noir) toujours époustouflante et si différente à chaque rôle, Lou de Laâge, dont la carapace se fissure peu à peu, la froideur laissant finalement place à l’émotion qui la saisit, enfin, et nous saisit à l’issue de cette quête effrénée de vérité, où la machine comme l’homme laissent apparaître leurs failles. Il vous reste quelques heures pour découvrir ce film palpitant, brillamment interprété, mis en scène et en « sons ». Sinon, il vous faudra attendre sa sortie en salles le 15 septembre 2021 pour vivre à votre tour cette expérience sensorielle à laquelle le grand écran procurera sans doute toute son ampleur.

     
  • Exposition Kiarostami au Centre Pompidou du 19 Mai au 26 juillet 2021

     

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    Du 19 mai au 26 juillet, le Centre Pompidou présente les 46 films réalisés par Abbas Kiarostami.  À cette occasion, retour sur "24 frames", des courts-métrages réunis par le producteur Charles Gillibert, un film posthume qui sera diffusé le 27 juin dans le cadre de l'exposition, un film éblouissant que j'avais découvert dans le cadre du Festival de Cannes 2017.

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    Que dire sans dénaturer ou banaliser la beauté de chacun des plans, de chacun de ces 24 cadres, pour refléter le sentiment d’émerveillement et de quiétude que chacun d’eux inspirent  ?

    Le film est ainsi divisé en 24 parties. 24 cadres. 24 plans. 24 moments de grâce et de poésie. Cinq minutes chacun. Séparés par un fondu au noir. Ouverts par le chiffre qui indique leur numéro. Parfois leurs lignes et leurs motifs se répondent. Souvent le tableau semble inerte et puis la vie s’immisce et avec elle la force et la majesté du cinéma.

    « J’ai décidé d’utiliser les photos que j’ai prises ces dernières années, j’y ai ajouté ce que j’ai imaginé avoir eu lieu avant ou après chacun des moments capturés » avait déclaré Kiarostami.

    Le cinéma, fenêtre ouverte sur le monde. Mais aussi sur l’imaginaire. Vibrant hommage au septième art. À la peinture aussi, incitant ainsi notre imagination à vagabonder, à s’évader de l’autre côté de la fenêtre, à construire l’avant et l’après du tableau. Toujours cette confiance de Kiarostami dans le spectateur, acteur responsable de ce qu’il regarde. Comme aussi dans « Copie conforme », un autre de mes plus beaux souvenirs de cinéma du Festival de Cannes, film brillantissime sur la réflexivité de l’art, film de questionnements plus que de réponses,  réflexion passionnante sur l’art et l’amour et un dernier plan délicieusement énigmatique et polysémique qui signe le début ou le renouveau ou la fin d'une histoire plurielle.

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    Dans "24 frames", la photographie, la peinture, la poésie, tout s’entremêle comme un adieu à tout ce qui a constitué l'œuvre de Kiarostami.


    Le premier segment est ainsi un tableau de Brueghel l’Ancien intitulé « Chasseurs dans la neige ». Un village en hiver. En apparence, rien ne bouge. Et soudain la fumée, un oiseau, un chien, la neige et tout s’anime… Nous retrouverons d’ailleurs ensuite souvent ces motifs : les animaux, les changements climatiques (orage, neige surtout…). Des plans souvent à travers une fenêtre. Fenêtre ouverte sur le monde, encore…

     Chacun de ces « frames » est mémorable. De ces deux chevaux dansant langoureusement sous la neige sur fond de musique italienne, à surtout, ce dernier cadre. Une fenêtre à nouveau s’ouvrant sur des arbres qui se plient. Devant un bureau avec un écran avec, au ralenti, un baiser hollywoodien. Et, devant l’écran, une personne endormie. La magie de l’instant lui est invisible. Comme un secret partagé,  pour nous seuls, spectateurs, éblouis, de cet ultime plan du film et de la carrière de cet immense cinéaste. Comme une dernière déclaration d’amour au cinéma. A la fin des 5 minutes de ce baiser au ralenti sur l’écran de l’ordinateur s’écrivent ces deux mots, “The End”, sur une musique qui célèbre l’amour éternel. Une délicate révérence. Deux mots plus que jamais chargés de sens. Un film et une carrière qui s’achèvent sur l’éternité du cinéma et de l’amour. Un pied de nez à la mort. Son dernier geste poétique, tout en élégance. Et le plus beau plan de ce Festival de Cannes 2017.




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  • César 2021 : les films incontournables à voir avant l'annonce des nominations le 10 février

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    En amont de l’annonce des nominations pour les César2021 qui aura lieu ce 10 février tandis que la cérémonie se tiendra le 12 mars, voici (dans un ordre aléatoire) mes 13 films coups de cœur de 2020. Si vous êtes membre votant de l’Académie des César, il est encore temps de les découvrir. Parmi ces films qui témoignent de la vitalité et de la diversité du cinéma français, beaucoup de premiers longs métrages. On y retrouve des thèmes récurrents (deuil, quête d’identité, amours contrariées). Des films souvent bouleversants, beaucoup de drames intimes aux frontières du thriller, portés par des comédiens remarquables et des mises en scène inventives. Tous méritent d’être nommés dans plusieurs catégories.

    Quelques mots en bref sur chacun d’entre eux et les nominations qu’ils méritent :

    MADRE de Rodrigo Sorogoyen

    Le téléphone sonne. Le fils d’Elena, 6 ans, paniqué, perdu, seul, sur une plage des Landes, appelle sa mère, à des kilomètres de là et dit ne plus trouver son père.  C’est par ce plan séquence brillantissime, haletant, qui nous met dans la peau d’Helena, saisie par cette angoisse absolue, que débute ce film captivant, suffocant, déroutant, comme il le sera jusqu’à la dernière seconde. Constamment, il brouille les pistes, les genres même, comme le deuil lui-même abolit toute notion de réalité, aux frontières de la morale et de la folie : savant écho entre le fond et la forme dans ce thriller sur la confusion des sentiments autant que sur l’absence inacceptable. Ajoutez à cela un sens rare du cadre et hors-champ, une interprétation magistrale (de Marta Nieto et Jules Porier) et vous obtiendrez un film palpitant. Et rare.

    ETE 85 de François Ozon

    (Extrait de ma critique complète à lire, ici, sur Inthemoodforcinema.com.) Les premières minutes des films d’Ozon, brillants exercices d’exposition mais aussi de manipulation, sont des éléments incontournables de ses scénarii ciselés, délicieusement retors et labyrinthiques, et sont toujours annonciatrices des thématiques que chacun de ses films explore : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant.  Avec toujours ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traitre), riche de mises en abyme. Dès les premières secondes, il happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera bien souvent à le déconstruire. « Été 85 » ne déroge pas à la règle. […] Un film fougueux, électrique, malicieusement dichotomique, sombre et lumineux, cruel et doux, tragique et ironique, qui enfièvre la réalité, enragé de fureur de vivre et d’aimer, pour raconter la mort. Ou la défier peut-être... Et une fois de plus, une passionnante réflexion sur le pouvoir des illusions, artistiques ou amoureuses, qui, au dénouement de ce film intense, portent et emportent vers un avenir radieux empreint de la beauté mélancolique d’un vers de Verlaine. Ou d’une danse funèbre, terriblement sublime, à jamais gravée dans nos mémoires de spectateurs. Sélection Cannes 2020. Film lauréat des Prix Lumières de la meilleure image pour Hichame Alaouié et de la révélation masculine pour Félix Lefebvre et Benjamin voisin.

    SOL de Jézabel Marques

    Sol (Chantal Lauby), célèbre interprète de Tango argentin, vit à Buenos-Aires depuis longtemps. Elle ne s’est jamais réellement remise de la perte de son fils unique avec qui elle avait rompu tout lien. Elle revient à Paris dans l’espoir de rencontrer enfin son petit-fils. Elle loue le studio situé sur le palier où vivent sa belle-fille (Camille Chamoux) qu’elle ne connaît pas et ce dernier…Ce premier long métrage possède une grâce ineffable, celle d’une histoire poignante racontée avec une touchante modestie qui fait affleurer l’émotion de la première à la dernière seconde. Un film à l’image de la musique qui le porte et lui donne la note : un tango argentin chaleureux et mélancolique, réconfortant et nostalgique, qui étreint l’âme et entremêle force, délicatesse et sensualité. Un film embrasé de douceur et de lumière malgré l’ombre de l’absence qui, constamment, plane. Un film qui exhale l’innocence inestimable de l’enfance et la force des liens du cœur. Des dialogues savoureux, caustiques et tendres (scénario de Jézabel Marques, Faïza Guène et Vincent Cappello). Chantal Lauby est remarquable en grand-mère fantasque d’une justesse et vitalité communicative qui se fait « adopter » par son petit-fils et sa belle-fille (Camille Chamoux, très sobre, qui traine sa tristesse abyssale). Des solitudes qui s’apprivoisent et dont la rencontre va panser les plaies béantes et culpabilités et qui vont se redonner le goût de vivre et d’aimer comme ce tango envoûtant (musique signée Laurent Perez del Mar) y enjoint. Un petit bijou de simplicité et de sensibilité, d’une tendre drôlerie, à fleur d’âme et de peau.

    LA NUIT VENUE de Frédéric Farrucci

    (Extrait de ma critique complète à lire ici) Les films auxquels nous fait songer cette « nuit venue » ne manquent pas : « Taxi Driver », « Drive », « Collatéral », « Le Samouraï », « In the mood for love » mais ce premier long métrage de fiction de Frédéric Farrucci, notamment grâce au scénario coécrit avec Nicolas Journet et Benjamin Charbit, avec son identité singulière, son propre rythme poétique qui vous emporte dans sa danse tragique ne ressemble finalement à aucun autre. « La nuit venue » a obtenu les prix de la mise en scène et de la meilleure musique originale (signée Rone) au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz 2019, c’était déjà une bonne raison de le découvrir. Je vous y engage fortement.  […] Peut-être peut-on trouver un dernier point commun avec « Le Samouraï », des plans de début et de fin qui se répondent. Ici, ce sont deux visages en miroir. Là, en revanche, contrairement à ce qui se joue dans le film de Melville, l’espoir est, malgré tout, permis, celui que porte la musique qui électrise et immortalise les émotions dont ce film foisonne à l'image de celle qui, parfois, nous saisit une fois la nuit venue : d'une mélancolie troublante.

    DEUX de FILIPPO MENEGHETTI

    Aux yeux des autres seulement voisines de palier, Nina et Madeleine sont en réalité profondément amoureuses l’une de l’autre. Elles projettent de vendre leurs appartements respectifs et de terminer leur vie à Rome. Mais Madeleine n’a rien dit de cette relation à ses enfants. Jusqu’au jour où elle subit un AVC ... En un instant, pour Nina tout s’effondre. Le palier qui sépare leurs deux appartements devient alors comme une frontière infranchissable. Le symbole de l’enfermement. De l’amour cadenassé, condamné au silence. Prenant et claustrophobique comme un thriller (on songe au brillant « Jusqu’à la garde » où là aussi la quotidienneté se transforme en horreur) et bouleversant comme la sublime histoire d’amour qu’il est aussi, ce film mérite amplement sa sélection comme représentant de la France aux #Oscars2021. Barbara Sukowa et Martine Chevallier sont lumineuses, intenses, infiniment émouvantes dans ces rôles de femmes qui s’aiment envers et contre tout et tous. Là aussi l’émotion affleure du début à la fin. Un premier long métrage incroyablement maitrisé, avec une utilisation judicieuse du cadre, du hors-champ, de l’arrière-plan dès la première seconde. Aussi, un tableau sans concessions et juste de l’infantilisation de ceux qu’on « abrutit de médicaments pour qu'ils vous obéissent ». Ce mélodrame subtil est avant tout une histoire d’amour aux frontières du thriller qui s’achève par une danse d’une beauté renversante. « Deux » vient de recevoir les Prix Lumières du meilleur film et de la meilleure interprétation féminine pour ses deux actrices, en effet exceptionnelles.

    LES CHOSES QU’ON DIT, LES CHOSES QU’ON FAIT d’Emmanuel Mouret

    Un chassé-croisé amoureux délicieusement drôle, infiniment romanesque, sur les rendez-vous manqués et la complexité et la beauté des vertiges de l’amour. Le scénario particulièrement inventif entrelace les histoires avec brio, servi par des dialogues ciselés joués par quatre comédiens d’une justesse admirable : Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne et Emilie Dequenne qui irradient de talent. Un film plein de fantaisie qui n’est pas sans rappeler Rohmer ou Woody Allen, l’élégance de la mise en scène comprise. Un film maitrisé (quel sens de la construction du récit !) sur l’inconstance, sur nos conflits intérieurs, des variations auxquelles font écho les musiques de Chopin, Debussy, Vivaldi, Mozart qui accompagnent cette promenade au charme renversant. Une histoire non pas d’amour mais de sentiments qui se déguste sans modération… qui nous dit que « l'amour c'est quelque chose de grave et c'est justement parce que c'est grave que c'est important et que c'est beau », « Pour qu'il y ait une faute il fa utqu'il y ait une règle bien claire mais en amour quelle est la règle ? »,  «Le véritable amour ne s'intéresse qu'au bonheur de l'autre. Il ne se soucie pas de posséder. », « C'est fou comme quelques mots alignés les uns derrière les autres peuvent changer quelque chose en nous. » Sélection Cannes 2020.  

    UN FILS de Mehdi M.Barsaoui

    Farès et Meriem forment avec Aziz, leur fils de 9 ans, une famille tunisienne moderne issue d’un milieu privilégié. Lors d’une virée dans le sud de la Tunisie, leur voiture est prise pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé. Le film se déroule en 2011, année d’un tournant politique et social en Tunisie.  Le tsunami provoqué par l’accident sur la famille est aussi celui, politique, qu’a vécu le pays avec la chute de Ben Ali dans une Tunisie où règnent la corruption, les lois iniques, et rigoristes. Cette course contre le temps est haletante et comme dans les premières minutes de « Madre » l’identification est immédiate face à cette douleur absolue : la mise en danger d’un enfant face à laquelle les parents se sentent impuissants. Comme dans « Madre » toujours, le drame indicible fait frôler voire franchir les frontières de la morale et de la folie. Encore un premier long métrage, pour lequel Sami Bouajila a remporté le prix du meilleur acteur à Venise mais aussi aux @prixlumieres (Najla Ben Abdallah aurait aussi mérité d’être récompensée). Un drame intime aux frontières du thriller, là encore. Mais aussi un film politique et une radiographie de la société tunisienne de 2011. Le chaos politique fait ainsi écho au chaos intime, un piège inextricable, et l’exacerbe encore. Un suspense encore accru par la nervosité de la caméra à l’épaule au plus près de la solitude et de l’enfermement des personnages. Un suspense qui s’achève par un dernier plan qui suspend notre souffle au pardon possible.

    POLICE d’Anne Fontaine

    Police est l'adaptation du roman éponyme d’Hugo Boris. On y suit trois policiers parisiens : Virginie, Erik et Aristide, obligés d’accepter une mission inhabituelle : reconduire un étranger à la frontière. Sur le chemin de l’aéroport, Virginie comprend que leur prisonnier risque la mort s’il rentre dans son pays. Face à cet insoutenable cas de conscience, elle cherche à convaincre ses collègues de le laisser s’échapper. Anne Fontaine nous plonge dans l’intimité de ces trois policiers, leurs doutes, leurs fragilités, leurs blessures dissimulés derrière le masque de la fonction. Parfois la même scène est montrée sous trois points de vue différents, mettant ainsi en exergue la polysémie de la vie et de l’âme. L’éblouissante photo d’Yves Angelo nous donne l’impression que la caméra les caresse avec empathie, enfermés dans leurs cas de conscience. Là encore (décidément !), un drame intime aux frontières du thriller interprété par trois comédiens talentueux, Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois. Comme la caméra sur eux, l’étau se resserre, et le portrait de groupe devient un huis-clos oppressant. Passionnant !

    K CONTRAIRE de Sarah Marx

    Quand Ulysse, 25 ans sort de prison, il doit gérer sa réinsertion et la prise en charge de sa mère malade. Sans aide sociale, il lui faut gagner de l’argent et vite. Avec son ami David, ils mettent en place un plan : vendre de la Kétamine. Une drogue.  La même que celle avec laquelle on veut aussi soigner sa mère. D’où le K « contraire ». D’où le paradoxe. Comme celui du fils qui devient finalement le « parent » de sa propre mère. Comme cette vie « en liberté » qui devient finalement synonyme d’enfermement. Là encore un premier long métrage qui vaut d’abord pour sa mise en scène nerveuse et l’éclosion d’un acteur impressionnant (Sandor Funtek) face à une Sandrine Bonnaire qui l’est toujours autant.

    LA DERNIERE VIE DE SIMON de Léo Karmann

    Simon a 8 ans, il est orphelin et rêve de trouver une famille prête à l’accueillir. Mais Simon n’est pas un enfant comme les autres, il a un pouvoir secret : il est capable de prendre l’apparence de chaque personne qu’il a déjà touchée. Ce premier long métrage que j’ai découvert au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2019 est un hommage à Spielberg, Zemeckis, Cameron, à ces films à double lecture souvent, qui font briller autant les yeux des enfants que des adultes. Malgré ses brillantes références, il possède sa propre singularité. Celle d’un drame enchanteur. Un conte sombre, hybride, dans une Bretagne ensorcelante. Un conte merveilleux et cruel sur un amour sacrificiel qui évoque donc des sujets graves (deuil, maladie, quête d’identité, métaphore des mutations de l’adolescence) par le biais du fantastique. Un film à la hauteur de ses ambitions, avec un scénario d’une indéniable originalité, d’une réconfortante naïveté, et pourtant dénué de toute mièvrerie.

    LES PARFUMS de Grégory Magne

    Anne Walberg (Emmanuelle Devos) est « nez » : elle crée des fragrances et vend son incroyable talent à toutes sortes de sociétés. Véritable diva, elle a pour nouveau chauffeur le seul qui n’a pas peur de lui tenir tête, sans doute la raison pour laquelle elle ne le renvoie pas. Ce film rempli de charme vaut avant tout pour son personnage féminin attachant, subtilement (d)écrit, dénué de manichéisme, et pour le formidable duo qu’elle forme avec le tout aussi juste Grégory Montel. Les personnages secondaires sont aussi particulièrement bien écrits. Une comédie délicieuse et séduisante.

    ADOLESCENTES de Sébastien Lifshitz

    Emma et Anaïs sont inséparables et, pourtant, tout les oppose. Adolescentes suit leur parcours depuis leurs 13 ans jusqu’à leur majorité. A travers cette chronique de la jeunesse, le film dresse aussi le portrait de la France de ces 5 dernières années. Quel talent, quelle patience, quelle acuité, quelle sensibilité faut-il pour atteindre un tel niveau d’intimité (sans que cela ne soit jamais impudique), une telle force dans chaque seconde de ce documentaire qui ressemble à une fiction tant la vie « a plus d’imagination que nous ». Ajoutez à cela une réalisation inspirée, la malice, la vitalité de ces deux adolescentes et vous obtiendrez un film fort et délicat où l’émotion est constamment présente. Un tableau saisissant de notre époque ( de ses drames aussi dont on revit toute l’horreur) mais aussi des réminiscences de ce âge, instant suspendu, fragile, fiévreux, où tout se décide, âge de tous les possibles, de tous les émois.  A la fois intime et universel, drôle, vif, émouvant, mélancolique, cruel parfois, ce documentaire est porté par une magie imprévisible, celle de la vie qui éclate sous nos yeux. Fascinant. Prix Louis-Delluc 2021.

    LA FILLE AU BRACELET de Stéphane Demoustier

    Lise (Melissa Guers), 18 ans, vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d'avoir son bac. Depuis deux ans, Lise porte un bracelet car elle est accusée d'avoir assassiné sa meilleure amie. Cet examen quasi clinique d’un procès est avant tout celui des adolescents d’aujourd’hui dont le procès permet finalement de livrer le portrait, comme des boîtes de gigogne qui délivreraient sans cesse de nouveaux secrets et feraient peu à peu tomber le masque d’impassibilité, sans pour autant lever complètement le mystère de celle qui est une inconnue pour ses proches. Un thriller intime sur une personnalité insaisissable, déstabilisante. Un scénario brillant (de Stéphane Demoustier) et des seconds rôles là aussi ciselés (Anaïs Demoustier en avocate générale, Chiara Mastroianni et Roschdy Zem en parents dépassés). Une démonstration implacable et glaçante.

    Retrouvez la plupart de ces films sur Universcine.com.

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  • Lecture (incontournable) - « L’échelle des Jacob » de Gilles Jacob (Grasset)

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    Selon Oscar Wilde, «L’émotion nous égare : c’est son principal mérite.» Alors, sans doute faudra-t-il me pardonner les égarements et digressions de cet article dicté uniquement par l’émotion suscitée par ce livre, le dernier de Gilles Jacob intitulé « L’échelle des Jacob » (Grasset), en librairie aujourd'hui. 

    En 2014, lorsque Gilles Jacob quitta la présidence du Festival de Cannes (tout en restant à la tête de la Cinéfondation qu'il a créée), s'afficha sobrement derrière lui sur la scène du festival un discret "Au revoir les enfants", une révérence tout en malice et pudeur. Mais aussi une référence à un moment crucial de son histoire, de l'Histoire. 70 ans après, comme un signe aux méandres du destin. Ce moment terrible  où tout aurait pu basculer. Où s'il n'était pas resté immobile et silencieux dans l'ombre, jamais il ne serait retrouvé sous les projecteurs du Festival de Cannes, à mettre les autres en lumière...

    Ainsi, cette histoire-là, celle de L’échelle des Jacob ne commence pas sous les flashs du Festival de Cannes mais dans une ferme en Lorraine, là où un certain Auguste Jacob, le grand-père de Gilles Jacob décida de monter à Paris. Le début de l’histoire d’une famille française. Avec ses « heures de gloire, celle de son père André, héros de la Première guerre, du cousin François, Compagnon de la Libération et prix Nobel. Mais aussi avec ses heures sombres (l’Occupation, l’exode, un dramatique secret). » « J’ai voulu raconter un peu plus qu’une affaire de famille. Une histoire française prise dans la tourmente du siècle et les tourments intimes » nous explique Gilles Jacob. C’est en effet un peu plus. Beaucoup plus. Ici, on oublierait presque que l’auteur de ce livre est celui qui, depuis 1964, a fréquenté le festival « 52 fois 3 semaines, 5 ans » de sa vie (comme journaliste, comme directeur, comme président.) Ce n’est pas le sujet. Dans chaque page palpite ainsi cet amour éperdu, et non moins lucide, du cinéma, de ses artistes et de ses artisans, écrivis-je ici à propos de son remarquable Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes (je vous invite à retrouver; ici, mon article à propos de ce livre indispensable pour tout amoureux du cinéma).

    Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes.gif

    Gilles Jacob dont chaque livre est une déclaration d’amour, au cinéma et à ceux qui le font, a cette fois décidé de faire une déclaration d’amour, non pas au cinéma (même si, bien évidemment il se glisse dans ces pages) mais à sa famille, aux siens. Tout comme, dans le dictionnaire précité, cette déclaration d’amour au cinéma n’en était pas pour autant aveugle, levant le voile sur certains secrets sans jamais être impudique ni faire perdre au cinéma, à ceux qui le font et au festival, de leur mystère, Gilles Jacob livre ici avec lucidité le voile sur certains secrets de famille sans jamais que cela soit impudique. Je me souviens de la mélancolie poignante qui émanait des dernières pages de son roman Un homme cruel. De «ce quelque chose plus fort que la mélancolie », aussi, dont il parlait déjà dans J’ai vécu dans mes rêves comme un écho au chapitre Vieillir de son livre Le festival n’aura pas lieu, un chapitre sur le temps, ogre impitoyable, nous rappelant l’essentiel aux ultimes instants ou même parfois trop tard. Comme dans ses précédents ouvrages, Gilles Jacob n’est jamais aussi juste que lorsqu’il laisse la mélancolie affleurer. Avec les fantômes qu’elle transporte. De l’enfance. Des regrets. De la nostalgie. De la mort qui rôde. Du « long cortège des ombres ». Déjà, dans La vie passera comme un rêve, en 2009, autobiographie entre rêve et réalité, (dé)construction judicieuse à la Mankiewicz ou à la Orson Welles (celui à qui il doit son amour du cinéma), derrière les lumières de la Croisette, Gilles Jacob nous laissait deviner les ombres mélancoliques de l’enfance. Déjà, dans Les pas perdus, en 2013, il jonglait avec les mots et les films mais aussi avec les années et les souvenirs. Un voyage sinueux et mélodieux dans sa mémoire composée de rêves derrière lesquels on devinait les souvenirs, plus sombres, de celui qui a « vécu dans ses rêves ». Déjà, dans Le Festival n’aura pas lieu, en 2015, derrière les traits de Lucien Fabas se faufilait cette même mélancolie de son auteur. Déjà, dans Un homme cruel, en 2016, ce voyage à travers la vie romanesque de Sessue Hayakawa, l’histoire vraie d’une star tombée dans l’oubli, l’éternelle histoire de la versatilité du public et du succès, de la gloire éblouissante et de l’oubli assassin, de la dichotomie entre son être et l’image, oui, déjà s’esquissait le portrait de son auteur.

    Alors, sans doute, chacun de ces livres contenaient-ils les prémisses de celui-ci. Après tout, un roman n’est-il pas toujours une vérité légèrement mensongère ? La vérité légèrement mensongère de son auteur. Ses précédents romans ne devaient-ils pas mener logiquement à ce livre dont la phrase d’exergue, de John Updike, dans le si bien nommé Les larmes de mon père, en dit tant et si bien ? « Il est facile d’aimer les gens dans le souvenir ; la difficulté est de les aimer quand ils sont en face de vous. »

    Le récit épique de l’acte de bravoure de son père à la guerre 1914 par lequel débute le livre nous emporte d’emblée. Cette figure charismatique, sévère, complexe aussi, dont le portrait se dessine dans ces pages, tout en conservant une part de mystère insondable. C’est un passionnant voyage dans l’Histoire du 20ème siècle mais surtout dans le parcours et les tourments d’un homme et de sa famille. De l’insouciance d’avant-guerre « années de grande insouciance mais je ne le savais pas. On s’habitue facilement au bonheur » dans une bourgeoisie qui fait parfois songer à La Règle du jeu et Journal d’une femme de chambre, là où « le septième art était considéré avec dédain », de sa vocation de cinéphile qu'il doit à Miss Prosper, des vacances dans le cadre majestueux de L’Hermitage de Nice à l’Alumnat du Saint-Rosaire où il fut caché pendant la guerre. Deux mondes. Deux époques. Plusieurs vies. Avec lui, on se retrouve à l’hôtel Hermitage. Avec lui, on effectue cet exode, ce « voyage qu’il allait voir et revoir avec précision toute sa vie ». On sait que cela se finira bien pour lui. Mais on tremble, malgré tout. Pour l’enfant roi, « l’enfant-moi » du Boulevard Haussmann, celui qui un jour de 1944, à Nice échappa à la Gestapo (notamment grâce au barman Adolphe, cela ne s’invente pas !), et qui un autre jour, à l’Alumnat, se cacha derrière l’orgue de la chapelle pour survivre à l’intrusion des Allemands (la fameuse scène d’Au revoir les enfants de Louis Malle), celui qui, après les années d’insouciance, grandit « sans connaître autre chose que la peur ».

    Vous y croiserez bien sûr aussi quelques figures du cinéma comme Claude Chabrol, son camarade du lycée, qui lui enseignait le roman noir américain et le jazz ou encore Truffaut qui commençait toutes ses phrases « par oui, oui » même pour dire non. Vous y lirez ses débuts de critique avec la revue Raccords qu’il créa en 1949, ces deux vies qu’il mena de front, celle de critique et celle à la tête l’entreprise de son père, rôle lui fut imposé et qu’il est passionnant de découvrir. Il fut ainsi en même temps et pendant des années directeur à  la Toledo, là où il « apprit la nécessité de trancher » et critique. 

    Mais ceux que vous n’oublierez pas en refermant ces pages, ce sont surtout Denise, André, Jean-Claude, François, Jeannette. Sa mère. Son père. Son frère. Son cousin. Son épouse.

    Ce que vous n’oublierez pas en refermant ces pages, c’est le portrait magnifique de sa mère, leur « lien indéfectible, plus fort que tout », malgré la gifle d’enfance, malgré le temps dévoreur. Celle qui « a été là ». Toujours. Envers et contre tout. Celle qui lisait les entretiens d'Hitchcock et Truffaut en cachette.

    Ce que vous n’oublierez pas c’est son regard, le sens de la formule. Son regard acéré, lucide, mais toujours dénué de cynisme et d’esprit de revanche. Même quand il évoque les courtisans, qu’il égratigne doucement, même si là non plus n’est pas le sujet : « Lorsqu’on est au pouvoir, tout le monde est votre ami, on s’en aperçoit d’autant plus lorsqu’on n’y est plus. » Je repense à son injuste éviction du conseil d'administration du festival à la renommée et à l'essor duquel il a tant contribué, je repense à ses pages sur Ridicule de Patrice Leconte dans son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, film que je ne peux en effet jamais voir sans penser au festival tant ceux prêts à tuer pour et avec un bon mot, pour voir une lueur d'intérêt dans les yeux de leur public roi, pour briller dans le regard  du pouvoir ou d'un public, fut-ce en portant une estocade lâche, vile et parfois fatale, dans leur quête effrénée du pouvoir et des lumières, rappellent tant les manigances de certains au moment du festival : « Un triomphe salué comme tel. Entourages de ministres, de hauts fonctionnaires, de puissants, voire de directeurs de festivals, salués de rire devant ce ballet des courtisans sans voir le miroir que Leconte leur tendait », raconte ainsi Gilles Jacob dans son dictionnaire.

    Ce que vous n’oublierez pas, c’est qu’il lui a toujours fallu se « battre pour obtenir des choses qui n’étaient pas évidentes ou qui paraissaient trop faciles à première vue. » Ce que vous n’oublierez pas, c’est l’enfance de celui qui fut « pendant trente-huit années l’otage et l’amant du Festival de Cannes » malgré sa « timidité maladive » et son « désordre légendaire ».

    Ce que vous n’oublierez pas, c’est le portrait de son père, qui aurait pu être un personnage de cinéma, qu’il dépeint sans manichéisme, homme dur, malgré les souvenirs de rares éclats de tendresse de l’enfance, dont on se dit que malgré tout, il parvint à « l’aimer dans le souvenir ».

    Une histoire française. La sienne. Intime mais toujours pudique, écrite avec la délicatesse, l'attention aux autres et l'élégance morale qui caractérisent son auteur. Une histoire dont il a « gardé aussi l’envie de mordre la vie à pleines dents, la vie simple, l’amour de la famille, de ma femme, le rire d’un enfant, l’harmonie d’une sonate, la page d’un livre souvent lu, le partage d’un repas. L’envie, comme tout le monde, d’être heureux. » L’envie dont ce livre transpire. Malgré les drames. Malgré les obstacles. L’envie de « tenir bon et prendre la vie comme elle vient » parce qu’ «il n’y a pas le choix », comme le dit cette citation qu’il emprunte à Philip Roth.

    Et puis comme ça, sans prévenir, au fur et à mesure que se tisse l'histoire et que se dévorent les pages, comme un flot impétueux et ravageur, ses mots et l’émotion vous emportent, vous submergent, vous laissent ko. Quand les liens se distendent avec André (et pour cause, vous verrez !) et que ressurgissent les souvenirs de l’enfant à qui il apprit à monter à bicyclette. Réminiscences foudroyantes de l’enfance. Malgré tout. Il le nomme aussi André mais aussi « mon père », « papa », « p’pa ». Valse des identités et sans doute des sentiments à l’égard de celui qui fit souffrir Denise mais qui fut aussi le « petit gars de Nancy », soldat, marchand de biens, de nouveau soldat, prisonnier de guerre, directeur de société. La complexité d’une histoire française. Comme une autre. Et si  singulière. Quand il raconte cette nuit de 2014 au Carlton, l’année de sa dernière présidence, dans laquelle perce la nostalgie et que remontent aussi les souvenirs de « l’élégance viscontienne de l’hôtel Hermitage », lorsque le personnel leur fit une haie d’honneur à Jeannette et lui, cette « attention précieuse ». Et que son épouse, partageant son émotion, presse son bras. Toujours d'ailleurs, l'émotion, subrepticement, surgit, quand il parle de sa femme, Jeannette. Et cette phrase m'a bouleversée : « Quand nous ne serons plus là, je sais que je penserai toujours à elle ». Nous rappelant son récit à propos de ce film japonais vu à Chinatown mettant en scène ces amants inséparables dont on se demande presque s’il ne l’a pas inventé, comme une parabole de leur propre histoire. Quand il évoque sa mère, toujours aussi, et qui « Un matin de 1985 », « le 23 décembre », « ne se réveilla pas ». Quand il écrit cette phrase poignante à propos de son frère « J’ai pensé « C’est à toi maintenant de le protéger », et je n’ai pas su le faire. » Quand il n’arrête pas de penser que son père est mort seul. Toutes ces fois, l’émotion nous saisit, grandit, m’a saisie parce que si ce récit est personnel, il est aussi universel en nous renvoyant à nos disparus, que nous aurions toujours pu mieux protéger, aimer, comprendre, étreindre. Et aux regrets qui eux aussi nous étreignent.

    Jusqu’à la phrase finale que je vous laisse découvrir, à laquelle on ne peut que répondre que oui, sans le moindre doute, désormais, Jeannette, Denise, André, François, Jean-Claude, et même Auguste et Lambert, ses grands-pères, qu’il ne connut jamais, et même les rôles secondaires et pourtant tellement essentiels comme le barman Adolphe, le père Bruno, un Juste, ils feront partie de notre univers, seront intégrés à la mémoire de notre propre vie, à la farandole de personnages qui la peuple. Comme le sont toujours les personnages d’un livre qu’on n’oublie pas. Auquel des personnages marquants procurent vie, force, singularité, émotion. Un peu plus parce qu’ils furent réels. Et désormais immortels grâce à L’échelle des Jacob. Non, cher Gilles Jacob, vous ne serez plus seul à vous souvenir. Merci pour ce livre, cette « opération de séduction », victorieuse indéniablement. Merci pour eux. Merci à la boîte rouge en carton bouilli d’avoir réveillé les souvenirs enfouis. J’ai terminé cette lecture le cœur chaviré, et étrangement avec un peu de baume sur les blessures de l’âme ébréchée des fêlures incurables laissées par ses irremplaçables absents. Le cœur chaviré, enfin, en pensant aux larmes de nos pères qui charrient tant de mystères. Et en pensant qu’il n’est jamais trop tard pour tenter de les comprendre.

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  • Critique - LE CERCLE ROUGE de Jean-Pierre Melville (de retour en salles le 4 novembre 2020)

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    Le retour en salles, le 4 novembre prochain, du chef-d'oeuvre de Melville, "Le cercle rouge"(1970) (grâce à Carlotta et Studio Canal, dans sa version restaurée 4K inédite, est pour moi l'excellent prétexte pour vous en parler en espérant ainsi vous donner envie de le (re)découvrir ainsi que les autres films de Melville parmi lesquels "Le Samouraï" (1967) et "L'armée des ombres"(1969) dont je vous parle aussi ci-dessous au gré de quelques (nombreuses) digressions.
     
    Synopsis : Le commissaire Matteï (Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s’enfuir et demeure introuvable malgré l’importance des moyens déployés. Au même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit dans sa cellule la visite d’un gardien venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l’affaire proposée par le gardien : le cambriolage d’une bijouterie de la Place Vendôme. Ils s’adjoignent ensuite les services d’un tireur d’élite : Jansen (Yves Montand), un ancien policier, rongé par l’alcool.
     
    Dès la phrase d’exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité :  "Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit :  Quand des hommes, même s'ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge ."
     
    Comment ne pas établir un parallèle avec le debut du "Samourai" dans lequel Melville parvient là aussi d'emblée à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains… Le premier plan met en scène le Samouraï, à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil.
     
    La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate, avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis).  Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début là aussi placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité.
     
    Même parallèle avec le début de "L'armée des ombres". Dès le premier plan, on éprouve là aussi cette sensation d’étirement du temps. La place est d’abord vide puis on entend les bruits de bottes hors champ puis on distingue les soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Puis vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre, pluvieuse, est déjà plantée. Le récit lui-même est claustrophobique, enfermé sur lui-même et semble sans issue. Ainsi, en effet, le film commence par une trahison et par le meurtre de celui qui a donné un résistant et il s’achève par l’exécution « nécessaire » de Mathilde (la Résistante incarnée par Simone Signoret) par ses propres compagnons. Le film commence à l’Arc de triomphe et s’achève à l’Arc de triomphe. Par ailleurs, les deux indices temporels sont ceux du début, le 20 octobre 1942 et de la fin, le 23 février 1943, un peu moins d’une année qui enferme le récit et les personnages dans leurs tragiques destins. Un sentiment oppressant se dégage du film et pas même les panneaux de la fin ne viendront le démentir puisqu’ils nous annoncent la mort de tous les protagonistes, le plus souvent torturés et exécutés. Ils nous renvoient ainsi au défilé militaire du début et ce qui s’est passé entre les deux semble n’y avoir rien changé, ce qui exacerbe encore l’horreur vaine des actes commis.
     
    Dans "Le cercle rouge", c’est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira là aussi tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policiers et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu’à l’inspecteur général qu'il est censé être pour qui les hommes sont « tous coupables ».
     
    Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l’un est policier et l’autre un prévenu. Il n’y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu’ils traquent sont des hommes seuls. À deux reprises, il nous est montré avec ses chats qu’il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l’alcool lui fait imaginer. Tous sont prisonniers. Prisonniers d’une vie de solitude. Prisonniers d’intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l’appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l’extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique. Implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d’une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu’elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).
     
    Dans "L'armée des ombres", c'était déjà là aussi un univers sombre, cruel, sordide qui nous était dépeint, rappelant l’univers de gangsters que Melville s’attache habituellement à filmer que ce soit dans "Le Doulos,", "le Samouraï" ou "Le deuxième souffle" etc.
     
    Les hommes de la Résistance sont là aussi plongés dans ce « cercle rouge », ce « cercle de la mort où les hommes se retrouvent tous un jour. Dans « Le Doulos », « Le Deuxième souffle » et même dans une autre mesure « L’armée des ombres », on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de « L’armée des ombres » qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connue sous la Résistance. Dans les  films précédant « L’armée des ombres » comme « Le Samouraï », Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Les mêmes acteurs jouent d d'ailleurs dans ses deux « catégories » de films, encore faudrait-il y voir deux catégories distinctes car les points communs foisonnent. Ainsi Paul Meurisse et Lino Ventura étaient déjà à l’affiche du "Deuxième souffle" et Serge Reggiani avait interprété un rôle dans l"e Doulos". Par ailleurs, les poursuites rappellent celles entre policiers et truands. Ainsi, certaines scènes de "L’armée des ombres", sorties de leur contexte pourraient très bien figurer dans un film policier notamment lorsque Félix (Paul Crauchet) est arrêté dans une rue tranquille puis encadré et entraîné brutalement par deux hommes surgis de nulle part vers une voiture qui démarre en trombe. La chambre où le traître est exécuté rappelle ainsi celle de Costello/Delon dans "Le Samouraï". Leur allure vestimentaire rappelle également celle des gangsters, notamment le chapeau qu’arbore la plupart du temps les Résistants du film et qui renvoie au fameux chapeau de Costello dans "Le Samouraï". Gangsters et Résistants sont obsédés par le secret et les uns et les autres ont bien souvent une double vie.
     
    Les personnages vivent ici aussi dans la clandestinité afin de pouvoir réaliser leur objectif qui est de libérer la France tout comme ils vivent en clandestinité quand ils sont dans l’illégalité. Enfin, les protagonistes de ces deux types de films sont également soumis à la solitude, à l’angoisse, au danger. Dans "L'Armée des ombres", les Résistants ne sont pas des jeunes aventuriers intrépides comme on l’a souvent vu au cinéma. Melville casse délibérément cette image. Il montre des combattants de l’ombre dans leur quotidien. Ils se cachent, fuient, attendent dans un silence quasi absolu. On les voit douter des leurs convictions et parfois poussés par la peur à trahir, trahison qui engendre une exécution par la suite. On retrouve également l’influence du cinéma américain de ce cinéaste qui était un grand admirateur de Wyler. Melville rend même explicitement hommage au cinéma américain en reprenant le son du "Coup de l’escalier" dans la scène de l’ambulance où Mathilde vient sauver Félix. Ce son saccadé, haché, semble faire écho aux battements de cœur des Résistants que nous imaginons derrière leur impassibilité de façade. Ils martèlent aussi le temps qui passe et l’étirement des secondes dont chacune d’entre elles peut être décisive ou fatale. Tout comme le montrera ensuite Louis Malle avec le controversé Lacombe Lucien, la frontière entre le traître et le héros, l’homme de loi et le hors la loi, est bien fragile, surtout à cette époque troublée au cours de laquelle Melville nous montre ainsi qu’elle devait parfois être franchie, ainsi le nécessitait le passage de la lumière à l’ombre pour ensuite revenir à une autre lumière, celle de la Libération.
     
    Comme dans « L’armée des ombres », dans « Le Samouraï » déjà la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité.
     
    Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.
     
    Le scénario du "Samouraï" comme celii du "Cercle rouge" sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en  flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer à Mattei et à son « tous coupables » dans « Le Cercle rouge ». C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».
     
    Avec "Le Samouraï', film noir, polar exemplaire, Meville avait inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il avait déjà donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans « Le Battant ». Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.
     
    Évidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef d’œuvre sans la présence d’Alain Delon qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux (anti)héros melvillien.
     
    De même déjà dans "Le Samouraï", le plan du début et celui de la fin se répondaient ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant.  Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue là aussi comme dans "Le Cercle rouge". Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.
     
    Dans "Le cercle rouge" avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu’une parole ne soit échangée), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe là aussi un polar d’une noirceur, d’une intensité, d’une sobriété rarement égalées.
     
    Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c’est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l’alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s’il tourna ensuite « Le mur de l’Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ».  Ce sont pourtant d’autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour Le commissaire Matteï, Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.
     
    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu’il est l’auteur du scénario original et de cette idée qu’il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu’ j’ai tournés, parce que j’en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l’écrivant. »
    En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernières fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu’inoubliable. À (re)voir absolument de même que les autres films de Melville avec lesquels il forme une oeuvre dont chaque élément se fait brillamment écho.
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