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IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) - Page 7

  • Jean-Laurent Cochet...

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    « Une pièce de théâtre, c’est quelqu’un. C’est une voix qui parle, c’est un esprit qui éclaire, c’est une conscience qui avertit » écrivit Victor Hugo. Les master classes érudites de Jean-Laurent Cochet donnaient vie à cette voix, cet esprit, cette conscience qui nous accompagnaient longtemps après et nous donnaient l’envie irrépressible de revenir. C’était entre 2005 et 2008. J’allais très régulièrement, presque religieusement, assister à ses cours publics de théâtre dans l’antre presque secret, en tout cas discret, du théâtre de la Pépinière Opéra. Plus que du théâtre, ses cours publics étaient une véritable expérience, une leçon passionnante par un homme passionné, habité même par le théâtre qui, pendant deux heures, vous faisait oublier à quelle époque vous viviez, où vous vous trouviez, l’absence de décor même, qui vous plongeait et transportait dans une atmosphère recueillie, attentive, exaltée.  Vous traversiez les siècles et les histoires, les drames et les comédies, avec La Fontaine, Beaumarchais, Molière, Guitry, Mérimée, Giraudoux, Feydeau, Anouilh, Aragon, Hugo et les autres.


    Il faisait presque miraculeusement sortir la note juste à ses élèves.  En réalité en leur transmettant sa rigueur. En leur donnant parfois même la réplique. En se révoltant encore et toujours, aussi. Contre ceux qui malmenaient ou méprisaient cette langue française qu’il vénérait et dont il transmettait si bien la majesté. En deux heures, nous étions immergés dans son travail et celui des comédiens. Quand un élève-comédien montait sur scène, la salle retenait son souffle, silencieusement complice. Le maître Cochet scrutait chaque froncement de sourcil, chaque inflexion de voix, chaque esquisse de geste. Ses cours étaient un peu comme des rendez-vous amoureux auxquels le public se rendait le cœur battant, des rendez-vous d’amoureux du théâtre. Dans le public, il n’était pas rare de croiser de grands noms du théâtre et parfois du cinéma, désireux d’apprendre encore et toujours, et comme le reste du public, les yeux brillants de curiosité, d’admiration pour cet art dont Jean-Laurent Cochet savait si bien témoigner de la beauté, de la difficulté, et de la magie qui, si souvent pendant ses cours, surgissait devant une salle toujours conquise. Deux heures délicieuses à déguster la saveur des mots magistralement sublimés par la précision du jeu des élèves et les envolées lyriques explicatives de Jean-Laurent Cochet. Plus qu'une leçon de théâtre, une leçon de vie.


    Cochet, tantôt admiratif, tantôt sceptique, tantôt réprobateur, mais toujours exalté, livrait, jouait presque, ses commentaires, prétextes à de multiples anecdotes et citations dans lesquelles se côtoyaient Marie Belle, Gérard Philippe, Sarah Bernhardt et tant d’autres, nous emmenant avec lui dans l’histoire du théâtre et parfois nous relatant les débuts de ses prestigieux élèves.

    Dès que le bruissement de la salle se faisait entendre, peut-être plus fébrile qu’ailleurs en raison de la particularité de l’exercice auquel Jean-Laurent Cochet et ses élèves se pliaient, seul ce qui se passait sur scène existait qui ne nous éloignait pas de l’existence mais au contraire, par l’étude, la sublimation des mots et des textes, la rendait plus palpitante, fébrile elle aussi.

     Dès son arrivée sur scène, c’ait un jeu entre les spectateurs et « le maître » Cochet qui observait, jouait du silence, son regard malicieux balayant la salle. On parle de la magie du cinéma. Il faudrait évoquer aussi celle du théâtre qui était là tellement flagrante. Rien : pas un décor, pas une mise en scène, pas un projecteur pour guider notre attention, notre regard, notre pensée. Juste les comédiens et les mots. Et notre souffle suspendu. Et l’écoute, cette écoute si rare et si précieuse comme le déplorait Jean-Laurent Cochet. Cette écoute qui là semblait reprendre sens. Loin du tumulte de l’existence. Et exaltant aussi ce tumulte.

     Cela pouvait par exemple commencer par un exercice improvisé sur « Ruy Blas » de Victor Hugo. Six élèves débutants enchaînaient à l’appel de leurs noms, disant une phrase complétée par un autre sur ordre du maître : un exercice de haute voltige. L’exercice était périlleux d’autant plus qu’improvisé et le résultat était d’autant plus magistral, fascinant, comme si ces six interprétations n’en faisaient qu’une, comme si ces six comédiens en herbe constituaient chacun une part indissociable du texte et du personnage lui donnant ainsi vie.

     Puis, Jean-Laurent Cochet parlait, il parlait beaucoup. Jean-Laurent Cochet n’était pas sectaire, juste vigoureusement passionné, tout en fustigeant le sectarisme, le politiquement correct. Il égratignait au passage certains cours qui pour raisons « politiques » se refusaient à jouer certains auteurs comme Guitry. Guitry qu’il citait toujours à loisir comme Giraudoux sur un texte de qui un élève nous avait montré (je m’en souviens encore) à quel point c’est un métier avant d’être un art, à quel point chaque mot, chaque virgule, chaque intonation, chaque souffle importaient et contribuaient à faire vivre et exister un texte et un personnage, à quel point la langue française est multiple et précise, à quel point le comédien est funambule.

    Et puis il nous parlait de cinéma, des réalisateurs, cinq selon lui seulement méritant le nom de grands réalisateurs citant pour exemple Renoir et Grémillon. Il nous parlait du théâtre évidemment, toujours avec autant de passion communicative, de vigueur, de vivacité, de conviction : de ce théâtre qui est un métier avant tout, avant d’être un art, de ce théâtre qui est tout sauf de la démonstration, qui doit faire oublier que l’acteur joue, si ce n’est jouer à être. Et de tant de choses encore…

     Je me souviens encore d’un moment de grâce comme il y en eut tant. Un comédien avec lequel Jean-Laurent Cochet, toujours en phase avec l’actualité, trouvait une ressemblance (du moins un emploi similaire) avec Paul Newman. Le texte était joué avant d’être nommé. Une histoire palpitante sur les ravages dévastateurs et criminels du temps, une histoire caustique, cruelle et tendre d’une étonnante modernité, que l’on aurait écrite hier…une nouvelle signée Maupassant que la modernité du jeu nous avait fait croire contemporaine.  Nous avions l’impression de voir les personnages tous exister sous nos yeux, de voir le décor, la scène, les lumières tantôt poétiques tantôt crues. Mais lorsque le comédien disait son dernier mot, un peu après même, le temps de reprendre notre souffle nous aussi, nous réalisions que tout cela n’existait que dans notre imagination guidée par le jeu du comédien si réel, vibrant : là.

     Et puis il y avait les fables de La Fontaine dont raffolait tant Jean-Laurent Cochet. Je me souviens de cette fois où Jean-Laurent Cochet avait qualifié de génie et d’être d’exception un comédien qui venait d’en interpréter une. Il n’en avait dit pas davantage. Il ne dirait plus un mot. Une démonstration de cette qualité du silence dont il faisait l’éloge.  La dernière note d’un moment d’exception.

     C’était à chaque fois un moment inestimable de poésie, où surgissait la grâce là et quand on ne l’attendait pas, qui suspendait le vol du temps bien sûr mais surtout la volatilité de l’attention, un moment de passion, qui réunissait des passionnés, un moment unique où tout pouvait arriver, surtout la flamme incandescente de la vie sublimée par le théâtre et les mots qui transfiguraient ceux qui les jouaient.

     « Les œuvres d’art qui ont cherché la vérité profonde et nous la présentent comme une force vivante s’emparent de nous et s’imposent à nous ». Cette phrase d’Alexandre Soljenitsyne (Discours non prononcé pour le Prix Nobel de 1970) figurait sur un des programmes de ses cours publics et les illustrait magnifiquement. Les cours publics de Jean-Laurent Cochet étaient définitivement comme des rendez-vous amoureux où le public se rendait avec la peur délicieuse au ventre, la peur pour ceux qui jouaient là et qui jouaient finalement tellement plus qu’un texte.  Un spectacle forcément unique puisque les élèves qui passaient et les scènes jouées étaient chaque semaine différents, et un spectacle improvisé puisque Jean-Laurent Cochet ne savait pas à l’avance quels élèves joueraient. Jean-Laurent Cochet, lui-même comédien et metteur en scène, a formé les plus grands comédiens (Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Isabelle Huppert, Richard Berry, Daniel Auteuil, Carole Bouquet…).


     Quelle tristesse d'apprendre que le coronavirus vient de l'emporter. Un nom parmi les plus de 10000 emportés par cette maladie en France.

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  • Critique - LE GUEPARD de Luchino Visconti

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    1 jour. 1 film. 1 critique.

     

    En cette période pendant laquelle il est absolument vital de rester chez soi, mais aussi nécessaire de s'évader en restant chez soi, j’ai décidé de vous proposer chaque jour de découvrir un film, un film récent disponible en VOD ou un classique du cinéma. Avant-hier, ce fut MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan (disponible depuis cette semaine en VOD). Hier, je vous recommandais vivement de découvrir LES EBLOUIS de Sarah Suco, disponible depuis hier en VOD.

    Aujourd'hui, j'ai décidé de vous parler d'un de mes films préférés, le chef-d'oeuvre parmi les chefs-d'oeuvre, Le Guépard  de  Luchino Visconti (que vous pourrez bien sûr également trouver en VOD).

     

    Flashback.

    C'était un soir de 2010 au Festival de Cannes...

    Parmi mes très nombreux souvenirs du Festival de Cannes, celui de ce soir de 2010 restera sans aucun doute un des plus émouvants et inoubliables. Dans le cadre de Cannes Classics était en effet projetée la version restaurée du chef d’œuvre de Luchino Visconti  Le Guépard, palme d’or du Festival 1963. 

    Quelle étrange sensation ce fut de le découvrir enfin sur grand écran après l'avoir tant vu et revu à la télévision, tout en voyant ses acteurs au premier plan, juste devant moi, en chair et en os. Aussi fascinant et somptueux soit Le Guépard (et ce soir de 2010 il m'avait plus que jamais élouie) mon regard ne pouvait s’empêcher de dévier vers Delon et Cardinale. Instant irréel où l’image de la réalité se superposait à celle de l’écran. Je ne pouvais m’empêcher d’essayer d’imaginer leurs pensées. Claudia Cardinale qui semblait littéralement transportée (mais avec gaieté) dans le film, tapant des mains, se tournant vers Alain Delon, lorsque des scènes, sans doute, lui rappelaient des souvenirs particuliers, riant aussi souvent, son rire se superposant même sur la célèbre cavalcade de celui d’Angelica dans la scène du dîner. Et Alain Delon, qui regardait l’écran avec tant de solennité, de nostalgie, de tristesse peut-être, comme ailleurs, dans le passé, comme  s’il voyait une ombre du passé ressurgie en pleine lumière, pensant, probablement,  comme il le dit souvent, à ceux qui ont disparu : Reggiani, Lancaster, Visconti….

    Delon et Cardnale plus humains sans doute que ces êtres d’une beauté irréelle sur l’écran et qu’ils ont incarnés mais aussi beaux et touchants. D’autant plus troublant que la scène de la réalité semblait faire étrangement écho à celle du film qui raconte  la déliquescence d’un monde, la nostalgie d’une époque. Comme si Delon était devenu le Prince Salina (incarné par Lancaster dans le film) qui regarde avec mélancolie une époque disparaître. 

    Une fois de plus, bien que le connaissant par coeur, je n'avais pas vu passer les trois heures que dure le film dont la beauté, la modernité, la richesse, la complexité mais aussi la vitalité, l’humour  (c’était étonnant d’entendre ainsi la salle Debussy rire) me sont apparus plus que jamais éclatants et surtout inégalés. 47 ans après, quel film a pu rivaliser ? Quel film contient des plans séquences aussi voluptueux ? Des plans aussi somptueux ? On comprend aisément pourquoi le jury lui avait attribué la palme d’or à l’unanimité !

    Ma critique du « Guépard » de Luchino Visconti

    En 1860, en Sicile, tandis que Garibaldi et ses chemises rouges débarquent pour renverser la monarchie des Bourbons de Naples et l’ancien régime, le prince Don Fabrizio Salina (Burt Lancaster) ainsi que sa famille et son confesseur le Père Pirrone (Romolo Valli), quitte ses domaines pour son palais urbain de Donnafigata, tandis que son neveu Tancrède (Alain Delon) rejoint les troupes de Garibaldi. Tancrède s’éprend d’Angelica, (Claudia Cardinale), la fille du riche maire libéral  de Donnafugata : Don Calogero. Le Prince Salina s’arrange pour qu’ils puissent se marier. Après l’annexion de la Sicile au royaume d’Italie, Tancrède qui s’était engagé aux côtés des Garibaldiens les abandonne pour rejoindre l’armée régulière…

    Les premiers plans nous montrent une allée qui mène à une demeure, belle et triste à la fois. Les allées du pouvoir. Un pouvoir beau et triste, lui aussi. Triste car sur le déclin, celui de l’aristocratie que symbolise le Prince Salina. Beau car fascinant comme l’est le prince Salina et l’aristocratie digne qu’il représente. Ce plan fait écho à celui de la fin : le prince Salina avance seul, de dos, dans des ruelles sombres et menaçantes puis il s’y engouffre comme s’il entrait dans son propre tombeau. Ces deux plans pourraient résumer l’histoire, l’Histoire, celles d’un monde qui se meurt. Les plans suivants nous emmènent à l’intérieur du domaine, nous offrant une vision spectrale et non moins sublime de cette famille. Seuls des rideaux blancs dans lesquels le vent s’engouffre apportent une respiration, une clarté dans cet univers somptueusement sombre. Ce vent de nouveauté annonce l’arrivée de Tancrède, Tancrède qui apparaît dans le miroir dans lequel Salina se mire.  Son nouveau visage. Le nouveau visage du pouvoir. Le film est à peine commencé et déjà son image est vouée à disparaître. Déjà la fin est annoncée. Le renouveau aussi.

    Fidèle adaptation d’un roman écrit en 1957 par Tomasi di Lampedusa, Le Guépard témoigne d’une époque représentée par cette famille aristocrate pendant le Risorgimento, « Résurrection » qui désigne le mouvement nationaliste idéologique et politique qui aboutit à la formation de l’unité nationale entre 1859 et 1870. Le Guépard est avant tout l’histoire du déclin de l’aristocratie et de l’avènement de la bourgeoisie, sous le regard et la présence félins, impétueux, dominateurs du Guépard, le prince Salina. Face à lui, Tancrède est un être audacieux, vorace, cynique, l’image de cette nouvelle ère qui s’annonce.

    La scène du fastueux bal qui occupe un tiers du film est aussi la plus célèbre, la plus significative, la plus fascinante. Elle marque d’abord par sa magnificence et sa somptuosité :  somptuosité des décors, soin du détail du Maestro Visconti qui tourna cette scène en huit nuits parmi 300 figurants. Magnificence du couple formé par Tancrède et Angelica, impériale et rayonnante dans sa robe blanche. Rayonnement du couple qu’elle forme en dansant avec Salina, aussi.  La fin du monde de Salina est proche mais le temps de cette valse, dans ce décor majestueux, le temps se fige. Ils nous font penser à cette réplique de Salina à propos de la Sicile : « cette ombre venait de cette lumière ». Tancrède regarde avec admiration, jalousie presque, ce couple qui représente pourtant la déchéance de l’aristocratie et l’avènement de la bourgeoisie. Un suicide de l’aristocratie même puisque c’est Salina qui scelle l’union de Tancrède et Angelica, la fille du maire libéral, un mariage d’amour mais aussi et avant tout de raison entre deux univers, entre l’aristocratie et la bourgeoisie. Ces deux mondes se rencontrent et s’épousent donc aussi le temps de la valse d’Angelica et Salina. Là, dans le tumulte des passions, un monde disparaît et un autre naît. Ce bal est donc aussi remarquable par ce qu’il symbolise : Tancrède, autrefois révolutionnaire, se rallie à la prudence des nouveaux bourgeois tandis que Salina, est dans une pièce à côté, face à sa solitude, songeur,  devant un tableau de Greuze, la Mort du juste, faisant « la cour à la mort » comme lui dira ensuite magnifiquement Tancrède.

    Angelica, Tancrède et Salina se retrouvent ensuite dans cette même pièce face à ce tableau morbide alors qu’à côté se fait entendre la musique joyeuse et presque insultante du bal. L’aristocratie vit ses derniers feux mais déjà la fête bat son plein. Devant les regards attristés et admiratifs de Tancrède et Angelica, Salina s’interroge sur sa propre mort. Cette scène est pour moi une des plus intenses de ce film qui en comptent pourtant tant qui pourraient rivaliser avec elle. Les regards lourds de signification qui s’échangent entre eux trois, la sueur qui perle sur les trois visages, ce mouchoir qu’ils s’échangent pour s’éponger en font une scène d’une profonde cruauté et sensualité où entre deux regards et deux silences, devant ce tableau terriblement prémonitoire de la mort d’un monde et d’un homme, illuminé par deux bougies que Salina a lui-même allumées comme s’il admirait, appelait, attendait sa propre mort, devant ces deux êtres resplendissants de jeunesse, de gaieté, de vigueur, devant Salina las mais toujours aussi impérial, plus que jamais peut-être, rien n’est dit et tout est compris.

     Les décors minutieusement reconstitués d’ une beauté visuelle sidérante, la sublime photo de Giuseppe Rotunno, font de ce Guépard une véritable fresque tragique, une composition sur la décomposition d’un monde, dont chaque plan se regarde comme un tableau, un film mythique à la réputation duquel ses voluptueux plans séquences (notamment la scène du dîner pendant laquelle résonne le rire interminable et strident d’Angelica comme une insulte à l’aristocratie décadente, dîner au cour duquel se superposent des propos, parfois à peine audibles, faussement anodins, d’autres vulgaires, une scène autour de laquelle la caméra virevolte avec virtuosité, qui, comme celle du bal, symbolise la fin d’une époque), son admirable travail sur le son donc, son travail sur les couleurs (la séquence dans l’Eglise où les personnages sont auréolés d’une significative lumière grise et poussiéreuse ) ses personnages stendhaliens, ses seconds rôles judicieusement choisis (notamment Serge Reggiani en chasseur et organiste), le charisme de ses trois interprètes principaux, la noblesse féline de Burt Lancaster, la majesté du couple Delon-Cardinale, la volubilité, la gaieté et le cynisme de Tancrède (pour qui "il faut que tout change pour que rien ne change" formidablement interprété par Alain Delon, la grâce de Claudia Cardinale, la musique lyrique, mélancolique et ensorcelante de Nino Rota ont également contribué à faire de cette fresque romantique, engagée, moderne, un chef d’œuvre du septième Art.

     La lenteur envoûtante dont est empreinte le film métaphorise la déliquescence du monde qu’il dépeint. Certains assimileront à de l’ennui ce qui est au contraire une magistrale immersion  dont on peinera ensuite à émerger, hypnotisés par l’âpreté lumineuse de la campagne sicilienne, par l’écho du pesant silence, par la beauté et la splendeur stupéfiantes de chaque plan. Par cette symphonie visuelle cruelle, nostalgique et sensuelle l’admirateur de Proust qu’était Visconti nous invite à l’introspection et à la recherche du temps perdu.

    La personnalité du Prince Salina devait beaucoup à celle de Visconti, lui aussi aristocrate, qui songea même à l’interpréter lui-même, lui que cette aristocratie révulsait et fascinait à la fois et qui, comme Salina, aurait pu dire : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».

    Que vous fassiez partie des guépards, lion, chacals ou brebis, ce film est un éblouissement inégalé par lequel je vous engage vivement à vous laisser hypnotiser…

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  • Sortie en VOD de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan : critique

    La sortie VOD de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan a été avancée de quelques semaines. Il est désormais disponible. Je vous donne quelques bonnes raisons de le découvrir, ci-dessous. Cette critique a été écrite suite à la projection du film dans le cadre du Festival de Cannes 2019.

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    L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée.  Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.

    Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix.  Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.

    Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.

    Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences. 

    Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.

    Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.

    Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble  enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent  soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.

    "J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.

    Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette  pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.

    Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime,  jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.

     Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria.  Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.

    Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute.  Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses.  Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare…  Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

    La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".

    Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle.  Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.

    Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.

    A lire aussi :

    1/Festival de Cannes 2019 - LES PLUS BELLES ANNEES D’UNE VIE de CLAUDE LELOUCH - critique du film et conférence de presse

    2/Festival de Cannes 2019 - Master class d’Alain Delon et remise de sa Palme d’or d’honneur. Récit.

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  • Ma sélection de films à 0,99 euros à regarder sur UniversCiné pendant le confinement

     

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    Je vous ai déjà parlé ici du site UniversCiné qui vous permet de découvrir des films en VOD avec une large sélection de films récents mais aussi de classiques du cinéma. 7000 films au total.

    Ce mois-ci, pour vous faire passer le temps en ces jours dramatiquement singuliers et historiques, UniversCiné a lancé UniverSolidaire avec plus de 200 films à 0,99 euros, tous classés en différentes catégories, disponibles grâce à la coopération des distributeurs Haut et Court, Rézo Films, Sophie Dulac, KMBO, Pyramide, StudioCanal, Memento, Epicentre, Alfama, Outplay et Le Pacte.

    Je vous ai donc fait ma petite sélection parmi ces 200 films en vous précisant dans quelle catégorie ils apparaissent. Vous pourrez trouver mes critiques des films en question ci-dessous afin de vous donner envie de les découvrir. Il y en a de nombreux autres de cette liste que je vous recommande tout autant : Taxi Téhéran, Jimmy’s hall, Jusqu’à la garde, Au bout du conte, Ressources humaines, Drôle de drame, La chambre du fils, Reality, The lunchbox, Le moineau, Numéro une, I feel good, Le géant égoïste…

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  • Festival Toute la mémoire du monde 2020 : CASABLANCA de Michael Curtiz le 8 mars à la Cinémathèque

    Dans le cadre du Festival "Toute la mémoire du monde" à la Cinémathèque, à Paris, le dimanche 8 mars 2020, à 14H30, salle George Franju sera projeté le chef-d'oeuvre de Michael Curtiz, Casablanca, une séance exceptionnelle présentée par Isabella Rossellini. L'occasion pour moi de vous parler à nouveau de ce film remarquable.
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    On ne présente plus « Casablanca » ni Rick Blaine (Humphrey Bogart), le mystérieux propriétaire du bigarré Café Américain. Nous sommes en 1942, à Casablanca, là où des milliers de réfugiés viennent et échouent des quatre coins de l’Europe, avec l’espoir fragile d’obtenir un visa pour pouvoir rejoindre les Etats-Unis. Casablanca est alors sous le contrôle du gouvernement de Vichy. Deux émissaires nazis porteurs de lettres de transit sont assassinés. Ugarte (Peter Lorre), un petit délinquant, les confie à Rick alors qu’il se fait arrêter dans son café.  C’est le  capitaine Renault (Claude Rains), ami et rival de Rick, qui est chargé de l’enquête tandis qu’arrive à Casablanca un résistant du nom de Victor Laszlo (Paul Henreid). Il est accompagné  de sa jeune épouse : la belle Ilsa (Ingrid Bergman). Rick reconnaît en elle la femme qu’il a passionnément aimée, à Paris, deux ans auparavant…

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    Casablanca est un film qui contient plusieurs films, plusieurs histoires potentielles esquissées ou abouties, plusieurs styles et tant de destins qui se croisent.

    Plusieurs films d’abord. Casablanca est autant le portrait de cette ville éponyme, là où tant de nationalités, d’espoirs, de désespoirs se côtoient, là où l’on conspire, espère, meurt, là où la chaleur et l’exotisme ne font pas oublier qu’un conflit mondial se joue et qu’il est la seule raison pour laquelle des êtres si différents se retrouvent et parfois s’y perdent.

    C’est ensuite évidemment l’histoire de la Résistance, celle de la collaboration, l’Histoire donc.

    Et enfin une histoire d’amour, sans doute une des plus belles qui ait été écrite pour le cinéma.

    De ces trois histoires résultent les différents genres auxquels appartient ce film : vibrante histoire d’amour avant tout évidemment, mais aussi comédie dramatique, film noir, mélodrame, thriller, film de guerre.

    Peu importe le style auquel il appartient, ce qui compte c’est cette rare alchimie. Cette magie qui, 70 ans après, fait que ce film est toujours aussi palpitant et envoûtant.

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    L’alchimie provient d’abord du personnage de Rick, de son ambiguïté.  En apparence hautain, farouche individualiste, cynique, velléitaire, amer, il se glorifie ainsi de « ne jamais prendre parti », de  « ne prendre de risque pour personne » et dit qu’ « alcoolique » est sa nationalité ; il se révèle finalement patriote, chevaleresque, héroïque, déterminé, romantique. Evidemment, Humphrey Bogart avec son charisme, avec son vieil imper ou son costume blanc (qui reflètent d’ailleurs le double visage du personnage), sa voix inimitable, sa démarche nonchalante, ses gestes lents et assurés lui apporte un supplément d’âme, ce mélange de sensibilité et de rudesse qui n’appartient qu’à lui. Un personnage aux mille visages, chacun l’appelant, le voyant aussi différemment.

    Auparavant surtout connu pour ses rôles de gangsters et de détectives, Humphrey Bogart était loin d’être le choix initial (il fut choisi après le refus définitif de George Raft) tout comme Ingrid Bergman d’ailleurs (Michèle Morgan, notamment, avait d’abord été contactée), de même que le réalisateur Michael Curtiz n’était pas le choix initial de la Warner qui était William Wyler. On imagine désormais mal comment il aurait pu en être autrement tant tous concourent à créer cette alchimie…

    Ensuite, cette alchimie provient évidemment du couple que Bogart forme ici avec Ingrid Bergman qui irradie littéralement l’écran, fragile, romanesque, nostalgique, mélancolique  notamment grâce à une photographie qui fait savamment briller ses yeux d’une tendre tristesse. Couple romantique par excellence puisque leur amour est rendu impossible par  la présence du troisième personnage du triangle amoureux qui se bat pour la liberté, l’héroïque Victor Laszlo qui les place face à de cruels dilemmes : l’amour ou l’honneur. Leur histoire personnelle ou l’Histoire plus grande qu’eux qui  tombent « amoureux quand le monde s’écroule ». L’instant ou la postérité.

    Et puis il y a tous ces personnages secondaires : Sam (Dooley Wilson), le capitaine Renault, … ; chacun incarnant un visage de la Résistance, de la collaboration ou parfois une attitude plus ambiguë à l’image de ce monde écartelé, divisé dont Casablanca est l’incarnation.

    Concourent aussi à cette rare alchimie ces dialogues, ciselés, qui, comme le personnage de Rick oscillent entre romantisme noir et humour acerbe : « de tous les bistrots, de toutes les villes du monde c’est le mien qu’elle a choisi ». Et puis ces phrases qui reviennent régulièrement comme la musique de Sam, cette manière nonchalante, presque langoureuse que Rick a de dire « Here’s looking at you, kid » .

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    Et comme si cela n’était pas suffisant, la musique est là pour achever de nous envoûter. Cette musique réminiscence de ces brefs instants de bonheur à Paris, entre Rick et Ilsa, à « La Belle Aurore » quand l’ombre ne s’était pas encore abattue sur le destin et qu’il pouvait encore être une « belle aurore », ces souvenirs dans lesquels le « Play it again Sam » les replonge lorsque Ilsa implore Sam de rejouer ce morceau aussi célèbre que le film : « As time goes by » ( la musique est signée Max Steiner mais As time goes by a été composée par Herman Hupfeld en 1931 même si c’est Casablanca qui l’a faîte réellement connaître).

    Et puis il y a la ville de Casablanca d’une ensorcelante incandescence qui vibre, grouille, transpire sans cesse de tous ceux qui s’y croisent, vivent de faux-semblants et y jouent leurs destins : corrompus, réfugiés, nazis, collaborateurs… .

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    Des scènes d’anthologie aussi ont fait entrer ce film dans la légende comme ce combat musical, cet acte de résistance en musique (les partisans des Alliés chantant la Marseillaise couvrant la voix des Allemands chantant Die Wacht am Rhein, et montrant au détour d’un plan un personnage changeant de camp par le chant qu’il choisit) d’une force dramatique et émotionnelle incontestable.  Puis évidemment la fin que les acteurs ne connaissaient d’ailleurs pas au début et qui fut décidée au cours du tournage, cette fin qui fait de Casablanca sans doute une des trois plus belles histoires d’amour de l’histoire du cinéma.

    Le tournage commença ainsi sans scénario écrit et Ingrid Bergman ne savait alors pas avec qui son personnage partirait à la fin, ce qui donne aussi sans doute à son jeu cette intrigante ambigüité. Cette fin ( jusqu’à laquelle  l’incertitude est jubilatoire pour le spectateur) qui rend cette histoire d’amour intemporelle et éternelle. Qui marque le début d’une amitié et d’un engagement (le capitaine Renault jetant la bouteille de Vichy, symbole du régime qu’il représentait jusqu’alors) et est clairement en faveur de l’interventionnisme américain, une fin qui est aussi  un sacrifice, un combat pour la liberté qui subliment l’histoire d’amour, exhalent et exaltent la force du souvenir (« nous aurons toujours Paris ») et sa beauté mélancolique.

    La réalisation de Michael Curtiz est quant à elle élégante, sobre, passant d’un personnage à l’autre avec beaucoup d’habileté et de fluidité, ses beaux clairs-obscurs se faisant l’écho des zones d’ombre  des personnages et des combats dans l’ombre et son style expressionniste donnant des airs de film noir à ce film tragique d’une beauté déchirante. Un film qui comme l’amour de Rick et Ilsa résiste au temps qui passe.

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    Le tout concourant à ce romantisme désenchanté, cette lancinance nostalgique et à ce que ce film soit régulièrement classé comme un des meilleurs films du cinéma mondial. En 1944, il fut ainsi couronné de trois Oscars (meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté, meilleur film) et l’American Film Institute, en 2007, l’a ainsi classé troisième des cents meilleurs films américains de l’Histoire derrière l’indétrônable Citizen Kane et derrière Le Parrain.

    Le charme troublant de ce couple de cinéma mythique et le charisme ensorcelant de ceux qui les incarnent, la richesse des personnages secondaires,  la cosmopolite Casablanca, la musique de Max Steiner, la voix de Sam douce et envoûtante chantant le nostalgique As time goes by, la menace de la guerre lointaine et si présente, la force et la subtilité du scénario (signé Julius et Philip Epstein d’après la pièce de Murray Burnett et Joan Alison Everybody comes to Rick’s), le dilemme moral, la fin sublime, l’exaltation nostalgique et mélancolique de la force du souvenir et de l’universalité de l’idéalisme (amoureux, résistant) et du combat pour la liberté font de ce film un chef-d’œuvre…et un miracle quand on sait à quel point ses conditions de tournage furent désastreuses.

    La magie du cinéma, tout simplement, comme le dit Lauren Bacall : « On a dit de Casablanca que c’était un film parfait évoquant l’amour, le patriotisme, le mystère et l’idéalisme avec une intégrité et une honnêteté que l’on trouve rarement au cinéma. Je suis d’accord. Des générations se plongeront dans le drame du Rick’s Café Américain. Et au fil du temps, le charme de Casablanca, de Bogey et de Bergman continuera à nous ensorceler. C’est ça, la vraie magie du cinéma ».

    Un chef-d’œuvre à voir absolument. A revoir inlassablement. Ne serait-ce que pour entendre Sam (Dooley Wilson)  entonner As time goes by et nous faire chavirer d’émotion …

     
     
    Préventes complètes. Pour les abonnés Libre Pass, quota disponible sur place 1h avant. Pour les non-abonnés Libre Pass : file d'attente en billetterie 1h avant le début de la séance.
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  • Critique - LES PETITS MOUCHOIRS de Guillaume Canet

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    Direction le Cap-Ferret, une maison en bord de mer appartenant à Max (François Cluzet), une maison où chaque été se réunit une bande d’amis. Seulement cet été-là, tout est comme d’habitude et à la fois différent car l’un d’entre eux, Ludo (Jean Dujardin) manque à l’appel, retenu sur un lit d’hôpital. Chacun va mettre un « petit mouchoir » sur la vérité. Le petit mouchoir, c’est le voile du mensonge, le masque que chacun arbore pour ne pas dévoiler ses doutes, ses failles et ses angoisses. Les petits mouchoirs, ce sont les mensonges faits aux autres mais surtout à soi-même.


    Cela commence au Baron, boîte de nuit du 8ème arrondissement. Un habile plan-séquence qui nous plonge dans cette frénésie et en capture la gravité masquée de bonne humeur excessive : la gaieté feinte et les rires factices et exubérants suscités par l’alcool, la drogue, la tristesse dissimulée. Puis c’est le fracas de la réalité. Et le retour à la vie normale comme si de rien n’était… ou presque.


    Guillaume Canet nous immerge alors dans la vie de ces amis au Cap-Ferret avec la volonté délibérée de faire « un film de potes » comme il le dit lui-même. S’il évoque notamment « Mes meilleurs copains » de Jean-Marie Poiré, en inconditionnelle du cinéma de Claude Sautet, j’ai évidemment plutôt pensé à « Vincent, François, Paul et les autres ». D’ailleurs, Benoît Magimel s’appelle Vincent, François Cluzet s’appelle ici Max (comme Michel Piccoli dans « Max et les ferrailleurs ») et il m’a rappelé ce dernier dans la fameuse scène de colère de « Vincent, François, Paul et les autres ». Gabin aussi, si célèbre pour ses scènes de colère. Et la maison du Cap-Ferret peut faire songer à celle de « César et Rosalie ».


    Même si Guillaume Canet réalisateur n’atteint pas cette note parfaite, cette virtuosité à laquelle accédait Claude Sautet, mélomane averti, il y a dans ce film cette même quête de raconter la complexité derrière « une histoire simple », de quérir les frémissements de vie, les fléchissements en chacun, de dévoiler une part du mystère dans lequel chacun se drape.


    Plus qu’à Claude Sautet, il m’a d’ailleurs fait penser à Lelouch (même s’il reniera peut-être cette comparaison, lui qui lorgne davantage du côté du cinéma américain et cite plus volontiers Cassavetes) dans sa quête de « fragments de vérité », dans sa sincérité, dans sa façon de filmer au plus près des visages, d’effleurer presque amoureusement ses personnages, et de constamment chercher à tirer le meilleur de ses acteurs. Les virtuoses, ce sont eux et c’est la raison pour laquelle il n’a pas voulu faire de l’esbroufe dans sa réalisation. Sa mise en scène se fait donc ainsi discrète. Le cadre à la fois étouffe et caresse les personnages et les enserre, comme ils le sont dans leurs apparences et leurs mensonges.


    Le casting est irréprochable. Chaque apparition de François Cluzet est un pur bonheur, à la fois irascible et touchant, volubile et secret. Benoît Magimel dégage un charme mélancolique irrésistible. Marion Cotillard n’a jamais été filmée aussi amoureusement, à la fois frontalement et délicatement. Valérie Bonneton est férocement drôle et Gilles Lellouche incarne avec beaucoup de nuances son personnage qui accepte enfin et trop tard de grandir. Quant à Joel Dupuch, il est plus qu’il ne joue et le film y gagne en émotion et gravité.
    La comparaison avec Lelouch s’arrête là parce que Canet impose son propre rythme et son propre style et de films en films construit son propre univers.


    « Les petits mouchoirs » dure 2H25, beaucoup trop semble-t-il pour certains. Or, justement, c’est cette durée qui nous permet de créer la proximité avec les personnages, c’est une durée qui coïncide judicieusement avec le fond du film. Une durée nécessaire pour donner du temps au temps, pour laisser tomber les masques, pour prendre le temps de vivre, d’accepter la qualité des silences, du temps qui passe, et pour en saisir la beauté et la violence fugaces. Canet n’est pas dans le spectaculaire mais dans l’intime. Il ne cherche pas à nous en mettre plein la vue mais à ouvrir notre regard, lui laisser le temps de se poser, de regarder la vie qui passe et qu’il tente de capter. Certaines scènes peut-être auraient pu être écourtées voire supprimées –même si beaucoup l’ont déjà été puisque le montage initial faisait près de 4H-(et c’est là sans doute que le film est « trop » personnel, en totale empathie pour son sujet, ses personnages et ses acteurs, Guillaume Canet nous oublie un peu) mais il a en tout cas beaucoup de tendresse communicative pour ses personnages et ses acteurs et nous donne envie , malgré et à cause de leurs failles, de se joindre à eux.


    A l’issue de la projection (cette critique avait été écrite suite à l'avant-première du film, en présence de l'équipe il y a 9 ans), Guillaume Canet avait demandé que nous n’évoquions ni la fin ni le début, tétanisé visiblement à l’idée qu’ils puissent être dévoilés, pourtant ce n’est pas là que réside le principal intérêt de son film. La fin est d’ailleurs attendue mais non moins bouleversante faisant surgir l’émotion contenue qui explose et avec elle les masques de chacun, faisant voler en éclats les petits mouchoirs posés sur la vérité. Le rire n’a jamais si bien illustré sa définition de « politesse du désespoir », tout son film est jalonné de moments drôles et savoureux mais qui sont aussi touchants parce que la culpabilité et/ou la tristesse affleurent dans un regard soudainement assombri. Son film souffre donc (un peu) mais s’enrichit (surtout) d’être très personnel.


    Un film choral qui vous donne envie de prendre le temps de vivre, de laisser choir le voile du mensonge, de regarder et voir, d’écouter et d’entendre. Et c’est finalement là sans doute la plus discrète des audaces et sa vraie réussite. . Malgré quelques longueurs vous ne verrez pas passer les 2H25 de ce troisième long-métrage de Guillaume Canet qui enlace ses personnages avec une tendre lucidité et embrasse la vie et sa cruauté poignante et involontaire avec tendresse et qui, à son image, complexe et paradoxale, s’achève sur une touchante note de tristesse et d’espoir et nous laisse avec le souvenir de son entêtante bo et de ses personnages que nous avons hâte de retrouver dans "Nous finirons ensemble" (en salles le 1er Mai).

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  • "Normandes en tête" au CID de Deauville et avant-première de "Mon bébé de Lisa Azuelos à Deauville

    Pour lire mon article à ce sujet, rendez-vous sur mon autre blog Inthemoodfordeauville.com, en cliquant ici.

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