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les cinoches

  • "César et Rosalie" de Claude Sautet: dimanche soir au ciné club du restaurant Les Cinoches

    cesar.jpgMa programmation se poursuit au ciné club du restaurant "Les Cinoches" avec, dimanche prochain, à 21h, "César et Rosalie" de Claude Sautet.

    A cette occasion j'ai consacré un dossier à Claude Sautet incluant évidemment la critique de "César et Rosalie", ici.

    Et cliquez là pour en savoir plus sur "Les Cinoches".

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  • Cycle Alain Delon- Critique de « Plein soleil » de René Clément (1960)

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    Après les critiques de « La Piscine », « Borsalino », « Le Guépard », « Monsieur Klein »,  « Le Cercle rouge », "Le Professeur", je poursuis aujourd'hui le cycle consacré à Alain Delon sur inthemoodforcinema.com avec « Plein soleil » de René Clément, l'un des films que j'ai choisis dans le cadre de la programmation du ciné club du restaurant Les Cinoches.

    Dans ce film de 1960, Alain Delon est Tom Ripley, qui, moyennant  5000 dollars, dit être chargé par un milliardaire américain, M.Greenleaf, de ramener son fils Philippe (Maurice Ronet) à San Francisco, trouvant que ce dernier passe de trop longues vacances en Italie auprès de sa maîtresse Marge (Marie Laforêt). Tom est constamment avec eux, Philippe le traite comme son homme à tout faire, tout en le faisant participer à toutes ses aventures sans cesser de le mépriser. Mais Tom n'est pas vraiment l'ami d'enfance de Philippe qu'il dit être et surtout il met au point un plan aussi malin que machiavélique pour usurper l'identité de Philippe.

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    « Plein soleil » est une adaptation d'un roman de Patricia Highsmith (écrite par Paul Gégauff et René Clément) et si cette dernière a été très souvent adaptée (et notamment   le roman le « Talentueux  Monsieur Ripley » titre originel du roman de Patricia Highsmith qui a fait l'objet de très nombreuses adaptations et ainsi en 1999 par Anthony Minghella avec Matt Damon dans le rôle de Tom Ripley), le film de René Clément était selon elle le meilleur film tiré d'un de ses livres.

    Il faut dire que le film de René Clément, remarquable à bien des égards, est bien plus qu'un thriller. Par l'évocation de la jeunesse désinvolte, oisive, désœuvrée, égoïste, en Italie, il fait même penser à la « Dolce vita » de Fellini.

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     Cette réussite doit beaucoup à la complexité du personnage de Tom Ripley et à celui qui l'incarne. Sa beauté ravageuse, son identité trouble et troublante, son jeu polysémique en font un être insondable et fascinant dont les actes et les intentions peuvent prêter à plusieurs interprétations. Alain Delon excelle dans ce rôle ambigu, narcissique, où un tic nerveux, un regard soudain moins assuré révèlent l'état d'esprit changeant du personnage. Un jeu double, dual comme l'est Tom Ripley et quand il imite Philippe (Ronet) face au miroir avec une ressemblance à s'y méprendre, embrassant son propre reflet, la scène est d'une ambivalente beauté. Si « Plein soleil » est le cinquième film d'Alain Delon, c'est aussi son premier grand rôle suite auquel Visconti le choisit pour « Rocco et ses frères ». Sa carrière aurait-elle était la même s'il avait joué le rôle de Greenleaf qui lui avait été initialement dévolu et s'il n'avait insisté pour interpréter celui de Tom Ripley ? En tout cas, avec « Plein soleil » un mythe était né et Delon depuis considère toujours Clément comme son « maître absolu ». Ils se retrouveront d'ailleurs peu après pour les tournages de « Quelle joie de vivre » (1960), « Les Félins » (1964) et enfin « Paris brûle-t-il ? » en 1966.

     Face à lui, Ronet est cynique et futile à souhait. Le rapport entre les deux personnages incarnés par  Delon et Ronet est d'ailleurs similaire à celui qu'ils auront dans « La Piscine » de Jacques Deray 9 ans plus tard, le mépris de l'un conduisant pareillement au meurtre de l'autre. Entre les deux, Marge se laisse éblouir par l'un puis par l'autre, victime de ce jeu dangereux mais si savoureux pour le spectateur qui ne peut s'empêcher de prendre fait et cause pour l'immoral Tom Ripley.

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    L'écriture et la réalisation de Clément procurent un caractère intemporel à ce film de 1960 qui apparaît alors presque moins daté et plus actuel que celui de Minghella qui date pourtant de 1999 sans compter la modernité du jeu des trois acteurs principaux qui contribue également à ce sentiment de contemporanéité. « Plein soleil » c'est aussi la confrontation entre l'éternité et l'éphémère, la beauté éternelle et la mortalité, la futilité pour feindre d'oublier la finitude de l'existence et la fugacité de cette existence. Les couleurs vives avec lesquelles sont filmés les extérieurs renforcent cette impression de paradoxe, les éléments étant d'une beauté criminelle et trompeuse à l'image de Tom Ripley. La lumière du soleil, de ce plein soleil, est à la fois élément de désir, de convoitise et  le reflet de ce trouble et de ce mystère. Une lumière si bien mise en valeur par le célèbre chef opérateur Henri Decaë. L'éblouissement est celui exercé par le personnage de Tom Ripley  qui est lui-même fasciné par celui dont il usurpe l'identité et endosse la personnalité. Comme le soleil qui à la fois éblouit et brûle, ils sont  l'un et l'autre aussi fascinants que dangereux.

    Acte de naissance d'un mythe, thriller palpitant, personnage délicieusement ambigu, lumière d'été trompeusement belle aux faux accents d'éternité, « Plein soleil » est un chef d'œuvre du genre dans lequel la forme coïncide comme rarement avec le fond, les éléments étant la métaphore parfaite du personnage principal. « Plein soleil », un film trompeusement radieux par lequel je vous conseille vivement de vous laisser éblouir !

    Cliquez ici pour accéder à la page officielle du ciné club Les Cinoches.

  • Inthemoodforcinema choisit la programmation du ciné club du restaurant Les Cinoches à partir du 2 mai

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    Les Cinoches. Voilà l'adresse qui manquait à Saint-Germain-des-Prés! J'y suis retournée à maintes reprises depuis que je l'ai découverte au hasard de mes déambulations germanopratines. L'endroit n'a jamais démérité. Cuisine de qualité, accueil chaleureux, lieu moderne mais cosy, depuis son ouverture en septembre 2009, ce restaurant a su s'imposer comme une adresse incontournable du quartier. Contrairement à nombre d'endroits à la mode où la décoration est particulièrement soignée  au détriment de la cuisine, ni l'un ni l'autre ne sont négligés et pour cause: aux commandes  se trouve le chef Frédéric Calmels, ancien du Lancaster et second de la Tour d’Argent. Les plats  sont aussi simples que délicieux,  à des prix très abordables pour le quartier avec, notamment, un menu à 18€ pour le déjeuner  mais aussi un brunch, le dimanche, pour 25€. La carte, toujours avec des produits frais de saison, varie fréquemment. Les bar des Cinoches vous accueille également avant et après les repas pour les noctambules. Depuis le 22 mars, les Cinoches ont également ouvert leur terrasse qui donne sur la rue de Condé, point stratégique pour observer la joyeuse comédie humaine germanopratine ou pour simplement se détendre (l'un n'empêchant pas l'autre me direz-vous). Quant à la décoration, à l'image de la carte, elle varie elle aussi  avec régulièrement de nouvelles oeuvres aux murs pour le plus grand plaisir des esthètes, à l'exemple des photographies de Karl Lagerfeld.

    Cet endroit est d'autant plus incontournable pour moi qu'il s'agit d'une ancienne salle art et essai reconvertie en restaurant et que, comble du rêve pour une cinéphile gastronome, chaque dimanche soir, le restaurant devient ciné club et donc le rendez-vous des gastronomes, des cinéphiles...et des cinéastes. Vous pouvez suivre les films sur un fauteuil côté bar ou depuis le restaurant,  aux premières loges juste sous l'écran si vous souhaitez écouter et regarder religeusement le film présenté, ou plus loin si votre attention se veut plus volatile. Je pense que vous aurez compris que je vous recommande les lieux sans réserves.

    J'ai donc le grand plaisir et l'honneur de faire la programmation de mon nouveau quartier général, à partir du 2 mai et cela pour 8 semaines. Il faut dire que Les Cinoches n'avaient pas besoin de moi pour avoir une excellente et judicieuse programmation, le maître des lieux étant aussi un grand cinéphile. Chaplin, Godard, Melville ...y ont ainsi été régulièrement projetés.

    A partir du 2 mai, je prends donc toutes les récriminations si la programmation ne vous satisfait pas et remercie au passage la direction de m'avoir laissé entière liberté quant au choix des films présentés.:-) J'ai tenu compte du fait que nous sommes au printemps en évitant les films trop sombres (dans tous les sens du terme)... Un film avec Alain Delon était pour moi évidemment incontournable ("La Piscine", "Le Samouraï", "Rocco et ses frères", "Borsalino",   "Le Guépard", "Monsieur Klein", "Le Cercle rouge" - d'ailleurs déjà projeté aux Cinoches-...je n'avais que l'embarras du choix, j'ai donc choisi le plus estival: "Plein soleil" même si "La Piscine aurait également bien convenu). Un film de Claude Sautet était également pour moi inévitable, j'ai choisi le plus joyeux: "César et Rosalie" (même si "Un coeur en hiver" reste pour moi le meilleur) . Je vous reparlerai plus en détails de la programmation tout au long des semaines à venir et les critiques des films présentés manquantes viendront s'ajouter à celles figurant déjà sur le blog.

     Voici donc les films qui seront projetés à partir du 2 mai, chaque dimanche, à 21H. Vous pouvez accéder à la page du ciné club en cliquant ici. Vous pouvez lire mes critiques ou commentaires sur le film concerné en cliquant sur son titre avec, dans l'ordre de leurs dates de programmation:

    "Les Enchaînés" d'Alfred Hitchcock (1946)

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    "Ridicule" de Patrice Leconte (1996) (critique à venir)
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    INFORMATIONS PRATIQUES:
    Les Cinoches
    1 rue de Condé
    75006 Paris
    Métro: Odéon
    Tél: 0143541821
    Ouvert tous les jours de 9h à 2h
    Pour en savoir plus sur la programmation du ciné club: cliquez ici (avec au programme, avant la programmation "made in in the mood for cinema", "Inside man" de Spike Lee, demain, 25 avril)
    Ciné club, chaque dimanche soir, à partir de 21h
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    Lien permanent Imprimer Catégories : CINE CLUB LES CINOCHES Pin it! 0 commentaire
  • "Le Quai des brumes" de Marcel Carné ,dimanche, au restaurant ciné-club Les Cinoches (Paris, 6ème): analyse du film

    quaidesbrumes2.jpgJe vous ai déjà parlé du nouveau restaurant ciné-club du 6ème, "Les Cinoches" (cliquez ici pour lire mon article qui y était consacré) qui, en parallèle de votre dîner, chaque dimanche soir, propose des séances de ciné-club avec, en première partie, un classique du cinéma plus ancien et, en seconde partie, un film plus récent. La sélection est, jusqu'à présent, éclectique et judicieuse.

    Pour le 14 février, la programmation est donc "spéciale Saint-Valentin" avec, en première partie (à 19H) le sublime "Le Quai des brumes" de Marcel Carné, un film de 1938 qui incarne la poésie désenchantée de Prévert et Carné, célèbre pour la cultissime réplique de Gabin à Morgan, couple mythique, "T'as de beaux yeux tu sais".  Ce film est pourtant bien plus que cette réplique, il en contient d'ailleurs beaucoup d'autres. Je vous en propose l'analyse ci-dessous.

     La seconde partie de soirée sera consacrée à "Love actually" de Richard Curtis (à 21h), comédie romantique par excellence que je vous recommande également.

     Et si voir ces films aux "Cinoches" vous tente, l'adresse: 1 rue de Condé, dans le 6ème donc, et le site officiel: http://www.lescinoches.com .

    A noter les prochaines séances: le 21 février, la soirée sera consacrée à Faye Dunawaye avec, en première partie "L'affaire Thomas Crown" de Norman Jewison et en seconde partie "Arizona dream" d'Emir Kusturica. Le 28 février, la soirée sera consacrée à Jean-Paul Belmondo avec, en première partie, "Le Magnifique" de Philippe de Broca et la seconde partie "Itinéraire d'un enfant gâté" de Claude Lelouch. A quand une soirée Alain Delon?

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                  Le Quai des brumes : un cinéma du désenchantement

    Avant même d’en dépeindre l’atmosphère, le synopsis du Quai des brumes laisse déjà entrevoir le pessimisme qui émane de ce film et qui suffira à certains pour le qualifier de « film manifeste » du réalisme poétique.

    Le sceau de la fatalité

    Un déserteur de la coloniale Jean (Jean Gabin), arrive au Havre en espérant s’y cacher avant de partir à l’étranger. Dans la baraque du vieux Panama (Edouard Delmont)où il trouve refuge grâce à un clochard, il rencontre le peintre fou Michel Krauss(Robert Le Vigan) et une orpheline : Nelly(Michèle Morgan) .Cette dernière vit chez son tuteur Zabel (Michel Simon), qui tente d’abuser d’elle. Au moment où Jean se croit sauvé, un destin tragique va l’emporter, malgré la passion de Nelly et sa nouvelle envie de vivre.

    Le quai des brumes est une adaptation du roman de Pierre Mac Orlan de 1928 qui se déroule à Montmartre en 1900. Les services de propagande de la UFA jugent le sujet du film décadent et font savoir qu’il n’est pas souhaitable de le tourner. Le film devait en effet être tourné en Allemagne dans le cadre des accords de coproduction franco allemande mais les censeurs d’outre Rhin effarouchés par le pessimisme du sujet refusèrent l’autorisation de tourner à Hambourg les scènes qui dans le roman se déroulaient à Montmartre. La ténacité de Gabin permettra néanmoins au projet d’aboutir et c’est d’ailleurs lui qui imposera le scénariste Prévert et le réalisateur Carné. Gabin avait refusé de jouer dans Jenny et avait été intrigué par Drôle de drame. Rabinovitch, le producteur qui reprend le projet, l’accepte sur le nom de Gabin sans même avoir lu le scénario. Il le lira à la veille du tournage et n’aura de cesse de répéter « c’est sale, c’est sale », n’aimant pas le projet, refusant même que son nom apparaisse au générique et insistant pour qu’il y figure lorsque le film connaîtra un triomphe : un triomphe aussi bien en salle où il sera applaudi à l’issue de sa première projection (fait rarissime)-au cinéma Marivaux le 18 mai 1938-, que chez les professionnels pusqu’il reçut le prix Louis Delluc 1939 et le Lion d’or à Venise. A l’exception de l’Humanité et de l’Action Française le film est également encensé par la presse. Mac Orlan lui-même dira aimer cette « version nettement désespérée ». Le projet parvint donc à se monter sans veto de la commission de censure, si ce n’est le Ministère de la guerre qui exigea tout de même que le mot « déserteur » ne soit jamais prononcé et que le héros plie soigneusement ses effets militaires au lieu de les jeter en vrac, au cours d’une scène où il doit les remettre au tenancier du cabaret. Le producteur essaiera d’obtenir d’autres coupures mais grâce à l’obstination de Carné la seule qu’il parvint à obtenir fut celle d’une scène où l’on devait voir Michel Krauss nu et de dos s’avancer dans la mer. Dans la version définitive, son suicide est seulement évoqué mais pas montré.

    Dès les premiers plans, le décor (finalement celui du Havre) est planté, l’atmosphère est caractérisée. Jean est un personnage taciturne, suivi par un chien abandonné tel un miroir de lui-même. L’inéluctabilité du malheur résulte bien sûr du récit mais avant tout des personnages : un peintre fou, un mauvais garçon jaloux et violent, Lucien(interprété par Pierre Brasseur), un tuteur qui convoite sa pupille, un déserteur . Le destin de chacun semble être tracé dès les premières minutes du film et voué à la tragédie et au drame. Le décor et son charme triste créé par la pluie et la brume et les dialogues de Prévert renforcent cette impression. Les dialogues sont ceux de personnage pessimistes, et même davantage : désenchantés. Ainsi pour le peintre : « Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses. Quand je peins un nageur, je vois un noyé. », « Oh, le monde il est comme il est, plutôt sinistre, plutôt criminel. », « Je verrais un crime dans une rose ». Les personnages ne croient plus en la vie, ni en l’amour : « Qu’est-ce qu’ils ont tous à parler d’amour, est-ce qu’il y a quelqu’un qui m’aime, moi ? » regrette Michel Simon qui se dit « amoureux comme Roméo avec la tête de barbe bleue. » Si la fatalité de la guerre semble planer comme la tragédie au-dessus des têtes des protagonistes, elle se confond avec le regret de 1936 : « C’est beau d’être libre. Oui, c’est beau, l’indépendance, la liberté. » Le cadre de la fête foraine à la fin du film rappelle également l’euphorie de 1936 et exacerbe encore le désenchantement dont elle est alors le cadre. Le thème de la solitude revient également comme un leitmotiv : « C’est difficile de vivre. », « Oui, on est seuls », « On rencontre des gens qu’on ne reverra peut-être pas et qui nous rendent service. » C’est un univers hanté par la mort comme la réalité est hantée par le spectre de la guerre : la mort se présente sous plusieurs formes. C’est d’abord le suicide avec le peintre, le meurtre avec Zabel, et la mort par la fatalité, dont la rencontre avec Nelly n’a fait que repousser l’échéance, celle du déserteur tué par la police. Nelly semble être la seule à matérialiser une forme de rêve, un ailleurs mais ses propos ne sont pas moins pessimistes : « Mais ce n’est pas le fond de la mer. Le fond de la mer, c’est plus loin, plus profond. »Le couple formé par Jean Gabin et Michèle Morgan dans Le quai des brumes est caractéristique du climat de lourde fatalité de l’avant guerre. Les personnages démissionnent tous face au cataclysme qui les menace comme la guerre menace la France et le monde. Ce pessimisme vaudra au Quai des brumes d’être un des premiers films interdits par le gouvernement français au moment de la déclaration de guerre, celui-ci le qualifiant de « démoralisateur ». 

     Le film emblématique du réalisme poétique

     Même si, chronologiquement, Le quai des brumes n’est pas le premier film à pouvoir s’inscrire sous la dénomination de réalisme poétique, même si c’est déjà le troisième film de Marcel Carné il est bien souvent qualifié de « film manifeste » de ce mouvement et même parfois de film créateur de ce mouvement. Il en a peut-être en revanche poussé les caractéristiques à leur paroxysme. Son atmosphère lugubre, bouleversante, mélancolique, ses personnages voués à un destin tragique, les décors embrumés de Trauner, la poésie de Prévert le classent indéniablement dans cette catégorie. Le réalisme poétique également synonyme de classicisme sera donc bien souvent décrié même si certains le défendirent comme le critique Claude Briac qui écrivit qu’il « n’y a pas au monde dix réalisateurs capables de réaliser un tel film. » Marcel Carné lui-même réfutait d’ailleurs cette dénomination de réalisme poétique à laquelle il préférait celle de « fantastique sociale » imaginée par Mac Orlan. Cela n’empêchera pas certains critiques d’encenser le film justement parfois grâce à ses caractéristiques propres à cette dénomination. Ainsi dans L’avant-garde du 28 Mai 1938 on pouvait lire : « en dépit de cette atmosphère de misère morale, physique et physiologique, peut-être même à cause de cette atmosphère, trouble, floue, brumeuse, le Quai des brumes est un chef d’œuvre. » 

     Des personnages victimes de la fatalité et une société qui court à sa perte

    Cette inéluctabilité du malheur s’incarne essentiellement dans un acteur, Jean Gabin, et dans un mouvement cinématographique, le réalisme poétique.

    Jean Gabin ou le mythe du héros tragique contemporain

    Dès la Bandera, l’image de Gabin était marquée du sceau de la fatalité et l’enchaînement inéluctable de ses infortunes procèderait, dans ses films à venir, d’un crime commis par désespoir d’amour : la Belle équipe qui se solde par le meurtre de Charles Vanel, Pépé le Moko dont le héros meurt sur le port d’Alger après avoir voulu rejoindre celle qu’il aimait etc. L’image du garçon malchanceux poursuivi par la fatalité sociale et victime du trop grand prix qu’il accorde à l’amour des femmes, sera celle de Gabin jusqu’au Jour se lève. Tous ses personnages sont voués à la mort comme la France est vouée à la guerre : que ce soit le sableur du Jour se lève, le déserteur du Quai des brumes ou le cheminot fou de La bête humaine ou encore le pittoresque Pépé de Pépé le Moko. C’est néanmoins toujours un personnage doté de moral et s’il tue, il n’est pas pour autant un assassin. C’est bien souvent la folie ou la fatalité qui le poussent au crime. Zola définit ainsi Lantier comme « un homme poussé à des actes où sa volonté n’était pour rien », une définition qui pourrait s’appliquer à chacun des personnages incarnés par Gabin. Dans tous ces films Gabin incarne un séducteur, la plupart du temps malgré lui, qui ne croit plus en rien mais dont l’amour s’empare et que la fatalité pousse à une fin tragique. Tout en continuant à incarner le Front Populaire, Gabin incarne donc ces destins tragiques comme s’il incarnait, au-delà de personnages fictifs, le destin d’un Etat. D’après la définition communément admise le mythe est une croyance, largement représentée dans l’imagination collective, en une fable porteuse de vérité symbolique et répondant aux inspirations souvent inconscientes de ceux qui la partagent .Le mythe transmet, justifie, renforce et codifie les croyances, valeurs et coutumes sociales. Il permet la projection des fantasmes et des problèmes d’une société lorsque celle-ci ne peut les satisfaire ou les résoudre. Elle apporte à l’homme moderne la certitude et la cohésion dont il a besoin , l’aide à se définir et lui fournit des modèles d’authentification .Les films ,comme les autres œuvres humaines , véhiculent des mythes , archétypes ,symboles , et stéréotypes qui expriment la mentalité collective de leur époque… Le mythe de Jean Gabin représente donc une mentalité pessimiste et les films dans lesquels il évolue : l’angoisse collective de la guerre. Au-delà de son immense talent le succès de Gabin s’explique donc aussi par les attentes, les craintes plus ou moins conscientes de la population, qu’il incarne. Les angoisses de ses personnages coïncident avec celles de la population, voyant en Gabin le « héros tragique par excellence du cinéma français d’avant-guerre », un héros dont les craintes résonnent avec une étonnante humanité et vérité dans ce contexte où l’héroïsme sera parfois le fruit des circonstances. Gabin c’est aussi l’incarnation du peuple ouvrier représenté pour la première fois à l’écran st ainsi selon Jean-Michel Frodon « Avec la double mort de Gabin-Lantier(La bête humaine) et de Gabin-François(Le jour se lève), le peuple ouvrier français quitte pour toujours les écrans. Le Gabin d’avant-guerre incarne donc une défaite, celle de l’idéologie et de l’époque du Front Populaire, qui voyait dans la classe ouvrière l’avenir du monde. » Pour d’autres comme Weber, .., ce « mythe emblématique et récurrent de l’ouvrier », « voué à l’échec » et « écrasé par la fatalité » reste l’image que se font les producteurs et les cinéastes de l’époque du prolétariat et qui selon lui représentent un « bel exemple d’idéologie dominante. » 

     Le mythe du réalisme poétique : reflet d’une angoisse collective.

    Le succès du Quai des brumes agit comme un révélateur. Les principaux succès de l’époque sont des comédies, des films d’espionnage ou d’aventures exotiques qui contrastent avec la noirceur absolue du film de Carné comme si les spectateurs se sentaient inconsciemment attirés par ce film comme par un miroir, celui de ses angoisses. Comme l’affirmait Ferro le cinéma « offre un outil d’investigation irremplaçable pour dévoiler le réel et révéler les non dits d’une société (…)de découvrir le latent derrière l ‘apparent, d’atteindre des zones inaccessibles par l’écrit » et de montrer comme l’a écrit Maurice Merleau Ponty la « pensée dans les gestes, la personne dans la conduite, l’âme dans le corps ». Le réel n’est donc pas celui que donne à voir les comédies mais celui qui semble si surréaliste par son pessimisme et qui sera pourtant bientôt la tragique réalité. La France court à sa perte, ne croit plus en son avenir comme Jean dans Le Quai des brumes, le poète Michel Krauss et les autres. Ce qui est encore invisible est pressenti par les réalisateurs. C’est avant tout en cela que le réalisme poétique peut être qualifié de mythe : les préoccupations des spectateurs s’incarnent dans ces films.

    D'autres critiques de classiques du 7ème art liées à celle-ci:

    "Le Jour se lève" de Marcel Carné et "Drôle de drame" de Marcel Carné

    Une autre suggestion pour la Saint-Valentin: "Sur la route de Madison" de Clint Eastwood

    Toutes mes critiques de classiques du 7ème art.