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rebecca marder

  • Critique de MON CRIME de François Ozon (au cinéma le 8 mars 2023)

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    Il faut toujours être particulièrement attentif aux premières minutes des films d’Ozon dans lesquelles tout est dit, ou presque. Ce sont immanquablement de brillants exercices d’exposition, mais aussi de manipulation, de ses scénarii ciselés, délicieusement retors et labyrinthiques. Les premiers plans sont ainsi annonciateurs des thématiques que chacun de ses films explore : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant.  Avec toujours ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traîtresse), qui relève souvent de la mise en abyme. Dès les premières secondes, Ozon happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera bien souvent à le déconstruire. Ce long-métrage ne déroge pas à la règle. C’est à nouveau le rideau de théâtre qui ouvre ce film plein de fantaisie, basé sur la théâtralité et le double jeu.

    Dans les années 30 à Paris, Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune et jolie actrice sans le sou et sans talent, est accusée du meurtre d’un célèbre producteur. Aidée de sa meilleure amie Pauline (Rebecca Marder), jeune avocate au chômage, elle est acquittée pour légitime défense. Commence alors une nouvelle vie, faite de gloire et de succès, jusqu’à ce que la vérité éclate au grand jour…

    Chaque début d’un film d’Ozon reste en mémoire. Ici, c’est à nouveau par un lever de rideau que tout commence. Dans Eté 85, c’est ainsi le cliquetis d’une cellule qu'on ouvre qui précède la vision de deux silhouettes dans la pénombre, fantomatiques. Et puis, ces mots tranchants et saisissants : « Je dois être dingue. Quand on a choisi la mort comme passe-temps, c'est qu'on est dingue. […] Ce qui m'intéresse c'est la mort. Un cadavre m'a fait un effet pas possible. Si vous n'avez pas envie de savoir comment il est devenu un cadavre alors vous n'avez qu'à laisser tomber ce n'est pas une histoire pour vous. » Ensuite, la rupture de style avec ces images éblouissantes de la plage du Tréport, sur fond de la musique de In Between days de The Cure. Toujours aussi cette dichotomie (là entre ombre et lumière, désirs -de vie, amoureux- et mort qui plane), présente dès le début, qui laisse présager un drame, inéluctable. L’illusion aussi : du bonheur, et celle que crée le cinéma. Un début qui rappelle celui de Frantz : les cloches d’une église qui retentissent et une silhouette fantomatique qui apparaît, furtivement, un homme de dos, courant dans la rue.  Les premiers plans d’Une nouvelle amie jouaient aussi avec notre perception de la réalité, et là aussi, se référaient à la mort, donnant l’impression qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage qui est en fait son enterrement. Là aussi, un premier plan dans lequel tout était dit : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, la double identité. François Ozon a le don, en un éclair, de happer le spectateur et de le plonger dans son univers. Il faudrait encore parler de Dans la maison, labyrinthe joyeusement immoral, drôle et cruel, dans lequel le sens aigu de la manipulation d’Ozon culminait.

    Cette fois, dans Mon crime : tout est dit aussi dans les premiers plans, suite à ce lever de rideau. Ne croyez pas ce que vous allez voir et entendre. Tout est scène de théâtre, jeu, mise en scène, tromperie. Dans le cinéma de François Ozon, les êtres ne sont jamais réellement ce qu’ils paraissent. Ils dissimulent une blessure, un secret, leur identité, un amour, une culpabilité.  Ses films sont ainsi souvent à l’image de ceux dont ils relatent l’histoire : en trompe-l’œil, multiples et audacieux, derrière une linéarité et un classicisme apparent. Manipulateur hors-pair, Ozon fait ainsi l’éloge de l’illusion et ainsi de son propre art comme dans Dans la maison dans lequel il s’amusait avec les mots faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Dans Mon crime, la coupable (du crime) n’est pas vraiment celle qui semble l’être…le paradoxe étant que cela ne fait pas vraiment d’elle une innocente puisqu’elle ment.

    Les films de François Ozon glorifient presque toujours le pouvoir des mots. Dans Frantz, Rilke était le poète préféré d’Anna, lui qui dans Lettres à un jeune poète, mieux que quiconque, a su définir l’art et l’amour, et les liens qui les unissent. Dans Été 85 aussi, l’écriture à nouveau permet à la vérité d’éclater et à l’amour de revivre, en tout cas une vérité, celle vue à travers le regard et les mots d’Alexis. Dans Dans la maison, Ozon rendait déjà hommage au prodigieux pouvoir des mots (dans Swimming pool aussi), à leur troublante beauté, nous donnant des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipulant tout comme l’élève y manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme. Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités sont aussi souvent à l’œuvre dans le cinéma d’Ozon.

    Après un libre remake des Larmes Amères de Petra Von Kant de Fassbinder avec Peter Von Kant, changement radical d’univers avec cette adaptation d’une pièce de Georges Berr et Louis Verneuil de 1934, qui, dans le ton et la forme, nous rappelle davantage 8 femmes et Potiche que le dernier film du cinéaste. La fantaisie, la légèreté, la théâtralité, l’absurde, la vivacité, le jeu sont ici à l’honneur. Les répliques fusent comme dans les "screwball comedies" auxquelles il rend ouvertement hommage (mêmes dialogues vifs et ton burlesque), notamment au cinéma de Lubitsch. La diversité des genres cinématographiques dans lesquels Ozon excelle est époustouflante, même si cette diversité est souvent prétexte à évoquer des thèmes récurrents évoqués plus hauts.

    La photographie et les décors suivent l’évolution des personnages : d’un réalisme assez sombre à des décors plus colorés et fantaisistes. La musique, de Philippe Rombi, entre nostalgie, gaieté et suspense épouse ces différents rythmes et univers. Elle se fait malicieuse aussi parfois avec le thème de La flûte merveilleuse. Les années 30 et le style Art Déco (magnifiques photographie de Manu Dacosse, décors de Jean Rabasse  et costumes de Pascaline Chavanne ) sont remarquablement reconstitués sans que cela fasse daté. Cette époque est évidemment un prétexte pour évoquer la nôtre comme ce fut le cas dans Potiche.

    Rappelez-vous…Catherine Deneuve (que François Ozon retrouvait 8 ans après Huit femmes) y incarne Suzanne Pujol, épouse soumise de Robert Pujol (Fabrice Luchini) que sa propre fille Joëlle (Judith Godrèche)  qualifie avec une cruelle naïveté de «potiche ». Nous sommes en 1977, en province, et Robert Pujol est un patron d’une usine de parapluies irascible et autoritaire aussi bien avec ses ouvriers qu’avec sa femme et ses enfants. A la suite d’une grève et d’une séquestration par ses employés, Robert a un malaise qui l’oblige à faire une cure de repos et s’éloigner de l’usine. Pendant son absence, il faut bien que quelqu’un le remplace. Suzanne est la dernière à laquelle chacun pense pour remplir ce rôle et pourtant elle va s’acquitter de sa tâche avec beaucoup de brio, secondée par sa fille Joëlle et par son fils Laurent (Jérémie Rénier). Qu’elle chante Emmène-moi danser ce soir, qu’elle esquisse quelques pas de danse avec Depardieu ou qu’elle fasse son jogging avec bigoudis, jogging à trois bandes, en parlant aux animaux (et à une nature, prémonitoire, elle aussi moins naïve qu'il n'y paraît) et écrivant des poèmes naïfs ou qu’elle se transforme en leader politique, chacune de ses apparitions (c’est-à-dire une grosse majorité du film) est réellement réjouissante…Si le film est empreint d’une douce nostalgie, et ancré dans les années 1970 et une période d’émancipation féminine, Ozon s’amuse et nous amuse avec ses multiples références à l’actualité et les couleurs d’apparence acidulées se révèlent beaucoup plus acides, pour notre plus grand plaisir. D’un Maurice Babin dont l’inénarrable inspiration capillaire vient de Bernard Thibault, à un Pujol aux citations sarkozystes en passant par une Suzanne qui s’émancipe et prend le pouvoir telle une Ségolène dans l’ombre de son compagnon qui finit par lui prendre la lumière sans oublier les grèves et les séquestrations de chefs d’entreprise, les années 70 ne deviennent qu’un prétexte pour croquer notre époque avec beaucoup d’ironie.

    Réjouissant est également un qualificatif qui pourrait s’appliquer à Mon crime. Ne croyez pas que le soit film figé dans une époque, c’est là encore également un prétexte à l’évocation de sujets terriblement actuels et le film est, comme Potiche, d’une grande modernité évoquant aussi l’émancipation féminine. Le verbe est à nouveau à l’honneur (notamment dans la scène du procès avec la plaidoirie flamboyante de Pauline). Rebecca Marder, après le remarquable Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain (dans lequel elle incarne une Irène qui irradie de joie de vivre, vibre de l’amour du théâtre et de la vie, des premiers élans amoureux aussi, contamine tout le film de la fouge de sa jeunesse, rôle pour lequel elle est nommée comme meilleur espoir féminin aux César 2023) et Simone de Olivier Dahan, virevolte ici avec brio.

    Les autres acteurs s’en donnent aussi à cœur joie : Nadia Tereszkiewicz, facétieuse comme il se doit, également nommée aux César 2023 pour Les Amandiers. Isabelle Huppert (tout aussi juste et bluffante que dans son rôle de La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé -au cinéma le 1er mars 2023-) campe ici une actrice excentrique, délurée, burlesque dont chaque apparition est un régal. Son jeu exagéré (elle joue une mauvaise actrice) illumine le film. Chaque acteur surjoue d’ailleurs parfaitement sa partition pour arriver à ce « crime » parfait. En particulier Fabrice Luchini, André Dussolier, Régis Laspalès, Daniel Prévost, Michel Fau, Myriam Boyer, Dany Boon (avec son improbable accent marseillais).

    Comme toujours, Ozon nous fait ici un peu l’éloge du mensonge pour démontrer les contradictions et absurdités de notre époque dans laquelle la notoriété arrive bien souvent pour de mauvaises raisons, et l’emporte même sur les causes de celle-ci. Madeleine, en s’accusant d’un crime qu’elle aurait commis dans un de acte légitime défense, devient célèbre et admiré de tous. Son crime devient sa gloire, sa carte de visite, son fait d’arme, son passeport pour la célébrité. Ozon jongle et joue avec la vérité et le mensonge, à propos du crime mais aussi de la confusion des sentiments du personnage de Pauline évoquée en filigrane. Tout le monde joue un rôle. Le tribunal même devient scène de théâtre. C’est de toute façon sur une scène de théâtre que tout se termine. La boucle est bouclée. Une fois de plus, Ozon, avec ce divertissement jubilatoire et féministe dans lequel la vie est scène de théâtre, démontre le pouvoir des illusions et des mots.  

    Un film au rythme haletant, enjoué, malin, réjouissant, rempli de fantaisie, ludique, qui joue : avec le noir et blanc et la couleur, le cinéma et le théâtre, la vérité et le mensonge, hier et aujourd’hui, le cinéma parlant et le muet, le bien et le mal. Dans Frantz, il fallait tout le talent du cinéaste pour, avec Le Suicidé (1877), le magnifiquement sinistre tableau de Manet, nous donner ainsi envie d’embrasser la vie. Ici, dans Mon crime, en théâtralisant à merveille, il nous donne envie d'appréhender la vie comme un jeu, un mensonge, ou un crime,…savoureux et toujours (faussement) innocents.

  • Critique – UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN de Sandrine Kiberlain

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    Ce film sorti en janvier dernier est désormais disponible en VOD notamment sur Universcine.com. Si comme moi vous l’aviez (honteusement) manqué en salles, et même s’il est toujours (et plus que jamais) préférable de voir un film au cinéma, je ne peux que vous recommander de rattraper ce premier long-métrage de Sandrine Kiberlain, notamment parce que rares sont les films dont le souvenir et le dernier plan vous saisissent ainsi pour ne plus vous quitter.

    Irène (Rebecca Marder) a 19 ans. L’âge de tous les possibles : les élans, les passions, les folies, les joies, l’aplomb et la timidité. Seulement, Irène vit à Paris. Seulement, c’est l’été 1942. Seulement, Irène est juive. En apparence insouciante, elle vit dans le même appartement que son père (André Marcon), son frère Igor (Anthony Bajon) et sa grand-mère Marceline (Françoise Widhoff). Il y a aussi son amie comédienne (India Hair). Ses journées sont rythmées par ses rêves de théâtre et de grand amour. Et par des évanouissements. Elle veut entrer au Conservatoire et répète avec Jo (Ben Attal) la scène qu’ils passeront ensemble pour le concours.

    Irène rayonne, virevolte, court d’un lieu à l’autre, passe d’un rêve à l’autre… Et pourtant sur cette joie juvénile qui pourrait être celle d’une jeune fille d’aujourd’hui plane une ombre grandissante. Jo disparaît, sans que personne ne sache ni où ni pourquoi. Et puis bientôt, l’inscription « juif » doit être placardée sur les cartes d’identité. Les téléphones, bicyclettes, radios sont aussi confisqués…  

    Une jeune fille qui va bien a été présenté en Séance Spéciale à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2021. C’est le premier long-métrage réalisé par Sandrine Kiberlain qui avait auparavant réalisé un court intitulé Bonne figure qui avait également été présenté à la Semaine de la Critique, en 2016. Elle en signe également le scénario. Tant de rôles marquants ont jalonné sa belle carrière. Parmi la soixantaine, je retiendrai celui des Patriotes d'Eric Rochant ou celui du film de Bruno Podalydès Les Deux Alfred, une comédie  à la fantaisie réjouissante, dans laquelle Bruno Podalydès porte un regard à la fois doux et acéré sur les absurdités de notre société, et dans laquelle elle est désopilante, en passant, à l'opposé, par Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé dans lequel en femme rayonnante mais blessée elle parvient à faire passer l'émotion sans jamais la forcer. Et tant d’autres….Avec ce long-métrage, elle s’impose aussi comme une réalisatrice de talent.  Elle s’est inspirée de ses propres souvenirs de cours d’art dramatique et du passé de sa famille sous l’Occupation pour écrire ce film follement solaire, sur fond d’une Histoire pourtant si sombre, dont la légèreté apparente souligne paradoxalement encore davantage la gravité et la violence d’une époque, majoritairement hors champ.

     Sandrine Kiberlain a en effet opter pour ce prisme brillant, pudique et audacieux : donner à son film qui se déroule en 1942 des couleurs intemporelles, et même très actuelles. L’intrigue pourrait parfaitement se dérouler en 2022, si… Et tout comme il est impossible d'oublier la petite fille au manteau rouge au milieu du noir et blanc dans La liste de Schindler de Spielberg, il sera impossible d'oublier la gaieté furieuse d'Irène et sa résistance à la résignation.

    Les décors et les costumes sont d’une sobriété telle qu’ils pourraient être d’aujourd’hui. La musique joue également volontairement la carte de l’anachronisme entre d’un côté la BO de Patrick Desremaux et de Marc Marder dont la clarinette représente la judéité et, de l’autre, des titres préexistants de Metronomy ou Tom Waits. L’identification et la résonance n’en sont que plus fortes. Retranscrire ces heures sombres sous des couleurs joyeuses et estivales rend le drame encore plus universel, poignant. Parce qu’à tout moment nous savons que la noirceur peut les ternir, recouvrir, annihiler. L’implicite et le silence sont omniprésents. L’occupant nazi n’apparaît jamais que par les conséquences de ses actes brutaux et iniques ou partiellement dans un ultime plan, d’une force inouïe. La menace est d’abord invisible. C’est une disparition. Puis, c’est l’antisémitisme de l’époque, qui connaît parfois de terribles résurgences, là aussi qui apparaît par bribes et qui n’a pas vraiment de visage. Les visages mis en lumière sont ceux des victimes et non des bourreaux, qui n’ont ainsi que le sort qu’ils méritent : l’ombre. Sur les victimes, la lumière, pour leur donner la parole et un visage.

     Ce sont aussi des scènes a priori anodines, lorsque Marceline et une amie cherchent la définition du mot peur dans le dictionnaire.  Ou ce silence éloquent lors d’un repas de famille. Et quand Irène doit arborer l’étoile jaune, la caméra n’insiste pas, de même lorsqu’elle est renvoyée de son travail d’ouvreuse dans un théâtre et que la scène est muette, montrée à travers une vitre. Toujours, l’éloquence du silence. Ou encore, lorsque sur ce banc du Jardin du Palais Royal où elle a l’habitude de se retrouver avec son père, la lumière s’abaisse, le plan se resserre. Comme si ce moment de quiétude n'était qu’un leurre.

    Ce film sur le passé célèbre la force et l’énergie du présent, sa beauté et sa fragilité. La force des mots aussi. Les mots tu(é)s. Les mots de Marivaux. Ceux par lesquels commencent le film lorsque les comédiens répètent. Finalement, avec cette tragédie réelle dans laquelle l’innommable se produisit, une réalité effroyable qu’aucune fiction n’aurait pu imaginer, la tragédie inventée semble plus acceptable, un refuge dans le sublime et dans l’ailleurs.

    Rebecca Marder est une Irène qui irradie de joie de vivre. Avec sa charmante maladresse et sa vitalité contagieuse, elle est absolument irrésistible. Elle vibre de l’amour du théâtre et de la vie, des premiers élans amoureux aussi. Et elle contamine tout le film de la fouge de sa jeunesse. Derrière sa légèreté perce pourtant par moments une gravité qui n’en est que plus ravageuse.  Elle apporte toute sa grâce à ce rôle magnifique, délicat, plein de charme et de candeur derrière lesquels elle dissimule la lucidité de ce qui se trame et que son corps lui rappelle par ses évanouissements. Pensionnaire depuis 2015 de la Comédie-Française, elle avait joué auparavant dans La Daronne, Un homme pressé et Seize Printemps, même si c’est là son premier grand rôle, et probablement pas le dernier. Autour d’elle, quelle pléiade d’acteurs ! André Marcon en père attentionné et inquiet qui cherche avant tout à protéger ses enfants, Anthony Bajon dont la présence singulière imprègne toujours fortement, cette fois dans le rôle du frère. India Hair dans le rôle de l’amie dont la capacité à nous faire passer du rire aux larmes contribue beaucoup aussi à la force de la dernière scène. Françoise Widhoff qui interprète la grand-mère Marceline, n’est quant à elle pas actrice productrice et monteuse mais pas moins crédible. Il faut aussi  nommer Cyril Metzger, lui aussi solaire, dans le rôle de l’amoureux.

    Le titre résonne comme un cri de résistance. Après cette course contre l’horreur et pour la vie, la fin nous laisse ko, abasourdis. La menace implicite devient explicite, physique et abrupte, brusquement. On se rappelle alors les mots de Marceline, à son petit-fils Igor : « Rien ni personne ne pourra jamais prendre le dessus sur la vie ».

     Petite fille d’artistes juifs polonais installés en France en 1933, Sandrine Kiberlain appose sur le film ce mélange de gravité et de légèreté qui, me semble-t-il, la caractérisent. « Je pense qu’on se doit de ne jamais oublier ce que fut la Shoah, d’en parler aux enfants pour que ça ne se reproduise pas. On peut le faire à travers la littérature et la musique. Moi, j’ai choisi le cinéma parce que c’est ce qui m’émeut le plus. », « J ’ai repensé à l’effet que m’avait fait deux histoires. L’une que ma grand-mère m’avait racontée et Le Journal d’Anne Frank. » Le générique de fin cite également Le Journal d’Hélène Berr, journal tenu par une étudiante juive parisienne, Hélène Berr, d'avril 1942 à février 1944. « La force de vie et l’écriture d’Hélène Berr m’ont marquée. C’est un livre qui m’a quasiment traumatisée, notamment parce que j’ai été traversée par la jeunesse d’Hélène Berr ce qui fait mesurer avec encore plus d’acuité l’horreur de ce qui va advenir. C’est notamment ce livre qui lui a donné envie de raconter cette période de l’Histoire par le prisme d’une jeune fille » a ainsi expliqué Sandrine Kiberlain.

    Un film aux résonances universelles comme l'est le Journal d’Anne Frank, qui doit tout autant être montré aux jeunes générations. Pour ne pas oublier. Que cela fut. Que cela pourrait advenir à nouveau. Que le présent et la liberté sont aussi précieux que fragiles. Cette ode à la vie les célèbre magnifiquement et nous laisse avec leur empreinte, pugnace et sublime. Un grand premier film qui nous rappelle qu’il ne faut jamais oublier, et que l’on n’oubliera pas. Je ne l'oublierai pas. Et je vous garantis qu'il en sera de même pour vous. Ne passez pas à côté !