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Critique – LES ROIS DE LA PISTE de Thierry Klifa

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« C’est une artiste », « Une perle rare » confient sur un ton mi-obséquieux, mi-admiratif ceux chez qui Rachel Zimmermann (Fanny Ardant) officie ce soir-là comme cuisinière. Ignorant que la perle rare surveille en réalité le cambriolage que commettent ses fils Sam (Mathieu Kassovitz), Jérémie (Nicolas Duvauchelle) et son petit-fils Nathan (Ben Attal), dans l’immeuble d’en face. Ce soir-là, Jérémie, fou d’admiration pour le tableau, sans en connaître la valeur, vole une toile de Tamara de Lempicka. Céleste (Laetitia Dosch), une détective rusée et charmeuse, et Gauthier (Michel Vuillermoz), son fidèle acolyte, se lancent à leur poursuite...

L'idée de La Musicienne, le tableau de Tamara de Lempicka volé par Jérémie, est venue à Thierry Klifa grâce au clip Vogue de Madonna dans lequel cette toile apparaît. Plus grande collectionneuse au monde de l’artiste, elle en a même fait exploser sa côte. La Musicienne a d’ailleurs vraiment été volée et des détectives spécialisés dans l’art ont mis sept ans à la retrouver.

Après Tout nous sépare et son documentaire André Téchiné, cinéaste insoumis, Thierry Klifa souhaitait se tourner vers la comédie. Comme toujours, il nous parle de la famille. (Et quelle famille !) Une famille dans laquelle la figure maternelle (et quelle figure !) occupe à nouveau un rôle central.

 Petit flashback. Dans l’excellent Tout nous sépare (2017), Thierry Klifa joue et jongle avec les codes du film noir et de la chronique sociale, entre Chabrol et Corneau, avec la légende que transporte avec elle son actrice principale. Un film qui assume son côté romanesque et qui confronte deux réalités, deux mondes, deux fragilités.  Dans le rôle de la mère, Catherine Deneuve, magistrale.

Auparavant, dans son troisième film, Les yeux de sa mère (2011), après Une vie à t’attendre (2003) et Le héros de la famille (2006), Thierry Klifa, après s’être intéressé au père dans Le héros de la famille, (avec son coscénariste Christopher Thompson avec qui il a également coécrit le premier film en tant que réalisateur de ce dernier  Bus Palladium) s’intéressait déjà  à la mère, qu’elle soit présente ou absente. Le film est aussi un savant jeu de miroirs et mises en abyme. Entre Catherine Deneuve qui incarne une star du petit écran et Catherine Deneuve, star de cinéma. Entre Géraldine Pailhas, ancienne danseuse qui incarne une danseuse étoile. Entre l’écrivain dans le film qui infiltre la vie des autres et le cinéaste qui, par définition, même involontairement, forcément la pille aussi un peu. Entre l’écrivain voyeur de la vie des autres et le spectateur qui l’est aussi. Hommage au mélodrame donc mais aussi aux acteurs, et à la mère chère au cinéma d’Almodovar dont une lumineuse représentante figure dans ce film en la personne de Marisa Paredes. Mère absente, qui abandonne, de substitution, adoptive, ou même morte. Les yeux de sa mère est aussi un thriller sentimental qui instaure un vrai suspense qui n’est néanmoins jamais meilleur que lorsqu’il prend le temps de se poser, de regarder en face « les choses de la vie » et de laisser l’émotion surgir ou dans un très beau montage parallèle qui reflète au propre comme au figuré la filiation du courage.

Dans Les rois de la piste, la mère est de nouveau à l’honneur. Flamboyante et toxique. Agaçante et irrésistible. Charmante et exaspérante. Impertinente et séduisante. Cinglante et attendrissante. Fanny Ardant apporte au personnage de Rachel sa voix inimitable, sa fantaisie, sa folie réjouissante et prouve qu’elle peut encore nous étonner, que la Mathilde de La Femme d’à côté, l’étrange étrangère incandescente, impétueuse et fragile du film de Truffaut au prénom d’héroïne de Stendhal, ou l’irrésistible Barbara de son Vivement dimanche ! (d’ailleurs cité ici)  peut être aussi époustouflante, fantasque, attendrissante, excentrique, éblouissante, follement séduisante, infiniment libre, à la fois menteuse et si vraie, gaiment tonitruante comme son rire comme elle l’était récemment dans Ma mère est folle de Diane Kurys. Elle peut tout se permettre (même aller un peu trop loin) sans jamais perdre l’empathie du spectateur. Elle peut pareillement être bouleversante dans Les Jeunes Amants. Dans le film de Klifa, elle est à l’image de ce film : gaie, tendrement cruelle, lumineuse, légèrement mélancolique, joyeusement excessive.  Sincère tout en ayant l’air de mentir et inversement.

Comme dans tous les films de Klifa, l’entièreté du casting est impeccable. Ben Attal est parfait en petit-fils qui a payé pour les autres et qui voudrait s’émanciper de cette famille aussi attachante que toxique. Dans Les Choses humaines d’Yvan Attal (à voir ce dimanche sur France 2), il avait déjà donné un bel aperçu de son talent, tour à tour exaspérant, presque attendrissant puis de nouveau irritant, et parfois tout cela en même temps. On ne l’oubliait pas non plus après l’avoir vu dans le bouleversant et indispensable Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain.

Mathieu Kassovitz dans un rôle très différent de ceux auxquels il nous a habitués est lui aussi irrésistible dans ce personnage de dépressif en apparence aveuglé par l’amour.

Mais celui qui procure au film une dimension supplémentaire, « almodovarienne », c’est indéniablement Nicolas Duvauchelle. Je ne vous en dirai pas plus sur ce magnifique personnage. Une scène de chant en particulier nous fait passer du rire aux larmes avec maestria. Je me souviens encore du Mathieu un peu « hors de l’existence » qu’il incarnait dans Les Yeux de sa mère, à l’image du personnage de Stephan interprété par Daniel Auteuil dans Un cœur en hiver, le chef-d'œuvre de Claude Sautet. Un personnage un peu inquiétant, un peu ailleurs, qui en voulant déconstruire la vie des autres allait, peut-être, se reconstruire.

Enfin, il ne faudrait pas oublier le duo désopilant que forment Laetitia Dosch et Michel Vuillermoz. L’inspiration serait d’après les intéressés Faye Dunaway dans Portrait d’une enfant déchue ou L’affaire Thomas Crown. L’actrice a en effet ce mélange de classe, de distance, de fantaisie, d’audace, de légèreté, de gravité, avec en plus une émotivité à fleur de peau.

Thierry Klifa cite en références Rappeneau, de Broca, Salvadori, Blake Edwards, Lubitsch, Lumet… Il y a un peu de tout cela dans ce film. Du divertissement qui ne méprise pas le spectateur, ni les personnages, qui ne rient pas de mais avec. Un cinéma bienveillant. Thierry Klifa s’amuse avec les codes du genre de la comédie policière, et de clins d’œil à ses illustres inspirateurs, fermeture à l’iris comprise, et nous embarque dans ce film plein de (re)bondissements.

Une fois de plus, comme dans les autres films de Klifa, la musique joue un rôle primordial. Tout nous sépare avait ainsi été récompensé au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule  (meilleur film, meilleure interprétation masculine pour Nekfeu et Nicolas Duvauchelle et meilleure musique pour Gustavo Santaolalla). Cette fois, c’est Alex Beaupain qui est à la manœuvre. Bien qu’ayant conçu les musiques des trois pièces de théâtre de Thierry Klifa, c’était la première fois que les deux hommes travaillaient ensemble pour le cinéma. La musique là aussi est ludique, inspirée par les différents genres auxquels appartient le film -policier, comédie, amour, espionnage- et les compositeurs qui en sont indissociables (Legrand, Mancini, Delerue, Barry). Plus d’une heure de musique au cours de laquelle Alex Beaupain, s’amuse et s’inspire des musiques de genres cinématographiques dans lesquels le film fait une incursion, du film noir à la comédie. Alex Beaupain a également écrit les (magnifiques) chansons que chantent les comédiens du film, celle de Duvauchelle (une idée de ce dernier), et de Fanny Ardant, pour le générique de fin.

Burlesque, romantique, d’une légèreté mélancolique, entre la comédie italienne et Agatha Christie, le scénario coécrit par Thierry Klifa avec Benoît Graffin, (notamment scénariste de Salvadori), sans aucun temps mort, et avec des répliques parfois cinglantes, nous emporte dans sa course échevelée avec sa (pas toujours) joyeuse bande de roublards attachants. Comme toujours chez Klifa, les acteurs sont rois, et ses films nous permettent ainsi de les découvrir (et admirer) sous un angle inattendu.

Ajoutez à cela la photographie de Julien Hirsch et le montage de Thomas Marchand et vous obtiendrez un film jubilatoire, de ces films comme ceux de Rappeneau et de Broca dont on connaît l’intrigue par cœur mais dont on ne résiste pas à un énième visionnage à chaque diffusion télévisée parce qu’on a plaisir à retrouver leurs personnages, et à passer deux heures (trop courtes) avec eux.

Un film rocambolesque à la vitalité communicative, à l’image de ses personnages, inclassable mais aussi plus profond, tendre, sensible, et mélancolique qu’il n’y paraît, explorant la complexité des liens familiaux. Un film ludique "tout feu tout flamme" qui joue avec la vérité, avec le spectateur, avec la musique, avec les images de ses acteurs (il faut redire à quel point ils sont tous exceptionnels et surprenants). Un portrait de famille savoureux à la fois grave et léger, avec des personnages hauts en couleurs comme l’affiche warholienne le préfigure. Un tour de piste que vous ne regretterez pas et que vous aurez même envie de refaire aussitôt le générique de fin terminé (sur la sublime voix de Fanny Ardant) avec l'inénarrable famille Zimmermann. Jubilatoire, vous disais-je !

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