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  • Critique de ITINERAIRE D'UN ENFANT GÂTÉ de Claude Lelouch (ce soir, sur Canal + Cinéma)

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    Le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (mon compte rendu complet, ici) permet aussi de revoir des classiques du cinéma. Parmi les nombreux classiques au programme (j’aurais aimé tous les revoir mais il a fallu faire des choix) figurait « Itinéraire d’un enfant gâté » de Claude Lelouch, un des plus grands succès du cinéaste datant de 1988, une projection d’autant plus riche en émotions que lui a succédé un échange passionnant avec Richard Anconina. Un film que j’ai choisi de mettre en parallèle avec une avant-première du festival, deux films qui ont en commun d’être des tours de manège, de nous raconter l’histoire d’hommes qui se choisissent une famille et dont les vies sont jalonnées de hasards et coïncidences. Deux films qui sont de magnifiques métaphores du cinéma qui permet de réinventer nos vies.

    Sam Lion (Jean-Paul Belmondo) a été élevé dans le milieu du cirque puis a dû faire une reconversion forcée comme chef d’entreprise. Mais la cinquantaine passée, il se lasse de ses responsabilités et de son fils, Jean-Philippe, dont la collaboration ne lui est pas d’un grand secours. Il décide d’employer les grands moyens et de disparaître en Afrique, après avoir simulé un naufrage lors de sa traversée de l’Atlantique en solitaire. Mais son passé va l’y rattraper en la personne d’Albert Duvivier (Richard Anconina), un de ses anciens employés licencié qu’il retrouve par hasard en Afrique et qui le reconnaît…

    « Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». La citation d’Albert Cohen qui ouvre le film le place sous le sceau du pessimisme et de la solitude, impression  que renforce la chanson de Nicole Croisille qui ouvre le film. « Qui me dira, les mots d’amour qui font si bien, du mal ? Qui me tiendra, quand tu iras décrocher toutes les étoiles ? Qui me voudra, avec le nez rouge, et le cœur en larmes ? Qui m’aimera, quand je n’serai plus que la moitié d’une femme ? » La musique est reprise en chœur tandis qu’un petit garçon seul sur un manège attend désespérément sa mère. Un homme s’occupe de lui, découvre le carton qu’il a autour du cou et qui indique que sa mère l’a abandonné.  La musique épique, flamboyante, lyrique, accompagne ensuite les premières années et les numéros de cirque étourdissants qui défilent (sans dialogues juste avec la musique pour faire le lien) jusqu’à l’accident fatidique. Les flashbacks alternent avec les vagues sur lesquelles flotte le navire de Sam Lion, des vagues qui balaient le passé. Les premières minutes sont bouleversantes, captivantes, montées et filmées sur un rythme effréné, celui sur lequel Sam Lion (ainsi appelé parce qu’il a été élevé dans un cirque) va vivre sa vie jusqu’à ce qu’il décide de disparaître.

    Rares sont les films qui vous émeuvent ainsi, dès les premiers plans et qui parviennent à maintenir cette note jusqu’au dénouement. Pour y parvenir, il fallait la subtile et improbable alliance d’ une musique fascinante comme un spectacle de cirque, d’acteurs phénoménaux au sommet de leur art, de dialogues jubilatoires magistralement interprétés, un scénario ciselé, des paysages d’une beauté à couper le souffle, des histoires d’amour (celles qui ont jalonné la vie de Sam Lion, avec les femmes de sa vie, son grand amour décédé très jeune, sa seconde femme, sa fille Victoria pour qui il est un héros et un modèle et qui l’aime inconditionnellement, mais aussi celles d’Albert avec Victoria), jouer avec nos peurs (l’abandon, la disparition des êtres chers, le besoin de reconnaissance), nos fantasmes (disparaître pour un nouveau départ, le dépaysement) et les rêves impossibles (le retour des êtres chers disparus).

    Sam Lion va par hasard rencontrer un employé de son entreprise (entre temps il a construit un empire, une entreprise de nettoyage), ce jeune homme maladroit et qui manque de confiance en lui va devenir l’instrument de son retour et sa nouvelle famille.  Cela tombe bien : il commence à s’ennuyer.

    Peu à peu le puzzle de la vie et des déchirures de Sam Lion, grâce aux flashbacks, se reconstitue, celui des blessures de cet homme qui l’ont conduit à tout quitter, écrasé par les responsabilités sans avoir le temps de penser à ses blessures, ni de les panser, porté par la soif d’ailleurs, de vérité, de liberté.

    Alors bien sûr il y a la si célèbre et irrésistible scène du bonjour, toujours incroyablement efficace, tant la candeur d’Albert est parfaitement interprété par Anconina, tant la scène est magistralement écrite, tant les comédiens sont admirablement dirigés mais chaque scène (les acteurs sont filmés en gros plan, au plus près des émotions) sont des moments d’anthologie de comédie, d’humour, de poésie, d’émotion (parfois tout cela en même temps lorsque Victoria est conduite à son père grimé en pompiste et qu’on lui présente comme le sosie parfait de son père qu’elle croit mort, lors de la demande en mariage…) et toujours ces moments qui auraient pu être de simples saynètes contribuent à faire évoluer l’intrigue et à nous faire franchir un cran dans l’émotion, dans ces parfums de vérité qu’affectionne tant le réalisateur. Claude Lelouch ne délaisse aucun de ses personnages ni aucun de ses acteurs. Chacun d’entre eux existe avec ses faiblesses, ses démons, ses failles, ses aspirations. Et puis quelle distribution ! En plus des acteurs principaux : Marie-Sophie L, Michel Beaune, Pierre Vernier, Daniel Gélin.

    Jean-Paul Belmondo,  plusieurs années après « Un homme qui me plaît » retrouvait ici Claude Lelouch qui lui offre un de ses plus beaux rôles en lui faisant incarner  pour la première fois un homme de son âge au visage marqué par le temps mais aussi un personnage non moins héroïque. En choisissant Anconina pour lui faire face, il a créé un des duos les plus beaux et les plus touchants de l’histoire du cinéma.

    « Itinéraire d’un enfant gâté » est une magnifique métaphore du cinéma, un jeu constant avec la réalité : cette invention qui nous permet d’accomplir nos rêves et de nous faire croire à l’impossible, y compris le retour des êtres disparus. Belmondo y interprète l’un de ses plus beaux rôles qui lui vaudra d’ailleurs le César du Meilleur Acteur, césar que le comédien refusera d’aller chercher.

    On sort de la projection, bouleversés de savoir que tout cela n’était que du cinéma, mais avec la farouche envie de prendre notre destin en main et avec, en tête, la magnifique et inoubliable musique de Francis Lai : « Qui me dira… »  et l’idée que si « chaque homme est seul », il possède aussi les clefs pour faire de cette solitude une force, pour empoigner son destin. Et ce dernier plan face à l’horizon nous laisse à la fois bouleversés et déterminés à regarder devant, prendre le large ou en tout cas décider de notre itinéraire. Un grand film intemporel, réjouissant, poignant.

  • Partenariat - Présentation de La Box Fait Son Cinéma: LA Box surprise pour les cinéphiles!

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    Chaque mois désormais, je vous parlerai de "La Box fait son cinéma" qui j'aurai la chance de recevoir et que je suis particulièrement ravie de vous présenter. Il s'agit ainsi de la toute 1ère box surprise sur abonnement dédiée à l’univers des plus grands films. Une mine d'or pour cinéphiles! Et un plaisir enfantin que de découvrir les surprises que recèlent la boîte.

    Le principe est simple : les abonnés reçoivent chaque mois à domicile une box surprise composée d’un film qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie (format DVD ou Bluray au choix lors de l’inscription) et de produits soigneusement sélectionnés en lien avec le film et/ou sa thématique ainsi qu’un vrai kit clé en main pour plonger dans l’atmosphère du film et organiser son propre ciné club à la maison.

    Cet abonnement mensuel automatiquement renouvelable est au tarif de 17,90€ + 4€ de frais d’envoi.  Mais il est bien sûr sans engagement, les clients peuvent se désabonner à tout moment sur un simple clic dans leur compte client.

    J'ai eu le plaisir ce matin de recevoir la Box "Nouvelle Vague" pour me plonger dans l'univers d' A bout de souffle, le film le plus représentatif de la Nouvelle Vague.

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    Chaque boîte contient un livret explicatif aussi instructif que ludique qui fourmille d'anecdotes passionnantes sur le film ou l'époque de celui-ci, des questions, des informations sur les lieux de tournage, des liens qui vous permettent de vous plonger dans l'univers musical du film etc. Bref, rien que pour le livret, cela vaudrait déjà la peine de s'abonner! A ce livret  que vous trouverez dans chaque box, dans la box "Nouvelle Vague" vient s'ajouter le DVD du film "A bout de souffle", La Petite anthologie des Cahiers du cinéma sur la Nouvelle vague (une passionnante mine d'informations sur les films de la Nouvelle Vague), un petit carnet La Box fait son cinéma qui ne me quitte déjà plus (idéal pour griffonner les idées pour mon prochain roman, des bribes de critiques de films ou tout ce que vous voudrez), le célèbre et indémodable T-shirt porté par Jean Seberg dans "A bout de souffle" et même un sachet de popcorn!

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    Et si vous voulez vous aussi en profiter et vous plonger dans l'univers du premier film de Jean-Luc Godard, sachez que la Box Nouvelle Vague est en solde jusqu'au 2/08 à 17,90€ au lieu de 24,90€ en vente à l'unité sans abonnement, donc une belle affaire à saisir !

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    Alors? Vous voulez la commander? Cliquez sur ce lien ou sur l'affiche de "La Box fait son cinéma" dans la colonne de droite ou sur l'une des photos de cet article. Dans quelques jours, je vous présenterai la Box suivante. Je suis déjà impatiente de découvrir quelles surprises elle me réserve.

     

  • Critique de BORSALINO de Jacques Deray à 20H45 sur Paris Première

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      C'était en 1970. 4, 7 millions de spectateurs avaient alors vu ce film produit par Alain Delon. Un film alors très médiatisé. Et pour cause : deux mythes du cinéma s'y retrouvaient pour la première fois, 28 ans avant que Patrice Leconte les réunisse à nouveau pour « Une chance sur deux ». Belmondo avait d'ailleurs reproché à Delon d'être deux fois sur l'affiche, en tant que producteur et en tant qu'acteur. Ce jeu et cette apparente concurrence entre les deux acteurs avaient même conduit Jacques Deray à s'arranger pour qu'ils aient exactement le même nombre de plans et il est vrai que les deux acteurs y sont autant l'un que l'autre à leur avantage...

    Basé sur le roman « Bandits à Marseille » d'Eugène Saccomano, « Borsalino » est inspiré de l'histoire des bandits Carbone et Spirito   dont les noms avaient finalement été remplacés en raison de leurs rôles pendant l'Occupation. On y retrouve, outre Delon et Belmondo,  Nicole Calfan, Françoise Christophe, Corinne Marchand, Mireille Darc (qui fait une apparition remarquée) mais aussi Michel Bouquet, Julien Guiomar, Mario David, Laura Adani. Les dialogues sont signés Jean-Claude Carrière, co-scénariste avec Claude Sautet, Jacques Deray, Jean Cau. Rien de moins !

    Début des années 30 à Marseille. Roch Siffredi (Alain Delon) sort de prison. Venu retrouver son amie Lola (Catherine Rouvel) il rencontre par la même occasion son nouvel amant François Capella (Jean-Paul Belmondo). S'ensuit une bagarre entre les deux rivaux, elle scellera le début d'une indéfectible amitié.  Capella cherche à se faire une place dans la pègre marseillaise. Les deux truands vont ainsi se trouver et  se respecter. De cette réunion va naître une association de malfaiteurs florissante puis une amitié à la vie, à la mort qui va leur permettre de gravir les échelons de la Pègre marseillaise !

    D'un côté, Capella/Belmondo séducteur, désinvolte, bon vivant,  aux goûts clinquants et aux manières cavalières. De l'autre Siffredi/Belmondo élégant, ambitieux, taciturne, froid, implacable, presque inquiétant. Deux mythes du cinéma face à face, côte à côte qui jouent avec leurs images. Parfois avec dérision (ah la scène de la baignade, ah la bagarre...), démontrant ainsi d'ailleurs l'humour dont ils savaient et savent faire preuve même celui dont ses détracteurs l'accusaient à tort d'en être dépourvu, même si dans le DVD on reconnaît plus volontiers cette qualité à Jean-Paul Belmondo et à Delon... sa générosité. Jouant avec leur image encore lorsqu'ils deviennent des gangsters stars sur le passage desquels on se  détourne, et applaudis par la foule, comme ils le sont en tant qu'acteurs.

    C'est aussi un hommage aux films de gangsters américains, aux films de genre, avec leurs voitures rutilantes,  leurs tenues élégantes parfois aussi clinquantes (dont le fameux Borsalino qui inspira le titre du film), leurs femmes fatales mystérieuses ou provocantes, leurs lieux aussi folkloriques et hauts en couleurs que les personnages qui les occupent. En toile de fond la pittoresque Marseille, Marseille des années 30,  sorte de Chicago française, Marseille luxueusement reconstituée que Deray filme avec minutie, chaleur, avec l'allégresse qui illumine son film influencé par l'atmosphère ensoleillée et chaleureuse de Marseille. Sa caméra est alerte et virevoltante et elle accompagne avec une belle légèreté et application quelques scènes d'anthologie comme celle de la fusillade dans la boucherie. Tout cela donne au film une vraie « gueule d'atmosphère » qui n'appartient qu'à lui. Et s'il n'y a pas réellement de suspense, Deray nous fait suivre et vivre l'action sans penser à la suivante, à l'image de Siffredi et Capella qui vivent au jour le jour;  il  ne nous embarque pas moins avec vivacité dans cette ballade réjouissante, autant teintée d'humour et de second degré (dans de nombreuses scènes mais aussi dans les dialogues, savoureux) que de nostalgie, voire de mélancolie suscitée par la solitude du personnage de Delon dont la majesté de fauve, parfois la violence, semblent être les masques de la fragilité. Et dont la solitude fait écho à celle de l'acteur, auréolé d'un séduisant mystère. Celui d'un fauve blessé.

    Un film que ses deux acteurs principaux font entrer dans la mythologie de l'Histoire  du cinéma, et qui joue intelligemment avec cette mythologie, ce film étant par ailleurs  avant tout un hymne à l'amitié incarnée par deux prétendus rivaux de cinéma.  Ce sont évidemment deux rôles sur mesure pour eux mais c'est aussi toute  une galerie de portraits et de personnages aussi pittoresques que la ville dans laquelle ils évoluent qui constitue d'ailleurs  un véritable personnage (parmi lesquels le personnage de l'avocat magistralement interprété par Michel Bouquet). Un film avec un cadre, une ambiance, un ton, un décor, deux acteurs uniques. Et puis il y a l'inoubliable musique de Claude Bolling avec ses notes métalliques parfois teintées d'humour et de violence, de second degré et de nostalgie, d'allégresse et de mélancolie,  de comédie et de polar entre lesquels alterne ce film inclassable.

    « Borsalino » fut nommé aux Golden Globes et à l'ours d'or. Quatre ans plus tard Jacques Deray réalisera Borsalino and co, de nouveau avec Alain Delon, sans connaître le même succès auprès du public et de la critique. Reste un film qui, 40 ans après, n'a rien perdu de son aspect jubilatoire et semble même aujourd'hui encore, pour son habile mélange des genres, en avoir inspiré beaucoup d'autres. Imité, rarement égalé. En tout cas inimitable pour ses deux personnages principaux que ses deux acteurs mythiques ont rendu à leur tour mythiques, les faisant entrer dans la légende, et dans nos souvenirs inoubliables, inégalables et attendris de cinéphiles.

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  • "Le Quai des brumes" de Marcel Carné ,dimanche, au restaurant ciné-club Les Cinoches (Paris, 6ème): analyse du film

    quaidesbrumes2.jpgJe vous ai déjà parlé du nouveau restaurant ciné-club du 6ème, "Les Cinoches" (cliquez ici pour lire mon article qui y était consacré) qui, en parallèle de votre dîner, chaque dimanche soir, propose des séances de ciné-club avec, en première partie, un classique du cinéma plus ancien et, en seconde partie, un film plus récent. La sélection est, jusqu'à présent, éclectique et judicieuse.

    Pour le 14 février, la programmation est donc "spéciale Saint-Valentin" avec, en première partie (à 19H) le sublime "Le Quai des brumes" de Marcel Carné, un film de 1938 qui incarne la poésie désenchantée de Prévert et Carné, célèbre pour la cultissime réplique de Gabin à Morgan, couple mythique, "T'as de beaux yeux tu sais".  Ce film est pourtant bien plus que cette réplique, il en contient d'ailleurs beaucoup d'autres. Je vous en propose l'analyse ci-dessous.

     La seconde partie de soirée sera consacrée à "Love actually" de Richard Curtis (à 21h), comédie romantique par excellence que je vous recommande également.

     Et si voir ces films aux "Cinoches" vous tente, l'adresse: 1 rue de Condé, dans le 6ème donc, et le site officiel: http://www.lescinoches.com .

    A noter les prochaines séances: le 21 février, la soirée sera consacrée à Faye Dunawaye avec, en première partie "L'affaire Thomas Crown" de Norman Jewison et en seconde partie "Arizona dream" d'Emir Kusturica. Le 28 février, la soirée sera consacrée à Jean-Paul Belmondo avec, en première partie, "Le Magnifique" de Philippe de Broca et la seconde partie "Itinéraire d'un enfant gâté" de Claude Lelouch. A quand une soirée Alain Delon?

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                  Le Quai des brumes : un cinéma du désenchantement

    Avant même d’en dépeindre l’atmosphère, le synopsis du Quai des brumes laisse déjà entrevoir le pessimisme qui émane de ce film et qui suffira à certains pour le qualifier de « film manifeste » du réalisme poétique.

    Le sceau de la fatalité

    Un déserteur de la coloniale Jean (Jean Gabin), arrive au Havre en espérant s’y cacher avant de partir à l’étranger. Dans la baraque du vieux Panama (Edouard Delmont)où il trouve refuge grâce à un clochard, il rencontre le peintre fou Michel Krauss(Robert Le Vigan) et une orpheline : Nelly(Michèle Morgan) .Cette dernière vit chez son tuteur Zabel (Michel Simon), qui tente d’abuser d’elle. Au moment où Jean se croit sauvé, un destin tragique va l’emporter, malgré la passion de Nelly et sa nouvelle envie de vivre.

    Le quai des brumes est une adaptation du roman de Pierre Mac Orlan de 1928 qui se déroule à Montmartre en 1900. Les services de propagande de la UFA jugent le sujet du film décadent et font savoir qu’il n’est pas souhaitable de le tourner. Le film devait en effet être tourné en Allemagne dans le cadre des accords de coproduction franco allemande mais les censeurs d’outre Rhin effarouchés par le pessimisme du sujet refusèrent l’autorisation de tourner à Hambourg les scènes qui dans le roman se déroulaient à Montmartre. La ténacité de Gabin permettra néanmoins au projet d’aboutir et c’est d’ailleurs lui qui imposera le scénariste Prévert et le réalisateur Carné. Gabin avait refusé de jouer dans Jenny et avait été intrigué par Drôle de drame. Rabinovitch, le producteur qui reprend le projet, l’accepte sur le nom de Gabin sans même avoir lu le scénario. Il le lira à la veille du tournage et n’aura de cesse de répéter « c’est sale, c’est sale », n’aimant pas le projet, refusant même que son nom apparaisse au générique et insistant pour qu’il y figure lorsque le film connaîtra un triomphe : un triomphe aussi bien en salle où il sera applaudi à l’issue de sa première projection (fait rarissime)-au cinéma Marivaux le 18 mai 1938-, que chez les professionnels pusqu’il reçut le prix Louis Delluc 1939 et le Lion d’or à Venise. A l’exception de l’Humanité et de l’Action Française le film est également encensé par la presse. Mac Orlan lui-même dira aimer cette « version nettement désespérée ». Le projet parvint donc à se monter sans veto de la commission de censure, si ce n’est le Ministère de la guerre qui exigea tout de même que le mot « déserteur » ne soit jamais prononcé et que le héros plie soigneusement ses effets militaires au lieu de les jeter en vrac, au cours d’une scène où il doit les remettre au tenancier du cabaret. Le producteur essaiera d’obtenir d’autres coupures mais grâce à l’obstination de Carné la seule qu’il parvint à obtenir fut celle d’une scène où l’on devait voir Michel Krauss nu et de dos s’avancer dans la mer. Dans la version définitive, son suicide est seulement évoqué mais pas montré.

    Dès les premiers plans, le décor (finalement celui du Havre) est planté, l’atmosphère est caractérisée. Jean est un personnage taciturne, suivi par un chien abandonné tel un miroir de lui-même. L’inéluctabilité du malheur résulte bien sûr du récit mais avant tout des personnages : un peintre fou, un mauvais garçon jaloux et violent, Lucien(interprété par Pierre Brasseur), un tuteur qui convoite sa pupille, un déserteur . Le destin de chacun semble être tracé dès les premières minutes du film et voué à la tragédie et au drame. Le décor et son charme triste créé par la pluie et la brume et les dialogues de Prévert renforcent cette impression. Les dialogues sont ceux de personnage pessimistes, et même davantage : désenchantés. Ainsi pour le peintre : « Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses. Quand je peins un nageur, je vois un noyé. », « Oh, le monde il est comme il est, plutôt sinistre, plutôt criminel. », « Je verrais un crime dans une rose ». Les personnages ne croient plus en la vie, ni en l’amour : « Qu’est-ce qu’ils ont tous à parler d’amour, est-ce qu’il y a quelqu’un qui m’aime, moi ? » regrette Michel Simon qui se dit « amoureux comme Roméo avec la tête de barbe bleue. » Si la fatalité de la guerre semble planer comme la tragédie au-dessus des têtes des protagonistes, elle se confond avec le regret de 1936 : « C’est beau d’être libre. Oui, c’est beau, l’indépendance, la liberté. » Le cadre de la fête foraine à la fin du film rappelle également l’euphorie de 1936 et exacerbe encore le désenchantement dont elle est alors le cadre. Le thème de la solitude revient également comme un leitmotiv : « C’est difficile de vivre. », « Oui, on est seuls », « On rencontre des gens qu’on ne reverra peut-être pas et qui nous rendent service. » C’est un univers hanté par la mort comme la réalité est hantée par le spectre de la guerre : la mort se présente sous plusieurs formes. C’est d’abord le suicide avec le peintre, le meurtre avec Zabel, et la mort par la fatalité, dont la rencontre avec Nelly n’a fait que repousser l’échéance, celle du déserteur tué par la police. Nelly semble être la seule à matérialiser une forme de rêve, un ailleurs mais ses propos ne sont pas moins pessimistes : « Mais ce n’est pas le fond de la mer. Le fond de la mer, c’est plus loin, plus profond. »Le couple formé par Jean Gabin et Michèle Morgan dans Le quai des brumes est caractéristique du climat de lourde fatalité de l’avant guerre. Les personnages démissionnent tous face au cataclysme qui les menace comme la guerre menace la France et le monde. Ce pessimisme vaudra au Quai des brumes d’être un des premiers films interdits par le gouvernement français au moment de la déclaration de guerre, celui-ci le qualifiant de « démoralisateur ». 

     Le film emblématique du réalisme poétique

     Même si, chronologiquement, Le quai des brumes n’est pas le premier film à pouvoir s’inscrire sous la dénomination de réalisme poétique, même si c’est déjà le troisième film de Marcel Carné il est bien souvent qualifié de « film manifeste » de ce mouvement et même parfois de film créateur de ce mouvement. Il en a peut-être en revanche poussé les caractéristiques à leur paroxysme. Son atmosphère lugubre, bouleversante, mélancolique, ses personnages voués à un destin tragique, les décors embrumés de Trauner, la poésie de Prévert le classent indéniablement dans cette catégorie. Le réalisme poétique également synonyme de classicisme sera donc bien souvent décrié même si certains le défendirent comme le critique Claude Briac qui écrivit qu’il « n’y a pas au monde dix réalisateurs capables de réaliser un tel film. » Marcel Carné lui-même réfutait d’ailleurs cette dénomination de réalisme poétique à laquelle il préférait celle de « fantastique sociale » imaginée par Mac Orlan. Cela n’empêchera pas certains critiques d’encenser le film justement parfois grâce à ses caractéristiques propres à cette dénomination. Ainsi dans L’avant-garde du 28 Mai 1938 on pouvait lire : « en dépit de cette atmosphère de misère morale, physique et physiologique, peut-être même à cause de cette atmosphère, trouble, floue, brumeuse, le Quai des brumes est un chef d’œuvre. » 

     Des personnages victimes de la fatalité et une société qui court à sa perte

    Cette inéluctabilité du malheur s’incarne essentiellement dans un acteur, Jean Gabin, et dans un mouvement cinématographique, le réalisme poétique.

    Jean Gabin ou le mythe du héros tragique contemporain

    Dès la Bandera, l’image de Gabin était marquée du sceau de la fatalité et l’enchaînement inéluctable de ses infortunes procèderait, dans ses films à venir, d’un crime commis par désespoir d’amour : la Belle équipe qui se solde par le meurtre de Charles Vanel, Pépé le Moko dont le héros meurt sur le port d’Alger après avoir voulu rejoindre celle qu’il aimait etc. L’image du garçon malchanceux poursuivi par la fatalité sociale et victime du trop grand prix qu’il accorde à l’amour des femmes, sera celle de Gabin jusqu’au Jour se lève. Tous ses personnages sont voués à la mort comme la France est vouée à la guerre : que ce soit le sableur du Jour se lève, le déserteur du Quai des brumes ou le cheminot fou de La bête humaine ou encore le pittoresque Pépé de Pépé le Moko. C’est néanmoins toujours un personnage doté de moral et s’il tue, il n’est pas pour autant un assassin. C’est bien souvent la folie ou la fatalité qui le poussent au crime. Zola définit ainsi Lantier comme « un homme poussé à des actes où sa volonté n’était pour rien », une définition qui pourrait s’appliquer à chacun des personnages incarnés par Gabin. Dans tous ces films Gabin incarne un séducteur, la plupart du temps malgré lui, qui ne croit plus en rien mais dont l’amour s’empare et que la fatalité pousse à une fin tragique. Tout en continuant à incarner le Front Populaire, Gabin incarne donc ces destins tragiques comme s’il incarnait, au-delà de personnages fictifs, le destin d’un Etat. D’après la définition communément admise le mythe est une croyance, largement représentée dans l’imagination collective, en une fable porteuse de vérité symbolique et répondant aux inspirations souvent inconscientes de ceux qui la partagent .Le mythe transmet, justifie, renforce et codifie les croyances, valeurs et coutumes sociales. Il permet la projection des fantasmes et des problèmes d’une société lorsque celle-ci ne peut les satisfaire ou les résoudre. Elle apporte à l’homme moderne la certitude et la cohésion dont il a besoin , l’aide à se définir et lui fournit des modèles d’authentification .Les films ,comme les autres œuvres humaines , véhiculent des mythes , archétypes ,symboles , et stéréotypes qui expriment la mentalité collective de leur époque… Le mythe de Jean Gabin représente donc une mentalité pessimiste et les films dans lesquels il évolue : l’angoisse collective de la guerre. Au-delà de son immense talent le succès de Gabin s’explique donc aussi par les attentes, les craintes plus ou moins conscientes de la population, qu’il incarne. Les angoisses de ses personnages coïncident avec celles de la population, voyant en Gabin le « héros tragique par excellence du cinéma français d’avant-guerre », un héros dont les craintes résonnent avec une étonnante humanité et vérité dans ce contexte où l’héroïsme sera parfois le fruit des circonstances. Gabin c’est aussi l’incarnation du peuple ouvrier représenté pour la première fois à l’écran st ainsi selon Jean-Michel Frodon « Avec la double mort de Gabin-Lantier(La bête humaine) et de Gabin-François(Le jour se lève), le peuple ouvrier français quitte pour toujours les écrans. Le Gabin d’avant-guerre incarne donc une défaite, celle de l’idéologie et de l’époque du Front Populaire, qui voyait dans la classe ouvrière l’avenir du monde. » Pour d’autres comme Weber, .., ce « mythe emblématique et récurrent de l’ouvrier », « voué à l’échec » et « écrasé par la fatalité » reste l’image que se font les producteurs et les cinéastes de l’époque du prolétariat et qui selon lui représentent un « bel exemple d’idéologie dominante. » 

     Le mythe du réalisme poétique : reflet d’une angoisse collective.

    Le succès du Quai des brumes agit comme un révélateur. Les principaux succès de l’époque sont des comédies, des films d’espionnage ou d’aventures exotiques qui contrastent avec la noirceur absolue du film de Carné comme si les spectateurs se sentaient inconsciemment attirés par ce film comme par un miroir, celui de ses angoisses. Comme l’affirmait Ferro le cinéma « offre un outil d’investigation irremplaçable pour dévoiler le réel et révéler les non dits d’une société (…)de découvrir le latent derrière l ‘apparent, d’atteindre des zones inaccessibles par l’écrit » et de montrer comme l’a écrit Maurice Merleau Ponty la « pensée dans les gestes, la personne dans la conduite, l’âme dans le corps ». Le réel n’est donc pas celui que donne à voir les comédies mais celui qui semble si surréaliste par son pessimisme et qui sera pourtant bientôt la tragique réalité. La France court à sa perte, ne croit plus en son avenir comme Jean dans Le Quai des brumes, le poète Michel Krauss et les autres. Ce qui est encore invisible est pressenti par les réalisateurs. C’est avant tout en cela que le réalisme poétique peut être qualifié de mythe : les préoccupations des spectateurs s’incarnent dans ces films.

    D'autres critiques de classiques du 7ème art liées à celle-ci:

    "Le Jour se lève" de Marcel Carné et "Drôle de drame" de Marcel Carné

    Une autre suggestion pour la Saint-Valentin: "Sur la route de Madison" de Clint Eastwood

    Toutes mes critiques de classiques du 7ème art.

  • Soirée Paramount de lancement du DVD de "Borsalino" de Jacques Deray au cinéma Le Balzac

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    Ci-dessus, une partie de l'équipe du film, hier soir, 40 ans après la sortie en salles...

    Je vous disais hier ce que représentait « Borsalino » pour moi. Il fait partie de ces films que je revoyais inlassablement aux prémisses de ma passion pour le cinéma. Ce n'est certes pas le meilleur film de ses deux acteurs principaux. Ni même le meilleur film de Jacques Deray (qui est pour moi « La Piscine »). Même s'il a de nombreuses qualités et même si j'éprouve pour celui-ci une tendresse particulière. Mais, surtout, il a pour moi un parfum de réminiscence,  celle des balbutiements de ma passion pour le cinéma. Un parfum d'enfance même. Le voir en salles (et donc pour moi le voir pour la première fois en salles) 40 ans après sa sortie, dans une salle intime du cinéma Le Balzac  (que je vous recommande au passage, cliquez ici pour visiter leur site officiel et leur blog, un cinéma à la programmation toujours inventive) en présence d'une partie de l'équipe du film était donc un évènement réjouissant pour moi. Je remercie donc au passage la Paramount de m'avoir invitée pour cette soirée exceptionnelle de lancement du DVD (avec lequel j'ai eu la chance de repartir et que vous pourrez acquérir dès ce 19 novembre).

    Malheureusement Jean-Paul Belmondo n'était pas là, et Alain Delon n'a finalement pas pu venir ayant eu un empêchement de dernière minute (vous verrez dans la vidéo ci-dessus Agnès Vincent Deray lire le mot qu'il a laissé)- je n'ai donc pas pu lui transmettre mon scénario mais je n'abandonne pas pour autant...:-)-, ce magnifique générique n'a donc pu être renouvelé ... Etaient néanmoins présents quelques membres de l'équipe du film : Nicole Calfan, Corinne Marchand, Eugène Saccomano, et Claude Bolling qui a rejoué la musique qu'il avait créé pour le film. Cette musique alerte et rapide qui a certainement contribué au succès du film. Après la musique et les frissons suscités par ces notes si reconnaissables jouées par son compositeur, place au cinéma avec d'abord quelques extraits en avant-première des bonus du DVD (qui ont fait réagir la salle, acquise et complice, notamment aux propos d'Alain Delon qui se confie longuement dans le DVD, interviewée par Agnès-Vincent Deray) puis à la projection de « Borsalino »...

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    Claude Bolling, le compositeur de la musique de "Borsalino", hier soir

    Voilà. C'était en 1970. 4, 7 millions de spectateurs avaient alors vu ce film produit par Alain Delon. Un film alors très médiatisé. Et pour cause : deux mythes du cinéma s'y retrouvaient pour la première fois, 28 ans avant que Patrice Leconte les réunisse à nouveau pour « Une chance sur deux ». Belmondo avait d'ailleurs reproché à Delon d'être deux fois sur l'affiche, en tant que producteur et en tant qu'acteur. Ce jeu et cette apparente concurrence entre les deux acteurs avaient même conduit Jacques Deray à s'arranger pour qu'ils aient exactement le même nombre de plans et il est vrai que les deux acteurs y sont autant l'un que l'autre à leur avantage...

    Basé sur le roman « Bandits à Marseille » d'Eugène Saccomano, « Borsalino » est inspiré de l'histoire des bandits Carbone et Spirito   dont les noms avaient finalement été remplacés en raison de leurs rôles pendant l'Occupation. On y retrouve, outre Delon et Belmondo,  Nicole Calfan, Françoise Christophe, Corinne Marchand, Mireille Darc (qui fait une apparition remarquée) mais aussi Michel Bouquet, Julien Guiomar, Mario David, Laura Adani. Les dialogues sont signés Jean-Claude Carrière, co-scénariste avec Claude Sautet, Jacques Deray, Jean Cau. Rien de moins !

    Début des années 30 à Marseille. Roch Siffredi (Alain Delon) sort de prison. Venu retrouver son amie Lola (Catherine Rouvel) il rencontre par la même occasion son nouvel amant François Capella (Jean-Paul Belmondo). S'ensuit une bagarre entre les deux rivaux, elle scellera le début d'une indéfectible amitié.  Capella cherche à se faire une place dans la pègre marseillaise. Les deux truands vont ainsi se trouver et  se respecter. De cette réunion va naître une association de malfaiteurs florissante puis une amitié à la vie, à la mort qui va leur permettre de gravir les échelons de la Pègre marseillaise !

    D'un côté, Capella/Belmondo séducteur, désinvolte, bon vivant,  aux goûts clinquants et aux manières cavalières. De l'autre Siffredi/Belmondo élégant, ambitieux, taciturne, froid, implacable, presque inquiétant. Deux mythes du cinéma face à face, côte à côte qui jouent avec leurs images. Parfois avec dérision (ah la scène de la baignade, ah la bagarre...), démontrant ainsi d'ailleurs l'humour dont ils savaient et savent faire preuve même celui dont ses détracteurs l'accusaient à tort d'en être dépourvu, même si dans le DVD on reconnaît plus volontiers cette qualité à Jean-Paul Belmondo et à Delon... sa générosité. Jouant avec leur image encore lorsqu'ils deviennent des gangsters stars sur le passage desquels on se  détourne, et applaudis par la foule, comme ils le sont en tant qu'acteurs.

    C'est aussi un hommage aux films de gangsters américains, aux films de genre, avec leurs voitures rutilantes,  leurs tenues élégantes parfois aussi clinquantes (dont le fameux Borsalino qui inspira le titre du film), leurs femmes fatales mystérieuses ou provocantes, leurs lieux aussi folkloriques et hauts en couleurs que les personnages qui les occupent. En toile de fond la pittoresque Marseille, Marseille des années 30,  sorte de Chicago française, Marseille luxueusement reconstituée que Deray filme avec minutie, chaleur, avec l'allégresse qui illumine son film influencé par l'atmosphère ensoleillée et chaleureuse de Marseille. Sa caméra est alerte et virevoltante et elle accompagne avec une belle légèreté et application quelques scènes d'anthologie comme celle de la fusillade dans la boucherie. Tout cela donne au film une vraie « gueule d'atmosphère » qui n'appartient qu'à lui. Et s'il n'y a pas réellement de suspense, Deray nous fait suivre et vivre l'action sans penser à la suivante, à l'image de Siffredi et Capella qui vivent au jour le jour;  il  ne nous embarque pas moins avec vivacité dans cette ballade réjouissante, autant teintée d'humour et de second degré (dans de nombreuses scènes mais aussi dans les dialogues, savoureux) que de nostalgie, voire de mélancolie suscitée par la solitude du personnage de Delon dont la majesté de fauve, parfois la violence, semblent être les masques de la fragilité. Et dont la solitude fait écho à celle de l'acteur, auréolé d'un séduisant mystère. Celui d'un fauve blessé.

    Un film que ses deux acteurs principaux font entrer dans la mythologie de l'Histoire  du cinéma, et qui joue intelligemment avec cette mythologie, ce film étant par ailleurs  avant tout un hymne à l'amitié incarnée par deux prétendus rivaux de cinéma.  Ce sont évidemment deux rôles sur mesure pour eux mais c'est aussi toute  une galerie de portraits et de personnages aussi pittoresques que la ville dans laquelle ils évoluent qui constitue d'ailleurs  un véritable personnage (parmi lesquels le personnage de l'avocat magistralement interprété par Michel Bouquet). Un film avec un cadre, une ambiance, un ton, un décor, deux acteurs uniques. Et puis il y a l'inoubliable musique de Claude Bolling avec ses notes métalliques parfois teintées d'humour et de violence, de second degré et de nostalgie, d'allégresse et de mélancolie,  de comédie et de polar entre lesquels alterne ce film inclassable.

    « Borsalino » fut nommé aux Golden Globes et à l'ours d'or. Quatre ans plus tard Jacques Deray réalisera Borsalino and co, de nouveau avec Alain Delon, sans connaître le même succès auprès du public et de la critique. Reste un film qui, 40 ans après, n'a rien perdu de son aspect jubilatoire et semble même aujourd'hui encore, pour son habile mélange des genres, en avoir inspiré beaucoup d'autres. Imité, rarement égalé. En tout cas inimitable pour ses deux personnages principaux que ses deux acteurs mythiques ont rendu à leurs tours mythiques, les faisant entrer dans la légende, et dans nos souvenirs inoubliables, inégalables et attendris de cinéphiles.

    Si vous voulez vous aussi acheter votre ticket pour ce voyage dans la mythologie cinématographique, ce sera dès possible ce 19 novembre avec la sortie de ce DVD que je vous recommande, vous l'aurez compris...

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     DVD 2 : Plus de 2 heures de suppléments inédits - Bonus réalisés par Agnès vincent Deray et Pierre-Henri Gibert : reportage sur le tournage du film en 1969, interviews des acteurs à la sortie du film en 1970, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon racontent leurs personnages, les Parisiennes chantent le thème de Borsalino, la Genèse du film (témoignages de Jean-Claude Carrière et Eugène Saccomano), les secrets du tournage (témoignages de Michel Bouquet, Nicole Calfan, Françoise Christophe, Corinne Marchand et Catherine Rouvel), la musique de Claude Bolling: un thème universel (Témoignages de Claude Bolling et Stéphane Lerouge), témoignages de Michel Drucker et Agnès Vincent Deray, avec la participation exceptionnelle d'Alain Delon.

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    Articles liés  à Alain Delon sur inthemoodforcinema.com :

    Documentaire sur Alain Delon

     « Les Montagnes russes », 

     « Sur la route de Madison »,

    « Love letters ».

     « La Piscine » de Jacques Deray

     Le Guépard » de Visconti

  • Delon et Belmondo à nouveau réunis? A suivre tout à l'heure sur inthemoodforcinema!

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    Cette affiche et ce film symbolisent énormément de choses pour moi... Les prémisses de ma passion pour le cinéma, avant tout, au-delà des deux acteurs mythiques que ce film réunit. A tel point que je possède même cette affiche grandeur nature, achetée dans une vente aux enchères!
     Alors, quand j'ai reçu l'invitation, par un miracle bloguesque, pour la projection du film à l'occasion de sa sortie en DVD "en présence de l'équipe du film", vous imaginez quelle a pu être ma réaction...
     L'incroyable générique sera-t-il de nouveau reconstitué ce soir près de quarante ans après la sortie du film? Les deux monstres sacrés du cinéma français seront-ils présents? Pourrai-je transmettre un scénario à l'un d'entre eux?  Quand cette note s'affichera sur le blog, je serai à la projection. Réponses donc à mon retour... tout à l'heure!
    En attendant, je vous propose la critique d'un de mes films préférés, également signé Jacques Deray, également avec Alain Delon: "La Piscine".

  • Cycle François Truffaut (suite) : « La Sirène du Mississippi » (1969), entre joie et souffrance

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    Après « Baisers volés » (1969) et « La Femme d’à côté » (1981), je poursuis aujourd’hui le cycle consacré à François Truffaut sur « In the mood for cinema », en remontant un peu dans le temps, avec « La Sirène du Mississippi », un film sorti en 1969. Dédié à Jean Renoir, adapté, scénarisé et dialogué par Truffaut d’après un roman de William Irish intitulé « Waltz into Darkness » (pour acquérir les droits François Truffaut dut emprunter à Jeanne Moreau, Claude Lelouch et Claude Berri), c’est davantage vers le cinéma d’Alfred Hitchcock, que lorgne pourtant ce film-ci, lequel Hitchcock s’était d’ailleurs lui-même inspiré d’une nouvelle de William Irish pour « Fenêtre sur cour ». Truffaut avait lui-même  aussi déjà adapté William Irish pour « La mariée était en noir », en 1968.

     

    Synopsis : Louis Mahé (Jean-Paul Belmondo) est fabriquant de cigarettes à La Réunion.  Il doit épouser Julie Roussel qu’il a rencontrée par petite annonce et dont il doit faire la connaissance le jour du mariage. Lorsqu’elle débarque  à La Réunion, d’une beauté aussi froide que ravageuse, elle ressemble peu à la photo qu’il possédait d’elle. Elle lui affirme ainsi lui avoir envoyé un faux portrait, par méfiance.  Peu de temps après le mariage, l’énigmatique Julie s’enfuit avec la fortune de Louis. Louis engage alors le solitaire et pointilleux détective Comolli (Michel Bouquet) pour la rechercher, et il rentre en France. Après une cure de sommeil à Nice, il retrouve Julie qui se nomme en réalité Marion (Catherine Deneuve) par hasard, elle travaille désormais comme hôtesse dans une discothèque. Il est déterminé à la tuer mais elle l’apitoie en évoquant son enfance malheureuse et ses sentiments pour lui qui l’aime d’ailleurs toujours… Commence alors une vie clandestine pour ce singulier couple.

     

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    Ce film connut un échec public et critique à sa sortie. Truffaut expliqua ainsi cet échec : « Il est aisé d’imaginer ce qui a choqué le monde occidental. La Sirène du Mississippi montre un homme faible (en dépit de son allure), envoûté par une femme forte (en dépit de ses apparences) ». Voir ainsi  Belmondo ravagé par la passion qui lui sacrifie tout explique pour Truffaut l’échec du film. C’est vrai que ce film peut dérouter après « Baisers volés », quintessence du style Nouvelle Vague.  Son romantisme échevelé, sombre, voire désespéré (même si Doinel était déjà un personnage romantique) mais aussi son mélange des genres (comédie, drame, film d’aventures, film noir, policier) ont également pu dérouter ceux qui voyaient avant tout en Truffaut un des éminents représentants de la Nouvelle Vague.

     

     Comme chacun de ses films « La Sirène du Mississippi » n’en révèle pas moins une maîtrise impressionnante de la réalisation et du sens de la narration, des scènes et des dialogues marquants, des références (cinématographiques mais aussi littéraires) intelligemment distillées et le touchant témoignage d’un triple amour fou : de Louis pour Marion, de Truffaut pour Catherine Deneuve, de Truffaut pour le cinéma d’Hitchcock.

                           

     Truffaut traite ainsi de nouveau d’un de ses thèmes de prédilections : l’amour fou, dévastateur, destructeur. Malgré la trahison de la femme qu’il aime, Louis tue pour elle et la suit au péril de sa propre existence… Après les premières scènes, véritable ode à l’île de La Réunion qui nous laisse penser que Truffaut va signer là son premier film d’aventures, exotique, le film se recentre sur leur couple, la troublante et trouble Marion, et l’amour aveugle qu’elle inspire à Louis. Truffaut traitera ce thème de manière plus tragique, plus subtile, plus précise encore dans « L’Histoire d’Adèle.H », dans « La Peau douce » (réalisé avant « La Sirène du Mississippi)  notamment ou, comme nous l’avons vu, dans « La Femme d’à côté », où, là aussi, Bernard (Gérard Depardieu) emporté par la passion perd ses repères sociaux, professionnels, aime à en perdre la raison avec un mélange détonant de douceur et de douleur, de sensualité et de violence, de joie et de souffrance dont « La sirène du Mississippi » porte déjà les prémisses.

     

    Bien qu’imprégné du style inimitable de Truffaut, ce film est donc aussi une déclaration d’amour au cinéma d’Hitchcock, leurs entretiens restant le livre de référence sur le cinéma hitchcockien (si vous ne l’avez pas encore, je vous le conseille vivement, il se lit et relit indéfiniment, et c’est sans doute une des meilleures leçons de cinéma qui soit). « Les Oiseaux », « Pas de printemps pour Marnie », « Sueurs froides», « Psychose », autant de films du maître du suspense auxquels se réfère « La Sirène du Mississippi ». Et puis évidemment le personnage même de Marion interprétée par Catherine Deneuve, femme fatale ambivalente, d’une beauté troublante et mystérieuse, d’une blondeur et d’une froideur implacables, tantôt cruelle, tantôt fragile, empreinte beaucoup aux héroïnes hitchcockiennes, à la fois à Tippie Hedren dans « Pas de printemps pour Marnie » ou à Kim Novak dans « Sueurs froides » notamment pour la double identité du personnage  dont les deux prénoms (Marion et Julie) commencent d’ailleurs comme ceux de Kim Novak dans le film d’Hitchcock- Madeleine et Judy-.

     

     A Deneuve, qui vient d'accepter le film, Truffaut écrivit : « Avec La Sirène, je compte bien montrer un nouveau tandem prestigieux et fort : Jean-Paul, aussi vivant et fragile qu'un héros stendhalien, et vous, la sirène blonde dont le chant aurait inspiré Giraudoux. » Et il est vrai qu’émane de ce couple, une beauté ambivalente et tragique, un charme tantôt léger tantôt empreint de gravité. On retrouve Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo dans des contre-emplois dans lesquels ils ne sont pas moins remarquables. Elle en femme fatale, vénale, manipulatrice, sirène envoûtante mais néanmoins touchante dont on ne sait jamais vraiment si elle aime ou agit par intérêt. Lui en homme réservé, follement amoureux, prêt à tout par amour, même à tuer.

     

     A l’image de l’Antiquaire qui avait prévenu Raphaël de Valentin dans « La Peau de chagrin » à laquelle Truffaut se réfère d’ailleurs, Louis tombant par hasard sur le roman en question dans une cabane où ils se réfugient ( faisant donc de nouveau référence à Balzac après cette scène mémorable se référant au « Lys dans la vallée » dans « Baisers volés »), et alors que la fortune se réduit comme une peau de chagrin,  Marion aurait pu dire à Louis : «  Si tu me possèdes, tu possèderas tout, mais ta vie m'appartiendra ».

     

    Enfin  ce film est une déclaration d’amour de Louis à Marion mais aussi et surtout, à travers eux, de Truffaut  à Catherine Deneuve comme dans cette scène au coin du feu où Louis décrit son visage comme un paysage, où l’acteur semble alors être le porte-parole du cinéaste. Le personnage insaisissable, mystérieux de Catherine Deneuve contribue largement à l’intérêt du film, si bien qu’on imagine difficilement quelqu’un d’autre interprétant son rôle.

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    Comme souvent, Truffaut manie l’ellipse avec brio, joue de nouveau avec les temporalités pour imposer un rythme soutenu. Il cultive de nouveau le hasard comme dans « Baisers volés » où il était le principal allié de Doinel, pour accélérer l’intrigue.

     

    Alors, même si ce film n’est pas cité comme l’un des meilleurs de Truffaut, il n’en demeure pas moins fiévreux, rythmé, marqué par cette passion, joliment douloureuse, qui fait l’éloge des grands silences et que symbolise si bien le magnifique couple incarné par Deneuve et Belmondo. Avec « La Sirène du Mississippi » qui passe brillamment de la légèreté au drame et qui dissèque cet amour qui fait mal, à la fois joie et souffrance, Truffaut signe le film d’un cinéaste et d’un cinéphile comme récemment Pedro Almodovar avec « Les Etreintes brisées ».

     

     « La Sirène du Mississippi » s’achève par un plan dans la neige immaculée qui laisse ce couple troublant partir vers son destin, un nouveau départ, et nous avec le souvenir ému de cet amour fou dont Truffaut est sans doute le meilleur cinéaste.

     

    Dix ans plus tard, Catherine Deneuve interprétera de nouveau une Marion dans un film de Truffaut « Le dernier métro », et sera de nouveau la destinataire d’ une des plus célèbres et des plus belles répliques de Truffaut, et du cinéma, que Belmondo lui adresse déjà dans « La Sirène du Mississippi »:

     

     « - Quand je te regarde, c'est une souffrance.

    - Pourtant hier, tu disais que c'était une joie.

    - C'est une joie et une souffrance.''

     

    Sans doute une des meilleures définitions de l’amour, en tout cas de l’amour dans le cinéma de Truffaut… que nous continuerons à analyser prochainement avec « L’Histoire d’Adèle.H ». En attendant je vous laisse méditer sur cette citation et sur le chant ensorcelant et parfois déroutant de cette insaisissable « Sirène du Mississippi ». 

     

    Bonus: le trailer de "La Sirène du Mississippi"