Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

cinéma - Page 125

  • Critique - "Tout ce qui brille" de Géraldine Nakache et Hervé Mimran (ce soir, à 20H50, sur M6 )

    Alors que mercredi prochain sortira "Nous York", la deuxième réalisation du tandem Nakache/Mimran avec une partie du casting en commun avec "Tout ce qui brille", M6 diffuse ce dernier, ce soir, une excellente comédie que je vous recommande et dont vous pouvez retrouver ma critique, publiée lors de la sortie du film, ci-dessous.

    brille.jpg

     

    Avec le printemps refleurissent les comédies qui surfent sur la vague d'une saisonnière soif de légèreté et de fraîcheur dont on aspire à ressortir le cœur (et plus rarement le cerveau) alertes. Ayant délibérément choisi de délaisser pour quelques jours les projections presse où, il faut bien le dire, l'assistance est assez souvent blasée, je retrouve donc avec plaisir les joies de la file d'attente et surtout d'une salle qui, quand elle rit, ne le fait pas au détriment du réalisateur (un jour, il faudra que je vous fasse une note sur le sarcasme journalistique).

    J'ai souvent tendance à me méfier des films avec deux réalisateurs (si un film est certes un travail collectif, la vision sur la mise en scène doit tout de même être personnelle) mais je me méfie aussi des préjugés, avec raison d'ailleurs en ce qui concerne « Tout ce qui brille ».

    Synopsis : Ely (Géraldine Nakache) et Lila (Leïla Bekhti) sont comme deux sœurs. Elles se connaissent depuis l'enfance, vivent dans la même banlieue à dix minutes de Paris, partagent tout et rêvent ensemble d'une autre vie, à dix minutes de là, là où tout brille. Entre Puteaux et Neuilly, il n'y a finalement qu'un pas... Elles vont tout faire pour entrer dans ce monde qui n'est pas le leur et qui les fascinent. Avec un peu de culot elle vont y arriver... mais leur amitié y résistera-t-elle car c'est bien connu "tout ce qui brille n'est pas de l'or"... ?

    Dès les premières minutes, le charme de la complicité du duo opère et nous conquiert. M'a conquise en tout cas. Les dialogues sont rythmés et énergiques sans jamais être vulgaires. Et ce qui saute d'abord aux yeux, c'est le regard, communicatif, tendre et empathique, porté sur les personnages mais aussi sur la banlieue, sans condescendance, misérabilisme ou démagogie. Ce n'est d'ailleurs finalement pas le sujet.

    Ainsi, si Lila, « leadeur » mais finalement aussi la plus fragile du duo, se laisse éblouir, c'est avant tout parce qu'elle a besoin de se griser, d'oublier le rejet de son père, préférant se mentir à elle-même, croire en un amour voué à l'échec pour édulcorer la rudesse de la réalité, pour croire que « tout brille » pour éluder les zones d'ombre de son existence. Pendant ce temps, sa mère attend inlassablement ce dernier, chantant chaque week end là où ils se sont connus des années auparavant.

    Si les nuits parisiennes ne sont finalement pas (non plus) le sujet principal, entre, notamment, une danseuse en moon boots et une soirée dans un supermarché reconstituée, « Tout ce qui brille » croque avec ironie le côté ridicule de certaines soirées prétendues branchées.

    Géraldine Nakache et Hervé Mimran ont réussi une chose rare : une comédie tendre ET drôle ET sans mafieux russe (trouvez-moi une comédie dernièrement qui n'a pas eu son mafieux russe) ET qui ne cherche pas à faire à la manière de... Et c'est sans doute pour cela que ça fonctionne aussi bien, que ces deux filles attachantes nous embarquent dans leurs péripéties dans ce monde de paillettes même si nous nous doutons bien qu'elles découvriront bientôt que tout ce qui brille n'est pas de l'or, et qu'à vouloir « s'élever » socialement, elles risquent de passer à côté de l'essentiel...

    Alors certes, ce film n'est pas dénué de défauts (ainsi dommage que les personnages masculins soient un peu moins travaillés et les intrigues sentimentales plus bâclées) mais les deux réalisateurs n'ont visiblement pas voulu signé une comédie romantique mais une histoire d'amitié d'ailleurs pas si naïve nous parlant notamment d'émancipation, de relations entre parents et enfants et de désirs d'ailleurs.

    Un film joyeux, rafraîchissant, pétillant, lumineux, d'une tendre drôlerie et justesse qui, s'il vous confirmera qu'il ne faut pas vous laisser éblouir par tout ce qui brille, fera au moins briller vos yeux grâce à l'intelligence de son écriture mais aussi de ses trois interprètes ( Géraldine Nakache, Leïla Bekhti -qui a reçu le César du meilleur espoir féminin- photo ci-dessous- et Audrey Lamy, également impayable en prof de sport ). Un film dont vous aurez envie de sortir en faisant le paon et en dansant sur Véronique Sanson (si, si, vous verrez !).

    ces3.jpg

    Photo copyright Inthemoodforcinema.com , Cérémonie des César 2011

    En 2012, la comédie de l'année, c'est "Comme des frères" de Hugo Gélin dont vous pouvez d'ores et déjà retrouver ma critique en cliquant ici.

    Découvrez les autres blogs "in the mood": http://inthemoodlemag.com , http://www.inthemoodforcannes.com , http://inthemoodforfilmfestivals.com , http://www.inthemoodfordeauville.com , http://www.inthemoodforluxe.com .

  • Critiques - "Le Quai des Brumes", "Le jour se lève", "Drôle de drame" de Marcel Carné

    En attendant de rererevoir le chef d'oeuvre des chefs d'oeuvre du duo Carné/Prévert "Les Enfants du Paradis", ce soir, sur Arte, je vous propose trois analyses de films de Carné également indispensables.

    Analyse -"Le Quai des Brumes" de Marcel Carné (1938)

    Du "Quai des Brumes" , vous connaissez très certainement la cultissime réplique de Gabin à Morgan "T'as de beaux yeux tu sais" qui immortalisa ce film. "Le Quai des Brumes" est pourtant beaucoup plus qu'une réplique...

    Le Quai des brumes : un cinéma du désenchantement

    Avant même d’en dépeindre l’atmosphère le synopsis du "Quai des brumes" laisse déjà entrevoir le pessimisme qui émane de ce film et qui suffira à certains pour le qualifier de « film manifeste » du réalisme poétique.

    Le sceau de la fatalité

    Un déserteur de la coloniale Jean (Jean Gabin), arrive au Havre en espérant s’y cacher avant de partir à l’étranger. Dans la baraque du vieux Panama (Edouard Delmont)où il trouve refuge grâce à un clochard, il rencontre le peintre fou Michel Krauss(Robert Le Vigan) et une orpheline : Nelly(Michèle Morgan) .Cette dernière vit chez son tuteur Zabel (Michel Simon), qui tente d’abuser d’elle. Au moment où Jean se croit sauvé, un destin tragique va l’emporter, malgré la passion de Nelly et sa nouvelle envie de vivre.

    Le quai des brumes est une adaptation du roman de Pierre Mac Orlan de 1928 qui se déroule à Montmartre en 1900. Les services de propagande de la UFA jugent le sujet du film décadent et font savoir qu’il n’est pas souhaitable de le tourner. Le film devait en effet être tourné en Allemagne dans le cadre des accords de coproduction franco allemande mais les censeurs d’outre Rhin effarouchés par le pessimisme du sujet refusèrent l’autorisation de tourner à Hambourg les scènes qui dans le roman se déroulaient à Montmartre. La ténacité de Gabin permettra néanmoins au projet d’aboutir et c’est d’ailleurs lui qui imposera le scénariste Prévert et le réalisateur Carné. Gabin avait refusé de jouer dans Jenny et avait été intrigué par Drôle de drame. Rabinovitch, le producteur qui reprend le projet, l’accepte sur le nom de Gabin sans même avoir lu le scénario. Il le lira à la veille du tournage et n’aura de cesse de répéter « c’est sale, c’est sale », n’aimant pas le projet, refusant même que son nom apparaisse au générique et insistant pour qu’il y figure lorsque le film connaîtra un triomphe : un triomphe aussi bien en salle où il sera applaudi à l’issue de sa première projection (fait rarissime)-au cinéma Marivaux le 18 mai 1938-, que chez les professionnels pusqu’il reçut le prix Louis Delluc 1939 et le Lion d’or à Venise.

    A l’exception de l’Humanité et de l’Action Française le film est également encensé par la presse. Mac Orlan lui-même dira aimer cette « version nettement désespérée ». Le projet parvint donc à se monter sans veto de la commission de censure, si ce n’est le Ministère de la guerre qui exigea tout de même que le mot «déserteur » ne soit jamais prononcé et que le héros plie soigneusement ses effets militaires au lieu de les jeter en vrac, au cours d’une scène où il doit les remettre au tenancier du cabaret. Le producteur essaiera d’obtenir d’autres coupures mais grâce à l’obstination de Carné la seule qu’il parvint à obtenir fut celle d’une scène où l’on devait voir Michel Krauss nu et de dos s’avancer dans la mer. Dans la version définitive, son suicide est seulement évoqué mais pas montré.

    Dès les premiers plans, le décor (finalement celui du Havre) est planté, l’atmosphère est caractérisée. Jean est un personnage taciturne, suivi par un chien abandonné tel un miroir de lui-même. L’inéluctabilité du malheur résulte bien sûr du récit mais avant tout des personnages : un peintre fou, un mauvais garçon jaloux et violent, Lucien(interprété par Pierre Brasseur), un tuteur qui convoite sa pupille, un déserteur . Le destin de chacun semble être tracé dès les premières minutes du film et voué à la tragédie et au drame. Le décor et son charme triste créé par la pluie et la brume et les dialogues de Prévert renforcent cette impression. Les dialogues sont ceux de personnage pessimistes, et même davantage : désenchantés. Ainsi pour le peintre : « Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses. Quand je peins un nageur, je vois un noyé. », « Oh, le monde il est comme il est, plutôt sinistre, plutôt criminel. », « Je verrais un crime dans une rose ». Les personnages ne croient plus en la vie, ni en l’amour : « Qu’est-ce qu’ils ont tous à parler d’amour, est-ce qu’il y a quelqu’un qui m’aime, moi ? » regrette Michel Simon qui se dit « amoureux comme Roméo avec la tête de barbe bleue. »

    Si la fatalité de la guerre semble planer comme la tragédie au-dessus des têtes des protagonistes, elle se confond avec le regret de 1936 : « C’est beau d’être libre. Oui, c’est beau, l’indépendance, la liberté. » Le cadre de la fête foraine à la fin du film rappelle également l’euphorie de 1936 et exacerbe encore le désenchantement dont elle est alors le cadre. Le thème de la solitude revient également comme un leitmotiv : « C’est difficile de vivre. », « Oui, on est seuls », « On rencontre des gens qu’on ne reverra peut-être pas et qui nous rendent service. » C’est un univers hanté par la mort comme la réalité est hantée par le spectre de la guerre : la mort se présente sous plusieurs formes. C’est d’abord le suicide avec le peintre, le meurtre avec Zabel, et la mort par la fatalité, dont la rencontre avec Nelly n’a fait que repousser l’échéance, celle du déserteur tué par la police. Nelly semble être la seule à matérialiser une forme de rêve, un ailleurs mais ses propos ne sont pas moins pessimistes : « Mais ce n’est pas le fond de la mer. Le fond de la mer, c’est plus loin, plus profond. »Le couple formé par Jean Gabin et Michèle Morgan dans Le quai des brumes est caractéristique du climat de lourde fatalité de l’avant guerre. Les personnages démissionnent tous face au cataclysme qui les menace comme la guerre menace la France et le monde. Ce pessimisme vaudra au Quai des brumes d’être un des premiers films interdits par le gouvernement français au moment de la déclaration de guerre celui-ci le qualifiant de « démoralisateur ».

     Le film emblématique du réalisme poétique

     Même si chronologiquement Le quai des brumes n’est pas le premier film à pouvoir s’inscrire sous la dénomination de réalisme poétique, même si c’est déjà le troisième film de Marcel Carné, il est bien souvent qualifié de « film manifeste » de ce mouvement et même parfois de film créateur de ce mouvement. Il en a peut-être en revanche poussé les caractéristiques à leur paroxysme. Son atmosphère lugubre, bouleversante, mélancolique, ses personnages voués à un destin tragique, les décors embrumés de Trauner, la poésie de Prévert le classent indéniablement dans cette catégorie. Le réalisme poétique également synonyme de classicisme sera donc bien souvent décrié même si certains le défendirent comme le critique Claude Briac qui écrivit qu’il « n’y a pas au monde dix réalisateurs capables de réaliser un tel film. » Marcel Carné lui-même réfutait d’ailleurs cette dénomination de réalisme poétique à laquelle il préférait celle de « fantastique sociale » imaginée par Mac Orlan. Cela n’empêchera pas certains critiques d’encenser le film justement parfois grâce à ses caractéristiques propres à cette dénomination. Ainsi dans L’avant-garde du 28 Mai 1938 on pouvait lire : « en dépit de cette atmosphère de misère morale, physique et physiologique, peut-être même à cause de cette atmosphère, trouble, floue, brumeuse, le Quai des brumes est un chef d’œuvre. »

    Des personnages victimes de la fatalité et une société qui court à sa perte

    Cette inéluctabilité du malheur s’incarne essentiellement dans un acteur, Jean Gabin, et dans un mouvement cinématographique, le réalisme poétique.

    Jean Gabin ou le mythe du héros tragique contemporain

    Dès la Bandera, l’image de Gabin était marquée du sceau de la fatalité et l’enchaînement inéluctable de ses infortunes procèderait, dans ses films à venir, d’un crime commis par désespoir d’amour : la Belle équipe qui se solde par le meurtre de Charles Vanel, Pépé le Moko dont le héros meurt sur le port d’Alger après avoir voulu rejoindre celle qu’il aimait etc. L’image du garçon malchanceux poursuivi par la fatalité sociale et victime du trop grand prix qu’il accorde à l’amour des femmes, sera celle de Gabin jusqu’au Jour se lève. Tous ses personnages sont voués à la mort comme la France est vouée à la guerre : que ce soit le sableur du Jour se lève, le déserteur du Quai des brumes ou le cheminot fou de La bête humaine ou encore le pittoresque Pépé de Pépé le Moko. C’est néanmoins toujours un personnage doté de moral et s’il tue, il n’est pas pour autant un assassin. C’est bien souvent la folie ou la fatalité qui le poussent au crime. Zola définit ainsi Lantier comme « un homme poussé à des actes où sa volonté n’était pour rien », une définition qui pourrait s’appliquer à chacun des personnages incarnés par Gabin. Dans tous ses films, Gabin incarne un séducteur, la plupart du temps malgré lui, qui ne croit plus en rien mais dont l’amour s’empare et que la fatalité pousse à une fin tragique. Tout en continuant à incarner le Front Populaire, Gabin incarne donc ces destins tragiques comme s’il incarnait, au-delà de personnages fictifs, le destin d’un Etat.

     D’après la définition communément admise le mythe est une croyance, largement représentée dans l’imagination collective, en une fable porteuse de vérité symbolique et répondant aux inspirations souvent inconscientes de ceux qui la partagent .Le mythe transmet, justifie, renforce et codifie les croyances, valeurs et coutumes sociales. Il permet la projection des fantasmes et des problèmes d’une société lorsque celle-ci ne peut les satisfaire ou les résoudre. Elle apporte à l’homme moderne la certitude et la cohésion dont il a besoin , l’aide à se définir et lui fournit des modèles d’authentification .Les films ,comme les autres œuvres humaines , véhiculent des mythes , archétypes ,symboles , et stéréotypes qui expriment la mentalité collective de leur époque… Le mythe de Jean Gabin représente donc une mentalité pessimiste et les films dans lesquels il évolue : l’angoisse collective de la guerre. Au-delà de son immense talent le succès de Gabin s’explique donc aussi par les attentes, les craintes plus ou moins conscientes de la population, qu’il incarne. Les angoisses de ses personnages coïncident avec celles de la population, voyant en Gabin le « héros tragique par excellence du cinéma français d’avant-guerre », un héros dont les craintes résonnent avec une étonnante humanité et vérité dans ce contexte où l’héroïsme sera parfois le fruit des circonstances. Gabin c’est aussi l’incarnation du peuple ouvrier représenté pour la première fois à l’écran st ainsi selon Jean-Michel Frodon « Avec la double mort de Gabin-Lantier(La bête humaine) et de Gabin-François(Le jour se lève), le peuple ouvrier français quitte pour toujours les écrans. Le Gabin d’avant-guerre incarne donc une défaite, celle de l’idéologie et de l’époque du Front Populaire, qui voyait dans la classe ouvrière l’avenir du monde. » Pour d’autres comme Weber, .., ce « mythe emblématique et récurrent de l’ouvrier », « voué à l’échec » et « écrasé par la fatalité » reste l’image que se font les producteurs et les cinéastes de l’époque du prolétariat et qui selon lui représentent un « bel exemple d’idéologie dominante. »

    Le mythe du réalisme poétique : reflet d’une angoisse collective.

    Le succès du Quai des brumes agit comme un révélateur. Les principaux succès de l’époque sont des comédies, des films d’espionnage ou d’aventures exotiques qui contrastent avec la noirceur absolue du film de Carné comme si les spectateurs se sentaient inconsciemment attirés par ce film comme par un miroir, celui de ses angoisses. Comme l’affirmait Ferro le cinéma « offre un outil d’investigation irremplaçable pour dévoiler le réel et révéler les non dits d’une société (…)de découvrir le latent derrière l ‘apparent, d’atteindre des zones inaccessibles par l’écrit » et de montrer comme l’a écrit Maurice Merleau Ponty la « pensée dans les gestes, la personne dans la conduite, l’âme dans le corps ». Le réel n’est donc pas celui que donne à voir les comédies mais celui qui semble si surréaliste par son pessimisme et qui sera pourtant bientôt la tragique réalité. La France court à sa perte, ne croit plus en son avenir comme Jean dans Le Quai des brumes, le poète Michel Krauss et les autres. Ce qui est encore invisible est pressenti par les réalisateurs. C’est avant tout en cela que le réalisme poétique peut être qualifié de mythe : les préoccupations des spectateurs s’incarnent dans ces films.

    Analyse - "Le Jour se lève" de Marcel Carné (1939)

    Je vous propose aujourd'hui une analyse du" Jour se lève" de Marcel Carné, cinéaste dont certains raillent le classicisme mais qui, avec ce film en particulier, a pourtant influencé un grand nombre de réalisateurs.

     
    Le jour se lève : la fin d’une « grande illusion »
     
    Pour Mitry, le film phare du réalisme poétique n’était pas "le Quai des Brumes" mais "Le jour se lève" qui marqua indéniablement les esprits surtout par sa construction singulière qui, a posteriori, en fait une œuvre particulièrement clairvoyante et un constat désespéré sur son époque.
     
     
    Le constat désespéré de la fin d’un monde
     
    A la recherche d’un scénario qui pourrait reformer le trio qu’il formait avec Gabin et Prévert ; Carné est enthousiasmé par un synopsis de Jacques Viot et surtout par le procédé de narration que celui-ci a l’intention d’utiliser et qui comprend trois longs retours en arrière et une structure dramatique respectant la règle des trois unités. Il trouvait en revanche que l’histoire était assez inconsistante. Au final ce sera celle de François (Jean Gabin) assassin de son rival Valentin (Jules Berry), un ignoble dresseur de chiens. François est assiégé dans sa chambre par la police et il revoit en une nuit les circonstances qui l‘ont conduit au crime. François est un ouvrier sableur, enfant de l’Assistance publique qui s’éprend d’abord de Françoise (Jacqueline Laurent), une petite fleuriste, elle aussi de l’Assistance. Il apprend ensuite que Valentin a sans doute été l’amant de Françoise, celui-ci se vantant de l’avoir séduite pour se venger de François. Il rencontre Clara (Arletty), l’ancienne et sulfureuse maîtresse de Valentin dont il tombe également amoureux et que celle-ci préfère à Valentin. François remonte son réveil pour aller travailler. Valentin vient le provoquer chez lui. Le réveil ne sonnera plus l’heure du travail mais l’heure de la mort comme il aurait pu sonner l’heure inéluctable de la guerre. La police fait évacuer la place et lance des bombes lacrymogènes dans l’appartement, mais François s’est déjà tiré une balle dans le cœur. Le film est sorti le 17 juin 1939, c’est-à-dire quelques semaines seulement avant la guerre.
     
    Le désenchantement du film semblait anticiper sur la déception amère qui submergea la France à la veille du second cataclysme mondial. Comme le destin tragique des personnages scellé par l’armoire mais aussi scellé par le compte à rebours du réveil, le destin tragique de la France semble être scellé. La fin du film en devient donc d’autant plus symbolique : les policiers donnent l’assaut contre François et laissent un espace vide que parcourt un aveugle qui hurle, ne comprenant pas ce qui se passe. L’euphorie du Front Populaire est chassée par la guerre comme les ouvriers par la police, et la succession et le contraste de ces deux évènements diamétralement opposés sont si soudains que le spectateur de l’époque ne comprend pas non plus ce qui se passe. L’innocent est condamné au suicide. Il n’y a plus d’espoir. Il n’y a plus d’avenir.
     
    D’ailleurs, avant même le générique, tout espoir est banni : « Un homme a tué … , enfermé ,assiégé dans une chambre. Il évoque les circonstances qui ont fait de lui un meurtrier. » François n’a plus d’espoir. La France n’a plus d’espoir. Le prénom du personnage même semble insister sur la métaphore du désespoir connu alors par l’Etat qui voit la guerre comme un avenir inévitable. Dans cette optique les dialogues prennent alors une étrange résonance. Ainsi lorsqu’un gendarme répond à une voisine inquiète « Mais vous ne courez aucun danger madame » et qu’on lui répond « On dit ça, on dit ça » on songe autant à la situation inquiétante de la France qu’à celle de François. D’autres répliques font ainsi écho à celle-ci : « On dirait que tout le monde est mort », « vous êtes nerveux parce-que vous êtes inquiet et vous êtes inquiet parce-qu’il y a des choses qui vous échappent. » Son destin échappe à François comme le destin de la France lui échappe et il s’évanouit dans un dernier cri de désespoir : « François, mais qu’est-ce qu’il a François, y a plus de François, il est mort François. »Cette menace semble être davantage encore mise en exergue par des répliques qui rappellent les idéaux du Front Populaire si proche et pourtant si lointain comme « Le travail c’est la liberté puis c’est la santé. » ou encore les paroles d’Arletty : « la liberté, c’est pas rien. » Ces idéaux sont encore symbolisés par la solidarité dont les amis de François font preuve à son égard.
     
    Cette dichotomie entre une France encore marquée par cette euphorie mais néanmoins consciente du danger qui la menace pourrait se résumer dans cette réplique de Françoise à propos de l’ours en peluche qu’elle compare à François : « vous voyez il est comme vous, il a un œil gai et l’autre qui est un petit peu triste », comme la France partagée entre les réminiscences de la gaieté de 1936 et la tristesse suscitée par le danger imminent.
     
     
     
    Une innovation formelle : une homologie esthétique entre la forme et le fond
     
    Ainsi, pour Mitry, la raison de la réussite du film n’en tient pas essentiellement à l’histoire, ni à l’interprétation mais à ce que « le scénario , entièrement bâti sur un retour en arrière construit une structure narrative parfaitement adéquate à son conten  .Le flash back n’est plus un flash back plus ou moins judicieusement utilisé pour faire avancer l’histoire mais il devient la figure de style en quoi une homologie esthétique s’instaure entre la forme et le fond , ce à quoi fort peu de films sont parvenus (Citizen Kane de Welles , Vivre de Kurosawa , 8 ½ de Fellini, Providence de Resnais). »
     
     Sans sa construction singulière le film aurait peut-être été noyé dans le flot de ceux du réalisme poétique mais sa construction, son scénario original de Jacques Viot, l’adaptation et les dialogues de Prévert, en ont fait pour beaucoup « le chef d’œuvre du réalisme poétique. » C’est donc la première fois en France qu’on construit entièrement une histoire sur le principe du retour en arrière même si le procédé n’était pas entièrement nouveau puisque Renoir l’avait aussi utilisé dans "Le crime de Monsieur Lange", le cinéma muet utilisant également quelques incursions dans le passé de ses personnages, il apparaît néanmoins ici comme novateur. Ce procédé a bien sûr été immortalisé par un mythique film américain, en 1941 : "Citizen Kane" d’Orson Welles. Ce procédé paraissait alors tellement novateur, que le distributeur, craignant une réaction négative du public, par mesure de précaution, avait fait précéder le générique du Jour se lève d’un « carton »destiné à expliquer à un public supposé trop ingénu le fonctionnement du « retour en arrière » même si ce procédé avait déjà été utilisé dans un film américain : T"he power and the glory" écrit par Preston Sturges et réalisé par William K.Howard en 1933.
     
    Cette innovation du flash back et de ce film qui se déroule donc en une nuit, du meurtre à l’assaut de la police n’est pas la seule contenue dans "Le jour se lève". Il était également audacieux de montrer un ouvrier sur les lieux de son travail, en l’occurrence François dans l’exercice de sa profession de sableur, ce qui était jusqu’alors considéré comme ennuyeux et donc susceptible de lasser le public. Des ouvriers ont donc été mis en scène et ne l’ont été auparavant que dans dans "Toni"(1934) et "La vie est à nous" (1936), encore invisible. Il sera ainsi qualifié de « huis clos prolétarien ». Rarement en effet le cadre de vie de la population ouvrière aura été décrite avec autant de précision, le travail de François n’étant pas un simple cadre mais aussi au centre de certains dialogues, celui-ci évoquant : « le chômage...ou bien le boulot. Ah ! J’ai fait des boulots, jamais les mêmes, toujours pareils…La peinture, le pistolet…ou bien le minium…Pas bon non plus le minium…le sable…et la fatigue…la lassitude ».
     
     Si les décors paraissent au premier abord réalistes, une observation plus minutieuse permet de constater qu’ils ne sont pas dénués d’expressionnisme à l’exemple de l’immeuble de François démesurément vertical et situé à côté d’un réverbère presque aussi haut que lui. Trauner, le décorateur, avait ainsi insisté pour que le personnage soit isolé, loin et très haut et donc pour que l’immeuble fasse cinq étages et que François soit en haut de celui-ci. Le producteur menace de se suicider quand Carné annonce que cet immeuble fera cinq étages et sera construit aux studios de Joinville mais le réalisateur finira par obtenir gain de cause. Le remake américain de Litvak de 1947 prouve d’ailleurs à quel point ce fut judicieux. Le protagoniste s’y trouve en effet au deuxième étage, ce qui fait perdre toute sa force à ces scènes.
     
    Malgré toutes les précautions du distributeur le film fut jugé déconcertant par le public, pourtant il fut reconnu tout de suite comme un chef-d’oeuvre dont l’envoûtement résulte d’un ensemble : les leitmotiv musicaux de Maurice Jaubert et qui accompagnent les lents fondus enchaînés, la lumière de Curt Courant et le décor de Trauneur alliés aux dialogues de Prévert et au jeu de contrasté de Gabin qui murmure différemment avec Françoise ou Clara et qui crie face au cynisme de Berry. Pour Bazin, ainsi on « y éprouve le sentiment d’un parfait équilibre, d’une forme d’expression idéale : la plénitude d’un art classique » ou encore René Lehmann dans L’intransigeant en 1939 c’est « un film extrêmement attachant et fort, dont on n’aimera peut-être pas la substance mais qu’on ne pourra pas s’empêcher d’admirer. » ou encore dans La Lumière Georges Altman écrivit en 1939 : « mais c’est là une œuvre d’art sans défaillance ni concession ».
     
     "Le jour se lève" étant considéré comme le chef d’œuvre du réalisme poétique, on lui imputera donc les défauts ultérieurement reprochés à ce mouvement, le trouvant trop « fabriqué » ou même que le symbolisme était « de pacotille » et la mise en scène « rudimentaire ». Le réveil qui sonne au dénouement du film pour appeler l’ouvrier mort au travail est peut-être jugé « de pacotille » mais le pessimisme du film et justement ce symbolisme témoignent de l’état d’esprit de l’époque avec une étonnante lucidité. Il est vrai que dans ce film rien ne semble laissé au hasard. Tous les objets ont leur signification et constituent même des personnages du film concourant à cette impression que le dénouement tragique est inéluctable. L’ours en peluche, la broche, les photos, les boyaux de vélo, tout va prendre peu à peu une signification. Ainsi Bazin en a fait une analyse détaillée lui permettant de dresser un véritable portrait anthropomorphique de François et en démontre l’utilisation dramatique et le rôle symbolique en fonction du caractère du personnage de François, le fait qu’il prenne par exemple bien soin de faire tomber dans le cendrier la cendre de cigarette qui macule le tapis de la chambre : « Tant de propreté et d’ordre un peu maniaque révèle le côté soigneux et un peu vieux garçon d’un personnage et frappe le public comme un trait de moeurs ». L’armoire joue alors un rôle central :« Cette armoire normande que Gabin pousse devant la porte et qui donne lieu à un savoureux dialogue dans la cage d’escalier entre le commissaire et le concierge(…).Ce n’est pas la commode ,la table ou le lit que Gabin pouvait mettre devant la porte .Il fallait que ce fut une lourde armoire normande qu’il pousse comme une énorme dalle sur un tombeau .Les gestes avec lesquels il fait glisser l’armoire , la forme même du meuble font que Gabin ne se barricade pas dans sa chambre :il s’y mure. »
     
    Analyse - "Drôle de drame" de Marcel Carné (1937)
     
     
    Lors de sa sortie en 1937, Drôle de drame est un échec, le public étant désorienté par son ton acéré et par son synopsis rocambolesque que la précision de son écriture rend néanmoins parfaitement compréhensible.
     
    L’intrigue se déroule ainsi à Londres en 1900. Elle met en scène le professeur de botanique Molyneux (Michel Simon) qui écrit en cachette des romans policiers sous le pseudonyme de Félix Chapel. Son cousin Soper, évêque de Bedford (interprété par Louis Jouvet) qui a lancé une véritable croisade contre ces livres « impies » s’invite à dîner chez Molyneux ignorant qu’il s’agit aussi de Felix Chapel. La cuisinière ayant déserté le domicile, les Molyneux préfèrent eux aussi quitter le domicile en le laissant seul plutôt que d’avouer que c’est Mme Margaret Molyneux(Françoise Rosay) qui a fait la cuisine. Persuadé que Molyneux a tué sa femme, l’évêque alerte alors la police. Déguisé en Chapel, arborant une fausse barbe Molyneux est contraint de revenir sur les lieux « du crime » pour effectuer un reportage, lieux alors occupés par la presse et encerclés par une foule furibonde. Pendant ce temps William Kramps (Jean Louis Barrault) l’assassin de boucher décide de tuer Chapel et tombe amoureux de Mme Molyneux tout en sympathisant avec Mr Molyneux...ignorant qu’il s’agit aussi de Chapel. Tout dégénère dans la folie générale et dans la loufoquerie. Le boucher avoue finalement le meurtre qu’il n’a pas commis et Molyneux est contraint d’être Chapel à vie, sacrifiant ainsi sa véritable identité et assumant jusqu’à la fin de ses jours sa fonction d’escroc littéraire.
     
     
    Carné et Prévert qui désiraient à nouveau collaborer ensemble avaient d’abord songé à s’inspirer d’un fait divers sur un bagne d’enfants de Belle-île-en mer. La censure s’y opposa et le producteur prévu, le commandant d’aviation Coriglion Molinier, ami d’André Malraux, leur propose alors deux sujets dont il avait acquis les droits dont le roman de J. Storer-Clouston The lunatic at large or his first offence paru en France sous le titre de La mémorable et tragique aventure de Mr Irwyn Molyneux. Carné, Prévert et l’équipe technique s’étaient tant amusés à réaliser le film qu’ils étaient persuadés qu’il en irait de même pour le spectateur. Ce film qui se voulait avant tout ludique ne séduisit pourtant pas du tout le public qui le jugea aussi « bizarre, bizarre » que la réplique qui l’a immortalisé. Le film a même été accueilli par des sifflets et un véritable chahut et au Colisée où il passait en exclusivité il fut accueilli par des « Idiot », « On se fout de nous » particulièrement encourageants… En province il fut même présenté avec le slogan « le film le plus idiot de l’année. » Le public d’Outre-Manche sera beaucoup plus sensible au film présenté au nom de « Bizarre…bizarre ! » Son caractère théâtral lui fut également reproché faisant dire à certains que le véritable « réalisateur » n’était pas Carné mais son scénariste Jacques Prévert , Carné n’ayant alors fait, selon ses détracteurs, que transcrire le texte en film. Certaines critiques furent alors aussi acerbes que les propos du film : « Marcel Carné a essayé, c’est visible, de transposer dans le style français cette loufoquerie arbitraire et clownesque, qui nous ravit tant dans les films américains. Il n’est parvenu qu’à une sorte de violent vaudeville théâtral, au dessin caricaturalement stylisé(…) » (Les Beaux Arts du 29.10.1937)ou encore dans Candide , du 28 octobre 1937 Jean Fayard écrivit : « tout cela est trop compliqué, trop verbeux, trop appuyé, trop voulu » même si d’autres reconnaissaient déjà qu’il n’y avait « pas une faute à relever dans cette comédie échevelée. »
     
    Ce qui déconcerte peut-être davantage encore le public ce sont probablement les personnages, aucun n’étant véritablement innocent à commencer par les traditionnels amoureux des films de Prévert ici inspirateurs des romans infâmes de Chapel et qui reçoivent « la première pierre de celui qui n’a jamais pêché », probablement le seul personnage véritablement innocent du film. Le balayeur n’est pas plus innocent (« C’est justement les affaires des autres qui m’intéressent ») que le gardien de prison qui n’hésite pas, moyennant finance, à fermer les yeux sur le baiser échangé par les amoureux à travers les grilles de la cellule. Les personnages sont même parfois d’un véritable cynisme comme ce curieux noceur interprété par Marcel Duhamel qui prend le deuil des morts qu’il ne connaît pas afin de se sentir « moins seul dans la vie.»
     
    Drôle de drame est en effet une véritable critique sociale où le paraître prime sur l’être et engendre cette folie et ce quiproquo généralisé entre petits mimosas carnivores et évêque gastronome. Personne n’échappe à la critique ou à l’ironie cinglante : pas plus la bourgeoisie et ses mensonges sociaux qui préfère passer pour criminelle plutôt que pour « des imbéciles » en manquant aux usages. Ce sont aussi les délires d’une vieille tante qui n’a jamais pu supporter sa famille, l’exagération de la presse à sensation, les délires moralisateurs d’un homme d’Eglise finalement ridiculisé d’un kilt et même accusé du meurtre qu’il avait dénoncé, l’incompétence de la police qui se laisse entraîner dans cette histoire rocambolesque sans vraiment se poser de questions etc.
     
    Le peuple n’a d’ailleurs probablement pas apprécié l’image que le film lui renvoyait. Il est en effet dépeint comme versatile. Ainsi, après avoir réclamé la tête de Molyneux puis celle de sa femme et celle de l’évêque, il exige finalement celle de William Kramps. La bourgeoisie n’a pas plus apprécié cet humour ravageur qui souligne son souci des convenances. Cette critique passe également par des dialogues avec des expressions du langage courant qui prennent ici un tout autre sens comme l’inspecteur qui dit à Molyneux déguisé en Chapel et revenant sur les lieux du crime : « Considérez-vous ici comme chez vous. » Ces dialogues furent aussi jugés trop travaillés : « Là où il y a contrepoison il y a poison » ou encore le célèbre « mimétisme du mimosa » de Michel Simon. On y retrouve pourtant les décors de Trauner, les images de Schufftan qui avaient contribué au succès des films du réalisme poétique.
     
    Il semble donc qu’on ne puisse pas rire de tout en 1937, que par un drôle de drame on ne puisse faire oublier qu’une drôle de guerre se profile. Le film connaîtra néanmoins un véritable triomphe lors de sa reprise nationale en 1952, peut-être le public avait-il alors davantage le goût de rire de tout...
     
  • Critique - "Les Marches du pouvoir" de George Clooney, le 3 novembre 2012, sur Canal plus

    Ce soir, à 20H55, sur Canal plus, ne manquez pas l'excellent "Les Marches du pouvoir" de George Clooney, d'autant plus indispensable à quelques jours des élections américaines.

    marches2.jpg

    « The American » d’Anton Corbijn, le précèdent film avec George Clooney avant "Les Marches du pouvoir" prouvait une nouvelle fois le caractère judicieux de ses choix en tant que comédien et en tant que producteur, ce film allant à l’encontre d’une tendance selon laquelle les films doivent se résumer à des concepts, prouvant qu’un film lent, au style épuré et aux paysages rugueux (ceux des Abruzzes en l’occurrence, d’ailleurs magnifiquement filmés) peut être plus palpitant qu’un film avec une action à la minute.

     Avec « Les Marches du pouvoir », il confirme la clairvoyance de ses choix (film produit par un autre acteur aux choix clairvoyants, Leonardo DiCaprio) avec un film au sujet a priori (et seulement a priori) peu palpitant : la bataille pour les primaires démocrates et, un peu à l’inverse de « The American » qui était un thriller traité comme un film d’auteur intimiste, il nous embarque dans un thriller palpitant avec ce qui aurait pu donner lieu à un film d’auteur lent et rébarbatif. "Les Marches du Pouvoir" est une adaptation de la pièce de théâtre « Farragut North » de Beau Willimon; il a été présenté en compétition officielle de la dernière Mostra de Venise.

    Stephen Meyers (Ryan Gosling) est le jeune, légèrement arrogant, mais déjà très doué et expérimenté conseiller de campagne du gouverneur Morris (George Clooney) candidat aux primaires démocrates pour la présidence américaine. Pour lui, Morris est le meilleur candidat et il s’engage à ses côtés, totalement convaincu de son intégrité et de ses compétences mais peu à peu il va découvrir les compromis qu’impose la quête du pouvoir et perdre quelques illusions en cours de route… Il va découvrir ce qu’il n’aurait jamais dû savoir, commettre l’erreur à ne pas commettre et la campagne va basculer dans un jeu de dupes aussi fascinant que révoltant.

    Le film commence sur le visage de Meyers récitant un discours, du moins le croit-on… La caméra s’éloigne et dévoile une salle vide et que l’homme qui semblait être dans la lumière est en réalité un homme dans et de l’ombre, préparant la salle pour celui qu’il veut mener à la plus grande marche du pouvoir. Ce début fait ironiquement écho au magnifique plan-séquence de la fin où la caméra se rapproche au lieu de s’éloigner (je ne vous en dis pas plus sur cette fin saisissante)…tout un symbole !

    Je ne suis pas à un paradoxe près : alors que je m’insurge constamment contre le poujadiste et simpliste «tous pourris » souvent le credo des films sur la politique, ce film qui dresse un portrait cynique de la politique et de ceux qui briguent les plus hautes marches du pouvoir m’a complètement embarquée… Clooney non plus n’est pas à un paradoxe près puisque lui qui a fermement défendu Obama dans sa campagne présidentielle et dont la sensibilité démocrate n’est pas un mystère a mis en scène un candidat (démocrate) dont l’affiche ressemble à s’y méprendre à celle du candidat Obama lors de son premier mandat. D’ailleurs, ce n’est pas forcément un paradoxe, mais plutôt une manière habile de renforcer son propos.

    A première vue, rien de nouveau : les manigances et les roueries de la presse pour obtenir des informations qui priment sur tout le reste, y compris de fallacieuses amitiés ou loyautés, la proximité intéressée et dangereuse entre le pouvoir politique et cette même presse (tout ce que la très belle affiche résume, avec en plus le double visage du politique), et même les liens inévitables entre désir et pouvoir qui ouvraient récemment un autre film sur la politique, « L’Exercice de l’Etat », dans une scène fantasmagorique mais, malgré cela, George Clooney signe un film remarquable d’intensité, servi par des dialogues précis, vifs et malins et par une mise en scène d’une redoutable élégance, notamment grâce au recours aux ombres et à la lumière pour signifier l’impitoyable ballet qui broie et fait passer de l’un à l’autre mais surtout pour traiter les coulisses obscures du pouvoir comme un thriller et même parfois comme un western (le temps d’un plan magnifique qui annonce le face-à-face dans un bar comme un duel dans un saloon). En fait, « Les marches du pouvoir » porte en lui les prémisses de plusieurs genres de films (thriller, romantique, western) montrant, d’une part, l’habileté de Clooney pour mettre en scène ces différents genres et, d’autre part, les différents tableaux sur lesquels doivent jouer les hommes politiques, entre manipulation, séduction et combat.

    Le temps d’une conversation plongée dans le noir ou d’une conversation devant la bannière étoilée (invisible un temps comme si elle n’était plus l’enjeu véritable mais aussi gigantesque et carnassière), sa mise en scène se fait particulièrement significative. Cette plongée dans les arcanes du pouvoir les décrit comme une tentation perpétuelle de trahir : ses amis politiques mais surtout ses idéaux. L’étau se resserre autour de Stephen comme un piège inextricable et les seuls choix semblent alors être de dévorer ou être dévoré, d’ailleurs peut-être pas tant par soif du pouvoir que par souci de vengeance et par orgueil, amenant ainsi de la nuance dans le cynisme apparent qui consisterait à dépeindre des hommes politiques uniquement guidés par la soif de conquête et de pouvoir. Ryan Gosling est parfait dans ce rôle, finalement pas si éloigné de celui qu’il endosse dans « Drive », incarnant dans les deux cas un homme qui va devoir renier ses idéaux avec brutalité, et qui révèle un visage beaucoup plus sombre que ce qu’il n’y parait. Face à lui, George Clooney en impose avec sa classe inégalée et inégalable qui rend d’autant plus crédible et ambivalent son personnage à la trompeuse apparence, épris de laïcité, de pacifisme et d’écologie... sans doute davantage par opportunisme que par convictions profondes, ses choix privés révélant la démagogie de ses engagements publics.

    Le cinéma américain entre Oliver Stone, Pakula, ou avec des rôles incarnés par Robert Redford comme dans « Votez McKay » de Michael Ritchie (que Redford avait d’ailleurs coproduit) a longtemps considéré et traité la politique comme un sujet à suspense. Tout en s’inscrivant dans la lignée de ces films, Clooney réinvente le genre en écrivant un film aux confluences de différents styles. La politique est décidément à la mode puisque pas moins de trois films français (très différents) sur le sujet étaient sortis l'an passé (« La Conquête », « Pater » et « L’Exercice de l’Etat »). Clooney ne s’intéresse d’ailleurs pas ici uniquement à la politique, le film ne s’intitulant pas « Les marches du pouvoir politique » mais du pouvoir tout court et cette soif d’ascension au mépris de tout pourrait se situer dans d’autres sphères de la société de même que la duplicité de ceux qui cherchent à en gravir les marches, à tout prix, même celui de leurs idéaux.

    Seul regret : que le titre original peut-être pas plus parlant mais plus allégorique n’ait pas été conservé. «The ides of March » correspond ainsi au 15 mars du calendrier romain, une expression popularisée par une des scènes de « Jules César » de William Shakespeare, dans laquelle un oracle prévient le célèbre général de se méfier du 15 mars, date à laquelle il finira par être assassiné.

    Un thriller aussi élégant que le sont en apparence ses protagonistes et qui en révèle d’autant mieux la face obscure grâce à un rythme particulièrement soutenu, un distribution brillamment dirigée (avec des seconds rôles excellents comme Philip Seymour Hoffman ou Paul Giamatti), des dialogues vifs, et surtout une mise en scène métaphorique entre ombre et lumière particulièrement symptomatique du véritable enjeu (être, devenir ou rester dans la lumière) et de la part d’ombre qu’elle dissimule (souvent habilement) et implique. Je vous engage à gravir ces « Marches du pouvoir » quatre-à-quatre. Un régal impitoyable. Vous en ressortirez le souffle coupé !

    Découvrez les 6 blogs inthemood: http://inthemoodlemag.com , http://www.inthemoodforcannes.com , http://www.inthemoodfordeauville.com , http://www.inthemoodforluxe.com , http://www.inthemoodforcinema.com

  • Critique- « The American » d’Anton Corbijn avec George Clooney , à 20H45, sur Ciné + premier

    Ce soir, à 20H45, sur Ciné + premier, ne manquez pas l'excellent "The American" d'Anton Corbijn, avec George Clooney et retrouvez ma critique du film, ci-dessous.

    vcm_s_kf_repr_988x527.jpg

    american.jpg

    L’affiche pouvait nous laisser présager un énième film d’action avec, quasiment chaque minute : un nouveau pays, un coup de feu, un mort, et des répliques en formes de slogan. Son élégance joliment surannée laissait néanmoins un peu de place à l’espoir… de même que la présence d’Anton Corbijn (dont le premier long « Control » avait été remarqué par la critique) à la réalisation, et de George Clooney dans le rôle principal et à la coproduction. « The American » a été adapté du roman A Very Private Gentleman de Martin Booth, publié en 1990.

    George Clooney incarne ici Jack, un tueur à gages expérimenté. Une mission qui tourne mal le « contraint » à tuer sa compagne le convainquant de faire de son prochain contrat son ultime. C’est ainsi qu’il se retrouve à Castel del Monte, un petit village italien des Abruzzes avec aussi peu d’âmes que de brebis potentiellement aussi égarés que lui parmi lesquels le prêtre du village et une prostituée. En les fréquentant, Jack prend alors le risque de rompre sa solitude et donc de mettre son identité et sa vie en danger.

    Dès la première scène, dans tous les sens du terme glaciale, le ton est donné. Après une scène d’amour, débusqué par de mystérieux tueurs, Jack abat sa compagne d’une balle dans le dos. Sans hésiter. Froidement. Première bonne nouvelle : Clooney ne joue pas les séducteurs ou un personnage gentiment névrosé dont les Coen ont le secret mais un personnage que cette première scène nous rend a priori entièrement antipathique, à l’image de son personnage dans « In the air », également a priori antipathique. Quelques scènes plus loin, en forme de générique judicieusement métaphorique de son destin, il emprunte un long tunnel désert qui s’achève par une lumière aveuglante.

    Le film se déroule ensuite entièrement dans ce petit village des Abruzzes aux paysages rugueux, d’une beauté inquiétante et âpre. Jack y promène sa solitude, son lourd passé et y rencontre un potentiel avenir auprès d’êtres aussi troubles et solitaires que lui.

    Alors que les héros bodybuildés et invincibles et la surenchère de courses-poursuites qui ont bien souvent pour seul but d’hypnotiser le spectateur, de l’empêcher de s’ennuyer et de penser sont aujourd’hui la marque de fabrique des thrillers, celui-ci est à l’opposé avec un antihéros sombre, mystérieux, presque muré dans le silence qui, de tueur à gages froid et antipathique devient l’incarnation d’une solitude et d’une marginalité alors beaucoup plus sujettes à l’empathie et surtout universelles.

    Entre le cowboy à la Sergio Leone et le Samouraï à la Melville, ce personnage, qui à l’image de ce dernier a donné son surnom qui le caractérise au titre du film, nous sommes accrochés à ses pas sur la route, certes escarpée et semée d’embûches, de la rédemption. L’atmosphère est à la fois menaçante et fascinante, énigmatique et inquiétante, reposante et agressive, à son image.

    blogphoto10.jpg
    Photo ci-dessus inthemoodforcinema.com

    George Clooney en producteur très malin (se) trouve là un de ses meilleurs rôles. Mystérieux, sombre, traqué, mutique, et surtout seul. A l’heure où les films doivent se résumer à des concepts, il prouve une nouvelle fois qu’un film lent, au style épuré et aux paysages rugueux ( d’ailleurs magnifiquement filmés) peut être plus palpitant qu’un film avec une action à la minute. Bref, je vous recommande ce voyage dans les Abruzzes, tantôt paradisiaques, tantôt dédale infernal dont la seule échappatoire, dans un poétique dénouement, est un utopique Eden …

  • Critique - « Les Hommes libres » d’Ismaël Ferroukhi avec Tahar Rahim, Michael Lonsdale, à 20H55, ce soir, sur Canal plus

    hommeslibres1.jpg

     

    holibs.jpg

    1942. Paris occupé (outragé, brisé, martyrisé). Younes (Tahar Rahim), jeune émigré algérien vit du marché noir. Arrêté par la police française, il est contraint d’espionner la Mosquée de Paris dont les responsables et notamment le Recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit (Michael Lonsdale), sont soupçonnés de délivrer de faux-papiers à des Juifs et à des résistants. Sa rencontre avec le chanteur juif d’origine algérienne Salim Halali (Mahmoud Shalaby) dont la voix et la personnalité vont le toucher mais aussi avec la troublante résistante Leila (Lubna Azabal) vont le conduire à choisir son camp, au péril de sa vie. Younes va peu à peu s’éveiller au combat, celui de la liberté.

    En 2006, Rachid Bouchareb rendait hommage aux « Indigènes », soldats oubliés de la première armée française recrutée en Afrique. En 2009, avec « L’Armée du crime », Robert Guédiguian avait choisi de rendre hommage aux immigrés morts pour la France en relatant les destinées tragiques d'un groupe de jeunes juifs résistants et communistes (Hongrois, Polonais, Roumains, Espagnols, Italien, Arméniens) déterminés à combattre pour libérer la France. Des films de qualités peut-être inégales mais en tout cas pareillement nécessaires à l’image du film d’Ismaël Ferroukhi qui se base sur des faits réels et rend lui aussi hommage à des combattants de la liberté et à cet aspect méconnu de la résistance au sein de la Mosquée de Paris.

    Les grands films sur la résistance ne sont finalement pas si nombreux et le cinéma n’a sans aucun doute pas fini de chercher à mettre en lumière cette période sombre de l’Histoire et ceux qui ont contribué à son dénouement. Si je devais vous en recommander un seul, ce serait sans doute « L’Armée des ombres » de Jean-Pierre Melville (cliquez ici pour lire mon article de « L’Armée des ombres » à « L’Armée du crime »)…même si des films comme ceux précités ou celui-ci apportent leur pierre à l’édifice. Bien que leur intérêt cinématographique soit discutable, leur intérêt historique est incontestable (ce fut aussi le cas de « La Rafle » de Rose Bosch dont les qualités cinématographiques étaient contestables mais qui n'en étaient pas moins un film nécessaire). D’autant plus incontestable dans une période d’exacerbation des communautarismes quand un film comme celui-ci montre des hommes qui les ont dépassés pour un combat plus grand : celui de la liberté.

    C’est aussi la rencontre entre deux générations d’acteurs (très belle idée que de confronter Michael Lonsdale et Tahar Rahim) portés par la même sincérité, le même enthousiasme et le même effacement devant le message que délivrent leurs personnages. Un message fort porté par un casting de choix. Mahmoud Shalaby au regard d’une intensité troublante. Tahar Rahim dont le jeu et le corps incarnent brillamment ce jeune homme qui passe d’une relative inconscience au combat, qui dit que cette guerre n’est pas la sienne et fait son entrée en résistance et qui s’éveille, à la conscience, à l’amour, à la politique, à la liberté. Lubna Azabal (inoubliable dans « Incendies ») parfaite pour incarner cette « ombre » grave et mystérieuse. Michael Lonsdale au jeu ambigu à souhait mais dont se dégage toujours cette belle humanité, personnage complexe à l’image de cette période trouble, fréquentant des ministres de Vichy et des officiers allemands et dans le même temps délivrant de faux-papiers à des Juifs et des résistants.

    « Les hommes libres » n’est pas un film qui assène ou qui cherche à capturer le spectateur et à provoquer son émotion. Non, à l’image de ces hommes de l’ombre, il délivre son message tout en retenue évoquant tout aussi bien des évènements historiques comme la Rafle du Vel d’Hiv (scène forte qui montre toute la cruauté absurde et obscène où des papiers prouvant que vous êtes « Mahométans » vous font échapper à la mort, où des papiers classent des hommes dans une case qui les destine à la vie ou à la mort comme de vulgaires dossiers) que les sentiments sans vraiment les démontrer ou nommer.

    Sans doute pour des raisons budgétaires, mais aussi pour montrer cette vie invisible, le film ne quitte pratiquement pas la Mosquée et le Cabaret Oriental où vivent et résistent ces hommes de l’ombre.

    Qu’est-ce qu’être un homme libre ? Sans doute celui qui choisit son combat, celui de la liberté, fut-ce au péril de sa vie à l’image de ces « Hommes libres » auxquels le film rend un bel hommage. Un sujet en or, un film fait avec sincérité, porté par un casting de choix et une musique arabo-andalouse envoûtante, à l’intérêt historique incontestable. Dommage qu’il y ait parfois un problème de rythme et que la fin soit aussi brusque et que le scénario s’efface à ce point devant le sujet et le combat auxquels il rend hommage, mais finalement une belle manière de faire coïncider la forme et le fond que cette sobriété et cette modestie...devenues de plus en plus rare quand la mode est à un cinéma qui cherche à en mettre plein la vue pour masquer la vacuité du message. Je songe à un film récemment primé d’un prix de la mise en scène …mais il s’agit là d’un autre sujet.

    Bonus: ma critique de "Or noir" de Jean-Jacques Annaud avec Tahar Rahim et l'interview de ces derniers.

    Lien permanent Imprimer Catégories : A VOIR A LA TELEVISION : CRITIQUES DE FILMS Pin it! 0 commentaire
  • Critique de « Dans la maison » de François Ozon avec Fabrice Luchini, Ernst Umhauer, Kristin Scott Thomas…

    Comme je le fais avec certains de ses ainés (Resnais, Téchiné…) du cinéma français, je m’efforce (très doux effort, d’ailleurs) de ne manquer aucun film de François Ozon, promesse toujours d’une promenade dans les méandres de son imagination fertile servie, toujours aussi, par une réalisation maligne, complice ou traitre, qui nous conduit dans les secrets, souvent enfouis ou inavoués, de l’intérieur…des âmes et/ou des habitations. Et justement, ce nouveau long-métrage librement adapté de la pièce espagnole de Juan Mayorga intitulée « Le Garçon du dernier rang » s’intitule « Dans la maison ».

     Cette maison, c’est celle dans laquelle s’immisce un garçon de 16 ans, Claude (Ernst Umhauer), celle d’un élève de sa classe, Rapha(ël). C’est ce qu’il commence à raconter à son professeur de français, Germain Germain (incarné par Fabrice Luchini)  dans une rédaction, un devoir donné par ce dernier demandant à ses élèves (pardon : ses apprenants) de raconter leur week end. Plus doué que les autres dont les rédactions ne sont qu’une suite de banalités désespérantes, l’élève attire son attention par son intelligence malgré (à cause de ?) son mépris de « l’odeur de la femme de la classe moyenne". La rédaction se termine par « A suivre ». Et des suites, il y en aura beaucoup. Reprenant goût à l’enseignement, Germain le professeur aigri, écrivain raté, continue à donner des cours particuliers et à demander des rédactions à son brillant élève qui dénote parmi ses élèves à uniformes (et uniformisés) et qui continue ainsi à lui raconter et/ou inventer les suites de son aventure et de son intrusion dans la maison. Germain va alors devenir le complice, le manipulateur et la victime de cette brillante rédaction/manipulation à suivre encore et toujours…

    « Dans la maison » commence avec Germain, professeur sans histoire(s), dans le hall vide et austère du lycée, à l’image de son existence, un premier plan auquel le dernier très hitchcockien (je ne vous dirai évidemment pas en quoi il consiste), au contraire riche d’histoires, fait brillamment écho. Entre les deux, François Ozon, s’amuse avec les mots, rend hommage à leur prodigieux pouvoir, à leur troublante beauté, nous donne des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipule tout comme son élève manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme.  Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités : Germain Germain, les deux jumelles (très courte mais irrésistible apparition de Yolande Moreau) et évidemment la plus maligne et féroce d’entre toutes,  le spectateur et Germain pareillement manipulés, voyant leur curiosité aiguisée par  un autre duo Claude/Ozon.

     Et c’est ce qu’est avant tout ce nouveau film de François Ozon : une brillante leçon de manipulation et (donc) surtout d’écriture et de scénario (de ce point de vue comme le prolongement de « Swimming pool » et, dans une moindre mesure, de « Sous le sable »). Tout comme Germain donne un cours d’écriture à Claude en lui parlant de personnages, d’objectifs et de conflits ou encore de ce en quoi consiste une bonne fin (« Quand le spectateur se dit  Je ne m’attendais pas à ça et ça ne pouvait pas finir autrement »),  Ozon nous en donne une à nous aussi, en ne suivant justement pas ce schéma habituel, pour mieux nous dérouter, manipuler, et maintenir ainsi constamment le suspense, la surprise, voire l’emprise. Nous sommes sa marionnette consentante, dans la même situation que Germain, avides de connaître ce que cache ce « A suivre », Claude étant d’ailleurs, plus qu’un brillant écrivain, surtout très habile pour  encourager la fibre voyeuriste de son lecteur (enfin, de ses lecteurs, puisque Germain lit tous ses textes à son épouse). Ce n’est évidemment pas un hasard si Germain et cette dernière vont au cinéma pour voir « Match point » de Woody Allen, la plus brillante des leçons de scénario et manipulation qui soit (critique en bonus à la fin de cet article, avec celle de « Potiche » également de François Ozon).

     Et puis, surtout, Ozon s’amuse. Avec les mots, faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Avec les noms propres (Germain Germain). Avec les codes de l’art : son absurdité, parfois (scènes irrésistibles dans la galerie de l’épouse de Germain interprétée par Kristin Scott Thomas) et sa beauté, souvent (« L’art nous éveille à la beauté des choses » ).  Cela pourrait devenir un thriller mais Ozon se contente d’une inquiétante normalité qui, d’un instant à l’autre, semble pouvoir  dériver vers le drame, toujours latent, retenant ainsi constamment notre attention. Riche de ses influences et références : de Pasolini (« Théorème ») à Hitchcock (« Fenêtre sur cour »), ce nouveau film de François Ozon se situe quelque part entre Chabrol et Polanski mais surtout témoigne de son style bien à lui prouvant, si besoin en était, la vitalité du cinéma français qui compte parmi les meilleurs films de cette année ( dans des genres différents : « J’enrage de son absence », « Une bouteille à la mer », « Vous n’avez encore rien vu », « Les Adieux à la reine », « Comme des frères »… ).

     Le jeu trouble des acteurs, les angles changeants de la caméra (souvent trompeurs et doubles, eux aussi) permettent de brouiller les repères et de mêler les genres cinématographiques, les perceptions, la fiction et la réalité, de s’amuser avec ce jeu dangereux et délectable qu’est l’écriture, avec les clichés aussi. Clichés d’une famille qui semble tout droit sortie d’une sitcom avec sa maison à la décoration proprette, le père incarné par un Denis Ménochet moustachu et réjouissant (qui se prénomme Rapha comme le fils, brouillant là aussi d’autres repères) obsédé par la Chine et le basket, le fils totalement insipide, et la mère (Emmanuelle Seigner, parfaite dans ce contre-emploi de femme au foyer) constamment plongée dans ses magazines de décoration, caricatures de la classe moyenne vue par l’esprit arrogant de Claude.

    Puis il y a Luchini, plus juste que jamais, cet amoureux des mots, sublimes et périlleux, auxquels Ozon rend si bien hommage, citant justement les auteurs que l’acteur aime tant : La Fontaine, Flaubert, Céline, ou encore Dostoïevski (à qui Woody Allen faisait d’ailleurs largement référence dans « Match point ») qui transpose « des êtres pathétiques, nuls, en personnages inoubliables ».  Je vous reparlerai de Luchini et de l’amour des mots demain avec mon compte-rendu de la Master class de Jean-Laurent Cochet, le maître de l’acteur qui continue d’ailleurs de le citer régulièrement.

     Un film brillant et ludique, un labyrinthe (avec et sans minotaure) joyeusement immoral, drôle et cruel, une comédie grinçante et un jeu délicieusement pervers, qui ne pourra que plaire aux amoureux de la littérature et de l’écriture qui sortiront de la salle heureux de voir que, toujours, le cinéma et l’écriture illuminent (ou, certes, dramatisent) l’existence et, en tout cas, sortent vainqueur, et peut-être sortiront-ils aussi en ressassant cette phrase : « Même pieds nus la pluie n’irait pas danser ».  A suivre…

    Critique de "Match point" de Woody Allen

     

    match.jpg

     

    Un film de Woody Allen comme le sont ceux de la plupart des grands cinéastes est habituellement immédiatement reconnaissable, notamment par le ton, un humour noir corrosif, par la façon dont il (se) met en scène, par la musique jazz, par le lieu (en général New York).

    Cette fois il ne s'agit pas d'un Juif New Yorkais en proie à des questions existentielles mais d'un jeune irlandais d'origine modeste, Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer), qui se fait employer comme professeur de tennis dans un club huppé londonien. C'est là qu'il sympathise avec Tom Hewett (Matthew Goode), jeune homme de la haute société britannique avec qui il partage une passion pour l'opéra. Chris fréquente alors régulièrement les Hewett et fait la connaissance de Chloe (Emily Mortimer), la sœur de Tom, qui tombe immédiatement sous son charme. Alors qu'il s'apprête à l'épouser et donc à gravir l'échelle sociale, il rencontre Nola Rice (Scarlett Johansson), la pulpeuse fiancée de Tom venue tenter sa chance comme comédienne en Angleterre et, comme lui, d'origine modeste. Il éprouve pour elle une attirance immédiate, réciproque. Va alors commencer entre eux une relation torride...

     

    match6.jpg

     

    Je mets au défi quiconque n'ayant pas vu le nom du réalisateur au préalable de deviner qu'il s'agit là d'un film de Woody Allen, si ce n'est qu'il y prouve son génie, dans la mise en scène, le choix et la direction d'acteurs, dans les dialogues et dans le scénario, « Match point » atteignant d'ailleurs pour moi la perfection scénaristique.

    Woody Allen réussit ainsi à nous surprendre, en s'affranchissant des quelques « règles » qui le distinguent habituellement : d'abord en ne se mettant pas en scène, ou en ne mettant pas en scène un acteur mimétique de ses tergiversations existentielles, ensuite en quittant New York qu'il a tant sublimée. Cette fois, il a en effet quitté Manhattan pour Londres, Londres d'une luminosité obscure ou d'une obscurité lumineuse, en tout cas ambiguë, à l'image du personnage principal, indéfinissable.

    Dès la métaphore initiale, Woody Allen nous prévient (en annonçant le thème de la chance) et nous manipule (pour une raison que je vous laisse découvrir), cette métaphore faisant écho à un rebondissement (dans les deux sens du terme) clé du film. Une métaphore sportive qu'il ne cessera ensuite de filer : Chris et Nola Rice se rencontrent ainsi autour d'une table de ping pong et cette dernière qualifie son jeu de « très agressif »...

    « Match point » contrairement à ce que son synopsis pourrait laisser entendre n'est pas une histoire de passion parmi d'autres (passion dont il filme d'ailleurs et néanmoins brillamment l'irrationalité et la frénésie suffocante que sa caméra épouse) et encore moins une comédie romantique (rien à voir avec « Tout le monde dit I love you » pour lequel Woody Allen avait également quitté les Etats-Unis) ; ainsi dès le début s'immisce une fausse note presque imperceptible, sous la forme d'une récurrente thématique pécuniaire, symbole du mépris insidieux, souvent inconscient, que la situation sociale inférieure du jeune professeur de tennis suscite chez sa nouvelle famille, du sentiment d'infériorité que cela suscite chez lui mais aussi de sa rageuse ambition que cela accentue ; fausse note qui va aller crescendo jusqu'à la dissonance paroxystique, dénouement empruntant autant à l'opéra qu'à la tragédie grecque. La musique, notamment de Verdi et de Bizet, exacerbe ainsi encore cette beauté lyrique et tragique.

    match5.jpg



    C'est aussi le film des choix cornéliens, d'une balle qui hésite entre deux camps : celui de la passion d'un côté, et de l'amour, voire du devoir, de l'autre croit-on d'abord ; celui de la passion amoureuse d'un côté et d'un autre désir, celui de réussite sociale, de l'autre (Chris dit vouloir « apporter sa contribution à la société ») réalise-t-on progressivement. C'est aussi donc le match de la raison et de la certitude sociale contre la déraison et l'incertitude amoureuse.

    A travers le regard de l'étranger à ce monde, Woody Allen dresse le portrait acide de la « bonne » société londonienne avec un cynisme chabrolien auquel il emprunte d'ailleurs une certaine noirceur et une critique de la bourgeoisie digne de La cérémonie que le dénouement rappelle d'ailleurs.

    Le talent du metteur en scène réside également dans l'identification du spectateur au (anti)héros et à son malaise croissant qui trouve finalement la résolution du choix cornélien inéluctable, aussi odieuse soit-elle. En ne le condamnant pas, en mettant la chance de son côté, la balle dans son camp, c'est finalement notre propre aveuglement ou celui d'une société éblouie par l'arrivisme que Woody Allen stigmatise. Parce-que s'il aime (et d'ailleurs surtout désire) la jeune actrice, Chris aime plus encore l'image de lui-même que lui renvoie son épouse : celle de son ascension.

    Il y a aussi du Renoir dans ce Woody Allen là qui y dissèque les règles d'un jeu social, d'un match fatalement cruel ou même du Balzac car rarement le ballet de la comédie humaine aura été aussi bien orchestré.

    Woody Allen signe un film d'une férocité jubilatoire, un film cynique sur l'ironie du destin, l'implication du hasard et de la chance. Un thème que l'on pouvait notamment trouver dans « La Fille sur le pont » de Patrice Leconte. Le fossé qui sépare le traitement de ce thème dans les deux films est néanmoins immense : le hiatus est ici celui de la morale puisque dans le film de Leconte cette chance était en quelque sorte juste alors qu'elle est ici amorale, voire immorale, ...pour notre plus grand plaisir. C'est donc l'histoire d'un crime sans châtiment dont le héros, sorte de double de Raskolnikov, est d'ailleurs un lecteur assidu de Dostoïevski (mais aussi d'un livre sur Dostoïevski, raison pour laquelle il épatera son futur beau-père sur le sujet), tout comme Woody Allen à en croire une partie la trame du récit qu'il lui « emprunte ».

    Quel soin du détail pour caractériser ses personnages, aussi bien dans la tenue de Nola Rice la première fois que Chris la voit que dans la manière de Chloé de jeter négligemment un disque que Chris vient de lui offrir, sans même le remercier . Les dialogues sont tantôt le reflet du thème récurrent de la chance, tantôt d'une savoureuse noirceur (« Celui qui a dit je préfère la chance au talent avait un regard pénétrant sur la vie », ou citant Sophocle : « n'être jamais venu au monde est peut-être le plus grand bienfait »...). Il y montre aussi on génie de l'ellipse (en quelques détails il nous montre l'évolution de la situation de Chris...).

    match3.jpg

    Cette réussite doit aussi beaucoup au choix des interprètes principaux : Jonathan Rhys-Meyer qui interprète Chris, par la profondeur et la nuance de son jeu, nous donnant l'impression de jouer un rôle différent avec chacun de ses interlocuteurs et d'être constamment en proie à un conflit intérieur ; Scarlett Johansson d'une sensualité à fleur de peau qui laisse affleurer une certaine fragilité (celle d'une actrice en apparence sûre d'elle mais en proie aux doutes quant à son avenir de comédienne) pour le rôle de Nola Rice qui devait être pourtant initialement dévolu à Kate Winslet ; Emily Mortimer absolument parfaite en jeune fille de la bourgeoisie londonienne, naïve, désinvolte et snob qui prononce avec la plus grande candeur des répliques inconsciemment cruelles(« je veux mes propres enfants » quand Chris lui parle d'adoption ...). Le couple que forment Chris et Nola s'enrichit ainsi de la fougue, du charme électrique, lascif et sensuel de ses deux interprètes principaux.

    match2.jpg



    La réalisation de Woody Allen a ici l'élégance perfide de son personnage principal, et la photographie une blancheur glaciale semble le reflet de son permanent conflit intérieur.

    Le film, d'une noirceur, d'un cynisme, d'une amoralité inhabituels chez le cinéaste, s'achève par une balle de match grandiose au dénouement d'un rebondissement magistral qui par tout autre serait apparu téléphoné mais qui, par le talent de Woody Allen et de son scénario ciselé, apparaît comme une issue d'une implacable et sinistre logique et qui montre avec quelle habileté le cinéaste a manipulé le spectateur (donc à l'image de Chris qui manipule son entourage, dans une sorte de mise en abyme). Un match palpitant, incontournable, inoubliable. Un film audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu'à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d'un regard désabusé et d'une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un chef d'œuvre à voir et à revoir !

    « Match point » est le premier film de la trilogie londonienne de Woody Allen avant « Scoop » et « Le rêve de Cassandre ».

     

     Critique de "Potiche" de François Ozon

    potiche.jpg

    Il semblerait que François Ozon ait adopté le rythme woodyallenien d’un film par an, signant ainsi avec « Potiche » son douzième long-métrage en douze ans, en passant par des films aussi divers et marquants que « Sitcom », « Swimming pool », « Sous le sable », « Huit femmes »… mais avec toujours la même exigence et toujours un casting de choix.

    Ainsi, dans « Potiche » c’est Catherine Deneuve (que François Ozon retrouve ici 8 ans après « Huit femmes ») qui incarne Suzanne Pujol, épouse soumise de Robert Pujol (Fabrice Luchini) que sa propre fille Joëlle (Judith Godrèche) qualifie avec une cruelle naïveté de «potiche ». Nous sommes en 1977, en province, et Robert Pujol est un patron d’une usine de parapluies irascible et autoritaire aussi bien avec ses ouvriers qu’avec sa femme et ses enfants. A la suite d’une grève et d’une séquestration par ses employés, Robert a un malaise qui l’oblige à faire une cure de repos et s’éloigner de l’usine. Pendant son absence, il faut bien que quelqu’un le remplace. Suzanne est la dernière à laquelle chacun pense pour remplir ce rôle et pourtant elle va s’acquitter de sa tâche avec beaucoup de brio, secondée par sa fille Joëlle et par son fils Laurent (Jérémie Rénier)…

    potiche3.jpg

    Difficile d’imaginer une autre actrice que Catherine Deneuve dans ce rôle (autrefois tenu par une actrice qui ne lui ressemble guère, Jacqueline Maillan, dans la pièce de Barillet et Grédy dont le film est l’adaptation) tant elle y est successivement et parfois en même temps : lumineuse, maligne, snob, touchante, malicieuse, drôle, tendre, naïve, naïvement féroce …et tant ce film semble être une véritable déclaration d’amour à l’actrice. Qu’elle chante « Emmène-moi danser ce soir », qu’elle esquisse quelques pas de danse avec Depardieu ou qu’elle fasse son jogging avec bigoudis, jogging à trois bandes, en parlant aux animaux (et à une nature, prémonitoire, elle aussi moins naïve qu'il n'y paraît) et écrivant des poèmes naïfs ou qu’elle se transforme en leader politique, chacune de ses apparitions (c’est-à-dire une grosse majorité du film) est réellement réjouissante. Depuis que je l’avais vue, ici, lors d’une inoubliable rencontre à sciences-po ou lors de sa leçon de cinéma, tout aussi inoubliable, dans le cadre du Festival de Cannes 2005 (dont vous pouvez retrouver mon récit, ici), j’ai compris aussi à quel point elle était aussi dans la « vraie vie » touchante et humble en plus d’être talentueuse et à quel point sa popularité était méritée. Et puis, je n’oublierai jamais non plus son regard dans la dernière scène de cet autre film, d’une bouleversante intensité à l’image du film en question.

    Ici, lorsqu’elle se retrouve avec Babin-Depardieu, c’est toute la mythologie du cinéma que François Ozon, fervent cinéphile, semble convoquer, six ans après leur dernier film commun « Les temps qui changent » de Téchiné et trente ans après le couple inoubliable qu’ils formèrent dans « Le Dernier métro » de Truffaut. Emane de leur couple improbable (Depardieu interprète un député-maire communiste) une tendre nostalgie qui nous rappelle aussi celui, qui l’était tout autant, de « Drôle d’endroit pour une rencontre » de François Dupeyron. Et les parapluies multicolores ne sont évidemment pas sans nous rappeler ceux de Demy dont l’actrice est indissociable.

    Si le film est empreint d’une douce nostalgie, et ancré dans les années 1970 et une période d’émancipation féminine, Ozon s’amuse et nous amuse avec ses multiples références à l’actualité et les couleurs d’apparence acidulées se révèlent beaucoup plus acides, pour notre plus grand plaisir. D’un Maurice Babin dont l’ inénarrable inspiration capillaire vient de Bernard Thibault, à un Pujol aux citations sarkozystes en passant par une Suzanne qui s’émancipe et prend le pouvoir telle une Ségolène dans l’ombre de son compagnon qui finit par lui prendre la lumière sans oublier les grèves et les séquestrations de chefs d’entreprise, les années 70 ne deviennent qu’un prétexte pour croquer notre époque avec beaucoup d’ironie. Acide aussi parce qu’une fois de plus il n’épargne pas les faux-semblants bourgeois derrière le vaudeville d’apparence innocente.

    potiche2.jpg

    Si Catherine Deneuve EST le film, il ne faudrait pas non plus oublier Fabrice Luchini en patron imbuvable, Judith Godrèche en fille réactionnaire aux allures de Farrah Fawcett, Jérémie Rénier en fils à la sexualité incertaine aux allures de Claude François et Karin Viard irrésistible en secrétaire s’émancipant peu à peu du joug de son patron. Les costumes, sont aussi des acteurs à part entière, et en disent parfois plus longs que des discours et montrent à quel point Ozon ne laisse rien au hasard.

    Un film à la fois drôle et tendre, nostalgique et caustique dont on ressort avec l’envie de chanter, comme Ferrat et Suzanne, « C’est beau la vie »…malgré un scénario parfois irrégulier et quelques ralentissements que nous fait vite oublier cette savoureuse distribution au premier rang de laquelle Catherine Deneuve plus pétillante, séduisante et audacieuse que jamais .

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 Pin it! 1 commentaire
  • Avant-première – Critique de « Comme des frères » de Hugo Gélin avec Pierre Niney, François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry…

    comme.jpg

    Nombreuses sont les comédies françaises à être sorties depuis le début de l’année  (sans doute le reflet d’une frilosité des producteurs se disant qu’en période de crise, le public est friand de ce genre) et rares sont malheureusement celles à se démarquer et surtout à être autre chose qu’une suite de sketchs (certes parfois très drôles), sans véritable scénario ni mise en scène. Je vous parle d’ailleurs rarement de comédies ici mais je tenais à le faire pour celle-ci pour différentes raisons…

     « Comme des frères », c’est l’histoire de trois hommes de trois générations différentes, Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) qui, a priori, n’ont rien en commun, rien si ce n’est Charlie (Mélanie Thierry), à qui ils étaient tous liés par un sentiment fort et singulier, et qui vient de mourir. Comme elle le leur avait demandé, ils décident de faire ensemble ce dernier voyage qu’elle aurait voulu faire avec eux, direction la Corse et la maison que Charlie aimait tant. 900kms ensemble avec, pour point commun, l’ombre de la lumineuse Charlie, leur chagrin…un voyage après lequel plus rien ne sera tout à fait pareil.

    Dès le début de ce film se dégage un charme inexplicable (pléonasme, non ?) qui vous accroche et attache aux protagonistes pour ne plus vous lâcher… Les frères Dardenne (dans un genre de film certes radicalement différent) répètent souvent que ce sont les personnages qui comptent avant les idées et, si la plupart des comédies se contentent d’une bonne idée et d’un bon pitch, négligeant leurs personnages, ici, dans l’écriture du scénario, Hérvé Mimran ( coauteur/coréalisateur d’une autre comédie très réussie qui d'ailleurs présentait aussi cette qualité:  « Tout ce qui brille »), Hugo Gélin et Romain Protat, se sont d’abord attelés à construire des personnages forts et particulièrement attachants : le jeune homme lunaire de 20 ans, le trentenaire scénariste noctambule, et l'homme d’affaires, quadragénaire et seul. Trois personnages qui, tous, dissimulent une blessure.

     Le chagrin et la personne qui les réunissent annihilent la différence d’âge même si elle est prétexte à un gag récurrent (et très drôle) sur les goûts parfois surannés du personnage de François-Xavier Demaison qui apporte toute sa bonhomie mélancolique et attendrissante et la justesse de son jeu à cet homme qui n’arrive pas -plus- à aimer depuis Charlie. L’autre bonne idée est en effet le casting : outre François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle est également parfait, et surtout Pierre Niney ( pensionnaire de la comédie française depuis 2010), découvert au Festival du Film de Cabourg 2011 (où il a cette année reçu le prix de la révélation masculine) dans le très beau premier long-métrage de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » dans lequel il incarnait un personnage d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient. Ici il est lunaire, burlesque même, immature (mais finalement pas tant que ça), attachant, et cache  lui aussi derrière sa maladresse, une blessure. Pas étonnant que les propositions pleuvent après sa nomination aux César 2012 pour cet acteur par ailleurs humble et sympathique, ce qui ne gâche rien…

     Si je vous parle du film de Frédéric Louf, c’est qu’il présente un autre point commun avec le film d’Hugo Gélin : cette vitalité si chère à Truffaut (« Le cinéma c’est la vitalité » disait-il) qui parcourt tout le film. Une vitalité, un sentiment d’urgence, une conscience du dérisoire de l’existence, de sa beauté mélancolique aussi, et de la tendre ironie qu’inspirent souvent les drames de l’existence, qui changent à jamais le regard sur celle-ci, et que ce film parvient magnifiquement à retranscrire.

     Hugo Gélin ne recourt jamais au pathos, l’écueil dans lequel il aurait été si facile de tomber avec un tel sujet, mais montre au contraire qu’une révoltante et cruelle injustice de l’existence, peut donner une autre saveur à celle-ci , le goût de l’essentiel et qu’elle peut avoir la capacité  de (re)créer des liens, ici quasiment fraternels. Plutôt que de nous montrer Charlie malade et agonisante, il nous la montre telle que la voyaient ses trois amis, radieuse, viscéralement vivante et lumineuse, par une série de flashbacks judicieusement amenés qui retracent le lien si particulier que chacun d’entre eux entretenait avec elle mais aussi la manière dont le quatuor devenu trio s’est construit avec, notamment, la très belle scène chaplinesque sur leur première rencontre, intelligemment placée au dénouement.

     Le scénario (qui a le mérité d’être original, de n’être pas l’adaptation d’une BD ou d’un livre, ou la transposition de sketchs d’humoristes désireux de passer derrière et/ou devant la caméra comme c’est très-trop-souvent le cas), sensible, qui nous révèle les liens entre les personnages par petites touches et alterne intelligemment entre rires et larmes, est aussi servi par des dialogues savoureux. Tant pis si certains aspects sont peut-être plus prévisibles comme le prénom donné au bébé de l’un d’entre eux, cela fait aussi partie des codes de ce genre de film.

    De ces trois (quatre)-là, vraiment irrésistibles, émane une belle complicité, une alchimie même, à cause de laquelle ou plutôt grâce à laquelle nous les laissons avec regrets nous frustrant presque de n'en  savoir pas plus… Un quatuor qui m’a parfois rappelé celui de « Père et fils » de Michel Boujenah qui mettait ainsi en scène un père et ses trois fils. Le tout est servi par une belle photographie signée Nicolas Massart ( avec des plans que certains cyniques jugeront sans doute clichés, comme ce plan de soleil, reflet d’un nouveau jour et de l’espoir qui se lèvent), un film d’une gravité légère à la fois tendre et drôle, pudique et espiègle: en tout cas, charmant et qui prouve qu'une comédie peut sonner juste et actuelle sans recourir systématiquement au trash ou au cynisme.

    Ajoutez à ce casting impeccable, ce scénario et ces dialogues réjouissants, cette photographie, la musique ensorcelante du groupe Revolver (quelle bonne idée d'ailleurs! J’en profite pour vous signaler qu’ils seront à l’Olympia le 25 octobre prochain !) et vous obtiendrez ce road movie attachant et riche d'espoirs, cet hymne à l'amitié et la comédie tendrement mélancolique de l’année.

    En salles le 21 novembre 2012