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Critique de « Shutter island » de Martin Scorsese avec Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Michelle Williams…

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Cela faisait longtemps. Longtemps que j'entendais parler de cette adaptation tant attendue du best seller de 2003 de Dennis Lehane (que je n'ai pas lu et qui est également l'auteur de best-sellers ayant donné lieu à d'excellentes adaptations cinématographiques comme « Mystic river » de Clint Eastwood et, dans une moindre mesure, « Gone baby gone » de Ben Affleck). Longtemps que je n'avais pas ressenti un tel choc cinématographique. Longtemps qu'un film ne m'avait pas autant hantée des heures après l'avoir vu... Un grand film, c'est en effet comme un coup de foudre. Une évidence. Une évidence qui fait que les mots à la fois manquent et se bousculent. Je vais essayer de trouver les plus justes pour vous faire partager mon enthousiasme sans trop en dévoiler.

Avant toute chose, il faut que je vous présente « Shutter island ». Shutter island est une île au large de Boston sur laquelle se trouve un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. Une île séparée en trois bâtiments : un pour les femmes, un pour les hommes et un pour les criminels les plus dangereux, enfin quatre si on compte son phare qui détient la clef de l'énigme. En 1954, l'une des patientes, Rachel Solando, a mystérieusement disparu... alors que sa cellule était fermée de l'extérieur, laissant pour seul indice une suite de lettres et de chiffres. Le marshal Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et son coéquipier Chuck  Aule (Mark Ruffalo) sont envoyés sur place pour résoudre cette énigme... Alors qu'une forte tempête s'abat sur l'île isolée, une plongée dans un univers étrange, sombre, angoissant s'annonce alors pour Teddy qui devra aussi affronter ses propres démons.

Rarement un film aura autant et si subtilement fait se confondre la fond et la forme, le ressenti du personnage principal et celui du spectateur. Dès le premier plan, lorsque Teddy, malade, rencontre son coéquipier sur un ferry brinquebalant et sous un ciel orageux, Scorsese nous embarque dans l'enfermement, la folie, un monde mental qui tangue constamment, flou, brouillé. Tout est déjà contenu dans cette première scène : cette rencontre qui sonne étrangement, le cadre  qui enferme les deux coéquipiers et ne laisse voir personne d'autre sur le ferry, cette cravate dissonante, le mal de mer d'un Teddy crispé, le ciel menaçant, les paroles tournées  vers un douloureux passé.

Puis, c'est l'arrivée sur l'île et toute la paranoïa que Scorsese suggère en un plan : un visage informe, un regard insistant... En quelques plans subjectifs, Scorsese nous « met » dans la tête de Teddy, nous incite à épouser son point de vue, à ne voir et croire que ce que lui voit et croit. Nous voilà enfermés dans le cerveau de Teddy lui-même enfermé sur « Shutter island ». Avec lui, nous nous enfonçons dans un univers de plus en plus menaçant, sombre, effrayant, déroutant. L'étrangeté des décors gothiques, l'instabilité du climat coïncident avec cette fragilité psychique. Tout devient imprévisible, instable, fugace, incertain.

Commence alors la quête de vérité pour Teddy alors que surgissent des images du passé : des images de sa femme défunte et des images de l'horreur du camp de concentration de Dachau dont Teddy est un des "libérateurs", images qui se rejoignent et se confondent parfois. L'hôpital, autre univers concentrationnaire  rappelle alors les camps, avec ses êtres moribonds, décharnés, ses barbelés..., d'autant plus qu'il est dirigé par l'Allemand Dr Naehring. La guerre froide pendant laquelle se déroule l'intrigue, période paranoïaque par excellence, renforce de climat de suspicion. L'action est par ailleurs concentrée sur quatre jours, exacerbant encore l'intensité de chaque seconde, le sentiment d'urgence et de menace.

Chaque seconde, chaque plan font ainsi sens. Aucun qui ne soit superflu. Même ces images des camps dont l'esthétisation à outrance m'a d'abord choquée mais qui en réalité sont le reflet de l'esprit de Teddy qui enjolive l'intolérable réalité. Même (surtout) cette image envoûtante d'une beauté poétique et morbide qui fait pleuvoir les cendres.

A travers la perception de la réalité par Teddy, c'est la nôtre qui est mise à mal. Les repères entre la réalité et l'illusion sont brouillées.  A l'image de ce que Teddy voit sur Shutter island où la frontière est si floue entre l'une et l'autre, nous interrogeons et mettons sans cesse en doute ce qui nous est donné à voir, partant nous aussi en quête de vérité. Le monde de Teddy et le nôtre se confondent : un monde de cinéma, d'images trompeuses et troublantes qui ne permet pas de dissocier vérité et mensonge, réalité et illusion, un monde de manipulation mentale et visuelle.

Pour incarner cet homme complexe que le traumatisme de ses blessures cauchemardesques et indélébiles et surtout la culpabilité étouffent, rongent, ravagent, Leonardo DiCaprio, habité par son rôle qui, en un regard, nous plonge dans un abîme où alternent et se mêlent même parfois angoisse, doutes, suspicion, folie, désarroi (interprétation tellement différente de celle des "Noces rebelles" mais tout aussi magistrale qui témoigne de la diversité de son jeu). La subtilité de son jeu  fait qu'on y croit, qu'on le croit ; il est incontestablement pour beaucoup dans cette réussite. De même que les autres rôles, grâce à la duplicité des interprétations (dans les deux sens du terme): Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Michelle Williams, Emily Mortimer, Patricia Clarkson, Max von Sydow... 

Le maître Scorsese n'a pas son pareil pour créer une atmosphère oppressante, claustrophobique, pour déstabiliser les certitudes. Une œuvre pessimiste d'une maîtrise formelle et scénaristique impressionnante, jalonnée de fulgurances poétiques, dont chaque plan, jusqu'au dernier, joue avec sa et notre perception de la réalité. Un thriller psychologique palpitant et vertigineux. Une réflexion malicieuse sur la culpabilité, le traumatisme (au sens éthymologique, vcous comprendrez en voyant le film)  et la perception de la réalité dont le film tout entier témoigne de l'implacable incertitude. Ne cherchez pas la clef. Laissez-vous entraîner. « Shutter island », je vous le garantis, vous emmènera bien plus loin que dans cette enquête policière, bien plus loin que les apparences.

Un film multiple à l'image des trois films que Scorsese avait demandé à ses acteurs de voir  avant le tournage: « Laura » d'Otto Preminger, « La griffe du passé » de Jacques Tourneur, « Sueurs froides » d'Alfred Hitchcock.  Un film noir. Un film effrayant. Un thriller. En s'inspirant de plusieurs genres, en empruntant à ces différents genres, Martin Scorsese a créé le sien et une nouvelle fois apposé la marque de son style inimitable.

 Un film dont on ressort avec une seule envie : le revoir aussitôt. Un film brillant. Du très grand Scorsese. Du très grand cinéma. A voir et encore plus à revoir. Immédiatement ! Il ne me reste (et ne vous reste) plus que 8 jours à patienter  ... (sortie en salles : le 24 février).

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Commentaires

  • Ah je ne lis pas.
    mais j'y crois.
    J'ai hâte !
    Martin est grand on le sait, mais
    Léo est GRAND et y'en a qui doutent encore. Suffit pourtant de re-voir "Aviator", "Les noces rebelles", "Les infiltrés", "Attrape moi si tu peux", "Gangs of New York"...
    quelle filmo. Franchement, je n'en doutais pas depuis "Gilbert Grape".

  • attention au spoiler^^il y a en un gros quand meme^^

  • J'ai lu le livre de Dennis Lehane il y a quelques mois ; la bande-annonces du film m'ayant donné envie de le lire. Franchement, le meilleur que j'ai lu depuis longtemps (sachant que j'en lis un à deux par semaine !!) Brillantissime !! Le film a l'air d'être à la hauteur du livre (ce qui est rarement le cas dans les adaptations...). Comme Nick, je trouve que vous en dites beaucoup dans votre critique... Il semble que Léonardo soit comme le vin : il se bonifie avec le temps....
    Pour ma part, je n'attendrai pas mercredi prochain : j'irai le voir mardi en avant-première. J'ai hâte....

  • @Pascale: c'est vrai que Léo prouve son intelligence par celle de ses choix et la diversité de ses rôles. Déjà il était incroyable dans "Les Noces rebelles" (notamment) mais là que dire... enfin tu verras!
    @nick: Je n'ai rien révèlé et j'ai fait d'ailleurs très attention à ne pas le faire...
    @nanou: Je pense que vous trouvez que j'en dis beaucoup parce que vous connaissez l'histoire mais je me suis arrangée pour que quelqu'un qui le connaisse pas ne devine pas vous savez quoi.:-) Et les personnes qui l'ont vu avec moi qui avaient lu le livre étaient aussi emballés même si je pense qu'il y a un plaisir supplémentaire quand on ne connaît pas le dénouement.

  • Le pénitencier sur une île isolée me fait penser à l'Evadé d'Alcatraz, la disparition depuis une pièce fermée au Mystère de la Chambre Jaune (le livre plus que le film), l'isolement et la folie à Shining, si ce film est un mélange de ces ambiances et qu'en prime il est à l'excellent niveau des précédents Scorsese/DiCaprio, il faudra impérativement que j'aille le voir !

  • Merci pour cette belle critique.
    Léonardo Dicaprio, déjà fort dans l'interprétation de ses précédents rôles , est ici à un niveau encore supérieur!

  • Quel chef d'oeuvre cinématographique!! Je crois bien n'avoir jamais vu un film qui m'ai autant plu! Déroutant, mystérieux, palpitant, exitant... les mots ne sont pas assez forts pour exprimer l'émotion et les sensations que m'ont procuré ce film!! Dès les premières scènes on est plongé dans l'univers tourmenté deTeddy puis au fil du film on comprend petit à petit son histoire, on s'identifie à lui et on finit par le croire... Cependant, les autres personnages du film sont tous plus intriguants et inquiétants les uns que les autres, certains ont une autre version de l'histoire de Teddy... qui croire? Le suspens est maintenu jusqu'à la fin, à chacun son interprétation!
    Je conseille à tous d'aller voir cette grande oeuvre cinématographique signée Scorsese, vous ne serez pas déçu..

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