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  • Critique de LES NOUVEAUX SAUVAGES (Relatos salvajes) de Damián Szifron à 20H50 sur Canal + Cinéma

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    Aux antipodes du (passionnant) film qui a reçu la palme d’or du Festival de Cannes 2014, « Winter sleep » de Nuri Bilger Ceylan,  en compétition officielle de ce 67ème Festival de Cannes figurait également « Les nouveaux sauvages » (Relatos salvajes) réalisée, écrit et monté par l’Argentin Damián Szifron. L’un résonne comme un long poème d’une beauté triste et déchirante, l’autre comme une réplique cinglante d’un comique grinçant, d’une drôlerie lucide et sombre. Revenu bredouille de Cannes, « Les Nouveaux sauvages » figure parmi les cinq films en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger, notamment face au percutant plaidoyer contre le fanatisme de Sissako, plus que jamais d’actualité : « Timbuktu » (que je vous engage toujours vivement à voir).

    Les Nouveaux sauvages est un film sur ceux qui, soumis au stress, à l’inégalité, à l’injustice, ou peut-être simplement confrontés à leur propre vulnérabilité et médiocrité, humiliés parfois, finissent par craquer, et franchissent la frontière entre l’humanité et l’animalité, la civilisation et la barbarie comme le laisse déjà entendre le générique très « animal ».

    Dans le restaurant dans lequel elle travaille, une serveuse voit arriver  un client qui est responsable de la mort de son père. Sur une route déserte, un conducteur vaniteux au volant de sa voiture rutilante en insulte un autre au volant de son véhicule brinquebalant avant que le premier ne tombe en panne et ne se retrouve confronté au second, impitoyable. Un spécialiste des explosifs voit sa voiture être emmenée à la fourrière, manque l’anniversaire de sa fille à cause de cela, et devient obsédé par l’envie de se venger de cette administration sourde et, pour lui, inique. Un fils de riches, sous l’emprise de l’alcool, renverse, tue une femme enceinte, et s’enfuit. Un riche mariage va se transformer en massacre quand la mariée va découvrir que son mari l’a trompée avec une des convives.

    Genre un peu suranné, à la mode dans les années 1960, le film à sketchs est ici remis au goût du jour au point d’avoir suscité l’intérêt des frères Almodóvar qui l’ont produit.

    Damián Szifron, dans ses six saynètes aux cadres et personnages hétéroclites mais aux thématiques récurrentes, explore le thème de la vengeance poussé à l’extrême jusqu’à la folie, jusqu’au meurtre. Incapables de communiquer normalement, ses personnages ont une réaction animale, violente, absurde face à ce monde lui-même grotesque. En résulte un humour noir détonant, scabreux,  subversif, férocement drôle et qui n’échappe pas toujours à la vulgarité. A l’image de la réalisation, classique et lisse en apparence, les personnages en apparence « normaux » se révèlent particulièrement déjantés, sombres et brutaux.

    Si les références au cinéma d’hier ne manquent pas, notamment au cinéma italien: Dino Risi, Fellini ou encore Spielberg dans une version très personnelle de « Duel », c’est pourtant bien de notre société exigeante, sourde,  brusque, versatile (les réseaux sociaux ne sont pas épargnés faisant d’un terroriste une star) dont nous parle ici Sifron dans ces six sketchs indéniablement efficaces, à défaut d’être subtiles (certes, à dessein, pour obtenir ce contraste évoqué plus haut).

    Le film atteint ses limites dans cette idée de base, le contraste entre la forme (du film et des personnages) et le fond qui révèle une société corrompue, où l’argent règne en maitre, des personnages tous médiocres, vils, répondant à leurs bas instincts qui entraînent certes parfois notre rire, souvent le malaise, mais jamais notre empathie.  Mais il s’agit bien là avant tout de parodie et de caricature dont l’objectif intrinsèque est davantage de déranger, heurter, interpeller que de plaire et séduire au contraire de la BO particulièrement séduisante. A vous de voir si vous voulez partir à la rencontre de ces nouveaux sauvages parfois réjouissants, parfois dérangeants au risque d’être confrontés à votre propre réalité et sa noirceur exacerbées.

  • Critique de WHIPLASH de Damien Chazelle ce soir à 20H55 sur Canal plus

     WHIPLASH », deuxième film de Damien Chazelle,  avant même le Festival du Cinéma Américain de Deauville où il avait été couronné de plusieurs récompenses, avait déjà  été remarqué à la Quinzaine des Réalisateurs 2014. Interprété magistralement par Miles Teller et J.K. Simmons,  le premier interprétant Andrew, un jeune élève du Conservatoire de dix-neuf ans qui rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération et l’autre, son professeur Terence Fletcher,  qui dirige le meilleur orchestre de l’établissement, « Whiplash » a été  tourné en 19 jours. Le film n’en est pas moins remarquable dans la précision et l’exigence à l’image de la musique qu’il exalte et sublime.

     Andrew Nieman. A une lettre près, (Niemand) personne en Allemand. Et Andrew semble avoir une seule obsession, devenir quelqu’un par la musique. Assouvir sa soif de réussite tout comme le personnage interprété par J.K Simmons souhaite assouvir sa soif d’autorité. Une confrontation explosive entre deux desseins, deux ambitions irrépressibles, deux folies.  L’objet rêvé pour le manipulateur machiavélique qui sous le fallacieux prétexte que « la fin justifie les moyens » use et abuse de sa force et son pouvoir pour obtenir le résultat qu’il souhaite mais surtout asseoir son emprise. J.K Simmons donne corps et froideur d’âme à ce personnage tyrannique et irascible qui sait se montrer mielleux pour atteindre son objectif.

     La réalisation s’empare du rythme fougueux, fiévreux, animal de la musique, grisante et grisée par la folie du rythme et de l’ambition, dévastatrice, et joue judicieusement et avec manichéisme sur les couleurs sombres, jusque dans les vêtements: Fletcher habillé en noir comme s’il s’agissait d’un costume de scène à l’exception du moment où il donne l’impression de se mettre à nu et de baisser la garde, Andrew habillé de blanc quand il incarne encore l’innocence puis de noir à son tour et omniprésence du rouge (du sang, de la viande, du tshirt d’un des « adversaires » d’Andrew) et des gros plans lorsque l’étau se resserre, lorsque le duel devient un combat impitoyable, suffocant. Les rires  sur l’humiliation et sur les ruses et sentences de dictateur (qu’est finalement le professeur) étaient finalement plus dérangeants que le film lui-même, le public étant d’une certaine manière manipulée à son tour, se laissant fasciner par ce personnage tyrannique. Prêt à tout pour réussir, Andrew poussera l’ambition à son paroxysme, au bord du précipice, jusqu’à l’oubli, des autres, de la dignité, aux frontières de la folie.

     Le face à face final est un véritable combat de boxe (et filmé comme tel) où l’immoralité sortira gagnante : la dictature et l’autorité permettent à l’homme de se surpasser… La scène n’en est pas moins magnifiquement filmée  transcendée par le jeu enfiévré et exalté des deux combattants.

    Bien que batteur depuis ses quinze ans, et ayant pris des cours trois jours par semaine pendant quatre heures pour parfaire sa technique et ne faisant « que » 70% des prestations du film, Miles Teller est impressionnant dans l’énergie, la détermination, la folie, la maîtrise, la précision. En conférence de presse, à Deauville, Damien Chazelle a raconté s’être inspiré de son expérience personnelle pour écrire et réaliser « Whiplash », ayant appris par le passé  la batterie avec un professeur tyrannique, ce qui l’a conduit à emprunter une autre voie : celle du cinéma. Une décision sans aucun doute judicieuse même si j’espère qu’il continuera à allier cinéma et musique dans ses prochains films, son amour de la musique transparaissant, transpirant même dans chaque plan du film.

  • Critique de A PEINE J'OUVRE LES YEUX de Leyla Bouzid

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    cinéma, critique, film, La Baule, A peine j'ouvre les yeux, Leyla Bouzid, Festival, Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule

    C’est le portrait d’une femme libre que nous dresse Leyla Bouzid dans ce film qui a remporté l’Ibis d’or du meilleur film, de la meilleure musique et de la meilleure actrice ex-aequo au dernier Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (dont vous pouvez retrouver ma compte rendu, ici) après avoir également déjà reçu trois prix au dernier Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz, des prix amplement mérités pour ce film magistral.

    La Tunisie, dont les représentants du dialogue national ont cette année reçu le Prix Nobel de la Paix, a aussi été victime du terrorisme avec les attentats du Bardo à Tunis et de Sousse et récemment à nouveau à Tunis, un cauchemar qui a succédé à un autre, celui de la Tunisie de Ben Ali dans laquelle la corruption gangrénait la société et dans laquelle les libertés étaient restreintes et réprimées. Je n’oublierai jamais ce 14 janvier 2011, jour où Ben Ali a été chassé du pouvoir. Jour historique.

    Tunis, été 2010, quelques mois avant la Révolution, Farah, (Baya Medhaffar), 18 ans passe son bac et sa famille l’imagine déjà médecin… mais elle ne voit pas les choses de la même manière. Elle chante au sein d’un groupe de rock engagé. Elle vibre, s’enivre, découvre l’amour et sa ville de nuit contre la volonté d’Hayet (Ghalia Benali), sa mère, qui connaît la Tunisie et ses interdits.

    Dès les premières minutes, j’ai été captivée, estomaquée par la beauté furieuse de ce film. Par la vitalité, la force, la fougue de la mise en scène et de la jeune Farah (et de son interprète principale d’une maturité, d’une justesse sidérantes) qui dévore la vie et qui doit lutter pour exercer sa passion : chanter. Les textes qu’elle chante sont ouvertement opposés au régime et malgré sa volonté et son désir forcenés, progressivement le piège va se refermer sur elle jusqu’à ce que sa voix soit étouffée. Littéralement.

    Non seulement la manière dont la réalisatrice démontre les restrictions imposées par le régime est aussi passionnante qu’édifiante, mais elle raconte avec autant de précision et sensibilité la relation amoureuse (Farah va aussi découvrir l’amour et la trahison) et la relation mère/fille. Ghalia Benali qui interprète la mère de Farah est elle aussi bouleversante, et sa dureté ne dissimule que sa lucidité et ses craintes pour sa fille qui lui ressemble finalement tant. La scène lors de laquelle la mère pousse sur l’accélérateur de sa voiture pour effrayer sa fille et lui faire promettre de ne pas sortir chanter est d’une force rare, poignante et redoutable, à la hauteur de la peur ressentie par la mère pour sa fille.

    Ces yeux qui s’ouvrent du titre, ce sont à la fois ceux de Farah sur la vie, la réalité du monde qui l’entoure, mais aussi ceux de sa mère sur ce que veut et doit faire sa fille mais aussi l’éveil d’une Tunisie trop longtemps réprimée et condamnée à la soumission et au silence par vingt années de dictature. Farah représente finalement la Tunisie et cette jeunesse qui crie sa colère, sa révolte et son désir de se délivrer de ses chaînes malgré les risques encourus. La musique, fiévreuse, transcrit les élans de la jeunesse et devient un opposant incontrôlable, une arme de liberté et de paix.

    Un film engagé, fiévreux, fougueux, poétique, porté par deux actrices exceptionnelles, une réalisation d’une force et d’une intensité rares, des textes et des musiques remarquables et qui montrent la puissance de liberté de la musique, plus que jamais vitale. C’est aussi une histoire d’amour. L’amour d’un pays. L’amour de la musique et de son pouvoir. L’amour de la liberté. L’amour d’une mère pour sa fille qui explose dans ce dernier plan d’une douceur et d’une émotion ravageuses. (Le jury du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule ne s’y est pas trompé en primant, ex-aequo, les deux actrices). Un grand film. Un chant de liberté. Un film à l’image de sa jeune actrice : incandescent et brûlant de vie.

     Lors de la clôture du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, Baya a lu un message de la réalisatrice Leyla Bouzid. Elle a rappelé les attentats qui ont touché Tunis et Sousse avant Paris (la clôture du festival a eu lieu aux lendemains des effroyables attentats de Paris et quelques jours avant ceux de Tunis)  :

    « Un triste lien de mort unit la France et la Tunisie. Il s’agit d’un film d’un élan de vie vif et inaliénable. C’est bien d’être ici pour cet élan de vie malgré ce qui s’est produit. J’ai envie de vous dire que notre élan de vie est inaliénable. Vive la vie, la musique, et la liberté. Personne n’arrivera à les tuer. »

    Un très grand film à voir absolument le 23 décembre 2015 en salles en France.

  • Critique de L'ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON de David Fincher à 20H45 sur Ciné + Emotion

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    L’existence de Benjamin Button (Brad Pitt) débute à la Nouvelle Orléans à l’âge auquel elle s’achève pour certains : à 80 ans. Il nait avec le corps d’un vieillard rabougri et il rajeunit progressivement sans que rien ne puisse arrêter l’impitoyable course du temps. Sa mère meurt en lui donnant la vie. Son père (Jason Flemyng), effrayé par cet être étrange, le dépose sur les marches d’une maison de retraite (ce n’est évidemment pas anodin) où il sera recueilli par la charmante Queenie (Taraji P.Henson), il grandira au contact des autres pensionnaires.

     Son histoire est lue dans une chambre d’hôpital par une fille (Julia Ormond) à sa mère Daisy (Cate Blanchett), une vieille dame à l’agonie qui possède le journal intime de Benjamin. Cette vieille dame est la femme dont Benjamin est tombé amoureux dès qu’il l’a vue, alors qu’elle n’était qu’une petite fille, la petite fille d’une des pensionnaires de la maison de retraite.

     Tandis qu’à l’extérieur de l’hôpital l’ouragan Katrina gronde, la lecture déroule le cours de cette étrange vie à rebours, de 1918 à nos jours…

    Adaptée d’une nouvelle de Scott Fitzgerald écrite en 1922, « L’étrange histoire de Benjamin Button »  (elle-même inspirée d’une pensée de Mark Twain : «  La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et nous approchions graduellement de nos 18 ans ») est avant tout une idée prodigieuse, une métaphore magistrale sur la course-évidemment perdue d'avance- contre le temps, contre la mort, une brillante allégorie sur l’effroyable écoulement de temps. En cela, la très alléchante bande-annonce est à la fois fidèle et trompeuse. Fidèle en ce qu’elle reflète le sujet du film. Trompeuse en ce qu’elle n’en reflète que partiellement l’atmosphère, violemment mélancolique.

    Plus que quiconque, Benjamin se sait condamné par l’inéluctable compte à rebours mais aussi condamné à profiter intensément de chaque instant. Son existence est jalonnée de rencontres insolites, touchantes, marquantes (parmi lesquelles celle avec le troublant personnage  incarné par la talentueuse Tilda Swinton) inéluctablement tragiques car prisonnières de l’emprise du temps.

    Le film aurait pu être outrancièrement mélodramatique mais l’écueil est brillamment évité : toutes les morts surviennent hors-champ. Benjamin grandit et rajeunit pourtant entouré par la mort comme si un autre cyclone balayait son entourage. David Fincher n’a pas réalisé de ces films caricaturalement hollywoodiens qui usent et abusent du gros plan suréclairé et de la musique à outrance.  Le film est essentiellement en clair-obscur, la musique, judicieuse, d’Alexandre Desplat souligne sans surligner et laisse le plus souvent place au tic-tac récurrent, obsédant, omniprésent, terrifiant de l’horloge, symbole de ce temps que rien ne peut arrêter, même une horloge qui fonctionne à rebours, métaphore qui résonne d’autant plus dans une industrie hollywoodienne où rien ne semble arrêter la course effrénée et souvent ridicule au jeunisme.

    Malgré son sujet qui relève du conte (finalement plus philosophique que fantastique) costumes, décors, époques savamment reconstituées, tout concourt au réalisme (option finalement aussi courageuse que judicieuse), de même que les réactions ou plutôt la relative absence de réactions à la particularité de Benjamin contre laquelle personne, pas même lui-même, ne cherche à lutter. En cela, c’est un hymne à la différence, de surcroît parce que Queenie qui l’adopte, est une jeune femme noire qui adopte donc un enfant blanc né dans des circonstances très étranges, à une époque où le racisme régnait.

    « L’étrange histoire de Benjamin Button » est aussi et avant tout une magnifique histoire d’amour entre Benjamin et Daisy, une histoire qui défie les apparences, la raison, le temps et même la mort. L’histoire de deux destins qui se croisent, que les fils, tortueux, impitoyables et sublimes, du destin finissent toujours pas réunir, malgré le fracas du temps, de leurs temps, s’écoulant irrémédiablement dans deux directions opposées.

     C’est encore une formidable prouesse technique (qui a nécessité 150 millions de dollars et 150 jours de tournage) qui l’est d’autant plus qu’elle n’est jamais là pour épater mais pour servir admirablement l’histoire. Ainsi, il fut un temps question de Robert Redford pour incarner Benjamin Button vieux. C’est finalement Brad Pitt qui interprète Benjamin Button tout au long de sa vie. L’impact dramatique et visuel à le voir ainsi rajeunir sublimement jusqu’à incarner la jeunesse dans toute sa ténébreuse splendeur, puis dramatiquement à redevenir un enfant ayant tout oublié, n’en est que plus fort. Sa nomination aux Oscars en tant que meilleur acteur est amplement méritée (le film est nommé 13 fois) et doit davantage à sa performance d’acteur qu’au maquillage, prouvant après « Babel » et « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford »  la très vaste palette de son jeu mais aussi l’intelligence de ses choix d’acteur. Face à lui Cate Blanchett incarne parfaitement cette femme finalement presque plus irréelle que lui, qui irradie, danse avec la vie, la dévore et la savoure.

    Certes, le film comporte quelques longueurs (L’épisode de la guerre était-il vraiment nécessaire ?) sans pour autant être jamais ennuyeux, tout concourant à servir son thème principal et à rappeler le temps qui s’écoule tragiquement. Le temps de la séance (2H44) épouse ainsi judicieusement le thème du film incitant à ne pas vouloir aller à tout prix contre le temps et à apprendre à l’apprivoiser, à laisser le temps au temps, profiter de chaque rencontre et chaque instant sans pour autant vouloir tout obtenir, réussir, immédiatement.

     Ce film est comme ces personnes (et comme son personnage principal) qui ne vous sont pas immédiatement sympathiques parce qu’elles ne cherchent pas à plaire à tout prix et par tous les moyens mais qui, quand vous les découvrez, progressivement et vraiment, vous procurent  une impression, émotion même, qui n’en sont que plus profondes et intenses. Le charme est alors plus durable que celui, volatile, d’une beauté éphémère et incandescente.

     « L’étrange histoire de Benjamin Button », malgré la singularité de son protagoniste, est un film à portée universelle sur la perte d’être chers,  la cruelle et inexorable fuite du temps, l’amour inconditionnel et intemporel.

     Au-delà de sa mélancolie, c’est aussi un magnifique hymne à la vie, dont chaque plan (une danse dans la nuit, un lever de soleil, une bouchée ou une gorgée dont ils se délectent…) chaque réplique incitent à « savourer » chaque instant, à croire en l’avenir, malgré tout, parce qu’ « on ne peut jamais savoir ce que l’avenir nous réserve ».

     Ce n’est peut-être pas le chef d’œuvre auquel je m’attendais, mais à l’image de l’existence il n’a peut-être que plus de mérite et ne  recèle que plus de beauté à sortir des sentiers battus et à charmer plus insidieusement, en cela c’est un beau et grand film qui porte et/ou hante bien après l’ouragan. Un film mélancolique , et  donc, malgré tout sombre, tendre aussi, un hymne à la vie dont on ne ressort en tout cas pas indemne tant il bouscule en soi (en moi en tout cas) tout ce qui constitue l’essence même de l’existence, de son sens et de son temps, inéluctablement destructeur et fatal.

  • Critique de GRAVITY d’Alfonso Cuarón à 20H45 sur Ciné + Premier

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     Voilà en effet un film qui a fait parler de lui bien avant sa présentation en ouverture de la 70ème Mostra de Venise et le Festival de Toronto dans le cadre desquels il a été projeté, bien avant sa sortie le 23 octobre prochain, le terme de chef d’œuvre ayant même été employé par les plus dithyrambiques des critiques. Son réalisateur (« Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban » mais aussi « Les Fils de l'homme »...), l’atypisme du projet, la prouesse (les prouesses) technique(s), tout cela, notamment, contribuait à en faire un évènement. Avant-hier, j’ai donc pris la direction du cinéma Gaumont Marignan pour l’avant-première nationale et pour savoir exactement ce qu’il en était exactement. Le film n’était pas encore commencé que déjà résonnaient dans la salle des sons inquiétants et assourdis, pour nous plonger dans l’atmosphère oppressante du film. Et ce n’était qu’un avant-goût d’un périple époustouflant et mémorable !

    Pour sa première expédition à bord d'une navette spatiale, le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock), brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l'astronaute chevronné Matt Kowalski –oui Kowalski !- (George Clooney). Mais, alors qu'il s'agit apparemment d'une banale sortie dans l'espace, à l'autre bout de la Terre, la destruction délibérée d'un satellite hors d'usage a propagé des fragments de métal coupants à travers l'espace qui risquent désormais de heurter brutalement Explorer. L'impact est inévitable. Ses conséquences sont catastrophiques. La navette est détruite. Ryan Stone et Matt Kowalski sont les seuls rescapés. Toute communication avec la mission de contrôle est coupée et les deux survivants n'ont plus aucune chance d'être secourus.

    Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalski se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l'univers. Et nous avec eux. Perdus dans cette immensité aussi majestueuse que redoutable. Le silence autour d'eux est assourdissant. Terrifiant. Matt continue d’expliquer ce qu’ils entreprennent, à donner leur position dans l’espace, à « Houston » qui ne les reçoit plus. Il continue à croire en la moindre chance d'être sauvé. Les réserves d’oxygène vont se raréfier. Je vous laisse imaginer le bonheur de la situation… Le titre prend alors tout son (double) sens.

    « À 600 km au-dessus de la Terre, la température oscille entre – 100° et + 125° C. Il n'y a rien pour propager le son. Pas de pression atmosphérique. Pas d'oxygène. » Ainsi débute «Gravity ». En plan large, dans une immensité obscure, teintée de la lumière de quelques astres.  Puis on se rapproche de deux voix, deux personnages, jusqu’à ce que la caméra les enferme, et nous avec eux. L’infiniment grand et l’infiniment petit. L’espace et la claustrophobie.  L’univers et la solitude. Nous voilà partis pour un voyage riche de contrastes saisissants que nous n’oublierons pas de sitôt.

    Kowalski donc. Ainsi se nomme ici George Clonney. Matt et non Stanley, lequel n’a rien ici à voir avec le personnage éponyme d’ « Un tramway nommé désir », malgré leur similarité patronymique. Quoique, d’une certaine manière, ce film aurait aussi pu se nommer « Un tramway nommé désir ». Il n’y a pas de hasards dans le scénario coécrit par Alfonso Cuarón et son fils Jonás. "C'est Jonás qui m'a souvent inspiré" a ainsi déclaré le premier. "J'ai été frappé par son sens du rythme dans une situation où la moindre décision peut être fatale et qui s'attache au point de vue d'un seul personnage. Mais dans le même temps, le fait de situer l'intrigue dans l'espace nous a permis d'enrichir la dramaturgie et de multiplier les interprétations métaphoriques".

    D’abord, il faut l’avouer : le résultat est spectaculaire, vertigineux, oppressant. Brutal et poétique. Les sensations de solitude, de claustrophobie et même d’apesanteur traversent l’écran, non pas en raison de la 3D (qui n’est finalement pas la plus grande responsable de l’immersion) mais de l’interprétation et de la virtuosité de la mise en scène. La salle de cinéma délivre toute sa splendeur, et ses pouvoirs magiques, parfois oubliés. Le cinéma nous emmène littéralement ailleurs, nous ouvre d’autres horizons, nous embarque dans une autre sphère, qui finalement nous ramène à la nôtre. Les magistraux plans-séquences nous empêchent de reprendre notre souffle, nous aussi privés d’oxygène, rivés à l’écran, accrochés à notre siège, le souffle coupé (j’ai littéralement eu l’impression de retenir mon souffle !), seuls dans/malgré la foule de la salle de cinéma, aussi tétanisée.

    Le personnage de George Clooney sert de respiration dans ce cauchemar, jouant aussi avec son image de séducteur (jusqu’aux confins de l’univers et dans une situation qui peut difficilement être plus désespérée), pour mieux nous bouleverser dans une scène que le souhait de ne pas spoiler m’empêche de vous raconter mais une scène dont je peux vous dire qu’elle est d’une intensité rare et bouleversante. Et ce n’est que le début du voyage… Nous voilà nous aussi prisonniers de l’immensité de l’univers, avec la terre à portée de regard et inaccessible, sublime, même lorsque nous ne faisons que l’imaginer et que Kowalski loue la beauté du Gange qu’il entrevoit.

    Le seul reproche que je pourrais faire concerne un symbolisme appuyé, comme de longues secondes sur la position fœtale de Ryan pour nous signifier la naissance puis la renaissance de cette dernière qui  se relève, finalement, (là aussi lors d’une scène très explicite et non moins magnifique d’ailleurs). Parce que c’est avant tout cela. L’histoire d’une renaissance. D’une femme qui va avoir le choix que nous avons tous suite à un drame (deux en l’occurrence). Sombrer ou affronter. Abandonner ou essayer de survivre jusqu’à l’ultime seconde. L’ultime espoir. Même dans la solitude. Même dans l’obscurité. Même lorsqu’il reste à peine un souffle de vie. Dans les situations les plus extrêmes, l’Homme peut dépasser ses limites. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle reprend les aboiements entendus à la radio, se retrouvant face à elle-même, son animalité, aussi.  D’où l’universalité malgré le caractère exceptionnel de la situation car c’est avant tout l’histoire d’une femme, à la fois vulnérable et forte qui a subi un choc, et a le choix entre abandonner et se relever (au propre comme au figuré), abandonner tout espoir ou croire en la vie malgré tout. Comme cette terre (mère), majestueuse et fière, malgré tous les affronts qu’elle a subis.

    En cela, « All is lost » auquel il fait évidemment penser (je vous ai dit dans le magazine « L’ENA hors les murs » tout le bien que j’en pensais, ici), le dépasse par son refus de la moindre facilité scénaristique. JC Chandor, comme Cuarón, place l’homme face à ses solitudes, ses forces et ses faiblesses. Seul face à la folle et splendide violence des éléments, de la terre, de l’univers. Seul face à nous. Avec nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Ou l’univers. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Dans les deux cas, cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.

    Cuarón s'est entouré du chef-opérateur Emmanuel Lubezki à qui l’on doit des plans d’une beauté époustouflante en particulier un vers la fin d’une puissance émotionnelle renversante. D’autres, grâce à une mise en scène chorégraphiée, nous donnent l’impression que Ryan danse dans l’espace. Danse avec la mort. Danse avec la vie. Les effets visuels supervisés par Tim Webber  sont tellement magistraux qu’on s’y croirait et que nous aurions envie de la rejoindre dans cette danse macabre.

    Que dire du travail sur le son et de la musique composée par Steven Price ?  « Gravity » fait une des plus belles (une des trop rares d’ailleurs) utilisations du silence au cinéma. Pas un bruit dans la salle ne viendra troubler ces moments magiques et terribles, renforçant notre impression d’immersion.

    Thriller, allégorie, science fiction, film métaphysique, film catastrophe, oui, « Gravity » c’est tout cela mais c’est avant tout une expérience, visuelle et sensorielle, hors du commun qui, justement parce qu’elle est hors du commun nous fait oublier les quelques facilités scénaristiques, dans les dialogues/monologues parfois aussi. Nous regrettons même que le cauchemar ne s’éternise pas plus longtemps, me rappelant ainsi les sensations éprouvées après avoir vu un autre film qui relevait de l’expérience, « Inception », dans lequel le personnage principal accomplissait l’impossible : subtiliser et manipuler les rêves. Ici Cuarón manipule nos pires cauchemars, dont celui de solitude dans l’immensité de l’univers, pour mieux nous faire appréhender l’indicible beauté de la vie et de la terre. Prenez votre ticket pour l’espace, pour ce tour de manège à la beauté poétique, crépusculaire, envoûtante bien que terrifiante. Laissez-vous enivrer par cette odyssée dans l’espace, à la fois lointain et tellement universel, et cette leçon de courage.  Acceptez de vous perdre dans l’univers, de vous laisser embarquer, pour mieux renaitre et vous relever. Oui, une leçon d'espoir. Et de cinéma. Qui s’achève de manière éblouissante et poignante. Et nous laisse à terre. Littéralement.

     

  • Critique de Mr. TURNER de Mike Leigh à 20H50 sur Canal plus cinéma

     

    Mr. Turner, cinéma, canal plus, film, télévision, critique, Mike Leigh, Timothy Spall, Marion Bailey, Festival de Cannes, Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, festival

    Dans ce nouveau film de Mike Leigh, Timothy Spall interprète le peintre Turner. Sans doute certains trouveront-ils qu’il cabotine ou que son jeu est maniéré, sans doute des intimes du peintre Turner qui savent mieux que quiconque qu’il ne se comportait pas ainsi, lequel, rappelons-le, est décédé en 1851. Simplement Timothy Spall a-t-il décidé d’esquisser, de composer un personnage tout comme, pour esquisser le portrait de Turner, Mike Leigh a dessiné une suite de saynètes/toiles d’une beauté renversante, éblouissante, captivante malgré la longueur du film, recourant à une lenteur finalement judicieuse pour nous  faire apprécier cet artiste comme un tableau qui n’offre pas d’emblée toutes ses richesses au regard mais se dévoile peu à peu, à l’image de cet éléphant à peine visible au premier regard sur cette toile de Turner.

    Le film et le personnage se construisent de paradoxes : entre l’extrême sensibilité que cet homme met dans son art et la rudesse de ses manières, entre les tourments qu’il exprime dans ses toiles et ceux qu’il ne parvient pas à exprimer autrement, réussissant à peindre les tempêtes qui s’agitent sur les océans et dans son crane mais jamais à les expliciter.

    Mike Leigh s’est concentré sur les dernières années de l’existence du peintre britannique qui fut un artiste reconnu, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts,  vivant entouré de son père (qui fut aussi son assistant), et de sa dévouée (c’est un euphémisme) gouvernante (fantastique Dorothy Atkinson). Un tableau d’autant plus intéressant que, au-delà de sa saisissante beauté picturale, le parallèle est évident entre l’artiste peintre et l’artiste cinéaste, en particulier lorsque celui-ci subit les sarcasmes de l’establishment. Toute relation avec la réalité serait évidemment purement fortuite.

    Mike Leigh nous éclaire sur le travail de Turner tout en ne cherchant pas à rendre sympathique cet homme sombre et parfois même repoussant et glacial ou en tout cas incapable de s’exprimer autrement qu’au travers de ses toiles ou par des borborygmes « inhumains ». Ce film nous laisse avec le souvenir de peintures et de plans qui se confondent, en tout cas d’une beauté à couper le souffle, et le souvenir  de ce premier plan étincelant avec ce soleil prometteur, ce moulin, ces deux paysannes qui marchent  en parlant flamand tandis que seul et/ou isolé (Turner fait lui-même la distinction entre la solitude et l’isolement, sans doute ressent-il la première sans être victime du second), en marge de la toile/de l’écran, le peintre s’adonne à son art, comme un miroir de celui qui le portraiture pour le cinéma (des « Ménines » de Velasquez version 21ème siècle, finalement).

    Un film et un personnages à la fois âpres, rudes et sublimes d’une belle exigence dans les nuances des âmes autant que dans celles des teintes et des peintures.

  • Critique de MELANCHOLIA de Lars von Trier à 20H45 sur Ciné + Emotion

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    Ce soir, ne manquez pas le chef d'oeuvre de Lars von Trier, "Melancholia", à 20H45, sur Ciné plus Emotion.

    "Melancholia" reste pour moi LE film du Festival de Cannes 2011 dans le cadre duquel je l'avais découvert, le film qui aurait indéniablement mérité la palme d’or, mais aussi LE film de l’année 2011 …et même un  immense  choc, tellurique certes mais surtout cinématographique.

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    De cette projection, je garde une impression à la fois jubilatoire et dérangeante, et de fascination, accentuée par le fait que j’ai vu ce film dans le cadre de sa projection cannoise officielle suite à la conférence de presse tonitruante en raison des déclarations pathétiques de Lars von Trier dont le film n’avait vraiment pas besoin et dont nous ne saurons jamais si elles lui ont coûté la palme d’or que, à mon avis, il méritait beaucoup plus que « Tree of life ».  Rarement (jamais ?) en 13 ans de Festival de Cannes, l’atmosphère dans la salle avant une projection ne m’avait semblée si pesante et jamais, sans doute, un film n’aura reçu un accueil aussi froid (d’ailleurs finalement pas tant que ça) alors qu’il aurait mérité un tonnerre d’applaudissements.

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    Je pourrais vous en livrer le pitch. Ce pitch vous dirait que, à l'occasion de leur mariage, Justine (Kirsten Dunst) et Michael (Alexander Skarsgård ) donnent une somptueuse réception dans le château de la sœur de Justine, Claire(Charlotte Gainsbourg) et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige inéluctablement vers la Terre...

     Mais ce film est tellement plus que cela…

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    Dès la séquence d’ouverture, d’une beauté sombre et déroutante, envoûtante et terrifiante (une succession de séquences et photos sur la musique de Wagner mêlant les images de Justine  et les images de la collision cosmique), j’ai été éblouie, subjuguée, happée par ce qui se passait sur l’écran pour ne plus pouvoir en détacher mon attention. Après ce prologue fantasmagorique et éblouissant,  cauchemardesque,  place au « réalisme » avec les mariés qui sont entravés dans leur route vers le château où se déroulera le mariage. Entravés comme Justine l’est dans son esprit. Entravés comme le sera la suite des évènements car rien ne se passera comme prévu dans ce film brillamment dichotomique, dans le fond comme dans la forme.

    Lars von Trier nous emmène ensuite dans un château en Suède, cadre à la fois familier et intemporel, contemporain et anachronique, lieu du mariage de Justine, hermétique au bonheur. La première partie lui est consacrée tandis que la seconde est consacrée à sa sœur Claire. La première est aussi mal à l’aise avec l’existence que la seconde semble la maitriser jusqu’à ce que la menaçante planète « Melancholia » n’inverse les rôles, cette planète miroir allégorique des tourments de Justine provoquant chez tous cette peur qui l’étreint constamment, et la rassurant quand elle effraie les autres pour qui, jusque là, sa propre mélancolie était incompréhensible.

    Melancholia, c’est aussi le titre d’un poème de Théophile Gautier et d’un autre de Victor Hugo (extrait des « Contemplations ») et le titre que Sartre voulait initialement donner à « La nausée », en référence à une gravure de Dürer dont c’est également le titre. Le film de Lars von Trier est la transposition visuelle de tout cela, ce romantisme désenchanté et cruel. Ce pourrait être prétentieux (comme l’est « Tree of life » qui semble proclamer chaque seconde sa certitude d’être un chef d’œuvre, et qui, pour cette raison, m’a autant agacée qu’il m’a fascinée) mais au lieu de se laisser écraser par ses brillantes références (picturales, musicales, cinématographiques), Lars von Trier les transcende pour donner un film d’une beauté, d’une cruauté et d’une lucidité renversantes.

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     C’est aussi  un poème vertigineux, une peinture éblouissante, un opéra tragiquement romantique, bref une œuvre d’art à part entière. Un tableau cruel d’un monde qui se meurt ( dont la clairvoyance cruelle de la première partie fait penser à « Festen » de Vinterberg) dans lequel rien n’échappe au regard acéré du cinéaste : ni la lâcheté, ni l’amertume, ni la misanthropie, et encore moins la tristesse incurable, la solitude glaçante face à cette « Mélancholia », planète vorace et assassine, comme l’est la mélancolie dévorante de Justine.

    « Melancholia » est un film bienheureusement inclassable, qui mêle les genres habituellement dissociés (anticipation, science-fiction, suspense, métaphysique, film intimiste…et parfois comédie certes cruelle) et les styles (majorité du film tourné caméra à l’épaule) .

    Un film de contrastes et d’oppositions. Entre rêve et cauchemar. Blancheur et noirceur. La brune et la blonde. L’union et l’éclatement. La terreur et le soulagement. La proximité (de la planète) et l’éloignement (des êtres).

    Un film à contre-courant, à la fois pessimiste et éblouissant. L’histoire d’une héroïne  incapable d’être heureuse dans une époque qui galvaude cet état précieux et rare avec cette expression exaspérante « que du bonheur ».

    Un film dans lequel rien n’est laissé au hasard, dans lequel tout semble concourir vers cette fin…et quelle fin ! Lars von Trier parvient ainsi à instaurer un véritable suspense terriblement effrayant et réjouissant qui s’achève par une scène redoutablement tragique d’une beauté saisissante aussi sombre que poignante et captivante qui, à elle seule, aurait justifié une palme d’or. Une fin sidérante de beauté et de douleur. A couper le souffle. D’ailleurs, je crois être restée de longues minutes sur mon siège dans cette salle du Grand Théâtre Lumière, vertigineuse à l’image de ce dénouement, à la fois incapable et impatiente de transcrire la multitude d’émotions procurées par ce film si intense et sombrement flamboyant.

    Et puis… comment aurais-je pu ne pas être envoûtée par ce film aux accents viscontiens (« Le Guépard » et « Ludwig- Le crépuscule des Dieux » de Visconti ne racontant finalement pas autre chose que la déliquescence d’un monde et d’une certaine manière la fin du monde tout comme « Melancholia »), étant inconditionnelle du cinéaste italien en question ?

    Le jury du 64ème Festival de Cannes  a d’ailleurs semble-t-il beaucoup débattu du « cas Melancholia ».  Ainsi, selon Olivier Assayas, lors de la conférence de presse du jury : « En ce qui me concerne, c’est un de ses meilleurs films. Je pense que c’est un grand film. Je pense que nous sommes tous d’’accord pour condamner ce qui a été dit dans la conférence de presse. C’est une œuvre d’art accomplie. »

    Kirsten Dunst incarne la mélancolie (d’ailleurs pas pour la première fois, tout comme dans « Marie-Antoinette » et « Virgin Suicides ») à la perfection dans un rôle écrit au départ pour Penelope Cruz. Lui attribuer le prix d’interprétation féminine était sans doute une manière judicieuse pour le jury de récompenser le film sans l’associer directement au cinéaste et à ses propos, lequel cinéaste permettait pour la troisième fois à une de ses comédiennes d’obtenir le prix d’interprétation cannois (se révélant ainsi un incontestable très grand directeur d’acteurs au même titre que les Dardenne dans un style certes très différent), et précédemment Charlotte Gainsbourg pour « Antichrist », d’ailleurs ici également époustouflante.

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     Un très grand film qui bouscule, bouleverse, éblouit, sublimement cauchemardesque et d’une rare finesse psychologique me laisse le souvenir lancinant et puissant  d’un film qui mêle savamment les émotions d’un poème cruel et désenchanté, d’un opéra et d’un tableau mélancoliques et crépusculaires.

    Alors je sais que vous êtes nombreux à vous dire réfractaires au cinéma de Lars von Trier…mais ne passez pas à côté de ce chef d’œuvre  qui vous procurera plus d’émotions que la plus redoutablement drôle des comédies, que le plus haletant des blockbusters, et que le plus poignant des films d’auteurs et dont je vous garantis que la fin est d’une splendeur qui confine au vertige. Inégalée et inoubliable.