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  • Compte-rendu et palmarès du 3ème Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule (2 au 5 octobre 2025)

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    Selon Albert Camus, « La société politique contemporaine » est « une machine à désespérer les hommes. » Quant à Stefan Zweig, il considérait que « La raison et la politique suivent rarement le même chemin. » Si l’actualité politique récente, nationale et internationale, tend à donner dramatiquement raison aux deux écrivains, cette troisième édition du Festival de la Fiction et du Documentaire Politique de La Baule a su magistralement montrer que la politique pouvait aussi être synonyme d’espoir et de raison, du moins de (ré)conciliation.

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    Nous sommes aujourd’hui le 7 octobre 2025.  Deux ans jour pour jour après l’ineffable attaque terroriste en Israël. Il y a quelques jours, non loin de La Baule, au large de Saint-Nazaire, était arraisonné un navire de la flotte fantôme russe. Le 6 octobre, la France a connu un revirement politique sans précédent, avec la nomination d’un gouvernement et la démission du Premier Ministre, moins de 14 heures plus tard. Ce 9 octobre, Robert Badinter entrera au Panthéon. Ainsi, ce festival  pouvait difficilement être plus au cœur de l’actualité  avec, parmi les films projetés et primés : Holding Liat de Brandon Kramer (prix du jury documentaire et mention spéciale du jury des lycéens) qui suit la famille de l'otage Liat Beinin Atzili dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi son enlèvement le 7 octobre 2023, Les Combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka (prix du jury ex-aequo), deux films consacrés aux gilets jaunes (Les Braises de Thomas Kruithof -prix du jury fiction politique et mention spéciale du jury médias- et Dossier 137 de Dominik Moll -prix du public-),  le documentaire en compétition Les armes secrètes de Poutine de Hugo Van Offel et Martin Boudot qui révèle comment la Russie contourne les sanctions internationales, sans oublier deux films qui explorent la dictature, qu’elle soit irakienne et vue à hauteur d’enfant dans The President’s cake de Hasan Hadi (mention spéciale du jury fiction et prix des médias), ou stalinienne et décrite à travers les yeux d’un jeune procureur dans Deux Procureurs de Sergei Loznitsa.

    Ce festival, véritable voyage dans l’Histoire, passée et contemporaine, fut passionnant par la qualité des films sélectionnés (je vous les recommande tous) qui permettent de questionner et décrypter les enjeux sociétaux et politiques avec nuance, distance, recul, loin du flux ininterrompu et déhiérarchisé des chaînes d’informations et des réseaux sociaux, élargissant, voire changeant notre perception sur des faits d’actualité. Il a aussi pour vertus de permettre aux politiques, journalistes, artistes et spectateurs de s’écouter respectueusement (un miracle réconfortant dans cette actualité inaudible et insatiable) et de dialoguer dans une atmosphère particulièrement conviviale et chaleureuse, à l’image de l’équipe du festival, notamment de ses deux fondateurs, Anne-Catherine Mendez et Jérôme Paoli, et du président du festival, Gabriel Le Bomin.

    Quatre jurys ont eu pour mission de départager les 5 documentaires et les 5 fictions. Le jury fiction politique était présidé par la comédienne, réalisatrice et scénariste Audrey Dana. Elle était entourée du réalisateur Antoine Raimbault, du producteur Philippe Boeffard, de la Haute Commissaire à l'enfance, Sarah El Hairy, et du comédien Arié Elmaleh. Le jury documentaire politique était présidé par la comédienne Odile Vuillemin, entourée du producteur Paul Rozemberg, de l'ancien Ministre de la Mer et de la Biodiversité Député de la 2ème circonscription des Côtes d'Armor, Hervé Berville. Le jury presse et médias politique était présidé par l'éditorialiste politique, essayiste, ancien DG de France Télévisions, Patrice Duhamel, entouré du Directeur de la rédaction de la Tribune Dimanche, éditorialiste à BFMTV, Bruno Jeudy, du rédacteur en chef des Echos de la Presqu'île, Frédéric Prot, et de la journaliste et éditorialiste politique, Saveria Rojek. Le jury lycéens politique était présidé par l'ancienne Ministre, responsable associative, Najat Vallaud-Belkacem, entourée des lycéens Charlie Connan-Levallois, Gustave Diebolt, Inès Fernandez, Anna Gallou-Papin, Maël Lehuede, Swann Mahyaoui-Chantrel, Elyne Pernet.

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    Après avoir suivi pendant dix ans le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, j’étais ravie de découvrir ce nouvel évènement baulois, réunissant deux de mes passions, le cinéma et la politique.  Et de retrouver l’équipe du cinéma Le Gulf Stream qui avait été si accueillante lors de ma séance de dédicaces dans ses locaux, en juillet 2024. Je les en remercie de nouveau. C’est dans l’incontournable cinéma baulois que furent donc projetés les dix films en compétition  et les trois avant-premières hors compétition (La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa en ouverture, Jean Valjean d'Éric Besnard vendredi soir et L'Inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier, samedi soir, en clôture).

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    Le palmarès a été délivré en présence de la Présidente de l’Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet (qui avait également participé à l’instructive et captivante masterclass dans l’après-midi), suivi de la projection de L’Inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier.

    Je vous parlerai de nouveau plus longuement de chacun des films projetés au moment de leur sortie. En attendant, j’espère que les quelques mots ci-dessous vous donneront envie de les découvrir.

    1. La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa (film d’ouverture) – Au cinéma le 29 octobre 2025

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    Le festival a donc débuté avec la projection du très attendu dernier film de Thierry Klifa, projeté à Cannes hors compétition, en mai dernier. Je vous avais vivement recommandé son dernier film, Les rois de la piste, ici.

    La femme la plus riche du monde, Marianne Farrère (Isabelle Huppert) : sa beauté, son intelligence, son pouvoir. Un écrivain photographe, Pierre-Alain Fantin (Laurent Lafitte) : son ambition, son insolence, sa folie. Le coup de foudre qui les emporte. Une héritière méfiante qui se bat pour être aimée (Marina Foïs). Un majordome aux aguets qui en sait plus qu'il ne dit (Raphaël Personnaz). Des secrets de famille. Des donations astronomiques. Une guerre où tous les coups sont permis.

    Après Tout nous sépare et son documentaire André Téchiné, cinéaste insoumis, avec Les rois de la piste, Thierry Klifa avait souhaité se tourner vers la comédie. Comme toujours, il nous parlait de la famille et, comme souvent, de la figure maternelle. Dans son troisième film, Les yeux de sa mère (2011), il s’intéressait en effet déjà à la mère, qu’elle soit présente ou absente. Ici, la mère (Isabelle Huppert) est une héritière lassée de tout qui revit grâce à la rencontre avec un écrivain photographe opportuniste (Laurent Lafitte). Une histoire librement inspirée de l’affaire Bettencourt (rappelez-vous : en 2016, attaqué par la fille de Liliane Bettencourt, héritière et première actionnaire de L’Oréal, l’écrivain-photographe François-Marie Banier avait été condamné pour abus de faiblesse à quatre ans de prison avec sursis et 375000 euros d’amende). Comme toujours chez le cinéaste cinéphile Thierry Klifa, ce film se situe à la frontière des genres, entre la comédie et la satire de la bourgeoisie, avec des accents de drame (de la solitude). Et c'est jubilatoire, avec des dialogues ciselés et une interprétation de Lafitte en opportuniste insolent, désinvolte, flamboyant, détestable, grossier, rustre, absolument exceptionnelle, qui a elle seule vaut le détour. Les répliques cinglantes et la fantaisie savamment cruelle de Fantin sont particulièrement délectables, même qu’il sera pris à son propre piège, et peut-être finalement la première victime de son petit jeu cynique et cupide. Tous les personnages semblent finalement en mal d’amour, de la fille méprisée au gendre (caution juive pour tenter de faire oublier que le fondateur de la marque fut un ancien collaborateur) à l’énigmatique majordome (Raphaël Personnaz, dont une fois de plus le jeu sensible apporte un supplément d’âme, de malice, de sensibilité, et de nuance à son personnage) que Fantin prend un malin plaisir à humilier. Visuellement splendide, entre Ozon et Chabrol dans le ton -d’une ironie savoureuse-, faisant exploser les codes de bonne conduite bourgeois, Klifa livre là un de ses meilleurs films, et donne à Isabelle Huppert un de ses rôles les plus marquants (et pourtant sa carrière n’en manque pas), celui  d’une milliardaire qui se prend d’une amitié affectueuse et aveugle (quoique…) pour cet être qui lui fait retrouver l’insouciance en défiant toutes les conventions de son milieu, et en osant tout, y compris lui demander de changer intégralement sa décoration, ou de lui faire des chèques d’un montant astronomique (certes dérisoire à l’échelle de la fortune de la milliardaire). Un scénario signé Thierry Klifa, Cédric Anger, Jacques Fieschi (un trio de scénaristes royal, ce dernier vient d’être récompensé au Festival Cinéroman de Nice, récompense amplement méritée pour celui qui est pour moi le plus grand scénariste français). La musique d’Alex Beaupain, teintée de notes joyeuses et railleuses, m’a aussi par moments rappelé celle de Morricone pour I comme Icare. Sont à noter également le travail de reconstitution remarquable de la cheffe décoratrice Eve Martin, de la cheffe costumière Laure Villemer, et la photographie splendide de Hicham Alaoui.

    1. Holding Liat de Brandon Kramer – compétition documentaire – Prix du jury ex-aequo et mention spéciale des lycéens – Au cinéma le 16 février 2025

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    Ce documentaire, coproduit par le réalisateur Darren Aronofsky, est tourné avec la famille de l'otage Liat Beinin Atzili (enlevé au kibboutz Nir Oz) dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi son enlèvement le 7 octobre 2023. C’est avant tout une ode à la paix, le récit poignant et nuancé d’une situation complexe et explosive. Le réalisateur est un proche de la famille Atzili. Lors de sa première visite en Israël, vingt ans auparavant, il avait séjourné chez les parents de Liat, Yehuda et Chaya, dans leur kibboutz. Cette relation étroite lui a permis de les filmer dans les moments les plus tendus, y compris lorsque les membres de la famille ne sont pas d’accord sur la marche à adopter. Liat étant à la fois citoyenne américaine et citoyenne israélienne, son père décide de prendre l’avion pour Washington D.C., afin de plaider en faveur de sa libération. Là, il n’hésite pas à échanger avec un militant palestinien, et à parler des deux États et de paix, quand son petit-fils et son autre fille voudraient aborder seulement la question de la libération des otages. 54 jours. C’est la durée pendant laquelle Liat demeurera détenue. Avec la famille, nous suivons les espoirs, déçus, les listes de noms sur lesquelles Liat n’est pas, la colère et l’attente insoutenable. Et enfin la libération. Malgré tout ce que Liat a traversé (son mari a été tué, des traces de sang sur un mur du Kibboutz suffisent à faire comprendre l’émotion de la famille et son calvaire), elle exprime de l’empathie pour les Palestiniens et la souffrance de ceux, tous ceux qui sont victimes de ce conflit. Un message de paix, de résilience. Et un film qui a bouleversé les festivaliers.

    1. The President’s cake de Hasan Hadi (mention spéciale du jury presse et médias politique, et grand prix du jury fictions) – Au cinéma le 4 février 2026

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    Ce film était déjà lauréat de la caméra d’or du dernier Festival de Cannes, prix qui récompense un long-métrage parmi tous les premiers films des différentes sélections, et du Prix du public à la Quinzaine des Cinéastes 2025.

    Dans l’Irak de Saddam Hussein, Lamia, 9 ans, tirée au sort, se voit confier par son instituteur la lourde tâche de confectionner un gâteau pour célébrer l’anniversaire du président. Sa quête d’ingrédients, accompagnée de son ami Saeed, bouleverse son quotidien. Un premier film qui raconte l’Irak de Saddam Hussein à travers les yeux d’une enfant, une œuvre si universelle qu’elle pourrait raconter le quotidien de n’importe quel enfant dans un pays en guerre dirigé par un dictateur. Lamia va donc aller à Bassora, la grande ville la plus proche de son lieu d’habitation, en compagnie de sa grand-mère et de son coq Hindi. Dans un pays dans lequel tout tourne autour du culte du dictateur qui le dirige, chacun joue un rôle et masque ses petitesses derrière des mensonges. Les denrées que doit trouver Lamia sont chères et rares, en raison de la pénurie et de l’embargo, mais les trouver est pour elle vital. Commerçants malhonnêtes, policiers corrompus, soignants acceptant des pots-de-vin, elle rencontre le pire. Mais aussi des gestes d’amitié et d’amour, lueurs au milieu de la noirceur dans ces rues écrasées de soleil. Il y a de l’héritage du néo-réalisme italien dans ce premier film irakien qui regorge de beauté au milieu de l’horreur. L’image de la petite Lamia et de son coq Hindi serré contre elle, déterminée, forte et fragile, obligée de ruser et voler pour satisfaire les caprices d’un dictateur qui vit dans l’opulence, est de celle que l’on n’oublie pas, comme cette scène finale, et deux regards qui me hantent encore par leur courage mais aussi leur puissance, et surtout leur innocence et leur beauté sacrifiées.

    1. France, une histoire d’amour de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand (Prix des lycéens) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    De beauté et d’amour, le film de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand qui a séduit le jury des lycéens présidé par Naja Vallaud-Belkacem, en déborde aussi.

    Après avoir exploré le monde, Yann Arthus-Bertrand revient chez lui, en France, et part à la rencontre des Françaises et Français qui agissent concrètement pour faire avancer leur monde. Ce documentaire, touchant et plein d’humanité, tourné comme un road-movie dans la France entière, est une invitation à la curiosité mais surtout au vivre ensemble. Ces rencontres permettent de révéler des paroles sincères et des moments rares qui dessinent des portraits d’hommes et de femmes engagés.

    Après s’être intéressé à La Terre vue du ciel, dans le documentaire éponyme mais aussi avec Home, hymne à la terre qui nous expliquait que, en 200 000 ans d’existence, l’Homme avait rompu un équilibre fait de près de 4 milliards d’années d’évolution, à la Planète océan, à l’humain avec Human (dont je vous avais longuement parlé, ici : un voyage émotionnel d’une force redoutable, une démonstration implacable de la réitération des erreurs de l’humanité, une radiographie saisissante du monde actuel, un plaidoyer pour la paix, pour l’écoute des blessures de la planète et de l’être humain dans toutes leurs richesses et leurs complexités, une confrontation clairvoyante, poignante au monde contemporain et à ceux qui le composent), aux femmes avec Woman, à l’histoire de l’homme et de la nature avec Legacy, notre héritage, le photographe éperdument écologiste et humaniste part à la rencontre des Français pour les photographier, qu’ils soient réfugiés, agriculteurs, charcutiers, prisonniers en réinsertion, ou membres de Dernière rénovation… Il dresse ainsi le portrait d’une France plurielle, riche de ses différences, tournée vers l’autre, solidaire, empathique et généreuse, malgré les tensions et incompréhensions, prônant l’écoute et le dialogue. Des Français conscients des enjeux environnementaux et sociaux qui cherchent des solutions, leurs solutions, qui tentent d’éveiller les consciences aussi sur les défis écologiques et l’urgence climatique. Un voyage pétri d’émotions et de tendresse (« Être un homme c'est savoir pleurer » dit-il à un jeune homme qui s’est réinséré après avoir été incarcéré) à la rencontre de ces Français, qui en aidant les autres, donnent un sens à leur vie. « Je voulais faire un film sur tout ce que j’aime en France. », « On essaie de montrer tous les gens qui font des choses pour les autres. » « On voyage à travers la France pour filmer des gens qui font des choses que j'admire. » Comme Brigitte Lips, « Mamie charge », qui aide les migrants. Comme Camille Étienne « qui donne un visage et une voix à la génération climat ». Comme Émilie Jeannin qui « a tenté (en vain) par son abattoir mobile d’agir pour le respect animal et de promouvoir un abattage digne », comme ceux qui redistribuent les invendus des magasins à des associations… Le film est aussi, comme presque toujours chez Yann Arthus-Bertrand, un message d’alerte. Il nous rappelle ainsi ce chiffre sidérant et terrifiant : en 2070, 3 milliards de gens ne pourront plus vivre là où ils vivent. Il n’est pas non plus dénué d’humour comme cet intervenant qui ironise sur la manière dont certains tentent de donner un sens à leur vie : « Au bout de 20 ans pour que ça change dans leur vie, ils font une nouvelle véranda ». Ou lorsque Yann Arthus-Bertrand titille gentiment Bruno, le preneur de son, sans compter que le cinéaste a la fâcheuse habitude de se perdre sur les routes de France, s’amusant aussi du surnom que certains lui ont attribué, « l’hélicologiste ». Les deux cinéastes filment aussi la détresse des agriculteurs (« On pousse les gens à faire du bio puis après on les lâche ») ou des bergers face aux loups qui déciment les troupeaux, et qui disent faire face aux menaces de mort des environnementalistes. C’est peut-être la bergère qui prône la meilleure solution alors que Yann Arthus-Bertrand doute de la réalité de ces menaces : « la solution, c'est de s'écouter et de ne pas mettre notre parole en doute. » On comprend et partage l’émotion de Yann Arthus-Bertrand lorsque, lors d’une intervention devant des chefs d’entreprises et responsables politiques, on lui fait maladroitement comprendre qu’il a trop parlé alors qu’il essayait, une fois de plus, de donner l’alerte : « De plus en plus, c'est difficile pour moi de parler de tout cela devant des gens qui sont indifférents. Là on parle de ça. C'est fini. Cela a glissé. » « Là on va être dirigé par un dictateur sans conscience, le climat. La vie n'a aucun sens. C'est vous qui décidez de donner un sens à votre vie. On a tous la mission et le devoir de protéger la vie sur terre. J'ai passé ma vie à photographier la beauté. C'est quoi la beauté ? C'est les gens qui font, qui partagent. Cette beauté a un nom très simple. Elle s'appelle l'amour. » Le film est accompagné de chansons françaises judicieusement choisies, comme La Corrida de Cabrel sur les images d’une vache qui part à l’abattoir (ambulant) ou La vie ne vaut rien de Souchon qui nous donne envie de fredonner et de conclure après la projection de ce film à la photographie sublime qui magnifie la beauté du territoire français, de ses visages et de leur générosité :  « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie. »

    1. Dossier 137 de Dominik Moll (prix du public) – Au cinéma le 19 novembre 2025

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    Le dernier film de Dominik Moll, La nuit du 12, était une vision très personnelle du polar, à la mise en scène puissante. À l’heure où les féminicides sont dramatiquement nombreux, ce film était un plaidoyer retentissant et vibrant contre les violences faites aux femmes. L’intérêt de l’enquête résidait ainsi moins dans la résolution du crime que dans l’auscultation de la vision de la femme, d’une femme. Bouli Lanners et Bastien Bouillon y incarnaient deux policiers perdus et tourmentés, et leur désespoir, leur fragilité, leur solitude face à cette affaire irrésolue qui nous hantent autant que cette dernière après le film. La procédure est décortiquée mais ce sont surtout les âmes humaines qui le sont comme dans un film de Tavernier (on songe à L627). Le dernier plan, celui du policier qui s'échappe du vélodrome et roule le jour est la respiration tant attendue qui nous marque longtemps après la projection comme ce film qui ne peut laisser indifférent, tant il entre en résonance avec les plaies à vif de notre époque.

    Cette digression sur La nuit du 12 pour vous dire qu’il en va de même pour Dossier 137. C’est moins la résolution de l’enquête que le parcours et le portrait de celle qui mène l’enquête qui présente un intérêt. Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie (Léa Drucker), enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité... Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro, une histoire qui la renvoie à ses racines, et risque d’ébranler ses certitudes. En compétition dans le cadre du Festival de Cannes 2025, ce film se penche sur un cas de bavure policière lors des manifestations des Gilets jaunes. Comme l’enquêtrice de l’IGPN qu’elle interprète dont les certitudes vacillent, le regard de Léa Drucker tremble légèrement, marque un doute et une fragilité à peine perceptibles, si savamment joués. Elle tient bon malgré l’incompréhension de ses anciens collègues face à la voie qu’elle a choisie (elle travaillait auparavant aux stups), à la colère de la famille de la victime (originaire du même endroit qu’elle), à la haine que suscite la police que son propre fils ne cesse de lui rappeler. Ce Dossier 137 n’est pas un dossier comme un autre pour elle. Il sera (peut-être) classé mais quelque chose dans ses convictions aura vacillé. La générosité du personnage de Léa Drucker inonde tout le film, qu’elle prenne soin d’un petit chat égaré qu’elle adopte ou qu’elle essaie d’oublier la réalité en regardant des vidéos de chats. Et quand, en visionnant ces vidéos, son rire soudain enfantin cesse d’un coup, c’est toute son impuissance et sa fragilité que cette femme intègre et combattive a tenté de masquer tant bien que mal qui ressurgissent. Le portrait passionnant d’une femme, d’une policière, et d’une époque en proie aux fractures.

    1. Les Braises de de Thomas Kruithof (mention spéciale du jury des médias et mention spéciale du jury fictions) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    Alors que le cinéma s’était peu emparé de ce sujet jusqu’à présent, ce film est le deuxième de ce festival à se pencher sur le mouvement des gilets jaunes.

    Karine (Virginie Efira) et Jimmy (Arieh Worthalter) forment un couple uni, toujours très amoureux après vingt ans de vie commune et deux enfants. Elle travaille dans une usine ; lui, chauffeur routier, s’acharne à faire grandir sa petite entreprise. Quand surgit le mouvement des Gilets Jaunes, Karine est emportée par la force du collectif, la colère, l’espoir d’un changement. Mais à mesure que son engagement grandit, l’équilibre du couple vacille.  Plus Karine va s’impliquer, plus son couple va se fracturer. La fracture. D’ailleurs, tel pourrait être le titre de ce film (déjà employé par Corsini). La fracture au sein de la famille. Entre Karine et son fils d’un côté, son mari et sa fille de l’autre, qui regarde son engagement avec circonspection. La fracture entre les Gilets jaunes dont fait partie Karine et le gouvernement. La fracture entre ceux qui dirigent avec cynisme (les entreprises qui méprisent Jimmy) et ceux qui travaillent au péril de leur santé et de leur vie. Thomas Kruithof filme les manifestations comme des moments de bonheur et de plénitude (il faut voir comment Karine est métamorphosée lorsqu’elle participe à une manifestation la première fois, son visage s’illumine d’une joie nouvelle), des lieux en lesquels l’entraide, l’écoute et la fraternité règnent. Le film pose (habilement) plus de questions qu’il n’apporte de réponses : jusqu’où doit-on aller par engagement militant ? Faut-il sacrifier sa vie personnelle à ses idéaux ? Virginie Efira est une nouvelle fois parfaite dans ce rôle sobrement interprété de femme généreuse, déterminée, humble, et amoureuse. « Tous deux ont une haute idée de l’amour » a ainsi déclaré le réalisateur lors du débat d’après-film, à propos de ses deux personnages principaux. Et c’est en cela avant tout que le film a bouleversé les festivaliers : l’amour d’un homme pour sa femme qui, pour elle, va ouvrir les yeux, dépasser ses propres peurs et préjugés. Les braises, ce sont celles d'un incendie social qui menace d'enflammer le pays, mais aussi celle d'une passion qui ne s'est jamais réellement éteinte.

    1. Jean Valjean d’Eric Besnard (hors compétition) - Au cinéma le 19 novembre 2025

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    Jean Valjean (Grégory Gadebois) sort du bagne, brisé, rejeté de tous. Errant sans but, il trouve refuge chez un homme d’Église, Monseigneur Bienvenu, (Bernard Campan), sa sœur (Isabelle Carré) et leur servante (Alexandra Lamy). Face à cette main tendue, Jean Valjean vacille et, dans cette nuit suspendue, devra choisir qui il veut devenir. Jean Valjean s’intéresse aux origines du célèbre personnage des Misérables, aux cinquante premières pages du roman d’Hugo qui explique comment Valjean va retrouver son humanité, et la rédemption malgré l’injustice qu’il a subie. En sortant du bagne, Valjean est une bête traquée et sauvage, un homme ébranlé, tiraillé entre le bien et le mal, brisé par dix-neuf ans d’enfermement, habité par la violence et la colère. Le film raconte cette lutte-là, intime et universelle, son cheminement de la noirceur et de la haine vers la lumière et l’amour. La bonté de l’homme d’Église va décontenancer Valjean : Il ne supporte la vie que parce qu'il est certain que le monde est injuste. « Si la bonté existe tout cela n'avait aucun sens », explique ainsi le réalisateur, après la projection. Doit-il prendre cette main tendue ou se laisser happer par son désir de haine et de vengeance ? Comment ne pas être dévoré par le ressentiment et la haine envers une société qui lui a volé sa vie ? L’homme d’Église par sa bonté, le regard qu’il va porter sur lui, va « réduire l’espace entre ce qui est et devrait être », lui « rendre l’innocence ». Le film accumule les contrastes (entre la lumière et la noirceur, entre la tenue rouge du bagnard et la blancheur immaculée) et les symboles et références (paysages bibliques, esthétique inspirée du western). Une adaptation très personnelle qui a un écho dans la société contemporaine, portée par la sublime musique de Christophe Julien qui collabore ici pour la septième fois avec le cinéaste, et la présence imposante, massive et poignante de Grégory Gadebois, mais aussi la douleur d’Isabelle Carré dont la fragilité est finalement un écho à celle du bagnard. La fin, par l’espoir qu’elle incarne, la lueur qu’elle exhale, le lyrisme qu’elle exalte, nous donne envie de croire en ce qu’il y a de plus beau dans l’Homme, sa capacité à changer, à renaître, à se relever, à délaisser la vengeance pour la bonté que Gadebois représente mieux que nul autre acteur n'aurait probablement su le faire.

    1. Deux procureurs de Sergei Loznitsa (compétition fiction) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    L’oublié du palmarès du Festival de La Baule comme il le fut du palmarès cannois (le film était en compétition officielle du dernier Festival de Cannes).

    Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Il se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur-général à Moscou. À l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom. Loznitsa confronte ce procureur idéaliste, tout juste sorti des études, à la tenue parfaite et qui se tient bien droit au sens propre comme au sens figuré, à cet autre procureur qui a trahi les valeurs en lesquelles le premier croit, et qu’il incarne. Un jeune homme épris de justice au regard malicieux (heureux peut-être de jouer un mauvais tour à l’injustice), candide presque, déterminé aussi, qui n’a pas conscience que tant d’innocents croupissent dans les prisons jusqu’à l’arrivée de la fameuse lettre. Les couleurs, ternes, le cadre qui l’enferme, tout est là pour signifier l’oppression. Les décors rappellent ceux de Playtime de Tati et notamment cette marche interminable dans des couloirs labyrinthiques avec un nombre incalculable de portes qui le mènent vers son prisonnier. Symboles de l’absurdité d’un régime inique et intransigeant. Le réalisateur ukrainien  formé à l’institut de cinéma VGIK de Moscou est exilé aujourd’hui à Berlin. Sa dénonciation du totalitarisme, brillante parabole, a évidemment des résonances contemporaines. Ce film s’inspire de la nouvelle éponyme de Georgy Demidov, de 1969. Ce physicien fut arrêté en 1938 durant les grandes purges staliniennes et passa quatorze années au goulag. Ce film compte une des plus brillantes scènes de l’histoire du cinéma. Le procureur revenant d’un voyage lors duquel il a essayé d’alerter les autorités et de leur signaler les injustices dont il a été témoin se retrouve dans un wagon-lit avec deux « ingénieurs » particulièrement affables, qui lui jouent de la musique, partagent une bonne bouteille de vin, semblent prêts à tout pour lui être agréable. Une façade lisse à l’image de celle du régime. L’issue de cette scène, inéluctable, sera glaçante, même si nous n’avions guère de doutes sur les motifs de l’entreprise. La réalisation austère éclaire les ombres du régime avec maestria. L’atmosphère est oppressante et âpre, soulignée par ces plans fixes magistraux d’une rigueur, d’une précision, d’une composition et d’une beauté sombre saisissantes. La tension est constante et présente, dans chaque mot, chaque geste, chaque regard, chaque silence. Le portrait d’un homme qui défie le régime totalitaire, pris dans un engrenage fatal, porté par son souci de justice. Un immense film d’une intelligence rare (contenue dans la perfection de chaque plan).

    1. Les combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka (prix du jury documentaire ex-aequo) - Un film bientôt diffusé sur la chaîne LCP-AN.

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    De justice aussi, forcément, il était question avant tout dans ce documentaire récompensé.

    Dès septembre 1981, alors qu’il vient d’être nommé garde des Sceaux par François Mitterrand, Robert Badinter déploie toutes ses forces pour faire abolir la peine de mort, malgré les vents contraires et au nom d’une France qu’il aime tant qu’il la rêve exemplaire. Mais qui sait que Badinter, ministre, avocat, militant et professeur de droit, amoureux de Victor Hugo en qui il puise son humanisme et une opposition viscérale à la peine de mort, a porté d’autres immenses combats ? Notamment l’abrogation des « lois indignes »  (lois sécuritaires, juridictions d’exception), mais aussi la suppression des articles de loi discriminant les homosexuels, la réduction de la population carcérale, et l’élargissement du droit des victimes. Robert Badinter sera panthéonisé ce 9 octobre 2025, une date symbolique puisqu’il s’agit de la date anniversaire de la promulgation de la loi d'abolition de la peine de mort de 1981, quelques mois après être devenu ministre (en juin). On peut regretter que le documentaire n’explore pas du tout cette loi essentielle qui le fit entrer dans l’Histoire, mais c’est aussi l’intérêt de ce film que de montrer que, en plus de cette avancée historique cruciale à laquelle il œuvra avec tant de courage et d’obstination, Robert Badinter mena bien d’autres combats guidés par  le refus de l’injustice et  de la barbarie dont fut victime le père de cet enfant juif dont les parents furent naturalisés français, un père raflé rue Sainte-Catherine à Lyon, envoyé à Drancy puis à Sobibor. Il s’engagea d’abord  pour l'amélioration des conditions de vie des détenus et l’humanisation des prisons (en autorisant la lumière le soir, en supprimant les uniformes des quartiers de haute sécurité, mais aussi en essayant d'améliorer la situation essentielle des surveillants pénitentiaires, ou encore en œuvrant pour la prise en charge intelligente pour permettre aux détenus de se projeter ), mais aussi pour  l'égalité des homosexuels devant la loi et la dépénalisation de l’homosexualité,  et encore pour honorer la mémoire des victimes de la Seconde guerre mondiale. « Toute ma vie j'ai essayé de combattre l'injustice » dira-t-il ainsi. Le documentaire rappelle également qu’il fut contre la peine de mort contre l'avis de la majorité des Français, et toujours le « défenseur intransigeant des plus faibles », et que « toute forme de discrimination lui est insupportable », raison pour laquelle il se plaçait toujours « du côté des plus vulnérables. » Il dut se battre contre Gaston-Defferre, Ministre de l’Intérieur soutenu par Mitterrand, qui voulait la suppression de sa loi Sécurité et liberté.  Ce documentaire rappelle aussi à quel point cet homme, dont personne (à l’exception de quelques extrémistes) ne remet aujourd’hui en cause l’humanisme et le rôle historique, fut détesté, victime même d’un attentat à son domicile. La seule loi à porter son nom est la Loi Badinter de 1985 consacrée au sort des victimes d’accidents de la route et à leurs conditions d'indemnisation. Parmi ses combats victorieux figure encore la création du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie qui permettra de condamner pour crimes de guerre et crimes contre l'Humanité, mais aussi son combat sans répit pour la mémoire. Il gagne ainsi son procès contre le négationniste Faurisson.  Son histoire personnelle renait en 1983 quand Klaus Barbie va être jugé en France pour crime contre l'Humanité. Badinter fait voter une loi pour la création d’archives audiovisuelles de la justice. Pour la première fois, ce procès historique sera filmé. Il lèvera aussi « le voile de silence, d’oubli » sur les fusillés du Mont Valérien, là où Joseph Esptein fut fusillé en 1944. Ne subsistent que trois photos des exécutions au mont Valérien où 1008 hommes furent fusillés « parce qu'ils étaient juifs, communistes, résistants, opposants au nazisme ». La lettre que Joseph Epstein écrivit à son fils, lue dans le documentaire, est absolument bouleversante. À la naissance, son père l'avait déclaré sous le nom d'un camarade de Résistance. Badinter l’aidera à reprendre le nom de son père : « Mon père est revenu sur la place publique. Je le dois à Robert Badinter. » Ce documentaire brosse le portrait d’un homme qui a mené inlassablement ses combats dont les fondements résident sans doute dans ses « objets » qui « contiennent tout ce qu’il était » dont le scellé de l’abolition de la peine de mort, un modèle de guillotine par le peintre Dürer, deux cuillères rouillées (dont l’une qu’il a ramassée au camp d’Auschwitz), deux pierres provenant du mur du ghetto de Varsovie, un tableau que son père avait acheté représentant un tableau de Juifs pieux et « surtout le décret de naturalisation de son père qui avait été si fier de devenir français »  : « Il a défendu la liberté des Français et tenté de les protéger des fracas de l'Histoire ». Il dira ainsi : « J'ai traversé à toute vitesse l'enfance et l’adolescence pour devenir un adulte, j'étais prêt pour la vie. » Terminons avec cette phrase d’Hugo que Badinter affectionnait, ses combats témoignent de la volonté qu’il mit à être fidèle à cette idée : « On ne peut pas priver une personne de son droit fondamental de devenir meilleur ».

    1. Les Glucksmann, une histoire de famille de Steve Jourdin (prix du public) – Bientôt sur Public Sénat

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    Tout aussi passionnant est le documentaire consacré à trois générations de Glucksmann produit par la société Caméra subjective pour la chaîne Public Sénat.

    De Moscou à Paris, des services secrets soviétiques aux ors de la République française, voici l’incroyable saga des Glucksmann. Un grand-père espion au service de Staline. Un père philosophe, figure des « nouveaux philosophes » et intellectuel médiatique. Un fils, Raphaël, désormais sur le devant de la scène politique et prétendant à l’Élysée en 2027. Espion, philosophe, candidat : le film suit trois générations de Glucksmann. Entre idéologies, trahisons et conquête du pouvoir, Les Glucksmann, une histoire de famille raconte comment une dynastie singulière de militants traverse le siècle. Et si, à travers l’histoire d’une famille, se jouait aussi celle de la France ? Alors que « tous les services de contre-espionnage se sont cassé les dents sur la véritable identité » du grand-père, Ruben, espion soviétique recruté en Palestine, dont la mission, était d’« exporter la révolution bolchevique sur toute la planète », tandis que le fils André était « auteur de livres qui vont bouleverser la vie politique française », son « contemporain capital » selon BHL, Raphaël, quant à lui, aspire aujourd’hui aux plus hautes fonctions de l’Etat français. Ruben. André. Raphaël. Trois générations différentes. Trois engagements à gauche. « L'Histoire d'une famille française pas comme les autres ».  En 1917, Lénine s'empare de la Russie. Beaucoup de Juifs se laissent séduire. Comme Martha et Ruben, les parents d’André. Au début des années 30, Ruben est envoyé en Allemagne. Il se lance dans le trafic d'armes à destination des Républicains espagnols. Officiellement, ses entreprises faisaient du commerce de fourrure. Il est ensuite arrêté en 1940 par le MI5.  Il sera déporté vers le Canada. Sur le chemin, son bateau sera bombardé par une torpille allemande. Le bateau coulera. Cohn-Bendit fait aussi le mea culpa de leur soutien à « tous ces mouvements de libération nationale qui ont terminé en totalitarisme. » Avec La cuisinière et le mangeur d'hommes, en 1972, Glucksmann a mis le doigt sur les atrocités du régime soviétique. Cela marque sa rupture nette et définitive avec la gauche communiste. Le film aborde ensuite la troisième génération, Raphaël, celui avec qui sa mère, Fanfan « a découvert la passion ». La parentalité ne les détourne pas du militantisme. Ils hébergent chez eux des Tchétchènes, des Rwandais… Leur appartement est un lieu bouillonnant de débats et de rencontres dans lequel défile « le tout Paris intellectuel ». Raphaël qui révèle n’avoir appelé ses parents papa et maman qu’à leur mort (leur relation était filiale mais aussi et avant tout d’amitié) est vite intégré à la bande. Ce bon élève d’Henri IV puis de Sciences Po va rapidement rejoindre les combats de ses parents, et notamment le combat de son père contre Poutine qui le conduit à se tourner vers la Géorgie. La mort de son père en 2015 sera pour lui « un immense manque et une immense chance d’avoir été son fils ». Il reconnaît une erreur de son père, l’Irak (décidément les films du festival se répondent). Avec Goupil et Bruckner, ils rejetèrent en effet la position du gouvernement français qui refusait de participer à la guerre et ils appuyèrent l’idée d’une intervention. Après 500000 morts, aucune arme de destruction massive ne fut retrouvée. En avril 2007, lors du meeting de Bercy, André défendra Sarkozy avec passion, se disant très convaincu qu’il doit gagner, Sarkozy étant pour lui « l'homme de l'ouverture, l'homme qui rétablit les Droits de l'Homme ». « Sarkozy a ainsi réussi à lui faire croire qu’il allait se battre contre Poutine pour les Tchétchènes, les Géorgiens, les Ukrainiens » raconte Raphaël qui évoque avec lucidité les « sincérités successives » des hommes politiques. »  Raphaël Glsucksmann est élu au parlement européen en 2019. Le documentaire s’interroge : « Sera-t-il prêt à faire des compromis pour faire triompher ses idées ? Jusqu'où ira-t-il ? ». Cohn-Bendit déclare ainsi avec tendresse : « Je crois qu'en 2027 il n'a aucune chance mais s'il a envie, let's go. » Laissons le mot de la fin à Raphaël Glucksmann : « Je crois que la politique cela reste profondément tragique. »

    1. Masterclass : Politique et fiction et politique-fiction : Quel scénario pour conclure le quinquennat ?

    Avant la clôture, le festival a proposé une passionnante masterclass sur le thème précité, en présence de nombreux intervenants et notamment la Présidente de l’Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, de l’ancienne Ministre de l’Éducation Nationale, présidente du jury des lycéens, Najat Vallaud-Belkacem, et de Michel Field, directeur de la Culture et du Spectacle Vivant à France Télévisions, maître des cérémonies d’ouverture et de clôture du festival.

    Quelques déclarations marquantes et éclairantes extraites de cette masterclass dont vous pourrez aussi retrouver quelques extraits sur mon compte Instagram :

    Yaël Braun-Pivet, à propos de l'Assemblée Nationale : « Cela devient de plus en plus une arène, un ring, un show. On a changé le personnel politique et on a aucune barrière entre le sympathisant, le député. Chaque parole est interchangeable. Des députés qui se transforment en activistes. Plus de distinction entre les rôles de chacun. »

    « En dehors du Promeneur du Champ de Mars, il a fallu attendre 40 ans pour que le personnage politique de Mitterrand devienne un personnage fictionnel ».

    Michel Field : « On vient d'une culture où les écrits sont les vecteurs de la politique. »

    Le Bomin a souligné le recours au vocabulaire cinématographique pour évoquer la politique, pour signifier le réel :  en cas de remaniement on parle de « casting » politique, on évoque aussi une « séquence ».

    Yaël Braun-Pivet : « La réalité dépasse la fiction donc on peut tout imaginer* même le pire. » (*Dans les fictions).


    Concernant une question sur le peu d'appétence des cinéastes français pour célébrer le roman national, Najat Vallaud-Belkacem a répondu que cela était « lié à l’esprit critique mais aussi à la plus grande prudence chez les artistes et scénaristes qui ont le goût de l'exactitude, et a contrario ont du mal à saisir la vie politique. »

    Michel Field : « Cette Assemblée Nationale ressemble plus à la société. »

    Yaël Braun-Pivet : « Le bureau est parfaitement représentatif de la société. , « Plus de 30 textes ont été votés à l'unanimité. », « Le problème est que les gouvernements successifs et l’administration font comme s’ils étaient majoritaires. »

    « La question de survie du film politique est de s'éloigner du film partisan. »

    « Ce qui compte ce n'est pas objectivité du journaliste mais l’honnêteté.»


    Yaël Braun-Pivet : « Il ne faut ne pas se réfugier derrière les institutions pour se dédouaner. Quand cela tangue, les institutions protègent. Cela nécessite d'ajuster les règles pour plus de partage du pouvoir avec parlement, le peuple etc. »

    1. L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier (film de clôture) – Au cinéma le 5 novembre 2025

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    Dans son dernier film, Borgo, Stéphane Demoustier nous racontait l’histoire de Mélissa (Hafsia Herzi), surnommée « Ibiza » par les détenus, surveillante pénitentiaire expérimentée, qui s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. Là, elle intègre les équipes d’un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres dans lequel on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens et non l’inverse ! Si ce film a pour matériau de départ l'histoire vraie d’une surveillante pénitentiaire mise en cause dans le double assassinat de Poretta en 2017, et en particulier des comptes-rendus lus dans la presse, le réalisateur s’est avant tout inspiré du personnage de la surveillante qu’il dépeint ici dans toute sa complexité comme il le fit pour la protagoniste de La fille au bracelet.  Le film sonde l’âme du personnage et son basculement, sa proximité de plus en plus forte avec le monde mafieux, les rapports de force, le glissement progressif dont elle ne semble pas se rendre compte. La minutie de la reconstitution (notamment de la vie de la prison, fortement documentée), la tension constante (entre le racisme dont est victime le mari de Mélissa, et la prison où finalement elle semble mieux accueillie et protégée, avec parmi de nombreuses remarquables scènes celle où les prisonniers, d’une cellule à l’autre, chantent en son honneur, scène lors de laquelle le visage de la surveillante s’illumine, la joie et la fierté l’emportant sur le sérieux qu’imposent ses fonctions), l’interprétation magistrale de Hafsia Herzi mais aussi de tous les seconds rôles judicieusement choisis (notamment de nombreux acteurs insulaires), la musique de Philippe Sarde, le scénario particulièrement audacieux, jouant avec les temporalités et points de vue, en font un film d’une maîtrise impressionnante. À nouveau, avec L’Inconnu de la grande arche (sélection officielle du Festival de Cannes 2025, section Un Certain Regard), Stéphane Demoustier centre son récit sur un personnage ayant réellement existé, Otto von Spreckelsen, architecte danois de 53 ans, et sur des faits réels, en l’occurrence décrits dans le livre de Laurence Cossé, La Grande Arche (2016). François Mitterrand (Michel Fau), Président de la République récemment élu, annonce le nom du vainqueur du concours international d’architecture lancé pour le futur chantier de construction de la Défense. L’heureux gagnant a remporté le concours grâce à son idée de cube géant. Les services présidentiels ne le connaissent pas et n’ont même pas de numéro auquel le joindre. Le film va raconter les obstacles à cette construction, projet de la vie d’un homme (un architecte), et instrument de grandeur d’un Président de la République volontariste. Otto von Spreckelsen (Claes Bang), est accompagné de son épouse Liv (Sidse Babett Knudsen), doit composer avec un jeune conseiller du président (Xavier Dolan) et l’architecte français Paul Andreu (Swann Arlaud) qui va mettre en œuvre le projet. Mais entre les contrariétés administratives, et l’arrivée en 1986 d’un nouveau gouvernement avec un ministre délégué au budget, Alain Juppé, qui souhaite avant tout réaliser des économies, le beau rêve d’Otto tourne au cauchemar. Le chantier, pharaonique, doit être revu à la baisse malgré la détermination orgueilleuse d’Otto.  D’ailleurs, lui ne parle pas de « grande arche » mais de son « cube ». Payé 25 millions de francs, il dépense sans compter, encouragé par le président qui veut à tout prix que son projet voie le jour et soit inauguré pour le Bicentenaire de la Révolution française, n’hésitant pas à payer un grutier 50 000 francs, juste pour qu’une maquette à taille réelle lui donne une idée de la perspective du projet depuis les Champs-Élysées, tarif astronomique qui est la contrepartie à la privation d’un mariage d’un membre de la famille du grutier (totalement inventé par ce dernier). Demoustier reconstitue avec autant de minutie ce chantier phare des années 1980 qu’il avait dépeint avec soin la prison corse de Borgo. La réussite de l’ensemble doit beaucoup au casting : Claes Bang qui interprète l’opiniâtre, présomptueux, tempétueux et parfois exaspérant Otto. Sidse Babett Knudsen, qui joue le rôle de sa femme, prête à le suivre dans tous ses caprices…jusqu’à un certain point, toujours d’une sobriété et d’une justesse remarquables (le film s’inspire notamment des lettres qu’a laissées l’épouse de l’architecte). Michel Fau qui campe un François Mitterrand lui aussi têtu dont l’obstination aveugle frôle aussi le ridicule. Swann Arlaud, toujours impeccable. Xavier Dolan, absolument irrésistible en conseiller pointilleux un peu dépassé par les exigences de l’architecte, et cherchant à les modérer. Derrière les ambitions de chacun, il y a l’argent public dépensé à tout-va pour satisfaire des ambitions, voire caprices(s), et si le film se déroule dans les années 1980, en cela il est aussi intemporel. L’Inconnu de la Grande Arche est un film passionnant sur cet inconnu dont la trajectoire révèle avec une ironie réjouissante les dépenses inconsidérées et les aberrations administratives de l’État français.  Tout cela aboutira à un projet très éloigné de ce à quoi aspirait Otto von Spreckelsen, peu à peu rongé par les désillusions. Et à un film passionnant, parfait pour clore en beauté ce formidable festival.


    PALMARÈS

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    La majeure partie des prix ont été remis par la présidente de l’Assemblée Nationale qui a loué ce festival qui a le mérite de  « rapprocher la chose publique des citoyens ». La présidente du jury des lycéens a, quant à elle, évoqué les vertus d’un « conversation qui n’a pas lieu ailleurs », une « parenthèse enchantée »

    * Prix du jury (attribué par le jury fiction politique)
    The President's Cake de Hasan Hadi
    * Mention spéciale
    Les Braises de Thomas Kruithof

    * Prix des médias (attribué par le jury presse & médias politique)
    The President's Cake de Hasan Hadi
    * Mention spéciale
    Les Braises de Thomas Kruithof

    * Prix du public (attribué par le public du Festival)
    Dossier 137 de Dominik Moll

    Compétition documentaire

    * Prix du jury (attribué par le jury documentaire politique)
    DOUBLE PRIX
    Holding Liat de Brandon Kramer
    &
    Les Combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka

    * Prix des Lycéens (attribué par le jury lycéen politique)
    France, une histoire d'amour de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand
    * Mention spéciale
    Holding Liat de Brandon Kramer

    * Prix du public (attribué par le public du Festival)
    Les Glucksmann, une histoire de famille de Steve Jourdin

    SÉLECTION OFFICIELLE

    Compétition fiction

     La Vague de Sebastián Lelio

    The President’t Cake de Hasan Hadi

    Dossier 137 de Dominik Moll

    Deux procureurs de Sergei Loznitsa

     Les Braises de Thomas Kruithof

    Compétition documentaire

    Holding Liat de Brandon Kramer

     France, une histoire d’amour de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand

    Les Armes secrètes de Poutine de Hugo Van Offel et Martin Boudot

    Les Combats méconnus de Robert Badinter de Dominique Missika et Bethsabée Zarka

     Les Glucksmann, une histoire de famille de Steve Jourdin

    Hors-compétition

    La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa

     Jean Valjean de Éric Besnard

     L’Inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier

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