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  • Critique de FANNY de Daniel Auteuil ce soir à 20H55 sur France 3

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     L’adaptation d’un classique suscite toujours la méfiance surtout quand ce classique a déjà été (brillamment, en l’occurrence) adapté. Ce fut le cas récemment avec le Gatsby de Baz Luhrmann qui a réussi à nous surprendre, et agréablement, après la très belle adaptation qu’avait déjà réalisée Michael Clayton du roman de Fitzgerald. C’est aujourd’hui le cas avec « Marius », « Fanny » et, si tout va bien, prochainement, « César », adaptés par Daniel Auteuil qui ne s’est pas facilité la tâche en reprenant le rôle de César, indissociable de Raimu, tout en s’attelant aussi à la mise en scène.  Mais comme le dit lui-même Daniel Auteuil, il ne s’agissait pas de réaliser un remake mais plutôt une nouvelle adaptation des pièces de Pagnol « comme d’autres revisitent inlassablement Shakespeare, Tchekhov ou Molière. »

     Marius et Fanny sont les deux premières parties de « La Trilogie marseillaise », pièce de théâtre de Marcel Pagnol, adaptées à l’écran par Alexander Korda (« Marius » sorti en 1931) et Marc Allégret (« Fanny » en 1932). Marcel Pagnol avait participé à l’écriture du scénario de ces deux films et avait ensuite lui-même réalisé « César ».

     C’est en avant-première que j’avais eu le plaisir de découvrir « Marius » et « Fanny », deux films qui étaient sortis en salles ce même jour, le 10 juillet 2013. C’est Daniel Auteuil qui, avec beaucoup d’humilité, d’enthousiasme et de passion avait présenté la projection avant de répondre à des questions de la salle pendant une vingtaine de minutes. Membre du jury d Festival de Cannes, cette année-là, il restera pour moi éternellement le Ugolin  des films de Claude Berri pour lequel il avait obtenu le César du meilleur acteur (une autre adaptation de Pagnol) et Stéphane dans « Un cœur en hiver » de Claude Sautet (un de mes films préférés dont vous pouvez retrouver ma critique, ici, je cite souvent ce film mais si ce n’est déjà fait, voyez-le, j’espère vous en convaincre avec ma critique précitée), également inoubliable dans le méconnu « Quelques jours avec moi » de ce même Claude Sautet, et dans tant d’autres rôles. Ci-dessous, la vidéo de la rencontre avec Daniel Auteuil, malheureusement quasiment inaudible (ce dont je suis d’autant plus désolée que Daniel Auteuil a répondu avec beaucoup de sincérité et de conviction aux questions de la salle).

     

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     Daniel Auteuil aurait pu confortablement rester à attendre les rôles. Alors que nombre d’adaptations sont aujourd’hui réalisées par opportunisme (l’adaptation d’un livre a succès a forcément déjà des spectateurs garantis), il ne fait aucun doute que c’est par passion (communicative) pour Pagnol que Daniel Auteuil a décidé de s’emparer de cette célèbre trilogie, après avoir déjà adapté Pagnol en 2010 avec « La Fille du puisatier », un film par lequel j’avais été particulièrement enthousiasmée que ce soit par l’interprétation ou la mise en scène, riche de belles références.

     « Ce que je raconte c’est la trajectoire d’individus qui n’accomplissent pas leur propre vie. Et c’est une tragédie de ne pas pouvoir accomplir son propre destin et c’est ça qui me bouleverse et c’est ça que je raconte, la vie des autres. » a déclaré Daniel Auteuil.

    Le destin de Marius et Fanny, faits pour s’aimer et être heureux, est en effet sublimement tragique. L’histoire se déroule sur le Vieux-Port de Marseille, dans le Bar de la Marine tenu par César (Daniel Auteuil) et par son fils Marius (Raphaël Personnaz). Marius ne rêve que d’ailleurs, d’évasion, d’embarquer sur un des bateaux qui passent par Marseille. Fanny (Victoire Belezy), jeune  marchande de coquillages, connait et aime secrètement Marius depuis l’enfance. Marius, sans l’avouer, a toujours aimé Fanny. Seulement, le destin s’en mêle, et les désirs d’ailleurs de Marius vont les éloigner l’un de l’autre.

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    Si, miraculeusement, vous ne connaissez pas la suite, je préfère ne pas vous en dire davantage. Contrairement à celles des premières adaptations, les affiches des « Marius » et « Fanny » de Daniel Auteuil sont révèlatrices du parti pris du film en ne montrant que les deux personnages principaux, Fanny et Marius, tout comme le fait Daniel Auteuil dans ses films qui transpirent de son amour pour ces personnages beaux et simples, et tragiques, et pour ces acteurs qu’il voulait « incandescents ». Pari réussi. Le but n’est pas ici de nous faire oublier Raimu, Pierre Fresnay, Orane Demazis, (ils sont d’ailleurs inoubliables), c’est de mettre en lumière les ombres de ces personnages, de porter un nouveau regard sur eux. Gommant « le folklore », il recentre sur l’essentiel, les désirs (contrariés), et les liens entre les personnages.

    Il remet ainsi au goût du jour un cinéma populaire au sens noble du terme, celui que certains nommaient avec mépris « de qualité française » mais qui a au contraire mérité ses lettres de noblesse, un cinéma qui met en exergue la beauté des décors, des dialogues, des êtres et, souvent, la tragédie de leurs destins. Les décors m’ont d’ailleurs fait penser à ceux de Trauner dans les films du réalisme poétique. Les deux films ont ainsi été tournés en partie dans les studios de Bry-sur-Marne, mais aussi à Marseille et en région PACA.

    En centrant le film sur les personnages, avec cette atmosphère de « réalisme poétique », Daniel Auteuil met l’accent sur l’universalité et l’intemporalité des textes de Pagnol et de ce que vivent ses personnages : envie d’ailleurs, perte d’innocence, force de l’amour paternel et romantisme désespéré.

     Peut-être un peu plus statique (et par la force des choses, l’action se déroulant essentiellement au Bar de la Marine) que « La fille du puisatier », ces nouvelles versions de « Marius » et « Fanny » ne relèvent pas pour autant du théâtre filmé d’autant plus que Daniel Auteuil s’est entouré des meilleurs : Karine Charpentier pour les costumes, Jean-François Robin pour la (magnétique) photographie et Alexandre Desplat pour la musique, d’ailleurs les mêmes que pour « La Fille du puisatier ». Les scènes mythiques du cocktail et de la partie de cartes sont présentes ici. Daniel Auteuil n’a pas cherché à les éluder, ni à les copier, mais à les jouer (vivre) en toute humilité.

    Dans le rôle de Fanny, Victoire Belezy est incandescente comme le souhaitait Daniel Auteuil, d’abord d’une belle innocence puis transie  d’amour, ensuite sacrifiant son amour pour que Marius puisse réaliser son rêve, puis se sacrifiant (et sacrifiant Marius) pour son enfant et pour Panisse (il me semble d’ailleurs que Jean-Pierre Darroussin, une nouvelle fois impeccable dans ce rôle sur le fil, est plus humain et nuancé que dans la précèdente adaptation). Une Fanny qui passe de l’innocence dans « Marius » à la responsabilité dans le film éponyme. Raphaël Personnaz, fougueux, inconscient et suivant ses désirs d’ailleurs, est à nouveau irréprochable, quelques mois après le formidable « After » de Géraldine Maillet (que je vous recommande à nouveau au passage et dont vous pouvez retrouver ma critique, ici). Leurs faces-à-faces sont les plus beaux moments, certains ont même réussi à me « fendre le cœur ». L’amour et l’admiration de Daniel Auteuil pour ces acteurs et personnages transparaissent et les subliment. Quant à ce dernier, en tant qu’acteur, dans le rôle de César,  il ne fait pas et ne cherche pas à faire oublier Raimu, mais il impose sa charismatique présence dans le rôle du bon et exubérant César,  d’ailleurs plus en retenue que celui de Raimu. Signalons également Ariane Ascaride qui, en quelques scènes, impose la justesse de son jeu.

     Et puis, il y a le plaisir d’entendre ces dialogues chantants et irrésistibles teintés d’humour, de clairvoyance et de mélancolie et évidemment du talent d’auteur de Pagnol :

     « Allez, on ne meurt pas d’amour, Norine. Quelquefois, on meurt de l’amour de l’autre, quand il achète un révolver ! Mais quand on ne voit pas les gens, on les oublie… »

    “ Quand on n’a pas d’enfants, on est jaloux de ceux qui en ont et quand on en a, ils vous font devenir chèvre ! La Sainte Vierge, peuchère, elle n’en a eu qu’un et regarde un peu les ennuis qu’il lui a faits ! – Et encore, c’était un garçon ! ”

    “L’honneur c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois”

    “Au fond, voyez-vous, le chagrin, c’est comme le ver solitaire: le tout, c’est de le faire sortir. »

    3H15 de beau cinéma populaire d’un romantisme sombre illuminé par la lumière du sud aussi incandescente que les deux acteurs principaux, par l’amour immodéré de Daniel Auteuil pour les mots de Pagnol,  ses personnages et ses acteurs, flagrant, par cet hymne à l’amour, d’un père, d’une femme, et très contemporain en ce qu’il n’est pas forcément affaire de liens du sang, et par leurs sacrifices, toujours aussi bouleversants, bien que nous les connaissions par coeur. Une histoire d’amour(s) éternelle, intemporelle, universelle, parfaite pour cet été. Un cinéma que certains jugeront sans doute trop « classique » mais quand le classicisme a pour but de rendre (joliment) hommage à Pagnol, je l’aime et le revendique.  Vivement « César » !

     

  • Rétrospective CLAUDE SAUTET à la Cinémathèque Française à partir du 10 décembre

    Cliquez sur l'image ci-dessous pour découvrir le programme et mes critiques de films de Claude Sautet.

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  • UN COEUR EN HIVER de Claude Sautet sur OCS Novo, ce soir, à 20H40

    Je vous ai parlé de ce film qui est pour moi le meilleur de Claude Sautet et un de mes films préférés, il y a peu. Il sera diffusé ce soir sur OCS Novo. Ne le manquez pas. Pour lire ma critique, cliquez sur l'image ci-dessous.

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  • CRITIQUE – MARIUS et FANNY de Daniel Auteuil

     

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     L'adaptation d'un classique suscite toujours la méfiance surtout quand ce classique a déjà été (brillamment, en l’occurrence) adapté. Ce fut le cas récemment avec le Gatsby de Baz Luhrmann qui a réussi à nous surprendre, et agréablement, après la très belle adaptation qu’avait déjà réalisée Michael Clayton du roman de Fitzgerald. C'est aujourd'hui le cas avec "Marius", "Fanny" et, si tout va bien, prochainement, "César", adaptés par Daniel Auteuil qui ne s'est pas facilité la tâche en reprenant le rôle de César, indissociable de Raimu, tout en s’attelant aussi à la mise en scène.  Mais comme le dit lui-même Daniel Auteuil, il ne s'agissait pas de réaliser un remake mais plutôt une nouvelle adaptation des pièces de Pagnol "comme d'autres revisitent inlassablement Shakespeare, Tchekhov ou Molière."

     Marius et Fanny sont les deux premières parties de "La Trilogie marseillaise", pièce de théâtre de Marcel Pagnol, adaptées à l’écran par Alexander Korda (« Marius » sorti en 1931) et Marc Allégret (« Fanny » en 1932). Marcel Pagnol avait participé à l’écriture du scénario de ces deux films et avait ensuite lui-même réalisé « César ».

     C’est en avant-première que j’ai eu le plaisir de découvrir « Marius » et « Fanny », deux films qui sortiront en salles ce même jour, le 10 juillet 2013. C’est Daniel Auteuil qui, avec beaucoup d’humilité, d’enthousiasme et de passion a présenté la projection avant de répondre à des questions de la salle pendant une vingtaine de minutes. Membre du jury du dernier Festival de Cannes, il restera pour moi éternellement le Ugolin  des films de Claude Berri pour lequel il avait obtenu le César du meilleur acteur (une autre adaptation de Pagnol) et Stéphane dans « Un cœur en hiver » de Claude Sautet (un de mes films préférés dont vous pouvez retrouver ma critique, ici, je cite souvent ce film mais si ce n’est déjà fait, voyez-le, j’espère vous en convaincre avec ma critique précitée), également inoubliable dans le méconnu « Quelques jours avec moi » de ce même Claude Sautet, et dans tant d’autres rôles. Ci-dessous, la vidéo de la rencontre avec Daniel Auteuil, malheureusement quasiment inaudible (ce dont je suis d'autant plus désolée que Daniel Auteuil a répondu avec beaucoup de sincérité et de conviction aux questions de la salle).

     

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     Daniel Auteuil aurait pu confortablement rester à attendre les rôles. Alors que nombre d’adaptations sont aujourd’hui réalisées par opportunisme (l’adaptation d’un livre a succès a forcément déjà des spectateurs garantis), il ne fait aucun doute que c’est par passion (communicative) pour Pagnol que Daniel Auteuil a décidé de s’emparer de cette célèbre trilogie, après avoir déjà adapté Pagnol en 2010 avec « La Fille du puisatier », un film par lequel j’avais été particulièrement enthousiasmée que ce soit par l’interprétation ou la mise en scène, riche de belles références.

     "Ce que je raconte c'est la trajectoire d'individus qui n'accomplissent pas leur propre vie. Et c'est une tragédie de ne pas pouvoir accomplir son propre destin et c'est ça qui me bouleverse et c'est ça que je raconte, la vie des autres. » a déclaré Daniel Auteuil.

    Le destin de Marius et Fanny, faits pour s’aimer et être heureux, est en effet sublimement tragique. L’histoire se déroule sur le Vieux-Port de Marseille, dans le Bar de la Marine tenu par César (Daniel Auteuil) et par son fils Marius (Raphaël Personnaz). Marius ne rêve que d’ailleurs, d’évasion, d’embarquer sur un des bateaux qui passent par Marseille. Fanny (Victoire Belezy), jeune  marchande de coquillages, connait et aime secrètement Marius depuis l’enfance. Marius, sans l’avouer, a toujours aimé Fanny. Seulement, le destin s’en mêle, et les désirs d’ailleurs de Marius vont les éloigner l’un de l’autre.

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    Si, miraculeusement, vous ne connaissez pas la suite, je préfère ne pas vous en dire davantage. Contrairement à celles des premières adaptations, les affiches des « Marius » et « Fanny » de Daniel Auteuil sont révèlatrices du parti pris du film en ne montrant que les deux personnages principaux, Fanny et Marius, tout comme le fait Daniel Auteuil dans ses films qui transpirent de son amour pour ces personnages beaux et simples, et tragiques, et pour ces acteurs qu’il voulait « incandescents ». Pari réussi. Le but n’est pas ici de nous faire oublier Raimu, Pierre Fresnay, Orane Demazis, (ils sont d’ailleurs inoubliables), c’est de mettre en lumière les ombres de ces personnages, de porter un nouveau regard sur eux. Gommant « le folklore », il recentre sur l’essentiel, les désirs (contrariés), et les liens entre les personnages.

    Il remet ainsi au goût du jour un cinéma populaire au sens noble du terme, celui que certains nommaient avec mépris « de qualité française » mais qui a au contraire mérité ses lettres de noblesse, un cinéma qui met en exergue la beauté des décors, des dialogues, des êtres et, souvent, la tragédie de leurs destins. Les décors m’ont d’ailleurs fait penser à ceux de Trauner dans les films du réalisme poétique. Les deux films ont ainsi été tournés en partie dans les studios de Bry-sur-Marne, mais aussi à Marseille et en région PACA.

    En centrant le film sur les personnages, avec cette atmosphère de « réalisme poétique », Daniel Auteuil met l’accent sur l’universalité et l’intemporalité des textes de Pagnol et de ce que vivent ses personnages : envie d’ailleurs, perte d’innocence, force de l'amour paternel et romantisme désespéré.

     Peut-être un peu plus statique (et par la force des choses, l’action se déroulant essentiellement au Bar de la Marine) que « La fille du puisatier », ces nouvelles versions de « Marius » et « Fanny » ne relèvent pas pour autant du théâtre filmé d’autant plus que Daniel Auteuil s’est entouré des meilleurs : Karine Charpentier pour les costumes, Jean-François Robin pour la (magnétique) photographie et Alexandre Desplat pour la musique, d’ailleurs les mêmes que pour « La Fille du puisatier ». Les scènes mythiques du cocktail et de la partie de cartes sont présentes ici. Daniel Auteuil n’a pas cherché à les éluder, ni à les copier, mais à les jouer (vivre) en toute humilité.   

    Dans le rôle de Fanny, Victoire Belezy est incandescente comme le souhaitait Daniel Auteuil, d’abord d’une belle innocence puis transie  d’amour, ensuite sacrifiant son amour pour que Marius puisse réaliser son rêve, puis se sacrifiant (et sacrifiant Marius) pour son enfant et pour Panisse (il me semble d'ailleurs que Jean-Pierre Darroussin, une nouvelle fois impeccable dans ce rôle sur le fil, est plus humain et nuancé que dans la précèdente adaptation). Une Fanny qui passe de l'innocence dans "Marius" à la responsabilité dans le film éponyme. Raphaël Personnaz, fougueux, inconscient et suivant ses désirs d’ailleurs, est à nouveau irréprochable, quelques mois après le formidable « After » de Géraldine Maillet (que je vous recommande à nouveau au passage et dont vous pouvez retrouver ma critique, ici). Leurs faces-à-faces sont les plus beaux moments, certains ont même réussi à me « fendre le cœur ». L’amour et l’admiration de Daniel Auteuil pour ces acteurs et personnages transparaissent et les subliment. Quant à ce dernier, en tant qu’acteur, dans le rôle de César,  il ne fait pas et ne cherche pas à faire oublier Raimu, mais il impose sa charismatique présence dans le rôle du bon et exubérant César,  d'ailleurs plus en retenue que celui de Raimu. Signalons également Ariane Ascaride qui, en quelques scènes, impose la justesse de son jeu.

     Et puis, il y a le plaisir d’entendre ces dialogues chantants et irrésistibles teintés d’humour, de clairvoyance et de mélancolie et évidemment du talent d’auteur de Pagnol :

     « Allez, on ne meurt pas d'amour, Norine. Quelquefois, on meurt de l'amour de l'autre, quand il achète un révolver ! Mais quand on ne voit pas les gens, on les oublie…"

    “ Quand on n'a pas d'enfants, on est jaloux de ceux qui en ont et quand on en a, ils vous font devenir chèvre ! La Sainte Vierge, peuchère, elle n'en a eu qu'un et regarde un peu les ennuis qu'il lui a faits ! - Et encore, c'était un garçon ! ”

    “L’honneur c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois”

    “Au fond, voyez-vous, le chagrin, c'est comme le ver solitaire: le tout, c'est de le faire sortir. »

    3H15 de beau cinéma populaire d’un romantisme sombre illuminé par la lumière du sud aussi incandescente que les deux acteurs principaux, par l’amour immodéré de Daniel Auteuil pour les mots de Pagnol,  ses personnages et ses acteurs, flagrant, par cet hymne à l’amour, d’un père, d’une femme, et très contemporain en ce qu’il n’est pas forcément affaire de liens du sang, et par leurs sacrifices, toujours aussi bouleversants, bien que nous les connaissions par coeur. Une histoire d'amour(s) éternelle, intemporelle, universelle, parfaite pour cet été. Un cinéma que certains jugeront sans doute trop "classique" mais quand le classicisme a pour but de rendre (joliment) hommage à Pagnol, je l'aime et le revendique.  Vivement « César » !

     

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  • Critique de « Un cœur en hiver » de Claude Sautet (1992) avec Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart ou pourquoi ce film est un chef d’œuvre...

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    En 2011, je ne perds pas les bonnes habitudes et je continuerai donc à vous parler régulièrement de classiques du 7ème art. Lorsqu’on me demande mon film culte,  je cite le plus souvent soit « Le Guépard » de Luchino Visconti, soit « Un cœur en hiver » de Claude Sautet, suscitant régulièrement la perplexité chez mes interlocuteurs concernant le second, et la mienne en retour de constater que beaucoup ne connaissent pas ce film. Je l’ai revu hier après deux ou trois ans et la fascination est restée intacte. Après un certain nombre de visionnages, il me bouleverse, me fascine et m’intrigue toujours autant. Si vous ne l’avez pas encore vu, ou si vous l’avez vu mais n’en gardez qu’un souvenir mitigé je vais essayer de vous convaincre de (re)voir ce film que je considère comme un chef d’œuvre (et j’emploie toujours ce terme avec beaucoup de parcimonie, une expression que je n’ai pas même utilisée pour ce film-ci, contrairement à beaucoup). « Un cœur en hiver » est adapté d’une nouvelle « La Princesse Mary » extraite d’un recueil de nouvelles de Lermontov « La Princesse Mary » mais également inspiré de la vie de Maurice Ravel.

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    Maxime (André Dussolier) et Stéphane (Daniel Auteuil) sont (apparemment) amis et travaillent ensemble dans l'atmosphère feutrée d'un atelier de lutherie. Les violons sont toute la vie de Stéphane, contrairement à Maxime qui vient de tomber amoureux d’une jeune violoniste, Camille (Emmanuelle Béart), rapidement intriguée puis attirée par la retenue singulière de Stéphane. Pour Stéphane, véritable « cœur en hiver », ce n’est qu’un jeu dont il conte l’évolution à son amie Hélène (Elisabeth Bourgine). Stéphane semble n’aimer qu’une seule personne au monde : son maître de violon, Lachaume (Maurice Garrel).

     Sur la tombe de Claude Sautet au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance », voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma et peut-être même le mieux « Un cœur en hiver » : d'abord parce que son cinéma est un cinéma de la dissonance, de l'imprévu, de la note inattendue dans la quotidienneté (ici, l'arrivée de Camille dans la vie de Maxime et par conséquent dans celle de Stéphane comme c’est le cas de l’arrivée de David dans « César et Rosalie » ou de Nelly dans « Nelly et Monsieur Arnaud ») et ensuite parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique, une passion qui s’exprime pleinement ici puisque la musique est un personnage à part entière. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l'impression qu'en changer une note ébranlerait l'ensemble de la composition.

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    C’est par elle, la musique, que Camille s’exprime (d’ailleurs Maxime le dira, elle ne se livre que lorsqu’elle joue) : tantôt sa mélancolie, sa violence (ainsi cette scène où elle enregistre en studio et qu’elle manie l’archet comme une lame tranchante), son désarroi, ses espoirs. C’est aussi à travers elle que Stéphane ressent et exprime ses (rares) émotions notamment lorsqu’un « c’est beau » lui échappe après avoir écouté Camille jouer. La musique ici, aussi sublime soit-elle (celle des  sonates et trio de Ravel) n’est pas forcément mélodieuse mais exprime la dissonance que connaissent les personnages. C’est un élément d’expression d’une force rare, bien plus que n’importe quel dialogue.

    La passion est donc celle pour la musique mais aussi celle qui s’exprime à travers elle, l’autre : la passion amoureuse. Celle qui s’empare de Camille pour cet homme hermétique au regard brillant, transperçant qui la fascine, l’intrigue, la désempare.  Le trouble s’empare d’elle dès sa première répétition à laquelle Stéphane assiste. Elle ne parvient pas à jouer, dit qu’elle reprendra un autre jour et puis quand Stéphane quitte la pièce, elle reprend comme si de rien n’était. Ensuite, venue rejoindre Maxime dans l’atelier de lutherie, ce dernier occupé, elle l’attend en compagnie de Stéphane et lui confie ce qu’elle n’avait jamais dit à personne, lui parlant de ses rapports compliqués avec son agent et amie Régine (Brigitte Catillon). Enfin, troisième rencontre déterminante : Stéphane vient la voir jouer, seul, sans Maxime pour la première fois. Ils s’évadent un instant de la répétition pour aller boire un café après avoir traversé la rue sous la pluie. Leurs mains s’effleurent presque subrepticement, négligemment. Stéphane la protège de la pluie avec sa veste. Puis, il l’écoute assis au café, avec son regard scrutateur. Puis, c’est l’absence et le silence de Stéphane mais c’est trop tard : Camille est déjà bouleversée, amoureuse. A priori, racontées ainsi rien d’extraordinaire dans ces trois scènes, pourtant le scénario et la mise en scène de Sautet et surtout ses personnages sont d’une telle richesse que chacune d’elle est plus haletante qu’une scène d’un palpitant thriller. Aucun plan n’est inutile. Comme dans un thriller, chaque plan a une implication sur la résolution.

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     Tous les films de Sautet se caractérisent d'ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks ) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants.  Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l'on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d'être démesurément explicatif, c'est au contraire un cinéma de l'implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait  de Claude Sautet qu'il « reste une fenêtre ouverte sur l'inconscient ».

    Le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard (le regard tellement transperçant de Stéphane, ou de plus en plus troublé de Camille) à chaque note, à chaque geste d’une précision rare. Je n’ai encore jamais trouvé au cinéma de personnages aussi « travaillés » que Stéphane, ambigu, complexe qui me semble avoir une existence propre, presque exister en dehors de l’écran. Là encore comme un thriller énigmatique, à chaque fois je l’interprète différemment, un peu aussi comme une sublime musique ou œuvre d’art qui à chaque fois me ferait ressentir des émotions différentes. Stéphane est-il vraiment indifférent ? Joue-t-il un jeu ? Ne vit-il qu’à travers la musique ? « La musique c’est du rêve » dit-il. Ou, selon cette citation de La Rochefoucauld que cite Sautet  fait-il partie de ceux qui pensent que« Peu de gens seraient amoureux si on ne leur avait jamais parlé d’amour » ? A-t-il peur d’aimer ? Ou n’y croit-il simplement pas ? Est-il sincère quand il dit avec une froide tranquillité que Maxime n’est pas un ami, juste « un partenaire ».

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    Le film commence ainsi de nuit dans l’atelier et se termine de jour dans un café et entre ces deux moments, Stéphane passera de l’ombre à la lumière, d’une personnalité ombrageuse à (peut-être, là aussi, l’interprétation varie à chaque visionnage) un homme capable d’aimer. Un personnage assez proche du personnage de Martial dans « Quelques jours avec moi » (un autre film de Sautet méconnu que je vous recommande, où son regard se fait encore plus ironique et acéré, un film irrésistiblement drôle et non dénué de –douce-cruauté).  « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu'ils font (..). Claude Sautet c'est la vitalité. » disait ainsi Truffaut.

    Et puis certaines scènes font pour moi partie des plus belles et cruelles du cinéma. Cette scène où dans une voiture, Camille lui avoue l’amour qu’il lui inspire et se livre à lui, ce à quoi Stéphane répond avec tranquillité, jubilation peut-être, froidement en tout cas : « je ne vous aime pas ». Cette scène me glace le sang à chaque fois. Et puis la scène où Camille veut l’humilier à son tour. Elle se maquille outrageusement, le rejoint au café où il a ses habitudes où il dîne avec son amie Hélène. Camille lui crie sa rancœur, sa passion, cherche à l’humilier. La scène est tranchante, violente et sublime comme la musique de Ravel jouée par Camille.

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    Et puis comment ne pas parler de la distribution, absolument parfaite, à commencer par Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart, sans aucun doute leurs meilleurs rôles auxquels ils semblent se livrer (ou se cacher) corps et âme, d’autant plus ambigus puisqu’ils vivaient alors ensemble. Emmanuelle Béart est à la fois mystérieuse, sensuelle, forte, fragile, fière, brisée, passionnée et talentueuse (elle apprit ainsi le violon pendant un an). Daniel Auteuil donne vie à ce Stéphane énigmatique, opaque, cinglant, glacial, austère qui se définit lui-même comme sournois, parfois révoltant, parfois touchant avec ce regard perçant, tantôt terriblement là ou terriblement absent. L’un comme l’autre, dans leurs regards, expriment une multitude d’émotions ou de mystères. Mais il ne faudrait pas non plus oublier les seconds rôles : André Dussolier, personnage digne qui échappe au cliché de l’amant trompé et qui obtint d’ailleurs le César du meilleur second rôle. Jean-Luc Bideau qui dans une scène courte mais intense aligne les clichés sur la culture et l’élitisme (magnifique scène de dialogue où là aussi Stéphane dévoile une trouble (et pour Camille troublante) facette de sa personnalité). Myriam Boyer, Brigitte Catillon, Elisabeth Bourgine (les femmes de l’ombre avec, chacune à leur manière, une présence forte et déterminante).

     « Un cœur en hiver »  obtint le lion d’argent à Venise. Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart passèrent à côté des César de meilleurs acteurs (que leur ravirent Claude Rich pour « Le souper » et Catherine Deneuve, pour « Indochine »). Claude Sautet obtint néanmoins le césar du meilleur réalisateur (le seul avec celui de Dussolier malgré sept nominations) et celui du meilleur film fut cette année-là attribué à Cyril Collard pour « Les nuits fauves ». Tous les postes du film auraient mérités d’être récompensés : le scénario, l’image d’Yves Angelo, le travail sur la musique de Philippe Sarde, le scénario  de Jacques Fieschi et Claude Sautet…

    On retrouve là encore ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de groupe (dont « Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique) et la solitude dans et malgré le groupe, l'implicite dans ce qui n'est pas- les ellipses- comme dans ce qui est-les regards- (Ah le regard tranchant de Daniel Auteuil! Ah, ce dernier plan !), des scènes de café ( « A chaque film, avouait Sautet, je me dis toujours : non, cette fois tu n'y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m'en empêcher. Les cafés, c'est comme Paris, c'est vraiment mon univers. C'est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. ») les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu « Le jour se lève » ...17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes et avant tout un cinéma de personnages : César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, ...et les autres, des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

     On a souvent dit de Claude Sautet était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle.  S'il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d'après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne,  ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme « La Comédie Humaine » peut s'appliquer aussi bien à notre époque qu'à celle de Balzac.

    Le personnage de Stéphane ne cessera jamais de m’intriguer, intrigant le spectateur comme il intrigue Camille, exprimant tant d’ambiguïté dans son regard brillant ou éteint. Hors de la vie, hors du temps. Je vous le garantis, vous ne pourrez pas oublier ce crescendo émotionnel jusqu’à ce plan fixe final polysémique qui vous laisse ko et qui n’est pas sans rappeler celui de Romy Schneider à la fin de « Max et les ferrailleurs » ou de Michel Serrault (regard absent à l’aéroport) dans « Nelly et Monsieur Arnaud » ou de Montand/Frey/Schneider dans « César et Rosalie ». Le cinéma de Claude Sautet est finalement affaire de regards, qu’il avait d’une acuité incroyable, saisissante sur la complexité des êtres, et jamais égalée. Alors que le cinéma est de plus en plus univoque, explicatif, c’est plus que salutaire.

     Une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images.

    Un peu comme l'ours en peluche du « Jour se lève » qui a un œil qui rit et un autre qui pleure, nous ressortons des films de Sautet et de celui-là en particulier, entre rires et larmes, bouleversés, avec l'envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »...et il y est parvenu, magistralement. Personne après lui n'a su nous raconter des « histoires simples » aux personnages complexes qui nous parlent aussi bien de « choses de la vie ».

    Claude Sautet, en 14 films, a su imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d'une savoureuse mélancolie, de l'ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l'ensemble, et celui-ci pour moi le plus beau et bouleversant.

    FILMOGRAPHIE  DE CLAUDE SAUTET                                                              

    Né à Montrouge (près de Paris) en 1924, Claude Sautet est mort à Paris le samedi 22 juillet 2000 à l'âge de soixante-seize ans...

     Longs-métrages réalisés par Claude Sautet

     Bonjour sourire (1955)

    Classe tous risques (1960)

     L'Arme à gauche (1965)

    Les Choses de la vie (1970)

     Max et les Ferrailleurs (1970)

    César et Rosalie (1972)

    Vincent, François, Paul et les autres (1974)

    Mado (1976)

    Une histoire simple (1978)

     Un mauvais fils (1980)

    Garçon ! (1983)

    Quelques jours avec moi (1988)

    Un cœur en hiver (1991)

     Nelly et Monsieur Arnaud (1995)

     

     A voir : le documentaire de N.T.Binh  « Claude Sautet ou la magie invisible »

    A noter: Claude Sautet a également travailler comme ressemeleur de scénarii pour de nombreux cinéastes et notamment sur  (parmi de nombreux autres films ) « Borsalino » de Jacques Deray.

     

     

  • "Je l'aimais" de Zabou Breitman, disponible en DVD

    aimais2.jpgLa sortie en DVD de "Je l'aimais" de Zabou Breitman (le 21 octobre dernier) est pour moi l'occasion de vous reparler de ce film, un de mes coups de coeur de cette année 2009 que j'espère  vous convaincre de voir par la critique suivante:

    Cliquez ici pour lire ma critique de "Je l'aimais" de Zabou Breitman (et pour voir mes vidéos exclusives de sa présentation en avant-première au Forum International de Cinéma et Littérature de Monaco 2009 à l'occasion duquel Daniel Auteuil a également reçu un prix d'interprétation.)

  • « Je l’aimais » de Zabou Breitman avec Marie-Josée Croze, Daniel Auteuil… : critique en avant-première

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    Daniel Auteuil, Marie-Josée Croze, Fabio Conversi, Zabou Breitman (photo: Sandra Mézière)
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    Zabou Breitman (photo: Sandra Mézière)

    Dans le cadre du Forum International Cinéma et Littérature de Monaco, le troisième long-métrage (« Se souvenir des belles choses » et « L’homme de sa vie » étaient les deux premiers)  réalisé par Zabou Breitman, « Je l’aimais », était projeté en avant-première, lors de la clôture, et en présence de l’équipe du film. Comme l’a souligné Daniel Auteuil  (suscitant quelques rires gênés dans la salle) lors du débat de l’après-midi consacré au film, il est beaucoup plus facile d’adapter un livre moyen qu’un bon livre. J’avoue que, moi aussi, j’avais trouvé que  le livre éponyme d’Anna Gavalda correspondait davantage au premier adjectif qu’au second, et qu’il me semblait un peu inconsistant pour qu’en soit réalisée une adaptation cinématographique (Ce film m’a néanmoins donné envie de le relire, peut-être le percevrai-je alors différemment). C’était oublier que les histoires a priori les plus simples contribuent souvent aux meilleurs films, et laissent aux réalisateurs le loisir d’imposer leurs univers. Et un univers (et une sensibilité, rare) Zabou Breitman en possède indéniablement. En témoigne ce film qu’elle a adapté du roman d’Anna Gavalda, avec la scénariste Agnès de Sacy…

    Synopsis : En une nuit, dans un chalet, Pierre (Daniel Auteuil) va partager avec sa belle-fille Chloé (Florence Loiret-Caille, que vous avez pu voir dans l’excellent film « J’attends quelqu’un »  de Jérôme Bonnell) , ce grand secret qui le hante depuis vingt ans, celui qui le mit face à lui-même, à ses contradictions et à ses choix, à son rôle d’homme et à ses manques. Le secret de cet amour pour Mathilde (Marie-Josée Croze) pour lequel il n’a pas tout abandonné, choisissant une route plus sûre et plus connue. En une nuit nous saurons la vie d’un homme qui n’osa pas…

    L’histoire pourrait tenir en une ligne : un homme qui, en voyage d’affaires à Hong Kong,  tombe amoureux d’une femme qui devient sa maîtresse et, malgré tout l’amour qu’il porte à cette dernière, reste avec sa femme. Mais c’est là ce qui fait la force de cette adaptation : ni une ligne, ni plusieurs ne peuvent résumer tout ce que Zabou Breitman parvient à faire passer dans un plan, à tout ce que Daniel Auteuil et Marie-Josée Croze parviennent à faire passer dans un geste, un regard, procurant un caractère universel et intemporel à leur histoire, et aux choix auxquels ils sont confrontés.

    Plutôt que d’employer des envolées lyriques, des mouvements de caméra grandiloquents ou fantaisistes, Zabou a choisi la simplicité dans sa réalisation, qui convient  à ces personnages, finalement prisonniers des conventions, malgré cette parenthèse enchantée, mais dont le choix de la narration, la structure en flash-back, et même ce chalet isolé où ce secret est révélé, reflètent judicieusement le caractère secret de leur liaison. Sa caméra est toujours au plus près des regards, souvent troublés, vacillant parfois comme eux, au plus près des battements de cœur, à l’écoute du moindre frémissement, nous faisant trembler à l’unisson.  Grâce à de subtiles transitions parfois saupoudrées de cette fantaisie poétique qui la caractérise aussi, Zabou passe du passé au présent, accentuant notre curiosité et la résonance entre les deux histoires.

    On dit qu’il existe deux sortes de films : ceux qui vous racontent une histoire, ceux qui vous présentent des personnages. Et ici c’est dans le personnage de Daniel Auteuil, mais aussi, dans celui de Marie-Josée Croze que ce film trouve toute sa force et sa singularité. Malgré tous les rôles  marquants qu’il a incarnés, au bout de quelques minutes, nous oublions Daniel Auteuil pour ne plus voir que Pierre, cet homme, comme tant d’autres, qui survit plus qu’il ne vit, dévoué à son travail, cet homme, comme tant d’autres, dont la femme vit avec lui plus par habitude et par confort  que par amour, un amour dont on se demande s’il a un jour existé : les scènes avec son épouse Suzanne (excellente Christiane Millet) sont d’ailleurs particulièrement réussies, révélant toute l’horreur et la médiocrité de l’habitude.  Cet homme qui apparaît froid, conventionnel, enfermé dans ses conventions sociales même, dont le récit de cette passion fugace éclaire la personnalité, révèle progressivement son humanité. Cet homme qui devient vivant, beau, intéressant, sans être spirituel (ne sachant guère lui dire autre chose que « tu es belle »), dans le regard de Mathilde et dans celui que lui porte la caméra de Zabou Breitman, toujours subtilement placée, à la juste distance : comme dans cette scène où ils se retrouvent, pour la première fois, dans un bar d’hôtel, scène où passent toutes les émotions (le malaise, le bonheur, le trouble) d’un amour naissant sous nos yeux. Une scène magique et magistrale. Par la seule force de l’interprétation, l’éloquence des silences. Et de la réalisation qui les met sur un pied d’égalité, pareillement emportés, et nous place comme les témoins involontaires de leur rencontre, nous donnant l’impression d’être nous aussi dans ce bar, n’osant bouger et respirer de peur de briser cet instant fragile et envoûtant.

    Ce rôle d’un homme « lost in translation » (et qui n’est d’ailleurs pas, aussi, sans rappeler le film éponyme de Sofia Coppola) est à mi-chemin entre celui qu’il interprétait dans les deux films de Claude Sautet : « Quelques jours avec moi » et « Un cœur en hiver », dont les deux titres pourraient d’ailleurs également s’appliquer au film de Zabou Breitman dont la sensibilité n’est pas totalement étrangère à cette de Claude Sautet.

    Quant à Marie-Josée Croze elle illumine le film de sa rayonnante présence, incarnant magnifiquement  ce personnage insaisissable et indépendant, cet amour éphémère et fantasmé qui s’écroule lorsqu’il est rattrapé par la réalité.

    Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve ? Fuir son simulacre de peur que la vie ne se sauve ? Fuir une réalité médiocre et confortable pour un rêve éveillé et incertain ? A-t-on le droit de se tromper ? Ne vaut-il mieux pas faire un choix, même mauvais, plutôt que d’éluder le choix ? Le renoncement, le sacrifice sont-ils des actes de courage ou de lâcheté ? Autant de questions que chacun peut se poser…et qui résonnent bien après le générique de fin.

    Un film empreint de nostalgie qui se termine sur une note d’espoir. Un film lumineux et mélancolique qui nous est narré comme un conte, moderne et intemporel. Un film qui a la force brûlante, douloureusement belle, des souvenirs inaltérables.  Un film qui nous plonge dans le souvenir, amer et poignant, des belles choses.

    « Je l’aimais » a reçu le prix 2009 de la Fondation Diane et Lucien Barrière. A Monaco, son producteur, Fabio Conversi (prix du meilleur producteur d’adaptations littéraires au cinéma) et son acteur principal, Daniel Auteuil ( prix du meilleur acteur d’adaptations littéraires au cinéma) ont également été récompensés.

     Sortie en salles en France : le 6 mai 2009

     A suivre : les critiques en avant-première de « Chéri » de Stephen Frears, « Frost/Nixon, l’heure de vérité » de Ron Howard, « OSS 117, Rio ne répond plus » de Michel Hazanavicius… et de nombreuses surprises!

    BANDE-ANNONCE

    L’EQUIPE DU FILM AU FORUM INTERNATIONAL CINEMA ET LITTERATURE DE MONACO