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  • Compte rendu du Festival du Film de Cabourg 2016 : un 30ème anniversaire poétique et festif

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    Cette année, le Festival de Cabourg célébrait trois anniversaires. Ses 30 ans. Les 15 ans de la sortie du Fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet et les 50 ans de la sortie d’ Un homme et une femme de Claude Lelouch. Et, bien sûr, l’amour puisque ce festival est consacré au cinéma romantique.

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    D’ailleurs, comment définir le romantisme ?  Poser ses yeux sur la célèbre promenade de Cabourg qui porte le nom d’un grand écrivain (qui lui-même a signé des œuvres qui, romantiques, le furent indéniablement) et dont la beauté mélancolique et changeante vous serre le cœur de bonheur et de tristesse mêlés est peut-être déjà une réponse… Le festival, chaque année, à travers les films qui y sont présentés, apporte aussi une réponse: l’amour est protéiforme et polysémique. Le film romantique parle d’amour, forcément, heureux ou malheureux, partagé ou contrarié, éternel ou éphémère, possible ou impossible. Vous pouvez y ajouter, selon le style du film, un zeste d’humour ou de mélancolie. Le film romantique peut être âpre ou doux, réaliste ou onirique. Et le vrai romantisme est pour moi tout sauf mièvre mais plutôt enfiévré et synonyme d’absolu. Comme une histoire d’amour, un film romantique réussi est un voyage qui nous transforme, réchauffe l’âme et le coeur…un peu comme ce Festival de Cabourg.

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    La très belle affiche de cette édition 2016, tirée du film Bébé tigre, réalisé par Cyprien Vial, présenté au festival en 2015, nous promettait une édition scintillante, artistique, et romantique… Elle le fut indéniablement !

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    Tout a commencé sous un soleil étincelant avec l’inauguration du Méridien de l’Amour par d’anciens présidents du jury du festival et par des membres du jury de cette année (Juliette Binoche, Emmanuelle Béart, Virginie Ledoyen …). Pour célébrer ce 30ème anniversaire, l’Association du Festival du Film de Cabourg, sur une idée de sa Déléguée générale Suzel Pietri et avec le soutien de la Ville de Cabourg, inaugurait ainsi un concept poétique unique au monde : 104 clous de fondation ancrés dans le sol de la Promenade Marcel Proust, et réalisés par la Monnaie de Paris, un tracé pérenne symbolisant l’absence de frontières et l’universalité de l’Amour. Un musée de l’amour en plein-air et sur le web. Le long de cette promenade, 5 colonnes représentent chacune un continent. Pour découvrir 104 façons de dire et écrire « Amour », 104 langues officielles des États du monde sont représentées, sous la forme de télégrammes, par le dessinateur Stéphane Heuet. Le Méridien de l’Amour, c’est aussi un site Internet référençant pour chaque langue de nombreuses œuvres cinématographiques et littéraires, collectées par l’auteure de guides Dominique Camus. Les 5 colonnes renverront, par flashcodes, à une médiathèque universelle de l’Amour (www.meridiendelamour.com).

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    Après cette marche revigorante pour accompagner l’inauguration, place ensuite au dîner au Grand Hôtel de Cabourg alors que, dehors, un sublime coucher de soleil saluait le début de ce festival…

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    Le Grand Jury 2016 était cette année présidé par Emmanuelle Béart qui ne s’est pas ménagée le lendemain lors de la vente des roses au profit de l’association « Children of the sun » dont elle est la marraine (en passant à chaque table pour convaincre les convives de contribuer à la vente), une association dont elle a parlé avec émotion et conviction avant que Carla Bruni suspende le vol du temps, surprenant l’assistance par le son envoûtant de sa voix… et avant que Joeystarr (membre du jury) ne nous fasse revenir à la réalité avec une tentative de chanson grivoise. Une très belle soirée sous le signe de la bonne humeur et en bonne compagnie (mes voisins et voisines des soirées successives se reconnaîtront) comme le furent d’ailleurs toutes celles de ce festival.

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    Dans le jury, Joeystarr était accompagné de Loubna Abidar (actrice), Samuel Benchetrit (réalisateur, acteur, écrivain), Joeystarr (acteur, chanteur), Éric Reinhardt (écrivain), Pierre Rochefort (acteur), Julia Roy (actrice) et Céline Sciamma (réalisatrice, scénariste).

    Le jury jeunesse était parrainé par Alice Isaaz (actrice) et Rod Paradot (acteur), qui une fois de plus, lors de la clôture nous a réjouis par son naturel et son enthousiasme, un jury et composé de lycéens.

    Le jury des courts métrages était présidé par Pierre Schoeller (réalisateur, scénariste). Il était accompagné de : Marianne Basler (actrice), Frédérique Bel (actrice), Michel Feller (producteur), Jean Baptiste Maunier (acteur, chanteur), Diane Rouxel (actrice), Karidja Touré (actrice).

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    Parmi les longs métrages en compétition (je n’ai malheureusement pas eu le temps de tous les voir tant mon programme était riche mais je vais essayer de rattraper le grand prix), je peux d’ores et déjà vous recommander La Danseuse de Stéphanie di Giusto, hymne poétique au vertige de l’art, magnifiquement interprété (vécu même semble-t-il à l’écran tant elle y est vibrante d’émotions) par Soko (le film était en sélection du 69ème Festival de Cannes – Section Un Certain Regard), le récit de la vie de Loïe Fuller, au début années 1900, une jeune femme qui se met en scène dans des numéros de danse inventifs et iconoclastes réalisés avec grande robe en voile et des jeux de lumières qu’elle a initiés. Le parallèle entre la passion de la danseuse pour son art et d’un homme pour elle (très juste Gaspard Ulliel), l’un et l’autre se consumant, presque jusqu’à la folie, pour l’objet de leur passion, est évidemment éminemment poétique mais aussi très cinématographique, d’une intensité qui traverse l’écran. La distribution exceptionnelle autour de Soko parachève ce tableau indubitablement romantique, et fascinant: Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, Lily-Rose Depp, François Damiens, Louis-Do de Lencquesaing, Denis Ménochet et Amanda Plummer. Je vous en reparlerai.

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    Le jury jeunesse a préféré couronner Departure d’Andrew Steggall, un premier film poignant qui raconte l’histoire de Béatrice et de son fils, un adolescent, qui passent une semaine à emballer le contenu d’une maison de vacances, dans un coin isolé du sud de la France. Le jeune Elliot est confronté à sa sexualité naissante et à l’éloignement grandissant de sa mère. Quant à Béatrice, elle réalise que tout amour a disparu de son mariage et que la vie telle qu’elle l’a connue touche à sa fin… Departure n’est pas parfait mais possède le charme fou, la maladresse touchante et la fougue de son interprète principal, Alex Lawther. La personnalité magnétique du jeune Clément(très juste Phénix Brossard), un français à la sensualité brute, que vont rencontrer Elliott et sa mère, va éveiller et exalter les désirs de l’un et réveiller les désirs enfouis de l’autre. Ce sont surtout des personnes étouffées par leurs désirs, à l’image du père d’Elliott, dont la confrontation va se révéler explosive. La poésie pour laquelle se passionne le jeune Elliott sert de catalyseur à la brusquerie incontrôlable du désir amoureux. Certaines scènes sont parfois téléphonées mais ce film porté par deux jeunes comédiens d’une remarquable justesse et intensité, une musique et une photographie sublimes, n’en dégage pas moins un charme communicatif, brusque et poétique, touchant et maladroit comme son personnage principal et son interprète qui crève l’écran. Alex Lawther : retenez bien son nom !

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    Mon vrai coup de cœur est un film australien, également en compétition, Tanna de Bentley Dean et Martin Butler qui nous emmène en plein Pacifique, sur une petite île recouverte d’une luxuriante jungle et dominée par un volcan en activité. La tribu des Yakel y rejoue une histoire vraie venue de leur passé, une histoire faite d’amour, de fidélité et de renoncement. La justesse des interprètes est sidérante. Les images sont d’une beauté à couper le souffle. La musique procure un souffle épique à l’ensemble. L’histoire, celle d’un amour impossible, est tragique et bouleversante. Hymne à la liberté, à la nature, ce film aux accents de Roméo et Juliette, plus qu’un coup de cœur est un coup au cœur.

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    Le film Taïwanais Zinnia Flower de Tom Shu-Yu Lin aurait également mérité une place au palmarès pour la sensibilité avec laquelle il rappelle qu’il « faut un temps pour tout » (comme un écho d’ailleurs au film de Safy Nebbou) et avec laquelle il montre la marginalité et la douleur indicible dans lesquelles enferme le deuil, en l’occurrence celui de Wei et Ming qui, le même jour, dans un accident, perdent, l’un sa femme enceinte, professeur de piano, et l’autre, son fiancé. Selon certains rituels bouddhistes, il faut 100 jours pour faire le deuil… Ce sont ces rituels qui rythment le film. L’idée judicieuse de ce film poétique, sensible et délicat est de mettre en parallèle les chagrins dévastateurs qui cadenassent les deux personnages dans la solitude, ces petits riens pour les autres qui peuvent crever le cœur ou faire tomber dans un abîme de tristesse en un clin d’oeil. Par petites notes, il évoque aussi ce qui aide à survivre quand la vie semble devenue absconse et vaine, suite à la perte d’un être cher, (comme des notes de piano évocatrices de la défunte qui font revivre son souvenir un instant) quand la vie pour les autres continue, implacablement. La fin joliment elliptique laisse espérer un avenir meilleur en éludant rien de la réalité du deuil avec lequel sans doute ils ne vivront pas 100 jours mais le reste de leur vie…

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    Parmi mes coups de cœur, figure également « Dans les forêts » de Sibérie, le sixième film de Safy Nebbou, qui concourait pour le prix du public.

    Critique – LES FORÊTS DE SIBERIE de Safy Nebbou

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    Dans les forêts de Sibérie, le sixième long-métrage de Safy Nebbou, est une adaptation libre du récit éponyme de l’aventurier Sylvain Tesson, paru en 2011 chez Gallimard (Prix Médicis Essai 2011).

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    Raphaël Personnaz incarne ici Teddy, un chef de projet multimédia (une profession synonyme de modernité, évidemment pas un hasard), qui, pour assouvir un besoin de liberté, décide de partir loin du bruit du monde, et s’installe seul dans une cabane, sur les rives gelées du lac Baïkal, en Sibérie.

    Qui n’a jamais rêvé de larguer les amarres, loin de l’agitation, du tintamarre et des obligations de nos vies ultra connectées et finalement le plus souvent déconnectées de l’essentiel, pour laisser du temps au temps, pour se retrouver face à lui-même ? Si c’est votre cas alors il se pourrait bien que ce film exacerbe vos envies d’ailleurs …

    Si Dans les forêts de Sibérie avait toute sa place au Festival du Film romantique, c’est ainsi d’une part, parce que l’idée de l’homme qui quitte tout pour se retrouver face à lui-même, cette ode à la liberté, à la nature, à l’aventure, est éminemment romantique mais aussi, d’autre part, parce que ce film possède un charme ensorcelant propice à envoûter le spectateur, dès les premières secondes, comme un coup de foudre. A le faire tomber amoureux de cette nature âpre et fascinante. Dès les premières minutes, les mots précis et implacables portés par la voix off et chaleureuse de Raphaël Personnaz nous bercent en effet comme une douce mélopée : « Je suis venu me rapprocher de ce que je ne connais pas. Le froid. Le silence. L’espace. Et la solitude. En ville les minutes, les heures, les années nous échappent. Ici le temps se calme. Je suis libre. Parce que mes jours le sont.[…] Ne désirer pas plus que ce que l’on éprouve. Et savoir se faire accepter par la nature. J’ai quitté le chaos des villes…».

    Le temps s’arrête et nous partons alors avec lui pour cette expérience hors du temps, hors de nos réalités, presque de notre époque où notre attention est constamment sollicitée, où le silence et l’espace deviennent des luxes suprêmes.

    Aux mots s’ajoutent ensuite les paysages d’une beauté à couper le souffle. Le soleil qui caresse la glace du lac gelé de ses rayons dorés et s’y reflète. Ce camion qui avance sur le lac craquelé de rainures telles des branches aux ramifications infinies ou telles des formes abstraites d’une beauté hypnotique. La caméra prend de la hauteur, comme une envolée lyrique, s’élève, nous élève, et nous emporte dans son tourbillon poétique, nous invitant à vivre cette expérience pendant une heure trente, avec intérêt, curiosité et émerveillement.

    La sobriété et la justesse du jeu de Raphaël Personnaz sied parfaitement au personnage dont on perçoit d’autant mieux les changements qui s’opèrent en lui au fil du temps et qui le transfigurent, celui-ci retrouvant peu à peu la pureté et la spontanéité des joies enfantines. Depuis que Tavernier l’a révélé au grand public avec La Princesse de Montpensier  (il avait d’ailleurs avant déjà tourné dans de nombreux films), Raphaël Personnaz ne cesse de prouver son talent par l’intelligence de ses choix et l’éclectisme de ses interprétations, avec toujours une indéniable présence magnétique : Tavernier à nouveau (Quai d’Orsay), Corsini (Trois mondes), mais encore dans les excellents Marius et Fanny de Daniel Auteuil (ma critique, ici), L’affaire SK1 de Frédéric Tellier… sans oublier le romantique After  de Géraldine Maillet (ma critique en cliquant ici).

    Le scénario (cosigné par David Oelhoffen –également auteur du scénario de L’Affaire SK1- et par Safy Nebbou) a pris des libertés avec le livre en ajoutant le personnage d’un fugitif russe (très bon choix que celui de Evgueni Sidikhine pour l’interpréter) qui se cache dans ces grands espaces, permettant d’ajouter une très belle histoire d’amitié à ce récit initiatique et permettant que cette histoire ne soit pas seulement l’éloge de la nature ou de l’homme face à lui-même, et qu’elle prenne ainsi une autre dimension. On songe bien sûr à Into the wild  de Sean Penn même si ici il s’agit ici pour Teddy davantage de retrouver son identité que de la perdre comme c’était le cas dans le film de Sean Penn. Safy Nebbou cite d’ailleurs plutôt en référence le long-métrage écologique d’Akira Kurosawa, Dersu Ouzala.

    Safy Nebbou, à chaque film, explore, un univers différent et prouve ainsi l’étendue de son talent même si on peut y retrouver des thématiques ou éléments récurrents comme l’importance des mots, ceux de Dumas et ceux de Gilles Taurand  dans L’Autre Dumas ou encore l’idée de double, d’altérité. La photographie de Gilles Porte nimbée de couleurs lumineuses malgré la glace et le froid environnants et les notes chaudes de la sublime musique d’Ibrahim Maalouf soulignent encore davantage la beauté de l’expérience et des paysages, exaltant le grisant sentiment de liberté. On image aussi aisément quelle expérience cela a dû être pour l’équipe du film que de tourner dans de telles immensités potentiellement hostiles mais surtout d’une troublante magnificence.

    On quitte la salle d’abord avec l’envie d’acheter immédiatement le livre de Sylvain Tesson avec, en tête, cette phrase du film, comme un leitmotiv  « Maitriser le temps, vivre intensément chaque instant ». Un véritable défi dans une société ultraconnectée qui nous procure souvent le rageant sentiment d’avoir perdu la capacité à vivre et saisir l’instant présent alors que, paradoxalement, nous ne l’avons jamais autant immortalisé.

    Vous l’aurez compris : je vous recommande ce voyage envoûtant « Dans les forêts de Sibérie », un film qui exhale et exalte la liberté et l’émerveillement, qui donne une féroce envie d’étreindre le présent, qui respire la bienveillance, un film porté par une musique et une photographie, sublimes et incandescentes, et l’interprétation lumineuse, criante de vérité et de naturel de Raphaël Personnaz. Plus qu’un voyage, une expérience. A ne pas manquer!

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    Comme vous le disais en préambule, ce Festival de Cabourg 2016 célébrait aussi les 50 ans d’ Un homme et une femme de Claude Lelouch et les 15 ans du Fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet. Lors de la sortie du second, en 2001, j’étais étudiante en droit, j’avais l’âge du personnage et je ne me souviens du (grand) nombre de fois où j’ai revu ce film dans un cinéma de Rennes, comme un rituel, une douce évasion. 15 ans après, j’ai éprouvé le même plaisir à le revoir, un peu de nostalgie sans doute aussi. Cette même année, le Festival du Film de Cabourg le récompensait avec un Swann d’Or du meilleur réalisateur décerné à Jean-Pierre Jeunet et un Swann d’Or du meilleur acteur remis à Mathieu Kassovitz. Le scénariste Guillaume Laurant -qui présidait le jury l’année où j’étais dans le jury des courts métrages du Festival de Cabourg, en 2002, et je n’avais alors pas osé lui dire à quel point ce film m’avait (em)portée- et Rufus étaient présents pour échanger avec le public à l’occasion d’une projection anniversaire du film précédé du court-métrage Foutaises de Jean-Pierre Jeunet. Une rencontre passionnante, l’un et l’autre évoquant avec enthousiasme et humilité ce film qui a changé le cours de leur carrière et sans doute marqué leur vie. Guillaume Laurant a ainsi raconté comment le film avait été refusé par 3 producteurs avec des arguments tels que « On ne croit pas aux personnages », « Une idée plus une idée ça ne fait pas une histoire », « C’est trop parisien ». Au regard des 33 millions d’entrées dans le monde engrangées par le film, sans doute ont-ils longtemps regretté… 15 ans après, la singularité poétique, les dialogues à la Prévert et le visuel éblouissant sont toujours aussi réjouissants. Quel plaisir de retrouver Amélie, Georgette, Madeleine Wallace, Nino, l’inconnu du Photomaton et les autres, et toutes ces phrases devenues cultes qui vous trottent en tête longtemps après la projection! Une bienveillance d’autant plus salutaire dans notre époque tourmentée et cynique.

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    Il y a 50 ans, sur une plage de la Côte normande, était né l’un des plus beaux films d’amour français joué par Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, et accompagné d’une musique inoubliable signée Francis Lai : Un homme et une femme de Claude Lelouch. Le samedi 11 juin, Claude Lelouch est venu à Cabourg pour assister à la projection anniversaire. Le soir, des mains de Sandrine Bonnaire et Elsa Zylberstein il a reçu sa récompense pour ce film. « Les histoires d’amour restent le sujet essentiel, celui qui donne un sens à notre vie. C’est souvent une récompense, souvent une punition. Je peux encore faire 50 films là-dessus » a ainsi déclaré le cinéaste en recevant son prix.

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    Critique de UN HOMME ET UNE FEMME de Claude Lelouch (projection anniversaire)

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    Le 13 septembre 1965, Claude Lelouch est désespéré, son dernier film ayant été un échec. Il prend alors sa voiture, roule jusqu’à épuisement en allant vers Deauville où il s’arrête à 2 heures du matin en dormant dans sa voiture. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, étonné de la voir marcher avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme ».

    Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s’est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui s’aiment, se repoussent, se retrouvent et s’aiment encore…
    J’ai vu ce film un grand nombre de fois, et à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd’hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d’ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n’ayant pas assez d’argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.

    Je ne sais pas si « le cinéma c’est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer. Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d’amour naître et vibrer sous nos yeux, d’en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d’un regard qui s’évade et s’égare. Par un sourire qui s’esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d’Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.

    Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d’une histoire d’amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu’il prépare ce qu’il dira à Anne après qu’il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d’autres encore…

    Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d’un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Alors pour reprendre l’interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu’est-ce que vous choisiriez : l’art ou la vie » Lelouch, n’a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l’art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c’est de l’art qui transpire la vie.
    Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d’or à Cannes en 1966, l’oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd’hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes.

    A signaler également mon coup de cœur pour deux courts métrages d’animation : « D’ombres et d’ailes » d’Elice Meng et Eleonora Marinoni et « H recherche F » de Marina Moshkova, deux films d’une beauté, d’une poésie (décidément le maître mot de cette édition) et d’une inventivité époustouflantes.

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    Ce compte rendu est bien trop court pour évoquer ces cinq jours jalonnés de belles rencontres, amicales et professionnelles, de films romantiques, incandescents (tenant les promesses de l’affiche) et romantiques, pendant lesquels le soleil a -presque- constamment régné, au propre comme au figuré, lors desquels, une fois de plus, la réalité a dépassé la fiction notamment lors d’un dîner de clôture dont je me demande encore, tant il fut burlesque, si un scénariste malicieux n’en avait pas écrit le scénario. Allez savoir si certains de ces moments ne se retrouveront pas dans mon recueil de nouvelles (dont une se déroule à Cabourg !) qui sera publié à la rentrée aux Editions du 38…mais chut, je ne vous en dis pas plus pour le moment. Pour patienter, vous pouvez toujours trouver mon roman ( que j’espère romantique selon la définition que je vous en donne au début de ce compte rendu) L’amor dans l’âme dont une scène clef se déroule… au Festival du Film de Cabourg. Je repars de ce festival avec de beaux souvenirs et en tête la voix émue et émouvante d’Emmanuelle Béart chantant Barbara, et cette phrase que la déléguée générale du festival (que l’émotion communicative a tant de fois gagné lors de ce festival) a faite broder sur sa robe : « J’ai tellement aimé les stars et la lumière du cinéma que je n’ai plus peur de la nuit ».

    Merci à mes camarades d’avoir tant égayé ce festival, notamment Pascale B (sur le blog de laquelle vous pouvez retrouver mon interview, ici), aux photographes Isabelle Vautier, Mireille Ampilhac, Dominique Saint pour les photos officielles sur le tapis rouge, au photographe Dominique Saint pour la mémorable séance photos sur la plage, à la marque Dr. Hauschka pour la photo parmi un parterre de stars dans son album officiel, à Constance, Alexandre et Dominique pour l’accueil et longue vie au Festival de Cabourg…et au romantisme !

    Retrouvez mes autres photos du festival ci-dessous (à l’exception de celles sur lesquelles je suis évidemment signées des photographes cités ci-dessus) et des photos complémentaires sur mon compte Instagram @sandra_meziere.

     

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    SECTION LONGS MÉTRAGES
    GRAND PRIX Diamond Island de Davy Chou Dotations

    PRIX DE LA JEUNESSE Departure d’Andrew Steggall

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    PRIX DU PUBLIC ESSILOR A Man Called Ove de Hannes Holm
    SECTION COURTS MÉTRAGES

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    MEILLEUR COURT MÉTRAGE Hotaru de William Laboury

    MENTION SPÉCIALE DU JURY Gabber Lover d’Anna Cazenave-Cambet
    MEILLEURE ACTRICE Antonia Buresi pour Que Vive L’Empereur d’Aude Léa Rapin MEILLEUR ACTEUR Jonathan Couzinié pour Que Vive L’Empereur d’Aude Léa Rapin
    SWANN D’OR
    RÉVÉLATION FÉMININE Christa Théret dans La Fille du patron de Olivier Loustau
    RÉVÉLATION MASCULINE Kacey Mottet Klein dans Quand on a 17 ans de André Téchiné
    MEILLEURE ACTRICE Louise Bourgoin dans Je suis un soldat de Laurent Larivière

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    MEILLEUR ACTEUR Manu Payet dans Tout pour être heureux de Cyril Gelblat
    MEILLEUR FILM Les Ogres de Léa Fehner
    MEILLEUR RÉALISATEUR Bouli Lanners pour Les Premiers, Les Derniers
    HOMMAGE 50 ANS Un homme et Une femme de Claude Lelouch
    PRIX PREMIER RENDEZ-VOUS
    POUR UNE ACTRICE Noémie Schmidt pour L’étudiante et monsieur Henri d’Ivan Calbérac
    POUR UN ACTEUR EX AEQUO François Nambot et Geoffrey Couët pour Théo et Hugo dans le même bâteau d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau

  • UN COEUR EN HIVER de Claude Sautet sur OCS Novo, ce soir, à 20H40

    Je vous ai parlé de ce film qui est pour moi le meilleur de Claude Sautet et un de mes films préférés, il y a peu. Il sera diffusé ce soir sur OCS Novo. Ne le manquez pas. Pour lire ma critique, cliquez sur l'image ci-dessous.

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  • Critique de « Un cœur en hiver » de Claude Sautet (1992) avec Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart ou pourquoi ce film est un chef d’œuvre...

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    En 2011, je ne perds pas les bonnes habitudes et je continuerai donc à vous parler régulièrement de classiques du 7ème art. Lorsqu’on me demande mon film culte,  je cite le plus souvent soit « Le Guépard » de Luchino Visconti, soit « Un cœur en hiver » de Claude Sautet, suscitant régulièrement la perplexité chez mes interlocuteurs concernant le second, et la mienne en retour de constater que beaucoup ne connaissent pas ce film. Je l’ai revu hier après deux ou trois ans et la fascination est restée intacte. Après un certain nombre de visionnages, il me bouleverse, me fascine et m’intrigue toujours autant. Si vous ne l’avez pas encore vu, ou si vous l’avez vu mais n’en gardez qu’un souvenir mitigé je vais essayer de vous convaincre de (re)voir ce film que je considère comme un chef d’œuvre (et j’emploie toujours ce terme avec beaucoup de parcimonie, une expression que je n’ai pas même utilisée pour ce film-ci, contrairement à beaucoup). « Un cœur en hiver » est adapté d’une nouvelle « La Princesse Mary » extraite d’un recueil de nouvelles de Lermontov « La Princesse Mary » mais également inspiré de la vie de Maurice Ravel.

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    Maxime (André Dussolier) et Stéphane (Daniel Auteuil) sont (apparemment) amis et travaillent ensemble dans l'atmosphère feutrée d'un atelier de lutherie. Les violons sont toute la vie de Stéphane, contrairement à Maxime qui vient de tomber amoureux d’une jeune violoniste, Camille (Emmanuelle Béart), rapidement intriguée puis attirée par la retenue singulière de Stéphane. Pour Stéphane, véritable « cœur en hiver », ce n’est qu’un jeu dont il conte l’évolution à son amie Hélène (Elisabeth Bourgine). Stéphane semble n’aimer qu’une seule personne au monde : son maître de violon, Lachaume (Maurice Garrel).

     Sur la tombe de Claude Sautet au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance », voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma et peut-être même le mieux « Un cœur en hiver » : d'abord parce que son cinéma est un cinéma de la dissonance, de l'imprévu, de la note inattendue dans la quotidienneté (ici, l'arrivée de Camille dans la vie de Maxime et par conséquent dans celle de Stéphane comme c’est le cas de l’arrivée de David dans « César et Rosalie » ou de Nelly dans « Nelly et Monsieur Arnaud ») et ensuite parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique, une passion qui s’exprime pleinement ici puisque la musique est un personnage à part entière. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l'impression qu'en changer une note ébranlerait l'ensemble de la composition.

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    C’est par elle, la musique, que Camille s’exprime (d’ailleurs Maxime le dira, elle ne se livre que lorsqu’elle joue) : tantôt sa mélancolie, sa violence (ainsi cette scène où elle enregistre en studio et qu’elle manie l’archet comme une lame tranchante), son désarroi, ses espoirs. C’est aussi à travers elle que Stéphane ressent et exprime ses (rares) émotions notamment lorsqu’un « c’est beau » lui échappe après avoir écouté Camille jouer. La musique ici, aussi sublime soit-elle (celle des  sonates et trio de Ravel) n’est pas forcément mélodieuse mais exprime la dissonance que connaissent les personnages. C’est un élément d’expression d’une force rare, bien plus que n’importe quel dialogue.

    La passion est donc celle pour la musique mais aussi celle qui s’exprime à travers elle, l’autre : la passion amoureuse. Celle qui s’empare de Camille pour cet homme hermétique au regard brillant, transperçant qui la fascine, l’intrigue, la désempare.  Le trouble s’empare d’elle dès sa première répétition à laquelle Stéphane assiste. Elle ne parvient pas à jouer, dit qu’elle reprendra un autre jour et puis quand Stéphane quitte la pièce, elle reprend comme si de rien n’était. Ensuite, venue rejoindre Maxime dans l’atelier de lutherie, ce dernier occupé, elle l’attend en compagnie de Stéphane et lui confie ce qu’elle n’avait jamais dit à personne, lui parlant de ses rapports compliqués avec son agent et amie Régine (Brigitte Catillon). Enfin, troisième rencontre déterminante : Stéphane vient la voir jouer, seul, sans Maxime pour la première fois. Ils s’évadent un instant de la répétition pour aller boire un café après avoir traversé la rue sous la pluie. Leurs mains s’effleurent presque subrepticement, négligemment. Stéphane la protège de la pluie avec sa veste. Puis, il l’écoute assis au café, avec son regard scrutateur. Puis, c’est l’absence et le silence de Stéphane mais c’est trop tard : Camille est déjà bouleversée, amoureuse. A priori, racontées ainsi rien d’extraordinaire dans ces trois scènes, pourtant le scénario et la mise en scène de Sautet et surtout ses personnages sont d’une telle richesse que chacune d’elle est plus haletante qu’une scène d’un palpitant thriller. Aucun plan n’est inutile. Comme dans un thriller, chaque plan a une implication sur la résolution.

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     Tous les films de Sautet se caractérisent d'ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks ) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants.  Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l'on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d'être démesurément explicatif, c'est au contraire un cinéma de l'implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait  de Claude Sautet qu'il « reste une fenêtre ouverte sur l'inconscient ».

    Le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard (le regard tellement transperçant de Stéphane, ou de plus en plus troublé de Camille) à chaque note, à chaque geste d’une précision rare. Je n’ai encore jamais trouvé au cinéma de personnages aussi « travaillés » que Stéphane, ambigu, complexe qui me semble avoir une existence propre, presque exister en dehors de l’écran. Là encore comme un thriller énigmatique, à chaque fois je l’interprète différemment, un peu aussi comme une sublime musique ou œuvre d’art qui à chaque fois me ferait ressentir des émotions différentes. Stéphane est-il vraiment indifférent ? Joue-t-il un jeu ? Ne vit-il qu’à travers la musique ? « La musique c’est du rêve » dit-il. Ou, selon cette citation de La Rochefoucauld que cite Sautet  fait-il partie de ceux qui pensent que« Peu de gens seraient amoureux si on ne leur avait jamais parlé d’amour » ? A-t-il peur d’aimer ? Ou n’y croit-il simplement pas ? Est-il sincère quand il dit avec une froide tranquillité que Maxime n’est pas un ami, juste « un partenaire ».

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    Le film commence ainsi de nuit dans l’atelier et se termine de jour dans un café et entre ces deux moments, Stéphane passera de l’ombre à la lumière, d’une personnalité ombrageuse à (peut-être, là aussi, l’interprétation varie à chaque visionnage) un homme capable d’aimer. Un personnage assez proche du personnage de Martial dans « Quelques jours avec moi » (un autre film de Sautet méconnu que je vous recommande, où son regard se fait encore plus ironique et acéré, un film irrésistiblement drôle et non dénué de –douce-cruauté).  « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu'ils font (..). Claude Sautet c'est la vitalité. » disait ainsi Truffaut.

    Et puis certaines scènes font pour moi partie des plus belles et cruelles du cinéma. Cette scène où dans une voiture, Camille lui avoue l’amour qu’il lui inspire et se livre à lui, ce à quoi Stéphane répond avec tranquillité, jubilation peut-être, froidement en tout cas : « je ne vous aime pas ». Cette scène me glace le sang à chaque fois. Et puis la scène où Camille veut l’humilier à son tour. Elle se maquille outrageusement, le rejoint au café où il a ses habitudes où il dîne avec son amie Hélène. Camille lui crie sa rancœur, sa passion, cherche à l’humilier. La scène est tranchante, violente et sublime comme la musique de Ravel jouée par Camille.

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    Et puis comment ne pas parler de la distribution, absolument parfaite, à commencer par Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart, sans aucun doute leurs meilleurs rôles auxquels ils semblent se livrer (ou se cacher) corps et âme, d’autant plus ambigus puisqu’ils vivaient alors ensemble. Emmanuelle Béart est à la fois mystérieuse, sensuelle, forte, fragile, fière, brisée, passionnée et talentueuse (elle apprit ainsi le violon pendant un an). Daniel Auteuil donne vie à ce Stéphane énigmatique, opaque, cinglant, glacial, austère qui se définit lui-même comme sournois, parfois révoltant, parfois touchant avec ce regard perçant, tantôt terriblement là ou terriblement absent. L’un comme l’autre, dans leurs regards, expriment une multitude d’émotions ou de mystères. Mais il ne faudrait pas non plus oublier les seconds rôles : André Dussolier, personnage digne qui échappe au cliché de l’amant trompé et qui obtint d’ailleurs le César du meilleur second rôle. Jean-Luc Bideau qui dans une scène courte mais intense aligne les clichés sur la culture et l’élitisme (magnifique scène de dialogue où là aussi Stéphane dévoile une trouble (et pour Camille troublante) facette de sa personnalité). Myriam Boyer, Brigitte Catillon, Elisabeth Bourgine (les femmes de l’ombre avec, chacune à leur manière, une présence forte et déterminante).

     « Un cœur en hiver »  obtint le lion d’argent à Venise. Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart passèrent à côté des César de meilleurs acteurs (que leur ravirent Claude Rich pour « Le souper » et Catherine Deneuve, pour « Indochine »). Claude Sautet obtint néanmoins le césar du meilleur réalisateur (le seul avec celui de Dussolier malgré sept nominations) et celui du meilleur film fut cette année-là attribué à Cyril Collard pour « Les nuits fauves ». Tous les postes du film auraient mérités d’être récompensés : le scénario, l’image d’Yves Angelo, le travail sur la musique de Philippe Sarde, le scénario  de Jacques Fieschi et Claude Sautet…

    On retrouve là encore ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de groupe (dont « Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique) et la solitude dans et malgré le groupe, l'implicite dans ce qui n'est pas- les ellipses- comme dans ce qui est-les regards- (Ah le regard tranchant de Daniel Auteuil! Ah, ce dernier plan !), des scènes de café ( « A chaque film, avouait Sautet, je me dis toujours : non, cette fois tu n'y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m'en empêcher. Les cafés, c'est comme Paris, c'est vraiment mon univers. C'est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. ») les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu « Le jour se lève » ...17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes et avant tout un cinéma de personnages : César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, ...et les autres, des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

     On a souvent dit de Claude Sautet était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle.  S'il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d'après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne,  ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme « La Comédie Humaine » peut s'appliquer aussi bien à notre époque qu'à celle de Balzac.

    Le personnage de Stéphane ne cessera jamais de m’intriguer, intrigant le spectateur comme il intrigue Camille, exprimant tant d’ambiguïté dans son regard brillant ou éteint. Hors de la vie, hors du temps. Je vous le garantis, vous ne pourrez pas oublier ce crescendo émotionnel jusqu’à ce plan fixe final polysémique qui vous laisse ko et qui n’est pas sans rappeler celui de Romy Schneider à la fin de « Max et les ferrailleurs » ou de Michel Serrault (regard absent à l’aéroport) dans « Nelly et Monsieur Arnaud » ou de Montand/Frey/Schneider dans « César et Rosalie ». Le cinéma de Claude Sautet est finalement affaire de regards, qu’il avait d’une acuité incroyable, saisissante sur la complexité des êtres, et jamais égalée. Alors que le cinéma est de plus en plus univoque, explicatif, c’est plus que salutaire.

     Une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images.

    Un peu comme l'ours en peluche du « Jour se lève » qui a un œil qui rit et un autre qui pleure, nous ressortons des films de Sautet et de celui-là en particulier, entre rires et larmes, bouleversés, avec l'envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »...et il y est parvenu, magistralement. Personne après lui n'a su nous raconter des « histoires simples » aux personnages complexes qui nous parlent aussi bien de « choses de la vie ».

    Claude Sautet, en 14 films, a su imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d'une savoureuse mélancolie, de l'ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l'ensemble, et celui-ci pour moi le plus beau et bouleversant.

    FILMOGRAPHIE  DE CLAUDE SAUTET                                                              

    Né à Montrouge (près de Paris) en 1924, Claude Sautet est mort à Paris le samedi 22 juillet 2000 à l'âge de soixante-seize ans...

     Longs-métrages réalisés par Claude Sautet

     Bonjour sourire (1955)

    Classe tous risques (1960)

     L'Arme à gauche (1965)

    Les Choses de la vie (1970)

     Max et les Ferrailleurs (1970)

    César et Rosalie (1972)

    Vincent, François, Paul et les autres (1974)

    Mado (1976)

    Une histoire simple (1978)

     Un mauvais fils (1980)

    Garçon ! (1983)

    Quelques jours avec moi (1988)

    Un cœur en hiver (1991)

     Nelly et Monsieur Arnaud (1995)

     

     A voir : le documentaire de N.T.Binh  « Claude Sautet ou la magie invisible »

    A noter: Claude Sautet a également travailler comme ressemeleur de scénarii pour de nombreux cinéastes et notamment sur  (parmi de nombreux autres films ) « Borsalino » de Jacques Deray.

     

     

  • « Mes stars et moi » de Laetitia Colombani : agent très spécial en manque de folie

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    alafolie.gifAyant le souvenir du précédent film de la réalisatrice « A la folie, pas du tout » un film aussi réjouissant qu’inquiétant dont j’avais particulièrement aimé l’écriture précise, ciselée, et l’originalité, trouvant le synopsis de ce nouveau film plutôt alléchant c’est avec enthousiasme que je suis allée à la rencontre de ces stars et de leur fan.

    Passionné par les actrices, Robert Pelage (Kad Merad) est un  fan particulièrement collant. Agent de service la nuit dans une grande agence artistique pour laquelle travaille un certain Dominique Bhe (Dominique Besnehard), il consacre toutes ses journées à "ses" stars, qu'il suit sans relâche, et dont il n'hésite pas à se mêler de la vie, annulant ainsi des rendez-vous lorsqu’il juge un rôle pas assez bien pour elles ou massacrant la voiture d’un journaliste indélicat. Réunies sur un même tournage, ses trois actrices préférées Solange Duvivier (Catherine Deneuve), Isabelle Serenna (Emmanuelle Béart) et l’ingénue Violette Duval (Mélanie Bernier) découvrent un jour qu'elles ont le même problème... avec le même fan. Elles vont alors décider de s'unir pour lui régler son compte : elles étaient ses idoles... elles vont devenir son pire cauchemar !

    Je commence à en savoir quelque chose : le milieu du cinéma est particulièrement intéressant à observer, disséquer pouvant être aussi sublime que grotesque, magique que cruel, fascinant que dérisoire. C’est sans doute la plus grande déception du film :  que Laetitia Colombani qui a prouvé que sa plume de scénariste pouvait elle aussi être savamment cruelle dépeigne ici un milieu du cinéma rose bonbon dont les seuls travers sont finalement ceux que même des observateurs extérieurs peuvent connaître ou caricaturer : le piston (finalement pas pire que dans n’importe quel autre milieu, juste plus « remarquable »), et la tendance de l’entourage à s’approprier et gérer les vies tumultueuses de leurs stars (notamment ici le personnage de Victor-Rufus – qui à force de vouloir aider et servir Solange Duvivier la prive de toute liberté et de tout libre arbitre) et ce qui aurait pu être « petits meurtres entre amis » se transforme rapidement en « Cinema Paradiso »  mais après tout c’est un parti pris… qui aurait pu être intéressant néanmoins mais malheureusement le changement des uns et des autres est trop rapide pour être crédible (sans parler du fait qu’Isabelle connaisse l’adresse de Robert mais ignore tout de son métier), même dans une comédie, les propos acerbes que s’échangent Solange et Isabelle laissant trop rapidement place à la complicité et ôtant ainsi tout leur sel aux dialogues que leur jeu et le plaisir qu’elles semblaient  avoir à échanger ces méchancetés mettait pourtant bien en valeur.  Robert Pelage change lui aussi très (trop) rapidement passant en un rien de temps de l’idolâtrie à la peur. Le « Backstage » d’Emmanuelle Bercot était de ce point de vue beaucoup plus intéressant traitant davantage de la folie idolâtre et de ses ravages, là où amour et haine sont si proches.

    Et puis comme dans « Les acteurs » de Blier peut-être aurait-il finalement été plus amusant de  laisser aux « professionnels de la profession » leurs propres noms plutôt que de les affubler de pseudonymes plus ridicules que drôles (Patrice Leconte devient Patrice Leduc, Dominique Besnehard devient Dominique Bhe), ou même de laisser aux trois stars leurs propres noms celles-ci jouant finalement avec leurs propres images. Quant à la scène animalière drôle-attendrissante, elle semble devenir le passage obligé de toute comédie, l’enjeu consistant désormais à trouver l’animal au physique le plus improbable (ici un chat dépressif et grognon répondant au doux nom de J.R).

    La mise en scène est malheureusement aussi lisse que le scénario. Restent quelques répliques savoureuses, le jeu en vigueur et émotions d’Emmanuelle Béart, la douceur de Maria de Medeiros  ( trop rare encore au cinéma et qui volerait presque la vedette aux trois « stars » du film), la loufoquerie savoureuse de Catherine Deneuve (pour ceux qui sont inconditionnels de l’actrice, je vous conseille « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dont je vous ai déjà parlé lors du dernier Festival de Cannes, un petit bijou dans lequel elle est époustouflante de talent, de sobriété, d’écoute et de courage dont je vous reparlerai lors de sa sortie en salles le 3 décembre 2008) et Kad Merad toujours aussi juste, donnant une dimension tragi-comique à un rôle qui aurait rapidement pu s’avérer inquiétant ou malsain (peut-être aurait-ce d’ailleurs été plus intéressant...)

    Laetitia Colombani dont le thème du mémoire était « La folie au cinéma » semble donc très attachée à ce sujet qui ne manque pas d’intérêt. J’irai donc voir le prochain film de cette réalisatrice dont la folie douce reste attachante et particulièrement prometteuse, malgré tout. Peut-être a-t-elle été tout simplement trop impressionnée par son sujet (pas facile de parler du milieu auquel on appartient…) et  par la dimension de ses « stars » bridant peut-être malgré elle sa folie…

    Site officiel du film: http://www.messtarsetmoi-lefilm.com