Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Critique BAISERS VOLES (1968) de François Truffaut (au cinéma le 8 décembre en version restaurée 4K)

baisers volés truffaut.jpg

Réformé de son service militaire (dans une scène dont la drôlerie à elle seule mérite de voir ce film), Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) s'empresse d'aller revoir Christine Darbon (Claude Jade), dont il était amoureux.  Presque par hasard (comme tout ce qui lui arrive), alors qu’il commence tout juste à chercher du travail, le père de Christine (Daniel Ceccaldi) lui trouve un emploi de veilleur de nuit dans un hôtel mais  il se fait renvoyer pour n'avoir su empêcher un détective privé de faire un constat d'adultère…et même pour l’avoir aidé malgré lui ! Monsieur Blady (André Falcon), le détective privé, lui propose alors de travailler dans son agence. Un riche marchand de chaussures, Monsieur Tabard, (Michael Lonsdale, extraordinaire en misanthrope irascible !) demande à l'agence de faire une enquête afin de savoir pourquoi sa femme et ses employés le détestent. Antoine se voit confier cette délicate mission. Il s'éprend de Fabienne Tabard (Delphine Seyrig), l’épouse inaccessible (à la voix inimitable !) du marchand de chaussures qui accepte de se donner à lui à condition qu'il ne cherche jamais à la revoir. Antoine doit alors quitter l’agence  et  devient réparateur de postes de télévision. Par hasard, il percute le véhicule du père de Christine.  Christine casse délibérément son téléviseur... Ils passeront enfin leur première nuit ensemble. Puis ils se marièrent et … : la suite dans Domicile conjugal et L’amour en fuite.

Baisers volés est sans aucun doute de tous les films de Truffaut, celui qui allie le plus tendresse et drôlerie, légèreté et mélancolie, très éloigné de ce que sera le très sombre La femme d’à côté (quoique...), histoire d’amour fou, de passion dévastatrice, qui nous emporte dans sa fièvre, son vertige étourdissant et bouleversant, comme elle emporte toute notion d’ordre social et la raison de ses protagonistes. Un film qui a la simplicité bouleversante d’une chanson d’amour, de ces chansons qui « plus elles sont bêtes plus, elles disent la vérité ». Très différent aussi de La Sirène du Mississipi (quoique, bis)  qui passe brillamment de la légèreté au drame et qui dissèque cet amour qui fait mal, à la fois "joie et souffrance", et s’achève par un plan dans la neige immaculée qui laisse partir vers son destin ce couple troublant qu'incarnent Deneuve et Belmondo , un nouveau départ, et nous avec le souvenir ému de cet amour fou que Truffaut, mieux que nul autre cinéaste, a su retranscrire à l'écran. Ces courtes digressions pour vous recommander aussi ces deux films...comme tous ceux de Truffaut d'ailleurs.

Baisers volés est en effet le plus léger des films de Truffaut. Il le doit essentiellement au contexte qui, lui, ne l’était pas. En témoigne le générique qui se déroule sur l’image des portes de la Cinémathèque fermées par des grilles. Le 9 février 1968, Langlois avait en effet été limogé  de la Cinémathèque (à laquelle le film est d’ailleurs dédié) dont il était alors fondateur et directeur alors que Truffaut souhaitait son maintien et comme il le disait lui-même il tourna alors le film en menant une « double vie de cinéaste et de militant », le tout trois mois avant mai 1968. (Langlois sera d’ailleurs réintégré, le 22 avril 1968). Le film est alors « devenu un jeu que l’on jouait quand on en avait le temps» d’après son réalisateur. De ces conditions particulières de tournage résulte cette impression d’insouciance, d’imprévisibilité, de légèreté, les séquences ayant été tournées comme autant de sketchs et surtout improvisées, ce qui explique aussi que le film soit aussi découpé. Il compterait ainsi environ 700 plans ! Le scénario signé François Truffaut, Claude de Givray, Bernard Revon n’en est pas moins le résultat d’une étude minutieuse. Ces derniers menèrent ainsi diverses enquêtes, un peu comme des journalistes passant ainsi beaucoup de temps dans une agence de détectives privés.

 Neuf ans après Les 400 coups, nous retrouvons avec plaisir Antoine Doinel, (il réapparaît entre temps dans le sketch de L’amour à 20 ans, un peu à part) alors âgé de 24 ans, sa démarche dégingandée, son air d’éternel adolescent rêveur, lunaire, parfois même absent, d’autant plus attachant. Antoine a grandi, du moins physiquement, mais ses gestes et ses actions sont plus que jamais empreints de maladresse. Si Antoine est un personnage anachronique et romantique, le film l’est aussi. Ce film est aussi un récit initiatique qui le voit passer d’inadapté pour qui tout est incertain et provisoire qui vit au gré de ses désirs à un être socialisé.

L’incertitude et l’instabilité concernent ainsi autant son travail que sa vie amoureuse : Antoine hésite entre la sage Christine et la sublime « apparition » Fabienne Tabard. Doinel n’est en effet pas un révolutionnaire mais un inadapté à la société dans laquelle il a dû mal à s’installer, ce qui le rend d’autant plus touchant et sympathique. Le « surjeu » de Jean-Pïerre Léaud s’accorde ( dans ce film plus que dans tout autre) parfaitement  à Antoine qui se compose alors un personnage. Il faut le voir répéter un nombre incalculable de fois, devant son miroir, son nom, et celui de Fabienne Tabard et Christine Darbon. Sans doute une des scènes les plus célèbres et significatives du film, Doinel y scandant le refrain de sa vie, celui de son incertitude obsessionnelle, portant en elle les germes de la folie qui s’emparera de nombre des personnages de Truffaut dans ses autres films, scène qui nous fait passer du rire, à l’étonnement, de l’attendrissement à la perplexité à l’inquiétude peut-être même. Truffaut dira lui-même que la seule raison initiale de ce film était de tourner  à nouveau avec Jean-Pierre Léaud alors qu’en général un film était pour lui la concordance d’un livre, une ambiance, un acteur.

L’improvisation contribue pour beaucoup à la fraîcheur et au caractère burlesque du film : beaucoup de scènes sont ainsi muettes et nous comprenons souvent les dialogues par la gestuelle. Les dialogues sont donc eux aussi souvent improvisés (comme cette scène où Claude Jade cherche le métier d’Antoine) et les acteurs avouent eux-mêmes qu’ils jouaient quand ils avaient le temps !

Si ce film est très drôle, il est aussi nostalgique.  Il doit ainsi son titre au refrain de la chanson de Charles Trenet Que reste-t-il de nos amours (« Bonheur fané, cheveux au vent, Baisers volés, rêves mouvants») qui sert de générique. C’est une éducation sentimentale aussi comique que mélancolique.

Malgré son caractère improvisé, Baisers volés n’en paraît pas moins maitrisé, notamment par la limpidité des mouvements de caméra comme dans la scène frénétique où Antoine s’enfuit de chez Fabienne Tabard après l’avoir appelée « Monsieur » (scène pour laquelle Truffaut dit avoir retenu les leçons d’Hitchcock, le plus difficile ne consistant pas à créer la tension mais la maintenir).

De ce caractère improvisé émane un charme ensorcelant, à la fois suranné et intemporel, contribuant à un film inclassable mêlant admirablement les genres, ne cessant jamais de nous dérouter comme cette scène qui fait référence au Lys dans la vallée de Balzac. Lorsqu’il écrit à Fabienne, Antoine compare ainsi son histoire avec Fabienne Tabard à celle entre Mme de Mortsauf et Félix de Vandenesse, ce à quoi Fabienne répondra, dans une scène à la fois sublime, drôle, touchante que « Mme de Mortsauf aimait Félix de Vandenesse. C’est une histoire lamentable. Elle est morte de n’avoir pu partager cet amour avec lui. Je ne suis pas une apparition ».

Le dénouement  de Baisers volés est annonciateur de thèmes chers à Truffaut (que l’on retrouve notamment dans La femme d’à côté mais aussi L’histoire d’Adèle H…) : la folie et la passion. Un homme énigmatique que l’on entrevoit au cours du film, et qui suit régulièrement Christine, lui fait une déclaration alors qu’elle est aux côtés d’Antoine, une déclaration à l’image de l’ensemble du film : drôle, touchante, surprenante, agrémentée d’une dose de suspense, voire d’absurde : « Je hais le provisoire. Tout le monde trahit tout le monde.[…]Moi, je suis définitif ». Truffaut disait lui-même « Avec les années qui passent, je crois que cette dernière scène de Baisers volés, qui a été faite avec beaucoup d’innocence sans savoir moi-même ce qu’elle voulait dire, devient presque une clef pour toutes les histoires que je raconte. »

Baisers volés a reçu : le Grand prix du cinéma français, le Prix Méliès, le Prix Louis-Delluc 1969, le Prix femina belge 1969, le Prix de l’Academy Motion Picture Arts and Sciences, le prix du British Film Institute, le prix de la Hollywood Foreign Association, et enfin il a été sélectionné pour représenter la France aux Oscars.

 

Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2021 Pin it! 0 commentaire

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel