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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 146

  • De retour...: projets, films et actualités à ne pas manquer!

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    Ecrire sur les films, c'est passionnant, mais raconter des histoires, écrire des romans et un film l'est encore plus. Au premier rang des multiples raisons de ce silence de 15 jours sur internet, la concrétisation d'un projet dont je vous parlerai plus longuement bientôt. Je peux en tout cas vous annoncer que mon nouveau roman sera publié en papier  (mais aussi en numérique) au printemps prochain dans une maison d'édition que je suis fière de rejoindre à cette occasion, une nouvelle qui me réjouit tout particulièrement. Elle en précédera d'autres qui devraient ravir les lecteurs de livres en papier.

    En attendant de vous faire suivre ici cette nouvelle aventure et ses différentes étapes, voici quelques films du mois passé qu'il ne faut pas manquer (et que vous pouvez donc encore rattraper) et des films prochainement à l'affiche que je vous recommande. Après plus de 15 jours d'absence, je reviens en effet pour vous livrer mes coups de cœur cinématographiques des semaines passées et à venir. Le blog reprendra ensuite un cours normal.

    Retrouvez-moi également en direct du  2ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule du 11 au 15 novembre. Retrouvez mon article sur le programme complet, en cliquant ici. Vous y trouverez aussi toutes les informations pratiques pour venir au festival et toutes mes bonnes adresses à La Baule.

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    Je suis également de retour sur les réseaux sociaux. Retrouvez mon actualité sur twitter (@moodforcinema), instagram (@sandra_meziere) et Facebook (http://facebook.com/inthemoodforcinema).

    Bientôt également de nouveaux concours qui vous permettront de gagner: des bijoux (sur http://inthemoodforhotelsdeluxe.com qui fait désormais une large part à la mode), des CD qui devraient ravir les amoureux de Scorsese (sur http://inthemoodforfilmfestivals.com) et d'autres belles surprises...

    MADAME BOVARY de Sophie Barthes

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    Dans cette nouvelle adaptation de « Madame Bovary » (oubliée du palmarès du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville), Sophie Barthes a choisi d’insister sur les difficultés économiques d’Emma qui dépense sans compter pour échapper à la monotonie de son existence. Comme dans le roman de Flaubert, Emma Rouault (Mia Wasikowska), tout juste sortie du couvent, épouse Charles Bovary (Henry Lloyd-Hughes), un médecin de campagne qui se réjouit d’avoir trouvé en elle la compagne parfaite. Emma occupe ses journées à aménager sa nouvelle demeure, dessine, joue du piano et reçoit avec élégance ses invités. Cette vie monochrome auprès d’un époux dénué de tout raffinement est bien loin des fastes et de la passion auxquels pourtant elle aspire. Ses rencontres avec le marquis d’Andervilliers (Logan Marshall-Green), le jeune clerc de notaire Léon (parfait Ezra Miller), et Monsieur Lheureux (Rhys Ifans, sournois et mielleux à souhait), un habile commerçant, vont lui donner, un temps, une nouvelle envie de vivre.

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    Tout me semblait avoir été dit sur le roman de Flaubert, qui en plus des nombreuses adaptations auxquelles il a déjà donné lieu (Renoir, Minnelli, Chabrol pour les plus remarquables) ne cesse d’inspirer des personnages de films qui empruntent à la mélancolie ou au bovarysme, affliction que ce chef d’œuvre littéraire a inventée et fait entrer dans le langage commun (défini par Flaubert comme «  la rencontre des idéaux romantiques face à la petitesse des choses de la réalité » en général suscité par des lectures romanesques). Et pourtant… dès les premiers plans qui placent d’emblée le film sous le sceau de la tragédie, cette course effrénée d’Emma, bouleversée, dans la manière de mettre en scène (la nature, les costumes), cette Madame Bovary semble exhaler le parfum des mots de Flaubert, chaque plan en retranscrivant ainsi la subtilité, la sensibilité, la mélancolie tragique, nous donnant des informations supplémentaires sur les états d’âme d’Emma, les images si soignées et signifiantes rendant hommage aux mots scrupuleusement choisis de Flaubert auxquels le film est parfois infidèle dans les événements mais fidèle dans l’esprit (Emma n’a pas d’enfant ici, la petite Berthe est ainsi absente du scénario).

    Sophie Barthes met ainsi en lumière la modernité du roman de Flaubert et des aspirations d’Emma : se sentir libre de vivre sa vie, ses passions, croyant les trouver dans les apparences et la consommation à outrance. Le paysage et les costumes vibrent à l’unisson avec les variations psychologiques d’Emma, cette femme emmurée dans les conventions, dans sa vie trop paisible et routinière de provinciale qui par les dépenses et la passion (ou plutôt son illusion) va croire y échapper.

    L’élégance de la réalisation et son intelligence (dans l’utilisation des couleurs, de la lumière, des décors, des costumes) sont d’une beauté triste à couper le souffle et rendent un sublime hommage au roman de Flaubert et, plus encore qu’à sa modernité, à son intemporalité.

    Dans le rôle d’Emma Bovary, Mia Wasikowska est parfaite, moins revêche que l’était Isabelle Huppert (non moins parfaite) dans l’adaptation de Chabrol. Sophie Barthes semble ainsi regarder Emma Bovary avec plus d’indulgence que ne le faisait Chabrol et lui apporter une douceur et une fragilité qu’elle n’avait pas dans l’adaptation chabrolienne.

    A découvrir en salles en France le 4 novembre 2015.

     

    LE FILS DE SAUL de Laszlo Nemes

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    Ci-dessus, Laszlo Nemes lors de la conférence de presse des lauréats du 68ème Festival de Cannes.

     

      « LE FILS DE SAUL» de László Nemes, grand prix du Festival de Cannes 2015, est un film qui DOIT être vu, montré, dans les écoles et ailleurs, parce que c’est plus que jamais nécessaire de ne pas oublier jusqu’à quelle inimaginable ignominie la haine de l’autre a pu mener,  un grand film, ce film dont Thierry Frémaux en conférence de presse d'annonce de sélection Festival de Cannes avait parlé comme d’un « film qui fera beaucoup parler », le premier premier film à figurer en compétition officielle du Festival de Cannes depuis 4 ans.

    L’action se déroule en Octobre 1944, à Auschwitz-Birkenau. Saul Ausländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums où il est chargé de « rassurer » les Juifs qui seront exterminés et qui ignorent ce qui les attend, puis de nettoyer… quand il découvre le cadavre d’un garçon en lequel il croit ou veut croire reconnaître son fils. Tandis que le Sonderkommando prépare une révolte (la seule qu’ait connue Auschwitz), il décide de tenter l’impossible : offrir une véritable sépulture à l’enfant afin qu’on ne lui vole pas sa mort comme on lui a volé sa vie, dernier rempart contre la barbarie.

    La profondeur de champ, infime, renforce cette impression d’absence de lumière, d’espoir, d’horizon, nous enferme dans le cadre avec Saul, prisonnier de l’horreur absolue dont on a voulu annihiler l’humanité mais qui en retrouve la lueur par cet acte de bravoure à la fois vain et nécessaire, son seul moyen de résister.

    Que d’intelligence dans cette utilisation du son, de la mise en scène étouffante, du hors champ, du flou pour suggérer l’horreur ineffable, ce qui nous la fait d’ailleurs appréhender avec plus de force encore que si elle était montrée.

    László Nemes s’est beaucoup inspiré de « Voix sous la cendre », un livre de témoignages écrit par les Sonderkommandos eux-mêmes. Ce film a été développé à la résidence de la Cinéfondation du Festival de Cannes 2011. Aussi tétanisant et nécessaire que Shoah de Claude Lanzmann. C’est dire… Ma palme d’or du Festival de Cannes 2015. Sortie en salles le 4 novembre 2015.

    MON ROI de Maïwenn (en salles depuis le 21 octobre 2015)

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    Vincent Cassel, dans son meilleur rôle (celui de Georgio) suscite chez Tony (Emmanuelle Bercot), une passion étouffante et destructrice qu’elle se remémore alors qu’elle est dans un centre de rééducation après une chute de ski. Une relation amoureuse tumultueuse mêlant « joie et de souffrance » chères à Truffaut.

    Un film qui exerce le même charme, doux et âpre, la même fascination troublante que le personnage principal. Le spectateur est lui aussi sous emprise. Vincent Cassel est un Georgio diaboliquement séduisant, envoûtant, un roi autoritaire, inique, détestable et malgré tout charmant, qu’il imite un serveur dans un célèbre palace deauvillais ou qu’il jette son portable (pour « donner son portable » suite à sa rencontre avec Tony) comme un roi fier, désinvolte, lunatique, arrogant, ensorcelant comme il l’est avec le sujet de son désir.

    Plutôt que d’en faire un pervers narcissique caricatural, Maïwenn lui dessine des failles (une relation au père puis à sa disparition moins indifférente qu’il voudrait le laisser paraître).

    Face à Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot incarne corps et âme cette femme aveuglée par l’amour qui aime follement dont, justement, le corps et l’âme souffrent et vibrent pour et par cet homme.

    Maïwenn n’a peur de rien, ni d’appeler son personnage féminin « Marie-Antoinette » (d’où Tony), ni du mal au genou parce que mal au « je nous », c’est ce qui agacera ou charmera mais cette audace fougueuse est plutôt salutaire dans un cinéma français parfois trop aseptisé.

    Un film qui, dès les premières minutes, où Tony se jette à corps perdu dans le vide, nous happe pour ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière seconde et jusqu’à la très belle scène finale.

    A signaler : un Louis Garrel sous un nouveau jour, irrésistiblement drôle, qui apporte une respiration dans cet amour étouffant.

    Après le prix du jury en 2011 pour « Polisse », avec son quatrième film seulement, Maïwenn confirme être une cinéaste de talent avec laquelle il va falloir compter.

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    Un rôle qui a valu à Emmanuelle Bercot le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2015 pour lequel elle a vivement remerciée sa réalisatrice et son partenaire :

    -« Mon bonheur de devoir partager ce bonheur avec une actrice car un peu trop grand pour moi toute seule car ce prix récompense son audace, son sens aigu de la liberté, son anticonformisme. »,

    -« C’est difficile pour moi d’être ici sur cette scène sans Vincent Cassel. Vincent Cassel, mon roi c’est toi et moi, je sais ce que je te dois. » ,

    - « Merci à ce jury qui visiblement a la même dinguerie que Maïwenn, le même sens de la liberté, de la non convention. Je réalise juste que parfois la vie peut aller au-delà des rêves, ce soir, la vie va au-delà de tous mes rêves. »

    THE LOBSTER de Yorgos Lanthimos

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    Dans un futur (très- trop ?- proche), toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l’hôtel et a 45 jours pour trouver l’âme sœur. Passé ce délai, elle sera transformée en l’animal de son choix. C’est ce qui attend David incarné par Colin Farrell qui se retrouve dans ce fameux hôtel luxueusement glacial avec d’autres célibataires parce que que sa compagne vient de le  quitter. Moins conformiste que les autres qui choisissent généralement le chien (comme son frère qu’il traine  partout où il va), il opte pour le homard parce qu’il vit longtemps, qu’il a le sang bleu et qu’il a toujours aimé l’eau. Ceux qui trouvent l’âme sœur auront droit à une chambre plus grande, voire à un enfant (parce que « cela aide en cas de difficultés ») et, régulièrement, des démonstrations par l’absurde, leur prouvent les avantages de la vie à deux comme…ne pas mourir étouffé si on avale de travers. Pour échapper à ce destin, David s’enfuit et rejoint alors un groupe de résistants : les Solitaires …dont les règles sont aussi sectaires que celles du groupe qu’il vient de quitter.

    Un film déroutant, cinglant, burlesque, métaphorique, inventif, dans lequel l’homme est un loup pour l’homme (littéralement) –ou un Rhinocéros aurait dit Ionesco, la rhinocérite dans sa pièce éponyme métaphorisant une autre forme de totalitarisme-, profondément égoïste et dont la fin n’est pas décevante comme l’ont déploré certains commentateurs mais au contraire illustre brillamment ce propos. Le couple devient un totalitarisme condamnant le solitaire à l’animalité, excluant tout sentiment.

    Un film intelligemment singulier qui regorge de trouvailles insolites, certes sous influences, notamment de Buñuel (« Un chien andalou »), mais qui ne ressemble à aucun autre… Même l’univers amoureux est régi par des lois, des règles. Pour former un couple les individus doivent avoir un point commun (une myopie, un saignement de nez) et sont bien souvent conduits à mentir pour se conformer à ces principes. La spontanéité n’existe plus. Par l’absurde et la dystopie, Lanthimos souligne les contradictions de notre société, et ses tentations totalitaires. La photographie grisâtre, les ralentis, sont au service de cet univers régi par des règles implacables.

    Colin Farrell est méconnaissable et parfait pour incarner cet homme égaré entre ces deux mondes sectaires et conformistes. Un film constamment inattendu qui regorge de trouvailles (souvent au second plan), comme une gestuelle décalée, parfois « animalière ».

    Un ton  incisif, caustique et une incontestable inventivité visuelle au service d’une brillante satire de notre société qui condamne à s’identifier à des modèles…ou tuer l’autre pour exister. Brillant !

    IRRATIONAL MAN de Woody Allen

     

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    Irrational man, c’est LA nouvelle comédie de Woody Allen pour le cinéma duquel, définitivement, le terme « jubilatoire » semble avoir été inventé.   Ce film d’une gravité légère mêle savoureusement ironie et noirceur qui culminent dans une scène de meurtre sur une musique joyeuse, un petit bijou d’ironie. Comme dans  Match point, mensonge, hasard, Dostoïevski (forte influence à nouveau de Crime et châtiment) se mêlent, bien que ce film soit plus léger que son chef d’œuvre précité. Woody Allen possède toujours ce talent admirable, et qui n’appartient qu’à lui, pour exposer une scène et écrire des dialogues caustiques avec toujours ce regard mordant, incisif sur les êtres, la vie, l’amour, la mort. La fin  résonne comme un écho à celle de Match point, ou peut-être bien son châtiment. Savoureux !  Joaquin Phoenix est parfait dans ce rôle de professeur de philo dépressif qui trouve une bien curieuse raison de vivre que je vous laisse découvrir (en salles depuis le 14 octobre). Face à lui, la pétillante Emma Stone et la trop rare Parker Posey. 

    YOUTH de Paolo Sorrentino

     

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    « Youth » de Paolo Sorrentino est une symphonie visuelle éblouissante qui fait valser jeunesse, vieillesse et désirs, hymne au pouvoir émotionnel de l’art, un film qui a séduit certains festivaliers de Cannes où le film figurait en compétition officielle autant qu’il en a agacé d’autres (le film a été applaudi et hué lors de sa projection presse) et je fais partie de la première catégorie.

    Tout comme « La grande Bellezza » nous parlait de laideur et non de beauté, « Youth », logiquement ne nous parle pas de jeunesse mais de vieillesse, de ce qui reste quand le temps saccage tout ou l’histoire de deux amis, l’un chef d’orchestre (formidable Michael Caine) et l’autre réalisateur (Harvey Keitel) qui profitent de leurs vacances dans un hôtel au pied des Alpes. Quand l’un a abandonné sa carrière depuis longtemps, l’autre travaille sur son dernier film…

    A voir aussi pour l’apparition remarquée et remarquable de Jane Fonda.

    Nostalgique et caustique, élégant et parfois à la limite du vulgaire, jouant de saisissants contrastes entre les corps marqués par le temps et ceux d’une jeunesse presque irréelle, entre l’apparence de sagesse et de calme (du paysage et des personnages) et ce qu’ils dissimulent, entre le souvenir du passé et sa réalité, « Youth », à l’image de son titre aime à se jouer des paradoxes, des contrastes, des trompes-l’ œil au cœur de ce paysage trompeusement serein.

    NOTRE PETITE SOEUR de Kore-Eda

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     Notre petite sœur » de Kore-Eda fut mon premier coup de cœur du dernier Festival de Cannes, un film qui raconte l’histoire de trois sœurs qui se rendent à l’enterrement de leur père qui les avait abandonnées une quinzaine d’années auparavant et qui, à cette occasion, font la connaissance de leur demi-sœur qu’elles décident d’accueillir dans leur grande maison familiale. Un film lumineux qui évoque avec beaucoup de délicatesse, l’indicible douleur de l’absence et des douleurs enfouies. Cette adaptation d’un roman graphique aurait mérité une plus longue ovation que celle, fugace, reçue lors de sa projection officielle.

    Et toujours visible sur YouTube: HUMAN de Yann Arthus-Bertrand

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    Après avoir été présenté au siège des Nations Unies à New York, à la Mostra de Venise (hors compétition) et à la Fête de l’humanité, le même jour et dans sa version cinématographique, ainsi que dans 500 cinémas en France, « Human », le documentaire de Yann Arthus-Bertrand a été diffusé le 29 septembre, à 20H55, sur France 2. C’est cette version (plus courte que la version cinématographique mais non moins intense) que j’ai visionnée pour vous et dont je tenais absolument à vous parler aujourd’hui. Cette soirée événement s’achèvera à 4h00 du matin. En plus du documentaire, vous pourrez en effet ainsi découvrir un ensemble de programmes auxquels le projet a donné lieu qui seront tous en replay sur Pluzz pendant 30 jours.

     

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    « Home », le précédent film de Yann Arthus-Bertrand sorti en 2009 était un hymne à la terre qui nous expliquait que, en 200 000 ans d’existence, l’Homme avait rompu un équilibre fait de près de 4 milliards d’années d’évolution. Certaines images restent encore gravées dans ma mémoire : ces tours insolentes et dévastatrices qui conquièrent le ciel de Shanghai (3000 tours érigées en 20 ans), ces villes tentaculaires qui se gorgent d’eau face à ces étendues asséchées, dans d’autres endroits de la planète, où elle est une quête quotidienne et vitale (500 millions d’Hommes habitent ainsi des contrées désertiques !), cette sidérante standardisation, jusqu’aux pavillons de Pékin qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de Palm Springs, autant de témoignages de la construction à outrance, comme encore la monstruosité bétonnée de Dubaï qui contraste tellement avec l’image sublimement   simple et rare qui lui succède, celle d’une baleine qui nage dans la mer. Je me souviens aussi de l’exemple très parlant de l’île de Pâques où la civilisation n’a pas survécu après avoir été exploitée jusqu’au bout, autrefois une des plus brillantes.   Plus manichéen que « Human », « Home » opposait ainsi la culture dévastatrice à la nature bienveillante, une opposition alors appuyée par une musique angoissante lorsqu’étaient montrées des mégalopoles ou une musique lénifiante et rassurante quand il s’agissait des paysages vierges de toute habitation.

     

     

    Six ans plus tard sort donc « Human », un projet salutairement fou, incroyablement ambitieux, utopiste, (planétaire !), dont la réalisation a nécessité 3 ans, 110 tournages dans 65 pays, pour recueillir 2020 récits de vie dans pas moins de 63 langues grâce à une équipe de 16 journalistes, 20 chefs-opérateurs, 5 monteuses et 12 personnes pour la production.

     

    Quels que soient le pays, les cultures, l’âge ou les religions, les personnes qui ont recueilli les témoignages ont soumis aux participants les mêmes questions essentielles autour de la condition humaine, ces questions que nous préférons en général ne pas nous poser car elles nous mettent face à la vanité, peut-être la vacuité, en tout cas la finitude de nos existences :

     

    Vous sentez-vous libre ? Quel est le sens de la vie ? Quelle est l’épreuve la plus difficile que vous avez dû affronter et qu’en avez-vous appris ? Quel est votre message pour les habitants de la planète ?…

     

    Ces témoignages sont entrecoupés d’images aériennes inédites d’une beauté vertigineuse, fulgurante, étourdissante qui subliment la planète ou parfois mettent l’accent sur ses drames écologiques.

     

    D’abord, d’emblée, se succèdent des visages sur fond noir face caméra que cette sobriété met en relief. Autant de regards. D’histoires. D’expressions. Des parcours de vie. Un visage sur lequel coule une larme. Des yeux qui se ferment. Qui ouvrent sur un paysage désertique d’une beauté époustouflante. Tel un rêve. Des hommes gravissent ensuite cette montagne désertique sur laquelle apparaît le titre « Human » comme une parabole de toutes ces destinées éprouvées mais combattives qui vous nous happer dans leurs récits et face auxquelles, cette fois, nous ne pourrons détourner le regard. Une musique qui fend l’âme parachève l’ensemble.

     

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    Puis cela commence réellement par le témoignage bouleversant d’un homme qui fut battu par son père : « Je me souviens… ». « Pendant de nombreuses années j’ai cru que l’amour devait faire mal. » Je vous laisse découvrir son poignant témoignage comme le seront tous ceux qui vont lui succéder exacerbés par ce dispositif qui donne l’impression que chacun d’entre eux s’adresse directement à nous, qui renforce la résonance de certains drames ou bonheurs, qui renforce la force des mots, des visages, des regards, des silences, annihilant les différences pour souligner les peurs, les révoltes, les aspirations communes. Comme un miroir des nôtres. Des moments de vérité face auxquels il est impossible de rester insensible qui nous bousculent, nous heurtent, pansent -un peu- ou avivent nos plaies par l’écho ou la prise de conscience qu’ils provoquent.

     

    Ce dispositif singulier nous contraint judicieusement à regarder, à affronter le regard de l’autre alors que notre attention est sans cesse sollicitée, dispersée, aveuglée nous faisant éluder les questions essentielles auxquelles ces témoignages nous confrontent. Pendant les témoignages, d’autres visages défilent sur l’écran, soulignant ainsi l’universalité des propos.

     

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    Les images aériennes inédites sublimées par une musique ensorcelante signée Armand Amar créent une respiration entre les témoignages et soulignent la beauté sidérante et hétérogène du monde. Le reflet du ciel dans les rizières. Le soleil qui se réverbère dans le bleu azuré de la mer. La spectaculaire et terrifiante fureur des océans. Les méandres improbables et fascinants du salar d’Uyuni en Bolivie. Ces enfants qui chevauchent dans les steppes mongoles. Des images poétiques, envoûtantes, lyriques qui ressemblent parfois à des tableaux abstraits comme un contrepied au réalisme et à la sobriété des témoignages.

     

    Ces images sont aussi parfois tristement absurdes quand l’humanité et la singularité s’égarent dans l’uniformité que ce soit celle de cette vague humaine de Chinois à Chengdu avec leurs bouées colorées ou celle qui lui succède de cette multitude de mariés en noir et blanc. Comme un écho à ce building avec tous ces bureaux uniformes. Derrière une vitre y apparaît ainsi un homme seul au téléphone. Lui succède l’image d’un homme lui aussi seul sur une montagne dans le désert. Des multitudes. Des solitudes. Par-delà les océans et les frontières. Les disparités et les paradoxes du monde sont alors flagrants et parfois dans un même pays comme le souligne le témoignage de cet homme qui raconte comment, en Inde, ceux qui ont fui à cause de la crise de l’eau se retrouvent, dans le même pays, à construire des buildings avec des piscines à chaque étage rivalisant de gigantisme et de luxe ostentatoires.

     

    Tant d’images, de visages mais de mots aussi qui vous bousculeront longtemps après la projection  comme ceux de cet enfant, « Je n’ai pas peur de la mort si c’est pour la Syrie », Comme cette femme qui crie « on est train de mourir. Mais personne ne nous écoute. » Et tant d’autres : « Tout cela a fait naître en moi l’amour de la haine, l’amour de la vengeance. L’homme ne nait pas avec ces sentiments-là, ils s’installent avec le temps, avec ce qu’on vit. » A hauteur d’hommes, les témoignages soulignent l’absurdité des conflits récurrents qui déchirent la planète à l’image du conflit israélo-palestinien lorsqu’un Palestinien puis un Israélien témoignent de la mort de leurs filles qu’il a provoquée et appellent pareillement au pardon et à la paix.

     

    « Human » possède la vertu inestimable de donner du temps à la parole et aux silences quand le fonctionnement médiatique actuel, dans l’urgence et dans l’immédiateté, condamne la première à être si souvent résumée, caricaturée, interrompue et le second à être banni alors qu’il peut être, comme il l’est parfois dans ce documentaire, si bavard et riche de sens.

     

    Bien plus qu’un documentaire et un projet salutairement naïf et pharaonique, « Human » est un voyage émotionnel d’une force redoutable, une démonstration implacable de la réitération des erreurs de l’humanité, une radiographie saisissante du monde actuel, un plaidoyer pour la paix, pour l’écoute des blessures de la planète et de l’être humain dans toutes leurs richesses et leurs complexités, une confrontation clairvoyante, poignante au monde contemporain et à ceux qui le composent.

     

    Si je ne devais retenir que deux phrases, ce seraient sans doute celles-ci, un appel à l’humanité et aux réminiscences d’enfance, que nous portons tous en nous :

     

    -« N’oubliez pas qui vous êtes et souriez toujours car sourire est le seul langage universel. »

     

    -« La vie c’est comme porter un message de l’enfant que tu as été au vieillard que tu seras. Il faut faire en sorte que ce message ne se perde pas en route. »

     

    Un documentaire nécessaire, d’une bienveillance, d’une empathie et d’une utopie salutaires quand le cynisme ou l’indifférence sont trop souvent glorifiés, et parfois aussi la cause des tourments et les ombres du monde que « Human » met si bien en lumière. Préparez-vous à être emportés par ce torrent d’émotions.  A voir absolument !

     

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    A voir en complément : « La glace et le ciel » de Luc  Jacquet en salles depuis le 21 octobre 2015 et dans lequel le réalisateur de « La Marche de l’Empereur » (Oscar du meilleur documentaire en 2006), braque de nouveau sa caméra sur la fragile beauté de la nature avec ce portrait de Claude Lorius, glaciologue, l’homme qui a scientifiquement prouvé l’inexorable réchauffement climatique.

    Le cinéaste capte la beauté fragile et éblouissante d’une nature en péril pour souligner la nécessité impérieuse de prendre conscience de l’urgence de la situation. La phrase finale du film, bouleversante, est un appel à l’action et la résistance résumant le message de ce film fort et là aussi indispensable. A voir, a fortiori, en amont de Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015.)

     

  • Exposition Martin Scorsese à la Cinémathèque Française: conférence de presse et vernissage

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    Difficile de l’ignorer au regard de la médiatisation dont elle fait l'objet mais je ne résiste pas à l’envie de vous parler à mon tour de l’ exposition Scorsese qui a lieu à la Cinémathèque Française du 14 octobre 2015 au 14 février 2015 accompagnée d’une rétrospective (intégrale !) de l’œuvre du cinéaste du 14 octobre au 30 novembre 2015 d’autant plus que j’ai eu le plaisir d’assister au vernissage de l’exposition ainsi qu’à la passionnante conférence de presse de Martin Scorsese (à qui le Festival Lumière de Lyon décernera ce soir le prix Lumière comme l’a rappelé Serge Toubiana lors de la conférence de presse).

    Cinéaste intrinsèquement new-yorkais, Martin Scorsese est aussi un cinéphile érudit qui a par ailleurs créé la Film Foundation pour préserver la mémoire du cinéma. C’est ainsi à ce titre que, en 2010, il avait présenté « Le Guépard » de Visconti projeté dans le cadre de Cannes Classics au Festival de Cannes, moment inoubliable dont vous pouvez retrouver mon récit, ici…La mission de la Film Foundation est ainsi la conservation du patrimoine cinématographique mondial.

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    Scorsese revient ainsi à la Cinémathèque Française dix ans après y être venu lors de l’inauguration du bâtiment de Frank Gehry.

    Que vous aimiez le cinéma de Scorsese ou non, que vous le connaissiez plus ou moins bien, je ne peux que vous encourager à découvrir cette exposition qui vous immergera dans son univers, ses racines, ses décors, ses thématiques récurrentes et vous (dé)montrera la cohérence et l’intelligence indéniables et admirables de son cinéma. Il s’agit en effet de la plus importante exposition jamais réalisée sur le cinéaste, une exposition conçue par la Deutsche Kinemathek, Museum for Film and Television, Berlin et retravaillée avec la complicité de Kristina Jaspers et Nils Warnecke, les deux commissaires, et par Matthieu Orléan.

    L’exposition est divisée en 5 partie. La première intitulée «  de nouveau héros » vous immergera dans le clan familial qui a tant inspiré son cinéma, mais aussi dans le monde des gangs. La deuxième partie intitulée « Crucifixion » est consacrée à l’influence de l’Eglise catholique dans son cinéma (Scorsese souhaitait devenir prêtre dans sa jeunesse). Ne manquez pas les images de films mises en parallèle à l’entrée de l’exposition et qui montrent magnifiquement à quel point cette thématique est présente dans son œuvre.

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    La troisième partie évoque un personnage incontournable de son oeuvre  : New York, théâtre fascinant de ses films (il a grandi dans le quartier de Little Italy qui imprègne tant son cinéma), dont, comme Woody Allen, pour reprendre les termes de Serge Toubiana il est « un des plus grands chroniqueurs de ses métamorphoses ». La quatrième partie évoque ses « inspirations » comme Hitchcock à qui il fait régulièrement référence allant aussi jusqu’à collaborer avec Bernard Herrmann, son compositeur dont le maître du suspense est indissociable, mais aussi des techniciens ayant collaboré avec Hitchcock. Cette partie évoque aussi ses nombreuses références au patrimoine cinématographiques a fortiori dans ses films qui y sont consacrés comme « Aviator » en 2004 ou encore « Hugo Cabret » en 2011. Enfin, la dernière partie intitulée « Maestria » est consacrée à l’habileté et la virtuosité de sa mise en scène et démontre la construction visuelle de ses films plan par plan, notamment à travers des story boards. Vous y croiserez bien sûr ses acteurs fétiches : De Niro, DiCaprio, Keitel.

    Véritable caverne d’Ali Baba, cette exposition vous permettra de découvrir de nombreux documents fascinants : photographies, storyboards, costumes, affiches, objets culte… L’exposition Martin Scorsese s’appuie principalement sur sa propre collection privée à New York, ainsi que sur la collection de Robert De Niro et celle de Paul Schrader. Je vous laisse découvrir ci-dessous mes clichés de quelques-uns de ces documents qui vont feront écarquiller vos yeux de cinéphiles!

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    Comme moi, je vous garantis que vous ressortirez avec une seule envie : revoir toute l’œuvre de Scorsese que cette exposition éclaire magnifiquement.

     Serge Toubiana inscrit « Le temps de l’innocence » parmi les 10 meilleurs films de l’histoire du cinéma, c’est aussi mon Scorsese préféré que je vous invite à revoir. Retrouvez également, ci-dessous, ma critique de « Shutter island » que vous pourrez également (re)voir dans le cadre de la rétrospective. Je vous recommande aussi d’aller faire un tour sur le site officiel de la Cinémathèque Française particulièrement bien agencé et sur quel vous retrouverez de  nombreux documents  liés à l’exposition : http://www.cinematheque.fr/   /

    Vous pourrez également asssister aux projections et conférences suivantes :

    Jeudi 22 octobre à 19H : « Scorsese, l’homme par qui le rock a envahi le cinéma »par Michka Assayas

    Jeudi 5 novembre à 19H : « Taxi Driver » : un montage, dé-montages » par Bernard Benouel

    Jeudi 19 novembre à 19H : « Martin Scorsese : vitesse trompeuse » par Jean-Baptiste Thoret

    En ligne sur Cinematheque.fr : le New York de Martin Scorsese

    Martin Scorsese recevra le prix Lumière ce vendredi à Lyon

    Sur Arte : cycle Martin Scorsese du 12 au 18 octobre

    Sur Canal + mardi 13 octobre à 20H55 : diffusion en première exclusivité du « Loup de Wall Street »(2013)

    Sur Cine + club dimanche 25 octobre à 20H45 : « Les Nerfs à vif » (1991) suivi de « Casino »(1995)

    Informations pratiques :

    La Cinémathèque Française

    Musée du Cinéma

    51 rue de Bercy

    75012 Paris

    Informations : 0171193333

    Martin Scorses, l’exposition

    Du lundi au samedi (sauf fermeture mardi 25 décembre et 1er janvier) : de 13h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 22H

    Samedi, dimanche et vacances scolaires de Toussaint et Noël : de 10h à 20H

    Plein Tarif : 12 euros – Tarif réduit : 9 euros – Moins de 18 ans : 6 euros – Libre Pass : accès libre

    Quelques extraits vidéos de la conférence de presse et quelques citations extraites de celle-ci :

    « C’est la première fois que je vois l’exposition et c’est assez bouleversant. »

    « Avec De Niro comme avec DiCaprio la confiance est réciproque, c’est une amitié qui fait que le travail est facile. »

    « Dans ma famille on ne lisait pas mais on racontait beaucoup d’histoires et on écoutait beaucoup de musiques. »

    « Je me fais du souci pour les jeunes et pour ce que représente le cinéma pour eux. » (à propos des blockbusters)

    « Aviatior est à part car on le voulait à très grande échelle mais pour les autres c’est seulement en cours de route qu’on a réalisé. »

    « Pasolini a tourné la plus belle adaptation de l’Evangile, c’est le film que j’aurais voulu tourner . »

    « J’ai vu Accatone à la projection presse en 1966 au Festival de New York, c’est un film bouleversant. »

    « La première musique qui a provoqué des émotions en moi est celle de Django Reinhardt ».

    « J’ai une relation directe avec les financiers qui investissent dans mes films. Il y a eu une traversée du désert dans les 80′. »

    « L’idée de départ était lien entre le storyboard et l’art contemporain pour l’expo à Berlin avant de faire une expo plus large. »

    « Depuis une quinzaine d’années mes dessins sont devenus des croquis plus petits et rapides ».

    « J’ai l’habitude de penser en termes de séquences, d’anticiper en termes de séquences montées. »

     

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    La musique est un acteur indissociable du cinéma de Scorsese et en est même une composante essentielle. Pour prolonger le plaisir de l’exposition Scorsese à la Cinémathèque Française, je vous recommande vivement les 4 CD « The Cinema of Martin Scorsese » dans lesquels vous retrouverez les inoubliables musiques de ses films. La musique a bercé l’existence de Scorsese et a influé sur son cinéma, que ce soit le son et le «  rythme de la langue sicilienne, de l’anglais avec accent sicilien » ou des musiques qui flottaient dans le quartier de son enfance, le quartier new-yorkais de Little Italy. Des musiques qui se répondent et se font écho parfois d’un film à l’autre, prouvant à qui en douterait encore à quel point son cinéma est un impressionnant édifice d’une logique implacablement construite et à quel point Scorsese est cinéphile mais aussi mélomane. Preuve en est notamment sa collaboration avec Bernard Herrmann (LE compositeur d’Hitchcock qui a beaucoup influencé son cinéma) pour »Taxi driver ». « The Cinema of Martin Scorsese » vous permet d’écouter chronologiquement les musiques de ses films qu’elles soient originales ou non et ainsi de vous replonger dans leurs singulières ambiances. 5 heures de musique pour revisiter le cinéma de Scorsese, en appréhender la richesse et la construction musicales. Au programme donc notamment les musiques de Bernard Herrmann, Howard Shore, ou encore Peter Gabriel mais aussi Bach ou encore les voix de Tony Bennett ou Aretha Franklin. Une orfèvrerie musicale qui témoigne de l’éclectisme musical qui imprègne les films de Scorsese. Pour ma part, je suis totalement envoûtée par la musique du « Temps de l’innocence » (composée par Elmer Bernstein) à réécouter sans modération :

    Une compilation Decca Records – Un label Universal Music France – A gagner prochainement sur Inthemoodforfilmfestivals.com et Inthemoodforcinema.com.

    Critique de SHUTTER ISLAND de Martin Scorsese (critique publiée lors de la sortie du film) –

    A voir à la Cinémathèque le lundi 19 octobre à 16H30/ le mercredi 4 novembre à 19H/ le samedi 28 novembre à 15H30

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    Cela faisait longtemps. Longtemps que j’entendais parler de cette adaptation tant attendue du best seller de 2003 de Dennis Lehane (que je n’ai pas lu et qui est également l’auteur de best-sellers ayant donné lieu à d’excellentes adaptations cinématographiques comme « Mystic river » de Clint Eastwood et, dans une moindre mesure, « Gone baby gone » de Ben Affleck). Longtemps que je n’avais pas ressenti un tel choc cinématographique. Longtemps qu’un film ne m’avait pas autant hantée des heures après l’avoir vu… Un grand film, c’est en effet comme un coup de foudre. Une évidence. Une évidence qui fait que les mots à la fois manquent et se bousculent. Je vais essayer de trouver les plus justes pour vous faire partager mon enthousiasme sans trop en dévoiler.

    Avant toute chose, il faut que je vous présente « Shutter island ». Shutter island est une île au large de Boston sur laquelle se trouve un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. Une île séparée en trois bâtiments : un pour les femmes, un pour les hommes et un pour les criminels les plus dangereux, enfin quatre si on compte son phare qui détient la clef de l’énigme. En 1954, l’une des patientes, Rachel Solando, a mystérieusement disparu… alors que sa cellule était fermée de l’extérieur, laissant pour seul indice une suite de lettres et de chiffres. Le marshal Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et son coéquipier Chuck  Aule (Mark Ruffalo) sont envoyés sur place pour résoudre cette énigme… Alors qu’une forte tempête s’abat sur l’île isolée, une plongée dans un univers étrange, sombre, angoissant s’annonce alors pour Teddy qui devra aussi affronter ses propres démons.

    Rarement un film aura autant et si subtilement fait se confondre la fond et la forme, le ressenti du personnage principal et celui du spectateur. Dès le premier plan, lorsque Teddy, malade, rencontre son coéquipier sur un ferry brinquebalant et sous un ciel orageux, Scorsese nous embarque dans l’enfermement, la folie, un monde mental qui tangue constamment, flou, brouillé. Tout est déjà contenu dans cette première scène : cette rencontre qui sonne étrangement, le cadre  qui enferme les deux coéquipiers et ne laisse voir personne d’autre sur le ferry, cette cravate dissonante, le mal de mer d’un Teddy crispé, le ciel menaçant, les paroles tournées  vers un douloureux passé.

    Puis, c’est l’arrivée sur l’île et toute la paranoïa que Scorsese suggère en un plan : un visage informe, un regard insistant… En quelques plans subjectifs, Scorsese nous « met » dans la tête de Teddy, nous incite à épouser son point de vue, à ne voir et croire que ce que lui voit et croit. Nous voilà enfermés dans le cerveau de Teddy lui-même enfermé sur « Shutter island ». Avec lui, nous nous enfonçons dans un univers de plus en plus menaçant, sombre, effrayant, déroutant. L’étrangeté des décors gothiques, l’instabilité du climat coïncident avec cette fragilité psychique. Tout devient imprévisible, instable, fugace, incertain.

    Commence alors la quête de vérité pour Teddy alors que surgissent des images du passé : des images de sa femme défunte et des images de l’horreur du camp de concentration de Dachau dont Teddy est un des « libérateurs », images qui se rejoignent et se confondent parfois. L’hôpital, autre univers concentrationnaire  rappelle alors les camps, avec ses êtres moribonds, décharnés, ses barbelés…, d’autant plus qu’il est dirigé par l’Allemand Dr Naehring. La guerre froide pendant laquelle se déroule l’intrigue, période paranoïaque par excellence, renforce de climat de suspicion. L’action est par ailleurs concentrée sur quatre jours, exacerbant encore l’intensité de chaque seconde, le sentiment d’urgence et de menace.

    Chaque seconde, chaque plan font ainsi sens. Aucun qui ne soit superflu. Même ces images des camps dont l’esthétisation à outrance m’a d’abord choquée mais qui en réalité sont le reflet de l’esprit de Teddy qui enjolive l’intolérable réalité. Même (surtout) cette image envoûtante d’une beauté poétique et morbide qui fait pleuvoir les cendres.

    A travers la perception de la réalité par Teddy, c’est la nôtre qui est mise à mal. Les repères entre la réalité et l’illusion sont brouillées.  A l’image de ce que Teddy voit sur Shutter island où la frontière est si floue entre l’une et l’autre, nous interrogeons et mettons sans cesse en doute ce qui nous est donné à voir, partant nous aussi en quête de vérité. Le monde de Teddy et le nôtre se confondent : un monde de cinéma, d’images trompeuses et troublantes qui ne permet pas de dissocier vérité et mensonge, réalité et illusion, un monde de manipulation mentale et visuelle.

    Pour incarner cet homme complexe que le traumatisme de ses blessures cauchemardesques et indélébiles et surtout la culpabilité étouffent, rongent, ravagent, Leonardo DiCaprio, habité par son rôle qui, en un regard, nous plonge dans un abîme où alternent et se mêlent même parfois angoisse, doutes, suspicion, folie, désarroi (interprétation tellement différente de celle des « Noces rebelles » mais tout aussi magistrale qui témoigne de la diversité de son jeu). La subtilité de son jeu  fait qu’on y croit, qu’on le croit ; il est incontestablement pour beaucoup dans cette réussite. De même que les autres rôles, grâce à la duplicité des interprétations (dans les deux sens du terme): Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Michelle Williams, Emily Mortimer, Patricia Clarkson, Max von Sydow…

    Le maître Scorsese n’a pas son pareil pour créer une atmosphère oppressante, claustrophobique, pour déstabiliser les certitudes. Une œuvre pessimiste d’une maîtrise formelle et scénaristique impressionnante, jalonnée de fulgurances poétiques, dont chaque plan, jusqu’au dernier, joue avec sa et notre perception de la réalité. Un thriller psychologique palpitant et vertigineux. Une réflexion malicieuse sur la culpabilité, le traumatisme (au sens éthymologique, vcous comprendrez en voyant le film)  et la perception de la réalité dont le film tout entier témoigne de l’implacable incertitude. Ne cherchez pas la clef. Laissez-vous entraîner. « Shutter island », je vous le garantis, vous emmènera bien plus loin que dans cette enquête policière, bien plus loin que les apparences.

    Un film multiple à l’image des trois films que Scorsese avait demandé à ses acteurs de voir  avant le tournage: « Laura » d’Otto Preminger, « La griffe du passé » de Jacques Tourneur, « Sueurs froides » d’Alfred Hitchcock.  Un film noir. Un film effrayant. Un thriller. En s’inspirant de plusieurs genres, en empruntant à ces différents genres, Martin Scorsese a créé le sien et une nouvelle fois apposé la marque de son style inimitable.

     Un film dont on ressort avec une seule envie : le revoir aussitôt. Un film brillant. Du très grand Scorsese. Du très grand cinéma. A voir et encore plus à revoir.

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  • Conférence de presse de Martin Scorsese et vernissage de l'exposition Scorsese à la Cinémathèque Française

    Demain, à partir de midi, suivez-moi sur twitter (@moodforcinema ) en direct du vernissage de l'exposition Scorsese à la Cinémathèque Française puis à partir de 14h en direct de sa conférence de presse au sujet desquels vous pourrez bien entendu retrouver ensuite un compte rendu complet ici.

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  • Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015 : programme et jury

    En attendant de me retrouver en direct du festival, en cliquant sur l'affiche ci-dessous, retrouvez les premiers éléments du programme et le jury, ainsi que mon compte rendu de l'édition 2014 et mes bonnes adresses à La Baule.

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  • Gagnez 2 nuits pour 2 avec petits déjeuners dans un hôtel de charme en Normandie

    Rendez-vous sur mon site http://inthemoodforhotelsdeluxe.com ou cliquez sur la photo pour découvrir ce concours qui vous permettra de remporter un séjour de 2 nuits pour 2 dans ce magnifique hôtel de charme en Normandie situé à 3 kilomètres du charmant petit port d'Honfleur et membre de HOTELS et PREFERENCE.

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  • Festival du Film Britannique de Dinard 2015 : palmarès et compte rendu

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    Située sur la Côte d’Emeraude aux couleurs si changeantes et fascinantes, avec sa statue d’Hitchcock portant les oiseaux de son célèbre film éponyme, avec ses Union Jacks qui , le temps du festival, fleurissent un peu partout, ses bâtisses majestueuses et, selon les lumières, grandioses ou inquiétantes, la ville de Dinard, à l’image du cinéma qu’elle met à l’honneur quelques jours par an, le temps du Festival du Film Britannique, allie magnifiquement les contrastes, les paradoxes, les styles divers.

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    « Il y a deux sortes de festivals : ceux qui servent le cinéma et ceux qui se servent du cinéma. Nous appartenons à la première catégorie», a ainsi écrit Hussam Hindi, l’enthousiaste et passionné directeur artistique du festival dans son édito et, indéniablement, Dinard fait partie de ces festivals où le cinéma est la vraie star, c’est pourquoi j’ai tant de plaisir à y revenir depuis ma participation à son jury, alors présidé par Jane Birkin, en 1999 (notamment avec un certain Tom Hollander à qui le jury rendait hommage cette année). Grâce à une nouvelle agence (Pierre Laporte) qui a fait un travail admirable, le festival s’était de surcroît donné cette année des airs de Cannes, avec ses tapis rouges ornés de palmiers, sa musique euphorisante, ses photocalls qui ont ravi les festivaliers sans que cela nuise un seul instant à la convivialité et à l’accessibilité qui caractérisent ce festival.

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    Comme l’a souligné le premier édile de la ville, Mme Martina Craveia Schutz,  le président du jury de cette édition 2015, Jean Rochefort, a « illuminé et embrasé la ville », s’adressant à la salle à chacune de ses arrivées, ponctuant ses paroles de son rire inénarrable et si communicatif, et, en arrivant un matin, allant même jusqu’à raconter au public son émotion en recevant, à Dinard, une lettre d’un homme qui lui parlait de son père qui l’avait aidé pendant la guerre.

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    Ce qui distingue aussi ce festival, c’est la richesse et la diversité de sa programmation, une audace et une originalité (parfois, une radicalité) caractéristiques du cinéma britannique, synonyme de tant de styles de David Lean à Stephen Frears ou Kean Loach, des fresques lyriques au réalisme social. C’étaient plutôt le film de genre et la comédie qui étaient à l’honneur cette année et si des personnages étaient englués dans une réalité sociale c’est par le décalage que leurs protagonistes tentaient d’y échapper. L’incongruité, l’absurde, le surgissement de l’inconnu, la sauvagerie pourraient d’ailleurs être le point commun des films en lice et des avant-premières de « The Lobster »  en passant par le film qui a raflé tous les prix, « Couple in a hole » sans oublier l’étrange « Norfolk ».

    Dès la cérémonie d’ouverture, Jean Rochefort avait donné le ton en déclarant « Je suis président pour la première fois de ma vie. Il est normal que j’emmerde tout le monde » avant de présenter chaque membre de son jury : Emma de Caunes, Melanie Doutey, Alexandra Lamy, Amara Karan, Helena Mackenzie, Natalie Dormer, Pierre Salvadori, Noah Taylor, Benard Lecoq, Bertrand Faivre, Virginie Effira initialement annoncée comme membre du jury étant finalement absente.

    Les avant-premières

    Je vais d’abord évoquer mes deux coups de cœur (hors compétition) de ce festival, « The Lobster » de Yorgos Lanthimos et « 45 ans » de Andrew Haigh qui pourrait d’ailleurs être le parfait contraire du premier.

    Projeté en séance spéciale « The Lobster » de Yorgos Lanthimos avait reçu le prix du jury du dernier Festival de Cannes et si avaient existé un prix du film jubilatoire et un prix de l’originalité, il les aurait forcément aussi remportés.

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    Dans un futur (très- trop ?- proche), toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l’hôtel et a 45 jours pour trouver l’âme sœur. Passé ce délai, elle sera transformée en l’animal de son choix. C’est ce qui attend David incarné par Colin Farrell qui se retrouve dans ce fameux hôtel luxueusement glacial avec d’autres célibataires parce que que sa compagne vient de le  quitter. Moins conformiste que les autres qui choisissent généralement le chien (comme son frère qu’il traine  partout où il va), il opte pour le homard parce qu’il vit longtemps, qu’il a le sang bleu et qu’il a toujours aimé l’eau. Ceux qui trouvent l’âme sœur auront droit à une chambre plus grande, voire à un enfant (parce que « cela aide en cas de difficultés ») et, régulièrement, des démonstrations par l’absurde, leur prouvent les avantages de la vie à deux comme…ne pas mourir étouffé si on avale de travers. Pour échapper à ce destin, David s’enfuit et rejoint alors un groupe de résistants : les Solitaires …dont les règles sont aussi sectaires que celles du groupe qu’il vient de quitter.

    Un film déroutant, cinglant, burlesque, métaphorique, inventif, dans lequel l’homme est un loup pour l’homme (littéralement) –ou un Rhinocéros aurait dit Ionesco, la rhinocérite dans sa pièce éponyme métaphorisant une autre forme de totalitarisme-, profondément égoïste et dont la fin n’est pas décevante comme l’ont déploré certains commentateurs mais au contraire illustre brillamment ce propos. Le couple devient un totalitarisme condamnant le solitaire à l’animalité, excluant tout sentiment. Un film intelligemment singulier qui regorge de trouvailles insolites, certes sous influences, notamment de Buñuel (« Un chien andalou »), mais qui ne ressemble à aucun autre… Même l’univers amoureux est régi par des lois, des règles. Pour former un couple les individus doivent avoir un point commun (une myopie, un saignement de nez) et sont bien souvent conduits à mentir pour se conformer à ces principes. La spontanéité n’existe plus. Par l’absurde et la dystopie, Lanthimos souligne les contradictions de notre société, et ses tentations totalitaires. La photographie grisâtre, les ralentis, sont au service de cet univers régi par des règles implacables.

    Colin Farrell est méconnaissable et parfait pour incarner cet homme égaré entre ces deux mondes sectaires et conformistes. Un film constamment inattendu qui regorge de trouvailles (souvent au second plan), comme une gestuelle décalée, parfois « animalière ». Un ton  incisif, caustique et une incontestable inventivité visuelle au service d’une brillante satire de notre société qui condamne à s’identifier à des modèles…ou tuer l’autre pour exister. Brillant !

    « 45 ans » de Andrew Haigh en clôture

    Cette année, pour accéder à la clôture, les invités devaient arpenter un tapis rouge autour duquel était massée une foule impressionnante.

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    did4Kate (Charlotte Rampling) et Geoff Mercer (Tom Courtenay) incarnent un couple aimant sur le point d’organiser une grande fête pour leur 45e anniversaire de mariage. Ce matin-là, à quelques jours de la grande fête,  en ramenant le courrier, Kate est loin d’imaginer  qu’ une lettre va bouleverser la vie du couple : le corps du premier grand amour de Geoff, disparue 50 ans auparavant dans les glaces des Alpes, vient d’être retrouvé… La joyeuse tranquillité du couple va alors en être bouleversée et au fur et mesure des indices que Kate découvre sur cette vie passée, la jalousie s’empare d’elle et l’issue (la fête qui célèbre leur 45ème anniversaire de mariage) en devient plus incertaine.

    Au contraire de  « The Lobster » dans lequel le couple est une obligation sociétale régie par des règles strictes, dans « 45 ans » il relève d’un choix délibéré et libre. Kate et Geoff vont se choisir (ou pas) à nouveau malgré cette nouvelle qui, non seulement, remet en cause leur présent mais aussi leurs souvenirs et leur passé commun. La lenteur mais aussi la beauté et la tranquillité de la nature qui les environnement renforcent la puissance silencieuse du tsunami qui les dévaste. Charlotte Rampling et Tom Courtenay, en un regard, un geste, un silence font passer une multitude de sentiments et rendent ce film plus palpitant qu’un thriller, ce qui leur a valu respectivement un ours d’argent de la meilleure actrice et un ours d’argent du meilleur acteur, amplement mérités. D’abord à l’écoute des tourments de Geoff, Kate va finalement refuser de l’écouter tant chaque détail semble creuser ce fossé qui les sépare progressivement. La fin  de ce film délicat tout en non dits est d’une beauté et d’une intensité ravageuses portée et exacerbée par deux immenses comédiens…

    « Mr. Holmes » de Bill Condon

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     « Mr Holmes » de Bill Condon  met en scène l’élégant et charismatique Ian McKellen qui, à l’image de Charlotte Rampling et Tom Courtenay dans le film précédemment évoqué porte ce long-métrage sur ses épaules, un long-métrage qui partage aussi deux singularités de « 45 ans »: mettre en scène un protagoniste âgé et un suspense latent. Il incarne ici Sherlock Holmes, désormais à la retraite, vivant paisiblement dans le Sussex avec sa gouvernante et le fils de celle-ci, un jeune détective débutant. Avec l’aide du garçon, et bien que sa mémoire et son légendaire pouvoir de déduction ne soient plus désormais ce qu’ils étaient, Holmes se lance dans une ultime enquête, se remémorant les circonstances du cas non résolu qui l’obligea à mettre un terme à sa carrière, tout en cherchant des réponses aux mystères de la vie et à ceux de l’amour…

     Le personnage de Sherlock Holmes a donné lieu à une multitude de films mais cette fois c’est un rôle un peu différent qui est attribué au célèbre détective. A 93 ans, Holmes mène en quelques sorte sa dernière enquête en fouillant dans ses souvenirs épars et incertains, au milieu de ses abeilles,  ses regrets et le héros de Sir Conan Doyle, à l’esprit toujours alerte, malgré une mémoire et une santé défaillantes, prend un malin plaisir à déconstruire sa figure mythique préférant le cigare à la pipe et affirmant n’avoir jamais porté sa célèbre casquette, et avoir été caricaturé par Watson. Toute l’intelligence du scénario réside dans la déconstruction du mythe tout en le renforçant puisque Holmes est représenté comme une personne ayant réellement existé. Célèbre pour son rôle de Gandalf dans « Le Seigneur des anneaux », Ian McKellen est avant tout un acteur de théâtre qui, comme il l’a dit lors de la conférence de presse du film lors du Festival du Cinéma Américain de Deauville (qui lui a rendu hommage), aime donner corps à ses personnages (« Venant du théâtre, j’ai un goût pour la dimension physique des personnages »). Il apporte beaucoup de profondeur à ce Holmes. Le film est nimbé d’une splendide lumière mélancolique. Son scénario, très malin, qui alterne entre passé et présent, rêve et réalité, mythe et vérité nous amène à réfléchir sur le vrai visage des héros et des légendes, l’ingratitude de la vieillesse, la transmission et nous embarque dans une mise en abyme, dans laquelle, après avoir dénoncé la légende mensongère qui l’a enfermé, Holmes se met à inventer des histoires pour édulcorer la dureté de la réalité. Finalement un bel hommage au pouvoir salvateur des doux mensonges que sont les romans et la fiction, et à Holmes lui-même.

    « Up and down » de Pascal Chaumeil (film d’ouverture)

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     Avant le film d’ouverture a été projeté un court-métrage particulièrement réussi: « Love is blind » de Dan Hogdson, la mise en scène burlesque d’un adultère, je ne vous en dirai pas plus pour conserver l’effet de surprise mais je vous encourage vivement à le découvrir.

    L’émotion était au rendez-vous avec la projection de « Up and down » dont le réalisateur, Pascal Chaumeil, est décédé cet été. A Londres, le soir du nouvel an, Martin (Pierce Brosnan), ancien présentateur vedette grimpe sur le toit d’un immeuble.  Maureen, Jay-Jay et Jessie, trois autres cabossés de la vie (un livreur de pizzas -Aaron Paul-, musicien frustré, une mère célibataire s’occupant de son fils handicapé- Toni Colette-, la fille d’un politicien -Imogene Poots-dont la sœur a disparu) ont également eu la même idée: se jeter dans le vide du même endroit! Cette improbable bande réunie par le destin se lance alors un défi : retrouver le sens de leurs vies d’ici à la Saint-Valentin. Un excellent pitch comme l’est celui-ci ne suffit malheureusement pas à faire un excellent film. Evidemment l’émotion était au rendez-vous et l’histoire prend un tout autre relief au regard du destin tragique du réalisateur  (décédé en août d’un cancer) et de la présence digne de sa femme et ses enfants lors de la projection mais le film est plombé par une avalanche de stéréotypes (le présentateur orgueilleux, la fille du politicien aveuglé par son ambition…) et de rebondissements improbables (ces quatre-là se lient d’amitié d’emblée sans qu’on comprenne pourquoi), sans parler des personnages qui apparaissent puis disparaissent sans que personne ne s’en soucie ou encore du découpage en chapitres plus artificiel qu’utile. Le film est une adaptation du roman « Vous descendez ? « de Nick Hornby (auteur notamment de « High Fidelity »). C’est d’autant plus dommage que le sujet était passionnant: qu’est-ce qui nous retient à la vie et la vraie famille n’est-elle pas celle qu’on se choisit? On en attendait plus du réalisateur de « L’Arnacoeur » qui devrait sortir un autre film posthume avec …Romain Duris.

    Enfin, « The lost honour of Christopher Jefferies » de Roger Michell, est l’ histoire d’un enseignant à la retraite, Christopher Jefferies (fantastique Jason Watkins) à Bristol,    arrêté lorsque Joanna Yeates, qui lui avait loué un appartement, est retrouvée morte le jour de Noël 2010. Les journalistes s’emparent de l’affaire et présentent Jefferies comme un suspect malgré l’absence évidente de preuves. Un film qui met en scène l’inique et terrifiante versatilité des médias et fait l’éloge de la différence symbolisée par l’inquiétant, singulier et touchant Jason Watkins.

    La compétition

    Au programme de la compétition, des films mettant en scène des personnages en lutte pour leur survie, confrontés à la violence et la sauvagerie. Trois films dominaient la compétition (peut-être quatre, je n’ai pas vu « Departure » qui a reçu le prix spécial du jury). Le premier d’entre eux, c’est « American hero » de Nick Love dans lequel Melvin est super-héro malgré lui. La quarantaine passée il habite encore chez sa mère et ne vit que pour la fête, les femmes et la drogue. Jusqu’au jour où il réalise que la seule façon pour lui de revoir son fils, que la justice lui interdit d’approcher, c’est d’accepter son destin, et d’exploiter ses super pouvoirs pour lutter contre le crime. Mais dans un monde dans lequel personne ne comprend ni sa situation, ni d’où il tient ses incroyables pouvoirs, ces derniers pourraient bien causer sa perte… Ce film a été projeté dans une version non définitive et il a donc été recommandé à la presse de ne pas en parler et c’est bien dommage tant son originalité incontestable (entre film social et de super héros), et ses personnages liés par une indéfectible amitié dans une Nouvelle-Orléans post-Katrina, le rendent attachants. En plus produit par le producteur de « Human Traffic » (à qui le jury auquel j’appartenais en 1999 avait remis le Hitchcock d’or), ce film certes inachevé possède un charme certain et ensorcelant.

    Le grand gagnant de cette 26ème édition est « Couple in a hole » de Tom Geens dont j’ignorais le pitch avant de le découvrir. La surprise fut donc totale. Ce « couple in a hole », ce sont deux Britanniques qui vivent comme des bêtes sauvages dans un trou creusé à même le sol d’une forêt, quelque part en France. Le couple a vécu un drame moins d’un an auparavant et depuis se terre, en rupture avec la société.

    Jean Rochefort a expliqué que même si les saisons ne se suivaient pas dans ce film, même si certaines situations n’étaient pas vraisemblables, le jury se fichait bien de tout cela, captivé, et a ainsi décidé de le récompenser du prix du scénario et du Hitchcock d’or. Cette fable terrible raconte comment, pour faire face à l’indicible, au deuil inacceptable, ineffable, un couple va revenir à l’état sauvage, comme si seul l’instinct vital les maintenait encore en vie face à une société incapable de comprendre cette douleur absolue. Les plans de la nature, sauvage et impitoyable,(mais moins que l’in-humanité à laquelle ils seront ensuite confrontés) alternent avec ceux du couple qui survit plus qu’il ne vit, fuyant tout contact avec les Hommes, ne vivant que de chasse et cueillette pour le mari tandis que sa femme reste cloitrée dans son refuge comme si la lumière extérieure la confrontait à son obscure réalité. Pendant ce temps, le mari,  descendu en ville pour trouver un médicament pour la soigner d’une piqûre d’araignée  rencontre un homme (Jérôme Kircher) avec qui il va nouer une amitié.

    Le deuil apparaît alors comme un piège inextricable… La radicalité du traitement (avec néanmoins de petites incursions fantastiques) sied parfaitement à la dureté du sujet et n’a pas effrayé le public qui lui a aussi attribué son prix. Les deux acteurs principaux, Paul Higgins et Kate Dickie, se donnent corps et âme pour incarner cette folie, finalement peut-être seule réponse possible à l’absurdité d’un deuil inconcevable. Etonnant et poignant. (Et l’occasion de revoir la formidable Corinne Masiero).

     « Kill your friends » de Owen Harris, autre coup de cœur de cette compétition, mêle humour  et film noirs pour le plus grand plaisir du spectateur. Londres 1997. L’industrie musicale britannique est alors à son apogée. A 27 ans, Steven Stelfox est un dénicheur de talents sans scrupules qui essaie de se frayer un chemin dans l’univers de la pop, un monde dans lequel les carrières se font aussi vite qu’elles se défont, au rythme des caprices du public. Cupide, ambitieux, constamment sous divers drogues, il n’a qu’un objectif: trouver le prochain tube pour gravir l’échelle sociale. Et pour cela il est prêt à tout… Adapté du roman de John Niven par son auteur, le caractère jouissif de ce film (premier long-métrage de Owen Harris) doit beaucoup à son interprète principal, Nicolas Hoult, redoutablement, irrépressiblement et cyniquement ambitieux. Pour son personnage, dénué de toute morale, la fin justifie les moyens. L’élégance de la mise en scène contraste intelligemment avec la noirceur du personnage et de ses actes. Dans cet univers dans lequel la musique est un pur produit commercial, le cynisme est de mise. Danny Boyle n’est parfois pas bien loin mais Owen Harris possède un style bien un lui qui me fait attendre impatiemment son prochain film. Une plongée rythmée dans les affres de la (non) création et de ceux qui l’exploitent. La dissection de ce monde dépravée et carnassier est aussi servie par une formidable BO. Une chronique aussi grinçante que réjouissante de ces milieux (pseudo)artistiques dans lesquels l’ambition dévore et annihile toute humanité. Décidément, la sauvagerie était à l’honneur dans les films de ce festival.  Un peu coupable, on se demande finalement néanmoins si Owen Harris n’utilise pas les mêmes méthodes que celles de ceux qu’il dénonce pour séduire le public, aveuglé par cette course effrénée.

    Egalement en compétition « Just Jim » de Craig Roberts, premier film d’un jeune homme de 24 ans d’abord connu comme acteur, également présent dans « Kill your friends » et incarnant ici le rôle principal, celui d’un adolescent de 16 ans rejeté et incompris de tous, avec pour seul compagnon un chien qui va s’échapper et le laisser désespérément seul. Un voisin prénommé Dean (et qui fait apparemment tout pour ressembler au James du même nom), irrésistible Emile Hirsch, va lui venir en aide pour changer son image… Cette comédie satirique qui flirte avec le film noir souffre justement de cette alternance de genres et d’une dernière demie-heure abracadabrantesque. Dommage pour ce film qui possède un ton bien à lui et un humour féroce qui, parfois, fait mouche.

    Dans un style différent, « The Violators » de Helen Walsh nous emmène à la rencontre de Shelly et Rachel, deux jeunes filles à problèmes de milieux totalement opposés. Le hasard place leurs destins sur une route de collision qui fera le salut de l’une, mais signera la fin de l’autre. Ce film parfois éprouvant tant les réalités auxquelles sont confrontées les deux jeunes filles sont cruelles et violentes (viol, inceste) souffre d’une fin manquée que parviennent presque à nous faire oublier ses deux incroyables interprètes:  Lauren McQueenil et Brogan Ellis.

    J’ai également eu le plaisir de parler de mon parcours, de ma passion pour ce festival et les festivals, de blogs et de romans en direct sur France Bleu Armorique

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    Cette année, la boutique du festival s’était également enrichie. On pouvait notamment y trouver « Flashback », le livre des 20 ans du festival dans lequel je partage mon expérience de jurée du festival, en 1999.

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    Autre belle idée du festival cette année, sur l’initiative du directeur du Grand Hôtel, Franck Marie, un karaoké pianistique, l’occasion notamment d’entendre Bernard Lecoq entonner « I will survive » pour le plus grand plaisir de Jean Rochefort dont la chambre se situait au-dessus du piano bar. Retrouvez également mon avis sur le Grand hôtel, en cliquant ici, dans mon article sur mes bonnes  adresses à Dinard et Saint-Malo.

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    PALMARÈS – AWARDS

    Le Jury de la 26e édition du Festival du film britannique de Dinard présidé par Jean Rochefort, entouré de Emma De Caunes, Natalie Dormer, Mélanie Doutey, Bertrand Faivre, Amara Karan, Alexandra Lamy, Bernard Le Coq, Helena Mackenzie, Pierre Salvadori et Noah Taylor a décerné les prix suivants :

    Hitchcock d’Or Ciné + Grand Prix du Jury

    COUPLE IN A HOLE

    de TOM GEENS
    Ce Prix est doté d’une campagne de promotion sur les chaînes Ciné+, et d’un soutien financier apporté au distributeur et au réalisateur par la Ville de Dinard.

    Hitchcock du meilleur Scénario

     COUPLE IN A HOLE

    de TOM GEENS

    2 mentions spéciales du jury 

    pour le film

    DEPARTURE

    de ANDREW STEGGALL 

    et ses acteurs

    JULIET STEVENSON, ALEX LAWTHER,

    PHENIX BROSSARD

    Le Public de cette 26e édition a, quant à lui, décerné 2 prix

    Hitchcock du Public Première

    COUPLE IN A HOLE

    de TOM GEENS

    Hitchcock du meilleur Court-métrage

    AFTER THE END

    de SAM SOUTHWARD 

    2 prix « Coup de cœur » ont été remis  

    Hitchcock « Coup de coeur » de l’association La Règle du Jeu 

    45 YEARS

    de ANDREW HAIGH

     Les films qui concouraient pour ce prix avait déjà un distributeur en France. Distribution du film primé dans 40 salles du Grand Ouest.

    Hitchcock d’Honneur

    Orange Honorary Hitchcock, by Orange

    à

    HANIF KUREISHI

    Lien permanent Imprimer Catégories : FESTIVAL DU FILM BRITANNIQUE DE DINARD 2015 Pin it! 0 commentaire
  • Critique de UNE NOUVELLE AMIE de François Ozon à 20H55 sur Canal plus

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    François Ozon continue son rythme woody allenesque impressionnant de un film par an. Cette production filmique prolifique (tout en ne négligeant jamais la qualité) n’est pas le seul point commun entre Woody Allen et François Ozon même si leurs deux cinémas ne sont pas ceux que l’on rapproche d’emblée. Ils ont ainsi également en commun un rare sens du récit avec, notamment, des scènes d’exposition époustouflantes de maîtrise qui, immédiatement plongent, voire happent, le spectateur dans leurs univers, règle à laquelle ne déroge pas ce nouveau film d’Ozon dont les premiers plans trompeurs donnent l’illusion qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage…qui est en fait son enterrement avant de nous raconter en quelques plans, sans dialogues, et avec une efficacité redoutable, sa vie éphémère et sa relation à sa meilleure amie. Tout est dit, déjà, dans le premier plan : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, le double, la double identité. Des premiers plans qui témoignent une nouvelle fois du sens aigu et magistral de la manipulation du cinéaste qui culminait dans son film « Dans la maison »,  labyrinthe joyeusement immoral, drôle et cruel.

    Claire (Anaïs Demoustier) et Laura (Isild Le Besco) sont deux amies inséparables depuis l’enfance. À la suite du décès de cette dernière, Claire fait une profonde dépression jusqu’au jour où elle découvre que le mari de Laura, David (Romain Duris), s’habille en femme depuis la mort de son épouse. D’abord perturbée par cette découverte, elle va rapidement entrer dans son jeu, et ainsi trouver une nouvelle amie…et retrouver le goût de la vie. Une nouvelle amie est l’adaptation de la nouvelle : Une amie qui vous veut du bien de Ruth Rendell publiée en 1985. Elle remporta le prix Edgar-Allan-Poe de la meilleure nouvelle.

    Cela pourrait être le synopsis d’une comédie, seulement, comme toujours chez Ozon, les apparences sont trompeuses. Il joue et jongle brillamment avec les genres, masculin/féminin mais aussi avec les genres cinématographiques racontant son histoire comme un thriller sentimental dans lequel la tragédie semble pouvoir survenir à tout instant. Que ce soit dans « Potiche », « Jeune et jolie », « Dans la maison », « Huit femmes » etc, dans son cinéma, les êtres ne sont ainsi jamais réellement ce qu’ils paraissent. Tout est en trompe l’œil. Un film multiple et audacieux derrière sa linéarité et son classicisme apparents. Des personnages qui ne sont jamais ce qu’ils paraissent, y compris le mari borné de Claire comme le suggère un plan fugace. Ozon dresse le portrait d’un être et d’une famille qui font éclater les carcans, et qui, en les détruisant, se reconstruisent et se libèrent.

    Si Claire et David révèlent leurs vraies personnalités, l’un et l’autre en assumant leur féminité, travestissant la réalité, maquillant leurs désirs et leurs identités, c’est aussi pour faire face au choc dévastateur du deuil. Le deuil est un sujet récurrent dans le cinéma d’Ozon, déjà présent notamment dans un de ses plus beaux films, « Sous le sable » qui était d’ailleurs aussi un autre très beau portrait de femme. Dans « Le temps qui reste », la mort rôdait, constamment, film sur les instantanés immortels d’un mortel qui en avait plus que jamais conscience face à l’imminence de l’inéluctable dénouement. La souffrance commune de Claire et David, celle du deuil, va révéler une autre douleur commune, celle d’une personnalité qui les étouffe et n’est pas réellement la leur.

    Romain Duris éprouve un plaisir, communicatif, à incarner ce personnage donnant vie à une Virginia, diaboliquement féminine et férocement présente. Anaïs Demoustier est, quant à elle, d’une justesse sidérante et parvient à trouver sa place (ce qui n’était pas gagné d’avance) face à ce personnage haut en couleurs et charismatique, singulièrement touchant.

    Dans ce nouveau film trouble, troublant, d’un classicisme équivoque, d’un charme ambigu, Ozon fait une nouvelle fois brillamment coïncider le fond et la forme et fait se rencontrer Almodovar, Woody Allen, Xavier Dolan avec un zeste d’Hitchcock, mais ce serait faire offense à Ozon que de l’enfermer dans ces comparaisons, aussi prestigieuses soient-elles, tant chacun de ses films portent la marque de son univers, à l’image de ses personnages : singulier et d’une jubilatoire ambivalence. J’attends déjà le prochain avec impatience…

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