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léa seydoux

  • CRITIQUE de LA BÊTE de Bertrand Bonello

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    N’écoutez pas ceux qui vous diront que ce film (2H26) est trop long, opaque, rébarbatif, labyrinthique au point de vous égarer. Si vous acceptez de vous laisser embarquer, parfois dérouter, peu à peu s’insinuera en vous la magie de ce film hybride, profond, puissant, hypnotique, dont l’émotion, à l’image de celles qui s’emparent de son héroïne, s’insinuera peu à peu en vous pour vous saisir et vous terrasser au dénouement qui en éclaire tragiquement les zones d’ombre.

    Tout commence ainsi : au milieu d’un décor constitué uniquement d’un fond vert, une actrice (Léa Seydoux) suit les instructions données par un metteur en scène invisible qui lui demande de jouer la terreur face à une bête menaçante, elle aussi invisible, puis de s’emparer d’un couteau posé sur une table. Un écho à la dernière scène du film, aussi sublime que glaçante (croyez-moi, ce serait dommage de ne pas poursuivre ce déroutant voyage jusque-là). Tout est dit là, déjà, dans ces premières minutes. La bête est un mal invisible, une menace insidieuse, et absolument terrifiante. Et un démiurge tout aussi invisible la manipule.

    Le film se déroule sur 3 périodes : 1910, 2014 et 2044. Chaque période correspond à une vie différente de Gabrielle incarnée à chacune d’elles par Léa Seydoux. À chaque époque, elle rencontre Louis joué par George MacKay. À chaque fois, entre eux, c’est la même attirance irrépressible. À chaque fois, c’est la même issue tragique.

    Ils se rencontrent pour la deuxième fois en 1910. L’atmosphère est magnétique, chaleureuse. Dans une robe de soirée, Gabrielle Monnier, pianiste de renom, déambule dans une soirée, entre différents salons, captive l’attention, cherche son mari, se retrouve face à des tableaux de nus, lugubres et troublants. Mais Gabrielle dissimule un secret, un sentiment très profond, celui que quelque chose de terrible va arriver. Elle l’avait confiée à Louis qu’elle revoit là par hasard quelques années plus tard (nous n’assistons pas à la première rencontre qui eut lieu en Italie) et qui lui rappelle ce qu’elle lui avait dit alors : « Une chose rare, étrange, terrible. Vous étiez convaincue qu’elle finirait par vous foudroyer. »

    Du film en costumes et des salons du début du 20ème siècle, La Bête passe ensuite à la dystopie et nous embarque en 2044, un futur proche pas si éloigné de notre présent, un futur plausible dans lequel il faut choisir entre le travail et les affects. Choix affreux et cornélien qui ne semble pas si utopique. Dans ce monde règne une sérénité qui n’est qu’apparente et qui reflète une réalité effrayante : celle d’une société dont l’idéal consiste à ne plus éprouver. Les rues sont froides, désertes, déshumanisées. Y errent sans communiquer, sans même sembler se voir, des êtres tristement semblables, silhouettes grisâtres armées de masques qui dissimulent totalement traits et expressions. L’intelligence artificielle est là pour « aider à se débarrasser de ses affects. Nettoyer son ADN. Replonger dans ses vies antérieures. Se purifier des traumatismes hérités depuis des siècles. » Gabrielle passe un entretien d’embauche lors duquel elle répond à des questions posées par une voix off (celle de Xavier Dolan, coproducteur du film).  Elle y croise de nouveau Louis, venu pour la même raison qu’elle, et de nouveau ils sont aimantés l’un par l’autre. En Gabrielle subsiste pourtant cette peur : celle d’une catastrophe qui va surgir. Malgré ses réticences, elle finit par accepter de nettoyer son ADN. On l’immerge dans un bain constitué d’un liquide noir, un robot lui fait une piqûre dans l’oreille et ses émotions sont alors censées disparaître.

    La Bête est adaptée d’une longue nouvelle d’Henry James intitulée La Bête dans la jungle, parue pour la première fois dans le recueil The Better Sort en 1903, l’histoire d’un homme qui attend un événement extraordinaire. Il demande à une femme de l’attendre avec lui. Ce sont six chapitres qui relatent la singulière liaison entre May Bartram et John Marcher. « Il ne tient qu’à vous … si vous restez aux aguets avec moi » dit John. « Je resterai avec vous aux aguets », répond May.  « Quelque chose se tenait embusqué quelque part le long de la route sinueuse de son destin comme une bête à l’affût se tapit dans l’ombre de la jungle, prête à bondir » écrit encore Henry James. Ce récit a déjà été porté au cinéma par Patric Chiha, l’an passé.

    Pour savoir ce qu’est véritablement cette « bête fauve tapie dans la jungle » et qui terrifie et pourchasse Gabrielle à travers le temps, il vous faudra attendre la dernière minute du film. Mais cette bête dangereuse et fascinante, c’est aussi l’amour. Ce vertige foudroyant. Ce doux risque. Cette tendre douleur dont en 2044 on veut se débarrasser. Cette joie et cette souffrance, pour reprendre une expression chère à Truffaut (dans La Sirène du Mississippi et dans Le dernier métro). Ou ces quelques vers de Prévert  :

    Le tendre et dangereux
    visage de l’amour
    m’est apparu un soir
    après un trop long jour
    blessure de l’amour

    [...]

    Tout ce que je sais
    c’est qu’il m’a blessée
    blessée au cœur
    et pour toujours

    En 2044, l’émotion est vécue comme une menace.  Un risque qu’on ne veut plus prendre. « Lequel est le plus fort ? Votre peur ? Ou votre amour pour moi ? »  demande ainsi Louis à Gabrielle.  « Il y a forcément un risque. Mais un risque, c'est beau. C'est fort, c'est vivant. » La Bête, en représentant leur potentielle disparition exalte les sentiments, leur puissance, leur nécessité, la beauté des réminiscences qui dévorent et exaltent. Se faire ôter toute capacité à éprouver, même les émotions les plus perturbantes, n’est-ce pas après tout perdre toute humanité ? « Ça rend vivant, l'angoisse », souligne ainsi Gabrielle.

    Dans ce film foisonnant, les prestigieuses références abondent elles aussi. Que ce soit avid Lynch  ou encore Alain Resnais, entre Je t'aime, je t'aime (l’histoire d’un homme dépressif qui a tenté de se suicider et qui devient le cobaye d'une machine à remonter le temps qui lui fait revivre une histoire d'amour tragique dans une chronologie aléatoire) et L’amour à mort (Déclaré cliniquement mort, un homme ressuscite quelques instants après son décès. Bouleversé par cette expérience, il retrouve la femme avec qui il vivait une intense histoire d'amour et entend bien profiter pleinement du temps qui lui reste à vivre).

    Dans ce monde-là, il n’y a plus de place pour l’amour que l’art représente, mis en scène à chaque époque du film, que ce soit avec les nus en 1910, avec l’opéra ( Madame Butterfly de Puccini) ou encore avec la musique qui, dans une boîte de nuit (qui change de nom empruntée à chaque fois à une année différente, la boîte de nuit diffusant alors uniquement la musique de cette année-là), décuple les émotions, ces émotions que l’IA incarnée par Guslagie Malanda qui accompagne Gabrielle ne ressent plus. Comme toutes ces poupées que fabrique le mari de Gabrielle dans son usine : des êtres devenus des corps désincarnés, blêmes, interchangeables.

    La beauté changeante de Léa Seydoux s’adapte parfaitement à chaque époque. Certains critiquent son jeu. Je la trouve au contraire d’une justesse implacable. Et lors d’une scène où son visage se mue de la gaieté en celui d’une poupée, par la seule force de son jeu et de la mobilité de son visage, en un quart de seconde elle fait plonger le film dans le fantastique. Magistral ! À chaque époque elle semble une femme différente, seules demeurent communes ce qu’on cherche à lui retirer : ses émotions. La Bête est dédiée à Gaspard Ulliel qui devait à l'origine incarner Louis. Après son décès brutal en 2022, c’est donc George MacKay qui le remplace, et son mélange d’élégance, de mystère, de retenue (avec une palette de jeu impressionnante, entre le Louis de 1910 et celui de 2014) en font un parfait Louis, aussi séduisant que parfois inquiétant.

    Ce film inventif et hybride, romantique, fantastique, vous emporte dans son vertige d’une beauté étourdissante, parfois aux frontières de l’effroi, porté par ce désir constamment suspendu, latent, retenu, éternel qui survit au temps, à la mort, et résiste même à un monde abreuvé d’images et sons, aveuglants et assourdissants. Formellement, l’inventivité est aussi au rendez-vous tant dans la réalisation que dans le montage, entre une scène de suspense où le feu extérieur succède au feu intérieur, à une scène qui use du split screen avec maestria.

    De la partition de Schönberg que Gabrielle doit jouer, à Puccini, mais aussi à sa musique originale (composée par Bonello lui-même avec sa fille Anna), entre piano et harpe, la musique est elle aussi formidablement hybride mais surtout un vecteur de ces émotions que l’intelligence artificielle voudrait annihiler. Mais aussi avec des emprunts ingénieux comme une chanson de Salvatore Adamo en japonais, la musique country de Patsy Cline, la musique italienne de Gino Paoli, un rock de Joseph Tanner et Roy Orbison…

    Un film qui, s’il avait été présenté à Cannes, aurait constitué une magnifique palme d’or tant il est parfait sur (et dans) tous les plans : mise en scène, interprétation, scénario (magnifiques dialogues aussi, quelques phrases empruntées à Henry James dans la partie de 1910), musique, le tout avec une résonance sociétale.

    Cet amour labyrinthique et cette histoire tentaculaire continuent de résonner intensément en moi plusieurs jours après l’avoir vu. Un film passionnant, autant dans les scènes intimes que dans les scènes spectaculaires, avec certains plans inoubliables, de mains qui se frôlent et s’étreignent, d’un incendie qui menace et ravage (au propre comme au figuré), de rues de Paris englouties sous les eaux… Une magnifique histoire d’amour impossible, une dystopie terrifiante et fascinante, imprégné d’un désir contenu, bouleversant et foudroyant au dénouement. Une adaptation inventive qui prouve la force de ce que la bête voudrait détruire : les sentiments. Une démonstration incontestable aussi de leur nécessité, jusque dans le générique, à la forme glaçante. Un très grand film. 

  • Critique de TROMPERIE d’Arnaud Desplechin (sortie le 29.12.2021)

    Critique de TROMPERIE d'Arnaud Desplechin.jpg

    Tromperie est une adaptation du livre Deception de Philip Roth publié en 1990 et sorti en 1994 en France.

    1987. Philip (Denis Podalydès) est un écrivain américain célèbre installé à Londres avec son épouse (Anouk Grinberg). Sa maîtresse (Léa Seydoux) vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants dans lequel ils vivent leur amour et parlent des heures durant.

    Tromperie a été présenté en séance spéciale sous le nouveau label Cannes Première du Festival de Cannes, label initié en 2021, réservé à des films de réalisateurs confirmés « que le festival suit depuis longtemps » selon la définition du Délégué Général du festival, Thierry Frémaux.

    Desplechin jouait déjà la scène finale avec Emmanuelle Devos dans le bonus DVD de Rois et Reines. S’il portait donc en lui cette œuvre depuis longtemps, son adaptation ne relevait pas moins du défi. C’est avec Julie Peyr, sa coscénariste, qu’il s’y est attelé, divisant ainsi le film en onze chapitres et un épilogue. Il s’agissait en effet d’adapter un film dont l’intrigue se déroule dans les années 1980, en Angleterre, avec des acteurs français, en langue française, et un film reposant essentiellement sur les dialogues très écrits. Défi relevé magistralement puisque le résultat est absolument captivant, évoquant des sujets parfois sombres (la mort qui obsède Philip, l’âge et la maladie qui sont aussi des sujets récurrents), teinté d'ironie et même d'humour, traversé par le désir (amoureux, de vie, d’art).

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    Dans Les Fantômes d’Ismaël, la vie d’un cinéaste, Ismaël (Mathieu Amalric) est bouleversée par la réapparition de Carlotta, un amour disparu 20 ans auparavant. Un personnage irréel à la présence troublante et fantomatique incarné par Marion Cotillard, filmée comme une apparition, pourtant incroyablement vivante et envoûtante, notamment dans cette magnifique scène d’une grâce infinie lors de laquelle elle danse sur It Ain't Me Babe de Bob Dylan (qui à elle seule justifie de voir le film en question).  Desplechin jongle avec les codes du cinéma pour mieux les tordre et nous perdre. A la frontière du réel, à la frontière des genres (drame, espionnage, fantastique, comédie, histoire d’amour), à la frontière des influences (truffaldiennes, hitchcockiennes - Carlotta est ici une référence à Carlotta Valdes dans Vertigo d’Hitchcock - ) ce film d’Arnaud Desplechin est savoureusement inclassable, et à l’image du personnage de Marion Cotillard : insaisissable, et nous laissant une forte empreinte. Comme le ferait un rêve ou un cauchemar. Un film plein de vie, un dédale dans lequel on s’égare avec délice. Un film résumé dans la réplique suivante : « la vie m'est arrivée. » La vie avec ses vicissitudes imprévisibles que la poésie du cinéma enchante et adoucit.

    Si j’effectue cette digression sur Les fantômes d’Ismaël, c’est parce que j’aurais pu tirer la même conclusion de ce dernier film de Desplechin. Dès la séquence d’ouverture, le cinéma, à nouveau, (ré)enchante la vie. Le personnage de l’amante incarnée par Léa Seydoux se trouve ainsi dans une loge du théâtre des Bouffes du Nord. Là, elle se présente à nous face caméra et nous envoûte, déjà, et nous convie à cette farandole utopique, à jouer avec elle, à faire comme si, comme si tout cela n’était pas que du cinéma. Parce que ludique, ce film l’est follement, notamment lors d’une scène burlesque de procès. Mais aussi dans la première séquence entre Philip et sa maîtresse. Il lui demande alors de décrire le bureau dans lequel ils se trouvent, ce qu’elle fait les yeux fermés avec poésie, malice, avec la complicité de la caméra de Desplechin qui nous invite dans cet autre dédale, à plonger pleinement dans chaque moment, à les vivre intensément, là, dans ce bureau qui devient le lieu de la liberté. Le lieu où l’amante anglaise est écoutée sans être jugée.

    L’intrigue est principalement centrée autour de Philip et de sa maîtresse dans l’appartement -bureau de l’écrivain, mais aussi jalonné de conversations, avec d’autres femmes, qui portent toutes en elles des brisures qui ne les rendent pas moins ensorcelantes, vibrantes, vivantes. Il y a là Rosalie (Emmanuelle Devos), la seule à porter un prénom, son ancienne maîtresse newyorkaise qui lutte contre le cancer mais aussi l’épouse, l’étudiante (Rebecca Marder), l’exilée tchèque (Madalina Constantin).

    Tromperie est une ode constante aux pouvoir de la fiction, qu’elle soit littéraire ou cinématographique. La fiction qui sublime la vie. Par une judicieuse mise en abyme, le dispositif qu’utilise Desplechin fait écho au travail et aux ruses de l’écrivain qui s’amuse avec la réalité, la traduit, la trahit, la transgresse, lui vole des moments de vérité. D’ailleurs, l’amante existe-t-elle vraiment ? C’est là que le film prend une tournure encore plus passionnante, quand Philip pour se justifier auprès de son épouse lorsqu’elle tombe sur un carnet racontant son histoire avec son amante anglaise, explique qu’il s’agit là seulement d’un être fictif et de la matière de son nouveau roman, brouillant encore un peu plus les frontières entre le vrai et le faux, comme s’amuse à le faire aussi Desplechin dans ce film qui manie l’ellipse et les changements de tons et de décor avec maestria.

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    On a beaucoup évoqué Bergman à propos de ce film. Il m’a aussi souvent rappelé Alain Resnais qui, à chaque film, réinventait encore et encore le dispositif cinématographique. Il m’a notamment fait songer à Vous n’avez encore rien vu, dans lequel un homme de théâtre, après sa mort, convoque ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions d’une pièce. Chaque phrase prononcée, d’une manière presque onirique, magique, est d’une intensité sidérante de beauté et de force et exalte la force de l’amour. Un film inventif et, là aussi, ludique qui joue avec les temporalités, avec le temps, avec la disposition dans l’espace. Il donne à jouer des répliques à des acteurs qui n’en ont plus l’âge. Cela ne fait qu’accroître la force des mots, du propos, leur douloureuse beauté et surtout cela met en relief le talent de ses comédiens. Chaque phrase qu’ils prononcent semble être la dernière et la seule, à la fois la première et l’ultime. Une sublime déclaration d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Une mise en abyme déroutante, exaltante, d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est transcendée. Un film inclassable et si séduisant, n’usant pourtant d’aucune ficelle pour l’être mais au contraire faisant confiance à l’intelligence du spectateur, qui m’avait enchantée, bouleversée, et qui m’a rappelé pourquoi j’aime follement le cinéma et le théâtre, et les mots auxquels il rend un si bel hommage.

    Je me permets cette nouvelle digression parce que je pourrais là aussi employer ces mêmes termes à propos de ce nouveau film de Desplechin, déclaration d’amour aux acteurs, au théâtre, au cinéma, aux pouvoirs de l’écriture, et qui fait tout aussi confiance à l’intelligence du spectateur.

    Arnaud Desplechin retrouve ici Léa Seydoux qu’il avait dirigée dans son film précédent, le remarquable Roubaix, une lumière, dans un rôle radicalement différent. Le spectateur est suspendu à chacun de ses mots. Elle est ainsi à la fois sensuelle, malicieuse, inquiète, toujours lumineuse a fortiori quand elle se rhabille et que tout devient noir autour d’elle (une des nombreuses astuces de mise en scène). Desplechin offre à chaque actrice une partition sublime dont l’ensemble permet de faire entendre une musique, celle de la voix de Philip Roth, et de dresser son portrait. Anouk Grinberg, Emmanuelle Devos, Madalina Constantin, Rebecca Marder sont aussi absolument bouleversantes. En double de Roth et un peu de Desplechin, Denis Podalydès a le regard et l’écoute intenses qui le rendent successivement ironique, inquiétant, attachant, détestable, désirable, méprisable mais toujours à l’image du film : captivant.

    La caméra d’Arnaud Desplechin, avec l’aide précieuse et judicieuse de son chef-opérateur Yorick Le Saux, caresse sensuellement les visages et les corps, au plus près. Sur une année, de l’automne à l’été, la lumière, est de plus en plus prégnante.  Ajoutez à cela la musique de Grégoire Hetzel et une précision et une variation astucieuses des décors et vous obtiendrez une orfèvrerie de mise en scène.

    Un film solaire et sensuel, parfois doucement cruel mais aussi tendre, même quand il évoque des sujets plus âpres, bouleversant, intimiste, réjouissant, élégant, à la fois léger et sombre. Une réflexion passionnante sur l’art aussi et sur la vérité, une réflexion à laquelle cette brillante mise en abyme invite, nous emportant dans son tourbillon fascinant de mots et, surtout, de cinéma.

  • Critique - JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan à voir ce soir à la télévision à 20H45 sur Ciné + Premier

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    Il y a des films, rares, qui possèdent ce supplément d’âme, qui exhalent cette magie indescriptible (la vie, au fond,  cette « vitalité » que François Trufffaut évoquait à propos des films de Claude Sautet) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est ainsi comme un coup de foudre amoureux. Il anesthésie notre raison, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous procure une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie.

    Voilà ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de Mommy en sortant de sa projection cannoise, film pour lequel Xavier Dolan avec obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes 2014. Voilà ce que je pourrais tout aussi bien écrire à propos Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2016 -dont vous pouvez lire mon premier bilan en cliquant ici- (mais aussi le prix du jury œcuménique dont le but est de récompenser des films « aux qualités humaines qui touchent à la dimension spirituelle »). « Cette récompense est inattendue et extrêmement appréciée » a ainsi déclaré Xavier Dolan à propos de son Grand Prix lors de la conférence de presse des lauréats après la clôture du festival.

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    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

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    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Critique - JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan (disponible en DVD/Blu-ray et VOD ce 7 février 2017)

     

     

    L'annonce de la date de sortie du film en DVD, Blu-ray, VOD est pour moi l'occasion de vous parler de ce film magistral qui figure dans mon top 3 de l'année 2016, un top de 10 films (ou un peu plus) que je vous livrerai très bientôt...

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    Il y a des films, rares, qui possèdent ce supplément d’âme, qui exhalent cette magie indescriptible (la vie, au fond,  cette « vitalité » que François Trufffaut évoquait à propos des films de Claude Sautet) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est ainsi comme un coup de foudre amoureux. Il anesthésie notre raison, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous procure une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie.

    Voilà ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de Mommy en sortant de sa projection cannoise, film pour lequel Xavier Dolan avec obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes 2014. Voilà ce que je pourrais tout aussi bien écrire à propos Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2016 -dont vous pouvez lire mon  bilan en cliquant ici- (mais aussi le prix du jury œcuménique dont le but est de récompenser des films « aux qualités humaines qui touchent à la dimension spirituelle »). « Cette récompense est inattendue et extrêmement appréciée » a ainsi déclaré Xavier Dolan à propos de son Grand Prix lors de la conférence de presse des lauréats après la clôture du festival.

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    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

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    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Le film sortira en salles le 21 septembre 2016. Sans aucun doute y retournerai-je pour, à nouveau, être étourdie d’émotions par ce film palpitant. Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Critique de 007 SPECTRE de Sam Mendes à voir ce 25.11.2016 sur Canal +

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    Spectre. 24ème James Bond. Le quatrième James Bond incarné par Daniel Craig après « Casino Royale » en 2006, « Quantum of solace » en 2008, « Skyfall » en 2012 en attendant le cinquième puisque Daniel Craig a déjà annoncé avoir signé pour le prochain. A nouveau, pour la deuxième fois après "Skyfall", c'est le réalisateur (notamment) du chef d'œuvre "Les Noces rebelles", Sam Mendes, qui est à la réalisation. Avec un budget estimé à 300 millions de dollars, Spectre est le James Bond le plus cher, ce qui devrait être rapidement rentabilisé au regard de son succès en salles (le meilleur démarrage en France avec ses 900 000 entrées comptabilisées le jour de sa sortie en France) et cela malgré de nombreuses critiques mitigées qui me laissent perplexe au regard de la réussite de ce « Spectre » dont je n’ai réalisé qu’une fois sortie de la salle qu’il durait 2H30 tant le temps a passé vite… Sans doute ces critiques s’expliquent-elles par une exigence de surenchères et rebondissements scénaristiques (que contenait le meilleur scénario de la franchise, « Casino Royale »), une lacune relative pourtant largement compensée par tout ce que contient ce 24ème Bond. Il ne faut pas oublier non plus que les producteurs du film ont été forcés de faire réécrire le script après le piratage de Sony, ce qui a radicalement changé le déroulement de l’intrigue, la transformant en une judicieuse mise en abyme puisque la surveillance mondialisée se trouve au centre de ce Bond palpitant et ombrageux aux ramifications arachnéennes.

    Comme toujours haletant, le pré-générique se déroule en plan-séquence et sur les chapeaux de roue, dans une contrée lointaine, cette fois le Mexique lors de la fête des morts. Bond au bras d’une sublime créature se faufile à toute allure dans les rues grouillantes et animées de Mexico, affublé d’un masque de squelette, environné de simulacres de morts. D’emblée, le ton de ce nouveau Bond est donné. Sombre et sensuel. Sur lequel plane l’ombre de la mort. De spectres menaçants. (pléonasme?)

    A Mexico, Bond tue un célèbre criminel, le mari de Lucia Sciarra (Monica Bellucci) avant d’infiltrer une réunion secrète révélant une redoutable organisation qui répond au doux nom de Spectre pour les intimes (signifiant "Service Pour l'Espionnage, le Contre-espionnage, le Terrorisme, la Rétorsion et l'Extorsion", en VO :"Special Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge and Extortion") après avoir été démis de ses fonctions. Pendant ce temps, à Londres, Max Denbigh, le nouveau directeur du Centre pour la Sécurité Nationale, remet en cause les actions de Bond et l’existence même du MI6, dirigé par M (Ralph Fiennes).

    Bond persuade alors Moneypenny (Naomie Harris) et Q (Ben Whishaw) de l’aider secrètement à localiser Madeleine Swann (Léa Seydoux), la fille de son vieil ennemi, Mr White, qui pourrait détenir le moyen de détruire Spectre. Fille de tueur et solitaire, Madeleine comprend Bond mieux que personne… Sa Madeleine (de Proust ?) qui lui rappelle ses propres blessures.

    Depuis qu’il est incarné par Daniel Craig, James Bond est plus tourmenté, plus sombre, plus viril, plus glacial. Paradoxalement, plus humain, aussi. Le personnage a gagné en épaisseur en délaissant les stéréotypes du svelte dandy au sourire ravageur et carnassier aussi collectionneur de gadgets que de James Bond girls. Sixième acteur à incarner le célèbre héros de Ian Flemming, Daniel Craig est aussi à mon avis le meilleur, celui qui a apporté le plus d’épaisseur, de séduction brute, et de complexité au personnage. C’est ici dans cette complexité et non dans un scénario acadabrantesque que réside l’intérêt de ce nouveau James Bond. Un homme seul, un orphelin (doublement puisqu’il a aussi perdu M dans « Skyfall ») hanté par les démons du passé, par les morts et les ennemis qui ont jalonné sa route.

    La mort, la solitude, la noirceur président ainsi à ce nouveau James Bond, plus tourmenté et ombrageux que jamais. Cela n’en est pas moins un flamboyant divertissement. Bond est ici « un cerf volant qui danse dans un ouragan ». L’accent est en effet plus que jamais mis sur sa solitude, soulignée par la réalisation inspirée de Sam Mendes. Bond traversant une place vide et grisâtre. Bond pour la première fois dans son appartement où sur le sol gisent des tableaux qu’il n’a pas pris le temps d’accrocher. Bond au milieu de grandes étendues désertiques. Bond passant sous des arbres décharnés. Bond qui traverse constamment des décors qui font écho à ses démons et sa solitude.

    « Spectre » s’inscrit ainsi dans la continuité de « Skyfall », le retour aux sources qui, pour la première fois, évoquait l’enfance de Bond qui alors n’était plus une sorte de machine de guerre mais qui apparaissait pour la première fois comme un être de chair et de sang, construit par une blessure d’enfance. A nouveau, comme dans "Skyfall", il se retrouve confronté à un homme assoiffé de vengeance incarné par Christoph Waltz, manichéen comme tout méchant de Bond qui se respecte.

    L’élégance de la réalisation, la pénombre et les ombres du passé qui planent constamment (a fortiori celles de M et Vesper) rendent ce « Spectre » particulièrement nostalgique et mélancolique. Dès le prégénérique, nous étions prévenus, « les morts sont vivants ». Cette mélancolie annoncée est corroborée par un générique tentaculaire étourdissant de noirceur et sensualité mêlées avec la voix déchirée et déchirante de Sam Smith qui interprète "Writing's on the Wall". Danse funèbre enivrante qui m’a immédiatement transportée dans l’univers sombrement envoûtant de ce nouveau  Bond.

    Les destinations plus ou moins exotiques qui caractérisent les James Bond n’ont pas été oubliées et nous passons en un rien de temps du Mexique à Londres, de Londres à Rome, de Rome à l’Autriche, de l’Autriche au Maroc…avant de revenir à Londres. La psychologie des personnages féminins n’atteint pas celle de Vesper dans « Casino Royale » mais Bond pour la première fois depuis Vesper se laisse attendrir. L’amour face à un monde qui se meurt. Les scènes avec Léa Seydoux (7ème française à incarner une James Bond girl) n’égalent ainsi pas la joute verbale entre Bond et Vesper dans « Casino Royale » et  leur duel sensuel inoubliable mais apportent une touche d’émotion et de glamour. De même pour la scène d’amour avec Belluci dans la pénombre  délicieusement inquiétante d’un palais romain, baigné d’opéra et de mort.

    Ce Bond est aussi l’histoire d’une confrontation au passé. Le passé de son organisation. Le passé de Bond et ses fantômes qui ressurgissent. Son avenir n'est guère plus réjouissant, annoncé par son nom écrit en lettres rouges sang sur un mur, ajouté à une liste de morts.

    Comme toujours l’interprétation de Daniel Craig mêle élégance et dureté, avec une pointe d'humour, même si la carapace se fissure doucement. Glamour, sombre, spectaculaire, sensuel, nostalgique, mélancolique, dominé par un personnage plus torturé, élégant, ténébreux et donc séduisant que jamais et par la réalisation particulièrement brillante de Sam Mendes, ce James Bond est un divertissement de qualité en plus d’un hommage aux anciens James Bond. Laissez-vous enserrer par cette pieuvre spectrale qui vous embarquera dans un périple sombrement fascinant et divertissant, une grisant tourbillon d'amour et de morts.

  • Critique de JUSTE LA FIN DU MONDE de Xavier Dolan – Grand Prix du Festival de Cannes 2016

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    Il y a des films, rares, qui possèdent ce supplément d’âme, qui exhalent cette magie indescriptible (la vie, au fond,  cette « vitalité » que François Trufffaut évoquait à propos des films de Claude Sautet) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est ainsi comme un coup de foudre amoureux. Il anesthésie notre raison, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous procure une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie.

    Voilà ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de Mommy en sortant de sa projection cannoise, film pour lequel Xavier Dolan avec obtenu le Prix du Jury du Festival de Cannes 2014. Voilà ce que je pourrais tout aussi bien écrire à propos Juste la fin du monde qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2016 -dont vous pouvez lire mon premier bilan en cliquant ici- (mais aussi le prix du jury œcuménique dont le but est de récompenser des films « aux qualités humaines qui touchent à la dimension spirituelle »). « Cette récompense est inattendue et extrêmement appréciée » a ainsi déclaré Xavier Dolan à propos de son Grand Prix lors de la conférence de presse des lauréats après la clôture du festival.

    Xavier Dolan, Juste la fin du monde, Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Nathalie Baye, Léa Seydoux, Vincent Cassel, Grand prix, Festival de Cannes, 69ème Festival de Cannes, Festival de Cannes 2016, Juste la fin du monde, Mommy, Laurence anyways, Les amours imaginaires

    Conférence de presse des lauréats du 69ème Festival de Cannes

    Juste la fin du monde est déjà le sixième film du jeune cinéaste québécois et marque déjà sa cinquième sélection cannoise : après J’ai tué ma mère, son premier film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, après Les Amours imaginaires dans la sélection Un Certain Regard en 2010 puis en 2012 dans cette même sélection avec Laurence Anyways avant ses sélections en compétition officielle, en 2014 pour Mommy et en 2016 pour  Juste la fin du monde (avant lequel il avait aussi sorti Tom à la ferme).

    Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film se déroule sur une après-midi. Un jeune auteur, Louis (incarné par Gaspard Ulliel), après 12 ans d’absence, retrouve sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine. Il y a là sa mère (Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel), sa petite soeur (Léa Seydoux) et sa belle-sœur qu’il rencontre pour la première fois (Marion Cotillard).

    Dès les premiers plans, dans cet avion qui emmène Louis vers sa famille et dès les premières notes et la chanson de Camille (dont le titre résonne comme un poignant avertissement, Home is where it hurts), une fois de plus, Dolan m’a embarquée dans son univers si singulier, m’a happée même, m’a enfermée dans son cadre. Comment ne pas l’être quand à la force des images et de la musique s’ajoute celle des mots, avec la voix de Louis qui, off, nous annonce son funeste programme : « leur annoncer ma mort prochaine et irrémédiable. En être l’unique messager. […] Me donner, et donner aux autres, une dernière fois, l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. » Tout ce qu’il ne parviendra jamais à dire, une annonce qui place les 1H35 qui suivent sous le sceau de la fatalité, et nous mettent dans la situation rageuse et bouleversante de témoin impuissant.

    J’ai eu la sensation de retenir mon souffle pendant 1H35, un souffle suspendu aux mots de Louis et de sa famille, et plus encore à leur silence, et de ne recommencer à respirer que bien après cette fin et ce dernier plan, sans aucun doute le plus beau de ce 69ème Festival de Cannes.

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    Louis est un auteur, un homme des mots et pourtant, ici, ses mots sont vains. Ils ne servent qu’à cacher, qu’à taire ce que les silences semblent crier avec éloquence. Sur le chemin qui  mène Louis vers sa famille, une pancarte entrevue sur le côté de la route interroge « Besoin de parler ? ». Oui, certainement, mais comment quand les logorrhées des uns et des autres l’en empêchent, quand sa famille ne sait communiquer que dans l’ironie, la colère ou l’invective ?

    Certains, peut-être, diront qu’il ne se passe rien. Sans doute n’auront-ils rien vu de tout ce que sous-entendent les regards, les silences, les excès, les cris, le bruit et la fureur. C’est pourtant hitchcockien. Un regard, un souffle, un mot de travers, un silence paralysant et tout semble pouvoir basculer dans l’irréversible. Le spectateur est à l’affut du moindre souffle, du moindre murmure, du moindre frémissement. Le MacGuffin, ce sont ces mots prononcés dans l’avion à l’attention du spectateur et qui attendent d’être délivrés et de s’abattre. Menace constante. « Le plus prenant c’est la nervosité et la prolixité de tous les personnages qui expriment des choses profondément superficielles, nerveuses, inutiles sauf ce qu’ils devinent être la raison de la venue de Louis » a ainsi expliqué Xavier Dolan lors de la conférence de presse des lauréats du festival.

    Sa caméra, par les gros plans dont est majoritairement composé le film, entoure, enserre, emprisonne, englobe les visages, au plus près de l’émotion, pour capter le mensonge, le non dit, pour débusquer ce qui se cache derrière le masque, derrière l’hystérie. Elle les asphyxie, isole Louis dans sa solitude accablante, absolue, les met à nu, les déshabille de ces mots vains, déversés, criés qui ne sont là que pour empêcher l’essentiel d’être dit. Comme un écho au format 1:1 qui, dans Mommy, par ce procédé et ce quadrilatère, mettait au centre le visage -et donc le personnage-, procédé ingénieux, qui décuplait notre attention. Dans Les Amours imaginaires, la caméra de Xavier Dolan était aussi au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rendait les personnages aveugles au monde qui les entourait. La mise en scène non seulement y épousait déjà le propos du film mais devenait un élément scénaristique : puisque les protagonistes s’y « faisaient des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et étaient enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devenait lui-même un vertige fantasmatique.

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    Mais revenons à Juste la fin du monde. Que de douleur, de beauté, de significations dans les silences comme lors de cette scène, sublime, quand Louis prend sa mère dans les bras, qu’il s’y blottit, et qu’une petite parcelle de lumière caresse son visage en grande partie dans la pénombre, et que la musique sublime l’instant, qu’il regarde le vent qui s’engouffre dans les rideaux comme un appel de la vie qui s’enfuit. Que de choses la sensible Catherine dit-elle aussi dans ses silences, dans son flot de phrases absconses, dans ses hésitations, dans ses répétitions, elle qui semble dès le début savoir, et implorer une aide, elle que tout le monde semble mépriser et qui a compris ce que tous ignorent ou veulent ignorer ? Marion Cotillard, dans un rôle radicalement différent de celui de cette femme sauvagement vivante, enfiévrée, en quête d’absolu, qu’elle incarne dans le film de Nicole Garcia Mal de pierres (également en compétition officielle de ce Festival de Cannes 2016), est une nouvelle fois parfaite et semble converser dans ses silences.  « Sa parole était presque un silence sonore » a-t-elle dit lors de la conférence de presse, à propos de Catherine, son personnage, choisissant ses mots avec soin pour évoquer son rôle, toujours justes et d’une étonnante précision. "L'essentiel est que les gens entendent le murmure de la souffrance de chacun des personnages" a ainsi déclaré Xavier Dolan en conférence de presse. C’est indéniablement réussi. Cette souffrance étouffée tranche chacun des silences.

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    Nathalie Baye, comme dans  Laurence Anyways incarne la mère, ici volubile, outrancièrement maquillée, comme pour mieux maquiller, masquer, cette vérité qu’il ne faut surtout pas laisser éclater. « Dans ces imperfections, j’ai vu l’occasion de travailler avec des acteurs que j’admire pour leur demander d’exprimer ces imperfections humaines », a ainsi expliqué Xavier Dolan en conférence de presse. Gaspard Ulliel, remarquable dans le rôle du « roi » Louis, quant à lui, apporte au personnage une infinie douceur, et dans la lenteur de chacun de ses gestes, dans la tendresse mélancolique de chacun de ses regards et dans chacun de ses silences semble crier sa détresse indicible.

    Le langage est d’ailleurs au centre du cinéma de Xavier Dolan. Suzanne Clément, dans Mommy, mal à l’aise avec elle-même, bégayait, reprenant vie au contact de Diane et de son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement, par des excès de violence et de langage, déjà. Et dans Laurence Anyways, Laurence faisait aussi de la parole et de l’énonciation de la vérité une question de vie ou de mort : « Il faut que je te parle sinon je vais mourir » disait-il ainsi.

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    Placé sous le sceau de la mort et de la fatalité, Juste la fin du monde n’en est pas moins parsemé de scènes étincelantes. Ainsi, quand Louis s’évade dans le passé, tout s’éclaire et rend le présent encore plus douloureux. La musique, de Gabriel Yared, somptueuse, apporte une note romanesque à l’ensemble, et des musiques judicieusement choisies et placées, souvent diégétiques, constituent des entractes musicaux et des échappées belles et lumineuses, presque oniriques, qui nous permettent de respirer comme cette chorégraphie de la mère et de la sœur de Louis sur un tube d’O-Zone ou lors de réminiscences d’un amour passé sublimé par le souvenir.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Sans doute le film le plus intense de ce Festival de Cannes 2016, mais aussi le plus intense de Xavier Dolan, dans lequel chaque seconde, chaque mot ou plus encore chaque silence semblent vitaux ou meurtriers. J’en suis ressortie épuisée, éblouie, en larmes, après une fin en forme de valse de l’Enfer qui nous embrasse dans son vertige étourdissant et éblouissant, un paroxysme sans retour possible. Comme une apothéose : une fin du monde. Comme le bouquet final d’une démonstration implacable sur la violence criminelle de l’incommunicabilité. Tellement symptomatique d’une société qui communique tant et finalement si mal, incapable de dire et d’entendre l’essentiel ( ce qu’avait aussi si bien exprimé un film primé du prix de la mise en scène à Cannes, en 2006, Babel).

    Xavier Dolan se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Que, surtout, il continue à filmer  les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les filmer ces passions (et à les soulever), à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare... Surtout qu’il continue à laisser libre cours à sa fougue contagieuse, à son talent éclatant et iconoclaste, à nous emporter, nous happer dans son univers, et à nous terrasser d’émotions dans ses films et sur scène, comme lors de son discours de clôture, grand et beau moment qui a marqué la fin de ce 69ème Festival de Cannes :

    « L’émotion ce n’est pas toujours facile, il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres.   La violence sort parfois comme un cri. Ou comme un regard qui tue ». « J’ai tenté au mieux de raconter les histoires et les émotions de personnages parfois méchants ou criards mais surtout blessés et qui vivent comme tant d’entre nous dans le manque de confiance dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie on le fait pour être aimé, pour être accepté. » […] « Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris et paradoxalement plus je grandis et plus je me comprends et sais moi-même qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, sans compromis, sans céder à a facilité, même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination. J’étais ici il y a deux ans et je vivais un événement déterminant dans ma vie et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie qui seront aimés ou non et comme disait Anatole France, je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. »

    Le film sortira en salles le 21 septembre 2016. Sans aucun doute y retournerai-je pour, à nouveau, être étourdie d’émotions par ce film palpitant. Merci Xavier Dolan et surtout continuez à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à vous concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère… et, surtout, continuez à nous foudroyer de vos coups que vous nous portez au cœur. En plein cœur.

    Remarque : le film a été produit par Nancy Grant à qui on doit notamment la production de Mommy mais aussi du  très beau Félix et Meira de Maxime Giroux.

  • Critique de LA BELLE ET LA BÊTE de Christophe Gans à 20H45 sur Ciné + Premier

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    Le film est directement adapté du conte publié en 1740 par Madame de Villeneuve repris par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1757. Il s’agit de la neuvième adaptation, la plus remarquable restant celle de Jean Cocteau en 1946.

     

    En 1810, après le naufrage de ses navires, un marchand ruiné (André Dussolier) doit s’exiler à la campagne avec ses six enfants parmi lesquels Belle (Léa Seydoux), la plus jeune de ses filles, plus joyeuse et moins matérialiste que ses deux stupides sœurs. Lors d’un éprouvant voyage, le marchand découvre le domaine magique de la Bête (Vincent Cassel) qui le condamne à mort pour lui avoir volé une rose. Se sentant responsable du terrible sort qui s’abat sur sa famille, Belle décide de se sacrifier à la place de son père. Chaque soir, à l’heure du dîner, elle devra retrouver la Bête.

     

    Tout était réuni pour que cette superproduction soit un grand film romanesque, voire romantique : un casting prestigieux (Léa Seydoux, Vincent Cassel, Eduardo Noriega, André Dussolier…), un budget vertigineux (35 millions d’euros), une histoire intemporelle constituée de fracassants et très visuels paradoxes : la beauté et la laideur, la férocité et la douceur, le corps et l’âme, l’obscurité et la clarté. La belle et la bête. En résulte pourtant un film sans âme, désincarné, où jamais l’émotion n’affleure. Ou si, peut-être le temps d’une danse trop vite interrompue comme si Gans avait peur de l’émotion, de laisser jouer ses acteurs, qu’ils ne volent la vedette à ses décors démesurés qui étouffent ses personnages. Comme la nature cherche à les étouffer, certes. On retient tout de même un peu notre souffle le temps d’une course échevelée vers le fameux château. Mais il y avait mille fois plus de nuances, de poésie dans la photographie d’Henri Alekan que dans celle de Christophe Beaucarne ici et dans la musique de Georges Auric.

     

    Christophe Ganz s’est certes beaucoup amusé à faire virevolter sa caméra (jusqu’au vertige parfois, abusant des vues en plongées sur les décors ou sur le décolleté de Léa Seydoux, pour bien nous signifier l’animalité et l’emprise de la bête) mais ses personnages semblent se perdre dans ce tourbillon dont le décor devient alors le personnage principal qu’il pare de toutes les beautés et toutes les laideurs, de tous les vices et toutes les vertus, s’inspirant de Miyazaki pour l’aspect plus féérique, hymne à la nature, de Guillermo De Toro pour montrer une nature vengeresse aux accents gothiques (lequel Guillermo Del Toro l’adapte d’ailleurs à son tour). Une nature qui se rebelle, la transformation du Prince en bête étant ici un châtiment de celle-ci. Les scènes de nature anthropomorphique sont finalement les plus réussies, Gans étant sans aucun doute meilleur dans la noirceur que dans la clarté, dans le romanesque ou du moins le spectaculaire que dans le romantisme,  les scènes entre les deux protagonistes et les dialogues étant vite expédiés sans parler du dénouement d’une mièvrerie confondante qui frôle le ridicule.

     

    Plutôt qu’un remake, Christophe Ganz a préféré se référer au conte et signer une nouvelle adaptation. Oubliés donc Le Magnifique, les chandeliers mobiles,  et oubliée la beauté fulgurante de Jean Marais remplacé par un carnassier Vincent Cassel au jeu sans nuances et dont on se demande comment il peut inspirer tant d’amour à La Belle.

     

    Un film qui se voudrait un hymne à la nature, dépourvu de lyrisme, une histoire d’amour, dépourvue d’âme mais qui plaira peut-être aux amateurs d’un cinéma spectaculaire qui ne s’embarrasse pas de psychologie. Pour ma part, j’ai été profondément touchée par l’œuvre de Cocteau alors que je suis ici toujours restée à distance. Vincent Cassel a récemment dit que cette version aspirait à dépoussiérer celle de Cocteau. Certes. La poussière possède néanmoins parfois bien plus d’âme, de cœur et de poésie que le flambant neuf…

     

    Et pour vous donner envie de plonger dans la poussière, voici les premiers mots de la version de Jean Cocteau, qui vous permettra de laisser libre cours à ce que Gans semble vouloir emprisonner pour peut-être se conformer à une époque elle aussi carnassière et avide d'images et de sensationnel : l’imagination…

     

    L’enfance croit ce qu’on lui raconte et ne le met pas en doute. Elle

    croit qu’une rose qu’on cueille peut attirer des drames dans une famille.

    Elle croit que les mains d’une bête humaine qui tue se mettent à fumer

    et que cette bête en a honte lorsqu’une jeune fille habite sa maison. Elle

    croit mille autres choses bien naïves.

    C’est un peu de cette naïveté que je vous demande et, pour nous

    porter bonne chance à tous, laissez-moi vous dire quatre mots magiques,

    véritable « Sésame, ouvre-toi » de l’enfance :

    Il était une fois…..

    Jean Cocteau