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critique - Page 49

  • Les films à voir cette semaine du 26 décembre 2012

    LE film à voir cette semaine, c'est "L'Homme qui rit" de Jean-Pierre Améris (si vous ne devez aller voir qu'un film cette semaine, c'est celui-ci, mon coup de coeur de cette fin d'année). Critique:

     

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    Comme étais-je passée à côté de ce roman de Victor Hugo ? Mystère… La sortie du film a pour moi été l’occasion de cette magnifique découverte, d’un texte ardu mais passionnant, riche de multiples digressions, d’une langue admirable (évidemment), et surtout d’un personnage monstrueusement séduisant auquel tous ceux qui se sont un jour sentis différents pourront s’identifier : Gwynplaine sur lequel Jean-Pierre Améris a eu la bonne idée de centrer son film.

     

    Alors que la tempête de neige fait rage, Ursus (Gérard Depardieu), le forain en apparence revêche mais généreux, recueille deux orphelins dans sa roulotte. Le premier de ces deux orphelins, c’est Gwynplaine, un jeune garçon dont une cicatrice qui ressemble à un rire insolemment triste barre le visage, l’œuvre des Comprachicos (un mot qui est une invention de Victor Hugo provenant de l’espagnol comprar -qui signifie acheter- et chicos -qui signifie enfant- signifiant donc «acheteurs d’enfants»), spécialisés dans le commerce d’enfants, qu’ils achètent ou volent et revendent après les avoir mutilés. L’autre enfant, c’est Déa une petite fille aveugle que ce dernier a trouvée sur son chemin. Quelques années plus tard, ils sillonnent toujours les routes et présentent un spectacle dont Gwynplaine (Marc-André Grondin) alors adulte, est devenu la vedette, accompagné de Déa (Christa Théret), également sur scène. Partout, on souhaite voir « L’homme qui rit » celui qui fait rire et émeut les foules mais un autre théâtre, bien plus redoutable, celui de l’aristocratie, va l’éloigner de ceux qu’il aime et qui l’aiment…

     

    Hugo a écrit « L’homme qui rit » entre 1866 et 1869 durant son exil politique dans les îles Anglo-Normandes. Adapter les 750 pages de ce roman était un véritable défi tant le roman est foisonnant, allégorique aussi, et tant l’auteur digresse sur la politique, la philosophie et même l’architecture. Jean-Pierre Améris et Guillaume Laurant (notamment scénariste de films de Jean-Pierre Jeunet dont « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ») ont réalisé un incroyable travail d’adaptation et ont eu l’excellente idée de transposer le roman qui se déroule dans l’Angleterre du XVIIème sicèle dans un lieu et une époque imprécis (le film a été tourné en studios à Prague) et surtout d’en faire un conte sombre, et ainsi fascinant. Pour rendre l’histoire plus moderne et accessible, Jean-Pierre Améris a volontairement utilisé des éléments plus contemporains, pour les dialogues mais aussi pour les costumes, comme l’avaient fait Baz Luhrmann pour « Roméo et Juliette » ou Sofia Coppola pour « Marie-Antoinette ».

     

    Dès les premiers plans dans la neige et la tempête, la poésie lugubre et la féérie sombre des images captivent. Du roman baroque d’Hugo Jean-Pierre Améris a fait une fable intemporelle d’une beauté triste mais ensorcelante. C’est un magnifique roman (et film) sur la différence, la dualité, entre blancheur et noirceur, entre beauté et laideur, entre théâtre et réalité, entre aveuglement et clairvoyance, des contrastes que l’esthétique du film souligne magnifiquement et dont elle souligne aussi les paradoxes. « Qu’est-ce que ça veut dire être laid ? Laid c’est faire le mal ! Toi tu me fais du bien », résume si bien l’aveugle et sensible Déa.

     

    La vie est à la fois sublimée et plus réelle sur les planches comme elle peut l’être dans « Le Carrosse d’or », « Les enfants du paradis », « Le dernier métro » et c’est là que l’amour impossible de Déa (la jeune aveugle qui voit la beauté de l’âme, allégorie simple et tellement magnifique) et Gwynplaine est le plus éclatant. La monstruosité, le théâtre, la noirceur se situent finalement dans la réalité et du côté de l’aristocratie comme dans le « Ridicule » de Patrice Leconte. « Ne quitte jamais les planches. Ici les gens t’aimeront, mais dans la vie réelle, ils te feront souffrir » le prévient pourtant Ursus mais pour son plus grand malheur, Gwynplaine ne l’écoutera pas…

     

    Jean-Pierre Améris (dont j’ai découvert le cinéma avec « C’est la vie » et « Poids léger » que je vous recommande vivement et dont le dernier film « Les Emotifs anonymes » était une comédie très réussie), pour son 12ème film, est une nouvelle fois attiré par une histoire de marginaux qu’il sait si bien comprendre et pour lesquels il sait si bien susciter de l’empathie. Il a ainsi fait de Gwynplaine un personnage éminemment séduisant : innocent, révolté, libre, d’une laideur attrayante. Gwynplaine est moins connu que Quasimodo et pourtant sa belle monstruosité a énormément inspiré les artistes, à commencer par Tim Burton pour « Edward aux mains d’argent ». Le film de Jean-Pierre Améris, sans jamais le singer, m’a d’ailleurs beaucoup fait penser à l’univers du cinéaste américain par sa beauté baroque, entre rêve et cauchemar, par ses personnages d’une beauté étrange et fascinante (très felliniens, aussi), par sa mise en scène inspirée. Tim Burton n’était d’ailleurs pas le seul à avoir été inspiré par Gwynplaine. Les dessinateurs Jerry Robinson et Bob Kane reconnaissaient ainsi volontiers s’être inspirés de Gwynplaine pour le personnage du Joker, dans les comics Batman. Et le roman d’Hugo est longuement évoqué dans « Le Dahlia noir » de James Ellroy, présent également dans l’adaptation cinématographique de Brian De Palma.

     

    C’est aussi un très bel hymne à la différence, et à ceux qui se battent pour les autres (Hugo était un écrivain engagé, Jean-Pierre Améris, l’est aussi à sa manière dans chacun de ses films ou même teléfilms comme « Maman est folle »). Magnifique scène de la tirade au Parlement ! Il s’agit d’un discours exalté dans lequel Marc-André Grondin met beaucoup d’éloquence et de conviction : « Ce qu’on fait à ma bouche, c’est ce qu’on fait au peuple. On le mutile » dit-il notamment (le texte, magnifique, est là repris de Hugo). Marc-André Grondin apporte toute sa beauté, sa fraîcheur à ce homme bouleversant caché derrière ce masque tragiquement rieur, se mettant ainsi à nu, dévoilant son visage mais surtout sa belle âme, face à la vraie monstruosité.

     

    Le film bénéficie aussi d’un casting impeccable : outre Marc-André Grondin, Gérard Depardieu impose sa force tranquille et sa générosité (au passage, que les pseudo-politiquement corrects laissent tranquille cet homme terriblement libre, vivant, cet immense artiste, plutôt que d’utiliser sa vie personnelle pour, probablement, exprimer une certaine rancœur, voire jalousie, et qu’ils s’engagent et mettent leur énergie vindicative au service de causes qui en sont vraiment). J’espère que cela permettra aussi à certains de découvrir Swann Arlaud que j’avais découvert au Festival de Cabourg dans le court-métrage « Alexis Ivanovich vous êtes mon héros » de Guillaume Gouix dans lequel il incarne admirablement un personnage radieux et joyeusement désinvolte qui, en une fraction seconde, blessé dans son orgueil, va tout remettre en question, découvrant ne pas être le héros qu’il aurait aimé être aux yeux de son amoureuse. Emmanuelle Seigner est une incarnation sublime de la tentation diabolique et finalement, malgré tout, touchante (comme chez Hugo, même ou car monstrueux, ses personnages restent humains), et comme elle le dit elle-même, le visage de Gwynplaine est le reflet de son âme sombre. Enfin, Christa Théret dont le visage est si expressif (à voir aussi absolument dans « Renoir », dans un rôle très différent dans lequel elle excelle également) est la tentation angélique, incarnation du mélange de force et de fragilité, d’aveuglement et de clairvoyance.

     

    Mon seul reproche concerne le montage, et la durée, l’impression que la fin est un peu brusque…et que sans digresser autant que le fait Hugo dans son livre, le film aurait encore gagné en densité en gagnant un peu en longueur.

     

    Ce film est néanmoins vraiment un enchantement, un enchantement mélancolique, la forme reflétant ainsi le fond et toutes les sublimes dualités que l’histoire recèle. C’est aussi un opéra moderne ( la musique a été enregistrée à Londres avec un orchestre de 65 musiciens et elle apporte une force lyrique au film) . C’est également une histoire d’amour absolu, idéalisée, intemporelle (elles sont trop rares au cinéma pour s’en priver). C’est enfin un film universel au dénouement bouleversant. N’ayez pas peur de l’humour grinçant, la noirceur, la tragédie, ils sont sublimés par un personnage émouvant qui à la fois nous ressemble si peu et tellement (pour peu que nous nous sentions un tout petit peu différents) et un univers fascinant, poignant : celui d’un conte funèbre et envoûtant. La très belle surprise de cette fin d’année.

     

    Quelques citations extraites du livre « L’homme qui rit » de Victor Hugo, pour terminer :

     

    « Les aristocrates ont pour orgueil ce que les femmes ont pour humiliation, vieillir. »
    « De telles innocences dans de telles ténèbres, une telle pureté dans un tel embrassement, ces anticipations sur le ciel ne sont possibles qu’à l’enfance, et aucune immensité n’approche de cette grandeur des petits. »
    « Ca doit se fourrer dans des trous, le bonheur. Faites-vous encore plus petits que vous n’êtes, si vous pouvez. Dieu mesure la grandeur du bonheur à la petitesse des heureux. Les gens contents doivent se cacher comme des malfaiteurs. »
    « Deux coeurs qui s’aiment, n’allez pas chercher plus loin la poésie; et deux baisers qui dialoguent, n’allez pas chercher plus loin la musique. »

     

    L’homme qui rit a été présenté en clôture de la 69ème Mostra de Venise

     

    Sortie en salles : le 26 décembre 2012

     

    LA découverte de la semaine c'est "Une Estonienne à Paris" d'Ilmar Raag

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    L’interprète féminine principale de ce film a reçu le prix d’interprétation au dernier Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz : Laïne Magi . Cette dernière y interprète une Estonienne quinquagénaire qui, après avoir consacré deux années à sa mère, part travailler en France suite au décès de cette dernière. Là, elle s’occupe d’une vieille dame, Frida (Jeanne Moreau), qui n’attend plus rien d’autre de la vie que l’attention que lui porte Stéphane, son jeune amant d’autrefois.

     Le film est produit par les producteurs de mon coup de cœur de l’édition 2011 du festival « Une bouteille à la mer » et possède en commun avec le film de Thierry Binisti une belle sensibilité et un récit qui fait se rencontrer deux solitudes qui, a priori, n’auraient jamais dû se croiser.

    La vieille dame délicieusement indigne est interprétée par Jeanne Moreau qui impose sa belle présence et assurance. L’une et l’autre vont trouver dans cette détonante rencontre ce qu’elles ne cherchaient plus. Les personnages sont soigneusement dessinés, non seulement les deux interprètes féminines mais également le personnage de Stéphane interprété par Patrick Pineau.

    C’est aussi l’histoire d’une liberté trouvée, de deux, et même trois solitudes qui vont se rencontrer, et c’est surtout l’interprétation subtile et nuancée de l’interprète principale qui donne à ce film cette grâce ensorcelante. Le distributeur a souligné que la force du film tenait surtout dans le fait de « faire se rencontrer deux mondes différents ».

     

    LE film à éviter cette semaine, c'est "Jack Reacher":

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    Il est rare que je perde du temps ici à vous parler des films que je n’ai pas aimés mais quand je me dis que cela peut vous éviter de perdre votre précieux temps, je me dévoue à cette tâche basse et facile

    Le film est tiré d’un roman de Lee Child intitulé "Folie Furieuse" ("One Shot" en anglais). Il s’agit du neuvième tome de la saga « Jack Reacher ». Le neuvième volet fut le plus vendu, à pas moins de 60 millions d’exemplaires dans le monde.

    Un homme armé fait retentir six coups de feu. Du haut d’un immeuble où il domine le quartier, où les passants ne sont plus que des cibles à sa portée, il tue cinq personnes. Il est arrêté. Toutes les preuves l’accusent, et l’accusent avec un peu trop d’évidence. Lors de son interrogatoire, le suspect ne prononce qu’une phrase : «Trouvez Jack Reacher. »

    Les dix premières minutes, entièrement muettes, sont assez palpitantes, quoique recourant à un ressort assez malsain où les futures victimes deviennent des cibles aussi faciles à abattre que dans un jeu vidéo, où le spectateur est finalement complice de ce massacre qui en rappelle d’autres, réels ceux-là. Mais passons sur ce jugement de valeur qui serait bassement moraliste, je vous l’accorde.

    Il sera rapidement mis fin au pseudo-suspense énoncé par le titre (qui en fait le titre le plus inadéquat de l’année) puisque Jack Reacher est « introuvable sauf s’il le décide » et qu’il le décide au bout de dix minutes de film, non sans que son arrivée triomphale n’eut été précédée de plans de dos pour ménager l’apparition de la star, héros ou anti-héros (à vous de voir) qui est « Un genre de flic. Il se fout des preuves. Il se fout de la loi. Il veut juste que justice soit faite. »

    Jack Reacher est un justicier sans morale, viril, irrésistible, impitoyable, misogyne, il a une mémoire d’éléphant (comme tout le reste, c’est amené avec une ridicule grandiloquence) qui, à la demande de l’avocate du présumé coupable (qui est aussi la fille du procureur et qui tombe forcément immédiatement sous le charme de Jack Reacher) va partir en quête de la vérité sur laquelle le spectateur est constamment en avance, ce qui annihile tout début de commencement de suspense. Bref, le film tourne autour de Jack Reacher mais n'a rien à voir avec "Drive", un film auquel l'affiche et certaines scènes semblent d'ailleurs faire référence.

    C’est un hommage aux films d’action des années 1970, me rétorquera-t-on (oui, j’aime bien faire les questions et les réponses). La photographie de Caleb Deschanel, hommage aux films d’actions des années 1970 m’a laissée de marbre mais est d’ailleurs peut-être le seul atout du film. Certes, certaines scènes ridicules sont censées être irrésistibles (comme lorsque le décor abat les adversaires de Jack Reacher) et il faut prendre tout cela au second degré (enfin, j’ose l’espérer). Mais cela n’empêche que je me suis prodigieusement ennuyée, et si l’ennui n’est pas forcément un critère de bonne ou mauvaise qualité, c’est plus ennuyeux pour un film qui se qualifie de thriller.

    Au terme d’hommage je préfère donc celui de caricature : personnage féminin stupidement enamouré qui bave devant le torse nu de Jack, flic corrompu, méchants très méchants et vicieux, scénario abscons (rappelons que c’est ici la seconde réalisation de Christopher McQuarrie -dont le nom est d'ailleurs quasiment invisible sur l'affiche au contraire de celui de Tom Cruise, caractéristique des films d'auteurs...-, collaborateur de Bryan Singer sur de nombreux scénarii et notamment auteur du scénario de « Usual suspect » ou encore de « Walkyrie » avec un certain Tom Cruise) avec forcément, au dénouement, le face-à-face final sans oublier pour m’achever une métaphore basse et méprisable sur le cancer « ces cellules qui augmentent inexorablement », genre de métaphores dont les médias abusent également et qui a le don de m’horripiler, argument totalement subjectif et sans lien avec le film, je vous l’accorde à nouveau mais qui, finalement, témoigne une nouvelle fois des ficelles faciles auxquelles le scénariste recourt. Le slogan de l'affiche qui s'applique au héros est "Pas de règles. Pas de limites". Il semblerait que ce soit aussi celui du scénario: pas de règles et pas de limites dans la caricature...

    Le film est produit par Paul Wagner ( à qui le dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville a rendu hommage) et par Tom Cruise à qui cette dernière est associée dans une société de production depuis 1993, c’est ce dernier qui a confié la réalisation à Christopher McQuarrie qui lui a évidemment donné le « beau » rôle. Ne manquez pas non plus l’apparition du grand cinéaste Werner Herzog dont on se demande ce qu’il est allé faire dans cette galère…et vous obtiendrez le film le plus dispensable de l’année (avec « Nous York », dans un autre genre) ou alors laissez vos neurones et votre sens critique au vestiaire. Si vous aimez Tom Cruise, je vous conseillerais plutôt de revoir les « Mission impossible », cinéma de divertissement jubilatoire et plutôt malin, au contraire de ce film qui cherche avant tout à exploiter un filon. La preuve en ayant choisi d’adapter l’épisode de la saga Jack Reacher qui s’est le plus vendu et avec une fin qui appelle une suite (évidemment).

     

    Sortie en salles : le 26 décembre 2012

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  • Avant-première – Critique de « Comme des frères » de Hugo Gélin avec Pierre Niney, François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry…

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    Nombreuses sont les comédies françaises à être sorties depuis le début de l’année  (sans doute le reflet d’une frilosité des producteurs se disant qu’en période de crise, le public est friand de ce genre) et rares sont malheureusement celles à se démarquer et surtout à être autre chose qu’une suite de sketchs (certes parfois très drôles), sans véritable scénario ni mise en scène. Je vous parle d’ailleurs rarement de comédies ici mais je tenais à le faire pour celle-ci pour différentes raisons…

     « Comme des frères », c’est l’histoire de trois hommes de trois générations différentes, Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) qui, a priori, n’ont rien en commun, rien si ce n’est Charlie (Mélanie Thierry), à qui ils étaient tous liés par un sentiment fort et singulier, et qui vient de mourir. Comme elle le leur avait demandé, ils décident de faire ensemble ce dernier voyage qu’elle aurait voulu faire avec eux, direction la Corse et la maison que Charlie aimait tant. 900kms ensemble avec, pour point commun, l’ombre de la lumineuse Charlie, leur chagrin…un voyage après lequel plus rien ne sera tout à fait pareil.

    Dès le début de ce film se dégage un charme inexplicable (pléonasme, non ?) qui vous accroche et attache aux protagonistes pour ne plus vous lâcher… Les frères Dardenne (dans un genre de film certes radicalement différent) répètent souvent que ce sont les personnages qui comptent avant les idées et, si la plupart des comédies se contentent d’une bonne idée et d’un bon pitch, négligeant leurs personnages, ici, dans l’écriture du scénario, Hérvé Mimran ( coauteur/coréalisateur d’une autre comédie très réussie qui d'ailleurs présentait aussi cette qualité:  « Tout ce qui brille »), Hugo Gélin et Romain Protat, se sont d’abord attelés à construire des personnages forts et particulièrement attachants : le jeune homme lunaire de 20 ans, le trentenaire scénariste noctambule, et l'homme d’affaires, quadragénaire et seul. Trois personnages qui, tous, dissimulent une blessure.

     Le chagrin et la personne qui les réunissent annihilent la différence d’âge même si elle est prétexte à un gag récurrent (et très drôle) sur les goûts parfois surannés du personnage de François-Xavier Demaison qui apporte toute sa bonhomie mélancolique et attendrissante et la justesse de son jeu à cet homme qui n’arrive pas -plus- à aimer depuis Charlie. L’autre bonne idée est en effet le casting : outre François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle est également parfait, et surtout Pierre Niney ( pensionnaire de la comédie française depuis 2010), découvert au Festival du Film de Cabourg 2011 (où il a cette année reçu le prix de la révélation masculine) dans le très beau premier long-métrage de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » dans lequel il incarnait un personnage d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient. Ici il est lunaire, burlesque même, immature (mais finalement pas tant que ça), attachant, et cache  lui aussi derrière sa maladresse, une blessure. Pas étonnant que les propositions pleuvent après sa nomination aux César 2012 pour cet acteur par ailleurs humble et sympathique, ce qui ne gâche rien…

     Si je vous parle du film de Frédéric Louf, c’est qu’il présente un autre point commun avec le film d’Hugo Gélin : cette vitalité si chère à Truffaut (« Le cinéma c’est la vitalité » disait-il) qui parcourt tout le film. Une vitalité, un sentiment d’urgence, une conscience du dérisoire de l’existence, de sa beauté mélancolique aussi, et de la tendre ironie qu’inspirent souvent les drames de l’existence, qui changent à jamais le regard sur celle-ci, et que ce film parvient magnifiquement à retranscrire.

     Hugo Gélin ne recourt jamais au pathos, l’écueil dans lequel il aurait été si facile de tomber avec un tel sujet, mais montre au contraire qu’une révoltante et cruelle injustice de l’existence, peut donner une autre saveur à celle-ci , le goût de l’essentiel et qu’elle peut avoir la capacité  de (re)créer des liens, ici quasiment fraternels. Plutôt que de nous montrer Charlie malade et agonisante, il nous la montre telle que la voyaient ses trois amis, radieuse, viscéralement vivante et lumineuse, par une série de flashbacks judicieusement amenés qui retracent le lien si particulier que chacun d’entre eux entretenait avec elle mais aussi la manière dont le quatuor devenu trio s’est construit avec, notamment, la très belle scène chaplinesque sur leur première rencontre, intelligemment placée au dénouement.

     Le scénario (qui a le mérité d’être original, de n’être pas l’adaptation d’une BD ou d’un livre, ou la transposition de sketchs d’humoristes désireux de passer derrière et/ou devant la caméra comme c’est très-trop-souvent le cas), sensible, qui nous révèle les liens entre les personnages par petites touches et alterne intelligemment entre rires et larmes, est aussi servi par des dialogues savoureux. Tant pis si certains aspects sont peut-être plus prévisibles comme le prénom donné au bébé de l’un d’entre eux, cela fait aussi partie des codes de ce genre de film.

    De ces trois (quatre)-là, vraiment irrésistibles, émane une belle complicité, une alchimie même, à cause de laquelle ou plutôt grâce à laquelle nous les laissons avec regrets nous frustrant presque de n'en  savoir pas plus… Un quatuor qui m’a parfois rappelé celui de « Père et fils » de Michel Boujenah qui mettait ainsi en scène un père et ses trois fils. Le tout est servi par une belle photographie signée Nicolas Massart ( avec des plans que certains cyniques jugeront sans doute clichés, comme ce plan de soleil, reflet d’un nouveau jour et de l’espoir qui se lèvent), un film d’une gravité légère à la fois tendre et drôle, pudique et espiègle: en tout cas, charmant et qui prouve qu'une comédie peut sonner juste et actuelle sans recourir systématiquement au trash ou au cynisme.

    Ajoutez à ce casting impeccable, ce scénario et ces dialogues réjouissants, cette photographie, la musique ensorcelante du groupe Revolver (quelle bonne idée d'ailleurs! J’en profite pour vous signaler qu’ils seront à l’Olympia le 25 octobre prochain !) et vous obtiendrez ce road movie attachant et riche d'espoirs, cet hymne à l'amitié et la comédie tendrement mélancolique de l’année.

    En salles le 21 novembre 2012

  • Avant-première - Critique d’« Animal kingdom » de David Michôd

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    Vous l’aurez peut-être remarqué, ces derniers temps, j’ai publié moins de critiques de films à l’affiche sur inthemoodforcinema.com, d’abord faute de coups de cœur cinématographiques sur lesquels j’ai décidé, plus que jamais, de me concentrer mais aussi parce que je me consacre désormais surtout à mon blog In the mood for Cannes afin qu’il soit le plus exhaustif possible et afin de  vous permettre de suivre ce 64ème Festival de Cannes le mieux possible, que vous y soyez ou non.

    J’avais néanmoins très envie de vous parler d’un premier film australien qui sort en salles mercredi prochain et qui a reçu le grand prix du jury au Festival de Sundance 2010 et le prix de la critique internationale au Festival de Beaune 2010 (ce qui confirme d’ailleurs la qualité de la sélection de ce festival et mon envie d’y faire un tour l’année prochaine).

    Direction l’Australie donc, plus précisément Melbourne, là où vit la famille Cody, criminelle de son état. Josh, (James Frecheville) un neveu éloigné, vient de perdre sa mère d’une overdose. Il va aller vivre chez les Cody  avec qui sa mère avait coupé les liens et qu’il ne connaît pas.

    Cette première scène nous plonge d’emblée dans l’atmosphère du film. Josh, en apparence impassible, regarde la télévision tandis que sa mère, morte d’une overdose, git à ses côtés. Il va alors se retrouver parmi ses oncles Pope (Ben Mendelsohn), Craig (Sullivan Stapleton) et Darren (Luke Ford), et sa grand-mère Smurf (Jacki Weaver), animal égaré parmi ces prédateurs dont la grand-mère est la reine incontestée.

    James Frecheville, dans ce qui est son premier rôle, campe un adolescent maladroit, velléitaire, peu loquace, à l’apparence d’un homme et au regard d’enfant,  qui va se retrouver plongé dans un cercle infernal. Il devra choisir son camp. Sortir de la violence, de ce cercle infernal justement, en aidant la police et en trahissant sa famille. Ou défendre sa famille jusqu’au bout. A moins qu’il n’y ait une troisième voie… David Michôd fait de cet anti-héros en apparence imperturbable, presque fantomatique, un personnage aussi opaque qu’étrangement attachant, incarnant une sorte d’innocence brute.

    Vous le savez si vous suivez ce blog, j’affectionne tout particulièrement le polar et ne supporte pas qu’on le massacre comme ce fut le cas avec un film français récemment. Le scénariste et réalisateur David Michôd, fasciné par la criminalité à Melbourne, qui a porté son sujet pendant 9 ans, ne cherche heureusement pas ici à singer ses prédécesseurs mais il s’en imprègne pour nous plonger dans son propre univers, celui d’une ville de Melbourne, sous la photographie remarquable d’Adam Arkapaw, une ville en apparence ensoleillée, mais glaciale à l’image de cette famille en apparence normale mais glaçante.  La grand-mère, mélange de louve qui couve ses fils et de lionne aux griffes acérés, a une apparence chaleureuse, affable et souriante mais ne s’en révèle que plus redoutable et diabolique.

    Si, malgré cela, je n’ai pas été totalement embarquée, c’est sans doute en raison de la bande-annonce (un modèle du genre, d’une force émotionnelle redoutable) et en raison d’un synopsis officiel que j’avais eu le malheur de lire avant la projection et qui, je trouve, fait attendre un film différent, un mélange entre « Les Infiltrés » et le cinéma de James Gray (dont il n’a pas la force lyrique) créant une déception, non en raison de ce que le film lui-même serait décevant mais différent de ce à quoi la bande-annonce et le synopsis nous font attendre. Ils laissent également entendre une relation plus étroite entre la police et Josh. D’ailleurs, dommage que le personnage de Guy Pearce (qui incarne l’inspecteur Leckie) ne soit pas plus développé.

    « Animal factory » vaut néanmoins largement le détour pour sa galerie de portraits, pour son atmosphère de violence insidieuse (jamais esthétisée néanmoins, souvent brutale mais sans effusions de sang)  et sa tension latente : la menace plane, l’étau se resserre, la tragédie implacable tisse sa toile, le royaume des animaux est sauvage et sans pitié, prédateurs indomptés, indomptables mais aussi apeurés dont le roi est une reine que vous n’oublierez pas de si tôt comme la fin, certes sans surprises, mais non moins d’une suffocante et implacable évidence. Dans ce royaume-là, une vraie jungle : dévorer ou être dévoré, il semble n’y avoir d’autre choix. Allez voir ce polar désespéré (tout de même nommé 18 fois aux AFI Awards 2010, équivalent australien de nos César) largement au-dessus de la moyenne, un premier film qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Un réalisateur à suivre.

    A suivre : un concours vous permettant de remporter 10x2 places pour découvrir « Animal kingdom » en salles.

     

  • Critique de "La femme d'à côté" de François Truffaut ce soir sur Ciné Cinéma Star à 20H40

    Ce soir, ne manquez pas un classique de François Truffaut de 1981: "La femme d'à côté", à 20H40 sur CinéCinémaStar .

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    François Truffaut, avec Alain Resnais, Claude Sautet,  Woody Allen, Alfred Hitchcock fait partie de ces cinéastes dont j’aime tous les films sans exceptions. J’ai d’abord découvert « Le Dernier Métro », « La Femme d’à côté », « L’Histoire d’Adèle.H »,  « La Mariée était en noir » avant la série des Antoine Doinel, puis « La Peau douce »  et je me souviens encore à quel point « La Femme d’à côté » m’avait marquée la première fois. Je l’ai revu bien souvent depuis et notamment avant-hier, à l’occasion de sa rediffusion sur Arte. Cette critique est la première d’une série que je consacrerai au cinéaste.

    Bernard Coudray (Gérard Depardieu) et Mathilde Bauchard (Fanny Ardant) se sont connus et aimés follement, passionnément, douloureusement, et séparés violemment, sept ans plus tôt. L’ironie tragique du destin va les remettre en présence lorsque le mari de Mathilde, Philippe Bauchard (Henri Garcin), qu’elle a récemment épousé, lui fait la surprise d’acheter une maison dans un hameau isolé, non loin de Grenoble, dans la maison voisine de celle qu’occupent Bernard, son épouse Arlette (Michèle Baumgartner), et leur jeune fils. (Une fenêtre sur cour que l’admirateur et grand connaisseur d’Hitchcock qu’était Truffaut n’a d’ailleurs certainement pas choisie innocemment.) Bernard et Mathilde taisent leur  passé commun à leurs époux respectifs et vont bientôt renouer avec leur ancienne passion.

    A mon sens,  personne d’autre que Truffaut n’a su aussi bien transcrire les ravages de la passion, sa cruauté sublime et sa beauté douloureuse, cette « joie » et cette « souffrance » entremêlées. Si : dans un autre domaine, Balzac peut-être, dont Truffaut s’est d’ailleurs inspiré, notamment pour « Baisers volés » (« Le Lys dans la vallée ») ou « La Peau douce » (Pierre Lachenay y donne ainsi une conférence sur Balzac). L’amour chez Truffaut est en effet presque toujours destructeur et fatal.

    La femme d’à côté est cette étrange étrangère au prénom d’héroïne de Stendhal, magnifiquement incarnée par la classe, l’élégance, le mystère, la voix ensorcelante et inimitable de Fanny Ardant, ici impétueuse et fragile, incandescente, ardente Fanny.

    Truffaut dira ainsi : "J'ai volontairement gardé les conjoints à l'arrière-plan, choisissant d'avantager un personnage de confidente qui lance l'histoire et lui donne sa conclusion : "Ni avec toi, ni sans toi ".  De quoi s'agit-il dans la "La Femme d'à côté" ? D'amour et, bien entendu, d'amour contrarié sans quoi il n'y aurait pas d'histoire. L'obstacle, ici, entre les deux amants, ce n'est pas le poids de la société, ce n'est pas la présence d'autrui, ce n'est pas non plus la disparité des deux tempéraments mais bien au contraire leurs ressemblances. Ils sont encore tous deux dans l'exaltation du "tout ou rien" qui les a déjà séparés huit ans plus tôt. Lorsque le hasard du voisinage les remet en présence, dans un premier temps Mathilde se montre raisonnable, tandis que Bernard ne parvient pas à l'être. Puis la situation, comme le cylindre de verre d'un sablier, se renverse et c'est le drame."

    Le rapport entre les deux  va en effet se renverser à deux reprises. Bernard va peu à peu se laisser emporter par la passion, à en perdre ses repères sociaux, professionnels et familiaux, à en perdre même la raison, toute notion de convenance sociale alors bien dérisoire. Le tourbillon vertigineux de la passion, leurs caractères exaltés, leurs sentiments dans lesquels amour et haine s’entremêlent, se confondent et s’entrechoquent vont rendre le dénouement fatal inévitable.  Chaque geste, chaque regard, chaque parole qu’ils échangent sont ainsi empreints de douceur et de douleur, de joie et de souffrance, de sensualité et de violence.

    Truffaut y démontre une nouvelle fois une grande maîtrise scénaristique et de mise en scène. Après « Le Dernier Métro » , la fresque sur l’Occupation avec ses nombreux personnages, il a choisi ce film plus intimiste au centre duquel se situe un couple, sans pour autant négliger les personnages secondaires, au premier rang desquels Madame Jouve (Véronique Silver), la narratrice, sorte de double de Mathilde, dont le corps comme celui de Mathilde porte les stigmates d’une passion destructrice. Elle donne un ton apparemment neutre au récit, en retrait, narrant comme un fait divers cette histoire qui se déroule dans une ville comme il y en a tant, entre deux personnes aux existences en apparence banales, loin de la grandiloquence d’Adèle.H, mais qui n’ en a alors que plus d’impact, de même que ces plans séquences dans lesquels le tragique se révèle d’autant plus dans leur caractère apparemment anodin et aérien. A l’image des deux personnages, la sagesse de la mise en scène dissimule la folie fiévreuse de la passion, et ce qui aurait pu être un vaudeville se révèle une chronique sensible d’une passion fatale. D’ailleurs, ici les portes ne claquent pas: elles résonnent dans la nuit comme un appel à l’aide, à l’amour et à la mort.

     Deux personnages inoubliables, troublants et attachants, interprétés par deux acteurs magnifiques. Truffaut aurait songé à eux pour incarner cette histoire, en les voyant côte-à-côte lors du dîner après les César lors desquels  « Le Dernier Métro » avait été largement récompensé.

    Il fallait un talent démesuré pour raconter avec autant de simplicité cette histoire d’amour fou, de passion dévastatrice, qui nous emporte dans sa fièvre, son vertige étourdissant et bouleversant, comme elle emporte toute notion d'ordre social et la raison de ses protagonistes. Un film qui a la simplicité bouleversante d’une chanson d’amour, de ces chansons qui « plus elles sont bêtes plus, elles disent la vérité ».

    Ce film sorti le 30 septembre 1981 est l’avant-dernier de Truffaut, juste avant « Vivement Dimanche » dans lequel Fanny Ardant aura également le rôle féminin principal.

    Un chef d’œuvre d’un maître du septième art : à voir et à revoir.

     Pour retrouver d’autres critiques de classiques du septième art sur « In the mood for cinema », rendez-vous dans la rubrique « Gros plan sur des classiques du septième art ».

  • Critique de « The Town » de Ben Affleck : l’étau de Charlestown

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    Il y a deux ans, Ben Affleck présentait son premier film en tant que réalisateur, en avant-première, à Deauville :« Gone baby gone »  inspiré du roman éponyme de Denis Lehane relatant l’enquête après la disparition d’une petite fille de 4 ans dans une banlieue pauvre de Boston, plus exactement à Dorchester, le plus grand et le plus hétéroclite des quartiers de Boston, à travers le regard de deux jeunes détectives privés interprétés par Casey Affleck et Michelle Monaghan. Avec ce premier film, Ben Affleck avait choisi d’explorer les bas-fonds voire les tréfonds obscurs et secrets de ce quartier de Boston.

    Etrangement, malgré un passage à Paris, ce n’est pas à Deauville mais à Venise et uniquement que son deuxième film en tant que réalisateur, le très attendu « The town » a été présenté (hors compétition), malgré l’accueil chaleureux qui avait été réservé au premier en Normandie en 2007 et malgré le thème de ce second film parfaitement en adéquation avec ceux de cette édition 2010 du Festival de Deauville : des films  relevant souvent de l’étude sociologique. Par ailleurs, « The town » aurait amené cette petite touche événementielle qui faisait cruellement défaut à cette 36ème édition du Festival du Cinéma Américain.

    C’est de nouveau à Boston que nous entraîne Ben Affleck, plus précisément dans le quartier de « Charlestown » surnommé « The town », un quartier réputé pour son nombre record de braquages de banques et dans lequel la population se divise entre ceux qui y contribuent et ceux qui font régner la loi. Doug MacRay (Ben Affleck), comme beaucoup d’habitants du quartier a été choisi par le crime plus qu’il ne l’a choisi, son père étant lui-même un ancien braqueur.  Lors d’un casse, Doug et sa bande prennent en otage la directrice de la banque, Claire Keesey (Rebecca Hall, découverte dans « Vicky Cristina Barcelona » de Woody Allen.)
    Relâchée indemne mais profondément marquée, Claire sait qu’elle risque des représailles mais elle ignore que le jeune Doug qu’elle rencontre à la laverie automatique est un de ses ravisseurs…. Pendant que le FBI mène l’enquête et se rapproche de plus en plus de la piste de Doug et sa bande, ce dernier et Claire se rapprochent aussi de plus en plus.

    The Town est adapté du best-seller de Chuck Hogan, Prince of the thieves.

    Dès les premiers plans, la camera tourne autour du quartier de Charlestown l’emprisonnant dans son cadre comme les protagonistes le sont par  ce lieu qui les a vu naitre et grandir et qui les condamne à y mourir, souvent prématurément. Condamnés à une vie plus subie que choisie qui les dédouane d’une part de responsabilité, Charlestown incarne le déterminisme social et Doug la possibilité d’y échapper. C’est sa rencontre avec Claire qui va le conduire sur le chemin de la rédemption après une première chance avortée et une carrière de hockeyeur brisée par la violence. James (Jeremy Renner) incarne (brillamment) son double, celui qui choisira l’autre route et pour qui il n’en existe aucune autre.

     Des thèmes que l’on retrouve notamment dans le cinéma de James Gray même si Ben Affleck n’atteint pas toujours la même subtilité dans les scènes les plus intimistes, notamment dans l’histoire d’amour qui manque parfois de subtilité mais dont l’impossibilité apparente et la tension (il semble impossible qu’elle puisse être amoureuse de celui qui est la cause de la terreur de sa vie) apportent piment et originalité.  Lorsqu’il s’agit de courses poursuites ou de susciter le sentiment d’urgence, l’adrénaline, le danger, la maîtrise du réalisateur est en revanche flagrante et la tension palpable.

     « The town » est certes moins âpre et angoissant que « Gone baby gone » mais on retrouve cette  réalisation sobre et parfaitement maîtrisée et ce même souci de réalisme. Ben Affleck confirme être un des réalisateurs de polars avec qui il va falloir compter, avec une mise en scène de facture certes classique mais respectant les codes du genre et bien ancrée dans un lieu et son époque.  On retrouve cette même étanchéité entre le bien et le mal, le crime et l’innocence que dans « Gone baby gone » qui écarte pareillement « the town » du classique thriller manichéen.

    Comme dans « Gone baby gone », Ben Affleck soigne ses rôles secondaires aux visages marqués par la violence, la souffrance, l’aigreur. On pourrait lui reprocher quelques baisses de rythme qui sont néanmoins davantage la marque de son style (la mise en relief des personnages et intrigues secondaires) que de réelles lacunes.

    Gageons qu’avec son prochain film «  Arizona », Ben Affleck parviendra lui aussi à s’échapper de Boston, prendre son envol, et tirer profit d’un horizon riche de possibles que laisse entrevoir ce deuxième film plus que prometteur.

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  • Critique de « Amore » (Io sono l’amore) de Luca Guadagnino: peinture sublime, haletante et bouleversante d'un cinéaste cinéphile

    « Amore » (Io sono l’amore) de Luca Guadagnino était projeté en avant-première du Festival Paris Cinéma 2010, un film sublime, haletant, bouleversant pour lequel j'ai eu un véritable coup de coeur. Il ne sort que mercredi prochain (22 septembre) en salles mais je tenais à vous en parler dès maintenant. Vous n'aurez aucune excuse pour passer à côté de ce petit bijou, déjà sélectionné à Sundance à Venise.

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    Pour la première avant-première publique du Festival Paris Cinéma 2010, les organisateurs nous avaient réservé une belle surprise avec ce film italien qui débute dans la demeure des Recchi, grande famille industrielle lombarde, à l’heure d’un tournant pour la famille puisque le fondateur de l’entreprise lègue l’affaire familiale à son fils Tancredi et à l’un de ses petits fils, Edouardo. Emma (Tilda Swinton), l’épouse de Tancredi, qui l’a épousé des années auparavant pour échapper à sa vie en Russie, rencontre Antonio, un cuisinier, ami de son fils par lequel elle va être immédiatement attirée…

    Dès les premiers plans : la ville de Milan alors inhabituellement grisâtre et enneigée, ce repas aux rituels et au rythme d’un autre temps, les plans silencieux et les couloirs interminables qui évoquent la monotonie suffocante de l’existence d’Emma…, Luca Guadagnino nous plonge dans une atmosphère d’une intemporelle étrangeté. Elégante, digne, laissant à peine affleurer sa  mélancolie, Emma semble être à la fois présente et absente, un peu différente (malgré son souci apparent des conventions sociales). Sa rencontre avec Edouardo, et d’abord avec sa cuisine filmée avec sensualité qu’elle déguste avec gourmandise, va progressivement la transformer. Une passion irrépressible va s’emparer d’elle : pour cette cuisine qui réveille ses sens et pour Antonio, le jeune cuisinier.

    « Amore » est un film foisonnant : de références, de sensations, d’intentions, de styles. Brillantes références puisque « Amore » cite ostensiblement  «Le  Guépard » de Visconti que ce soit par le nom d’un des personnages « Tancredi » qui rappelle Tancrède (le personnage d’Alain Delon dans « Le Guépard ») , la famille Recchi rappelant celle des Salina, mais aussi par l’opportunisme et la fin d’une époque que symbolise Tancredi qui vend son entreprise pour cause de globalisation à des Indiens pour qui « Le capitalisme c’est la démocratie » tout comme le Prince de Salina laissait la place à Tancrède et à une nouvelle ère dans « Le Guépard ». A ce capitalisme cynique et glacial s’oppose la cuisine généreuse et colorée par laquelle Emma est tellement séduite.

     Puis de Visconti nous passons à Hitchcock. Le film glisse progressivement vers un autre genre. La musique de John Adams se fait plus présente, la  réalisation plus nerveuse. Emma arbore un chignon rappelant celui de Kim Novak dans « Vertigo » auquel une scène fait explicitement référence. La neige laisse place à un éblouissant soleil. Emma est transfigurée, libérée, moins lisse mais enfin libre comme sa fille qui comme elle échappera aux archaïques principes familiaux et sera transformée par l’amour.

    Malgré ses maladresses (métaphore florale un peu trop surlignée à laquelle Jean Renoir –comme bien d’autres- avait déjà pensé dans « Une Partie de campagne »), ce film m’a littéralement happée dans son univers successivement étouffant puis lumineux, elliptique et énigmatique et même onirique. Il est porté par Tilda Swinton, qui interprète avec retenue et classe ce personnage mystérieux que la passion va faire revivre, renaitre, retrouver ses racines, sa personnalité enfouies et par la richesse de son personnage qui va se libérer peu à peu de toutes contraintes : vestimentaires, physiques, familiales, sociales.

    De chronique sociale, le film se transforme en thriller dont on sait le drame imminent mais qui ne nous surprend pas moins. Les dix dernières minutes sont réellement sublimes et d’une intensité inouïe. Riches de symboles (comme cette chaussure que Tancrèdi remet à Emma, la renvoyant à cette contrainte sociale, alors que Edouardo lui avait enlevé avec sensualité l’y faisant échapper),  de douleurs sourdes (d’Emma mais aussi du troisième enfant de la famille, que la caméra comme le reste de la famille tient à l’écart), de révoltes contenues que la musique (qui rappelle alors celle d’Hermann dans les films d’Hitchcock), les mouvements de caméra saccadés, les visages tendus portent à leur paroxysme, nous faisant retenir notre souffle.

    La caméra d’abord volontairement distante puis sensible puis sensuelle de Guadagnino épouse les atermoiements du cœur d’Emma et crée intelligemment une empathie du spectateur pour cette dernière. Un film de sensations (visuelles, sonores -que ce soit dans l’utilisation judicieuse de la musique ou des silences-, et presque gustatives) visuellement magnifique, envoûtant, sensible, sensuel, onirique,  prenant, l’œuvre d’un cinéphile et d’un cinéaste qui nous enserre dans son univers avec une rare maestria. A voir absolument.

    Sortie nationale : 22/09/2010

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  • Critique de « Johnny Guitar » de Nicholas Ray (1954) -actuellement sur TCM- : western atypique et flamboyant

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    Etonnamment, par un ignominieux oubli de ma part, aucun western ne figure encore dans la rubrique « Gros plan sur des classiques du septième art », bien que les westerns soient pourtant (avec les films policiers) à l’origine de ma passion pour le cinéma. J’ai donc décidé d’y remédier en commençant par un des chefs d’œuvre du genre : « Johnny Guitar », un western  de Nicholas Ray (« La fureur de vivre »…) datant de 1954.

    Tout commence dans une de ces vallées aussi majestueuses qu’hostiles. Un homme assiste à une attaque de diligence. Il n’intervient pas. Il porte en bandoulière une guitare d’où son surnom de « Johnny Guitar » (Sterling Hayden).  Il se rend dans un saloon (Que serait un western sans saloon et sans ses clients aux visages patibulaires affalés sur le bar derrière lequel se trouve toujours un barman –en général vieux, suspicieux et maugréant- ?) où il a été engagé pour jouer de la guitare. Là, pas de clients aux visages contrariés ni de barman antipathique. Un barman, certes, mais plutôt sympathique, et des croupiers. Et une femme dont le saloon porte le nom et qui en est la propriétaire : Vienna (Joan Crawford).  Le frère d’Emma, une riche propriétaire, (Mercedes McCambridge), a été tué dans l’attaque de la diligence. Emma et d’autres propriétaires terriens, viennent au saloon pour arrêter Vienna, accusant la bande du Dancing kid (Scott Brady), à laquelle Vienna est très liée, d’être à l’origine de l’attaque. Ils donnent 24h à Vienna et ses amis pour partir. Mais pour Vienna ce saloon représente toute sa vie et elle refuse de quitter les lieux. Johnny Guitar se révèle avoir été l’amant d’Emma cinq ans auparavant tandis que le Dancing kid est amoureux d’elle. La situation se complique encore quand la bande du Dancing kid attaque la banque. Vienna, suspectée d’en être la complice, devient alors le bouc-émissaire des fermiers en furie, menés par Emma qui voit là l’occasion rêvée d’abattre sa rivale…

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    Dans ce simple résumé, on peut déjà voir que « Johnny Guitar » s’affranchit des règles du western classique. Contrairement à ce que son titre pourrait indiquer, le véritable protagoniste n’est pas un homme et ce n’est pas ici l’éternel duel entre deux hommes liés par une haine farouche, immédiate ou séculaire, mais entre deux femmes : Vienna et Emma.

    Vienna, c’est donc Joan Crawford, d’une beauté étrange et irréelle, au seuil de son déclin,  dont les lignes du visage, non moins splendides, ressemblent à des lames tranchantes et fascinantes. Indomptable (en général dans les westerns les femmes sont des faire-valoir destinés à être « domptés »), déterminée, fière, forte, indépendante, aventurière, c’est Vienna la véritable héroïne du film que Joan Crawford incarne brillamment. Face à elle, Emma, aigrie, jalouse, enfermée dans ses principes.

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    Mais là n’est pas la seule originalité de « Johnny Guitar ». Derrière l’apparente opposition classique et manichéenne des westerns des bons contre les méchants se cache une subtile critique du Maccarthysme dont Nicholas Ray fut lui-même victime. Les fermiers en furie qui lynchent  aveuglément symbolisent la commission Mac Carthy souvent aveuglée par la haine et la suspicion. Sterling Hayden était lui-même passé devant la commission. Nicholas Ray aurait même délibérément  confié  à Ward Bond le rôle de chef des lyncheurs. Ce dernier était ainsi lui-même membre de "Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals" qui avait activement participé à la « chasse aux sorcières ».

    Mais, même sans cela, « Johnny Guitar » serait un chef d’œuvre. Dès les premières minutes, la tension est palpable, renforcée par l’intensité du jeu et de la présence de Joan Crawford, et elle ne cessera de croître jusqu’au dénouement : classique duel final, mais non pas entre deux hommes donc mais entre les deux femmes. Les dialogues sont aussi des bijoux de finesse où s’exprime toute la nostalgie poignante d’un amour perdu qui ne demande qu’à renaitre de ses cendres. A côté de Vienna, Johnny Guitar représente une présence douce et forte, qui n’entrave pas sa liberté et non le macho cynique conventionnel des westerns.

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     Et que dire de ces plans, somptueux, ensorcelants, d’une beauté littéralement à couper le souffle : celui de Joan Crawford, dans sa robe blanche, virginale, jouant du piano, tel un animal sauvage et impérial réfugié dans son saloon assimilé à une grotte, face à la population vêtue de noir, des « vautours » prêts à fondre sur elle (une scène magistrale à la fois violemment et cruellement sublime) ; celui où elle apparaît pour la première fois en robe dans l’encadrement d’une fenêtre, soudainement à fleur de peau et fragile ; où de cette scène au clair de lune, réminiscence mélancolique de leur amour passé. Ou encore de ce brasier qui consume le saloon en même temps que leur amour tacitement se ravive. Des scènes d’une rare flamboyance (au propre comme au figuré)  pendant lesquelles les hommes et la nature se déchaînent avec des couleurs étonnantes (liées au procédé Trucolor qui fut ensuite abandonné).

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    Drame, splendide histoire d’amour, parabole politique, bien plus qu’un western, « Johnny Guitar » est un chef d’œuvre atypique, lyrique et baroque, sombre et flamboyant. D’ailleurs de Godard à Almodovar en passant par Truffaut, nombreux sont les cinéastes à l’avoir cité dans leurs films. Je vous laisse deviner lesquels… En attendant profitez de sa diffusion sur TCM pour le voir ou le revoir.

    Prochaines diffusions de « Johnny Guitar » sur TCM :

    Mardi 31 août à 18H45

    Vendredi 3 septembre à 11H35

    Dimanche 5 septembre à 20H40

    Mardi 7 septembre à 18H45

    Dimanche 12 septembre à 13H55