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CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 - Page 10

  • Avant-première - Critique d’« Animal kingdom » de David Michôd

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    Vous l’aurez peut-être remarqué, ces derniers temps, j’ai publié moins de critiques de films à l’affiche sur inthemoodforcinema.com, d’abord faute de coups de cœur cinématographiques sur lesquels j’ai décidé, plus que jamais, de me concentrer mais aussi parce que je me consacre désormais surtout à mon blog In the mood for Cannes afin qu’il soit le plus exhaustif possible et afin de  vous permettre de suivre ce 64ème Festival de Cannes le mieux possible, que vous y soyez ou non.

    J’avais néanmoins très envie de vous parler d’un premier film australien qui sort en salles mercredi prochain et qui a reçu le grand prix du jury au Festival de Sundance 2010 et le prix de la critique internationale au Festival de Beaune 2010 (ce qui confirme d’ailleurs la qualité de la sélection de ce festival et mon envie d’y faire un tour l’année prochaine).

    Direction l’Australie donc, plus précisément Melbourne, là où vit la famille Cody, criminelle de son état. Josh, (James Frecheville) un neveu éloigné, vient de perdre sa mère d’une overdose. Il va aller vivre chez les Cody  avec qui sa mère avait coupé les liens et qu’il ne connaît pas.

    Cette première scène nous plonge d’emblée dans l’atmosphère du film. Josh, en apparence impassible, regarde la télévision tandis que sa mère, morte d’une overdose, git à ses côtés. Il va alors se retrouver parmi ses oncles Pope (Ben Mendelsohn), Craig (Sullivan Stapleton) et Darren (Luke Ford), et sa grand-mère Smurf (Jacki Weaver), animal égaré parmi ces prédateurs dont la grand-mère est la reine incontestée.

    James Frecheville, dans ce qui est son premier rôle, campe un adolescent maladroit, velléitaire, peu loquace, à l’apparence d’un homme et au regard d’enfant,  qui va se retrouver plongé dans un cercle infernal. Il devra choisir son camp. Sortir de la violence, de ce cercle infernal justement, en aidant la police et en trahissant sa famille. Ou défendre sa famille jusqu’au bout. A moins qu’il n’y ait une troisième voie… David Michôd fait de cet anti-héros en apparence imperturbable, presque fantomatique, un personnage aussi opaque qu’étrangement attachant, incarnant une sorte d’innocence brute.

    Vous le savez si vous suivez ce blog, j’affectionne tout particulièrement le polar et ne supporte pas qu’on le massacre comme ce fut le cas avec un film français récemment. Le scénariste et réalisateur David Michôd, fasciné par la criminalité à Melbourne, qui a porté son sujet pendant 9 ans, ne cherche heureusement pas ici à singer ses prédécesseurs mais il s’en imprègne pour nous plonger dans son propre univers, celui d’une ville de Melbourne, sous la photographie remarquable d’Adam Arkapaw, une ville en apparence ensoleillée, mais glaciale à l’image de cette famille en apparence normale mais glaçante.  La grand-mère, mélange de louve qui couve ses fils et de lionne aux griffes acérés, a une apparence chaleureuse, affable et souriante mais ne s’en révèle que plus redoutable et diabolique.

    Si, malgré cela, je n’ai pas été totalement embarquée, c’est sans doute en raison de la bande-annonce (un modèle du genre, d’une force émotionnelle redoutable) et en raison d’un synopsis officiel que j’avais eu le malheur de lire avant la projection et qui, je trouve, fait attendre un film différent, un mélange entre « Les Infiltrés » et le cinéma de James Gray (dont il n’a pas la force lyrique) créant une déception, non en raison de ce que le film lui-même serait décevant mais différent de ce à quoi la bande-annonce et le synopsis nous font attendre. Ils laissent également entendre une relation plus étroite entre la police et Josh. D’ailleurs, dommage que le personnage de Guy Pearce (qui incarne l’inspecteur Leckie) ne soit pas plus développé.

    « Animal factory » vaut néanmoins largement le détour pour sa galerie de portraits, pour son atmosphère de violence insidieuse (jamais esthétisée néanmoins, souvent brutale mais sans effusions de sang)  et sa tension latente : la menace plane, l’étau se resserre, la tragédie implacable tisse sa toile, le royaume des animaux est sauvage et sans pitié, prédateurs indomptés, indomptables mais aussi apeurés dont le roi est une reine que vous n’oublierez pas de si tôt comme la fin, certes sans surprises, mais non moins d’une suffocante et implacable évidence. Dans ce royaume-là, une vraie jungle : dévorer ou être dévoré, il semble n’y avoir d’autre choix. Allez voir ce polar désespéré (tout de même nommé 18 fois aux AFI Awards 2010, équivalent australien de nos César) largement au-dessus de la moyenne, un premier film qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Un réalisateur à suivre.

    A suivre : un concours vous permettant de remporter 10x2 places pour découvrir « Animal kingdom » en salles.

     

  • Avant-première - Critique de « Voir la mer » de Patrice Leconte avec Pauline Lefevre, Nicolas Giraud, Clément Sibony

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    En général, les grands cinéastes se distinguent par la ressemblance de styles entre leurs différents films qui, d’une scène ou même juste d’un plan, permettent de reconnaître leurs signatures, sans aucun doute. Patrice Leconte est l’exception qui confirme à la règle, car, à l’inverse, même si on retrouve des ressemblances ou des thématiques communes dans ses différents films, ils ont surtout pour point commun de ne pas en avoir… A chaque fois, Patrice Leconte nous embarque dans un nouvel univers, dans un nouveau style. Difficile d’imaginer que c’est le même cinéaste qui a réalisé « Monsieur Hire », « Ridicule », « La Fille sur le pont » (bijou scénaristique et de mise en scène, avec sa musique et ses métaphores envoûtantes), « La Veuve de Saint-Pierre », « Dogora », des films très différents les uns des autres. Je ne cite pas ceux-là par hasard, ce sont ceux que je préfère (d’ailleurs en bonus, retrouvez ma critique de « Ridicule », ci-dessous) et j’avais aussi beaucoup aimé des films comme « Une chance sur deux », qui n’avait pas eu le succès escompté mais qui jouait avec beaucoup d’humour sur le statut de stars de ses protagonistes, ou « L’homme du train », au succès encore plus confidentiel, mais réussi. En fait, je crois que les deux seuls qui me semblent détoner dans sa filmographie et que je n’ai pas aimés  sont « Les Bronzés 3 » dans lequel les personnages étaient devenus mesquins ou vraiment médiocres et « La Guerre des Miss », peut-être le film de trop. Deux ans plus, tard, je me demandais donc bien à quoi pourrait ressembler ce nouveau film intitulé « Voir la mer ».

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    « Voir la mer », c’est d’abord l’histoire de deux frères, Clément (Clément Sibony) et Nicolas (Nicolas Giraud). Ils habitent à Montbard, en Bourgogne et,  pour les vacances d’été, ont décidé d’aller voir leur mère à Saint-Jean-de-Luz qu’ils n’ont pas vue depuis longtemps. Clément vient de se séparer de sa petite amie et Nicolas, lors d’une soirée, rencontre Prudence (Pauline Lefevre)… qu’il retrouve le lendemain matin sur son pallier. Elle, Prudence, c’est la mèrE qu’elle n’a jamais vue. Elle va les accompagner sur les routes, partant tous finalement pour (re)voir la mer(e). Nicolas d’abord réticent en voyant ce périple entre frères ainsi troublé par une troisième présence va peu à peu tomber sous son charme…

    Que pouvait donc bien faire Patrice Leconte après tant de films et après les deux derniers qui témoignaient d’une certaine lassitude ? Repartir de zéro. D’ailleurs, il signe pour la première fois le scénario seul (à l’exception du « Parfum d’Yvonne » mais qui était une adaptation de Modiano.) Faire un film qui ressemble, non pas à un 28ème film, mais à un premier. Avec ce que cela implique de légèreté, de liberté, d’insouciance, de sincérité et de touchantes maladresses. Il aurait pu choisir une grosse production, mais non, il a finalement choisi ce qui réclamait le plus d’audace, un film simple avec trois acteurs principaux dont une actrice qui fait ses débuts au cinéma.

    De ce synopsis, il aurait pu tirer une histoire de jalousie, de rancœur, de cynisme sur les désillusions de l’existence, sur la duplicité. Il a choisi tout le contraire. Une parenthèse enchantée, hors du temps, hors de la réalité, cette réalité, dans laquelle, normalement, il faut choisir et transiger.  Prudence ne choisira pas entre Jules et Jim, pardon, Clément et Nicolas. Clément et Nicolas ne se déchireront pas, rongés par la jalousie et l’aigreur. Non. Dans leur motor-home d’occasion, ils vont simplement faire la route tous les trois, au gré de leurs envies, de leurs désirs. Désirs de liberté et désirs amoureux. La caméra de Patrice Leconte caresse l’épaule, les cheveux, le visage de Prudence, empreinte du regard ensorcelé des deux frères. C’est avant tout le film de la légèreté. Pas au sens péjoratif. Mais au sens d’insouciance, presque d’inconscience. Légèreté technique aussi puisque Patrice Leconte s’est entouré d’une petite équipe (14 personnes).

    Et puis il y a la découverte. Prudence, qui est d’ailleurs tout le contraire de son prénom, cette fille inattendue », attachante, libre, franche, une « femme aux cheveux courts », qui est « ce qui leur est arrivé de mieux dans la vie » incarnée par Pauline Lefevre, l’ex miss Météo de Canal + qui fait ses premiers pas au cinéma et qui apporte au film son indéniable charme lumineux, et sa justesse. Elle rappelle un peu le personnage de « La Fille sur le pont » qui portait elle aussi un prénom tout aussi charmant qu’improbable, Adèle. Là aussi un road movie. Un film sur la chance (mais là aussi finalement, la chance de la bonne rencontre) et sur le cirque que rappelle parfois aussi la musique de « Voir la mer », une bo d’ailleurs très réussie.

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     Les deux garçons eux aussi sont pleins de charme : Nicolas qui ne semble pas encore totalement sorti de l’enfance, avec son regard enfantin, naïf, avec ses tshirts d’adolescent, Clément, d’abord plus méfiant vis-à-vis de Prudence car un peu blessé par la vie. Seul le personnage de Max (l’ex jaloux –un peu trop- grandiloquent de Prudence) incarné par Gilles Cohen vient troubler cette quiétude et apporter une note dissonante, entièrement assumée par une musique de cirque.

    Encore une fois, Patrice Leconte a décidé de ne pas tenir compte des critiques (et il a bien raison !), de faire comme ses personnages, (ou plutôt ses personnages reflètent-ils sont état d’esprit ou ce que à quoi il aspire) qui suivent leurs envies sans se soucier du regard des autres ou du lendemain, trois grands enfants attachants que les aigris trouveront sans doute « naïfs ». Tant pis pour eux. C’est cela aussi le cinéma, nous donner à voir des personnages autres, presque « irréels ».

    C’est néanmoins un peu exagérer que de dire que ce film a des airs de premier film car pour célébrer ainsi l’éclat et l’éternité fugace de la jeunesse, sans doute faut-il l’avoir déjà passée et en avoir éprouvé la cruelle nostalgie. C’est aussi exagérer que de dire que ses films n’ont aucune ressemblance. On retrouve cette rencontre providentielle qui change le cours d’un destin, ces êtres un peu paumés mais attachants… et une photographie comme toujours remarquable, baignée d'une lumière d'été à la fois douce et incandescente (signée ici Jean-Marie Dreujou également comme dans « La Fille sur le pont »).

    Allez voir cette parenthèse enchantée et rafraîchissante, ce road movie sentimental, solaire, tendrement sensuel, empreint d'une douce candeur, et découvrez un « premier » film plein de charme (qui fait surgir l’émotion  le temps d’un « si Maman si » ) qui nous ferait presque croire à la possibilité de « vivre au jour le jour » ou en tout cas nous en donnerait envie; un jeune cinéaste dont on ne peut croire que le titre de son livre « J’arrête le cinéma » reflète réellement ce qu’il désire. Ce serait bien dommage qu’il s’arrête là. Sa (nouvelle) carrière ne fait que commencer. Vivement le second film  (déjà tourné : « Le magasin des suicides » dont la date de sortie n’est pas encore fixée) de ce jeune cinéaste, libre et insouciant, et qui nous donne envie de l’être, ou de voir la mer et la mère peut-être simplement,…et dans une époque où le cinéma se complait parfois un peu trop dans la morosité, le réalisme et le cynisme (souvent les trois en même temps, imaginez…), cela fait beaucoup de bien.

     Sortie en salles : le 4 mai 2011

    Critique de "Ridicule" de Patrice Leconte

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    1780. Le Marquis Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling),  issu d'une famille d'ancienne noblesse provinciale, ingénieur de formation, cherche désespérément à assécher son marécageux pays des Dombes, ravagé par une épidémie. En dernier recours, il décide de gagner Versailles pour solliciter l'aide de Louis XVI. Muni d'une lettre de recommandation, il se rend tout d'abord chez Madame de Blayac (Fanny Ardant) mais son mari qu'il était venu voir vient de décéder. Agressé sur la route non loin de Versailles, il est secouru et recueilli par le Marquis de Bellegarde (Jean Rochefort).  Ce dernier cherche d'abord à le dissuader d'aller à la cour, si frivole et impitoyable, avant de céder devant son insistance.  Là, il retrouve Madame de Blayac et fait la connaissance des courtisans et notamment de l'Abbé de Vilecourt (Bernard Giraudeau).  Dans le même temps, il rencontre Mathilde (Judith Godrèche) la savante fille du Marquis de Bellegarde qui doit épouser un vieux et riche noble...

    En sélectionnant ce film pour l'ouverture du Festival de Cannes 1996, Gilles Jacob a fait preuve d'un redoutable cynisme, certainement involontaire, tant les personnages de « Ridicule » sont d'une troublante modernité, et pourraient appartenir à des univers beaucoup plus contemporains que celui de la cour de Louis XVI, qu'ils soient médiatiques, politiques ou cinématographiques. Jusqu'où aller pour réaliser ses objectifs aussi nobles (dans les deux sens du terme) soient-ils ? Jusqu'où aller sans compromettre ses principes ni se compromettre ?

    Pour les courtisans de « Ridicule », les joutes verbales sont les cruelles, sauvages et violentes armes d'une guerre dont le ridicule est le terrible signe de reddition. L'autre n'est alors qu'un faire-valoir et qu'importe si pour briller, sauver la face, il faut l'anéantir en le ridiculisant. Pour Jean Rochefort «  C'est un western dons lequel on a remplacé les colts par des mots d'esprit ». La vive mise en scène de Patrice Leconte souligne ainsi ces échanges verbaux assénés comme des coups mortels, dégainés  sans la moindre vergogne avec pour seul souci de leurs auteurs de rester dans les bonnes grâces de la cour et du roi. Le bel esprit est alors un poison violent et vénéneux qui contamine et condamne quiconque souhaite s'en approcher. Menace constante et fatale qui plane au-dessus de chaque courtisan : le ridicule. Le langage devient l'arme de l'ambition et du paraître car « le bel esprit ouvre des portes » mais « la droiture et le bel esprit sont rarement réunis ».

    Derrière l'éclat de Versailles, derrière la blancheur à la fois virginale et cadavérique dont s'enduisent les corps et les visages se cache une cruelle noirceur, un narquois sursaut de vie,  derrière le raffinement une vulgarité indicible, un mal qui les ronge de l'intérieur comme la cour est progressivement rongée par son pathétique bel esprit, bientôt par les Lumières, une cour qui se prévaut du bel esprit de Voltaire tout en rejetant l'Esprit des Lumières qui lui sera fatal. C'est le crépuscule d'une époque annonciatrice de la Révolution. La cour parade et brille de toute sa paradoxale noirceur mais le désenchantement et le déclin la guettent. Epoque de contradictions entre les Lumières et ses découvertes scientifiques et un monde qui périclite. Portrait d'un monde qui se sait déclinant et refuse pourtant de mourir. A tout prix. Madame de Blayac incarne la conscience de ce déclin qu'elle tente de masquer par une cruauté désenchantée consciente de ses vanités et de sa vanité.

    Les savoureux et cruels dialogues, ces jeux dangereux voire mortels font penser au cynisme des « Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos ou aux bons mots de Guitry. Le scénario est ainsi signé Rémi Waterhouse et inspiré des écrits de la Comtesse de Boigne.

    De twitter et ses phrases lapidaires avec lesquelles certains se réjouissent de faire preuve d'un pseudo bel esprit a fortiori si c'est au détriment d'autrui, des critiques cinématographiques (qui ont d'ailleurs tellement et injustement malmené Patrice Leconte) qui cherchent à briller en noircissant des pages blanches de leur fiel, des couloirs de chaînes de télévision dont l'audience justifie toute concession à la morale et parfois la dignité, de la Roche de Solutré hier à la Lanterne de Versailles aujourd'hui, de ces comiques ravis de ternir une réputation d'un mot cruel, prêts à tuer pour et avec un bon mot pour voir une lueur d'intérêt dans les yeux de leur public roi, que ne ferait-on pas pour briller dans le regard  du pouvoir ou d'un public, fut-ce en portant une estocade lâche, vile et parfois fatale. L'attrait du pouvoir et des lumières (médiatiques, rien à voir avec celles du XVIIIème) est toujours aussi intense, l'esprit de cour bel et bien là, bien que celle de Versailles ait été officiellement déchu il y a plus de deux siècles.

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    Le choix des comédiens principaux est aussi pour beaucoup dans cette réussite de Jean Rochefort, partagé entre ces deux mondes, à Charles Berling dont c'est ici le premier grand rôle qui y apporte son prompt et fougueux esprit, à Bernard Giraudeau, baroque et pathétique au nom si parlant d'abbé Vilecourt, en passant par Fanny Ardant cruelle, lucide et donc malgré tout touchante sans oublier Judith Godrèche d'une attendrissante candeur et obstination.

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    Pour son premier film en costumes, à partir d'un excellent scénario, Patrice Leconte a réalisé un film d'une réjouissante modernité, à la mise en scène duale et aussi élégante que les courtisans qui traversent son film sont inélégants, un film mordant aussi cruel que raffiné qui  s'achève en faisant tomber les masques de la cour et triompher les Lumières. Alors laissez-vous aller au plaisir coupable des bout rimés,  bons mots, saillies drôlatiques et autres signes du bel esprit de cette cour de Versailles, tellement intemporelle et universelle.

  • Avant-première – Critique de « Et soudain tout le monde me manque » de Jennifer Devoldere avec Mélanie Laurent, Michel Blanc, Géraldine Nakache

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    Vous l’aurez peut-être remarqué, les critiques de films à l’affiche se sont raréfiées sur inthemoodforcinema ces derniers jours, d’abord car je me suis concentrée sur deux autres de mes blogs et sur des projets « extrabloguesques » mais aussi parce que je n’ai pas souhaité évoquer ici les derniers films vus en salles aussitôt vus aussitôt oubliés. Il en va différemment de « Et soudain tout le monde me manque » dont je n’attendais pas grand-chose, n’ayant pas vu le premier film de la réalisatrice Jennifer Devoldere « Jusqu’à toi », ni même lu le synopsis de ce dernier film, et étant plutôt réservée sur les dons de comédienne de Mélanie Laurent (en particulier en raison de son jeu dans un film qui est pourtant pour moi un chef d’œuvre « Inglourious basterds »). Tout juste avais-je vu la bande-annonce qui me semblait alterner judicieusement entre humour et émotion (contrairement à celle d’une autre comédie prochainement à l’affiche qui me semble atteindre le paroxysme de la vulgarité, devinerez-vous de quel film il s’agit ?).

    Le « tout le monde » du film, c’est avant tout la famille, celle d’Eli (Michel Blanc), le père, 60 ans tout juste et qui attend un enfant de sa nouvelle femme, Suzanne (Claude Perron). De son côté, sa fille aînée, Dom (Florence Loiret-Caille), cherche à adopter tandis que Justine (Mélanie Laurent) qui travaille dans un cabinet de radiologie, passe constamment d’un petit ami à un autre en trompant son ennui et ses velléités artistiques en faisant des radios d’objets (ou d’animaux) du quotidien. Les deux filles sont ébranlées à l’annonce de la nouvelle. Pour se rapprocher de Justine avec qui il ne s’est jamais entendu, Eli se lie d’amitié avec tous ses ex…à son insu. Mais voilà, les pères, eux non plus, ne sont pas éternels et il serait bien de se réconcilier avec eux avant qu’il ne soit trop tard.

    Que ceux qui cherchent un film qui révolutionnera l’histoire du cinéma et que les rabat-joies qui trouvent toujours qu’il y a trop de bons sentiments, là où parfois simplement un film n’a pas peur de faire preuve d’émotion, oui, que ceux-là passent leur chemin.  Pour les autres qui apprécient le cinéma populaire qui sait capter l’air du temps (par don de l’observation ou sensibilité et non par opportunisme), il se pourrait bien que ce film les enchante, eux aussi.

    L’air du temps, c’est la difficulté de communiquer. L’air du temps c’est une certaine immaturité. La difficulté de communiquer ici entre un père et ses filles. L’immaturité du père  et de la fille. Ce père, joueur de golf assidu, musicien avorté, incarné par Michel Blanc est en effet infantile, agaçant, contradictoire, blessant et malgré tout touchant.

    Cela commence comme une comédie avec un humour tendre(ment cruel même parfois), absurde, un humour mis en valeur par des dialogues particulièrement bien écrits impeccablement  servis par une galerie de premiers et de seconds rôles parfaits, parfois décalés (Géraldine Nakache toujours un peu dans le même rôle de la copine allumée attachante mais toujours impeccable dans ce rôle, Manu Payet, Florence Loiret-Caille, Sébastien Castro, Guillaume Gouix).

    Jennifer Devoldere explore la complexité, toute la pudeur, la rancœur parfois, l’incompréhension souvent des rapports parents enfants et plus particulièrement des rapports père/fille : Dom et son mari qui s’apprêtent à adopter, la femme d’Eli qui est enceinte, les rapports d’Eli avec ses deux filles…

    Justine, c’est ici le double de la réalisatrice qui manipule les radios comme cette dernière manipule ses personnages. Mélanie Laurent convient parfaitement à ce genre de rôle, solaire, manquant de confiance, immature, dégageant à la fois charme, force et fragilité avec une maladresse héritée de l’enfance. (Mélanie Laurent à qui on ne peut en tout cas pas reprocher d’avoir divers talents, sera ainsi la maîtresse de cérémonie du prochain Festival de Cannes. Elle vient de réaliser son premier film « Adoptés » et vient de sortir son premier album coécrit avec Damien Rice).

    Puis le film bascule en nous rappelant parfois que la vie est souvent violemment imprévisible et implacable et qu’il ne faut pas attendre que « soudain tout le monde nous manque » pour dire ce que l’on pense aux personnes qui comptent, et même si porter un masque (comme Eli) est plus facile. Sans doute le discours est-il naïf mais Jennifer Devoldere fait finalement une belle déclaration d’amour à ces pères maladroits dans l’expression de leurs sentiments et non moins touchants, et qui m’a touchée contrairement au film sorti la semaine dernière qui aborde également ce sujet mais qui m’a semblé sonner constamment faux, être anachronique et dont les bonnes intentions semblent clignoter en permanence accumulant les stéréotypes servis par une réalisation agitée mais vaine.

    Là, je ne vais pas disserter sur un mouvement de caméra, Jennifer Devoldere ne fait pas d’expérimentations stylistiques pour donner à son film des airs de film  d’auteur. La réalisation est au service de l’histoire, et elle assume parfaitement son aspect comédie/mélo avec pluie de rigueur les jours de larmes. Il s’agit d’une « histoire simple », rien de plus, rien de moins, qui va droit au cœur et parfois cela fait beaucoup de bien.

    N’allez pas croire que vous en sortirez déprimés, juste avec le sentiment qu’aujourd’hui est « le premier jour du reste de votre vie » (ce film présente d’ailleurs pas mal de similitudes avec le film de Rémi Bezançon sur la complexité, la beauté, les douleurs que recèle la famille ) avec d’ailleurs là aussi une BO réussie (Nina Simone, David Bowie, Cat Stevens...). Tout le mal que je lui souhaite, c’est le même joli succès.  Bref, vous aurez compris. Je vous le recommande.

    En bonus, le clip d’une des chansons de l’album de Mélanie Laurent, « En t’attendant » qui me trotte dans la tête depuis quelques jours…

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  • Documentaire « D’un film à l’autre, une histoire de Claude Lelouch » : 50 ans des Films 13 et de l'itinéraire d’un enfant gâté et passionné

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    La semaine dernière, dans les locaux des Films 13 était organisée une projection du documentaire « d’Un film à l’autre » suivie d’un débat avec Claude Lelouch.

    Le cinéma de Claude Lelouch a bercé mon enfance. D’ailleurs, moi dont la passion pour le cinéma a été exacerbée à et par Deauville, j’étais presque « condamnée » à aimer son cinéma indissociable de cette ville qu’il a magnifiquement immortalisée.

    Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontre magnifiquement de documentaire « D’un film à l’autre » réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.  Un documentaire qui résume un demi-siècle de cinéma du « Propre de l’homme » à « Ces amours-là ».

    Ayant lu l’autobiographie de Claude Lelouch (« Itinéraire d’un enfant très gâté », Robert Laffont) que je vous recommande et ayant vu un grand nombre de ses films, j’ai néanmoins appris pas mal d’anecdotes et an ai réentendu d’autres comme l’histoire de la rencontre de ses parents auquel fera formidablement écho la remise de son Oscar des années plus tard (je vous laisse la découvrir si vous ne connaissez pas l’anecdote). Magnifique hasard à l’image de ceux qu’il met en scène.

    Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. « C’est plus difficile aujourd’hui de sortir d’un échec, aujourd’hui la terre entière est au courant. A l’époque, cela restait confidentiel. Derrière un échec on peut rebondir autant qu’on veut si on ne demande rien aux autres. Etant donné que j’ai toujours été un spécialiste du système D, j’ai toujours trouvé le moyen de tourner des films » a-t-il précisé lors du débat.

     La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr « Un homme et une femme », palme d’or à Canes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture,  elle  marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme », la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Une histoire que vous redécouvrirez parmi tant d’autres comme les derniers instants de Patrick Dewaere,  et puis des tas d’autres hasards et coïncidences et d’histoires sur les uns et les autres que Lelouch nous raconte en voix off, avec passion et sincérité, comme un film, celui de son existence, une existence à 100 à l’heure, à foncer et ne rien regretter à l’image de son court-métrage «  C'était un rendez-vous » qui ouvre le documentaire. L’histoire d’une vie et une histoire, voire une leçon, de cinéma. Claude Lelouch souligne notamment l’importance de la musique tellement importante dans ses films : « L’image, c’est le faire-valoir de la musique ». « Chaque nouvelle invention modifie l’écriture cinématographique. Mes gros plans c’est ma dictature, et les plans larges c’est ma démocratie, et pas de plan moyen. » a-t-il précisé lors du débat. « Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui va très vite et on n’a plus le temps de lire le mode d’emploi alors que de mon temps on avait le temps de lire le  mode d’emploi mais il y a quelque chose qui n’a pas fait de progrès c’est l’amour.  La montée et la descente d’une histoire d’amour  m’ont toujours fasciné. »

     Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même  n’avait « pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot,   Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ».

     Quel bonheur de revoir Jean-Paul Belmondo, Jacques Villeret, Yves Montand, Annie Girardot,  Jean Louis Trintignant, Anouk Aimée, Fabrice Luchini Evelyne Bouix, Catherine Deneuve, Lino Ventura, Fanny Ardant,  Francis Huster, Alessandra Martines, tantôt irrésistibles ou bouleversants, parfois les deux, magnifiés par la caméra de Claude Lelouch qui sait si bien, par sa manière si particulière de tourner et surtout de diriger les acteurs, capter ces fameux fragments de vérités. « Les parfums de vérité plaisent au public français. Donner la chair de poule, c’est l’aristocratie de ce métier. » Comment ne pas être ému en revoyant Annie Girardot dans « Les Misérables » (qui lui vaudront ce César de la meilleure actrice dans un second rôle, en 1996, et sa déclaration d’amour éperdue au cinéma ), Jean-Paul Belmondo et Richard Anconina dans « Itinéraire d’une enfant gâté » ? Des extraits comme autant de courts-métrages qui nous laissent un goût d’inachevé et nous donnent envie de revoir ses films.

     « Il n’y a pas de vraies rencontres sans miracles » d’après Claude Lelouch et chacun de ces miracles en a donné un autre, celui du cinéma.  «L’idée était de raconter l’histoire des films 13 et comment je suis allée d’un miracle à l’autre car un film est toujours un miracle. »

     Alors tant pis si une certaine critique continue de le mépriser (il y est habitué lui dont un critique clairvoyant disait à ses débuts  "Claude Lelouch... Souvenez-vous bien de ce nom. Vous n'en entendrez plus jamais parler.")  voire les professionnels de la profession (cf son absence aux derniers César…) car  comme il le dit lui-même :  « Un seul critique qui compte sur moi, c’est le temps qui passe ».

     Alors si comme moi, vous aimez le cinéma de Claude Lelouch et les fragments de vérités, si vous croyez aux  hasards et coïncidences, fussent-ils improbables, précipitez-vous pour découvrir ce documentaire qui sortira forcément un 13…le 13 avril 2011 qui est aussi la leçon d’une vie d’un homme  qui a su tirer les enseignements de ses succès et surtout de ses échecs et d’un cinéaste qui a tellement sublimé l’existence et les acteurs, ce dont témoigne chaque seconde de ce documentaire passionnant, itinéraire d'un enfant gâté, passionné fou de cinéma.

    Cliquez ici pour lire ma critique d' "Un homme et une femme" et de "Ces amours-là" de Claude Lelouch.

  • Avant-première- Critique - « Les yeux de sa mère » de Thierry Klifa et récit de ma rencontre exceptionnelle avec Catherine Deneuve, Marina Foïs, Marisa Paredes, Géraldine Pailhas, Nicolas Duvauchelle, Thierry Klifa, Jean-Baptiste Lafarge

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    Parmi mes très nombreuses péripéties au cours de mes pérégrinations festivalières et cinématographiques, depuis déjà une bonne dizaine d’années, celle de ce 14 mars restera parmi les excellents souvenirs puisque, après avoir assisté à la projection du film « Les yeux de sa mère »,   j’ai partagé un déjeuner presse avec l’équipe du film : Catherine Deneuve, Marina Foïs, Marisa Paredes, Géraldine Pailhas, Nicolas Duvauchelle, Jean-Baptiste Lafarge… mais un peu de patience, avant de vous faire le compte rendu de ce déjeuner et de (presque) tout vous dire sur ces rencontres, place à la critique du film.

     Critique – « Les yeux de sa mère » de Thierry Klifa

     « Les yeux de sa mère » est le troisième film de Thierry Klifa, ancien critique de Studio (du temps où il n’était que Studio Magazine et pas encore Studio Ciné Live),  après « Une vie à t’attendre » et « Le héros de la famille », il sortira en salles le 23 mars. Après s’être intéressé au père dans « Le héros de la famille », Thierry Klifa (avec son coscénariste Christopher Thompson avec qui il a également coécrit le premier film en tant que réalisateur de ce dernier « Bus Palladium » auquel il est d’ailleurs fait un clin d’œil dans ce film) s’est, cette fois-ci, intéressé  à la mère qu’elle soit présente ou absente.

     A Paris, un écrivain en mal d'inspiration, Mathieu Roussel (Nicolas Duvauchelle) infiltre la vie d'une journaliste qui présente le journal télévisé, Lena Weber (Catherine Deneuve) et de sa fille danseuse étoile, Maria Canalès (Géraldine Pailhas) pour écrire à leur insu une biographie non autorisée. Pendant ce temps, en Bretagne, un garçon de 20 ans, Bruno (Jean-Baptiste Lafarge), qui habite avec ses parents, ne sait pas encore les conséquences que toute cette histoire va avoir sur son existence.

      Les yeux de sa mère » débute par le décès du père de Maria, dans les larmes et la douleur. Thierry Klifa revendique ainsi d’emblée le genre du film, celui du mélodrame auquel il est une sorte d’hommage. Un cinéma des sentiments exacerbés, des secrets enfouis, des trahisons amères, des amours impossibles. Un cinéma qui, sans doute, irritera ceux qui, il fut un temps, évoquait ce « cinéma de qualité française » avec un certain mépris  mais qui enchantera les autres pour qui comme disait Gabin "pour faire un bon film il faut trois choses: une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire » et ceux pour qui le cinéma doit faire preuve de la flamboyance et de l’exaltation qui font parfois défaut à l’existence.

    Depuis son succès, dix ans auparavant intitulé « Palimpseste », à l’image d’un palimpseste qui justement se construit par destruction et reconstruction successive, Mathieu, écorché par la vie, ayant perdu sa mère jeune, va donc d’abord s’acharner à déconstruire, au départ sans se soucier des conséquences, étant un peu « hors de l’existence » à l’image du personnage de Stephan interprété par Daniel Auteuil dans « Un cœur en hiver » que Thierry Klifa a d’ailleurs conseillé à Nicolas Duvauchelle de revoir. Mathieu, c’est Nicolas Duvauchelle un peu inquiétant, un peu ailleurs, qui en voulait déconstruire la vie des autres va, peut-être, se reconstruire.

    « Les yeux de sa mère » est un film dense et ambitieux avec beaucoup de séquences. Cela va vite, presque trop, tant les sujets (trahison, filiation, deuil insurmontable, création…) et personnages qui les incarnent sont nombreux.  La très belle musique de Gustavo Santaolalla (lauréat d’un Oscar en 2007 pour un magnifique film, là aussi choral, « Babel ») fait heureusement le lien entre ces différentes séquences.

     Le film reflète ce que j’ai pu entrevoir de Thierry Klifa : de l’enthousiasme,  une connaissance et un amour du cinéma et des acteurs, et de l’humilité. De l’enthousiasme pour la vie, pour ses personnages malgré ou à cause de leurs fêlures. De l’humilité qui peut-être est cause du principal défaut du film, celui de brasser trop de personnages (certes caractéristique du film choral) et de sujets de peur, peut-être, que le spectateur ne s’ennuie alors que dans « Une vie à t’attendre » il montrait justement qu’il savait raconter une histoire simple sans trop de personnages. « Les yeux de sa mère » semble contenir plein d’ébauches de films tant Thierry Klifa est sans doute imprégné de films et de sujets si bien qu’il nous laisse un peu sur notre faim, regrettant de laisser ses personnages finalement tous attachants à leurs destins (qui pourraient d’ailleurs donner lieu à une suite). Enfin un amour des acteurs.  Aucun n’est délaissé, des rôles principaux aux rôles plus secondaires, chacun ayant  sa  scène phare et il faut reconnaître à Thierry Klifa et Christopher Thompson possèdent le talent d’esquisser les traits de leurs personnages et de les faire pleinement exister en quelques plans.

     Mention spéciale à la découverte Jean-Baptiste Lafarge (qui n’avait jamais rien tourné jusqu’alors et dont la seule expérience se réduisait aux cours de théâtre de son lycée) parfait en jeune boxeur, personnage déterminé et à fleur de peau, à la fois sincère, naïf et épris d’absolu.

     Quant à Catherine Deneuve, dans un rôle encore une fois très différent du précèdent, dans « Potiche » (où elle était irrésistiblement drôle), en quelques secondes, en un regard, elle passe d’un état à un autre (et par voie de conséquence le spectateur lui aussi passe d’un état à un autre), soudainement bouleversée et absolument bouleversante (notamment dans la scène sur le quai de la gare avec Nicolas Duvauchelle tournée en un plan séquence). Ce regard m’a rappelée celui de ce sublime film dont Julien Hirsh, directeur de la photographie des « Yeux de sa mère » était aussi directeur de la photographie : « Je veux voir »  de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (dont je vous ai souvent parlé mais que je vous recommande vraiment !).

     Le film est aussi un jeu de miroirs et mises en abyme. Entre Catherine Deneuve qui incarne une star du petit écran et Catherine Deneuve star de cinéma. Entre Géraldine Pailhas ancienne danseuse  qui incarne une danseuse étoile. Entre l’écrivain dans le film qui infiltre la vie des autres et le cinéaste qui, par définition, même involontairement, forcément la pille aussi un peu. Entre l’écrivain voyeur de la vie des autres et le spectateur qui l’est aussi.

     Hommage au mélodrame donc mais aussi aux acteurs, et à la mère chère au cinéma d’Almodovar dont une lumineuse représentante figure dans le film de Thierry Klifa en la personne de Marisa Paredes. Mère absente,  qui abandonne, de substitution, adoptive, ou même morte.  « Les yeux de sa mère » est aussi un thriller sentimental qui instaure un vrai suspense qui n’est néanmoins jamais meilleur que lorsqu’il prend le temps de se poser, de regarder en face « les choses de la vie » et de laisser l’émotion surgir ou dans un très beau montage parallèle qui reflète au propre comme au figuré la filiation du courage.

     Un film de regards. Celui d’un réalisateur plein d’empathie pour ses personnages, d’admiration pour ses acteurs, et d’enthousiasme et qui nous les transmet. Ceux des acteurs dont sa caméra débusque les belles nuances. Et celui de Catherine Deneuve, une fois de plus dans les yeux de qui, si multiples et fascinants, il ne vous reste qu’à plonger. Ils vous émouvront et surprendront une fois de plus, je vous le garantis.  J’attends aussi avec impatience le prochain film de Thierry Klifa, un cinéma de qualité française et populaire au sens noble du terme, un cinéma que je revendique d’aimer aussi bien qu’un cinéma plus social comme celui de Ken Loach ou Mike Leigh.

    Récit de la rencontre exceptionnelle avec  Catherine Deneuve, Marina Foïs, Marisa Paredes, Géraldine Pailhas, Nicolas Duvauchelle, Jean-Baptiste Lafarge

     En préambule, je précise qu’aucune photo ou vidéo ne viendront illustrer cet article, celles-ci étant interdites par la maison de distribution en ces circonstances qui se doivent d’être plutôt conviviales. Il faudra vous contenter de mes mots, mon enregistrement sonore de trois heures n’étant pas très audible avec le cliquetis des couverts et aussi préférant je crois vous le relater et raconter mes impressions plutôt que de vous faire écouter une conversation décousue. Après la projection du film au cinéma du Panthéon, lieu que je fréquente assidûment et dont j’apprécie le caractère intimiste (et que je vous recommande au passage), rendez-vous était donné à 12H30 au-dessus dans le café restaurant de ce même cinéma, d’ailleurs décoré d’après les instructions de Catherine Deneuve.

    Si, comme moi, pour qui ce déjeuner presse était une première (et une première prestigieuse) vous en ignorez le fonctionnement, sachez qu’il consistait en l’occurrence en quatre tables, chaque table composée de six places, dont quatre pour les « journalistes » et deux pour les membres de l’équipe du film qui tournent entre l’entrée, le plat de résistance, le fromage et le dessert.  J’ai donc pris place et ai fait connaissance avec les autres convives, un sympathique blogueur-et non ce n’est pas du tout un pléonasme- de Publik’Art, une affable journaliste belge du quotidien le Soir totalement obnubilée par Catherine Deneuve et un journaliste dont je préserverai l’anonymat mais qui se contentait de regarder avec un œil goguenard l’assistance et moi a fortiori (car pas journaliste, pas du cénacle, pas considérable à ses yeux inquisiteurs et éreintés, sans doute). Je posai donc pas mal de questions à mes voisins (à l’exception du troisième dont il ne fallait pas être très perspicace pour constater qu’il n’aurait guère eu envie d’y répondre) pour évacuer mon anxiété et tenter d’oublier que quelques minutes plus tard j’allais me retrouver face à  l’héroïne des films de Bunuel, Téchiné, Truffaut, Demy et de tant d’autres que j’aime tant, doutant encore néanmoins que la mystérieuse Catherine Deneuve serait vraiment quelques minutes dans cette même salle où déambulaient déjà les autres acteurs du film.

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    Puis Marisa Paredes accompagnée de sa traductrice s’est installée à notre table, un peu sur la réserve, dégageant beaucoup de classe, de retenue. Pas peu fière de comprendre ce qu’elle disait en Espagnol, je ne poussai néanmoins pas la témérité, le ridicule ou l’inconscience jusqu’à lui poser mes questions en Espagnol, me contenter d’osciller de la tête comme un chien sur la plage arrière d’une voiture lorsqu’elle parlait et attendant patiemment la traduction pour parler à nouveau. Je me surpris à me prêter à l’exercice que je redoutais pourtant (parce que non, je ne suis pas journaliste, et non d’ailleurs je ne souhaite pas l’être) et de poser des questions, en Français donc. Elle nous a d’abord parlé du film, évidemment,  disant avoir accepté le projet car « l’histoire était intéressante, les personnages aussi » et parce qu’elle avait « la curiosité de travailler avec des personnes qu’elle ne connaissait pas » même si pour elle il y avait « une insécurité de ne pas parler la langue ». Elle a évoqué Paris où elle aime tout « sauf les taxis qu’on ne trouve jamais quand on en a besoin » et sa « grande complicité avec Catherine Deneuve,  une grande vedette. » Evidemment impossible de rencontrer Marisa Paredes sans parler de Pedro Almodovar et son prochain film « La peau que j’habite », « un film encore plus complexe  que ses précédents» selon elle. Elle n’a pas voulu répondre sur la possible sélection du film à Cannes mais son sourire valait acquiescement. Quand il lui propose un projet, il procède particulièrement en lui demandant d’abord si elle est libre à telle ou telle date plutôt que de lui envoyer d’abord le scénario toujours « très construit en profondeur », a-t-elle précisé. « Personne ne dirait non à Almodovar. On se sent privilégié d’être appelée par Almodovar. Pedro et moi avons une relation très complice, cela rend les choses plus faciles. Il  a inventé un style qui lui est propre, a donné une autre image de l’Espagne  » a-t-elle ajouté.  Elle a également évoqué le Franquisme comme « une blessure qu’il faut refermer mais dont il y a toujours un risque qu’elle s’infecte » et aussi de la  séparation stricte entre sa vie privée et sa vie professionnelle malgré « le problème de la presse rose  très agressive. » 

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    L’entrée n’était pas tout à fait terminée que déjà il fallait passer aux invités suivants : Marina Foïs et Jean-Baptiste Lafarge. J’ai été agréablement surprise par la sincérité, l’intelligence, la douce folie de la première qui, après avoir parlé de son rôle de « mère courageuse qui affronte ses émotions, la magnanimité du personnage, un rôle qui canalise sa folie » et de Catherine Deneuve « belle, intelligente avec ce truc prodigieux »  a parlé aussi bien des  scénarii qu’elle reçoit à réaliser alors qu’elle n’a aucun désir de réalisation car elle « ne raisonne pas en images », que de son rêve d’incarner Simone Weil au cinéma, que du théâtre auquel elle préfère le cinéma à cause du côté volatile du premier et parce qu’elle se trouve toujours « de moins en moins bien au fil des représentations car la mécanique intervient et que c’est donc moins intéressant et qu’il faudrait 30 représentations, pas plus». De temps à autre je ne pouvais m’empêcher de regarder autour espérant et redoutant à la fois la silhouette de Catherine Deneuve qui a fini par « apparaître » à l’autre extrémité de la pièce.   Evidemment moins de questions pour Jean-Baptiste Lafarge, forcément parce que sa carrière débute tout juste et que jusque là il n’avait joué que dans des cours de théâtre au lycée, et des réponses moins longues, forcément aussi, parce qu’il n’est pas encore rodé à l’exercice. Il s’est tout de même dit impressionné mais que c’était finalement « plus facile de jouer face à des acteurs de ce niveau » et que « quand c’était parti il n’était plus le temps d’angoisser. »

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    Changement de plats et changement d’interlocuteurs avec cette fois Géraldine Pailhas et Nicolas Duvauchelle, en apparence très différents l’un de l’autre, une vraie maitrise de soi de la première, et une certaine désinvolture du second, l’une cherchant visiblement à dissimuler ses doutes, fêlures à tout prix et l’autre non (pas plus que son ennui assez visible, d’être là, et compréhensible tant cela doit être à la longue lassant de répondre toujours aux mêmes questions, de subir les mêmes regards inquisiteurs). En réponse à la journaliste belge (qui m’avait avoué, mais ne le répétez pas, n’être là QUE pour Catherine Deneuve et dont les questions tournaient donc essentiellement autour de cette dernière), Géraldine Pailhas a donc à son tour évoqué Catherine Deneuve, comme « une actrice de chair et de sang capable de tout jouer » (Catherine Deneuve dont je ne pouvais m’empêcher d’entendre la voix tellement reconnaissable à la table d’à côté). Pour elle ce rôle représente « une conquête plus qu’un défi. » Il s’agissait d’une « opportunité à saisir. » Les réponses de Géraldine Pailhas étaient parfois très longues sans doute un peu pour pallier celles, très courtes de son voisin, aussi il m’a semblée pour masquer ses doutes, paraissant parfois presque trop sûre d’elle, s’enorgueillissant, au contraire et à la surprise de Nicholas Duvauchelle, de ne pas être gênée de jouer dans le conflit et du fait que le danger soit pour elle au contraire d’être dans la complaisance. Ce dernier a avoué avoir été très éprouvé par la scène du cimetière.  Et évidemment ma voisine belge lui a demandé ce qu’il pensait de Catherine Deneuve, ce à quoi il a répondu (sans doute pour la énième fois) qu’elle était « très drôle, très maternelle, toujours dans le vif, une évidence ». 

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    Puis est arrivée l’heure du dessert… et de Catherine Deneuve et Thierry Klifa. Accompagnés de deux personnes. Enfin accompagnéE de deux personnes aux petits soins. Silence respectueux et un peu intimidé de trois des convives et toujours goguenard pour le quatrième. Thierry Klifa particulièrement souriant, sous doute habitué aussi à ce manège probablement instructif à observer. Catherine Deneuve presque grave, déplaçant une lampe et ce cher journaliste dont je respecterai, toujours et malgré tout, l’anonymat ayant un humour aussi légendaire que son air goguenard de demander à Catherine Deneuve « si elle refaisait ainsi la décoration à chaque fois qu’elle venait », ce à quoi elle a répondu avec une douce autorité que simplement la lumière la gênait.  Il a précisé que c’était de l’humour. Vous vous en doutez tout le monde a trouvé cela absolument irrésistible, surtout lui-même. Puis silence… Je ne pouvais m’empêcher de me dire à quel point tout cela devait être amusant et lassant à ses yeux. Amusant de voir qu’elle dont je ne doute pas une seconde qu’elle sache être si drôle, ironique, brillante, modifie ainsi l’atmosphère et provoque le silence et le trouble. Elle dont je me souviens que lors de cette mémorable master class à sciences po elle avait parlé de ces rencontres qui la terrifiaient. Elle que j’avais aussi vue un peu lointaine et éblouissante lors de sa master class cannoise. Elle que certains sans doute auront trouvé froide ou distante mais dont je devinai à la fois l’amusement, le trac, la lassitude, tour à tour ou en même temps. Finalement notre journaliste belge a enfin posé ses questions à celle pour qui seule elle était là dont une particulièrement délicate sur la fin de sa carrière (et moi qui, avant cette rencontre redoutais de poser des questions ridicules ou absurdes). Elle a allumé une cigarette, avec classe, presque détachement, en apparence du moins, sans doute un moyen  de se donner une contenance et de se conformer à son rôle, celle de la star, pas parce qu’il lui plait de le jouer mais parce que c’est ce que chacun semble attendre d’elle. J’étais bien décidée à poser mes nombreuses questions d’abord à Thierry Klifa mais notre ami-dont-je-respecterai-l’anonymat semblait prendre un malin plaisir à me couper la parole pour poser des questions extrêmement originales à Catherine Deneuve « Est-ce que vous arrivez à sortir de vos rôles après un film ? Est-ce une nécessité pour vous de jouer ? ». Puis enfin, j’ai pu m’exprimer et parler avec Thierry Klifa de mon film préféré « Un cœur en hiver » auquel il se réfère dans le dossier de presse (ainsi qu’à deux de mes films fétiches « La femme d’à côté » de Truffaut et « La fièvre dans le sang » de Kazan ou encore au cinéma de James Gray mais malheureusement le temps a manqué pour évoquer ces sujets) , plus pour lui « une musique qui l’accompagne qu’un modèle » . Ses réponses étaient vraiment intéressantes et j’avoue que j’aurais eu encore des dizaines de questions à lui poser. Puis je lui ai parlé du directeur de la photographie Julien Hirsch moyen aussi de parler à Catherine Deneuve de ce sublime film « Je veux voir » -dont il est aussi directeur de la photographie- qui est aussi affaire de regards  (manière détournée de m’adresser à elle tout en posant une question à Thierry Klifa) seul moment où je crois avoir vu son regard s’illuminer. J’aurais voulu qu’elle parle de ce film mais le temps était compté. Thierry Klifa a répondu avoir été heureux de travailler pour la première fois avec Julien Hirsch avec qui il n’avait jamais travaillé mais qui avait déjà travaillé à plusieurs reprises avec Catherine Deneuve et qui sait s’adapter aux univers de chaque cinéaste. C’est le seul dialogue au cours duquel je n’ai pas pris de notes. J’étais captivée par la lumineuse présence de Catherine Deneuve  tout de rose vêtue, à la fois là et un peu ailleurs, croisant furtivement son regard perçant. Je n’osais la regarder de peur que ce regard passe pour scrutateur  ou  comme tant d’autres cherchant des stigmates du temps que chacun doit tenter de débusquer (mais qui l’ont épargnée et que de toute façon sa magnétique présence ferait oublier) ou ayant l’impression que ce regard, un de plus encore s’ajouterait à tous ceux qui la fixent constamment et serait presque indécent (pour ceux qui ne le sauraient pas encore, ma devise est « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué »). Elle a parlé des témoignages de sympathie qu’elle reçoit, de ces personnes (comme c’est le cas pour Lena dans le film) qui la dévisagent constamment qu’elle envisage différemment selon qu’elle est déprimée ou de bonne humeur, des rôles qu’elle reçoit qui sont souvent les mêmes et en réponse à Monsieur Goguenard du cinéma dont elle ne sait si c’est nécessaire car elle a toujours vécu là-dedans. Je ne me souviens pas de tout. Je n’ai pas noté donc. Je ne le souhaitais pas.  Juste être dans l’instant. Profiter de ce moment rare. J’ai rebondi sur une ou deux questions mais il me semble que ce qui se disait dans les gestes, les silences et les regards étaient plus intéressants que les mots. Puis elle est partie. Un peu comme une ombre ou un beau mirage évanescent.  Elle a sans doute dit au revoir, je n’ai rien entendu. Moi aussi je crois que j’étais à mon tour un peu ailleurs…

    Trois heures qui se sont écoulées comme un rêve, à la rapidité d’un générique de cinéma auquel elles ressemblaient.  Bien sûr de ces trois heures je ne vous ai retranscrit que quelques bribes, l’essentiel ayant finalement été dans l’implicite.

     Vous ne serez pas surpris si je vous dis que notre ami goguenard est parti sans dire au revoir, que mes tentatives d’amorce de conversation, connaissant bien son journal ayant un lien particulier avec, ne se sont soldées que par des soupirs de consternation (au moins aurons-nous eu celle-ci en commun). Et je ne peux que comprendre la lassitude de Nicholas Duvauchelle, de Catherine Deneuve ou des autres face à ce manque d’élégance, marque, au-delà de l’absence d’humilité, d’un défaut de talent, en tout cas de psychologie, belle illustration des propos de Marina Foïs sur les grands acteurs face auxquelles il est si facile de jouer, qui d’une certaine manière ne s’embarrassent pas d’une comédie pathétique. Cette comédie humaine que j’ai constaté dans tant de circonstances cinématographiques (pour connaître réellement quelqu’un, placez le soit dans un théâtre de guerre ou dans un théâtre des vanités, par exemple un festival, c’est imparable) à la fois belle et pathétique ne cessera de m’amuser, ou consterner, selon les jours.

     Un beau moment en tout cas dont je suis ressortie  avec  des tas d’images, d’impressions (que je retranscrirai ailleurs…) mais surtout de regards insolents, lasses, farouches, maquillés (au figuré), absents, incisifs, mécaniques, brumeux, enthousiastes et surtout d’un perçant que je ne verrai plus jamais pareil même si et heureusement il a  conservé tout son mystère, résisté à la lumière tapageuse et insatiable. D’une lampe détournée et pas seulement… Par chance, vous aussi pourrez bientôt voir ce regard dans « Les yeux de sa mère », le 23 mars prochain !

  • Critique de « Never let me go » de Mark Romanek avec Carey Mulligan, Andrew Garfield, Keira Knightley

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    En 1997, avec “Bienvenue à Gattaca”, Andrew Niccol, pour son premier film, réussissait le pari, loin d’être gagné d’avance, d’un film visuellement magnifique et passionnant, recourant à la science-fiction pour faire réfléchir sur les manipulations génétiques. 14 ans plus tard, avec l’aide de son brillant scénariste Alex Garland, Mark Romanek (qui avait obtenu le prix du jury du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2002 pour « Photo obsession » ), pour son troisième long métrage, nous fait aussi réfléchir sur des potentialités scientifiques qui relèvent de moins en moins de la science-fiction.  « Never let me go » est ainsi une adaptation du best seller « Auprès de moi toujours » de Kazuo Ishiguro dont  un autre magnifique roman avait déjà été adapté au cinéma « Les Vestiges du jour » somptueusement mis en scène par James Ivory.

    Depuis l'enfance, Kathy (Carey Mulligan), Ruth (Keira Knightley) et Tommy (Andrew Garfield) sont les pensionnaires d'une école en apparence idyllique, une institution coupée du monde où seuls comptent (apparemment…) leur éducation et leur bien-être. Devenus jeunes adultes, leur vie bascule : ils découvrent un inquiétant secret qui va bouleverser jusqu'à leurs amours, leur amitié, leur perception de tout ce qu'ils avaient vécu jusqu'à cet instant.

    C’est Kathy qui nous raconte son histoire en flash-back, dont nous savons donc d’emblée l’inéluctabilité dramatique. Retour sur son enfance, dans un pensionnat dirigé par l’austère et intraitable Miss Emily interprétée par Charlotte Rampling, un pensionnat coupé du monde aux rituels stricts parmi lesquels sont discrètement instillés quelques touches d’étrangeté pour faire naitre la dissonance dans cet univers finalement en apparence familier. Plutôt que de créer un monde qui nous serait complètement étranger, Mark Romanek met en scène une temporalité parallèle qui nous est proche, ce qui la rend d’autant plus inquiétante. L’histoire ne se déroule ainsi pas dans une époque et un ailleurs lointains mais en Angleterre dans des lieux du quotidien (école, ferme, hôpital), dans la seconde moitié du XXème siècle.

    En résulte une impression d’intemporalité, de familiarité, d’autant plus troublante pour le spectateur. La réalisation de Mark Romanek est ainsi en accord avec son sujet, tout en élégance, sobriété, allant à l’essentiel comme les personnages face à l’urgence du temps qui passe, l’imminence de la mort, reviennent à l’essentiel : l’amitié ou l’amour qui les lie. Il ne cherche pas à tout prix à distraire le spectateur, à lui faire oublier le temps qui passe mais au contraire à lui faire éprouver sa fragilité irréversible. (contrairement à un film récent qui de ce point de vue était pour moi totalement hors-sujet)

    Le trio d’acteurs a été impeccablement choisi, du velléitaire Tommy (Andew Garfield) sujet à de terribles et impuissantes colères à la douce Kathy (Carey Mulligan) sans oublier Keira Knightley (Ruth) dans un rôle aux antipodes de « Last night » et qui, de films en films, tissent les fils d’une jolie carrière.

    C’est dans la résignation, presque la tranquillité, que réside toute l’horreur  de leur condition qu’une seule image, forte et symbolique, traduira réellement. A quoi bon se révolter contre l’inéluctable ? Cela nous renvoie ainsi à notre propre condition d’humains qui acceptent la finitude de l’existence n’ayant d’autre choix, nous rendant encore plus proches ces clones si humains, jusque dans leur triste devenir, leur implacable destinée d’êtres nés pour mourir. C’est l’idée de la mort qui s’immisce subreptiscement et donne froid dans le dos d’autant plus que tout parait si sage, calme, anodin, normal. Tout juste une musique (« Never let me go ») au doux et brûlant parfum des premiers émois réchauffe-t-elle un peu l’atmosphère.

    Se dégage de ce film grisâtre, une poésie amère et désenchantée, un pessimisme tranquille et redoutable, une étrangeté indéfinissable, troublante et finalement suffocante. C’est une sombre variation (d’autant plus brillante) sur le temps qui passe et la fragilité de l’existence, sa beauté éphémère, mais aussi une réflexion sur l’identité (ici  ces clones ne trouvent leur identité que dans le regard des autres) et sur les manipulations génétiques sans doute souvent vitales (on songe évidemment aux bébés médicaments) à condition de conserver leur humanité et de ne pas devenir le fruit d’une science froide, implacable et austère comme Charlotte Rampling directrice d'un pensionnat anglais.

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  • Critique de « True grit » d’Ethan et Joel Coen avec Jeff Bridges, Matt Damon, Hailee Steinfeld

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    Alors que « True Grit » est, injustement, reparti sans aucune récompense des Oscars, dimanche dernier, malgré ses 10 nominations, retour sur un des meilleurs films américains de cette année 2010 (avec « Shutter island », « Black swan », « Inception », « Le discours d’un roi », ce dernier ayant raflé les principales récompenses).

    1870, juste après la guerre de Sécession, sur l'ultime frontière de l'Ouest américain. Mattie Ross (Hailee Steinfeld), 14 ans, réclame justice pour la mort de son père, abattu de sang-froid pour deux pièces d'or par le lâche Tom Chaney (Josh Brolin). L'assassin s'est réfugié en territoire indien. Pour le retrouver, se venger et le faire pendre, Mattie engage Rooster Cogburn (Jeff Bridges), un U.S. Marshal alcoolique. Mais Chaney est déjà recherché par LaBoeuf (Matt Damon), un Texas Ranger qui veut le capturer contre une belle récompense. Ayant la même cible, les voilà rivaux dans la traque. Tenaces et obstinés, chacun des trois protagonistes possède sa propre motivation et n'obéit qu'à son code d'honneur.

    Dès les premiers plans, d’une maîtrise, d’une ingéniosité et d’une beauté à couper le souffle, les Coen font une nouvelle fois preuve de leur malicieux talent de narrateurs et cinéastes. J’ai bien cru qu’il était arrivé, enfin et tardivement, ce film que j’avais attendu toute l’année 2010, enfin un film qui me scotche à mon siège, m’éblouit, me fascine, me donne envie de partager mon enthousiasme débordant, à peine sortie de la salle.

    Le début laisse même présager un très très grand film : richesses des plans et de la narration, beauté de la photographie, et incroyables personnages à commencer par  la jeune Hailee Steinfeld (retenez bien son nom, il ne serait pas étonnant de la retrouver aux Oscars avec la statuette entre les mains) dont chaque apparition est réellement bluffante. J’ignore combien de jeunes filles les Coen ont vues avant de la trouver mais elle est incroyable et stupéfiante de naturel. Son jeu est (à l’image de son personnage) d’une maturité et d’une intelligence époustouflantes transformant chacune de ses apparitions en instants réellement jubilatoires. A l’image de son nom dans le film, elle est tranchante comme une lame de rasoir, pleine d’assurance et de malice.

    J’avoue que j’étais emballée à l’idée de voir un western genre qui m’a fait aimer le cinéma mais que je le redoutais aussi tant ce genre est codifié et peut apparaître aujourd’hui comme suranné mais évidemment c’était compter sans le talent des Coen. « True Grit » est ainsi un remake de “100 dollars pour un sheriff” de Henry Hathaway, un film  de 1969 pour lequel John Wayne a obtenu l’Oscar du meilleur acteur, le seul de sa carrière d’ailleurs.  Les Coen réfutent pourtant l’appellation de remake préférant dire qu’ils se sont basés sur le roman de Charles Portis à l’origine du film.

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     « True Grit » est un magnifique hommage aux westerns (reprenant même la musique du chef d’œuvre « La nuit du chasseur » de Charles Laughton) dont il respecte et détourne les codes non sans uns certaine ironie (comme lorsque Mattie Ross sort après une magistrale traversée de la rivière à cheval, totalement sèche comme pour nous dire que cela n’est que mythe), à ses personnages aux gueules patibulaires mais au cœur d’or, à ses grandes étendues éblouissantes, à ses chevauchées fantastiques dans des plaines majestueuses au soleil levant ou couchant « dans la vallée de l’ombre et de la mort », à la mythologie américaine donc, à ses légendes.

    Et puis un film des Coen ne serait pas un film des Coen sans le second degré, l’humour noir, l’ironie caustique, un ton sarcastique qui n’appartient qu’à eux et qui convient merveilleusement au western (autour duquel ils tournent d’ailleurs depuis un moment,  « No country for old men » en étant déjà une forme) et à ce trio improbable.

    Seul bémol : un rythme qui se ralentit un peu en milieu de film et une confrontation finale (le principe même des westerns qui, souvent, revendiquent leur manichéisme) un peu décevante mais aussitôt un trait d’humour ou une chevauchée nocturne sublimement filmée à donner des frissons vous le font oublier.  Et puis leurs personnages truculents et finalement touchants dépassent le cadre de l’intrigue et ses faiblesses qui finalement importent peu.

    Matt Damon confirme qu’il peut tout interpréter, et il fallait pas mal d’humour pour interpréter ce LaBoeuf, Texas ranger, aussi léger et subtile que son prénom. Quant à Jeff Bridges, il n’aurait pas moins mérité un Oscar que John Wayne pour le rôle de ce Marshall alcoolique, téméraire et bourru.

    Avec « True Grit », les Coen rendent hommage au western en le renouvelant et transformant en  un conte désenchanté aux paysages enchanteurs, une sorte d’Alice au pays des merveilles dans un Ouest Américain aussi hostile que magnifiquement filmée, les mésaventures d’un trio improbable entre courage et désillusions. Un ton qui n’appartient qu’aux Coen et des personnages forts remarquablement interprétés font de ce western un des meilleurs films de l’année 2010…. Le nouveau partenaire des frères Coen, un certain producteur nommé Steven Spielberg, ne s’y est pas trompé.

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    Revoir aussi  « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford ». chef d’oeuvre récent du genre prouvant là aussi qu’il peut être d’une grande modernité.

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      Et puisqu’il est question de western retrouvez aussi ma critique de « Johnny Guitar »de Nicholas Ray.

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