Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 - Page 6

  • Avant-première - Critique de « J.Edgar » de Clint Eastwood avec Leonardo DiCaprio, Naomi Watts, Judi Dench, Armie Hammer…

     

    edgar2.jpg

    edgar3.jpg

    edgar4.jpg

    Clint Eastwood fait partie de ces réalisateurs dont j’essaie de ne manquer aucun film (il faut dire que, depuis 2005, il est particulièrement prolifique), en particulier depuis « Sur la route de Madison »,  sans aucun doute un des plus beaux films d’amour de l’histoire du cinéma (auquel je suis beaucoup plus sensible qu’à « Million dollar baby », trop larmoyant à mon goût). En 2010, avec « Au-delà » il avait déçu beaucoup de spectateurs (une déception que je ne partageais pas) alors que, pourtant,  ce film était aussi, à l’image de « Sur la route de Madison », un hymne à ces instants fugaces et intenses qui modifient le cours du destin, mais aussi le message d’un homme hanté par la mort comme en témoignait aussi déjà « Gran Torino ».

     «Au-delà » n’est certes certainement pas le film trépidant que certains attendaient mais au contraire un film à hauteur d’hommes qui tisse peu à peu sa toile d’émotions en même temps que les destins de ses personnages et qui laisse une trace d’autant plus profonde et aboutit à un final d’autant plus bouleversant que le cheminement pour l’atteindre a été subtil et délicat et que tout le justifiait. Une réflexion sur la mort mais surtout un hymne à la vie (au-delà de la douleur, au-delà de la perte), à l’espoir retrouvé (qui n’est pas dans l’au-delà mais dans le dépassement de son appréhension et donc bel et bien là), à la beauté troublante et surprenante du destin.

    D’une certaine manière, dans « J.Edgar », Clint Eastwood réunit les thématiques des trois films évoqués ci-dessus : Gran Torino (la hantise de la mort et de la trace laissée après celle-ci), «  Sur la route de Madison » (une histoire d’amour condamnée à l’ombre) et « Au-delà » (les rouages du destin).

    « J.Edgar » (Leonardo DiCaprio), c’est Hoover, cet homme complexe qui fut directeur du FBI de 1924 à sa mort, en 1972, soit pendant 48 ans. 48 années pendant lesquelles il a vu se succéder pas moins de 8 présidents. L’action du film débute ainsi dans les années 70. Pour préserver son héritage. Hoover dicte alors ses mémoires et se replonge dans ses souvenirs qui le ramènent en 1919. Il n’avait alors que 20 ans, était déjà ambitieux, orgueilleux et autoritaire et on ne le nommait pas encore J.Edgar.

    Dès les premiers plans, trois éléments qui ne se démentiront pas tout au long du film, sautent aux yeux du spectateur (aux miens, du moins) : la beauté sombre de la photographie de Tom Stern (fidèle chef opérateur de Clint Eastwood), l’art avec lequel Clint Eastwood s’empare du scénario de Dustin Lance Black pour entremêler passer et présent, et pour nous raconter brillamment une histoire et enfin le jeu stupéfiant et remarquable de Leonardo Di Caprio qui, bien au-delà du maquillage, devient Hoover. Au moins trois éléments qui font de ce film un bonheur cinématographique…même s’il n’est pas exempt de défauts comme certaines longueurs ou certaines scènes trop appuyées et mélodramatiques.

    Derrière ce que certains nommeront peut-être classicisme,  Clint Eastwood démontre une nouvelle fois son habileté à tisser la toile du récit pour dresser le portrait complexe d’un homme dont la vie était basée sur le secret (ceux qu’il dissimulait et ceux des autres qu’il utilisait notamment ceux qu’il détenait sur les hommes du pouvoir qu’il manipulait  sans scrupules, ce qui explique ici sa longévité à la tête du FBI) qui aspirait à être dans la lumière mais dont l’existence était une zone d’ombre, deux contrastes que la photographie de Tom Stern reflète magnifiquement. En un plan de Hoover sur son balcon, regardant les cortèges d’investiture de Roosevelt puis de Nixon, à plusieurs années de distance, il  nous montre un homme dans l’ombre qui semble n’aspirer qu’au feu des projecteurs mais qui, aussi, de son piédestal, semble néanmoins être le démiurge de la scène qui se déroule en contrebas. Tout un symbole. Celui de ses contradictions.

    Si les agents du FBI aimaient se présenter comme les « gentils », la personnalité de Hoover était beaucoup plus complexe que l’image qu’il souhaitait donner de l’organisation qu’il dirigeait et de lui-même : avide de notoriété, recherchant l’admiration et l’amour de sa mère, dissimulant son homosexualité, manipulant les politiques. Pour lui « l’information, c’est le pouvoir ».

    Cette personnalité complexe (et ce qui conduisit Hoover à devenir J.Edgar) nous est expliquée à travers ses relations avec trois personnes : sa mère, Annie Hoover ( Judi Dench) qui lui voyait un destin et voulait qu’il compense les échecs de son père et dont il recherchera toujours l’admiration, sa secrétaire Helen Gandy (Naomi Watts) qui lui restera toujours fidèle depuis ses débuts et même après sa mort, et son directeur adjoint Clyde Tolson (Armie Hammer) avec qui il entretint vraisemblablement une liaison.

    Si l’histoire de Hoover nous permet de traverser l’Histoire  des Etats-Unis, la seconde est bien en arrière-plan et c’est bien à la première que s’attache Eastwood, de son rôle dans l’instigation des méthodes modernes d’expertises médico-légales mais aussi à ses tentatives (vaines) pour faire tomber Martin Lurther King, son combat obstiné et même obsessionnel contre le communisme et évidemment la création du FBI et l’enlèvement du fils de Lindbergh, deux évènements qui témoignent de l’ambition de Hoover et de ses méthodes parfois contestables pour la satisfaire.

    Le film de Clint Eastwood épouse finalement les contradictions de son personnage principal, sa complexité, et a l’intelligence de ne pas faire de Hoover un héros, prétexte à un film à la gloire des Etats-Unis mais au contraire un personnage qui en symbolise l’ombre et la lumière et surtout ce désir d’être dans la lumière (manipulation des médias mais aussi propagande avec des albums de bd consacrés au FBI et des vignettes ornant les paquets de corn-flakes) comme le revers de la médaille d’un American dream dont l’image se voudrait lisse et irréprochable.

    La réussite du film doit évidemment beaucoup à celui qui incarne Hoover et qui tourne pour la première fois pour Eastwood : Di Caprio dont le maquillage n’est pour rien dans l’étonnante nouvelle métamorphose qui le fait devenir Hoover, avec sa complexité, son autorité, son orgueil, ses doutes qui passent dans son regard l’espace d’un instant, lorsque ses mots trahissent subitement son trouble et le font alors redevenir l’enfant en quête de l’amour de sa mère qu’il n’a finalement jamais cessé d’être derrière ce masque d’intransigeance et d’orgueil (très belle scène avec Noami Watts dans la bibliothèque du Congrès ou dans la suite avec Clyde, scènes au cours desquelles il passe d’une expression ou une émotion à une autre, avec une rapidité fascinante). Une nouvelle composition magistrale. Déjà dans « Shutter island », il était  habité par son rôle qui, en un regard, nous plongeait dans un abîme où alternaient et se mêlaient même parfois, angoisse, doutes, suspicion, folie, désarroi (interprétation tellement différente de celle des "Noces rebelles" mais tout aussi magistrale qui témoigne de la diversité de son jeu). Il n’avait pourtant obtenu l’Oscar du meilleur acteur pour aucun de ces deux films, il ne l’a d’ailleurs jamais obtenu. Est-ce possible que celui qui est sans doute le plus grand acteur actuel passe une nouvelle fois à côté ? J’avoue que mon cœur balance sachant que Jean Dujardin sera sans doute nommé face à lui pour « The Artist ». Vous pourrez aussi le retrouver bientôt dans une nouvelle adaptation du chef d’œuvre de Fitzgerald « Gatsby le magnifique » même si je vous recommande surtout la version de Jack Clayton.

    En nous racontant avec une maîtrise incontestable des codes du récit l’histoire d’un homme soucieux du secret, de la trace qu’il laissera, de sa et ses mémoire(s) (et de sa subjectivité), de ses zones d’ombre, Clint Eastwood, par-delà la personnalité complexe et passionnante de Hoover traite d’un sujet particulièrement personnel (un homme qui se penche sur son passé, pétri de contradictions entre le culte du secret et l’envie d’être dans la lumière ) et universel et actuel (la manipulation des médias, le désir avide de notoriété). La marque d’un grand cinéaste. Et enfin, il permet à celui qui est le meilleur acteur actuel d’explorer une nouvelle facette de son immense talent et de trouver là un nouveau rôle, complexe et passionnant, à sa démesure et qui le mènera peut-être, enfin, à l’Oscar tant mérité.

    Retrouvez également cet article sur mon blog "In the mood - Le Magazine": http://inthemoodlemag.com/2012/01/06/cinema-critique-de-j-edgar-de-clint-eastwood/

    Sortie en salles : le 11 janvier

    Lien permanent Imprimer Catégories : AVANT-PREMIERES, CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 Pin it! 2 commentaires
  • Critique et Concours – 3x2 places pour « Louise Wimmer » de Cyril Mennegun

     

    louise2.jpg

    Je vous avais parlé de mon enthousiasme pour ce film, « Louise Wimmer » de Cyril Mennegun, lors du dernier Festival international des jeunes réalisateurs de Saint-Jean de Luz dans le cadre duquel il était sélectionné en compétition et dont il était d’ailleurs reparti bredouille, à ma grande déception (il faut dire que la sélection était de qualité, je vous parlerai prochainement de mon autre coup de cœur du festival « Une bouteille à la mer » de Thierry Binisti) malgré un accueil enthousiaste du public.  Présenté à la Mostra de Venise en première mondiale, le film a  néanmoins déjà obtenu plusieurs récompenses dans divers festivals.

    saint-jean de luz 1 036.JPG

    Je suis donc ravie de pouvoir vous proposer, pour ce dernier concours de l’année 2011, 3 places pour deux pour le découvrir en salles.

    Synopsis « officiel » : "Après une séparation douloureuse, Louise Wimmer a laissé sa vie d’avant loin derrière elle. A la veille de ses cinquante ans, elle vit dans sa voiture et a pour seul but de trouver un appartement et de repartir de zéro. Armée de sa voiture et de la voix de Nina Simone, elle veut tout faire pour reconquérir sa vie."- 

    Louise Wimmer c’est une femme comme il y en a tant d’autres, que nous croisons sans le savoir, qui se drapent dans leur fierté pour dissimuler leurs malheurs. Son histoire se déroule par bribes, de judicieuses ellipses qui renforcent le caractère universel du sujet, dramatiquement actuel.

    Nous devinons qu’elle s’est retrouvée à la rue suite à une séparation, ce que tout son entourage ignore. Au lieu d’en faire une femme pitoyable, Cyril Mennegun dresse le portrait une femme noble et fière et même au départ un peu antipathique que le spectateur au fil du récit, accompagnant dans ses échecs révoltants, prend en empathie. Il est incompréhensible que Corinne Masiero n’ait pas eu le prix d’interprétation à Saint-Jean de Luz tant son visage âpre marqué par la vie qui en devient beau tant Cyril Mennegun la filme avec justesse, empathie, et dignité, dévore l’écran, nous happe, tant elle donne corps et âme à cette femme qui ressemble à la fois à tant d’autres et aucune autre.

     Je partage l’émotion qui a submergé le délégué général du festival de Saint-Jean de Luz quand il a dû interviewer le réalisateur et son actrice juste après la projection. Une belle leçon d’humanité (mais qui, surtout ne se donne pas des airs de leçon). Sans oublier la musique de Nina Simone symbole de liberté et d’emprisonnement aussi puisque c’est la seule musique que Louise peut écouter et qui évoque la même beauté rude et douloureuse que celle de son personnage.

    Cyril Mennegun est avant tout réalisateur de documentaires (notamment de « Tahar  l’étudiant », portrait de Tahar Rahim qui sera d’ailleurs l’acteur principal de son prochain film "Insight" comme il l’a révélé à Saint Jean de Luz) et son expérience nourrit prodigieusement son film qui exhale de troublants accents de réalisme, sa caméra ne quittant pas cette femme. Un film plein de vie, de violence dramatiquement quotidienne aussi, empreint d’un regard jamais complaisant.

     Cyril Mennegun a ainsi raconté que c'est après avoir croisé, lors du tournage d'un documentaire, une femme qui s'appelait Corinne et vivait dans sa voiture, mais qu'il n'a "jamais pu filmer" et qu'il a "perdu assez vite", qu'est née l'idée du film, une histoire semble-t-il aussi proche de ce qu’a pu vivre la comédienne (que Cyril Mennegun dit avoir découverte dans un téléfilm diffusé un soir à la télévision). "Ce film est empreint de ce qu'elle est » a-t-il ainsi déclaré. On la retrouvera bien heureusement prochainement dans le prochain film de Jacques Audiard.

    Un film plein de vie et, comme elle et son incroyable interprète principale (Corinne Masiero), âpre et lumineux. Le premier grand choc cinématographique de cette année 2012 à découvrir absolument le 4 janvier 2012. La découverte d’un cinéaste qui rappelle les plus grands cinéastes du réalisme social britannique et d’une comédienne qui porte ce film magnifiquement bouleversant et tristement universel, et qui s’achève sur une note d’espoir d’une beauté aussi simple que ravageuse.

     

    Pour la sortie du film, un dispositif de street marketing a été mis en place dans 3 grandes villes : Paris, Lyon et Lille. Plus de 8 000 post-its manuscrits (que vous avez ainsi peut-être vus) mentionnant "Louise Wimmer : 06-43-02-59-18" ont été collés dans des endroits à fort trafic : dans le métro, sur les scooters, les vélos... Du 19 décembre à mi-janvier, une comédienne incarnant le personnage principal du film vous répond  même au téléphone.  En deux jours, plus de 500 appels ont été générés et des dizaines de messages ont été laissés sur le répondeur.

     Lien: Fan Page Facebook du Film: La fanpage: http://www.facebook.com/LWLeFilm

    CONCOURS

    Pour remporter vos deux places pour "Louise Wimmer", soyez les premiers à répondre aux 4 questions suivantes, en envoyant vos réponses à inthemoodforcinema@gmail.com, avec pour intitulé de votre email "Concours Louise Wimmer" en n'oubliant pas de joindre vos coordonnées. 

    1. Dîtes-moi de quel film provient l'image ci-dessous (indice dans la critique de "Louise Wimmer")

    conc1.jpg

    2. Quel est le film ci-dessous? Quel rapport avec Louise Wimmer?

     

    conc2.jpg

    3. Que vous évoquent ces chiffres? Quel rapport avec "Louise Wimmer"?

    2800563419

    4. En une phrase, pour quelle(s) raison(s), souhaitez-vous voir ce film?

    Cet article est également en ligne sur mon nouveau blog http://inthemoodlemag.com

  • Critique de « La Délicatesse » de David et Stéphane Foenkinos : LE film de cette fin d'année à ne pas manquer

    delicatesse2.jpg

    délit.jpg

    Il y a deux ans, dans le cadre du jury des lectrices de Elle dont je faisais partie, je découvrais « La Délicatesse », le roman de David Foenkinos en lice pour le prix et dont le film éponyme est l’adaptation signée par ce dernier et Stéphane Foenkinos. Je découvrais aussi l’écriture fantaisiste, précise et délicate de David Foenkinos (oui, je l’avoue, il m’a fallu attendre son 8ème roman pour cela) après avoir  remarqué la présence joliment discrète de l’auteur quand d’autres se mettaient en avant avec une ridicule et présomptueuse ostentation, lors d’un débat dans le cadre de feu Forum International Cinéma et Littérature de Monaco. Bien qu’ayant obtenu dix prix littéraires, « La Délicatesse » (à mon grand regret) n’avait pas reçu celui des lectrices de Elle...mais cela ne l’a pas empêché d’en vendre 700000 exemplaires et d’être traduit dans 21 pays...et c’est particulièrement rassurant. Rassurant de voir que pour cela il n’aura fallu ni faire voyager le lecteur dans le temps, ni lui raconter des histoires rocambolesques improbables, ni faire preuve d’un cynisme vengeur et racoleur, ni recourir à un style même pas digne d’un scénario avec deux phrases par page (vous voyez à qui je songe ?).  Un livre dont l'auteur ose l'intituler « La Délicatesse » dans une société (pas seulement littéraire) souvent brutale qui prône et glorifie plutôt le cynisme, cela force déjà le respect. A l’encontre d’une société qui veut qu’une pensée se résume à 140 caractères d’exagération ou de mauvaise foi (ah, twitter, mon amour…), ou qu’une personne soit appréhendée et jugée en quelques secondes, le temps d’un regard scrutateur et sentencieux.

    « C’est l’histoire d’une femme qui va être surprise par un homme. Réellement surprise ». Ainsi était résumé ce roman. C’est l’inverse aussi. L’histoire d’un homme qui va être surpris par une femme. Réellement surpris. Et c’est surtout l’histoire de Nathalie (Audrey Tautou), une jeune femme qui a tout pour être heureuse, jeune, belle, insouciante, amoureuse de François (Pio Marmaï) qui avait décidé de la séduire parce qu’elle avait choisi un jus d’abricot, ou à peu près. Ils se marièrent et n’eurent pas le temps d’avoir beaucoup d’enfants car François décède brutalement. Tout pourrait s’arrêter là. D’ailleurs, pour elle le temps s’est arrêté, le jour où la lecture de son livre a été interrompue par la mort de François, mais après le deuil va venir le temps de la renaissance, là où et comme on ne l’attendait pas : un jour, sans raison, un peu perdue dans ses rêveries, elle embrasse un de ses collègues, l’insignifiant Markus (François Damiens)...enfin a priori insignifiant. Va alors naitre l’idée de ce couple improbable…

    Pas facile de transcrire à l’écran ce qui faisait en partie le charme du roman : l’écriture sensible, à la fois pudique et sensuelle, de David Foenkinos, une écriture émaillée d'une réjouissante fantaisie (aphorismes, digressions aussi savoureuses que décalées) qui faisait de ce roman une passionnante histoire autant qu'une aventure ludique pour le lecteur que Foenkinos, avec, décidément, une délicatesse quasiment amoureuse, n'oubliait jamais, ce qui n'est finalement pas si courant...

    « La Délicatesse » est un film à l’image de son personnage principal : d’apparence simple, discret, grave et triste, il se révèle gai, d’une lucidité joyeuse, tendre, et il vous charme d’une manière totalement inexplicable. Le charme des rencontres impromptues, improbables, inattendues. Les plus belles. Et ce n’était pas gagné d’avance. Il faut voir la première apparition de face de Markus, au bout de trente minutes de film (on aperçoit son dos et ses mains lors d’une réunion auparavant mais son visage reste invisible, insignifiant) avec son physique peu évident, son allure débraillée, son assurance hasardeuse. Le jeu du comédien est tel, remarquable François Damiens qui se glisse dans la peau du personnage avec une apparente facilité déconcertante (aidé par la réalisation), que le spectateur finit (presque) par le trouver séduisant, par être charmé à son tour, et en tout cas par comprendre le charme qu’il opère sur Nathalie. Il apparaît comme un personnage aussi lunaire que solaire, grâce à une photographie bienveillante, qui auréole la deuxième partie du film d’une douceur rassurante (très belle photographie de Rémy Chevrin) mais aussi grâce à la douce et énergique bo d’Emilie Simon.

    C’est sans doute cela la délicatesse : une sensation indicible, des petits gestes qui vous vont droit au cœur, une empathie du personnage qui emporte celle du spectateur et qui m’a totalement charmée. Par sa fantaisie (celle du roman qui se retrouve par petites touches). Par son mélange subtil de gravité et légèreté. Par sa manière d’appréhender le deuil et de célébrer le retour à l’espoir, à la vie.

    Dommage peut-être que Markus ne parle pas davantage puisque dans le roman, le charme opérait surtout par la parole. Il n’empêche que ce film est d’une douceur aussi simple que renversante. Audrey Tautou est l’actrice idéale pour incarner Nathalie. A la fois fragile et décidée, entre détermination énergique et une grâce enfantine qui me fait toujours penser à Audrey Hepburn. Une actrice trop rare qui jongle habilement entre le drame et la comédie, à l’image du film qui mêle subtilement les deux genres.

    Un bel hymne à la différence. Un film qui rend hommage aux anonymes, héros du quotidien, ces « émotifs anonymes » (on retrouve d’ailleurs une sensibilité commune avec celle de Jean-Pierre Améris), ces êtres vulnérables qui se découvrent plus qu’ils ne se remarquent mais qui n’en sont que plus intéressants. Avec le même sens de la précision et de l’humour décalé (ah, les joies de la Suède et du 114), avec ces mêmes accents truffaldiens, David et Stéphane Foenkinos réussissent non pas à transposer mais à retranscrire le style enchanteur du roman, son romantisme décalé et dénué de mièvrerie.

    Un délicieux film d’une gravité légère à déguster sans modération, l’histoire d’une renaissance lumineuse qui fera du bien tous ceux qui ont été touchés par le deuil, à tous ceux qui ne croient plus à la beauté foudroyante des hasards et coïncidences et des rencontres singulières, qui ne croit plus que le bonheur réside là où on ne l’attend pas. Voilà ce film m’a totalement charmée, aussi rare (et précieux) que la délicatesse qu’il met en scène, avec le même charme progressif et non moins ravageur. Une des grandes réussites de cette année !

    Retrouvez également cette critique à la une de mon autre blog http://inthemoodlemag.com

    Sortie en salles: le 21 décembre 2011

     
    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 Pin it! 0 commentaire
  • Critique de "Carnage" de Roman Polanski

    L’an passé avec « The Ghost Writer », Roman Polanski réalisait un des trois meilleurs films de l’année, une forme de huis-clos sur une île inhospitalière à l’abandon balayée par le vent et la monotonie, un film dans lequel l’inquiétude et le sentiment d’inconfort  nous saisissaient immédiatement avec pour cadre une demeure élégante mais déshumanisée dont l’ouverture sur l’extérieure donnait des plans d’une redoutable beauté glaciale aux frontières de l’absurde, sorte de monde désertique devant lequel, tel un démiurge, apparaissait un ancien premier ministre qui jadis dirigeait tout un peuple. Un film dans lequel tout est à la fois familier et étrange, envoûtant et angoissant. A priori, le nouveau film de Roman Polanski, en compétition du dernier Festival de Venise, est très différent ne serait-ce que parce que celui de l’an passé restera davantage dans l’histoire du cinéma pourtant…l’enfermement et l’angoisse chers au cinéaste sont bel et bien très présents dans ce nouveau film, véritable huis-clos (deux plans exceptés) adapté de la célèbre et « multiprimée » pièce de Yasmina Reza « Le Dieu du carnage » dont Polanski est ici à son tour le Dieu et le démiurge du carnage.

    New York. Dans un jardin public, deux enfants de 11 ans se bagarrent et l’un d’eux, le fils de Nancy (Kate Winslet) et Alan Cowan (Christoph Waltz) blesse l’autre au visage, le fils de Penelope (Jodie Foster) et Michael Longstreet (John C.Reilly). Tout se passe apparemment très cordialement pour rédiger la déclaration destinée aux assurances si ce n’est que le père du « coupable » demande à ce que le terme « armé » d’un bâton soit remplacé par celui de « muni », le tout dans l’appartement de Penelope et Michael. 

    Nancy et Alan sont tirés à quatre épingles. Nancy est « armée » de son collier de perles, d’une coiffure dont pas une mèche ne dépasse et d’un sourire impeccable même si légèrement condescendant. Penelope et Michael semblent particulièrement affables, compréhensifs, cordiaux. Les premiers auraient dû partir et les seconds en rester là … sauf que… une phrase, un mot, finalement la différence entre armé et muni, la frontière entre victime et coupable, va constamment les retenir… Le vernis va voler en éclats, la pose princière de Nancy se transformer en attitude vulgaire, le débonnaire Michael va se transformer en être médiocre et cynique, l’avocat Alan sarcastique et grossier qui se prend pour John Wayne (et se tient comme s’il était dans un saloon, s’appropriant les lieux) être constamment accroché à son portable plus important que quoi que ce soit d’autre avant de s’écrouler et l’altruiste Penelope qui écrit sur le Darfour se révéler plus attachée aux objets qu’aux hommes et être enfermée dans ses principes. Chacun va vomir (au figuré et même au propre) toute sa médiocrité, sa haine, révéler son vrai et méprisable visage, sa monstruosité derrière son apparence civilisée. Cela me rappelle le « Tous coupables » du « Cercle rouge »  sauf que, dans le film de Melville, le constat était fait avec une sorte de mélancolie désabusée et qu’ici chacun semble en retirer une forme de jouissance malsaine (d’ailleurs Nancy et Alan pourraient partir à tout moment mais semblent finalement trouver un certain plaisir à régler leurs comptes en public et à dévoiler leur odieux visage).

    Polanski ne s’est pas contenté de filmer une pièce de théâtre, au contraire même, tout le génie de Polanski se révèle une nouvelle fois ici. Par un cadrage, parfois étouffant, par une manière de placer sa caméra dans l’espace et de diviser cet espace au gré des clans qui se forment, par des gros plans ou des plongées ou contre-plongées qui révèlent toute la laideur de ses personnages, le cinéaste est très présent et ne se contente pas de poser sa caméra. D’ailleurs, j’ai ressenti un vrai malaise physique en parallèle de celui qui s’empare des personnages. Les deux plans hors de l’appartement (le premier et le dernier) sont  également très significatifs, sans parler de la musique, ironique. Le décor est également très révélateur. Tout y est impeccable, carré. Seules les tulipes jaunes achetées pour l’occasion, le livre sur Bacon ou Kokoschka, ou encore sur Mao, laissent entendre une laideur ou un caractère dictatorial sous-jacents … sans parler de la salle de bain, l’invisible, beaucoup moins « rangée » qui laisse entendre que ce qui est caché est beaucoup moins impeccable que ce qui est montré.

    Le décor new-yorkais aurait pu être celui d’un film de Woody Allen…sauf que les personnages sont tout sauf des personnages de Woody Allen, car si ce dernier souvent n’épargne pas non plus ses personnages, il a finalement toujours beaucoup d’empathie et de tendresse pour leurs failles et leurs faiblesses…tandis qu’ici tout n’est qu’amertume et cynisme, chacun n’agissant que sous un seul diktat : celui de l’égoïsme censé régir la vie de chacun.

    Les comédiens sont impeccables, la réalisation également brillante mais ces personnages détestables qui ne possèdent plus la plus petite lueur d’humanité sont « à vomir ». Ce film est un peu l’anti « Intouchables »… (et pourtant j’ai de nombreuses réserves sur ce dernier qui vient d’ailleurs de dépasser les 12 millions d’entrées). L’un et l’autre révèle deux visages contradictoires et finalement complémentaires de notre société : une société cynique qui se revendique comme telle mais qui, au fond, a surtout besoin d’espoir quitte à ce que cet espoir  prenne un visage qui relève plus du conte et du fantasme que de la réalité, un visage presque enfantin…

    Je vous conseillerais donc plutôt de revoir « Répulsion », « Chinatown », « Tess » , « Le Pianiste » et « The Ghost Writer » même si les comédiens sont ici impeccables semblant prendre beaucoup de plaisir à ce jeu de massacres. Précisons enfin que l’appartement dans lequel se déroule l’action a été construit en studio à Bry-sur-Marne, en région parisienne mais donne l’illusion que cela se déroule à New York, un travail remarquable qui est l’œuvre chef-décorateur Dean Tavoularis cher à Coppola.

    Un carnage brillant et étouffant d’asphyxiante médiocrité mais trop (d’ailleurs totalement) dénué d’humanité sentencieusement décrétée comme uniquement dirigée  par l’égoïsme et trop sinistrement cynique pour me plaire…ce qui ne remet nullement en cause le talent de Polanski, éclatant encore une fois, malgré l’unité de lieu et le caractère répulsif des personnages. 

    Retrouvez également cette critique sur mon nouveau blog http://inthemoodlemag.com .

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 Pin it! 3 commentaires
  • Critique – « Les Lyonnais » de Olivier Marchal avec Gérard Lanvin, Tchéky Karyo…

    lyonnais.jpg

    Avec ce quatrième long-métrage après « Gangsters », « 36 Quai des Orfèvres » et « MR 73 », Olivier Marchal continue d’ausculter le milieu qu’il connaît le mieux, celui des « flics et voyous ». Si le cinéma policier a donné la majorité de ses plus grands films dans les années 1970, (« Le Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville, « Max et les ferrailleurs » de Claude Sautet, « Police Python 357 » d’Alain Corneau…), c’est aussi la décennie symbolique des gangs comme celui des Lyonnais dont Olivier Marchal retrace le parcours, suite à la lecture d’ « Une poignée de cerises », l’autobiographie d’Edmond Vidal, un des fondateurs du « Gang des Lyonnais » et suite à sa rencontre avec ce dernier, même s’il s’en est inspiré de manière très libre puisque le livre s’arrête en 1977 alors que le film se poursuit de nos jours. En pleine affaire Neyret (le commissaire qui a même inspiré un des personnages du film), le film d’Olivier Marchal est rattrapé par l’actualité…

    Edmond Vidal, dit Momon,  fondateur du Gang des Lyonnais, c’est ici Gérard Lanvin qui, à l’approche de la soixantaine, s’est retiré des « affaires » pour s’occuper de sa femme Janou (Valeria Cavalli) qui a beaucoup souffert desdites affaires et a même fait de la prison pour lui, et pour s’occuper de ses petits enfants. Au contraire de ce dernier, Serge Suttel (Tchéky Karyo), l’ami d’enfance, avec qui il avait fait ses premiers mois de prison (pour le vol d’une caisse de cerises) et fondé le Gang des Lyonnais qui, lui, est en cavale depuis plusieurs années, et qui se fait enfin arrêter. Edmond Vidal va devoir choisir entre la promesse faîte à sa femme de ne plus reprendre « les affaires » et la loyauté envers son ami…avec qui il s’était fait connaître pour leurs braquages dans les années 1970, une série de braquages qui avait pris fin en 1974 lors d’une arrestation spectaculaire. Mais pour Momon, l’amitié prime sur tout…et surtout en vertu fameux code de l’honneur…qui veut qu’on ne laisse pas un ami en prison…

    Olivier Marchal a deux principaux atouts : bien connaître le milieu dont il parle (ce qui n’est par ailleurs guère rassurant quand on voit le portrait de la police qu’il fait ici ou dans ses autres films) et dans lequel il nous plonge et dont il nous montre une nouvelle facette à chaque  nouveau long-métrage, et savoir habilement manier les codes du récit et du polar. En commençant par la fin et nous laissant entendre que Vidal se fera tuer, il crée d’emblée un suspense qui fera un peu défaut au reste du long-métrage mais là semble ne pas avoir été l’objectif principal de Marchal qui ici cherche plutôt à retracer un parcours et une époque : le parcours d’un homme face à ses principes et ses illusions perdues et  une époque qu’il regarde avec une étrange nostalgie. Nostalgie d’un temps où un policier pouvait interroger un voyou venant d’être arrêté au restaurant avec la promesse de ce dernier de ne pas s’enfuir selon le fameux code d’honneur. « Etrange » nostalgie car Marchal semble avoir plus de fascination pour les voyous que les flics auxquels il appartenait et dont il montre ici les méthodes pour le moins douteuses. Nostalgie parce que si Le Gang des Lyonnais s’était aussi fait connaître pour réaliser des braquages sans jamais verser de sang, cette époque est belle et bien révolue. Le choix de Marchal du flashback avec le parallèle entre la jeunesse de Vidal (style sépia à l’appui) et le présent, permet aussi de mettre l’accent sur ce décalage. Désormais on n’hésite plus à tuer à bout portant, hommes et femmes, ni à égorger hommes et animaux.

    Le personnage de Vidal, le Gitan victime d’ostracisme qui devient chef de gang, dont les « principes » sont tellement contradictoires avec le mode de vie pour lequel, encore une fois, Marchal semble éprouver une vraie fascination, est sans doute le véritable intérêt du film, seulement Gérard Lanvin, s’il ne joue pas mal, semble ne pas totalement convenir au rôle, écrit au départ pour Alain Delon dont l’ombre semble planer sur tout le film. Voix, gestuelle, coiffure même, Lanvin semble être ici l’ombre un peu terne de Delon qui aurait en effet été impeccable dans ce rôle (et qui officiellement l’a laissé pour un différend concernant l’écriture du scénario et des raisons d’emploi du temps). On peut aisément comprendre qu’il ait été tenté par ce rôle de Parrain en voie de rédemption rattrapé par le passé, lequel Parrain semble avoir d’ailleurs beaucoup inspiré Marchal, de la scène d’anniversaire qui rappelle celle du mariage au début du film de Coppola à certaines méthodes qui rappellent celles des Corleone (Depardieu était déjà filmé en « Parrain » dans « 36 quai des orfèvres »). Mais on peut aussi comprendre ce qui a pu le rebuter et ce qui ne figurait jamais dans les films de Melville qu’il a contribué à immortaliser : une violence parfois excessive (le film est interdit aux moins de 12 ans).  Dans un souci peut-être de réalisme, et sans doute influencé par le cinéma américain, Marchal use et abuse des scènes de fusillades ou tortures qui pour moi au lieu de faire avancer l’histoire la freinent. C’est aussi ce qui m’avait dérangée dans le « Mesrine » de Richet dans lequel ce dernier était présenté comme un héros.

    « Le Gang des Lyonnais » c’est aussi la radiographie d’une époque, avec notamment les liens troubles entre le SAC et le gang.  Marchal est aussi l’auteur de la série « Braquo », dans « Le Gang des Lyonnais » figurent ainsi tous les éléments pour une série, et peut-être le format du long-métrage était-il trop étroit pour retracer tant d’évènements (les braquages sont ainsi à peine montrés).

    D’un point de vue purement cinématographique, « Le Gang des Lyonnais » est néanmoins une réussite : des acteurs talentueux (mais quelle idée d’avoir choisi Dimitri Storoge pour interpréter Lanvin jeune, il ne lui ressemble vraiment pas du tout) avec de vrais gueules de truands que Marchal semble avoir beaucoup de plaisir à filmer (Daniel Duval, Lionnel Astier, François Levantal…), une construction scénaristique habile et maîtrisée (ce qui n’exclut pas l’ennui et quelques baisses de rythme), une réalisation qui ne manque pas d’ampleur,  et un dénouement, désenchanté et mélancolique, réussi.

    De films en films, Olivier Marchal impose son style bien à lui, un singulier mélange d’âpreté, de réalisme désabusé et de sentimentalité exacerbée avec des hommes qui perdent leurs illusions, dessinant une frontière très floue entre les flics et les voyous, loin de tout manichéisme, avec le souci de montrer une nouvelle facette du banditisme ou de la police, mais aussi toujours avec une musique omniprésente, des acteurs charismatiques, de vraies « gueules » (Demongeot, Anconina, Depardieu hier)  pour renouer avec la grande époque des polars, et un dénouement toujours réussi qui laisse une empreinte forte au spectateur. Olivier Marchal a l’avantage d’être aujourd’hui le seul dans ce genre de film et film de (ce) genre en France (« A bout portant » de Fred Cavayé n’ayant pas tenu les belles promesses de « Pour elle »), même si j’avais largement préféré « Gangsters » et « 36 quai des Orfèvres » que je vous recommande de (re)voir (avec une préférence pour le premier).

    Retrouvez également cet article sur mon nouveau blog: http://inthemoodlemag.com  à propos duquel j'attends par ailleurs vos avis et commentaires...

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 Pin it! 0 commentaire
  • Critique de « Or noir » de Jean-Jacques Annaud et interview de Tahar Rahim et Jean-Jacques Annaud

     interview photos.jpg

    Depuis huit ans, l’écriture de mes différents blogs est guidée par le désir (inaltéré et même croissant) de raconter mes pérégrinations festivalières, de partager mes coups de cœur cinématographiques mais surtout de transmettre ma passion viscérale pour le cinéma…mais il m’aura aussi permis d’écouter et rencontrer   des artistes aussi talentueux que passionnés (et humbles, j’ai remarqué d’ailleurs que cela coïncide souvent avec le vrai talent et la passion sincère).

     Cette « interview » de Jean-Jacques Annaud et Tahar Rahim restera parmi les beaux moments que m’aura permis de vivre ce blog et qui auront renforcé ma conviction que le cinéma, quand il est fait avec ardeur, est le plus beau métier du monde et permet de conserver un regard juvénile et curieux sur l'existence. Interview entre guillemets parce que ce qui devait être une table ronde de 30 minutes (nous étions 5 blogueurs*, vous reconnaîtrez aisément ma voix, la seule féminine de l’assistance) s’est transformé en une passionnante leçon de cinéma d’une heure si bien que j’oubliais parfois un peu que nous étions aussi d’une certaine manière « acteurs » de la rencontre et que, tellement attentive, j'en oubliais de tenir correctement la caméra (avec une pratique involontaire du hors-champ de laquelle vous pourrez toujours induire une interprétation hautement philosophique).

     Il y a encore tant d’autres questions que j’aurais aimé poser…notamment à Tahar Rahim sur « Les hommes libres » que j’avais beaucoup aimé (voir ma critique, ici: http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2011/09/27/critique-les-hommes-libres-d-ismael-ferroukhi-avec-tahar-rah.html   ), sur  ses projets dont le prochain film de Cyril Mennegun, réalisateur d’un très beau, sensible, âpre premier long intitulé « Louise Wimmer » et qui avait déjà réalisé un documentaire sur Tahar Rahim « Tahar l’étudiant » ( Cyril Mennegun avait révélé au Festival de Saint Jean de Luz que Tahar Rahim serait l’acteur principal de son prochain film). Cela m’a aussi donné envie de voir le dernier film de Lou Ye que j’avais inexplicablement manqué lors de sa sortie. J’aurais aussi aimé leur dire à quel point j’admirais leur travail mais des compliments peuvent toujours aisément passer pour de la flagornerie dans ces circonstances et auraient sans doute mis leur auteure encore plus mal à l’aise que les destinataires. Et enfin cela m’a donné envie de persister dans ma passion aussi sinueux soit le chemin qui mène à  la réalisation de mes projets.

     La rencontre s’est déroulée dans les locaux labyrinthiques et chaleureux de Warner, sans rapport donc avec les press junkets habituels anonymes, aseptisés et expéditifs. Il y a évidemment été question d’ « Or noir » (en salles aujourd’hui et que je vous recommande, voir ma critique ci-dessous) mais aussi de révolution tunisienne, de Claude Chabrol, de Sean Connery, de dromadaires, de Kurosawa, de Moussinac… et de passion(s) cinématographiques(s) avant tout. Je vous laisse découvrir cet instructif échange, la passion exaltée de Jean-Jacques Annaud, la réserve rare et d’autant plus louable de Tahar Rahim (dont le talent mais aussi l’humilité font honneur à ses deux César, rappelons qu’il était le premier acteur à obtenir le César du meilleur espoir et du meilleur acteur la même année, en 2010, pour « Un Prophète » de Jacques Audiard) et ses propos non moins pertinents.

    or noir2.jpg

    Avec ce treizième film (un nombre moins élevé que pour nombre de ses confrères mais qui démontre aussi son souci de la documentation, du perfectionnisme, et l'ampleur de ses projets), Jean-Jacques Annaud nous embarque à nouveau dans des contrées lointaines pour lesquelles il témoigne, comme à chaque fois, d’une fascination contagieuse pour le spectateur, alternant scènes grandioses et intimes comme il l’avait si bien réussi déjà dans « Sept ans au Tibet » et « Stalingrad ».

    Dans les années 30, le pétrole s’immisce dans la vie des peuples arabes. Symbole de richesse mais aussi d’une altérité dangereuse, celle d’un progrès qui n’en est pas forcément un pour tout le monde. Après avoir triomphé  du Prince Amar (Mark Strong), pour conclure une trêve, le Prince Nessib (Antonio Banderas) prend en otage ses deux fils pour les élever. Des années plus tard, un Américain découvre du pétrole dans une zone située entre les deux royaumes, une zone censée rester neutre et qui, justement, était la cause initiale de leurs conflits.  Le Prince Nessib veut l’exploiter pour s’enrichir tandis que le Prince Amar y est totalement hostile. Pour être certain que son fils « adoptif » Auda (Tahar Rahim) lui restera loyal, Nessib lui donne sa fille en mariage. Il en tombe amoureux. Auda rend visite au Prince Amar, son « vrai » père, pour le raisonner. Il va alors se retrouver confronter à des choix cornéliens et va devoir endosser un rôle auquel lui, l’intellectuel porteur d’un message de paix, n’était apparemment pas destiné…

    Jean-Jacques Annaud et ses scénaristes (Menno Meyjes et Alain Godard)  ont eu la judicieuse idée de ne pas conserver le titre du roman dont ils se sont inspirés : « La soif noire » de Hans Ruesch. Or noir. L’oxymore du titre reflète ainsi parfaitement ce entre quoi est écartelé Auda, au cœur de plusieurs dilemmes. Entre deux pères. Entre le progrès et le conservatisme. Entre deux interprétations du Coran.  Entre la paix et la guerre. Entre les valeurs morales et la corruption.  Cela reflète aussi évidemment ce qui est à l’origine du conflit : le pétrole.

    Jean-Jacques Annaud a choisi l’angle de la fable, ce qui réduit d’emblée à néant les arguments de ceux qui trouvent le film suranné ou académique. Ce parti pris permet de renouer avec ces grandes fresques cinématographiques, trop rares, qui s’assument pleinement et embarquent le spectateur loin pour ne pas moins et parfois mieux évoquer des problèmes contemporains : la place des femmes, ici dans l’ombre, les interprétations du Coran, la cupidité, le combat pour le progrès (qui fait ainsi écho à la vraie Histoire qui se déroulait pendant le tournage dont une partie a eu lieu en Tunisie au moment du printemps arabe). Les violons emphatiques et mélodiques de James Horner exacerbent le caractère épique du film.  Le regard de Jean-Jacques Annaud est celui d’un homme fasciné par ces terres au centre des convoitises, un regard clairvoyant et jamais condescendant.

    Jean-Jacques Annaud et Tahar Rahim étaient faits pour se rencontrer. Les personnages écrits et mis en scène par le premier ont en commun d’être en périodes de transition et de s’accomplir bien souvent dans le combat. Ceux interprétés par le second s’élèvent et se révèlent dans l’adversité. Tahar Rahim confirme, une fois de plus, en incarnant Auda, cet amoureux des livres devenu lui aussi une forme de Prophète (mais très différent de celui du film éponyme qui l’a fait connaître) héros et héraut, à quel point il s’investit dans chacun de ses rôles (au point même ici de s’être réellement blessé et que sa blessure qui le faisait boiter ait été intégrée à la fin du scénario), à quel point il sait faire évoluer ses personnages d’ailleurs très différents les uns des autres mais ayant en commun d’être au départ effacés pour se révéler héros ou antihéros : d’invisible, courbé, velléitaire, Auda révèle ainsi sa hauteur, son pouvoir de décision, sa majesté mais aussi toutes la force des contradictions qu’il incarne. Lui venu en intellectuel pacifiste sera un redoutable combattant et s’y révèlera.  Mark Strong est également remarquable en roi attaché à ses valeurs qui incarne les traditions d’un monde en péril. Seul bémol : le « surjeu » d’Antonio Banderas mais vous comprendrez en écoutant l’interview que la responsabilité en incombe plus à l’acteur qu’à la direction d’acteurs.

     Mais le vrai héros du film, et il suffit de voir l’affiche pour s’en convaincre, c’est ce désert qu’Annaud aime éperdument, que sa caméra caresse et affronte pour nous le montrer dans toute sa flamboyance et sa cruelle beauté,  avec toute son humilité devant cette nature majestueuse, royale, indomptable. Jean-Jacques Annaud s’est ainsi beaucoup inspiré de textes et tableaux d’Orient et on retrouve en effet un vrai souci du détail et de la véracité, de même que dans les différentes interprétations du Coran pour lesquelles ses scénaristes et lui-même se sont beaucoup documentés.

    Enfin, il a eu le mérite, en tournant au Qatar et en Tunisie, de ne recourir que très exceptionnellement aux effets spéciaux donnant à l’art de filmer et mettre en scène toutes ses lettres de noblesse. Les scènes de combats sont ainsi impressionnantes en particulier celles entre les chars et les dromadaires, par ailleurs tout un symbole, celui de deux mondes qui s’opposent, se rencontrent et se confrontent. Celui qui s’enlise n’est d’ailleurs pas forcément celui auquel on aurait songé de prime abord. Très beau plan également de cette tâche noire qui noircit le désert, et s’étend comme une tâche de sang vorace. Toujours par souci de perfectionnisme, Jean-Jacques Annaud a également la particularité de réenregistrer tous les sons ainsi que toutes les voix du film sans exception, après le tournage.

    Jean-Jacques Annaud signe donc là une fable initiatique flamboyante avec des péripéties haletantes dignes d’une tragédie grecque, un conte qui permet une métaphore d’autant plus maligne des heurts de notre époque, un conte intemporel et très actuel au souffle épique incontestable, aux paysages d’une beauté vertigineuse dans la lignée des films de David Lean (d’ailleurs pas seulement « Lawrence d’Arabie » même si le contexte y fait  songer, évidemment). Le retour à un cinéma romanesque, flamboyant où tout est plus grand que la vie sans pour autant en être totalement déconnecté mais qui en est au contraire le miroir réfléchissant (dans les deux sens du terme). Un film emp(h)athique qui rend hommage à ces terres lointaines et plus largement au cinéma qu’il montre à l’image du désert : une redoutable splendeur à côté de laquelle le spectateur se sent dérisoire mais tellement vivant.

    *(Autres blogueurs présents à l’interview : Vodkaster, Filmosphère, Lyricis, Myscreens)

  • Avant-première- Critique de « L’art d’aimer» de Emmanuel Mouret

    artaimer.jpg

    « Un baiser s’il vous plait » du même Emmanuel Mouret m’avait particulièrement enthousiasmée de par son ton théâtralisé, ludique et burlesque qui nous donnait envie de saisir chaque seconde et désirer la vie. « L’art d’aimer » était un titre aussi alléchant et intrigant que celui précédemment cité, évidemment en référence à l’œuvre d’Ovide avec lequel il a en commun une certaine ironie et des digressions (apparentes).

    « Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus… » Tel est le pitch officiel qui, à l’image du titre, nous trompe un peu sur ce à quoi nous assistons, ce qui n’enlève rien aux qualités du film. D’art d’aimer ou de sublimer l’amour, il n’est pas vraiment question mais plutôt de l’art de désirer dans lequel la morale est bien souvent un obstacle et qui se résume finalement davantage à l’art d’esquiver qu’à celui d’aimer 

    A la lecture du titre, j’avais imaginé que le film serait une illustration de la célèbre phrase de La Rochefoucauld : « Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour » mais Mouret nous fait suivre plusieurs saynètes mettant en scène les tergiversations de ses personnages sur leur désir et non sur leur manière de sublimer l’amour. Ainsi, une femme mûre mariée qui ne peut s’empêcher de regarder et désirer tous les hommes. Une autre amoureuse de son compagnon mais qui désire son collègue de travail. Un compositeur en quête de musique de l’amour (à mon sens la plus intéressante mais qui ne sera pas vraiment traitée, ce qui nous prive en plus de Stanislas Merhar, déjà trop rare). Une femme en couple désirée par un de ses amis qui va suggérer à une amie célibataire de prendre sa place. Volontairement Emmanuel Mouret a réduit ses histoires à l’essentiel, les comparant d’ailleurs lui-même à des nouvelles sauf que toute nouvelle se caractérise par une chute, ce qui n’est pas forcément le cas ici pour toutes les histoires à l’exception notamment de la plus ludique qui clôture le film.

    Malgré cela, on retrouve ce mélange d’inspirations : Truffaut, Rohmer et Allen (lorgnant plus vers les deux derniers cette fois et notamment des dialogues et même une manière de parler qui m’ont beaucoup rappelé le célèbre cinéaste américain) mais aussi cette légèreté mélancolique, cette gravité légère et fantaisiste. Emmanuel Mouret possède incontestablement un ton bien à lui qui peut agacer autant que charmer, frôlant parfois la caricature d’un cinéma d’auteur français. Je fais partie des charmés davantage que des agacés. Les différentes saynètes sont séparées par des intertitres ( et se recoupent parfois) qui illustrent ce ton décalé : « Il n’y a pas d’amour sans musique », « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre », « Le désir est inconstant », « Sans danger, le plaisir est moins vif »…

    Ce film est à l’image de ses personnages : séduisant. Car c’est là indéniablement l’autre atout du film, son casting impeccable. Chacun interprète sa variation sur l’art de désirer, et non d’aimer donc, avec beaucoup de justesse: Stanislas Merhar, François Cluzet, Gaspard Ulliel, Pascale Arbillot, Julie Depardieu, Judith Godrèche sans oublier la belle et grave voix off de Philippe Torreton.

    Une fantaisie ludique d’une ironie savoureuse qui laisse parfois affleurer une douce gravité qui a autant de charme maladroit que ses personnages mais qui, malgré le sentiment d’inachevé qu’elle nous laisse, témoigne d’une liberté de ton de plus en plus rare, salutaire et rafraîchissante, et réellement réjouissante dans son dernier quart d’heure.

    Sortie en salles : le 23 novembre

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 Pin it! 1 commentaire