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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée. Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.
Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix. Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.
Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.
Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences.
Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.
Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.
Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.
"J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.
Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.
Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime, jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.
Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria. Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.
Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.
Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare… Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».
La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".
Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle. Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.
Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.
AJOUT DU 30/08/2019 : retrouvez les réponses au concours publiées ce jour sur les pages Facebook d'Inthemoodfordeauville.com (http://facebook.com/inthemoodfordeauville) et d'Inthemoodforcinema.com (http://facebook.com/inthemoodforcinema).
Comme chaque année, et pour la 10ème année consécutive, en partenariat avec le CID (Centre International de Deauville, salle dans laquelle se déroule le Festival du Cinéma Américain), j’ai le plaisir de mettre en jeu 36 pass (valeur unitaire : 35 euros) pour cette 45ème édition du festival.
Le concours est en bas de cette page pour ceux qui n’auraient pas envie de lire la présentation qui précède (dans laquelle, cependant, pourraient se trouver quelques réponses aux questions du concours…).
Comme chaque année également, et même à plus forte raison cette année, j’attends avec impatience cette édition (ma 27ème ou 28ème, à vrai dire je ne sais plus trop bien, en revanche s’il y a bien une chose sur laquelle je n’ai aucun doute, c’est que ma passion pour ce festival est toujours aussi vivace !). A plus forte raison cette année écrivais-je car cette édition s’annonce particulièrement prestigieuse puisque :
-Catherine Deneuve, qui se fait rare, présidera le jury. Elle succède ainsi dans ce rôle à une autre actrice de grand talent, Sandrine Kiberlain. Voilà qui place cette édition 2019 du Festival du Cinéma Américain sous le signe de l'élégance, du prestige, du glamour, et du talent donc. Tant de chefs-d’œuvre figurent dans sa filmographie qu'il me serait impossible de choisir entre ceux-ci parmi lesquels "Les parapluies de Cherbourg", "Le Dernier Métro", "Le choix des armes", "Hôtel des Amériques", "Les Demoiselles de Rochefort", Belle de jour", "Fort Saganne", "Drôle d'endroit pour une rencontre", "Un conte de noël", "Indochine", "Elle s'en va"... Dans l’article à lire, ici, je vous propose plusieurs critiques de films avec cette dernière et notamment celle du film "Les yeux de ma mère" de Thierry Klifa avec, en bonus, mon récit du déjeuner presse avec l'équipe du film (dont Catherine Deneuve) lors de sa sortie.
-Chanel sera partenaire du festival pour la première fois cette année. Il n'y a rien de surprenant néanmoins à ce que Chanel soit partenaire de ce festival, les liens entre Chanel et Deauville mais aussi Chanel et le cinéma étant particulièrement étroits. C'est en effet à Deauville que Gabrielle Chanel ouvrit sa première boutique en 1913 (sous l'hôtel Normandy où figure d'ailleurs une plaque en sa mémoire). Et, l'an passé, un parfum nommé Paris-Deauville a été mis en vente par la marque, vente associée à une très élégante campagne de communication orchestrée par Chanel. Retrouvez mon article à ce sujet, ici.
-Anna Mouglalis sera présidente du jury Révélation. Notons également que Anna Mouglalis est l'ambassadrice de la maison Chanel depuis de nombreuses années. Elle avait d’ailleurs interprété Coco Chanel dans Coco Chanel & Igor Stravinsky de Jan Kounen.
KRISTEN STEWART recevra un DEAUVILLE TALENT AWARD 2019 dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2019. Une soirée hommage aura lieu le vendredi 13 septembre, suivie de la première française de "Seberg" de Benedict Andrews. Une édition qui s'annonce décidément prestigieuse.
"Soucieux de rassembler tous les publics et de célébrer les 10 ans de Deauville Saison, la section consacrée aux séries, le Festival du cinéma américain de Deauville offrira sur grand écran un « marathon » de plus de 70 heures de l’intégralité des 8 saisons de la série Game of Thrones. Les 73 épisodes de la série multi récompensée seront diffusés à raison d’une saison par jour du samedi 7 au samedi 14 septembre 2019. Entrée libre dans la limite des places disponibles, au Cinéma Morny. Du 7 au 14 septembre 2019.
Pour l’heure, tels sont les seuls éléments connus au sujet de cette programmation 2019 que je ne manquerai pas de vous détailler ici. Cette édition aura cette année lieu une semaine plus tard, du 6 au 15 septembre. La conférence de presse d’annonce de sélection aura lieu le 22 août. Le programme sera néanmoins annoncé dans ses grandes lignes tout au long du mois d’août.
Si vous hésitez encore à venir, retrouvez mon compte rendu de l’édition 2018, ici, et mon article bilan dans le magazine Normandie Prestige 2019 ou encore mes articles quotidiens publiés l’an passé pendant le festival dans le quotidien Paris-Normandie. Dans ces différents articles, vous trouverez quelques réponses aux questions ci-dessous.
La 44ème édition du festival fut riche d’instants magiques à commencer par l’inoubliable concert de Renaud Capuçon. Il y eut aussi le discours lyrique et inspiré en hommage à Morgan Freeman prononcé par Vincent Lindon, les standing ovations à la fin de certaines projections (Puzzle, Les Chatouilles…), la remise du prix du 44ème Festival aux Frères Sisters de Jacques Audiard et une clôture qui s’est achevée dans la bonne humeur comme celle qui a régné pendant ces dix jours sans un soleil irréel et étincelant.
Chaque année, le vendredi de l’ouverture, la fébrilité est à son comble. Nul doute que ce sera encore le cas cette année. Lorsque dans la majestueuse salle du CID retentit la flamboyante musique du festival, c’est toujours une réminiscence qui fait palpiter le cœur à mille à l’heure. Depuis 26 ans (ou 27 ans) pour moi. Débute alors un exaltant voyage immobile auquel invite la devise du festival : un moment unique pour tous les amoureux du cinéma. Deauville se pare alors des couleurs de la bannière étoilée. Les planches s’auréolent de mélancolie joyeuse. La ville vit soudain au rythme trépidant du 7ème art. Deauville est le festival du public. De tous les publics. De ceux qui veulent découvrir l’état de l’Amérique à travers les Docs de l’Oncle Sam et les films indépendants de la compétition. De ceux qui veulent frissonner ou rêver en découvrant les Premières (en 2018 notamment les films de Jacques Audiard, Mélanie Laurent, John Curran…) et en assistant aux hommages (une légende était sur les planches en 2018, Morgan Freeman).
Les films en compétition sont en effet chaque année le reflet des Etats d’Amérique et surtout de l’état de l’Amérique. L’année 2018, celle de l’après #MeToo, si la noirceur était aussi au rendez-vous, le pouvoir était pris par les femmes, deux titres des films de la compétition étaient ainsi des prénoms féminins (Nancy et Diane) et six d’entre eux avaient pour personnages principaux des protagonistes féminines. Des femmes souvent condamnées par l’existence, engluées ou même enfermées dans leur quotidien, leur passé, confrontées à la solitude, à la maladie, à la mort, aux traumatismes…et même enfermées au sens propre et condamnées à mort dans le douloureux Dead women walking. Des femmes fortes et combattives qui s’emparaient néanmoins de leurs destins. Les films s’achevaient ainsi souvent par un nouveau départ (au sens propre). En route vers un lendemain peut-être plus joyeux. Une note d’espoir malgré tout. Dans chaque film aussi ou presque, la religion était aussi (omni)présente. « Une Amérique où règne le désenchantement et la mélancolie, où l'espoir est tenace », comme l’avait très bien résumé la présidente du jury de la critique, l’enthousiaste Danièle Heymann. Le jury de la critique, lors de la cérémonie du palmarès, avait d’ailleurs également tenu à saluer « la quasi-parité de la compétition avec 6 films de femmes. »
L’an passé, le festival avait par ailleurs choisi de mettre en avant le talent de quatre femmes qui, "toutes, par leurs choix exigeants et leurs parcours, témoignent d’une audace et d’une liberté qui font la force du cinéma indépendant contemporain dans toute sa diversité et sous toutes ses formes: Kate Beckinsale (Deauville Talent Award), Elle Fanning (Nouvel Hollywood); Mélanie Laurent; et Shailene Woodley (Nouvel Hollywood)." Et c’était aussi une femme (amoureuse de Deauville, elle aussi), Sandrine Kiberlain, qui présidait le jury. Il y eut aussi Sarah Jessica Parker, si lumineuse avec son « énergie unique et transgressive » comme l’avait souligné le Maire de Deauville. Les femmes étaient aussi à l’honneur dans les documentaires. La compétition, comme chaque année, était une fenêtre ouverte sur les tourments de l’Amérique contemporaine dans laquelle ses citoyens courent après la liberté, l’émancipation, le droit d’exister simplement sans être discriminé, bien loin de l’American dream. Les films primés étaient pourtant pour la plupart parsemés de notes de poésie et de fantaisie, s’achevant le plus souvent par un regard ou un départ, bref un espoir opiniâtre…
"L'art du cinéma consiste à s'approcher de la vérité des hommes, et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes" disait Jean Renoir. Cette vérité, chaque année, la compétition de Deauville nous la donne à voir et c’est toujours un voyage particulièrement instructif dans l’Amérique contemporaine, comme ce sera sans aucun doute à nouveau le cas cette année.
Sur mes blogs Inthemoodforcinema.com et Inthemoodfordeauville.com, vous pourrez retrouver le programme au fur et à mesure des annonces et bien sûr un compte rendu détaillé du festival.
Seules les personnes n’ayant jamais gagné deux fois ou plus aux concours similaires organisés les années passées sur mes blogs sont autorisées à participer.
Seuls les lauréats seront contactés (par email).
Fin du concours le 28 août, à minuit. Les réponses seront publiées ici.
Les pass seront à retirer sur place, à Deauville (à une adresse que je vous indiquerai), le jour de votre arrivée.
Comme ce sont les vacances, je vous propose un petit jeu avec de nombreuses questions. Les lots seront attribués prioritairement aux personnes ayant obtenu toutes les bonnes réponses. Dans le cas où le nombre de personnes ayant trouvé toutes les bonnes réponses n’atteindrait pas le chiffre de 15 correspondant au nombre de lots seraient récompensées les personnes ayant trouvé un maximum de bonnes réponses. Les deux dernières questions permettront de départager les égalités. N’hésitez donc pas à participer même si vous ne connaissez pas toutes les réponses, vous aurez encore ainsi toutes vos chances ! Sachez d’ailleurs que certaines années personne n’a trouvé toutes les bonnes réponses donc même si vous n’en trouvez que quelques-unes, n’hésitez pas à tenter votre chance.
Les questions (et les réponses) portent le plus souvent sur le cinéma américain, le Festival de Deauville, Deauville, et sur ce que nous savons déjà de cette 45ème édition. Vous devriez donc trouver un grand nombre de réponse sur mon blog Inthemoodfordeauville.com, dans mes articles sur l’édition 2018 et sur le site officiel du festival.
Vos réponses sont à envoyer à : inthemoodforfilmfestivals@gmail.com avec, pour intitulé de votre email, « Concours Festival du Cinéma Américain de Deauville 2019 ». Merci d’indiquer vos nom et prénom (pas de pseudo). Si vous n’êtes pas disponible aux dates de votre lot, le pass ne sera pas échangeable. Je vous remercie donc par avance de vous assurer d’être disponible pendant le festival.
Je vous invite à suivre mon compte instagram @sandra_meziere, mon compte twitter @Sandra_Meziere et la page Facebook d’Inthemoodfordeauville.com http://facebook.com/inthemoodfordeauville sur lesquels je vous donnerai régulièrement des indices jusqu’à la date de fin du concours.
Les 36 pass en jeu mis à disposition par le CID sont répartis ainsi (soit 15 gagnants) :
Lot 1 : 9 pass du samedi 7 au dimanche 15 septembre
Lot 2 : 4 pass, soit un par jour, pour le week-end de clôture du jeudi 12 au dimanche 15 septembre
Lot 3 : 5 pass pour le premier week-end (prolongé en semaine), soit 1 par jour : samedi 7, dimanche 8, lundi 9, mardi 10, mercredi 11
Lot 4 : 5 pass semaines, soit un par jour pour le lundi 9, le mardi 10, le mercredi 11, le jeudi 12, le vendredi 13
Lot 5 : 2 pass pour le 1er week-end (un pour le samedi 7 et un pour le dimanche 8)
Lot 6 : 2 pass pour le 2ème week-end (1 pour le samedi 14 et 1 pour le dimanche 15)
Lots 7 à 15 : 1 pass pour un jour du festival entre le samedi 7 et le dimanche 15 (attribué par nombre de bonnes réponses du premier au dernier)
QUESTIONS
1/ A qui appartiennent ces yeux et ces lunettes ?
2/ Anna – Audrey – Marie-France - Keira… Qui suis-je ? Citez un autre de « mes » prénoms ?
3/ De quel film (que je vous recommande vivement) est extraite cette image ?
4/ Comment se nomment leS 2 filmS dans lesquels vous pouvez voir ce plan ?
5/ Quel est ce film ?
Indices : 180000. Lauréat. 9102. Acteur réalisateur.
6/ De quel film est extraite cette image ? Trouvez un lien avec le Festival de Deauville...
7/ Petite devinette. Quelle est cette personnalité du cinéma ? Merci d’expliquer les indices suivants :
Deauville. Maison. Clan. Patron
8/ Qui a réalisé ces photos ?
9/ Quel film récemment présenté dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville faisait songer à « Cléo de 5 à 7 » d'Agnès Varda ?
10/ Dans quelle affiche ai-je découpé ce bout d’image ?
11/ A quel film les trois indices suivants font-ils référence ?
Vol au-dessus de la forêt – sélection – 2019
12/ Devinette : à quel lieu deauvillais ces célèbres vers vous font-ils penser ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? Mon bras qu'avec respect tout l'Espagne admire, Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
13/ Complétez cette citation en fonction des deux indices suivants : Incendie / Mélanie :
Demain _ un _ _
14 / Quelle est cette année ?
Gloria – King – John – Kirk
15/ Lesquels de ces noms ne figurent pas sur les planches de Deauville ?
Michael Douglas – Morgan Freeman – Marilyn Monroe – Leonardo DiCaprio – Jack Nicholson – Jessica Chastain – Lauren Bacall – James Ivory – Richard Chamberlain – Kristin Scott Thomas – Lana Turner – Robert Pattinson – Robert Redford
16/ Qui est le « président à vie » du jury du Festival du Cinéma Américain de Deauville ?
17/ Quel est cet anniversaire ?
Al – Bleu
18/ Trouvez deux points communs entre ces deux films :
Gerry - Il faut sauver le soldat Ryan
19/ Pourquoi voulez-vous assister au 45ème Festival du Cinéma Américain de Deauville ?
(En une phrase ou beaucoup plus, il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, l’essentiel est d’être sincère, cela me permettra de départager les égalités).
20/ Quel est le film américain que vous préférez parmi ceux antérieurs à l’année 1980, et pourquoi ?
(En une phrase ou beaucoup plus, il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, l’essentiel est d’être sincère, cela me permettra de départager les égalités).
Très élégante et festive avec toujours une touche d'humour "so british", cette affiche de cette édition anniversaire du Dinard Film Festival 2019 qui vient d'être dévoilée, soit 20 ans déjà après ma participation à son jury lors de son édition 1999, alors une inoubliable 10ème édition !
Le mot du créateur : "Pour cet anniversaire, nous avons imaginé une ambassadrice, un peu starlette, un brin festivalière, un soupçon séductrice… coiffée d’un hatcake qui saura satisfaire tous les gourmands du 7e art. Elle vous accompagnera tout au long du festival, vous faisant aussi bien découvrir la ville de Dinard que célébrer ce beau mariage franco-britannique autour du cinéma."
-Retrouvez aussi les très nombreux articles sur de précédentes éditions du festival depuis 1999 sur mon blog Inthemoodforcinema.com.
-Enfin, retrouvez le festival dans une des 16 nouvelles de mon recueil "Les illusions parallèles" publié par Les Editions du 38, nouvelle qui se déroule intégralement dans le cadre du Festival du Film Britannique de Dinard.
Et bientôt de nouvelles informations sur cette édition 2019 à lire sur Inthemoodforcinema.com et bien sûr sur le site officiel du festival DinardFilmFestival.fr.
Quelle annonce réjouissante ! Nous venons en effet d'apprendre que Catherine Deneuve serait la présidente du jury du 45ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. Elle succède ainsi dans ce rôle à une autre actrice de grand talent, Sandrine Kiberlain. Voilà qui place cette édition 2019 du Festival du Cinéma Américain sous le signe de l'élégance, du prestige, du glamour, et du talent.
Tant de chefs-d'oeuvre figurent dans sa filmographie qu'il me serait impossible de choisir entre ceux-ci parmi lesquels "Les parapluies de Cherbourg", "Le Dernier Métro", "Le choix des armes", "Hôtel des Amériques", "Les Demoiselles de Rochefort", Belle de jour", "Fort Saganne", "Drôle d'endroit pour une rencontre", "Un conte de noël", "Indochine", "Elle s'en va"...
Je vous propose plusieurs critiques de films avec cette dernière et notamment celle du film "Les yeux de ma mère" de Thierry Klifa avec, en bonus, mon récit du déjeuner presse avec l'équipe du film (dont Catherine Deneuve) lors de sa sortie. Vous retrouverez également le compte rendu d'une master class de l'actrice qui avait eu lieu à Sciences Po Paris en 2008. Et enfin la vidéo de la remise de son Ibis d'or au Festival du Film de La Baule 2017.
Je vous donne rendez-vous très bientôt pour de nouvelles actualités liées au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2019, pour vous faire gagner vos pass et invitations pour le festival et bien sûr en direct du festival du 6 au 15 septembre. Et je vous parlerai aussi prochainement du festival ailleurs. A suivre !
CRITIQUE - ELLE S'EN VA d'Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve
Avant de vous livrer mon compte-rendu de ce Champs-Elysées Film Festival 2013 qui s’achèvera ce soir et dont vous pouvez encore profiter aujourd’hui, je vous propose la critique d’une des avant-premières du festival, « Elle s’en va », le nouveau film d’Emmanuelle Bercot.
Un film avec Catherine Deneuve est en soi déjà toujours une belle promesse, une promesse d’autant plus alléchante quand le film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là, l’histoire poignante et délicate (et délicatement traitée) de l’amour d’un adolescent pour une femme d’âge plus mûr (d’ailleurs interprétée avec beaucoup de justesse par Emmanuelle Bercot). Une histoire intense dont chaque plan témoignait, transpirait de la ferveur amoureuse qui unissait les deux protagonistes. Puis, il y a eu « Backstage », et l’excellent scénario de « Polisse » dont elle était coscénariste.
L’idée du road movie avec Catherine Deneuve m’a tout d’abord fait penser au magistral « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans lequel le dernier regard de Catherine Deneuve à la fois décontenancé et ébloui puis passionné, troublé, troublant est un des plus beaux plans qu’il me soit arrivé de voir au cinéma contenant une multitude de possibles et toute la richesse de jeu de l’actrice. « Elle s’en va » est un road movie centré certes aussi sur Catherine Deneuve mais très différent et né du désir « viscéral » de la filmer (elle n’est sans doute pas la seule mais nous comprenons rapidement pourquoi l’actrice a accepté ici) comme l’a précisé la réalisatrice avant la projection.
L’actrice incarne ici Bettie (et non Betty comme celle de Chabrol), restauratrice à Concarneau, veuve (je vous laisse découvrir comment…), vivant avec sa mère (Claude Gensac !) qui la traite encore comme une adolescente. L’amant de Bettie vient de quitter sa femme… pour une autre qu’elle. Sa mère envahissante, son chagrin d’amour, son restaurant au bord de la faillite vont la faire quitter son restaurant, en plein service du midi, pour aller « faire un tour » en voiture, puis pour acheter des cigarettes. Le tour du pâté de maisons se transforme bientôt en échappée belle. Elle va alors partir sur les routes de France, et rencontrer toute une galerie de personnages dans une France qui pourrait être celle des « sous-préfectures » du « Journal de France » de Depardon. Et surtout, son voyage va la mener sur une voie inattendue…et nous aussi tant ce film est une surprise constante.
Après un premier plan sur Catherine Deneuve, au bord de la mer, éblouissante dans la lumière du soleil, et dont on se demande si elle va se « jeter à l’eau » (oui, d’ailleurs, d’une certaine manière), se succèdent des plans montrant des commerces fermées et des rues vides d’une ville de province, un chien à la fenêtre, une poésie décalée du quotidien aux accents de Depardon. Puis Bettie apparaît dans son restaurant. Elle s’affaire, tourbillonne, la caméra ne la lâche pas…comme sa mère, sans cesse après elle. Bettie va ensuite quitter le restaurant pour ne plus y revenir. Sa mère va la lâcher, la caméra aussi, de temps en temps : Emmanuelle Bercot la filme sous tous les angles et dans tous les sens ( sa nuque, sa chevelure lumineuse, même ses pieds, en plongée, en contre-plongée, de dos, de face, et même à l’envers) mais alterne aussi dans des plans plus larges qui la placent dans des situations inattendues dans de « drôle[s] d’endroit[s] pour une rencontre », y compris une aire d’autoroute comme dans le film éponyme.
Si l’admiration de la réalisatrice pour l’actrice transpire dans chaque plan, en revanche « Elle s’en va » n’est pas un film nostalgique sur le « mythe » Deneuve mais au contraire ancré dans son âge, le présent, sa féminité, la réalité. Emmanuelle Bercot n’a pas signé un hommage empesé mais au contraire un hymne à l’actrice et à la vie. Avec son jogging rouge dans « Potiche », elle avait prouvé (à ceux qui en doutaient encore) qu’elle pouvait tout oser, et surtout jouer avec son image d’icône. « Elle s’en va » comme aurait pu le faire craindre son titre (le titre anglais est « On my way ») ne signifie ainsi ni une révérence de l’actrice au cinéma (au contraire, ce film montre qu’elle a encore plein de choses à jouer et qu’elle peut encore nous surprendre) ni un film révérencieux, mais au contraire le film d’une femme libre sur une autre femme libre. Porter une perruque improbable, se montrer dure puis attendrissante et s’entendre dire qu’elle a dû être belle quand elle était jeune » (dans une scène qui aurait pu être glauque et triste mais que la subtilité de l’écriture et de l’interprétation rendent attendrissante )…mais plus tard qu’elle sera « toujours belle même dans la tombe. » : elle semble prendre un malin plaisir à jouer avec son image.
Elle incarne ici un personnage qui est une fille avant d’être une mère et une grand-mère, et surtout une femme libre, une éternelle amoureuse. Au cours de son périple, elle va notamment rencontrer un vieil agriculteur (scène absolument irrésistible tout comme sa rencontre d’une nuit, belle découverte que Paul Hamy qui incarne l’heureux élu). Sa confrontation avec cette galerie de personnages incarnés par des non professionnels pourrait à chaque fois donner lieu à un court-métrage tant ce sont de savoureux moments de cinéma, mais une histoire et un portrait se construisent bel et bien au fil de la route. Le film va ensuite prendre une autre tournure lorsque son petit-fils l’accompagnera dans son périple. En découvrant la vie des autres, et en croyant fuir la sienne, elle va au contraire lui trouver un nouveau chemin, un nouveau sens, être libérée du poids du passé.
Si le film est essentiellement interprété par des non professionnels (qui apportent là aussi un naturel et un décalage judicieux), nous croisons aussi Mylène Demongeot (trop rare), le peintre Gérard Garouste et la chanteuse Camille (d’ailleurs l’interprète d’une chanson qui s’intitule « Elle s’en va » mais qui n’est pas présente dans le film) dans le rôle de la fille cyclothymique de Bettie et enfin Nemo Schiffman, irréprochable dans le rôle du petit-fils. Ajoutez à cela une remarquable BO et vous obtiendrez un des meilleurs films de l’année 2013.
Présenté en compétition officielle de la Berlinale 2013 et en compétition du Champs-Elysées Film Festival 20013, « Elle s’en va » a permis à Catherine Deneuve de recevoir le prix coup de cœur du Festival de Cabourg 2013.
« Elle s’en va » est d’abord un magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout. C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va » montre que , à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour. « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’embrasser la vie . Un bonheur ! Et un bonheur rare.
CRITIQUE DE "JE VEUX VOIR" de JOANA HADJITHOMAS et KHALIL JOREIGE (article de 2008)
Ci-dessous, ma critique du film écrite suite à sa projection dans la section Un Certain Regard du 61ème Festival de Cannes où il était présenté, ainsi que les vidéos de la présentation.
Ci-dessus, photos "In the mood for Cannes": L'équipe du film "Je veux voir" au Festival de Cannes 2008.
Alors que dehors des rafales de vent et des pluies torrentielles s’abattent sur la Croisette, je profite de ces quelques minutes de calme pour écrire : un silence, une pause dans la frénésie cannoise presque déstabilisante me faisant réaliser que cette vie irréelle ne dure que l’espace de 12 jours et s’achèvera dans ce qui me semble être une délicieuse éternité, que la réalité peut reprendre ses droits, qu’elle le fera. Quelques minutes pour faire un flash-back sur toutes ces images de vie et de cinéma contrastées, fortes dans les deux cas, lumineuses (dans le premier cas) et sombres (dans le second), oniriques (dans le premier cas) et cauchemardesques (dans le second). Entre apesanteur réelle et pesanteur fictive, écartelée entre des émotions que même la tempête ne balaiera pas, tout juste se fera-t-elle l’écho de leur puissance, de leur violence presque fascinante. Quelques minutes donc pour évoquer la projection de cet après-midi dans la section Un Certain Regard : « Je veux voir » réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans lequel « joue » Catherine Deneuve.
Pitch par l’équipe du film : « Juillet 2006. Une guerre éclate au Liban. Une nouvelle guerre mais pas une de plus, une guerre qui vient briser les espoirs de paix et l'élan de notre génération. Nous ne savons plus quoi écrire, quelles histoires raconter, quelles images montrer. Nous nous demandons : " Que peut le cinéma ? ". Cette question, nous décidons de la poser vraiment. Nous partons à Beyrouth avec une " icône ", une comédienne qui représente pour nous le cinéma, Catherine Deneuve. Elle va rencontrer notre acteur fétiche, Rabih Mroué. Ensemble, ils parcourent les régions touchées par le conflit. A travers leurs présences, leur rencontre, nous espérons retrouver une beauté que nos yeux ne parviennent plus à voir. Une aventure imprévisible, inattendue commence alors…. ».
Lors de la présentation du film au public, Khalil Joreige a déclaré : "Nous sommes très émus de présenter ce film aujourd’hui. Nous remercions Thierry Frémaux et l’équipe du Festival. Pour nous, ce film est une vraie aventure cinématographique qui, vous le verrez, devient de plus en plus intense et surprenante. Nous tenons à remercier Catherine Deneuve pour sa générosité et son audace, pour nous avoir permis de faire ce film." Et Joana Hadjithomas de conclure : "Je dédie cette projection à ceux qui auraient voulu être avec nous : notre équipe, nos familles, nos amis qui n’ont pas pu faire le voyage à cause des derniers événements."
C’est donc de nouveau en miroir du monde pour reprendre les termes de Steve Mc Queen, le réalisateur de « Hunger » dont je vous parlais avant-hier que se positionne ce film. Un miroir dans lequel se reflètent et s’influencent intelligemment sa beauté et sa laideur, sa vérité et sa mythologie, sa réalité et sa fiction. « Je veux voir » est en effet un film inclassable qui mélange intelligemment fiction et documentaire, un mélange duquel résulte alors une impression troublante qui ne nuit pas au propos mais au contraire le renforce, paradoxalement le crédibilise. Un Certain Regard. Le nom de cette sélection était parfaitement choisi pour accueillir ce film. De regards il y est en effet beaucoup question. Celui magnétique, troublé, inquiet, empathique, curieux de Catherine Deneuve. Un regard certain, en apparence en tout cas. C’est donc son regard ( elle est tantôt filmée de face, tantôt en caméra subjective) qui guide le nôtre. Le film commence ainsi : Catherine Deneuve est filmée de dos, à la fenêtre, à Beyrouth qu’elle regarde et surplombe. De dos avec cette silhouette tellement reconnaissable, celle de l’icône qu’elle représente pour les cinéastes qui l’ont choisie. Elle dit alors qu’elle veut voir. Elle veut voir les traces de la guerre. Elle veut voir ce qui ne lui paraît pas réel à travers l’écran de télévision (décidément, les films se répondent, troublant écho à celui d’hier).
Cette rencontre ensuite avec Rabih Mroué qui sera son guide et chauffeur sonne tellement juste, semble tellement éclore sous nos yeux que nous sommes presque gênés d’être là et en même temps captivés. Catherine Deneuve, son personnage, qu’importe, demande si elle peut fumer autant par politesse que pour amorcer une conversation, une complicité, puis elle s’interroge sur le fait que Rabih ne mette pas de ceinture. Il lui explique que depuis la guerre les principes ont un peu volé en éclats. Elle précise qu’elle n’est pas pour l’ordre mais que c’est quand même dangereux. Son visage ne trahit presque aucune émotion et n’en est justement que plus émouvant, de même lorsqu’elle demande pour la deuxième fois si elle peut fumer et reparle de la ceinture de sécurité après un évènement dangereux. Comme si ces propos trahissaient sa peur et la rassuraient, leur réitération les rendant tragiquement drôles. Son ton posé contraste avec l’inquiétude que trahit ses paroles.
Peu à peu ils s’éloignent de Beyrouth, on leur interdit de filmer, ou le scénario prévoyait qu’on fasse croire qu’on leur interdisait de filmer. Le résultat est le même. Nous ne savons pas. Que ce soit fictif ou réel l’essentiel est que cela soit tellement évocateur. Un avion passe et émet un puissant fracas, comme une bombe que l’on lâcherait. Catherine Deneuve sursaute et pour la première fois ou presque son corps trahit sa peur. Le chauffeur lui explique que l’avion israélien a passé le mur du son, que le but est juste de faire peur. Rare évocation de la situation politique. Le film est là pour nous permettre de voir, pas pour nous prendre à parti ou expliquer. Juste voir la désolation après et à travers la beauté. Juste pour voir ce contraste violent et magnifique.
Que ce soit Catherine Deneuve ou son personnage qui sursaute en entendant cet avion, peu importe, la peur se transmet, traverse l’écran, nous atteint, comme le sentiment de désolation de ces carcasses d’acier et de ferrailles que des pelleteuses charrient longuement, symboles de tant de vies et de passés volés en éclat, abattus, piétinés, niés.
La relation semble se nouer entre les deux personnages ( ?) sous nos yeux , entre les deux êtres ( ?) peut-être, une relation faîte de pudeur, d’intensité créée par la peur, la force de cette rencontre, son caractère unique et son cadre atypique (la scène où il lui dit les dialogues de « Belle de jour » en Arabe, où il en oublie d’être attentif et se retrouve dans un endroit miné est à la fois effrayante et sublime, poétique et terriblement réaliste, l’instant poétique, cinématographique qu’ils vivent renforçant la peur créée par la soudaineté du surgissement d’une terrible réalité, potentiellement fatale). Une relation entre deux réalités, le cinéma et la réalité. Une belle rencontre en tout cas. Comme deux personnages de cinéma. Si réels (nous croyons vraiment à leur relation) et si cinématographique (ils forment sous nos yeux un couple qui pourrait être tellement cinématographique).
La fin (Catherine Deneuve se rend à une réception en son honneur après cette journée que l’on devine si intense et éprouvante) pourrait être le début d’une fiction, une des plus belles fins qu’il m’ait été donné de voir au cinéma, qui prouve la force d’un regard, un regard décontenancé, un regard ébloui par les lumières d’une fête tellement décalées après celles de la journée, un regard qui cherche la complicité de celui devenu un ami, un regard qui cherche la réalité de ce qu’il a vécu ou ressenti dans celui d’un autre, un regard qui nous embarque dans son tourbillon d’émotions et d’intensité, tandis qu’un officiel obséquieux (non?) évoque « la formidable capacité de résilience des Libanais » comme il évoquerait la pluie et le beau temps. Le regard alors tellement passionné de Catherine Deneuve contraste avec la banalité du discours de ce dernier. Oui, un certain regard. Tellement troublé et troublant et expressif lorsqu’il croise le regard attendu qu’il ouvre une infinitude de possibles, qu’il ouvre sur le rêve, qu’il ouvre sur la puissance du cinéma, des images, d’une rencontre, qu’il ouvre sur un nouvel espoir. "Toute la beauté du monde". Malgré tout.
La présence presque "improbable" et "onirique" de Catherine Deneuve comme l’ont définie les réalisateurs est à la fois un écho à la beauté du sud et un contraste saisissant avec le spectacle de désolation des paysages en ruine, des vies dévastées. Elle y apparaît en tout cas magnifique de dignité et de courage. Oui, une belle leçon de dignité et de courage mais aussi de cinéma et d’espoir…
Un film qui est dramatiquement (encore une fois) d’actualité alors que le Liban vit de nouveau une situation explosive, qui montre ce que l’on regarde parfois sans voir.
Le mélange si habile de fiction et de documentaire, de mémoire historique et de mythologie cinématographique, en fait un film, un témoignage aussi, inclassable, captivant, troublant, jamais didactique, un film que l’on veut voir, et que l’on voudrait revoir, ne serait-ce que pour ce dernier regard échangé…
CRITIQUE DE "LA SIRENE DU MISSISSIPI" de François Truffaut
Dédié à Jean Renoir, adapté, scénarisé et dialogué par Truffaut d’après un roman de William Irish intitulé « Waltz into Darkness » (pour acquérir les droits François Truffaut dut emprunter à Jeanne Moreau, Claude Lelouch et Claude Berri), c’est davantage vers le cinéma d’Alfred Hitchcock, que lorgne pourtant ce film-ci, lequel Hitchcock s’était d’ailleurs lui-même inspiré d’une nouvelle de William Irish pour « Fenêtre sur cour ». Truffaut avait lui-même aussi déjà adapté William Irish pour « La mariée était en noir », en 1968.
Synopsis : Louis Mahé (Jean-Paul Belmondo) est fabriquant de cigarettes à La Réunion. Il doit épouser Julie Roussel qu’il a rencontrée par petite annonce et dont il doit faire la connaissance le jour du mariage. Lorsqu’elle débarque à La Réunion, d’une beauté aussi froide que ravageuse, elle ressemble peu à la photo qu’il possédait d’elle. Elle lui affirme ainsi lui avoir envoyé un faux portrait, par méfiance. Peu de temps après le mariage, l’énigmatique Julie s’enfuit avec la fortune de Louis. Louis engage alors le solitaire et pointilleux détective Comolli (Michel Bouquet) pour la rechercher, et il rentre en France. Après une cure de sommeil à Nice, il retrouve Julie qui se nomme en réalité Marion (Catherine Deneuve) par hasard, elle travaille désormais comme hôtesse dans une discothèque. Il est déterminé à la tuer mais elle l’apitoie en évoquant son enfance malheureuse et ses sentiments pour lui qui l’aime d’ailleurs toujours… Commence alors une vie clandestine pour ce singulier couple.
Ce film connut un échec public et critique à sa sortie. Truffaut expliqua ainsi cet échec : « Il est aisé d’imaginer ce qui a choqué le monde occidental. La Sirène du Mississipi montre un homme faible (en dépit de son allure), envoûté par une femme forte (en dépit de ses apparences) ». Voir ainsi Belmondo ravagé par la passion qui lui sacrifie tout explique pour Truffaut l’échec du film. C’est vrai que ce film peut dérouter après « Baisers volés », quintessence du style Nouvelle Vague. Son romantisme échevelé, sombre, voire désespéré (même si Doinel était déjà un personnage romantique) mais aussi son mélange des genres (comédie, drame, film d’aventures, film noir, policier) ont également pu dérouter ceux qui voyaient avant tout en Truffaut un des éminents représentants de la Nouvelle Vague.
Comme chacun de ses films « La Sirène du Mississipi » n’en révèle pas moins une maîtrise impressionnante de la réalisation et du sens de la narration, des scènes et des dialogues marquants, des références (cinématographiques mais aussi littéraires) intelligemment distillées et le touchant témoignage d’un triple amour fou : de Louis pour Marion, de Truffaut pour Catherine Deneuve, de Truffaut pour le cinéma d’Hitchcock.
Truffaut traite ainsi de nouveau d’un de ses thèmes de prédilections : l’amour fou, dévastateur, destructeur. Malgré la trahison de la femme qu’il aime, Louis tue pour elle et la suit au péril de sa propre existence… Après les premières scènes, véritable ode à l’île de La Réunion qui nous laisse penser que Truffaut va signer là son premier film d’aventures, exotique, le film se recentre sur leur couple, la troublante et trouble Marion, et l’amour aveugle qu’elle inspire à Louis. Truffaut traitera ce thème de manière plus tragique, plus subtile, plus précise encore dans « L’Histoire d’Adèle.H », dans « La Peau douce » (réalisé avant « La Sirène du Mississipi) notamment ou, comme nous l’avons vu, dans « La Femme d’à côté », où, là aussi, Bernard (Gérard Depardieu) emporté par la passion perd ses repères sociaux, professionnels, aime à en perdre la raison avec un mélange détonant de douceur et de douleur, de sensualité et de violence, de joie et de souffrance dont « La sirène du Mississipi » porte déjà les prémisses.
Bien qu’imprégné du style inimitable de Truffaut, ce film est donc aussi une déclaration d’amour au cinéma d’Hitchcock, leurs entretiens restant le livre de référence sur le cinéma hitchcockien (si vous ne l’avez pas encore, je vous le conseille vivement, il se lit et relit indéfiniment, et c’est sans doute une des meilleures leçons de cinéma qui soit). « Les Oiseaux », « Pas de printemps pour Marnie », « Sueurs froides», « Psychose », autant de films du maître du suspense auxquels se réfère « La Sirène du Mississipi ». Et puis évidemment le personnage même de Marion interprétée par Catherine Deneuve, femme fatale ambivalente, d’une beauté troublante et mystérieuse, d’une blondeur et d’une froideur implacables, tantôt cruelle, tantôt fragile, empreinte beaucoup aux héroïnes hitchcockiennes, à la fois à Tippie Hedren dans « Pas de printemps pour Marnie » ou à Kim Novak dans « Sueurs froides » notamment pour la double identité du personnage dont les deux prénoms (Marion et Julie) commencent d’ailleurs comme ceux de Kim Novak dans le film d’Hitchcock- Madeleine et Judy-.
A Deneuve, qui vient d'accepter le film, Truffaut écrivit : « Avec La Sirène, je compte bien montrer un nouveau tandem prestigieux et fort : Jean-Paul, aussi vivant et fragile qu'un héros stendhalien, et vous, la sirène blonde dont le chant aurait inspiré Giraudoux. » Et il est vrai qu’émane de ce couple, une beauté ambivalente et tragique, un charme tantôt léger tantôt empreint de gravité. On retrouve Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo dans des contre-emplois dans lesquels ils ne sont pas moins remarquables. Elle en femme fatale, vénale, manipulatrice, sirène envoûtante mais néanmoins touchante dont on ne sait jamais vraiment si elle aime ou agit par intérêt. Lui en homme réservé, follement amoureux, prêt à tout par amour, même à tuer.
A l’image de l’Antiquaire qui avait prévenu Raphaël de Valentin dans « La Peau de chagrin » à laquelle Truffaut se réfère d’ailleurs, Louis tombant par hasard sur le roman en question dans une cabane où ils se réfugient ( faisant donc de nouveau référence à Balzac après cette scène mémorable se référant au « Lys dans la vallée » dans « Baisers volés »), et alors que la fortune se réduit comme une peau de chagrin, Marion aurait pu dire à Louis : « Si tu me possèdes, tu possèderas tout, mais ta vie m'appartiendra ».
Enfin ce film est une déclaration d’amour de Louis à Marion mais aussi et surtout, à travers eux, de Truffaut à Catherine Deneuve comme dans cette scène au coin du feu où Louis décrit son visage comme un paysage, où l’acteur semble alors être le porte-parole du cinéaste. Le personnage insaisissable, mystérieux de Catherine Deneuve contribue largement à l’intérêt du film, si bien qu’on imagine difficilement quelqu’un d’autre interprétant son rôle.
Comme souvent, Truffaut manie l’ellipse avec brio, joue de nouveau avec les temporalités pour imposer un rythme soutenu. Il cultive de nouveau le hasard comme dans « Baisers volés » où il était le principal allié de Doinel, pour accélérer l’intrigue.
Alors, même si ce film n’est pas cité comme l’un des meilleurs de Truffaut, il n’en demeure pas moins fiévreux, rythmé, marqué par cette passion, joliment douloureuse, qui fait l’éloge des grands silences et que symbolise si bien le magnifique couple incarné par Deneuve et Belmondo. Avec « La Sirène du Mississipi » qui passe brillamment de la légèreté au drame et qui dissèque cet amour qui fait mal, à la fois joie et souffrance, Truffaut signe le film d’un cinéaste et d’un cinéphile comme le fit par exemple également Pedro Almodovar avec « Les Etreintes brisées »
« La Sirène du Mississipi » s’achève par un plan dans la neige immaculée qui laisse ce couple troublant partir vers son destin, un nouveau départ, et nous avec le souvenir ému de cet amour fou dont Truffaut est sans doute le meilleur cinéaste.
Dix ans plus tard, Catherine Deneuve interprétera de nouveau une Marion dans un film de Truffaut « Le dernier métro », et sera de nouveau la destinataire d’ une des plus célèbres et des plus belles répliques de Truffaut, et du cinéma, que Belmondo lui adresse déjà dans « La Sirène du Mississipi »:
« - Quand je te regarde, c'est une souffrance.
- Pourtant hier, tu disais que c'était une joie.
- C'est une joie et une souffrance.''
Sans doute une des meilleures définitions de l’amour, en tout cas de l’amour dans le cinéma de Truffaut… que nous continuerons à analyser prochainement avec « L’Histoire d’Adèle.H ». En attendant je vous laisse méditer sur cette citation et sur le chant ensorcelant et parfois déroutant de cette insaisissable « Sirène du Mississipi ».
CRITIQUE DE "LA TÊTE HAUTE" d'EMMANUELLE BERCOT (critique écrite suite à sa projection en ouverture du 68ème Festival de Cannes)
"La tête haute" était le film d'ouverture du 68ème Festival de Cannes. Cet article a été écrit après cette séance.
Le temps de débarrasser la scène du Grand Théâtre Lumière des apparats de l’ouverture de ce 68ème Festival de Cannes, et nous voilà plongés dans un tout autre univers : le bureau d’une juge pour enfants (Catherine Deneuve), à Dunkerque. La tension est palpable. Le ton monte. Les éclats de voix fusent. Une femme hurle et pleure. Nous ne voyons pas les visages. Seulement celui d’un enfant, Malony, perdu au milieu de ce vacarme qui assiste, silencieux, à cette scène terrible et déroutante dont la caméra frénétique accompagne l’urgence, la violence, les heurts. Un bébé crie dans les bras de sa mère qui finalement conclut à propos de Malony qu’il est « un boulet pour tout le monde ». Et elle s’en va, laissant là : un sac avec les affaires de l’enfant, et l’enfant, toujours silencieux sur la joue duquel coule une larme, suscitant les nôtres déjà, par la force de la mise en scène et l’énergie de cette première scène, implacable. Dix ans plus tard, nous retrouvons les mêmes protagonistes dans le même bureau …
Ce film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma et l’univers si fort et singulier avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là. Depuis, je suis ses films avec une grande attention jusqu’à « Elle s’en va », en 2013, un très grand film, un road movie centré sur Catherine Deneuve, « né du désir viscéral de la filmer ». Avant d’en revenir à « La tête haute », je ne peux pas ne pas vous parler à nouveau de ce magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout. C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va » montre que, à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour. « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’embrasser la vie. ( Retrouvez ma critique complète de ELLE S'EN VA en cliquant ici.)
Et contre toute attente, c’est aussi l’effet produit par « La tête haute » où il est aussi question de départ, de nouveau départ, de nouvelle chance. Avec beaucoup de subtilité, plutôt que d’imprégner visuellement le film de noirceur, Emmanuelle Bercot a choisi la luminosité, parfois le lyrisme même, apportant ainsi du romanesque à cette histoire par ailleurs particulièrement documentée, tout comme elle l’avait fait pour « Polisse » de Maïwenn dont elle avait coécrit le scénario. Le film est riche de ce travail en amont et d’une excellente idée, celle d' avoir toujours filmé les personnages dans un cadre judiciaire : le bureau de la juge, des centres divers… comme si toute leur vie était suspendue à ces instants.
Le grand atout du film : son énergie et celle de ses personnages attachants interprétés par des acteurs judicieusement choisis. Le jeune Rod Paradot d’abord, l’inconnu du casting qui ne le restera certainement pas longtemps et qui a charmé l’assistance lors de la conférence de presse cannoise du film, avec son sens indéniable de la répartie (« la tête haute mais la tête froide »…), tête baissée, recroquevillé, tout de colère rentrée parfois hurlée, dont la présence dévore littéralement l’écran et qui incarne avec une maturité étonnante cet adolescent insolent et bravache qui n’est au fond encore que l’enfant qui pleure des premières minutes du film. Catherine Deneuve, ensuite, une nouvelle fois parfaite dans ce rôle de juge qui marie et manie autorité et empathie. L’éducateur qui se reconnaît dans le parcours de ce jeune délinquant qui réveille ses propres failles incarné par Benoît Magimel d’une justesse sidérante. La mère (Sara Forestier) qui est finalement l’enfant irresponsable du film, d’ailleurs filmée comme telle, en position fœtale, dans une très belle scène où les rôles s’inversent. Dommage (et c’est mon seul bémol concernant le film) que Sara Forestier ait été affublé de fausses dents (était-ce nécessaire ?) et qu’elle surjoue là où les autres sont dans la nuance, a fortiori les comédiens non professionnels, excellents, dans les seconds rôles.
Ajoutez à cela des idées brillantes et des moments qui vous cueillent quand vous vous y attendez le moins : une main tendue, un « je t’aime »furtif et poignant, une fenêtre qui soudain s’est ouverte sur « Le Monde » (littéralement, si vous regardez bien…) comme ce film s’ouvre sur un espoir.
Après « Clément », « Backstage », « Elle s’en va », Emmanuelle Bercot confirme qu’elle est une grande scénariste et réalisatrice (et actrice comme l'a prouvé son prix d'interprétation cannois) avec qui le cinéma va devoir compter, avec ce film énergique et poignant, bouillonnant de vie, qui nous laisse avec un salutaire espoir, celui que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend et qui rend un bel hommage à ceux qui se dévouent pour que les enfants blessés et défavorisés par la vie puissent grandir la tête haute. Un film qui « ouvre » sur un nouveau monde, un nouveau départ et une bouffée d’optimisme. Et ça fait du bien. Une très belle idée que d’avoir placé ce film à cette place de choix d'ouverture du 68ème Festival de Cannes et de lui donner cette visibilité.
Conférence de presse
Ci-dessous, quelques citations de la conférence de presse du film à laquelle j’ai assisté à Cannes. Une passionnante conférence au cours de laquelle il a été question de nombreux sujets, empreinte à la fois d’humour et de gravité, puisqu’a aussi été établi un lien entre le choix de ce film pour l’ouverture et les récents événements en France auxquels le film fait d’ailleurs, d’une certaine manière, écho. Vous pouvez revoir la conférence sur le site officiel du Festival de Cannes. Dommage que Catherine Deneuve (étincelante) ait eu à se justifier (très bien d’ailleurs, avec humour et intelligence) de propos tenus dans la presse, extraits de leur contexte et qui donnent lieu à une polémique qui n’a pas de raison d’être.
« Je tenais à ce que tout soit absolument juste » -Emmanuelle Bercot (à propos de tout ce qui se passe dans le cadre judiciaire où elle a fait plusieurs stages avec ce souci de vraisemblance et même de véracité). « Les personnages existaient avant les stages puis ont été nourris par la part documentaire ».
« La justice des mineurs est un honneur de la France » – Emmanuelle Bercot
« Si c’est méchant, j’espère que c’est drôle ». – Catherine Deneuve à propos d’une question d’une journaliste au sujet de la caricature de Charloe Hebdo (très cruelle) à son sujet et qu’elle n’avait pas encore vue.
« C’était très important pour moi que ce film ait son socle dans le Nord. » Emmanuelle Bercot
« Ouvrir le festival avec ce film est aussi une réponse à ce début d’année difficile qu’a connu la France. » Catherine Deneuve
« En France, les femmes cinéastes ont largement la place de s’exprimer et énormément de femmes émergent. » E.Bercot
« Moi c’est le scénario qui m’a beaucoup plu et tous les personnages. C’est un scénario qui m’a plu tout de suite. » Catherine Deneuve
« Pour être star, il faut du glamour et du secret, ne pas tout montrer de sa vie privée. » – Catherine Deneuve
« Il y a une matière documentaire très forte dans l’écriture, en revanche je ne voulais pas un style documentaire dans l’image. » Bercot
Sara Forestier : « A la lecture du scénario, j’ai pleuré. Le film m’a piqué le coeur. »
« C’est totalement inespéré que ce film soit à une telle place, c’est un grand honneur. » Emmanuelle Bercot
CRITIQUE DE "POTICHE" DE François OZON (article du 14 novembre 2010)
Il semblerait que François Ozon ait adopté le rythme woodyallenien d’un film par an, signant ainsi avec « Potiche » son douzième long-métrage en douze ans, en passant par des films aussi divers et marquants que « Sitcom », « Swimming pool », « Sous le sable », « Huit femmes »… mais avec toujours la même exigence et toujours un casting de choix.
Ainsi, dans « Potiche » c’est Catherine Deneuve (que François Ozon retrouve ici 8 ans après « Huit femmes ») qui incarne Suzanne Pujol, épouse soumise de Robert Pujol (Fabrice Luchini) que sa propre fille Joëlle (Judith Godrèche) qualifie avec une cruelle naïveté de «potiche ». Nous sommes en 1977, en province, et Robert Pujol est un patron d’une usine de parapluies irascible et autoritaire aussi bien avec ses ouvriers qu’avec sa femme et ses enfants. A la suite d’une grève et d’une séquestration par ses employés, Robert a un malaise qui l’oblige à faire une cure de repos et s’éloigner de l’usine. Pendant son absence, il faut bien que quelqu’un le remplace. Suzanne est la dernière à laquelle chacun pense pour remplir ce rôle et pourtant elle va s’acquitter de sa tâche avec beaucoup de brio, secondée par sa fille Joëlle et par son fils Laurent (Jérémie Rénier)…
Difficile d’imaginer une autre actrice que Catherine Deneuve dans ce rôle (autrefois tenu par une actrice qui ne lui ressemble guère, Jacqueline Maillan, dans la pièce de Barillet et Grédy dont le film est l’adaptation) tant elle y est successivement et parfois en même temps : lumineuse, maligne, snob, touchante, malicieuse, drôle, tendre, naïve, naïvement féroce …et tant ce film semble être une véritable déclaration d’amour à l’actrice. Qu’elle chante « Emmène-moi danser ce soir », qu’elle esquisse quelques pas de danse avec Depardieu ou qu’elle fasse son jogging avec bigoudis, jogging à trois bandes, en parlant aux animaux (et à une nature, prémonitoire, elle aussi moins naïve qu'il n'y paraît) et écrivant des poèmes naïfs ou qu’elle se transforme en leader politique, chacune de ses apparitions (c’est-à-dire une grosse majorité du film) est réellement réjouissante. Depuis que je l’avais vue, ici, lors d’une inoubliable rencontre à sciences-po ou lors de sa leçon de cinéma, tout aussi inoubliable, dans le cadre du Festival de Cannes 2005 (dont vous pouvez retrouver mon récit, ici), j’ai compris aussi à quel point elle était aussi dans la « vraie vie » touchante et humble en plus d’être talentueuse et à quel point sa popularité était méritée. Et puis, je n’oublierai jamais non plus son regard dans la dernière scène de cet autre film, d’une bouleversante intensité à l’image du film en question.
Ici, lorsqu’elle se retrouve avec Babin-Depardieu, c’est toute la mythologie du cinéma que François Ozon, fervent cinéphile, semble convoquer, six ans après leur dernier film commun « Les temps qui changent » de Téchiné et trente ans après le couple inoubliable qu’ils formèrent dans « Le Dernier métro » de Truffaut. Emane de leur couple improbable (Depardieu interprète un député-maire communiste) une tendre nostalgie qui nous rappelle aussi celui, qui l’était tout autant, de « Drôle d’endroit pour une rencontre » de François Dupeyron. Et les parapluies multicolores ne sont évidemment pas sans nous rappeler ceux de Demy dont l’actrice est indissociable.
Si le film est empreint d’une douce nostalgie, et ancré dans les années 1970 et une période d’émancipation féminine, Ozon s’amuse et nous amuse avec ses multiples références à l’actualité et les couleurs d’apparence acidulées se révèlent beaucoup plus acides, pour notre plus grand plaisir. D’un Maurice Babin dont l’ inénarrable inspiration capillaire vient de Bernard Thibault, à un Pujol aux citations sarkozystes en passant par une Suzanne qui s’émancipe et prend le pouvoir telle une Ségolène dans l’ombre de son compagnon qui finit par lui prendre la lumière sans oublier les grèves et les séquestrations de chefs d’entreprise, les années 70 ne deviennent qu’un prétexte pour croquer notre époque avec beaucoup d’ironie. Acide aussi parce qu’une fois de plus il n’épargne pas les faux-semblants bourgeois derrière le vaudeville d’apparence innocente.
Si Catherine Deneuve EST le film, il ne faudrait pas non plus oublier Fabrice Luchini en patron imbuvable, Judith Godrèche en fille réactionnaire aux allures de Farrah Fawcett, Jérémie Rénier en fils à la sexualité incertaine aux allures de Claude François et Karin Viard irrésistible en secrétaire s’émancipant peu à peu du joug de son patron. Les costumes, sont aussi des acteurs à part entière, et en disent parfois plus longs que des discours et montrent à quel point Ozon ne laisse rien au hasard.
Un film à la fois drôle et tendre, nostalgique et caustique dont on ressort avec l’envie de chanter, comme Ferrat et Suzanne, « C’est beau la vie »…malgré un scénario parfois irrégulier et quelques ralentissements que nous fait vite oublier cette savoureuse distribution au premier rang de laquelle Catherine Deneuve plus pétillante, séduisante et audacieuse que jamais dont la nomination aux César semble déjà acquise et non moins amplement méritée.
RENCONTRE AVEC CATHERINE DENEUVE AU CINE CLUB DE SCIENCES PO (article du 11 juin 2008)
Frédéric Bonnaud et Catherine Deneuve, hier soir.
De Catherine Deneuve, au-delà de tous ces films qui m’ont marquée (« Le dernier métro » de Truffaut, « Hôtel des Amériques » et « Le lieu du crime » de Téchiné étant sans doute les premiers que j’ai vus et aimés et que je revois toujours avec autant de plaisir), j’ai surtout deux souvenirs, tous deux d’ailleurs liés au Festival de Cannes, la mémorable leçon de cinéma qu’elle y a donné en 2005 (cliquez ici pour lire le résumé de la leçon de cinéma de Catherine Deneuve, à Cannes, en 2005), et la projection de ce magnifique « documentaire » (qui est, aussi, une fiction) sur le Liban, « Je veux voir » de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas (cliquez ici pour lire ma critique du film et pour voir les photos et vidéos de la présentation cannoise) qu’elle a présenté cette année dans la section Un Certain Regard, un documentaire bouleversant et intense dans lequel elle est extraordinaire et que sans doute peu d’actrices auraient eu le cran d’accepter, et le talent et l’humilité pour s’y prêter. Je crois que c’est d’ailleurs à ces deux occasions que je l’ai vraiment découverte et que j’ai compris vraiment ce qu’elle peut représenter, et surtout pourquoi elle incarne ainsi LA star française, même si je n’aime pas ce mot galvaudé, et réducteur.
Hier soir, c’est à l’invitation du Ciné club de Sciences Po qu’elle est venue dans les anciens locaux de l’ENA. Pas pour faire de la promotion. Simplement pour partager sa passion, ses expériences. La salle, pas très grande, est évidemment pleine. L’endroit, plutôt monotone, avec sa lumière blafarde, semble presque incongru. Après quelques échanges avec le journaliste Frédéric Bonnaud suite à la projection de « Belle de jour » de Buñuel et du court « Un chien andalou » de Buñuel avec la participation « scénaristique » de Dali (dont il est amusant de constater que la scène de l’œil coupé heurte toujours les spectateurs, 80 ans après), comme prévu, à 20H Catherine Deneuve arrive, apparait plutôt. Les applaudissements sont timides et respectueux. Elle fait d’abord part de son appréhension de se retrouver devant ces inconnus qui la connaissent, qui « connaissent beaucoup de [sa] vie », de sa crainte de nous décevoir. Et si elle ne nous avait rien dit, à peine sa respiration haletante, à peine, et son débit rapide l’auraient-ils trahie mais ce n’est certainement pas ce qui nous aurait marqué en premier. Non, ce qui nous aurait marqué c’est son extrême humilité (non une fausse modestie ou une coquetterie, une vraie humilité), son écoute attentive, sa passion intacte et sa curiosité insatiable pour tout ce qui concerne le cinéma.
Elle évoque d’abord le film de Buñuel que nous venons de voir, « Belle de jour », et son tournage difficile, un film auquel elle préfère d’ailleurs « Tristana » (moi aussi), le film suivant de Buñuel dans lequel elle a tourné. Sujet suivant. Un jeune homme commence sa question. « Vous étiez jeune à l’époque ». Rires de la salle. Et de Catherine Deneuve : « Vous riez parce qu’il a été maladroit. J’ai l’habitude. Pas de la maladresse. Mais de ces phrases mais c’est normal, cela fait plus de 40 ans…». Oui, elle m’a vraiment rappelée la Catherine Deneuve de « Je veux voir ». A l’écoute. Avec ce souci de ne surtout pas blesser, davantage qu’un souci de sa propre image. C’est tellement rare… Elle cherche aussi ses mots, par souci d’exactitude, de sincérité.
On se dit que pour elle ce doit être vraiment difficile : ces regards qui la scrutent, pour certains guettent la fêlure, les stigmates du temps, le fossé, pour certains -cyniques peut-être- rassurant, entre le cinéma et la réalité. Un autre jeune homme se trompe, attribue « Est Ouest » de Régis Wargnier à un cinéaste russe et au lieu d’être ironique ou blessante, elle admet que ce film était tourné en Russie, que la confusion était possible. Dans ce film elle a un second rôle. Mais pour elle peu importe. Quand on lui demande ce qu’elle aime dans le métier d’actrice, elle dit que ce sont les films. Pas les rôles. Les films. Peu lui importe d’avoir un second rôle dans un projet qu’elle aime et dans lequel elle croit. Comme dans "Est-Ouest". Pour elle, le critère, c’est que le film ne tienne plus si on enlève le rôle, que le rôle, petit ou grand, soit essentiel au déroulement de l’histoire.
On se demande ce qu’elle aurait fait si elle n’avait pas été actrice. Parce qu’elle ne voulait pas être actrice, Catherine Dorléac. Les hasards de la vie, des rencontres, un premier rôle à 15 ans pour accompagner sa sœur Françoise, et voilà, aujourd’hui elle aime passionnément le cinéma, son métier, et transmettre cette passion.
Elle a commencé à 15 ans donc. Elle dit qu’à l’époque ce qui l’intéressait c’était plutôt « l’amour, les sentiments », que sans le cinéma elle se serait « mariée très jeune » sans doute, aurait « divorcé 5 ans après », aurait fait des études d’art, d’architecture peut-être, elle ne sait pas trop à dire vrai. Mais maintenant, elle voit des films. Beaucoup de films. Souvent même tard le soir à la télévision. Ca aussi c’est plutôt rare, les acteurs ne sont pas toujours des cinéphiles.
Elle parle sans retenue mais avec beaucoup de pudeur. Des scènes de nudité aussi, qu’elle n’aime pas en tant qu’actrice, pas plus qu'en tant que spectatrice, ne voyant alors plus un acteur, un personnage mais une personne dénudée, à nu. Elle évoque ainsi la vulgarité et la familiarité auxquelles les scènes de nu exposent les acteurs, ont exposé Brigitte Bardot, ce dont elle a été témoin, à quel point les journalistes s’approprient ensuite ces scènes. On imagine combien le tournage de « Belle de jour » a dû être difficile pour elle avec Buñuel, peu loquace, déjà âgé, impressionnant, mais on imagine mal une autre actrice dans le rôle de Séverine.
On se demande alors pourquoi elle n’a pas tourné dans « Belle toujours », l’hommage à « Belle de jour », une sorte de suite tournée par Manuel de Oliveira dans lequel Michel Piccoli a, lui, accepté de reprendre son rôle. Simplement pour ne pas démythifier le film de Buñuel. Elle dit d’ailleurs que Bulle Ogier qui l’a remplacée y est parfaite. Elle regrette simplement de n’avoir pu expliquer de vive voix les raisons de son refus à Manuel de Oliveira, que son refus, par personnes interposées, lui ait sans doute paru abrupte.
On rêve de la voir au théâtre. Evidemment… Mais probablement ne l’y verrons-nous jamais. Elle s’en dit incapable, à cause de l’appréhension de se retrouver devant toutes ces personnes silencieuses, là, à la regarder, la détailler. On en baisserait presque les yeux de peur de la gêner. Elle fait d’ailleurs régulièrement ce cauchemar, se retrouver sur scène sans avoir appris son texte.
D’ailleurs, pendant toutes ces heures d’attente dans des journées de 8 ou 10 h de tournage, que fait-elle ? Eh bien, elle ne lit pas. Non, elle dort, pour rester concentrée. Professionnelle.
Elle vient de tourner le film d’une jeune réalisatrice (« La cuisine » de Julie Lopes-Curval) avec Marina Hands, et tournera certainement pour Téchiné l’an prochain même si le projet est encore flou et elle continue à suivre les films qu’elle a tournés, notamment « Un conte de noël » d’Arnaud Desplechin qu’elle dit avoir beaucoup aimé, dans lequel elle dit avoir tout aimé. Elle dit cela les yeux brillants. Comme nous. Comme moi en tout cas à l’issue de cette heure trop courte, de ce beau moment, de cinéma, de réalité, je ne sais plus trop, surréaliste, comme un film de Buñuel ou une œuvre de Dali, comme « Un chien andalou ». Une heure déjà. Les applaudissements fusent. La salle se lève, respectueuse et admirative. Toujours constate-t-on que la salle a étrangement perdu sa monotonie et sa lumière blafarde.
Une grande actrice. A l’image du film de Buñuel d’une certaine manière : très réelle, ancrée dans la réalité et irréelle, liée à des souvenirs et rêves cinématographiques, grave et ironique (elle n’a jamais hésité à se moquer d’elle même, contrairement à cette image de froideur à laquelle on a tenté de la réduire, et notamment dans « Mes stars et moi » de Laetitia Colombani, actuellement à l’affiche-voir critique ci-dessous-). Une femme passionnée et touchante, sincère et mystérieuse, et évidemment talentueuse. Une « star » qui en est une justement parce qu’elle ne joue pas à l’être, elle n’en a pas besoin. Rare, lumineuse, éblouissante, éphémère et éternelle. Oui, une étoile filante…
La prochaine rencontre organisée par le Ciné club de Sciences Po aura lieu le 19 novembre pour le film « Ma mère » de Christophe Honoré avec, sous réserves, le réalisateur, Emma de Caunes et Louis Garrel . L’entrée est libre.
CRITIQUE de "LA FILLE DU RER" d'André Téchiné
Un film d’André Téchiné est pour moi toujours un rendez-vous incontournable, pourtant le sujet de son dernier film inspiré d’un fait divers (En juillet 2004, une jeune femme avait inventé avoir été victime d’une agression antisémite dans le RER. Son terrible mensonge avait provoqué un emballement médiatique et politique sans précèdent, avant même d’avoir été confirmé) m’avait laissée perplexe, d’abord parce qu’il s’agissait finalement d’un sujet assez mince pour en faire une fiction, ensuite parce que le sujet était plutôt sensible… C’était oublier l’immense talent de cinéaste et de « psychologue » d’André Téchiné, sa capacité à transcender et sublimer toute histoire, et à mettre en scène la confusion des âmes et des sentiments.
Jeanne (Emilie Dequenne), vit dans un pavillon de banlieue plutôt coquet bercé par le bruit de la circulation et du RER, avec sa mère, Louise (Catherine Deneuve). Les deux femmes sont inséparables et s’entendent bien. Louise garde des enfants et Jeanne cherche un emploi sans trop de conviction préférant passer et perdre son temps à déambuler en rollers. C’est lors de l’une de ces déambulations qu’elle rencontre Franck (Nicolas Duvauchelle), l’étrange et direct lutteur qui rêve de devenir champion olympique. Un jour, Louise tombe sur une annonce d’emploi d’un cabinet d’avocats, celui de Samuel Bleistein (Michel Blanc), qu’elle a connu dans sa jeunesse. Jeanne ne sera pas embauchée mais le terrible mensonge qu’elle va échafauder va la faire rencontrer de nouveau Bleistein, et sa famille : son fils Alex (Mathieu Demy), sa belle-fille Judith (Ronit Elkabetz), et son petit-fils Nathan (Jérémy Quaegebeur ).
Le film est une adaptation de la pièce de Jean-Marie Besset, « RER », lequel a également signé les dialogues du film de Téchiné. Le scénario, signé André Téchiné, a aussi été adapté par Odile Barski.
Comme souvent chez Téchiné, il y a cette troublante lumière d’été (magnifique photographie de Julien Hirsch) qui inquiète plus qu’elle ne rassure, qui intrigue autant qu’elle fascine. Ici, elle reflète le mystère de l’insaisissable Jeanne. Sa fragilité aussi. Téchiné ne justifie pas son acte mais chaque seconde du film, tout en douceur, sans gros plans didactiques ou tapageurs, esquisse le portrait de cette jeune femme et les circonstances qui vont la conduire à un terrible mensonge dont les conséquences vont dépasser tout ce qu’elle aurait pu imaginer. D’ailleurs elle n’a probablement rien imaginé ou vraiment planifié. Jeanne ment comme elle respire. Souvent sur ce qu’elle est. Pour qu’on la regarde, pour qu’on la considère, pour se sentir exister. Dans le regard de cet avocat et sa belle-fille qui la regardent avec un certain dédain. Dans le regard de sa mère qui désapprouve sa liaison avec Franck et voudrait qu’elle trouve un travail digne de ce nom. Dans le regard de Franck qui va violemment se détourner d’elle. Et puis Jeanne agit aussi sur un coup de folie, réagissant à la violence de ce désamour, sans vraiment réfléchir, comme lorsqu’elle déambule à rollers, et glisse sur le temps qui passe, et ses mensonges qui défilent. La caméra fébrile d’André Téchiné accompagne judicieusement son glissement et son chaos intérieurs, portés par une bande originale aussi envoûtante qu’inquiétante (musique originale de Philippe Sarde, musique de Bob Dylan –voir extrait ci-dessous-).
Et puis ce fait divers n’est finalement qu’un prétexte. Un prétexte pour de nouveau évoquer des rendez-vous manqués, des êtres égarés dans ces "temps qui changent", aussi socialement installés semblent-ils (comme Samuel) ou aussi libres semblent-ils (Catherine Deneuve, de nouveau étonnante, et parfaitement crédible, magnifique scène où elle observe Samuel sans oser le rejoindre). Des êtres en quête d’amour et d’identité (parallèle entre Nathan qui refuse une identité juive que Jeanne a endossée et s’est inventée). Des êtres en quête de repères dans une société où on communique sur msn, où la vie va aussi vite qu’une déambulation à rollers, où on voit sans regarder.
Dans le regard, tellement sensible et empathique de Téchiné, Jeanne est une victime de l’emballement médiatique, de la politique qui cherche des justifications, même fallacieuses, à son action, d’une société intransigeante et impatiente qui broie les êtres égarés et plus fragiles. Reste ce terrible mensonge qui risque de banaliser les actes similaires qui, malheureusement, continuent d’exister. En témoigne la triste et périlleuse banalisation des propos d’un « homme politique » qui, il y a quelques jours encore, dans la consternante quasi indifférence générale assimilait à un « détail » l’horreur absolue du 20ème siècle. Cela témoigne aussi de cette société que Téchiné montre ici et qui qui zappe d’une information à une autre, sans forcément prendre le temps de s’arrêter, voire de s’indigner.
En cinquante jours, André Téchiné a signé un film, à nouveau, d’une étonnante modernité portée par des acteurs dont il souligne une nouvelle fois le talent : Emilie Dequenne absolument sidérante qui nous emmène dans sa folie ordinaire et d’autant plus troublante, Nicolas Duvauchelle, qui excelle toujours dans ces rôles à vif, Michel Blanc qui retrouve Téchiné après son admirable dernier film « Les Témoins », et l’impériale Catherine Deneuve, qui retrouve le cinéaste pour la sixième fois, aussi crédible en mère aimante et libre vivant dans un pavillon de banlieue que dans n’importe quel rôle.
Parmi mes très nombreuses péripéties au cours de mes pérégrinations festivalières et cinématographiques, depuis déjà une bonne dizaine d’années, celle de ce 14 mars restera parmi les excellents souvenirs puisque, après avoir assisté à la projection du film « Les yeux de sa mère », j’ai partagé un déjeuner presse avec l’équipe du film : Catherine Deneuve, Marina Foïs, Marisa Paredes, Géraldine Pailhas, Nicolas Duvauchelle, Jean-Baptiste Lafarge… mais un peu de patience, avant de vous faire le compte rendu de ce déjeuner et de (presque) tout vous dire sur ces rencontres, place à la critique du film.
CRITIQUE – LES YEUX DE SA MERE de Thierry KLIFA
« Les yeux de sa mère » est le troisième film de Thierry Klifa, ancien critique de Studio (du temps où il n’était que Studio Magazine et pas encore Studio Ciné Live), après « Une vie à t’attendre » et « Le héros de la famille », il sortira en salles le 23 mars. Après s’être intéressé au père dans « Le héros de la famille », Thierry Klifa (avec son coscénariste Christopher Thompson avec qui il a également coécrit le premier film en tant que réalisateur de ce dernier « Bus Palladium » auquel il est d’ailleurs fait un clin d’œil dans ce film) s’est, cette fois-ci, intéressé à la mère qu’elle soit présente ou absente.
A Paris, un écrivain en mal d'inspiration, Mathieu Roussel (Nicolas Duvauchelle) infiltre la vie d'une journaliste qui présente le journal télévisé, Lena Weber (Catherine Deneuve) et de sa fille danseuse étoile, Maria Canalès (Géraldine Pailhas) pour écrire à leur insu une biographie non autorisée. Pendant ce temps, en Bretagne, un garçon de 20 ans, Bruno (Jean-Baptiste Lafarge), qui habite avec ses parents, ne sait pas encore les conséquences que toute cette histoire va avoir sur son existence.
Les yeux de sa mère » débute par le décès du père de Maria, dans les larmes et la douleur. Thierry Klifa revendique ainsi d’emblée le genre du film, celui du mélodrame auquel il est une sorte d’hommage. Un cinéma des sentiments exacerbés, des secrets enfouis, des trahisons amères, des amours impossibles. Un cinéma qui, sans doute, irritera ceux qui, il fut un temps, évoquait ce « cinéma de qualité française » avec un certain mépris mais qui enchantera les autres pour qui comme disait Gabin "pour faire un bon film il faut trois choses: une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire » et ceux pour qui le cinéma doit faire preuve de la flamboyance et de l’exaltation qui font parfois défaut à l’existence.
Depuis son succès, dix ans auparavant intitulé « Palimpseste », à l’image d’un palimpseste qui justement se construit par destruction et reconstruction successive, Mathieu, écorché par la vie, ayant perdu sa mère jeune, va donc d’abord s’acharner à déconstruire, au départ sans se soucier des conséquences, étant un peu « hors de l’existence » à l’image du personnage de Stephan interprété par Daniel Auteuil dans « Un cœur en hiver » que Thierry Klifa a d’ailleurs conseillé à Nicolas Duvauchelle de revoir. Mathieu, c’est Nicolas Duvauchelle un peu inquiétant, un peu ailleurs, qui en voulait déconstruire la vie des autres va, peut-être, se reconstruire.
« Les yeux de sa mère » est un film dense et ambitieux avec beaucoup de séquences. Cela va vite, presque trop, tant les sujets (trahison, filiation, deuil insurmontable, création…) et personnages qui les incarnent sont nombreux. La très belle musique de Gustavo Santaolalla (lauréat d’un Oscar en 2007 pour un magnifique film, là aussi choral, « Babel ») fait heureusement le lien entre ces différentes séquences.
Le film reflète ce que j’ai pu entrevoir de Thierry Klifa : de l’enthousiasme, une connaissance et un amour du cinéma et des acteurs, et de l’humilité. De l’enthousiasme pour la vie, pour ses personnages malgré ou à cause de leurs fêlures. De l’humilité qui peut-être est cause du principal défaut du film, celui de brasser trop de personnages (certes caractéristique du film choral) et de sujets de peur, peut-être, que le spectateur ne s’ennuie alors que dans « Une vie à t’attendre » il montrait justement qu’il savait raconter une histoire simple sans trop de personnages. « Les yeux de sa mère » semble contenir plein d’ébauches de films tant Thierry Klifa est sans doute imprégné de films et de sujets si bien qu’il nous laisse un peu sur notre faim, regrettant de laisser ses personnages finalement tous attachants à leurs destins (qui pourraient d’ailleurs donner lieu à une suite). Enfin un amour des acteurs. Aucun n’est délaissé, des rôles principaux aux rôles plus secondaires, chacun ayant sa scène phare et il faut reconnaître à Thierry Klifa et Christopher Thompson possèdent le talent d’esquisser les traits de leurs personnages et de les faire pleinement exister en quelques plans.
Mention spéciale à la découverte Jean-Baptiste Lafarge (qui n’avait jamais rien tourné jusqu’alors et dont la seule expérience se réduisait aux cours de théâtre de son lycée) parfait en jeune boxeur, personnage déterminé et à fleur de peau, à la fois sincère, naïf et épris d’absolu.
Quant à Catherine Deneuve, dans un rôle encore une fois très différent du précèdent, dans « Potiche » (où elle était irrésistiblement drôle), en quelques secondes, en un regard, elle passe d’un état à un autre (et par voie de conséquence le spectateur lui aussi passe d’un état à un autre), soudainement bouleversée et absolument bouleversante (notamment dans la scène sur le quai de la gare avec Nicolas Duvauchelle tournée en un plan séquence). Ce regard m’a rappelée celui de ce sublime film dont Julien Hirsh, directeur de la photographie des « Yeux de sa mère » était aussi directeur de la photographie : « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (dont je vous ai souvent parlé mais que je vous recommande vraiment !).
Le film est aussi un jeu de miroirs et mises en abyme. Entre Catherine Deneuve qui incarne une star du petit écran et Catherine Deneuve star de cinéma. Entre Géraldine Pailhas ancienne danseuse qui incarne une danseuse étoile. Entre l’écrivain dans le film qui infiltre la vie des autres et le cinéaste qui, par définition, même involontairement, forcément la pille aussi un peu. Entre l’écrivain voyeur de la vie des autres et le spectateur qui l’est aussi.
Hommage au mélodrame donc mais aussi aux acteurs, et à la mère chère au cinéma d’Almodovar dont une lumineuse représentante figure dans le film de Thierry Klifa en la personne de Marisa Paredes. Mère absente, qui abandonne, de substitution, adoptive, ou même morte. « Les yeux de sa mère » est aussi un thriller sentimental qui instaure un vrai suspense qui n’est néanmoins jamais meilleur que lorsqu’il prend le temps de se poser, de regarder en face « les choses de la vie » et de laisser l’émotion surgir ou dans un très beau montage parallèle qui reflète au propre comme au figuré la filiation du courage.
Un film de regards. Celui d’un réalisateur plein d’empathie pour ses personnages, d’admiration pour ses acteurs, et d’enthousiasme et qui nous les transmet. Ceux des acteurs dont sa caméra débusque les belles nuances. Et celui de Catherine Deneuve, une fois de plus dans les yeux de qui, si multiples et fascinants, il ne vous reste qu’à plonger. Ils vous émouvront et surprendront une fois de plus, je vous le garantis. J’attends aussi avec impatience le prochain film de Thierry Klifa, un cinéma de qualité française et populaire au sens noble du terme, un cinéma que je revendique d’aimer aussi bien qu’un cinéma plus social comme celui de Ken Loach ou Mike Leigh.
Récit de la rencontre exceptionnelle avec Catherine Deneuve, Marina Foïs, Marisa Paredes, Géraldine Pailhas, Nicolas Duvauchelle, Jean-Baptiste Lafarge
En préambule, je précise qu’aucune photo ou vidéo ne viendront illustrer cet article, celles-ci étant interdites par la maison de distribution en ces circonstances qui se doivent d’être plutôt conviviales. Il faudra vous contenter de mes mots, mon enregistrement sonore de trois heures n’étant pas très audible avec le cliquetis des couverts et aussi préférant je crois vous le relater et raconter mes impressions plutôt que de vous faire écouter une conversation décousue. Après la projection du film au cinéma du Panthéon, lieu que je fréquente assidûment et dont j’apprécie le caractère intimiste (et que je vous recommande au passage), rendez-vous était donné à 12H30 au-dessus dans le café restaurant de ce même cinéma, d’ailleurs décoré d’après les instructions de Catherine Deneuve.
Si, comme moi, pour qui ce déjeuner presse était une première (et une première prestigieuse) vous en ignorez le fonctionnement, sachez qu’il consistait en l’occurrence en quatre tables, chaque table composée de six places, dont quatre pour les « journalistes » et deux pour les membres de l’équipe du film qui tournent entre l’entrée, le plat de résistance, le fromage et le dessert. J’ai donc pris place et ai fait connaissance avec les autres convives, un sympathique blogueur-et non ce n’est pas du tout un pléonasme- de Publik’Art, une affable journaliste belge du quotidien le Soir totalement obnubilée par Catherine Deneuve et un journaliste dont je préserverai l’anonymat mais qui se contentait de regarder avec un œil goguenard l’assistance et moi a fortiori (car pas journaliste, pas du cénacle, pas considérable à ses yeux inquisiteurs et éreintés, sans doute). Je posai donc pas mal de questions à mes voisins (à l’exception du troisième dont il ne fallait pas être très perspicace pour constater qu’il n’aurait guère eu envie d’y répondre) pour évacuer mon anxiété et tenter d’oublier que quelques minutes plus tard j’allais me retrouver face à l’héroïne des films de Bunuel, Téchiné, Truffaut, Demy et de tant d’autres que j’aime tant, doutant encore néanmoins que la mystérieuse Catherine Deneuve serait vraiment quelques minutes dans cette même salle où déambulaient déjà les autres acteurs du film.
Puis Marisa Paredes accompagnée de sa traductrice s’est installée à notre table, un peu sur la réserve, dégageant beaucoup de classe, de retenue. Pas peu fière de comprendre ce qu’elle disait en Espagnol, je ne poussai néanmoins pas la témérité, le ridicule ou l’inconscience jusqu’à lui poser mes questions en Espagnol, me contenter d’osciller de la tête comme un chien sur la plage arrière d’une voiture lorsqu’elle parlait et attendant patiemment la traduction pour parler à nouveau. Je me surpris à me prêter à l’exercice que je redoutais pourtant (parce que non, je ne suis pas journaliste, et non d’ailleurs je ne souhaite pas l’être) et de poser des questions, en Français donc. Elle nous a d’abord parlé du film, évidemment, disant avoir accepté le projet car « l’histoire était intéressante, les personnages aussi » et parce qu’elle avait « la curiosité de travailler avec des personnes qu’elle ne connaissait pas » même si pour elle il y avait « une insécurité de ne pas parler la langue ». Elle a évoqué Paris où elle aime tout « sauf les taxis qu’on ne trouve jamais quand on en a besoin » et sa « grande complicité avec Catherine Deneuve, une grande vedette. » Evidemment impossible de rencontrer Marisa Paredes sans parler de Pedro Almodovar et son prochain film « La peau que j’habite », « un film encore plus complexe que ses précédents» selon elle. Elle n’a pas voulu répondre sur la possible sélection du film à Cannes mais son sourire valait acquiescement. Quand il lui propose un projet, il procède particulièrement en lui demandant d’abord si elle est libre à telle ou telle date plutôt que de lui envoyer d’abord le scénario toujours « très construit en profondeur », a-t-elle précisé. « Personne ne dirait non à Almodovar. On se sent privilégié d’être appelée par Almodovar. Pedro et moi avons une relation très complice, cela rend les choses plus faciles. Il a inventé un style qui lui est propre, a donné une autre image de l’Espagne » a-t-elle ajouté. Elle a également évoqué le Franquisme comme « une blessure qu’il faut refermer mais dont il y a toujours un risque qu’elle s’infecte » et aussi de la séparation stricte entre sa vie privée et sa vie professionnelle malgré « le problème de la presse rose très agressive. »
L’entrée n’était pas tout à fait terminée que déjà il fallait passer aux invités suivants : Marina Foïs et Jean-Baptiste Lafarge. J’ai été agréablement surprise par la sincérité, l’intelligence, la douce folie de la première qui, après avoir parlé de son rôle de « mère courageuse qui affronte ses émotions, la magnanimité du personnage, un rôle qui canalise sa folie » et de Catherine Deneuve « belle, intelligente avec ce truc prodigieux » a parlé aussi bien des scénarii qu’elle reçoit à réaliser alors qu’elle n’a aucun désir de réalisation car elle « ne raisonne pas en images », que de son rêve d’incarner Simone Weil au cinéma, que du théâtre auquel elle préfère le cinéma à cause du côté volatile du premier et parce qu’elle se trouve toujours « de moins en moins bien au fil des représentations car la mécanique intervient et que c’est donc moins intéressant et qu’il faudrait 30 représentations, pas plus». De temps à autre je ne pouvais m’empêcher de regarder autour espérant et redoutant à la fois la silhouette de Catherine Deneuve qui a fini par « apparaître » à l’autre extrémité de la pièce. Evidemment moins de questions pour Jean-Baptiste Lafarge, forcément parce que sa carrière débute tout juste et que jusque là il n’avait joué que dans des cours de théâtre au lycée, et des réponses moins longues, forcément aussi, parce qu’il n’est pas encore rodé à l’exercice. Il s’est tout de même dit impressionné mais que c’était finalement « plus facile de jouer face à des acteurs de ce niveau » et que « quand c’était parti il n’était plus le temps d’angoisser. »
Changement de plats et changement d’interlocuteurs avec cette fois Géraldine Pailhas et Nicolas Duvauchelle, en apparence très différents l’un de l’autre, une vraie maitrise de soi de la première, et une certaine désinvolture du second, l’une cherchant visiblement à dissimuler ses doutes, fêlures à tout prix et l’autre non (pas plus que son ennui assez visible, d’être là, et compréhensible tant cela doit être à la longue lassant de répondre toujours aux mêmes questions, de subir les mêmes regards inquisiteurs). En réponse à la journaliste belge (qui m’avait avoué, mais ne le répétez pas, n’être là QUE pour Catherine Deneuve et dont les questions tournaient donc essentiellement autour de cette dernière), Géraldine Pailhas a donc à son tour évoqué Catherine Deneuve, comme « une actrice de chair et de sang capable de tout jouer » (Catherine Deneuve dont je ne pouvais m’empêcher d’entendre la voix tellement reconnaissable à la table d’à côté). Pour elle ce rôle représente « une conquête plus qu’un défi. » Il s’agissait d’une « opportunité à saisir. » Les réponses de Géraldine Pailhas étaient parfois très longues sans doute un peu pour pallier celles, très courtes de son voisin, aussi il m’a semblée pour masquer ses doutes, paraissant parfois presque trop sûre d’elle, s’enorgueillissant, au contraire et à la surprise de Nicholas Duvauchelle, de ne pas être gênée de jouer dans le conflit et du fait que le danger soit pour elle au contraire d’être dans la complaisance. Ce dernier a avoué avoir été très éprouvé par la scène du cimetière. Et évidemment ma voisine belge lui a demandé ce qu’il pensait de Catherine Deneuve, ce à quoi il a répondu (sans doute pour la énième fois) qu’elle était « très drôle, très maternelle, toujours dans le vif, une évidence ».
Puis est arrivée l’heure du dessert… et de Catherine Deneuve et Thierry Klifa. Accompagnés de deux personnes. Enfin accompagnéE de deux personnes aux petits soins. Silence respectueux et un peu intimidé de trois des convives et toujours goguenard pour le quatrième. Thierry Klifa particulièrement souriant, sous doute habitué aussi à ce manège probablement instructif à observer. Catherine Deneuve presque grave, déplaçant une lampe et ce cher journaliste dont je respecterai, toujours et malgré tout, l’anonymat ayant un humour aussi légendaire que son air goguenard de demander à Catherine Deneuve « si elle refaisait ainsi la décoration à chaque fois qu’elle venait », ce à quoi elle a répondu avec une douce autorité que simplement la lumière la gênait. Il a précisé que c’était de l’humour. Vous vous en doutez tout le monde a trouvé cela absolument irrésistible, surtout lui-même. Puis silence… Je ne pouvais m’empêcher de me dire à quel point tout cela devait être amusant et lassant à ses yeux. Amusant de voir qu’elle dont je ne doute pas une seconde qu’elle sache être si drôle, ironique, brillante, modifie ainsi l’atmosphère et provoque le silence et le trouble. Elle dont je me souviens que lors de cette mémorable master class à sciences po elle avait parlé de ces rencontres qui la terrifiaient. Elle que j’avais aussi vue un peu lointaine et éblouissante lors de sa master class cannoise. Elle que certains sans doute auront trouvé froide ou distante mais dont je devinai à la fois l’amusement, le trac, la lassitude, tour à tour ou en même temps. Finalement notre journaliste belge a enfin posé ses questions à celle pour qui seule elle était là dont une particulièrement délicate sur la fin de sa carrière (et moi qui, avant cette rencontre redoutais de poser des questions ridicules ou absurdes). Elle a allumé une cigarette, avec classe, presque détachement, en apparence du moins, sans doute un moyen de se donner une contenance et de se conformer à son rôle, celle de la star, pas parce qu’il lui plait de le jouer mais parce que c’est ce que chacun semble attendre d’elle. J’étais bien décidée à poser mes nombreuses questions d’abord à Thierry Klifa mais notre ami-dont-je-respecterai-l’anonymat semblait prendre un malin plaisir à me couper la parole pour poser des questions extrêmement originales à Catherine Deneuve « Est-ce que vous arrivez à sortir de vos rôles après un film ? Est-ce une nécessité pour vous de jouer ? ». Puis enfin, j’ai pu m’exprimer et parler avec Thierry Klifa de mon film préféré « Un cœur en hiver » auquel il se réfère dans le dossier de presse (ainsi qu’à deux de mes films fétiches « La femme d’à côté » de Truffaut et « La fièvre dans le sang » de Kazan ou encore au cinéma de James Gray mais malheureusement le temps a manqué pour évoquer ces sujets) , plus pour lui « une musique qui l’accompagne qu’un modèle » . Ses réponses étaient vraiment intéressantes et j’avoue que j’aurais eu encore des dizaines de questions à lui poser. Puis je lui ai parlé du directeur de la photographie Julien Hirsch moyen aussi de parler à Catherine Deneuve de ce sublime film « Je veux voir » -dont il est aussi directeur de la photographie- qui est aussi affaire de regards (manière détournée de m’adresser à elle tout en posant une question à Thierry Klifa) seul moment où je crois avoir vu son regard s’illuminer. J’aurais voulu qu’elle parle de ce film mais le temps était compté. Thierry Klifa a répondu avoir été heureux de travailler pour la première fois avec Julien Hirsch avec qui il n’avait jamais travaillé mais qui avait déjà travaillé à plusieurs reprises avec Catherine Deneuve et qui sait s’adapter aux univers de chaque cinéaste. C’est le seul dialogue au cours duquel je n’ai pas pris de notes. J’étais captivée par la lumineuse présence de Catherine Deneuve tout de rose vêtue, à la fois là et un peu ailleurs, croisant furtivement son regard perçant. Je n’osais la regarder de peur que ce regard passe pour scrutateur ou comme tant d’autres cherchant des stigmates du temps que chacun doit tenter de débusquer (mais qui l’ont épargnée et que de toute façon sa magnétique présence ferait oublier) ou ayant l’impression que ce regard, un de plus encore s’ajouterait à tous ceux qui la fixent constamment et serait presque indécent (pour ceux qui ne le sauraient pas encore, ma devise est « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué »). Elle a parlé des témoignages de sympathie qu’elle reçoit, de ces personnes (comme c’est le cas pour Lena dans le film) qui la dévisagent constamment qu’elle envisage différemment selon qu’elle est déprimée ou de bonne humeur, des rôles qu’elle reçoit qui sont souvent les mêmes et en réponse à Monsieur Goguenard du cinéma dont elle ne sait si c’est nécessaire car elle a toujours vécu là-dedans. Je ne me souviens pas de tout. Je n’ai pas noté donc. Je ne le souhaitais pas. Juste être dans l’instant. Profiter de ce moment rare. J’ai rebondi sur une ou deux questions mais il me semble que ce qui se disait dans les gestes, les silences et les regards étaient plus intéressants que les mots. Puis elle est partie. Un peu comme une ombre ou un beau mirage évanescent. Elle a sans doute dit au revoir, je n’ai rien entendu. Moi aussi je crois que j’étais à mon tour un peu ailleurs…
Trois heures qui se sont écoulées comme un rêve, à la rapidité d’un générique de cinéma auquel elles ressemblaient. Bien sûr de ces trois heures je ne vous ai retranscrit que quelques bribes, l’essentiel ayant finalement été dans l’implicite.
Vous ne serez pas surpris si je vous dis que notre ami goguenard est parti sans dire au revoir, que mes tentatives d’amorce de conversation, connaissant bien son journal ayant un lien particulier avec, ne se sont soldées que par des soupirs de consternation (au moins aurons-nous eu celle-ci en commun). Et je ne peux que comprendre la lassitude de Nicholas Duvauchelle, de Catherine Deneuve ou des autres face à ce manque d’élégance, marque, au-delà de l’absence d’humilité, d’un défaut de talent, en tout cas de psychologie, belle illustration des propos de Marina Foïs sur les grands acteurs face auxquelles il est si facile de jouer, qui d’une certaine manière ne s’embarrassent pas d’une comédie pathétique. Cette comédie humaine que j’ai constaté dans tant de circonstances cinématographiques (pour connaître réellement quelqu’un, placez le soit dans un théâtre de guerre ou dans un théâtre des vanités, par exemple un festival, c’est imparable) à la fois belle et pathétique ne cessera de m’amuser, ou consterner, selon les jours.
Un beau moment en tout cas dont je suis ressortie avec des tas d’images, d’impressions (que je retranscrirai ailleurs…) mais surtout de regards insolents, lasses, farouches, maquillés (au figuré), absents, incisifs, mécaniques, brumeux, enthousiastes et surtout d’un perçant que je ne verrai plus jamais pareil même si et heureusement il a conservé tout son mystère, résisté à la lumière tapageuse et insatiable. D’une lampe détournée et pas seulement…
Catherine Deneuve a reçu un Ibis d'or pour l'ensemble de sa carrière lors du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville 2017.
Et pour terminer, petit souvenir du festival Lumière 2016 (lors duquel Catherine Deneuve a reçu le prix Lumière) et de la librairie du festival où mon recueil s'est retrouvé en prestigieuse compagnie :