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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022 : programme complet de la 48ème édition

    Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022  programme.jpg

    Pour l’édition 2021 du Festival du Cinéma Américain de Deauville, l’ouverture au son des Moulins de mon cœur de Michel Legrand (ré)interprétés au piano par Steve Nieve, à l'image de l'affiche de cette précédente édition, nous invitait à embrasser la vie, à nous étourdir de cinéma, pour nous éloigner de l'âpreté de l'actualité. Les films, toujours un instantané de l'Amérique contemporaine, nous y ramenaient cependant aussi, déconstruisant le rêve américain, explorant le besoin de (re)pères d’êtres désorientés, traquant le mensonge. Le portrait d’une Amérique déboussolée, en quête de vérité, se raccrochant aux liens familiaux souvent dépeints comme instables. Plus que jamais, le cinéma et ce festival se révèlent indispensables. Pour braquer la lumière sur les ombres du monde. Pour essayer de les éclairer. Mais aussi pour s’en évader.

    La conférence de presse de cette 48ème édition du festival a eu lieu ce jeudi 18 août à 11H30 aux Franciscaines de Deauville.  Je vous invite à me suivre en direct du festival sur Instagram (@Sandra_Meziere.)

    De l’édition 2022, la 48ème, nous savons que :

    -elle se déroulera du 2 au 11 septembre au Centre International de Deauville, au casino et au Cinéma Morny, tout juste repris par le groupe présidé par Richard Patry,

    -l’affiche rend hommage au Magicien d’Oz de Victor Fleming,

    Le Magicien d'Oz.jpg

    -Arnaud Desplechin en présidera le jury. (Retrouvez, ici ma critique de son dernier film Frère et sœur.) Un film sublime mais suffocant qui serre le cœur et  dont on ressort prêts à affronter les vicissitudes torves et terrassantes de l'existence, et à laisser le cinéma et la poésie les réenchanter...une fois de plus.

    Frere et soeur de Desplechin critique du film.jpg

    -

     - Arnaud Desplechin sera entouré de : Jean Paul Civeyrac, Pierre Deladonchamps, Yasmina Khadra, Sophie Letourneur,  Alex Lutz et Marine Vacth.

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    - Les films en compétition parmi lesquels 8 premiers films, avec pour thématique récurrente annoncée, le passage à l’âge adulte, sont les suivants :

    1-800-HOT-NITE de Nick Richey

    AFTERSUN de Charlotte Wells - 1er film

    DUAL de Riley Stearns

    EMILY THE CRIMINAL de John Patton Ford - 1er film

    MONTANA STORY de Scott McGehee & David Siegel

    OVER/UNDER de Sophia Silver - 1er film

    PALM TREES AND POWER LINES de Jamie Dack - 1er film

    PEACE IN THE VALLEY de Tyler Riggs

    SCRAP de Vivian Kerr - 1er film

    STAY AWAKE de Jamie Sisley - 1er film

    THE SILENT TWINS d’Agnieszka Smoczyńska

    WAR PONY de Gina Gammell & Riley Keough - 1er film

    WATCHER de Chloe Okuno - 1er film

    -  L’actrice Lucy Boynton recevra le Prix du Nouvel Hollywood lors de la soirée d’ouverture, le vendredi 2 septembre, à 19H30. La cérémonie sera suivie de la projection de Call Jane de Phyllis Nagy : un film « incontournable à l’heure où l’Amérique remet en question le droit à l’avortement. »

    - Falcon lake de Charlotte Lebon recevra le Prix d’Ornano-Valentin succédant ainsi au film  Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona. Titre qui sied magnifiquement à ce film enfiévré de sons et de musiques qui suinte la fougue, l’énergie, le désir, les certitudes folles, l’urgence ardente, la fragilité, le charme et la déraison de la jeunesse. Un vertige fascinant d’ondes et de lueurs stroboscopiques. Une expérience sensorielle qui vous donne envie d’empoigner et danser la vie, l’avenir et la liberté et que je ne peux que vous recommander à nouveau et dont vous pouvez lire ma critique complète ici.

    falcon lake.jpg

    -Le prix littéraire Lucien Barrière sera attribué à Michael Feeney Callan pour son livre sur Robert Redford publié aux Editions La Trace.

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    Le jury de la révélation sera cette année présidé par Elodie Bouchez. Elle sera accompagnée d’Andréa Bescond, Eddy de Pretto, Nicolas Pariser, Agathe Rousselle, et Yolande Zauberman.
    Ils remettront tous ensemble le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation lors de la cérémonie de clôture le 10 septembre. 

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    - Un film événement sera projeté à Deauville : BLONDE d'Andrew Dominik avec Ana de Armas sera projeté en Première à Deauville

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    Inspiré du best-seller de Joyce Carol Oates, BLONDE réinvente avec audace la vie de Marilyn Monroe et explore le décalage entre son image publique et sa vraie nature. Adapté du best-seller de Joyce Carol Oates, Prix littéraire Lucien-Barrière en 2010, BLONDE est une relecture audacieuse de la trajectoire de Marilyn Monroe. Écrit et réalisé par Andrew Dominik, le film réunit au casting Ana de Armas, Bobby Cannavale, Adrien Brody, Julianne Nicholson, Xavier Samuel et Evan Williams.

    Le film sera projeté en première française, en présence du réalisateur Andrew Dominik et de la comédienne Ana de Armas.

    - A l'occasion de la projection de BLONDE, Ana de Armas recevra le Prix du Nouvel Hollywood.

    - L’heure de la Croisette - Pour la troisième année consécutive, le festival s’associe avec le Festival de Cannes. La sélection cannoise sera entièrement consacrée au Palmarès 2022 et présentera la Palme d’or ainsi que les deux Grand Prix. Thierry Frémaux, Délégué Général du Festival de Cannes, sera présent à Deauville et présentera ces œuvres :

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    - SANS FILTRE de Ruben Östlund - Palme d’or 2022 - Avec Har­ris Dickin­son, Charlbi Dean, Woody Harrelson. Présenté en présence du réalisateur le jeudi 8 septembre à 19H30.

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    - CLOSE de Lukas Dhont - Grand Prix (Ex-aequo) 2022 - Avec Eden Dambrine, Gustav De Waele, Émilie Dequenne, Léa Drucker

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    - STARS AT NOON de Claire Denis - Grand Prix (Ex-aequo) 2022 - Avec Margaret Qualley, Joe Alwyn, Danny Ramirez

    - Fenêtre sur le cinéma français - Pour la deuxième année, le festival accueillera une sélection exclusive de trois films en avant-première mondiale pour une fenêtre française, en présence de leurs équipes.

    -  LA GRANDE MAGIE de Noémie Lvovsky 

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    Avec Denis Podalydès, Sergi López, Noémie Lvovsky, Judith Chemla, François Morel, Damien Bonnard, Rebecca Marder
    Un conte musical et baroque librement adapté de la pièce de théâtre « La grande magia » d’Eduardo de Filippo.


    - LA TOUR de Guillaume Nicloux

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    Avec Angèle Mac, Hatik, Ahmed Abdel-Laoui
     Le nouveau film de Guillaume Nicloux qui affirme cette vérité : le pire ennemi de l’Homme est bien lui-même.


    - LES RASCALS de Jimmy Laporal-Trésor

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    Avec Jonathan Feltre, Angelina Woreth, Missoum Slimani, Victor Meutelet
    Le premier long métrage du réalisateur de SOLDAT NOIR, court métrage remarqué à la Semaine de la Critique 2021 et nommé au César du meilleur court métrage cette année.

    - Comédienne de blockbusters, séries, théâtre et films d’auteurs, Thandiwe Newton se verra décerner un Deauville Talent Award.

    Dans la section « Premières » seront projetés les films suivants :

    ALICE de Krystin Ver Linden

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    ARMAGEDDON TIME de James Gray ( le samedi 3 septembre à 20H)

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    AT THE GATES d’Augustus Meleo Bernstein

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    BLONDE d’Andrew Dominik (le vendredi 9 septembre, précédé de la remise du Nouvel Hollywood à Ana De Armas)

    BLOOD de Brad Anderson (le lundi 5 septembre à 17H30)

    CALL JANE de Phyllis Nagy - Film d'ouverture

    DON’T WORRY DARLING d’Olivia Wilde - Film de clôture

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    GOD’S COUNTRY de Julian Higgins (le mardi 6 septembre, un polar féminin porté par Thandiwe Newton. Un Deauville Talent Award sera remis par Julie Gayet à la comédienne avant la projection).

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    JUNE ZERO de Jake Paltrow (le mercredi 7 septembre, Jake Paltrow est le frère de Gwyneth Paltrow, ce « film audacieux lève le secret sur la mort du criminel de guerre Adolf Eichmann).

    WHEN YOU FINISH SAVING THE WORLD de Jesse Eisenberg (projection le dimanche 4 septembre, après la remise du Deauville Talent Award à Jesse Eisenberg, à 20H avant la projection de son premier film en tant que réalisateur)

    X de Ti West

    Les films de la section « Les Docs de l’Oncle Sam »  :

    BELUSHI de R. J. Cutler

    BODY PARTS de Kristy Guevara-Flanagan

    BONNIE de Simon Wallon

    HALLELUJAH : LES MOTS DE LEONARD COHEN de Dan Geller & Dayna Goldfine

    HOLLYWOOD BUSINESS de Pascal Mérigeau, Bruno Icher & Jérémy Leroux

    LYNCH / OZ d’Alexandre O. Philippe

    MOONAGE DAYDREAM de Brett Morgen

    TELEVISION EVENT de Jeff Daniels

    THE WILD ONE de Tessa Louise-Salomé

    Carte blanche à Philippe Garnier de la Cinémathèque Française :

    Pour accompagner la sortie de « Génériques, la vraie histoire des films », recueil de textes de  Philippe Garnier consacrés au cinéma américain de l’aube des années 1940 à la fin de l’année  1977, le festival propose, en association avec la Cinémathèque française, partenaire fidèle du  Festival du cinéma américain de Deauville, et l’éditeur The Jokers Publishing, une Carte  Blanche à Philippe Garnier en présentant six films emblématiques de cette autre histoire du  cinéma américain :

    LE SECRET DERRIÈRE LA PORTE de Fritz Lang

    LA CITÉ SANS VOILES de Jules Dassin

    LE GRAND CHANTAGE d’Alexander Mackendrick

    LA CHEVAUCHÉE DES BANNIS d’André De Toth

    LE CONVOI SAUVAGE de Richard C. Sarafian

    TUEZ CHARLEY VARRICK ! de Don Siegel

    Le jeudi 8 septembre, à la suite d’une rencontre publique à Deauville aux Franciscaines, animée par Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque  française, Philippe Garnier fera une séance de dédicaces de son ouvrage. Un cycle augmenté de douze films sera repris à la Cinémathèque française du 14 au 19 septembre prochains

    - Le Festival du cinéma américain de Deauville soutient la création musicale. Afin de renforcer une nouvelle fois le dialogue entre la musique et le cinéma, le festival a  souhaité mettre davantage en lumière la création musicale pour le cinéma. Ainsi, grâce au  soutien de la SACEM, le festival a invité Jérôme Rebotier, compositeur français de musique  de film, à venir participer à la vie du festival. Après Brisa Roché en 2019, Steve Nieve en 2020 et Audrey Ismaël en 2021, Jérôme Rebotier  composera certaines musiques spécialement pour le festival, que le public pourra écouter lors  des cérémonies officielles.

    - Retrouvez mon compte-rendu de l’édition 2021 du Festival du Cinéma Américain de Deauville dans le Magazine Normandie Prestige 2022 et ici.

    - Retrouvez aussi ma vision plus romanesque de Deauville dans ma nouvelle La porte des rêves parue en janvier aux Editions J’ai Lu (recueil « feel good » Avec ou sans Valentin), dans deux nouvelles de mon recueil Les illusions parallèles (Editions du 38- 2016) et pour aller un peu plus loin, partez pour Trouville avec ma nouvelle Les âmes romanesques, lauréate du prix Alain Spiess 2020, désormais disponible en podcast, ici.

    Pour connaître mon lien particulier avec ce festival et Deauville, retrouvez aussi mon interview dans la Gazette des Planches d’Automne 2021 mais aussi l’article du magazine Le 21ème de juin 2022 et du magazine Normandie Prestige 2022 (disponible à partir de ce mois-ci). Ces articles sont aussi à retrouver dans la rubrique « presse » de ce blog.

  • Critique de FRÈRE ET SŒUR d’Arnaud Desplechin

    cinéma, film, frère et soeur, Arnaud Desplechin, Marion Cotillard, Melvil Poupaud, Festival de Cannes 2022

    Dans Les Fantômes d’Ismaël, la vie d’un cinéaste, Ismaël (Mathieu Amalric) est bouleversée par la réapparition de Carlotta, un amour disparu 20 ans auparavant. Un personnage irréel à la présence troublante et fantomatique incarné par Marion Cotillard, filmée comme une apparition, pourtant incroyablement vivante et envoûtante, notamment dans cette magnifique scène d’une grâce infinie lors de laquelle elle danse sur It Ain't Me Babe de Bob Dylan, une scène qui, à elle seule, justifie de voir le film en question. Dans ce film de 2017, Desplechin jongle avec les codes du cinéma pour mieux les tordre et nous perdre. A la frontière du réel, à la frontière des genres (drame, espionnage, fantastique, comédie, histoire d’amour), à la frontière des influences (truffaldiennes, hitchcockiennes -Carlotta est ici une référence à Carlotta Valdes dans Vertigo d’Hitchcock-) ce film est savoureusement inclassable, et à l’image du personnage de Marion Cotillard : insaisissable, et nous laissant une forte empreinte. Comme le ferait un rêve ou un cauchemar. Un film plein de vie, un dédale dans lequel on s’égare avec délice. Un film résumé dans la réplique suivante : « la vie m'est arrivée. » La vie avec ses vicissitudes imprévisibles que la poésie du cinéma enchante et adoucit.

    Dans Tromperie, le précédent film d'Arnaud Desplechin, dès la séquence d’ouverture, le cinéma, à nouveau, (ré)enchante la vie. Le personnage de l’amante incarnée par Léa Seydoux se trouve ainsi dans une loge du théâtre des Bouffes du Nord. Là, elle se présente à nous face caméra et nous envoûte, déjà, et nous convie à cette farandole utopique, à jouer avec elle, à faire comme si, comme si tout cela n’était pas que du cinéma. Un film solaire et sensuel, parfois doucement cruel mais aussi tendre, même quand il évoque des sujets plus âpres. Une réflexion passionnante sur l’art aussi et sur la vérité. Une réflexion que l’on trouve aussi dans Frère et sœur.

    Si dans Les Fantômes d’Ismaël, la présence de Marion Cotillard était troublante, elle est ici dans le rôle d’Alice carrément dérangeante pour son frère Louis (Melvil Poupaud). Ces deux-là se vouent une haine sans bornes. Elle est actrice. Il est professeur et écrivain. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans. Un terrible accident qui conduit leurs deux parents en soins intensifs à l’hôpital va les réunir. Une scène aussi magistrale que terrible. A l’image de ce film.

    On retrouve ici tous les thèmes habituels de Desplechin, dans une sorte de maelstrom d’émotions qui ne nous laisse pas indemnes. Comme un voyage qu’on n’aurait jamais eu la folie d'effectuer si on avait connu d’avance les épreuves auxquelles il nous confronterait mais qu’on ne regrette malgré tout pas d’avoir entrepris pour la sensation qu’il nous laisse. Ce film est déchirant, éprouvant, déroutant aussi. Et Desplechin s’y amuse une fois de plus avec les codes narratifs du cinéma.

    Le début est aussi suffocant qu’impressionnant. La famille s’est rassemblée autour de Louis et sa compagne après le décès de leur enfant. Tout à coup, le mari de la sœur de Louis surgit. Louis déborde soudain de colère contre lui et sa sœur qui attend à la porte.  « Tu avais 6 ans pour le rencontrer. Tu n’as rien perdu. J’ai perdu plus que ma vie. » Elle reste dehors, effondrée. Générique. Pas de temps mort. Survient ensuite l'accident qui nous saisit à son tour...

    Le spectateur ne connaîtra jamais vraiment les raisons de cette haine même si des indices sont parsemés et même si quelques flashbacks nous éclairent. L’orgueil blessé ? La jalousie ? Des relations dépassant ceux qui lient normalement un frère et une sœur ? Un amour excessif ? Ou bien une haine tenace mais surtout irrationnelle dont l’un et l’autre ne connaissent même peut-être pas la réelle cause. Il a fait d’elle un personnage de ses livres : « Je ne savais plus comment supporter la honte » dira-t-elle. Une honte telle qu’elle se frappera pour exorciser la douleur. « Je ne pardonnerai jamais à Louis. » Elle n’a pas supporté de ne plus être l’héroïne dans la vie. Son père avait écrit à son sujet : « Tu seras aimée, follement. ». « Cela me plaisait d’être son héroïne. Cela faisait dix ans qu’il n’arrêtait pas d’échouer. Il était dans mon ombre. » Alors un jour, elle lui dira « Je te hais » comme elle lui aurait dit « j’ai froid » ou « je suis là » ou « je suis lasse » . Et, laconiquement, il répondra « D’accord ». Il lui faudra dix ans pour réaliser qu’elle le hait vraiment, ou pour construire cette haine :  « Un jour, la haine avait pris toute la place. », « Je veux que tu ailles en prison. Que tu paies pour ton orgueil. »  Alors, ils se sont haïs. Follement.

    Louis peut être aussi affreusement cruel. Une cruauté qui parsème toujours les films de Desplechin. Une cruauté tranchante. Il l’est avec son père. Avec son neveu avec qui subitement il changera de ton : « Arrête de sourire. Les gentils, c’est tiède. » Melvil Poupaud est comme toujours sur le fil, à fleur de peau, d’une vérité troublante. Marion Cotillard se plonge aussi corps et âme dans son rôle.

    Tous deux sont enfermés dans cette haine au-delà d’eux-mêmes, au bout d’eux-mêmes, au-delà même peut-être de toute rationalité, comme une course folle vers l‘abîme après laquelle le retour en arrière semble impossible. « On ne va pas mourir et te laisser en prison. Tu es enfermée » dira ainsi son père à Alice.

    Dans un couloir de l’hôpital, ébloui par son âpre lumière, Louis qui y est assis ne verra pas tout de suite que la femme qui s’avance vers lui n’est autre qu’Alice. On retrouve quelques instants  le suspense cher aussi à Desplechin, le mélange des genres aussi comme si les deux ennemis d’un western allaient être confrontés l’un à l’autre, enfin (western auquel des chevauchées feront d’ailleurs explicitement référence). Elle avance. Louis ignore le danger de la confrontation qui le menace. Et quand il le réalise, il s’enfuit comme un enfant terrifié et elle s’effondre littéralement. Dans Rois et Reine et Un conte de noël, déjà Desplechin explorait cette haine entre frère et sœur.

    Et puis au milieu de tous ces moment suffocants (la haine étouffante, les scènes à l’hôpital qui saisissent de douleur, les drames successifs, la dépression d’Alice) il y a tous ces éclats de beauté lors desquels la lumière change, se fait plus douce, caressante, consolante. Les scènes, magnifiques, de Louis avec sa femme, qui illuminent le film d’une grâce infinie grâce notamment à la présence solaire de Golshifteh Farahani. Une scène de pardon. Un envol au-dessus des toits et de la réalité.  Un emprunt au fantastique. Ou même à Hitchcock qui rappelle ses célèbres oiseaux quand la grêle agresse Alice comme la neige qui la recouvrira sur la scène du théâtre. Il brouille les repères entre cinéma et réalité. Avant qu’ils ne se rejoignent…

    Et puis il y a a nouveau « Roubaix », cette « lumière ». Celle d'Irina Lubtchansky.  « Vous avez vu ? C’est affreux.  On dirait que le soleil ne va pas se lever» dit ainsi un pharmacien à Alice.  Au sens figuré aussi, le soleil souvent ne se lèvera pas et nimbera les âmes et le film d'une obscurité oppressante et glaçante. Mais lorsqu’il se lève, lorsque la noirceur laisse place à lumière chaude et apaisante, une sorte de poésie réconfortante nous envahit jusqu’au soulagement final, qui irradie de soleil, de chaleur et de vie après cette plongée dans les complexités de l’âme humaine.  « Ici je suis envahie d’histoires. Tu vois, j’ai tout laissé derrière moi. Le théâtre, mon homme, mon fils. Je suis partie. Je me souviens de ce vers que tu m’avais appris. Carte compas par-dessus bord. Je n’ai plus ni carte ni compas. Je suis en vie » écrira alors Alice. Comme un écho au « La vie m’est arrivée » des Fantômes d’Ismaël. Cette fois, on a la sensation que la vie va lui arriver, douce enfin. Et l'on respire avec elle après ce film riche, intense, qui chavire et serre le cœur. Prêts à affronter les vicissitudes torves et terrassantes de l'existence, et à laisser le cinéma et la poésie les réenchanter...une fois de plus.

     Frère et sœur figurait parmi les films de la compétition officielle du Festival de Cannes 2022.

    Arnaud Desplechin présidera le jury du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022 dont voici l'affiche dévoilée cette semaine.

    cinéma, film, frère et soeur, Arnaud Desplechin, Marion Cotillard, Melvil Poupaud, Festival de Cannes 2022

  • Festival de Cannes 2022 - Compétition officielle - Critique de FRÈRE ET SŒUR d’Arnaud Desplechin

    Festival de Cannes 2022 5.jpg

    Dans Les Fantômes d’Ismaël, la vie d’un cinéaste, Ismaël (Mathieu Amalric) est bouleversée par la réapparition de Carlotta, un amour disparu 20 ans auparavant. Un personnage irréel à la présence troublante et fantomatique incarné par Marion Cotillard, filmée comme une apparition, pourtant incroyablement vivante et envoûtante, notamment dans cette magnifique scène d’une grâce infinie lors de laquelle elle danse sur It Ain't Me Babe de Bob Dylan, une scène qui, à elle seule, justifie de voir le film en question. Dans ce film de 2017, Desplechin jongle avec les codes du cinéma pour mieux les tordre et nous perdre. A la frontière du réel, à la frontière des genres (drame, espionnage, fantastique, comédie, histoire d’amour), à la frontière des influences (truffaldiennes, hitchcockiennes -Carlotta est ici une référence à Carlotta Valdes dans Vertigo d’Hitchcock-) ce film est savoureusement inclassable, et à l’image du personnage de Marion Cotillard : insaisissable, et nous laissant une forte empreinte. Comme le ferait un rêve ou un cauchemar. Un film plein de vie, un dédale dans lequel on s’égare avec délice. Un film résumé dans la réplique suivante : « la vie m'est arrivée. » La vie avec ses vicissitudes imprévisibles que la poésie du cinéma enchante et adoucit.

    Dans Tromperie, le précédent film d'Arnaud Desplechin, dès la séquence d’ouverture, le cinéma, à nouveau, (ré)enchante la vie. Le personnage de l’amante incarnée par Léa Seydoux se trouve ainsi dans une loge du théâtre des Bouffes du Nord. Là, elle se présente à nous face caméra et nous envoûte, déjà, et nous convie à cette farandole utopique, à jouer avec elle, à faire comme si, comme si tout cela n’était pas que du cinéma. Un film solaire et sensuel, parfois doucement cruel mais aussi tendre, même quand il évoque des sujets plus âpres. Une réflexion passionnante sur l’art aussi et sur la vérité. Une réflexion que l’on trouve aussi dans Frère et sœur.

    Si dans Les Fantômes d’Ismaël, la présence de Marion Cotillard était troublante, elle est ici dans le rôle d’Alice carrément dérangeante pour son frère Louis (Melvil Poupaud). Ces deux-là se vouent une haine sans bornes. Elle est actrice. Il est professeur et écrivain. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans. Un terrible accident qui conduit leurs deux parents en soins intensifs à l’hôpital va les réunir. Une scène aussi magistrale que terrible. A l’image de ce film.

    On retrouve ici tous les thèmes habituels de Desplechin, dans une sorte de maelstrom d’émotions qui ne nous laisse pas indemnes. Comme un voyage qu’on n’aurait jamais eu la folie d'effectuer si on avait connu d’avance les épreuves auxquelles il nous confronterait mais qu’on ne regrette malgré tout pas d’avoir entrepris pour la sensation qu’il nous laisse. Ce film est déchirant, éprouvant, déroutant aussi. Et Desplechin s’y amuse une fois de plus avec les codes narratifs du cinéma.

    Le début est aussi suffocant qu’impressionnant. La famille s’est rassemblée autour de Louis et sa compagne après le décès de leur enfant. Tout à coup, le mari de la sœur de Louis surgit. Louis déborde soudain de colère contre lui et sa sœur qui attend à la porte.  « Tu avais 6 ans pour le rencontrer. Tu n’as rien perdu. J’ai perdu plus que ma vie. » Elle reste dehors, effondrée. Générique. Pas de temps mort. Survient ensuite l'accident qui nous saisit à son tour...

    Le spectateur ne connaîtra jamais vraiment les raisons de cette haine même si des indices sont parsemés et même si quelques flashbacks nous éclairent. L’orgueil blessé ? La jalousie ? Des relations dépassant ceux qui lient normalement un frère et une sœur ? Un amour excessif ? Ou bien une haine tenace mais surtout irrationnelle dont l’un et l’autre ne connaissent même peut-être pas la réelle cause. Il a fait d’elle un personnage de ses livres : « Je ne savais plus comment supporter la honte » dira-t-elle. Une honte telle qu’elle se frappera pour exorciser la douleur. « Je ne pardonnerai jamais à Louis. » Elle n’a pas supporté de ne plus être l’héroïne dans la vie. Son père avait écrit à son sujet : « Tu seras aimée, follement. ». « Cela me plaisait d’être son héroïne. Cela faisait dix ans qu’il n’arrêtait pas d’échouer. Il était dans mon ombre. » Alors un jour, elle lui dira « Je te hais » comme elle lui aurait dit « j’ai froid » ou « je suis là » ou « je suis lasse » . Et, laconiquement, il répondra « D’accord ». Il lui faudra dix ans pour réaliser qu’elle le hait vraiment, ou pour construire cette haine :  « Un jour, la haine avait pris toute la place. », « Je veux que tu ailles en prison. Que tu paies pour ton orgueil. »  Alors, ils se sont haïs. Follement.

    Louis peut être aussi affreusement cruel. Une cruauté qui parsème toujours les films de Desplechin. Une cruauté tranchante. Il l’est avec son père. Avec son neveu avec qui subitement il changera de ton : « Arrête de sourire. Les gentils, c’est tiède. » Melvil Poupaud est comme toujours sur le fil, à fleur de peau, d’une vérité troublante. Marion Cotillard se plonge aussi corps et âme dans son rôle.

    Tous deux sont enfermés dans cette haine au-delà d’eux-mêmes, au bout d’eux-mêmes, au-delà même peut-être de toute rationalité, comme une course folle vers l‘abîme après laquelle le retour en arrière semble impossible. « On ne va pas mourir et te laisser en prison. Tu es enfermée » dira ainsi son père à Alice.

    Dans un couloir de l’hôpital, ébloui par son âpre lumière, Louis qui y est assis ne verra pas tout de suite que la femme qui s’avance vers lui n’est autre qu’Alice. On retrouve quelques instants  le suspense cher aussi à Desplechin, le mélange des genres aussi comme si les deux ennemis d’un western allaient être confrontés l’un à l’autre, enfin (western auquel des chevauchées feront d’ailleurs explicitement référence). Elle avance. Louis ignore le danger de la confrontation qui le menace. Et quand il le réalise, il s’enfuit comme un enfant terrifié et elle s’effondre littéralement. Dans Rois et Reine et Un conte de noël, déjà Desplechin explorait cette haine entre frère et sœur.

    Et puis au milieu de tous ces moment suffocants (la haine étouffante, les scènes à l’hôpital qui saisissent de douleur, les drames successifs, la dépression d’Alice) il y a tous ces éclats de beauté lors desquels la lumière change, se fait plus douce, caressante, consolante. Les scènes, magnifiques, de Louis avec sa femme, qui illuminent le film d’une grâce infinie grâce notamment à la présence solaire de Golshifteh Farahani. Une scène de pardon. Un envol au-dessus des toits et de la réalité.  Un emprunt au fantastique. Ou même à Hitchcock qui rappelle ses célèbres oiseaux quand la grêle agresse Alice comme la neige qui la recouvrira sur la scène du théâtre. Il brouille les repères entre cinéma et réalité. Avant qu’ils ne se rejoignent…

    Et puis il y a a nouveau « Roubaix », cette « lumière ». Celle d'Irina Lubtchansky.  « Vous avez vu ? C’est affreux.  On dirait que le soleil ne va pas se lever» dit ainsi un pharmacien à Alice.  Au sens figuré aussi, le soleil souvent ne se lèvera pas et nimbera les âmes et le film d'une obscurité oppressante et glaçante. Mais lorsqu’il se lève, lorsque la noirceur laisse place à lumière chaude et apaisante, une sorte de poésie réconfortante nous envahit jusqu’au soulagement final, qui irradie de soleil, de chaleur et de vie après cette plongée dans les complexités de l’âme humaine.  « Ici je suis envahie d’histoires. Tu vois, j’ai tout laissé derrière moi. Le théâtre, mon homme, mon fils. Je suis partie. Je me souviens de ce vers que tu m’avais appris. Carte compas par-dessus bord. Je n’ai plus ni carte ni compas. Je suis en vie » écrira alors Alice. Comme un écho au « La vie m’est arrivée » des Fantômes d’Ismaël. Cette fois, on a la sensation que la vie va lui arriver, douce enfin. Et l'on respire avec elle après ce film riche, intense, qui chavire et serre le cœur. Prêts à affronter les vicissitudes torves et terrassantes de l'existence, et à laisser le cinéma et la poésie les réenchanter...une fois de plus.

  • Critique de TROMPERIE d’Arnaud Desplechin (sortie le 29.12.2021)

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    Tromperie est une adaptation du livre Deception de Philip Roth publié en 1990 et sorti en 1994 en France.

    1987. Philip (Denis Podalydès) est un écrivain américain célèbre installé à Londres avec son épouse (Anouk Grinberg). Sa maîtresse (Léa Seydoux) vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants dans lequel ils vivent leur amour et parlent des heures durant.

    Tromperie a été présenté en séance spéciale sous le nouveau label Cannes Première du Festival de Cannes, label initié en 2021, réservé à des films de réalisateurs confirmés « que le festival suit depuis longtemps » selon la définition du Délégué Général du festival, Thierry Frémaux.

    Desplechin jouait déjà la scène finale avec Emmanuelle Devos dans le bonus DVD de Rois et Reines. S’il portait donc en lui cette œuvre depuis longtemps, son adaptation ne relevait pas moins du défi. C’est avec Julie Peyr, sa coscénariste, qu’il s’y est attelé, divisant ainsi le film en onze chapitres et un épilogue. Il s’agissait en effet d’adapter un film dont l’intrigue se déroule dans les années 1980, en Angleterre, avec des acteurs français, en langue française, et un film reposant essentiellement sur les dialogues très écrits. Défi relevé magistralement puisque le résultat est absolument captivant, évoquant des sujets parfois sombres (la mort qui obsède Philip, l’âge et la maladie qui sont aussi des sujets récurrents), teinté d'ironie et même d'humour, traversé par le désir (amoureux, de vie, d’art).

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    Dans Les Fantômes d’Ismaël, la vie d’un cinéaste, Ismaël (Mathieu Amalric) est bouleversée par la réapparition de Carlotta, un amour disparu 20 ans auparavant. Un personnage irréel à la présence troublante et fantomatique incarné par Marion Cotillard, filmée comme une apparition, pourtant incroyablement vivante et envoûtante, notamment dans cette magnifique scène d’une grâce infinie lors de laquelle elle danse sur It Ain't Me Babe de Bob Dylan (qui à elle seule justifie de voir le film en question).  Desplechin jongle avec les codes du cinéma pour mieux les tordre et nous perdre. A la frontière du réel, à la frontière des genres (drame, espionnage, fantastique, comédie, histoire d’amour), à la frontière des influences (truffaldiennes, hitchcockiennes - Carlotta est ici une référence à Carlotta Valdes dans Vertigo d’Hitchcock - ) ce film d’Arnaud Desplechin est savoureusement inclassable, et à l’image du personnage de Marion Cotillard : insaisissable, et nous laissant une forte empreinte. Comme le ferait un rêve ou un cauchemar. Un film plein de vie, un dédale dans lequel on s’égare avec délice. Un film résumé dans la réplique suivante : « la vie m'est arrivée. » La vie avec ses vicissitudes imprévisibles que la poésie du cinéma enchante et adoucit.

    Si j’effectue cette digression sur Les fantômes d’Ismaël, c’est parce que j’aurais pu tirer la même conclusion de ce dernier film de Desplechin. Dès la séquence d’ouverture, le cinéma, à nouveau, (ré)enchante la vie. Le personnage de l’amante incarnée par Léa Seydoux se trouve ainsi dans une loge du théâtre des Bouffes du Nord. Là, elle se présente à nous face caméra et nous envoûte, déjà, et nous convie à cette farandole utopique, à jouer avec elle, à faire comme si, comme si tout cela n’était pas que du cinéma. Parce que ludique, ce film l’est follement, notamment lors d’une scène burlesque de procès. Mais aussi dans la première séquence entre Philip et sa maîtresse. Il lui demande alors de décrire le bureau dans lequel ils se trouvent, ce qu’elle fait les yeux fermés avec poésie, malice, avec la complicité de la caméra de Desplechin qui nous invite dans cet autre dédale, à plonger pleinement dans chaque moment, à les vivre intensément, là, dans ce bureau qui devient le lieu de la liberté. Le lieu où l’amante anglaise est écoutée sans être jugée.

    L’intrigue est principalement centrée autour de Philip et de sa maîtresse dans l’appartement -bureau de l’écrivain, mais aussi jalonné de conversations, avec d’autres femmes, qui portent toutes en elles des brisures qui ne les rendent pas moins ensorcelantes, vibrantes, vivantes. Il y a là Rosalie (Emmanuelle Devos), la seule à porter un prénom, son ancienne maîtresse newyorkaise qui lutte contre le cancer mais aussi l’épouse, l’étudiante (Rebecca Marder), l’exilée tchèque (Madalina Constantin).

    Tromperie est une ode constante aux pouvoir de la fiction, qu’elle soit littéraire ou cinématographique. La fiction qui sublime la vie. Par une judicieuse mise en abyme, le dispositif qu’utilise Desplechin fait écho au travail et aux ruses de l’écrivain qui s’amuse avec la réalité, la traduit, la trahit, la transgresse, lui vole des moments de vérité. D’ailleurs, l’amante existe-t-elle vraiment ? C’est là que le film prend une tournure encore plus passionnante, quand Philip pour se justifier auprès de son épouse lorsqu’elle tombe sur un carnet racontant son histoire avec son amante anglaise, explique qu’il s’agit là seulement d’un être fictif et de la matière de son nouveau roman, brouillant encore un peu plus les frontières entre le vrai et le faux, comme s’amuse à le faire aussi Desplechin dans ce film qui manie l’ellipse et les changements de tons et de décor avec maestria.

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    On a beaucoup évoqué Bergman à propos de ce film. Il m’a aussi souvent rappelé Alain Resnais qui, à chaque film, réinventait encore et encore le dispositif cinématographique. Il m’a notamment fait songer à Vous n’avez encore rien vu, dans lequel un homme de théâtre, après sa mort, convoque ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions d’une pièce. Chaque phrase prononcée, d’une manière presque onirique, magique, est d’une intensité sidérante de beauté et de force et exalte la force de l’amour. Un film inventif et, là aussi, ludique qui joue avec les temporalités, avec le temps, avec la disposition dans l’espace. Il donne à jouer des répliques à des acteurs qui n’en ont plus l’âge. Cela ne fait qu’accroître la force des mots, du propos, leur douloureuse beauté et surtout cela met en relief le talent de ses comédiens. Chaque phrase qu’ils prononcent semble être la dernière et la seule, à la fois la première et l’ultime. Une sublime déclaration d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Une mise en abyme déroutante, exaltante, d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est transcendée. Un film inclassable et si séduisant, n’usant pourtant d’aucune ficelle pour l’être mais au contraire faisant confiance à l’intelligence du spectateur, qui m’avait enchantée, bouleversée, et qui m’a rappelé pourquoi j’aime follement le cinéma et le théâtre, et les mots auxquels il rend un si bel hommage.

    Je me permets cette nouvelle digression parce que je pourrais là aussi employer ces mêmes termes à propos de ce nouveau film de Desplechin, déclaration d’amour aux acteurs, au théâtre, au cinéma, aux pouvoirs de l’écriture, et qui fait tout aussi confiance à l’intelligence du spectateur.

    Arnaud Desplechin retrouve ici Léa Seydoux qu’il avait dirigée dans son film précédent, le remarquable Roubaix, une lumière, dans un rôle radicalement différent. Le spectateur est suspendu à chacun de ses mots. Elle est ainsi à la fois sensuelle, malicieuse, inquiète, toujours lumineuse a fortiori quand elle se rhabille et que tout devient noir autour d’elle (une des nombreuses astuces de mise en scène). Desplechin offre à chaque actrice une partition sublime dont l’ensemble permet de faire entendre une musique, celle de la voix de Philip Roth, et de dresser son portrait. Anouk Grinberg, Emmanuelle Devos, Madalina Constantin, Rebecca Marder sont aussi absolument bouleversantes. En double de Roth et un peu de Desplechin, Denis Podalydès a le regard et l’écoute intenses qui le rendent successivement ironique, inquiétant, attachant, détestable, désirable, méprisable mais toujours à l’image du film : captivant.

    La caméra d’Arnaud Desplechin, avec l’aide précieuse et judicieuse de son chef-opérateur Yorick Le Saux, caresse sensuellement les visages et les corps, au plus près. Sur une année, de l’automne à l’été, la lumière, est de plus en plus prégnante.  Ajoutez à cela la musique de Grégoire Hetzel et une précision et une variation astucieuses des décors et vous obtiendrez une orfèvrerie de mise en scène.

    Un film solaire et sensuel, parfois doucement cruel mais aussi tendre, même quand il évoque des sujets plus âpres, bouleversant, intimiste, réjouissant, élégant, à la fois léger et sombre. Une réflexion passionnante sur l’art aussi et sur la vérité, une réflexion à laquelle cette brillante mise en abyme invite, nous emportant dans son tourbillon fascinant de mots et, surtout, de cinéma.

  • Les César 2016 en direct le 26 février : toutes les informations et critiques des films en lice

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     C'est le 26 février prochain, à 21H, que se tiendra la 41ème cérémonie des César, comme chaque année au Théâtre du Châtelet. Comme chaque année également, la cérémonie sera retransmise en direct et en clair sur Canal plus. A 19H10, ce sera le Grand Journal, également en direct et en clair avec, en duplex depuis le théâtre du Châtelet, Laurent Weil qui inaugurera la soirée des César en accueillant les tous premiers invités sur le tapis rouge. A 20H10, ce sera Le petit journal spécial César présenté par Yann Barthès, toujours en direct et en clair. Après les César, vous pouvez retrouver les interviews des vainqueurs de la 41ème cérémonie des César.

    Pour la 9ème année consécutive (tantôt en salle presse, tantôt dans la salle du Châtelet, selon les éditions, une cérémonie que je connais donc bien et dont une scène clef de mon premier roman publié prochainement aux Editions du 38 s'y déroule d'ailleurs et dont je vous révèlerai bientôt la couverture et le titre ), j'aurai le plaisir d'être présente dans la salle pour vous commenter la cérémonie sur twitter (@moodforcinema ), et en amont dès le cocktail à 18H30 et sur instagram pour les photos (@sandra_meziere), cette fois en partenariat avec Canal plus dont je vous recommande également de suivre le compte (@cinemacanalplus ) et de découvrir l'excellent site consacré aux César, véritable mine d'informations. 

    A cette occasion, mes tweets seront mis en avant sur la page internet officielle de Canal + consacrée aux César. Par ailleurs, désormais, chaque mois, Canal plus sélectionnera une de mes critiques et la mettra en avant sur son site. On commence avec "Timbuktu", diffusé actuellement sur la chaîne. Retrouvez le début de ma critique sur le site officiel de Canal + ici.

     L'annonce des nommés aux César 2016 fut l'occasion de se rappeler à quel point la production cinématographique française fut riche et diversifiée en 2015 mais aussi à quel point le Festival de Cannes est un découvreur de grands films et de talents tant sont nombreux les films en lice pour ces César 2016 présentés dans les différentes sélections du Festival de Cannes 2015 et même primés ("La loi du marché", "Dheepan", "Mon roi" etc).

    L'affiche de cette 41ème édition met, comme chaque année, une actrice à l'honneur, cette année Juliette Binoche avec cette photo signée Brigitte Lacombe prise lors du tournage du "Patient anglais" d'Anthony Minghella (qui lui valut l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 1997).

    Le Président de cette cérémonie sera le cinéaste Claude Lelouch, l'occasion pour moi de vous reparler de son excellent dernier film "UN + UNE"(malheureusement absent de ces nominations) dont vous pourrez retrouver ma critique en bas de cet article. Je vous conseille l'interview ci-dessous dans laquelle il annonce la ressortie d'une version restaurée de son chef d'œuvre "Un homme et une femme" dans le monde entier, pour les 50 ans du film.

     

    C'est Florence Foresti qui aura la lourde tâche de succéder à Edouard Baer après une 40ème cérémonie que j'avais trouvée particulièrement réussie parce que s’y entrelaçaient le cinéma d’hier (Truffaut, Resnais) que j’aime tant et celui d’aujourd’hui qui m’enthousiasme, et parce que, Edouard Baer, tout au long de la cérémonie, avait fait preuve d’humour décalé (irrésistible tournage de « Panique aux César » auquel s'étaient pliés plusieurs comédiens), dénué de cynisme, et parce que cette soirée avait été jalonnée de quelques moments de grâce qui nous en avaient fait occulter la longueur (presque 4 heures)… Mais à voir a vidéo ci-dessous, il ne fait aucun doute que Florence Foresti saura insuffler humour et bonne humeur à cette cérémonie.

    Le César d'honneur sera cette année décerné à Michael Douglas (photo ci-dessous prise lors du Festival du Cinéma Américain de Deauville), après Sean Penn l'an passé. Un César d'honneur que Michael Douglas avait déjà reçu en 1998.

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    Cliquez ici pour retrouver mon compte rendu de la cérémonie des César 2015.

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    En tête de ces nominations 2016 figurent "Marguerite" de Xavier Giannoli (11 nominations) à égalité avec "Trois souvenirs de ma jeunesse" d'Arnaud Desplechin (11 nominations aussi donc), "Dheepan" de Jacques Audiard (9 nominations) et  "Mustang" de Deniz Gamze Ergüven (9 nominations) .

    Suivent ensuite: "Mon roi" de Maïwenn (8 nominations), "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot  (8 nominations), "Les Cowboys" de Thomas Bidegain (4 nominations), "Fatima" de Philippe Faucon (4 nominations), "Valley of love" de Guillaume Nicloux ( 3 nominations), "Journal d'une femme de chambre" de Benoît Jacquot (3 nominations), "La loi du marché " de Stéphane Brizé (3 nominations).

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    Qui succédera à "Timbuktu"? (diffusé en février sur  Canal plus dont c'est le coup de cœur du mois, prochainement vous pourrez ainsi retrouver ma critique sur le site de la chaîne). Le chef d'œuvre de Sissako avait en effet récolté 7 des 8 statuettes pour lesquelles il était nommé l'an passé. Meilleur film. Meilleur réalisateur. Meilleur montage. Meilleur scénario original. Meilleur son. Meilleure photo. Meilleure musique originale.  Aucun de ces César n’était usurpé.  «Timbuktu » est en effet un film d’une maîtrise époustouflante, d’une beauté flamboyante, étourdissante, un film d’actualité empreint d’une poésie et d’une sérénité éblouissantes, de pudeur et de dérision salutaires, signifiantes : un acte de résistance et un magnifique hommage à ceux qui subissent l’horreur en silence. Sissako y  souligne avec intelligence et retenue la folie du fanatisme et de l’obscurantisme religieux contre lesquels son film est un formidable plaidoyer dénué de manichéisme, parsemé de lueurs d’humanité et finalement d’espoir, la beauté et l’amour sortant victorieux dans ce dernier plan bouleversant, cri de douleur et de liberté  déchirant à l’image de son autre titre, sublime : « Le chagrin des oiseaux ». Le film de l’année 2014. Bouleversant. Eblouissant. Brillant. Nécessaire. 7 récompenses à la hauteur de la grandeur de ce film. « Il n’y a pas de choc de civilisations. Il y a une rencontre de civilisations » avait conclu Sissako en recevant l’une de ses multiples récompenses.

     L'actualité influera-t-elle sur le choix des votants? Préféreront-ils un film en résonance ave les ignominies et  tragédies qui ont assombri l'actualité ou des films ancrés dans la réalité sociale ou encore une histoire d'amour ou de deuil?

    Beaucoup des films en lice, aussi différents soient-ils en apparence, ont en commun de nous parler d'innocence blessée, d'illusions brisées, de libertés entravées et d'envies d'ailleurs.

    Se confrontent ainsi des premiers films et des films de cinéastes confirmés, des acteurs inconnus ou quasiment et de grands acteurs aux carrières impressionnantes et aux multiples nominations (d'ailleurs rarement récompensées comme vous le verrez ci-dessous), très nombreux cette année. Un éclectisme qui rendra cette cérémonie d'autant plus palpitante et le palmarès d'autant plus surprenant.

    Après sa palme d'or, Jacques Audiard, sera-t-il  à nouveau au palmarès après son César du meilleur réalisateur pour "De battre mon cœur s'est arrêté" en 2006 et pour "Un Prophète" en 2010? De cette histoire de trois Sri-Lankais qui fuient leur pays, la guerre civile, et qui se retrouvent confrontés à une autre forme de guerre dans la banlieue française où ils échouent, douloureuse réminiscence pour Dheepan, « le père de famille », Audiard, plus qu’un film politique a voulu avant tout faire une histoire d’amour. Dans ce nouveau long-métrage qui flirte avec le film de genre, il explore un nouveau territoire mais toujours porte un regard bienveillant, et plein d’espoir sur ses personnages interprétés par trois inconnus qui apportent toute la force à ce film inattendu (dans son traitement, son dénouement et en tête du palmarès du Festival de Cannes).

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    Toujours est-il que "Mustang", 9 fois nommé, (présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2015 et qui vient de remporter le prix Lumières du meilleur film) pourrait créer la surprise en remportant des récompenses face à des films de réalisateurs plus confirmés. Portrait sans concession d’une partie de la société turque et de la place qu’elle laisse aux femmes, ce premier film à la fois solaire et terriblement sombre sur ces 5 sœurs condamnées à une existence quasiment carcérale  est d’autant plus marquant qu’il est parfaitement maitrisé dans sa forme comme dans le fond évitant l’écueil du manichéisme et d’une condamnation unanime des hommes turcs puisque c’est aussi grâce à l’un d’eux que viendront l’espoir et la liberté mais aussi à l’éducation qui, en filigrane, apparaît comme LA solution. Un film dans lequel s'entrechoquent fougue de la jeunesse et conservatisme des aînés, porté par des actrices incandescentes et un judicieux décalage entre le forme et le fond.

     

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    Enfin, Arnaud Desplechin (pour le 4ème fois nommé comme meilleur réalisateur) figurera sans aucun doute au palmarès, avec au moins un prix pour Lou Roy-Lecollinet en meilleur espoir féminin, vraie révélation même si Sara Giraudeau, sorte de Pierre Richard au féminin, est absolument irrésistible dans "Les Bêtises".

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