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Mathieu Amalric

  • Critique de UN SECRET de Claude Miller à 21H sur D8

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    Un petit garçon malingre, François,  voit indistinctement son image à travers un miroir tacheté de noir. Ce premier plan en dit déjà tellement… Puis, ce petit garçon, à travers son regard d’adulte, (interprété par Mathieu Amalric) nous raconte son histoire et celle de ses parents, Maxime (Patrick Bruel) et Tania (Cécile de France), l’histoire qu’il a apprise de la bouche de Louise (Julie Depardieu), la voisine et amie : l’histoire d’un secret.

    Dans un des plans suivants, le même petit garçon marche à côté de sa mère Tania, Tania dont on ne voit d’abord que le corps sculptural qui contraste tellement avec celui, si frêle, du petit garçon. Un petit garçon qui s’imagine un frère beau et glorieux au point de laisser une assiette à table pour lui, devant le regard terrassé de ses parents comme si le poids du secret, de cet enclos de silence, devenu celui de l’inconscient, avait tellement pesé sur sa famille qu’il avait deviné sans savoir.

    Les images du passé, en couleurs, alternent  judicieusement avec celles du présent, en noir et blanc, (dans le roman, le passé est écrit au présent et inversement) un présent que le passé pourtant si sombre, va venir éclairer en révélant l’existence de ce frère, Simon, à l’époque où Maxime s’appelait encore Grinberg et non Grimbert, ces deux lettres pour lui porteuses de mort, porteuses aussi de son douloureux secret profondément enfoui.

    Revenons à ce premier plan auquel de nombreux autres feront ensuite songer : ces plans de corps sublimes au bord de la piscine, au milieu de couleurs chaudes, d’une gaieté insolente. Le dos nu de Tania lorsque Maxime la voit pour la première fois. Son corps qui, dans une acrobatie parfaite, fend l’air et le bleu du ciel puis de la piscine, lorsqu’elle plonge. Les corps décharnés et sans vie des camps. Les corps, leur force et leur fragilité, symboles de vie et de mort, tout le temps mis en parallèle. Ce corps que Maxime sculpte jour après jour, ce corps qui nie presque son identité juive à une époque où le régime nazi fait l’apologie du corps, à une époque où les images de Jeux Olympiques filmées par Leni Riefenstahl défilent sur les écrans, à une époque où il faut porter une étoile sur le cœur, une étoile que Maxime refuse de porter, parce que, pour lui, montrer son identité juive signifie souffrir, mourir et faire prendre des risques à son enfant. Le corps, encore, de François, cet enfant si chétif que son père regarde avec des éclairs d’amertume, cet enfant qui « lui a échappé », cet enfant qui suscite une douloureuse et cynique réminiscence de son passé. Pourquoi ? C’est ce fameux secret que je ne vous dévoilerai pas ici. Celui de trois amours fous qui font déraisonner, qui s’entrechoquent finalement, qui se croisent et qui bouleversent plusieurs existences. 

     L’ambiguïté du personnage de Maxime parcourt et enrichit tout le film : Maxime qui exhibe son corps, qui nie presque sa judaïté, qui fera dire à son père sur le ton de l’humour, certes, qu’il a un fils antisémite, à qui dans son roman Philippe Grimbert attribue des « ambitions de dandy ». L’ambiguïté est encore accrue quand il tombe amoureux de Tania : une femme blonde aux yeux bleus, sportive comme lui, et ce qui n’arrange rien, sa belle sœur, dont il tombe amoureux, pour couronner le tout, le jour de son mariage. Tania, si différente de sa femme, Hannah (Ludivive Sagnier), la timide, la mère parfaite, plus mère que femme dans le regard de Maxime, dans son regard hypnotisé par Tania, son double, celle qui lui ressemble tellement. Hanah : celle pour qui Maxime  est pourtant tout. Et qui le signifiera tragiquement.

    Avec Un Secret, Claude Miller a fait beaucoup plus que transcrire en images le roman éponyme de Philippe Grimbert, il a écrit et réalisé une adaptation particulièrement sensible et personnelle, d’abord par la manière dont il filme les corps, les mains qui s’accrochent les unes aux autres, les mains qui en disent tant, et puis ces regards lourds de sens, de vie, de désespoir, de passion,  magnifiquement orchestrés par le chef d’orchestre Claude Miller pour nous donner cette mélodie bouleversante du passé. Par la manière dont présent et passé se répondent. Comme ce plan de François qui regarde son père à travers le grillage d’un court de tennis. Un grillage qui rappelle celui, abject, du passé, des camps.

    Passé et présent se répondent  constamment en un vibrant écho. L’entrelacement de temporalités rendait d’ailleurs le roman quasiment inadaptable, selon les propres propos de Philippe Grimbert. Claude Miller y est pourtant admirablement parvenu. Echo entre le passé et le présent donc, Echo c’est aussi le nom du chien dans le roman. Celui dont la mort accidentelle fera ressurgir le passé, cette douleur ineffable intériorisée pendant tant d’années. Maxime s’effondre alors sur la mort de son chien alors qu’il avait surmonté les autres. Il s’effondre, enfin abattu par le silence meurtrier, le poids du secret et de la culpabilité.

    Ce n’est pas « le » secret seulement que raconte ce film mais « un » secret, un secret parmi tant d’autres, parmi tous ceux que cette époque a engendrés.  Des secrets qui s’emboîtent et dont la révélation devient insoluble. Doit-on et peut-on tout dire ?

    La chanson de Charles Trenet, Tout ça c’est pour nous, est d’une douloureuse légèreté.  La musique, l’autre, pourtant sublime, qui était dans la première version que j’ai vue en février ne subsiste que dans la bande annonce : la preuve que Claude Miller a voulu éviter l’outrance mélodramatique. Son film n’en a pas besoin.

    Claude Miller signe en effet un film d’une intensité et d’une densité dramatiques rares, empreint de la passion irrépressible, tragiquement sublime, qui s’empare de Maxime et Tania. Il nous raconte une transgression amoureuse, une passion dévastatrice, une quête d’identité, un tango des corps : un grand film tout simplement où il témoigne de l’acuité de son regard de metteur en scène (il témoigne d’ailleurs aussi dans un autre sens : il témoigne aussi de son passé), de ces films qui vous font frissonner, vous étreignent, vous bouleversent, tout simplement et ne vous bouleversent pas avec des « recettes » mais subrepticement, sincèrement. 

     Claude Miller offre là à Ludivine Sagnier, Julie Depardieu, Patrick Bruel et Cécile de France un de leurs plus beaux rôles. Ces deux derniers ne jouent pas, leur passion dévaste l’écran, l’envahit, en déborde. Une fatale évidence.

    Le psychanalyste Philippe Grimbert a écrit ce livre, en grande partie autobiographique, après la découverte d’un cimetière de chiens dans le jardin de la fille de Pierre Laval. Là, les dates qui pourraient être celles d’enfants morts dans les camps, s’alignent avec obscénité, alors que les enfants morts pendant la guerre n’ont même pas eu de tombes, eux, n’ont pas eu droit à une sépulture et sont partis en fumée. De cette découverte indécente est né ce livre. Ce film et ce livre constituent le tombeau de ces enfants et participent au devoir de mémoire. Parce que l’oubli est une menace constante, parce que l’Histoire se complait trop souvent dans une amnésie périlleuse. Et puis,  pour que le petit garçon, qui a délivré son père de son secret, distingue enfin une image précise dans le miroir… L'image de son passé et de son identité et de son corps retrouvés.

  • Festival de Cannes 2010 : les trois films français en compétition

    cannes4.jpgChaque jour sur In the mood for Cannes vous seront présentés en détails des films de la sélection officielle du Festival de Cannes 2010. Après un article consacré à Woody Allen et son "You will meet a tall dark stranger" vous pouvez désormais y trouver des articles sur chacun des trois films français en compétition (cliquez sur les titres des films pour accéder à ces articles):

    "La Princesse de Montpensier" de Bertrand Tavernier

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    "Des hommes et des dieux" de Xavier Beauvois

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    "Tournée" de Mathieu Amalric

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    © Le Pacte

    Trois films aux styles et aux sujets très différents que je vous laisse découvrir plus en détails. Qui sait: parmi eux se cache peut-être la palme d'or 2010?! Qu'en pensez-vous? J'avoue avoir une préférence pour le cinéma de Bertrand Tavernier et pour le sujet de son film mais j'irai voir les trois et vous en parlerai bien évidemment. Je vous rappelle que vous pourrez me lire en direct de la Croisette du 12 au 24 mai ici et sur "In the mood for Cannes" et sur d'autres supports: plus de détails prochainement...

  • « Quantum of Solace » de Marc Forster: la vengeance implacable de 007

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    Après « Casino Royale », un James Bond particulièrement jubilatoire et réussi à tous points de vue (scénario, action, montage, jeu, réalisation…) qui avait fait l’unanimité et qui était aussi le premier dans lequel Daniel Craig interprétait 007 (qui lui aussi avait fait l’unanimité après avoir pourtant suscité une vive polémique lorsqu’on avait annoncé qu’il succéderait à Pierce Brosnan), je me suis donc précipitée dès son premier jour de sortie (inhabituellement un vendredi) voir ce « Quantum of Solace » qui en est en quelque sorte la suite, pour savoir s’il serait à la hauteur du précédent et pour voir comment ce dernier allait assouvir sa soif de comprendre et surtout de vengeance.

    Trahi par Vesper Lynd (Eva Green)  dans « Casino Royale », la jeune femme qui l’aimait qui fut forcée à le trahir, James Bond (Daniel Craig) est en effet décidé à traquer ceux qui ont forcé Vesper à agir ainsi. Bond est alors conduit sur la piste de Dominic Greene (Mathieu Amalric), homme d’affaires impitoyable et pilier d’une mystérieuse organisation nommée « Quantum ». Il croise alors la route de la belle et pugnace Camille (Olga Kurylenko) qui cherche à se venger elle aussi.  Greene veut ainsi prendre le contrôle de l’une des ressources naturelles les plus importantes au monde en utilisant la puissance de l’organisation et en manipulant la CIA et le gouvernement britannique. Afin de déjouer le sinistre plan de Greene,  Bond doit alors absolument garder de l’avance sur la CIA, les terroristes et même M  (Judi Dench qui l’incarne ici pour la sixième fois) qui veut l’empêcher d’assouvir son désir de vengeance.

    Ce 22ème volet de la saga James Bond a suscité une attente à la hauteur de la réussite et de l’engouement pour le précédent volet dont il est la suite, l’intrigue commençant en effet une heure après la fin de « Casino Royale ». Ce volet pourra être compris sans problèmes par ceux qui n’ont pas vu le précédent, il aura néanmoins davantage de sens et de saveur pour les autres.

    Comme ce titre n’aura pas manqué de vous intriguer, précisons d’abord que « Quantum of Solace » vient d’une nouvelle de Ian Fleming et que cela signifie dans le contexte du film qu'une relation ne peut être sauvée que si la confiance est restaurée entre les deux parties, "Quantum" signifiant quantité et "Solace" consolation.  Quantum of Solace fait par ailleurs ici référence à deux éléments : tout d'abord au fait que Bond cherche à se consoler de la  mort de Vesper, et ensuite à Quantum, l'organisation criminelle à laquelle il est confronté et qu'il va devoir combattre.

    Comme toujours avec James Bond, cela commence par des cascades époustouflantes qui font crisper les mains des spectateurs sur leurs fauteuils et qui maintiennent leurs yeux écarquillés rivés à l’écran. C’est en Toscane, à Sienne, que débute ce dernier volet et le montage nerveux, efficace nous captive (capture même) d’emblée. C’est un Bond au cœur brisé qui laisse entrevoir ses fêlures, mais aussi plus violent et glacial qui use et abuse de son « permis de tuer », qui réapparaît auquel Daniel Craig apporte une dureté, une intensité, une classe et à côté duquel les précédents acteurs l’ayant incarné font bien pâle figure.   Malgré sa violence, ses failles qui l’humanisent, son avidité de vengeance  et sa solitude (même la fidèle M doute de lui) suscitent notre empathie de même que le personnage de Camille guidée par une blessure que seule la vengeance semble pouvoir soigner. Leurs désirs de vengeance et leurs deux personnalités blessées se heurtent et se font intelligemment écho.

    Certains seront sans doute décontenancés par ce James Bond qui a perdu certaines caractéristiques qui contribuaient à sa spécificité : il n’utilise (temporairement) plus ou si peu de gadgets, a perdu son flegme et son humour britanniques, et se rapproche davantage de Jason Bourne que du héros de Ian Fleming. Il a aussi su s’adapter à l’époque complexe dans laquelle il vit : le méchant n’est plus un monstre sanguinaire qui veut dominer le monde interprété par un acteur au physique patibulaire et au jeu grandiloquent mais il prend ici les traits du Français Mathieu Amalric dont un simple regard suffit à faire comprendre la détermination haineuse. Il est aussi confronté à de nouveaux ennemis et aux maux de son époque dont l’environnement et les ressources naturelles deviennent un enjeu capital et parfois une trompeuse façade de générosité pour criminels et personnages cupides. James Bond confirme donc son entrée dans une nouvelle ère amorcée par « Casino Royale ».

    On assiste ainsi à une véritable surenchère : dans les scènes d’action (leur nombre et leur aspect spectaculaire), dans le nombre de plans, mais aussi dans le nombre de lieux, James Bond nous embarquant ainsi en Italie, en Autriche, à Haïti, en Bolivie, en Russie et en ville aussi bien qu’en plein désert. C’est aussi d’ailleurs pour cela qu’on se rue dans les salles à chaque nouveau volet : pour ce  voyage auquel il nous invite, il nous emmène ailleurs dans tous les sens du terme et de ce point de vue aussi ce James Bond est particulièrement réussi.

    La BO innove elle aussi puisqu’elle est pour la première fois interprétée par un duo, en l’occurrence formée par Alicia Keys et Jack White (des White Stripes). Marc Forster (« A l’ombre de la haine », « Neverland », « Stay ») qui succède à Martin Campbell est quant à lui un réalisateur efficace et appliqué même si la profusion de plans et d’angles de prise de vue nous égarent parfois.

    Le seul vrai bémol : c’est certainement le scénario (pourtant de nouveau cosigné Paul Haggis notamment réalisateur de « Collision » et scénariste de « Million Dollar Baby » mais aussi coscénariste de « Casino Royale ») plus léger que celui, il est vrai si dense et riche en rebondissements, de « Casino royale » mais il en faudrait plus pour bouder notre plaisir et pour que je ne vous recommande pas ce nouveau volet, transition réussie et nécessaire vers de nouvelles aventures peut-être moins sombres,  dont une scène remarquable sur un air de Tosca mérite, à elle seule, le détour.

    Daniel Craig aurait signé pour 4 James Bond. Vivement les prochains ! En attendant allez voir ce dernier James Bond, vous y trouverez votre quantité de consolation…ou en tout cas de divertissement et d’adrénaline, je vous le garantis.

    Site internet du film : http://www.quantumofsolace-lefilm.fr/

    Sandra.M

  • "Le scaphandre et le papillon": l'hymne à la vie et à l'art de Julian Schnabel

    7d1d83c21b745b382fe152450c363a42.jpgLa fête du cinéma qui a lieu les dimanche 24, lundi 25 et mardi 27 juin 2007, est l'occasion rêvée pour une immersion cinéphilique puisque si la première séance est comptée au prix normal, un passeport vous sera ensuite remis vous donnant ainsi accès à toutes les séances suivantes pour le tarif unique de 2€ la place pendant les 3 jours de l'opération. A cette occasion, je vous conseille donc de (re)voir Les chansons d'amour de Christophe Honoré, Boxes de Jane Birkin, L'avocat de la terreur de Barbet Schroeder et surtout Le Scaphandre et le papillon de Julian Schnabel dont vous trouverez la critique ci-dessous. Vous pourrez également lire mes critiques des films précités en cliquant sur leurs titres.

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    En décembre 1995, un accident vasculaire brutal a plongé Jean-Dominique Bauby, rédacteur en chef du magazine  Elle et père de deux enfants, dans un coma profond. Quand il en sortit, toutes ses fonctions motrices étaient détériorées. Atteint de ce que la médecine appelle le «  locked-in syndrome » -littéralement : enfermé à l’intérieur de lui-même-, il ne pouvait plus parler, bouger, ni même respirer sans assistance. Dans ce corps inerte, seul un cil bouge. Ce cil devient son lien avec le monde, avec les autres, avec la vie. Il cligne une fois pour dire oui, deux fois pour dire non. Avec son cil, il arrête l’attention de son visiteur sur les lettres de l’alphabet qu’on lui dicte et forme des mots, des phrases, des pages entières… Avec son cil, il écrit ce livre, le Scaphandre et le papillon, dont chaque matin pendant des semaines il a mémorisé les phrases avant de les dicter…

    b31884d1b43472f6bcca206124b45095.jpgAvec un tel sujet, on pouvait redouter le pire : le pathos et le mélodrame outrancier, la performance ostentatoire et ridicule d’un acteur dans un rôle de composition-à-oscar-césar-prix d’interprétation. C’est donc avec quelques réticences que je suis allée à la projection de ce film présenté en compétition officielle du 60ème Festival de Cannes. Devant le palais des festivals, la valse poétique et multicolore d’un lâcher de papillons gigantesques et somptueux a précédé la projection dans le grand Théâtre Lumière.

     Puis, l’obscurité, le générique…et nous nous retrouvons avec Jean-Dominique Bauby enserrés dans son scaphandre qu’est son corps inerte, puisque la première moitié du film est entièrement filmée en caméra subjective. Dès les premiers plans, nous épousons son regard flou et précis, incisif même, guidés par la voix off de Mathieu Amalric. Véritable métaphore du cinéma, son regard est sa fenêtre sur le monde, sa caméra. Immobile comme l’est le spectateur sur son fauteuil, il s’évade et papillonne par la mémoire et par l’imagination, de son corps et de l’hôpital maritime de Berck où il est soigné, comme le spectateur s’évade de la salle de cinéma par les images projetées sur l’écran. L’identification est donc immédiate, d’autant plus qu’il porte un regard lucide et non moins ironique sur sa situation, sans jamais s’apitoyer sur son sort.

    Auparavant aveugle et sourd à la beauté du monde, il n’a jamais aussi bien vu que d’un seul œil. Vu et ressenti. C’est en effet un film sens-uel et sens-ationnel : tout ce que Jean-Dominique Bauby  ne peut saisir, son regard s’en empare avec gourmandise, rattrapant au vol les moments de bonheur qu’il a auparavant laissés s’envoler. Ce film nous saisit, nous enlace, nous enserre, délicieux enserrement celui-là, nous arrache à sa réalité et à la nôtre, celle de spectateur, pour ne plus nous lâcher. Enserrés nous aussi, dans son regard virevoltant, qui nous fait éprouver et savourer la liberté comme rarement un film y est parvenu. Par ce qu’il voit : le vent qui s’engouffre dans une chevelure, ou par son regard qui glisse sur une peau nue qui se laisse entrevoir. Par ce dont il se souvient : son dernier voyage, en décapotable, et le frémissement des arbres au-dessus de sa tête. Par le souvenir de ses gestes précipités mais précis, lorsqu’il rasait son père, lui aussi prisonnier, alors qu’il était encore libre d’agir, alors qu’il (en) était inconscient, si pressé, trop pressé.  Par ce qu’il imagine surtout, il s’évade de son scaphandre par la puissance de son imagination débridée : il peut alors tout vivre comme même faire un dîner pantagruélique avec la jeune femme qui prend son livre en notes (Anne Consigny, décidément remarquable, à noter qu’elle retrouve ici son partenaire de Je ne suis pas là pour être aimé, Patrick Chesnais, également remarquable en médecin cassant qui suscite des répliques cinglantes de Jean-Dominique Bauby) à laquelle il n’est pas insensible, il peut aussi voir des glaciers s’effondrer puis se reconstruire. Son monde s’effondrer et le reconstruire. Parce que si son corps n’existe plus, par la pensée, il est tour à tour : séduisant, en colère, ironique voire cynique, cruel parfois mais en tout cas VIVANT. Si le scaphandre l’empêche de se mouvoir, le papillon peut l’emmener partout, là où même il n’osait aller quand il était « aveugle et sourd », avant.

    Le scaphandre et le papillon est un vibrant hymne à la vie, à la liberté, à la création surtout. L’art devient pour lui libérateur et même salvateur. Hommage à l’art, à tous les arts : à la peinture (Julian Schnabel est peintre), à l’écriture, au cinéma, à la musique aussi. Les lettres épelées mélodieusement par les différents visiteurs ne sont jamais lassantes et constituent autant de partitions différentes qui nous tiennent en haleine. Le spectateur est alors suspendu aux lèvres de celui ou celle qui parle et qui chante les lettres, à la voix vibrante de vie de Mathieu Amalric.

    A la place d’un livre sur la vengeance au féminin, une sorte de Monte-Christo au féminin qu’il projetait d’écrire avant son accident, Jean-Dominique Bauby va donc écrire sa vie. Celle d’une mort, d’un corps emprisonné à jamais. D’une renaissance aussi, celle de son esprit, si libre et alerte. Sans aucun sentiment de revanche et de vengeance. Seulement contre son orgueil et son aveuglément peut-être.

    Marie-Josée Croze, Anne Consigny, Emmanuelle Seigner toutes formidablement dirigées sont autant de preuves de  l’existence de cet esprit qui ne cesse pas de penser et séduire.  Malgré tout. A cause de cela justement.

    Julian Schnabel parvient à signer un film résolument optimiste sur une histoire tragique. Tout juste peut-on regretter deux plans trop appuyés, l’un sur son père en larmes, et un dernier plan trop appuyé sur son infirmité physique… ce bouleversant tourbillon de vie emporte néanmoins ces deux plans regrettables sur son passage dévastateur et bouleversant.

    Le scaphandre et le papillon est une déclaration d’amour poignante et ironique, lucide et poétique. A la vie. A l’art. A la mer dont parfois on oublie de savourer la beauté de ses changeants reflets d’argent. Une œuvre d’arts.

    Quelques jours après cette projection, je  retrouvais encore des papillons égarés, affolés, éblouis par les lumières impitoyablement et imperturbablement aveuglantes, agglutinés aux vitrines de la Croisette. La frontière est décidément si fragile entre le sublime et la laideur, entre un papillon et un scaphandre... Ce film nous le rappelle magnifiquement, justifiant ainsi amplement son prix de la mise en scène du 60ème Festival de Cannes.

     Sandra.M