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xavier beauvois

  • Critique de ALBATROS de Xavier Beauvois

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    Les films de Xavier Beauvois, au-delà de leurs indéniables qualités cinématographiques, permettent de braquer les projecteurs sur des laissés-pour-compte, de rendre hommage à des professions mésestimées et à ceux qui les exercent, sont un moyen de donner la parole à ceux qui n’en disposent pas toujours : les moines de Tibhirine dans son chef-d’œuvre Des Hommes et des Dieux (Grand Prix du Festival de Cannes 2010, César du meilleur film 2011), la deuxième division de police judiciaire dans Le petit Lieutenant, le milieu ouvrier dans Selon Matthieu…Il rendait même hommage à Chaplin et déclarait son amour au cinéma dans La rançon de la gloire. Petite digression pour vous recommander ce film méconnu de sa filmographie, un film jalonné de plans d’une beauté époustouflante, à voir aussi pour l’emphase lyrique et poignante de la musique de Michel Legrand qui se marie magnifiquement avec celle, étourdissante de beauté, des Feux de la rampe. Un film doucement burlesque, tendrement drôle porté par le formidable duo de comédiens Roschdy Zem / Benoît Poelvoorde, lequel est une nouvelle fois remarquable dans le rôle de cet homme qui, en se maquillant et jouant un rôle, va dévoiler son vrai visage, finalement une métaphore du réalisateur qui, derrière sa caméra, orchestre ses vraies émotions, les met en lumière et dans la lumière.

    Chacun des films de Xavier Beauvois sont en effet aussi cela : des hommages au cinéma, et cet Albatros ne déroge pas à la règle. Son petit lieutenant et ses collègues étaient ainsi imprégnés par le cinéma comme le soulignent les affiches qui décorent les murs du commissariat, une affiche différente à chaque fois ou presque : Le convoyeur, Seven, Il était une fois en Amérique, les 400 coups, Podium, Le Clan des Siciliens. 

    Les premières minutes des films de Xavier Beauvois sont aussi toujours marquantes. On se souvient ainsi de la poignante musique de Bach en ouverture de Selon Matthieu. Albatros commence par une scène saisissante, une scène d’anniversaire, celui de Marie (Marie-Julie Maille), la compagne de Laurent (Jérémie Rénier), commandant de la brigade de gendarmerie d’Étretat. En guise de cadeau, il la demande en mariage, sous les yeux de leur fille, surnommée Poulette (Madeleine Beauvois). Dans la joie mesurée de Marie perce déjà une certaine mélancolie…

    La première partie du film nous embarque avec Laurent dans son quotidien de gendarme, avec ses collègues de la brigade. Nous découvrons ainsi l’âpreté de ce quotidien, le manque de moyens aussi. Un quotidien presque détaché de sa vie personnelle, à l’abri de la rude réalité et de la détresse sociale auxquelles son métier le confronte, qu’il s’agisse d’interpeller un adolescent à scooter qui roule sans casque, de déminer la plage sous une pluie battante, de s’occuper d’une enfant qui subit des violences de la part d’un membre de sa famille ou encore de ramener chez lui un homme ivre (incarné par Xavier Beauvois lui-même). Les échanges entre les gendarmes permettent aussi de dresser le sombre portrait de la France d’aujourd’hui qui se caractérise par une absence d’espoir, qu’elle soit celle de Marie, collègue gendarme de Laurent (incarnée par Iris Bry) qui ne souhaite pas avoir d’enfant en raison des menaces qui planent sur la planète, celle des agriculteurs, celle des pompiers qui manifestent et sont violemment réprimés par la police…

    Les seules ombres dans la vie personnelle de Laurent semblent être les réticences de Marie à l’épouser (elle ne souhaite pas s’acheter une robe trop chère), et sa mère qui vieillit (très beau personnage là aussi) et lui offre de s’occuper de son trésor, la maquette de la goélette Albatros.

    Dès le début, pourtant, alors qu’un couple de mariés japonais se fait photographier devant les célèbres falaises d’Etretat, le fracas du corps d’un homme qui tombe devant eux vient rompre l’harmonie. Les mariés s’enfuient en courant. On devine alors qu’un drame peut survenir à tout instant, que la quiétude n’est que temporaire ou apparente. D’ailleurs, peu à peu, une affaire s’immisce jusque dans la vie privée de Laurent, le cas de Julien (Geoffroy Sery), un agriculteur qui n’arrive plus à faire face et dont Marie connaît bien la sœur. Julien s’enfuit, et lorsque Laurent le retrouve, il menace de se suicider. Pour l’en empêcher, le commandant va tirer et tuer l’agriculteur lors d’une scène déchirante. Sa vie va alors basculer et son destin et le film vont prendre un virage inattendu.

    Xavier Beauvois a pu tourner dans la vraie gendarmerie, ce qui contribue aussi à l’impression de réalisme qui se dégage de ces gendarmes qui sont là avant tout pour protéger, qui réalisent aussi un travail d’assistance sociale. Il met ainsi en avant la solidarité qui existe entre eux. Chaque personnage est filmé avec une profonde humanité. Et c’est en effet la principale qualité de ce film, la profonde humanité qu’il dégage et qui transpire dans chaque plan. Aucun personnage n’est négligé, aucun personnage n'est méprisant ou méprisé. Xavier Beauvois ne les filme jamais avec condescendance mais toujours avec empathie et compréhension. Quelles que soient leurs situations et détresses, ses personnages demeurent dignes. 

    Dans Le petit Lieutenant, le Commandant Vaudieu (Nathalie Baye), par le regard ou l’inflexion de sa voix, laissait entrevoir en une fraction de seconde les brisures de son existence derrière cette force de façade. C’est en effet surtout à ce qui rend les êtres intéressants, leurs fêlures, que s’intéresse Beauvois et c’est ce qui rend ses personnages passionnants. Le scénario si sensible d’Albatros est cosigné Xavier Beauvois, Marie-Julie Maille et Frédérique Moreau.

    Xavier Beauvois avait déjà pris la Normandie pour cadre dans Selon Matthieu. Elle constitue ici presque un personnage à part entière, avec sa beauté froide et non moins captivante, amoureusement filmée, comme un visage dont il souhaiterait souligner les contours et chaque parcelle de son grain de peau, jusqu’à en magnifier la rudesse. Comme ces vagues avec lesquelles il nous transporte dans les tourments de l’âme de Laurent, que sa caméra caresse poétiquement, et qui charrient les bleus à l’âme et rappellent ce vers du poème L'Albatros de Baudelaire « Le navire glissant sur les gouffres amers.»

    Jérémie Rénier incarne ce personnage profondément humain, meurtri, avec une bouleversante justesse et quand il est dans un état de sidération après le drame, incapable de répondre, ses silences palpitants et terribles nous font éprouver sa douleur avec une criante vérité. Pour lui donner la réplique, Xavier Beauvois a aussi fait appel à des non professionnels qui ne déméritent pas dont la chef monteuse Marie-Julie Maille (déjà dans son précédent film) dont la présence irradie, sa propre fille Madeleine Beauvois et de nombreux acteurs amateurs, qu’ils soient agriculteurs (comme celui qui incarne Julien)  ou gendarmes.

    Ce film nous laisse comme après un voyage en mer, après avoir combattu et admiré sa force ravageuse. Éblouis et abasourdis. Et cette fin lyrique (mystique même, rappelant celle de Selon Matthieu) et bouleversante dont il nous appartient de voir si elle est réelle ou fantasmée, est une nouvelle fois un hommage au cinéma, qui permet tout, même de recevoir un pardon depuis les abîmes de la mer, même à l’albatros blessé (on songe là encore au poème de Baudelaire, au « prince des nuées » à ses « ailes de géant » qui « l’empêchent de marcher ») de déployer ses ailes et de prendre à nouveau son envol, même à l’espoir de renaitre après la tragédie. Un film dont la lumineuse humanité (oui, encore) dont il est empreint apaise et bouleverse et marque, longtemps et profondément.

    Je termine en vous disant que, bien que sorti depuis 19 jours seulement, ce film n’est déjà malheureusement plus que dans très peu de salles. À Paris, vous pourrez notamment le voir au Lucernaire. Ne tardez pas, le voyage vaut vraiment la peine !

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2021 Pin it! 0 commentaire
  • Avant-première - Critique de LA RANÇON DE LA GLOIRE de Xavier Beauvois

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    Cliquez sur l'affiche ci-dessus pour lire ma critique sur le nouveau blog IN THE MOOD FOR CINEMA: http://inthemoodlemag.com.

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  • "Des Hommes et des dieux" de Xavier Beauvois représentant de la France aux Oscars 2011

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    oscars6.jpgLe film "Des hommes et des dieux" de Xavier Beauvois, Grand prix du 63ème Festival de Cannes, est proposé pour représenter la France à la cérémonie des Oscars en février 2011.  

    La commission chargée de la sélection du film représentant la France pour l'attribution de l'Oscar du meilleur film étranger a ainsi retenu le film de Xavier Beauvois.

    L'Académie des Oscars retiendra cinq long métrages étrangers parmi les films qui lui sont proposés par les différents pays.

    Vous pouvez retrouver ma critique du film et mes vidéos de l'équipe du film à Cannes en cliquant ici.

    Je vous rappelle par ailleurs que Jean-Luc Godard recevra un Oscar d'honneur pour l'ensemble de sa carrière.

  • Festival de Cannes 2010 : les trois films français en compétition

    cannes4.jpgChaque jour sur In the mood for Cannes vous seront présentés en détails des films de la sélection officielle du Festival de Cannes 2010. Après un article consacré à Woody Allen et son "You will meet a tall dark stranger" vous pouvez désormais y trouver des articles sur chacun des trois films français en compétition (cliquez sur les titres des films pour accéder à ces articles):

    "La Princesse de Montpensier" de Bertrand Tavernier

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    "Des hommes et des dieux" de Xavier Beauvois

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    "Tournée" de Mathieu Amalric

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    © Le Pacte

    Trois films aux styles et aux sujets très différents que je vous laisse découvrir plus en détails. Qui sait: parmi eux se cache peut-être la palme d'or 2010?! Qu'en pensez-vous? J'avoue avoir une préférence pour le cinéma de Bertrand Tavernier et pour le sujet de son film mais j'irai voir les trois et vous en parlerai bien évidemment. Je vous rappelle que vous pourrez me lire en direct de la Croisette du 12 au 24 mai ici et sur "In the mood for Cannes" et sur d'autres supports: plus de détails prochainement...

  • « Villa Amalia » de Benoît Jacquot avec Isabelle Huppert, Jean-Hugues Anglade, Xavier Beauvois…

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    Année chargée pour la Présidente du jury du 62ème Festival de Cannes puisque, après « Un  Barrage contre le Pacifique », l’adaptation cinématographique du roman éponyme de Marguerite Duras par Rithy Panh, Isabelle Huppert est en effet actuellement à l’affiche de « Villa Amalia » de Benoît Jacquot.

     

    Par hasard, Ann (Isabelle Huppert),  pianiste de profession,  surprend son mari Thomas (Xavier Beauvois) embrassant une autre femme. Au même instant, alors qu’elle est hypnotisée et terrassée par cette scène, se déroulant derrière les grilles d’un jardin, un ami surgi de l’enfance, Georges, (Jean-Hugues Anglade) la surprend. Avec son appui, elle décide alors de changer de vie, de tout quitter, pour bientôt se retrouver sur une île, là où se trouve la villa Amalia…

     

    Adapté du roman éponyme de Pascal Quignard, « Villa Amalia » est le cinquième film du réalisateur avec Isabelle Huppert et pour cette cinquième collaboration il a choisi un thème universel pour un film qui ne l’est pas. Le profond malaise (et même l’agacement) que m’a inspiré ce film m’a probablement ôté tout jugement purement cinématographique, d’où cette critique inhabituellement courte et négative… En effet, rarement l’atmosphère d’un film m’aura mise si mal à l’aise, à tel point que j’ai failli quitter la salle avant la fin. Le film est ainsi imprégné du dépouillement, de la brutalité et de l’austérité de son personnage principal, et alternativement d’une musique (de Bruno Coulais) et d’un silence vertigineux.

     

    Ann se dépouille de tout ce qui lui pèse et l’emprisonne et caractérise sa vie d’avant : biens matériels (photos, sa maison d’une blancheur terrifiante et nauséeuse, cheveux, pianos …) et même de son identité pour endosser celle de son ami d’enfance, symbole de cette innocence qu’elle veut retrouver et de sa renaissance. Comme un signe du destin, elle qui a perdu son frère va habiter la maison qu’un homme décédé avait construit pour sa sœur, une maison qui domine la mer, où elle fait corps avec le paysage et la nature. (Benoît Jacquot use et abuse des plans larges pour bien nous le faire comprendre).

     

    Le réalisateur de « L’école de la chair » signe ici un film désincarné et nous embarque dans une maison sans âme où son héroïne semble s’évader tandis que je ne rêvais que d’une chose : en faire de même pour fuir ce film oppressant, où le bleu de la mer et le rouge de cette villa Amalia ne parviennent pas à apporter des couleurs à ce film d’une pâleur cadavérique…

     

    Isabelle Huppert interprète avec justesse ce personnage antipathique noyé (elle nage, beaucoup et avec violence, pour ne pas couler, ne pas être submergée)  dans sa pesante réalité qui prend visage humain le temps d’une main sur un visage, et Jean-Hugues Anglade, irréprochable, avec ce rôle d’homme sentimental et attachant, atténue par sa douceur la rugosité d’Ann et celle du film. Leurs scènes communes apportent cette émotion qui fait défaut au reste du film,  se tenant par la main, comme deux enfants partageant un secret, égarés dans un monde d’adultes qui ne comprend pas leur singularité, leurs envies de fuites.

     

     Ne parlons pas du scénario : là n’est pas l’objet de ce film délibérément elliptique (et se noyant paradoxalement, lui aussi, dans des détails inutiles) qui certes nous donne le goût de l’abandon, et  de la liberté : celle en tout cas de fuir ce film sombre et morose  comme Ann sa réalité étouffante…

     

    Sur le même thème voyez plutôt le splendide « Into the wild » de Sean Penn et pour lire un autre point de vue sur ce film et contrebalancer cette critique, je vous conseille la critique suivante : http://www.toujoursraison.com/2009/04/villa-amalia.html .

     

    Sandra.M