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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 49

  • KAJILLIONAIRE de Miranda July (Compétition officielle du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020)

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    J’étais impatiente de découvrir ce troisième film de Miranda July.  En 2005, la cinéaste américaine avait obtenu la Caméra d’or du festival de Cannes pour son premier film, Moi, toi, et tous les autres projeté cette même année au Festival du Cinéma Américain de Deauville. Un prix amplement mérité qui nous faisait découvrir l’univers à part d’une grande cinéaste en devenir. Son univers est en effet toujours une promesse de singularité. Promesse à nouveau et plus que jamais tenue avec ce film aussi inclassable que réjouissant.

    Synopsis : Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fille unique, Old Dolio, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d'un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue ingénue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d'Old Dolio.

    Sous des dehors surréalistes, ce film évoque en filigrane des sujets graves, assimilant ici la famille à une sorte de prison sectaire.

    La première réussite est ce personnage de Old Dolio qui semble être le nom d’un vieux chef indien, ce que n’est pas Old Dolio, jeune femme de 26 ans à qui il est pourtant difficile d’attribuer un âge ou un genre. Elle échappe à toute norme et catégorisation. Old Dolio a été baptisée ainsi en l’honneur d’un clochard ayant gagné au loto… dans l’espoir qu’il l’inscrive sur son testament. Un plan qui échoue comme tous ceux élaborés par Robert et Theresa. Ce personnage merveilleusement ambivalent est intrigant est incarné par une Evan Rachel Wood bluffante qui a opéré tout un travail de jeu bien sûr mais aussi sur sa voix, sur les mouvements de son corps pour arriver à composer cette vieille jeune fille introvertie.

    Le trio vit dans un entrepôt désaffecté, jouxtant une entreprise du nom de Bubbles Inc. Un défaut de fabrication provoque à intervalles réguliers des jets de bulles roses ruisselant le long d’un mur. Une immersion de la beauté dans cet univers sombre. A l’image de ce logement et d'Old Dolio, totalement atypique, ce film ne ressemble à aucun autre, sombrement décalé, séduisant sans chercher à séduire....

    Old Dolio prend peu à peu conscience de la bizarrerie de sa famille et ressent progressivement un besoin d’émancipation. Le récit se transforme alors en parabole du passage à l’âge adulte et en quête initiatique. Chaque séquence est une surprise remarquablement déroutante. Les quatre acteurs sont stupéfiants, et leurs personnages aussi fantasques les uns que les autres. Richard et Debra Winger sont tout aussi parfaits dans leurs rôles de parents…qui le sont si peu.

    Vous quitterez cette projection avec, en tête, cette fin, comme le reste du film, merveilleusement imprévisible et excentrique et la chanson Mr Lonely de Bobby Vinton et des images indélébiles de ce film, comme cet air : entêtant. Un film joyeusement absurde, sombrement décalé, dans lequel drame et comédie valsent harmonieusement, (le rire n’a jamais autant été que là « la politesse du désespoir ») bref, une rareté jubilatoire qui mériterait sa place au palmarès et en tout cas indéniablement le prix de l’originalité. Une fable mélancolique d’une inventivité renversante !

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  • RESISTANCE de Jonathan Jakubowicz (Première – Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020)

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    Durant la Seconde Guerre mondiale, en 1942, Marcel Mangel (Jesse Eisenberg), s'engage, sous le nom de Marcel Marceau, dans la Résistance française, sous l'influence de son frère Simon (Edgar Ramirez), et de son cousin, Georges Loinger.  Malgré la désapprobation de son père, boucher, qui le souhaite voir reprendre son commerce, Marcel tente de réaliser son rêve de devenir artiste en se produisant dans les cabarets. Sous le charme d’Emma (Clémence Poésy) qui semble d’abord insensible, les tragiques circonstances vont les rapprocher. En partie par le mime, il aidera de nombreux enfants orphelins, dont les parents ont été tués par les nazis.

    Le premier atout de ce long-métrage présenté ce soir en avant-première est de nous permettre de connaître le passé de résistant de Marcel Marceau, le mondialement célèbre mime Marceau dont le grand public (et moi la première) ignore bien souvent qu’il sauva de centaines d’enfants orphelins juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, évidemment au péril de sa vie.

    Jesse Eisenberg est tout à fait crédible même s’il n’atteint pas la (forcément inatteignable) maestria du mime Marceau dans l’exercice de son art (malgré une scène finale très réussie), ce qui fait que le spectateur peine parfois à comprendre la fascination qu’il exerce auprès des enfants. Malgré cela, avec lui, le spectateur traverse frontières, épreuves grâce à un suspense savamment distillé. Une scène de torture, si certains ignoraient encore toute l’indicible horreur du nazisme, en rappelle l’ineffable cruauté. Un rappel jamais inutile…

    Le grand mérite de ce film est donc de nous faire découvrir une part méconnue de la vie du mime Marceau et de grandir encore le mythe mais aussi d’apporter sa pierre à l’édifice du devoir de mémoire qui n’en a jamais de trop.

     

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  • LE MONDE N'EXISTE PAS de Fabrice Humbert - Prix Littéraire Lucien-Barrière 2020

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    Coup de projecteur aujourd’hui sur le captivant roman de Fabrice Humbert, « Le monde n’existe pas » (Gallimard) auquel a été décerné Le Prix littéraire Lucien-Barrière 2020. Un roman qui nous entraîne dans les pensées tortueuses d’Adam Vollmann, lequel, journaliste au New Yorker, voit s’afficher sur les écrans de Times Square le portrait d’Ethan Shaw. Celui qui fut la star du lycée. Celui dont la beauté était le pouvoir. Celui qui faisait penser à Robert Redford dans « Nos plus belles années. » Celui qui a un nom et une allure de personnage hollywoodien d’ailleurs. Son seul ami d’alors, accusé de viol et de meurtre. Refusant de croire à sa culpabilité, Adam retourne à Drysden, où ils se sont connus pour enquêter.

    Là où certains ont été déçus par l’énigmatique dénouement, j’y ai vu la seule fin possible. Logique. Implacable. Brillante. Un monde qui n’existe pas ne peut s’achever, non ? Tel le MacGuffin cher à Hitchcock qu’il évoque d’ailleurs, la quête n’est ici qu’un prétexte. Une mise en scène pour nous emmener dans une ville morne qui concentre tout ce que Vollmann déteste en Amérique : la petitesse, le conformisme. Pour nous emmener dans un voyage dans les méandres de l’identité entre vérité et mensonge, réalité et fiction. Dans une mise en abyme vertigineuse, de poupées russes qui se dévoilent indéfiniment, il nous égare pour nous inviter à trouver la vérité, notre « rosebud ». Citizen Kane était ainsi « la somme de ses légendes et des cinq témoignages du film racontant cinq histoires différentes. » A nous de trouver la vérité dans ce monde qui affectionne les récits à rebondissements, qui fictionnalise la réalité.

    En partant à la rechercher d’un homme qui ne finissait jamais les puzzles, il nous confronte nous-mêmes à un puzzle dont il nous appartient de trouver la dernière pièce. Vollmann est d’ailleurs devenu journaliste par passion de la littérature. De la fiction donc.  Vollmann ne signifie-t-il d’ailleurs pas « homme plein », lui qui recherche son ami de lycée…à propos duquel d’autres parlent de case vide ?

    Réflexion passionnante sur notre besoin de dramatisation, de « susciter la tempête des passions par la construction d’une intrigue simple », il nous interroge : « tout ce que nous vivons est un livre ou un film. En tout cas, une fiction recomposée ou non. » Non ? Il nous invite à composer notre fiction, à nous interroger sur celles qui se composent (ou décomposent avec parfois autant d’obstination, il n’est qu’à voir les foisonnantes théories du complot) à nos regards, à nous interroger sur la manipulation du récit…tout en manipulant son personnage narrateur et à travers lui le lecteur. Laissez-vous embarquer par ce récit aux accents lynchiens  qui, en vous égarant, vous invite à trouver une vérité sur une société (qui fait évidemment songer à celle de Trump, il suffit de voir ses clips de campagne qui pourraient rivaliser avec les plus abracadabrantesques et grandiloquents des blockbusters) qui en scénarisant tout brouille les repères….à l’image de ce roman dans lequel réalité et fiction, vérité et mensonges s’imbriquent pour finalement se confondre. Brillante mise en abyme.

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 : GIANTS BEING LONELY de Grear Patterson (compétition)

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    Avant d’évoquer ultérieurement les films du jour, place à mon coup de cœur de ce mardi, un film en compétition, « Giants being lonely », le premier long-métrage de Grear Patterson.

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    Synopsis  : Jake (Bobby White), Adam (Ben Irving) et Caroline (Lily Gavin) traînent leur spleen dans un lycée de Caroline du Nord. Les deux garçons se dépassent en jouant au baseball. L’un, Jake, est le petit ami de Caroline, l’autre Adam la convoite. Adam est le fils de l’entraîneur de baseball, qui lui mène une vie d’enfer à la maison.

    Derrière ces apparences si lisses (du panorama bucolique mais aussi des adolescents), on devine que, à tout moment, la tragédie peut éclater, et qu’elle s'insinue progressivement, constamment sous-jacente. Le récit est très elliptique mais le malaise s’instaure au fil des minutes, malaise exacerbé par la ressemblance troublante entre les deux acteurs principaux et par une réalisation qui laisse planer le mystère trouble. Dans la chaleur moite du sud, l’insouciance de la jeunesse ne semble être qu’un leurre. Le quotidien apparemment banal est dominé par l’ennui nous rappelant la phrase de Sagan "Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse." Le surgissement du drame semble inéluctable.

    Ce récit initiatique vaut avant tout pour son atmosphère visuelle mais aussi sonore qui fait la part belle aux non-dits et aux silences, empreinte d’une mélancolie séduisante. Une apparente simplicité dans la réalisation comme dans le quotidien des personnages qui dissimule une réalité plus obscure et opaque. Un film contemplatif qui responsabilise le spectateur et lorgne du côté de Terrence Malick et Gus Van Sant auxquels il empreinte poésie et lyrisme. Le dénouement de cette errance contemplative d’une violence suffocante métaphorise la violence du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Une fin d’une force saisissante pour un film d’une beauté sombre et envoûtante.

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    L’autre coup de cœur du jour, c’est le film projeté en Première ce soir, « Sons of Philadelphia », le deuxième long-métrage du scénariste et écrivain Jérémie Guez dont je vous parlerai ultérieurement et qui lorgne du côté du cinéma de James Gray.

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    SYNOPSIS : Philadelphie. Il y a trente ans, la famille de Michael a recueilli Peter à la mort de son père, dans des circonstances opaques. Aujourd’hui, Peter et Michael sont deux petits malfrats aux tempéraments opposés. L’un est aussi violent et exubérant que l’autre est taciturne. Quand Michael est désigné comme « gênant » par la mafia italienne », le passé trouble de la famille ressurgit…

    Sons of Philadelphia est l’adaptation du roman "Brotherly Love" de Peter Dexter publié en 1991.

     

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 - Critique LES ENSORCELÉS de Vincente Minelli (Hommage à Kirk Douglas)

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    Aujourd'hui, à 14H, au cinéma du Casino, vous pourrez (re)voir le chef-d'oeuvre de Vincente Minelli "Les Ensorcelés" dans le cadre de l'hommage à Kirk Douglas. 

    Les films sur le cinéma se sont  multipliés dans le cinéma américain des années 1950, avec d’ailleurs également une commune structure en flashback comme dans les deux chefs-d’œuvre de Mankiewicz (« Eve » et « La Comtesse aux pieds nus ») qui, avec « Les Ensorcelés » de Minnelli, sont les films sur ce thème que je vous recommande, trois chefs-d’œuvre.

    Synopsis : Le producteur Harry Pebel (Walter Pidgeon)  convoque dans son bureau Georgia Lorrison (Lana Turner), une grande actrice, Fred Amiel (Barry Sullivan), un jeune réalisateur, et James Lee Bartlow (Dick Powell), un écrivain. Pebel attend un coup de téléphone du producteur Jonathan Shields (Kirk Douglas) qui a permis à ces trois personnes d’accéder au rang de star mais s’est parfois mal comporté avec elles. Aujourd’hui en difficulté, il leur demande de l’aider. Avant d’accepter ou refuser, chacun d’eux raconte comment il les a rencontrés et comment il les a déçus, voire blessés…

    « The Bad and The Beautiful ». Tel est le titre original en VO des « Ensorcelés » et qui résume parfaitement la sublime et subtile dualité du personnage de Jonathan (incarné par Kirk Douglas) et du film tout entier. Dualité entre son altruisme apparent et son ambition tueuse et ravageuse dont il est le masque. Lorsque le masque tombe, Minnelli a, à chaque fois, la judicieuse idée de le filmer en gros plan frontalement, le réduisant alors à son égoïsme, alors que le reste du temps il est souvent filmé en plan plus large et rarement de face.

     Dualité aussi des sentiments du spectateur face à ce personnage complexe, digne successeur d’un père diabolique à la personnalité, pour son fils, aussi fascinante qu’écrasante dont il suivra finalement le modèle et face à ce personnage qui, au nom de la gloire et l’ambition, sacrifiera ceux qu’il aime ou qu’il est incapable d’aimer … même si finalement ils y gagneront tous aussi la gloire.

    La gloire ce pourrait aussi d’ailleurs être elle « The bad and the beautiful ». Etincelante en surface, au regard des autres mais qui a nécessité combien de « bad » compromis et de trahisons inavouables ?

     Dualité aussi entre la sincère Georgia (the beautiful)  et le manipulateur Jonathan (the bad).

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     Dualité entre la forme et le fond. Le fond qui critique le monde du cinéma : son hypocrisie, l’arrivisme, la superficialité, la déchéance, le commerce qu’il est souvent, les trahisons, les manipulations. La forme qui est un des plus beaux hommages qu’on puisse lui rendre avec des plans d’une virtuosité admirable (Ah, cette scène où Georgia, époustouflante et lumineuse Lana Turner ici terrifiante tant elle semble réellement terrifiée, fuit en voiture et où le spectateur a la sensation de ressentir sa suffocation cauchemardesque !), un scénario d’une construction astucieuse, une photographie envoûtante et somptueuse, et des acteurs au sommet de leur art et de leur beauté. Dualité entre le rêve que représente le monde du cinéma et la réalité que dépeint Minnelli.

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    « Les Ensorcelés » est à la fois une magnifique déclaration d’amour au cinéma et un regard lucide sur ses travers s’inspirant de la réalité, notamment de David O.Selznick (le producteur et créateur d’ « Autant en emporte le vent ») ou encore de « La Féline » de Jacques Tourneur pour le script du « Crépuscule des hommes chats » que Jonathan produit.

    Les Ensorcelés : ce sont Georgia, Fred et James, ensorcelés et aveuglés par Jonathan. C’est Jonathan, ensorcelé par le cinéma, prêt à tout au nom de celui-ci. Et c’est surtout le spectateur, ensorcelé par la magie du cinéma, de ce cinéma que Minnelli magnifie tout en le montrant dans toute son ambiguïté, d’une cruelle beauté. De ce cinéma qui finalement sort vainqueur. Malgré tout. Plus important que tout.

    « Les Ensorcelés » (1952) remporta 6 Oscars : celui de la meilleure interprétation pour Kirk Douglas, du meilleur second rôle féminin pour Gloria Grahame,  de la meilleure photographie,  de la meilleure direction artistique, des meilleurs costumes et du meilleur scénario.

    A la différence près que le rôle du producteur n’est aujourd’hui plus le même que celui du producteur du cinéma d’Hollywood des années 30, 40, 50 « Les Ensorcelés » est un film intemporel qui pourrait presque être tourné aujourd’hui. L’ambitieux Jonathan pourrait être le même aujourd’hui. Il se pourrait même que vous croisiez quelques Jonathan Shields, et surtout bien pire, à Cannes ou ailleurs. Alors si vous voulez découvrir Hollywood, son univers impitoyable, voir un film ensorcelant et éblouissant,  un personnage aussi manipulateur qu’amoureux du cinéma bien fait, et fascinant, et surtout si vous aimez le cinéma et forcément les films sur le cinéma, alors laissez-vous envoûter etne manquez pas ce chef-d’œuvre de Minnelli à (re)voir dans le cadre de ce Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020.

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 - LAST WORDS de Jonathan Nossiter et LES DEUX ALFRED de Bruno Podalydès

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    « Un bon film est un film qui a un point de vue sur le monde et un point de vue sur le cinéma » selon François Truffaut. Les deux films projetés dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui, deux films de la sélection de Cannes 2020, reflétaient en tout cas indéniablement un point de vue sur le monde. Sur notre monde, ou plutôt sur la vision effroyable de ce qu’il est en train de devenir dans un avenir plus ou moins proche. Le premier a glacé l'assemblée tant la résonance était terriblement forte avec la crise que nous traversons. Le second a fait déferler une inhabituelle vague de rires dans la majestueuse salle du CID.

    Adapté de « Mes derniers mots » de Santiago Amigorena, « Last words » de Jonathan Nossiter nous propulse ainsi en juin 2086. Face caméra, un homme nous déclare être le dernier humain sur terre, laquelle Terre n’est alors plus qu’un immense désert. Il nous raconte alors comment les derniers survivants s’étaient retrouvés à Athènes, appelés par un ultime espoir...Ce dernier homme sur terre, un jeune homme qui ne connaît pas son prénom, dans un Paris dévasté, découvre des pellicules de la Cineteca de Bologne. Il décide de partir pour la ville italienne. Dans ce monde hostile, dénué d'humanité ou même de lueur de vie, un vieil homme se terre au milieu de ses bobines et ce qu’il reste des affiches de films, entre Mastroianni, Barry Lindon, le Guépard comme les derniers vestiges d’un monde disparu. Avec un projecteur à pédales, il fait découvrir le cinéma au jeune homme, d'abord légèrement effrayé comme le furent les premiers spectateurs de L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat puis bientôt fasciné. Tous deux partent pour Athènes, où survivent les ultimes êtres humains.


    Après tout, si un espoir existe, c’est probablement au pied de l’Acropole, en ce lieu symbolique de la démocratie dans une des plus vieilles villes du monde. « Vert, vert » crient les nouveaux arrivants comme des navigateurs égarés auraient autrefois crié « terre, terre ». Dans ce monde oppressant, sur cette terre décharnée, inhospitalière, jonchée de carcasses, menacée par une mer rougeoyante comme ensanglantée, la végétation a en effet disparu et cette lande de verdure apparaît comme un espoir providentiel. Là comme ailleurs, on ne se nourrit néanmoins que de cannettes et la nourriture telle que nous la connaissons n'est désormais plus qu'une étrangeté figée sur pellicule.

    Thierry Frémaux a présenté le film comme « un film d'auteur qui a l'humour du désespoir ». « Le fait que vous soyez là donne de l'espoir. Ne pas être ensemble est la chose la plus terrifiante » a également déclaré Jonathan Nossiter lors de la présentation. « On se souviendra que c'est le moment où on s'est tous reréunis au cinéma » a conclu Thierry Frémaux.

    Comment, en effet, ne pas établir un parallèle édifiant, suffocant, dramatiquement ironique entre ces derniers humains qui disparaissent en raison d’une pandémie et la situation à laquelle nous sommes confrontés ? Dans ce monde apocalyptique, le cinéma devient l’ultime joie, soudain plus « vivant » que la réalité devenue un champ de ruines dans lequel n’existent plus ni plaisir ni émotion, permettant à ceux qui y évoluent de redevenir des hommes dotés d’humanité, d’expressions. « Rêver la beauté du cinéma avant de mourir ». Tel est le dernier souhait du vieil homme. Si nous savions le cinéma indispensable, ici il pourrait même presque sauver le monde…


    Le réalisateur de « Mondovino », lui-même devenu agriculteur en Italie où il cultive des légumes en permaculture, par cette fable, nous alerte sur une montée des périls sur laquelle il nous incombe de ne pas fermer les yeux comme d'autres en 1939 n'ont pas su ou voulu voir planer un autre danger.

    On en ressort avec un sentiment de malaise, la conscience accrue de l’urgence et de la menace, imminente, et l’envie de s’abreuver plus que jamais à cette source de plaisirs, de joie, de rires, bref d’émotions et de vie : le cinéma !

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    « Les deux Alfred » de Bruno Podalydès évoque un avenir beaucoup plus proche dans lequel le cinéma ne sauve pas le monde mais dans lequel les mots (anglicismes et acronymes) et l’uberisation de la société font courir à leur perte ou du moins à l’égarement ceux qui s’y débattent.

    « J'en suis fou. Il est représentatif de la forte présence et du grand talent des comédiens français. Quelque chose d'une âme fraternelle masculine passe dans ce film » a déclaré Thierry Frémaux lors de la présentation.

    Là aussi il est question de déshumanisation. Alexandre (Bruno Podalydès), chômeur déclassé, a deux mois pour prouver à sa femme partie en mission dans un sous-marin qu'il peut s'occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Seulement, « The Box », la start-up qui veut l'employer à l'essai a pour dogme : « Pas d'enfant ». Pour obtenir ce poste, Alexandre doit donc mentir... ». Dans cette startup, même l’intitulé de son travail et de sa fonction sont absconses sans parler de son pdg, sorte d’adolescent attardé éthéré qui sous des dehors décontractés à l'outrance et jusqu'au ridicule mène son petit monde de manière tyrannique. Sa rencontre avec Arcimboldo (Denis Podalydès), « entrepreneur de lui-même » qui multiplie les petits boulots sur appli pourrait bien aider Alexandre…Ajoutez à ce duo Séverine, une supérieure survoltée incarnée par Sandrine Kiberlain et vous obtiendrez un trio irrésistible qui se débat dans un monde de plus en plus absurde qui, comme ans « The Assistant » dont je vous parlais hier, aurait pu être croqué par Jacques Tati.

    La première scène entre Alexandre et son banquier donne le ton de cette comédie : tendre, mordante, décalée, aux dialogues ciselés. Tous trois sont finalement à leur manière enfermés dans leurs « box ». Séverine, elle, est dépendante d’une voiture sans chauffeur qui dicte sa loi et dont la reconnaissance faciale ne fonctionne plus.

    Les deux Alfred éponymes, ce sont deux doudous, qui ne peuvent vivre l’un sans l’autre, deux peluches qui ressemblent à des pantins désarticulés et attachants à l’image des protagonistes du film. Attachants aussi comme ce film qui vous donne envie de croquer la vie sur un air de claquettes ou de Jean Ferrat. Dans lequel la magie du cinéma nous fait croire qu’un slow peut surgir d’une voiture en pleine rue et rapprocher deux êtres qui semblaient si dissemblables.

    Dans cette comédie irrésistible à la fantaisie réjouissante, Bruno Podalydès porte un regard à la fois doux et acéré sur l’absurdité de notre société. Un monde à la liberté illusoire dans lequel l’apparence prévaut.


    Il y a peu, je vous rappelais cette citation de Tennessee Williams dans « Un tramway nommé désir » : « Je ne veux pas du réalisme. Je veux de la magie ». Espérons que cette journée de festival nous emportera aussi dans un tourbillon de magie, sur les écrans et sur les planches deauvillaises, pour nous faire oublier, un temps, suspendu, le vacarme assourdissant de la réalité.

    À suivre...
     

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  • Critique de THE ASSISTANT de Kitty Green (compétition - Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020)

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    Au programme du jour, "The Assistant" de Kitty Green, en lice pour le Grand Prix, et qu'il ne serait pas étonnant de retrouver au palmarès. Mon premier (grand ) coup de cœur de ce festival. Critique. 

     Synopsis : Jane, une jeune diplômée qui rêve de devenir productrice, vient d’être engagée comme assistante d’un puissant dirigeant, nabab du divertissement. Sa journée type ressemble à celle de toutes les autres assistantes : faire du café, remettre du papier dans le photocopieur, commander à déjeuner, organiser des voyages, prendre les messages. Mais au fil de cette journée, Jane se rend progressivement compte des abus insidieux qui découlent de tous les aspects de sa position et qu’elle n’avait pas anticipés...

    C'est aussi à cette catégorie de films en "quête de la vérité des hommes" dont je vous parlais hier qu'appartient le percutant et brillant deuxième film en compétition intitulé "L'assistante" de Kitty Green qui nous conduit à suivre Jane, une jeune diplômée qui rêve de devenir productrice, et qui vient d’être engagée comme assistante d’un puissant dirigeant (toujours nommé "il" et jamais présent à l'écran). Au fil de cette journée, Jane réalise à quel point il abuse de son pouvoir...

    Comme dans "Les Ensorcelés" (film de Minnelli projeté mardi à Deauville dans le cadre de l'hommage à Kirk Douglas) que j'évoquais ici il y a quelques jours, si le fond est une critique acerbe du milieu dans lequel elle évolue (en l'occurrence Jane est une assistante dans le domaine du cinéma mais cela pourrait s'adapter à d'autres milieux même si on pense évidemment à l'affaire Weinstein) quand la forme est un hommage au cinéma : par l'utilisation judicieuse de toutes ses ressources. Du son et du silence d'abord, oppressants. Du hors-champ (le chef invisible est une menace constante qui plane et asservit). De l'espace ensuite. Les bureaux sont vus comme une sorte de dédale arachnéen, décor clinique dans les fils duquel Jane semble prise et sous emprise. Sans véritable ouverture sur l'extérieur comme si son corps et son âme étaient accaparés et prisonniers de ces bureaux dans lesquels elle effectue des taches répétitives comme un robot, dans un décor qui en devient presque absurde comme dans un film de Tati auquel cette utilisation judicieuse du son, des silences et des espaces fait songer. Et même lorsqu'elle se blesse avec une enveloppe c'est en silence. Les blessures ici doivent demeurer tacites, cadenassées.

    Elle semble presque se fondre dans le décor avec son teint diaphane, son pull couleur chair. Tout est suggéré. Jamais montré ostensiblement. La démonstration implacable n'en a que plus de force. Les fils se resserrent autour de Jane prise dans cet  dans lequel les humiliations et marques de condescendance ne sont pas tonitruantes mais insidieuses et d'autant plus violentes : une tape dans le dos, un manteau ou un enfant pareillement et dédaigneusement jetés dans ses bras, des regards évasifs, une connivence excluante. Julia Garner incarne à la perfection cette âme broyée, écartelée, ombre presque fantomatique condamnée à un silence oppressant.

    La sobriété de la réalisation intelligemment pensée apporte toute sa force, ravageuse et bouleversante, à cette démonstration sans appel et nous invite, au contraire de Jane, anéantie, à ne plus fermer les yeux.

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