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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 205

  • Critique de POLISSE de Maïwenn, ce soir, à 20H45, sur Ciné + Emotion

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    « Polisse » est le troisième long métrage de Maïwenn après « Pardonnez-moi » (2006) et « Le bal des actrices » (2009). J’étais restée particulièrement sceptique devant «Le Bal des actrices » , film sur les masques et les mensonges des actrices dans lequel Maïwenn nous impose sa propre vérité, un bal dont elle est la reine et la manipulatrice, un bal dans lequel le cinéma est montré comme un théâtre masqué, un monde de faux-semblants dans lequel les actrices sont toutes malheureuses, narcissiques, prétentieuses et pour se dédouaner de s'être attribuée le beau rôle, Maïwenn lors d'une scène finale (lors de laquelle toutes les actrices sont réunies pour voir son documentaire) devance toutes les critiques, ses actrices lui adressant les reproches que pourrait lui faire la critique. Bref, je craignais le pire avec le sujet ô combien sensible de ce troisième long métrage.

     

    Synopsis : « Polisse » suit le quotidien des policiers de la BPM (Brigade de Protection des Mineurs) : gardes à vue de pédophiles, arrestations de pickpockets mineurs, auditions de parents maltraitants, dépositions des enfants, les dérives de la sexualité chez les adolescents, mais aussi la solidarité entre collègues et les fous rires incontrôlables dans les moments les plus impensables. En parallèle, Maïwenn montre les répercussions sur la vie privée de chacun de ces policiers et l’équilibre précaire entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Mélissa ( Maïwenn) est mandatée par le Ministère de l’Intérieur pour réaliser un livre de photos sur la brigade. Ce regard va révéler les fêlures de Fred (Joeystarr), le plus écorché vif de la brigade.

    Les premières minutes nous montrent une petite fille décrivant avec sa candeur enfantine les attouchements que son père lui a ou aurait fait subir (nous ne saurons pas vraiment). Quelques scènes plus tard, nous retrouvons les policiers de la BPM qui, à la cantine, racontent leurs histoires de couples, avec une certaine crudité, à la fois pour désamorcer la violence de ce qu’ils entendent au quotidien, mais aussi parce que cette violence a des répercussions inévitables sur leur vie privée.

    C’est avant tout eux que la caméra de Maïwenn va suivre, nous immergeant dans leur douloureux quotidien. Douloureux parce que difficile d’entendre des horreurs toute la journée et de ne pas en ressortir écorché, voire blessé, ou même meurtri. Douloureux parce que la vie privée devient chaotique quand la vie professionnelle est aussi rude et vorace, et exige un tel dévouement dont il est impossible de ressortir indemne. Douloureux parce que les blessures des autres ravivent les leur.

    Lors de la première projection à Cannes, je vous avais dit avoir été partagée entre émotion et scepticisme, agacement et admiration mais j’avoue que cette fois l’émotion et l’admiration ont dominé. Emotion parce que la caméra de Maïwenn capte et esquisse admirablement des portraits de pères, de mères, d’hommes, de femmes, d’enfants, désemparés face à la douleur indicible mais aussi la glaçante épouvante de ceux qui avouent les pires horreurs avec le sourire et une terrible « innocence », inconscients de celle qu’ils ont bafouée (Terrifiante déclaration du personnage d’Audrey Lamy inspirée comme tous les autres faits de ce film, de faits réels). Emotion parce qu’il est impossible de rester insensible devant, par exemple, cette scène douloureusement réaliste de cet enfant arraché à sa mère parce qu’il est impossible de leur trouver un foyer à tous deux. Emotion lorsque par un frôlement de main, une danse d’abandon, surgit une tendresse si longtemps contenue. Emotion parce que la scène finale d’une logique tragiquement implacable vous saisit d’effroi.

    Admiration parce que Maïwenn en quelques plans, parfois juste le temps d’une déclaration à la police, nous raconte toute une histoire, un passé sombre et un avenir compromis. Admiration parce qu’elle tire des acteurs et surtout actrices, le meilleur d’eux-mêmes : Sandrine Kiberlain bouleversante, Karin Viard insaisissable, touchante puis presque effrayante, et que dire de Marina Foïs, remarquable dans le rôle de ce personnage de policier, le plus intéressant, abimé, fragile, désorienté. Même Joeystarr dont la prestation dans « Le bal des actrices » ne m’avait pas convaincue, est ici particulièrement touchant dans son rôle de flic bourru au cœur tendre qui s’implique émotionnellement dans chaque « cas ».

    Alors pourquoi étais-je aussi sceptique et agacée suite à la projection cannoise ? Sceptique parce que le personnage qu’incarne Maïwenn qui se cache derrière ses grandes lunettes, son chignon, qui passe des beaux quartiers aux quartiers plus populaires, semble une nouvelle fois une manière de se dédouaner, de se donner le beau rôle, de se mettre en scène sans que cela soit forcément nécessaire. Il faut avouer que, suite à cette deuxième projection, j’ai trouvé que son personnage qui certes parfois sourit un peu trop béatement, apporte une certaine fraîcheur, un regard extérieur et est une vraie trouvaille scénaristique pour permettre au personnage de Joeystarr d’évoluer et de révéler une autre facette de sa personnalité. C’est aussi un moyen d’explorer à nouveau la mise en abyme. C'est d’ailleurs après avoir vu un documentaire à la télévision sur le travail des policiers chargés de protéger les mineurs, qu'elle a eu l'idée d'en faire un film.

    Agacée par ce style faussement réaliste (Lors de la conférence de presse des lauréats à Cannes, Maïwenn s’est énervée suite à la question d’un journaliste qui, à propos de son film, parlait de style semi-documentaire) qui recrée une réalité et forcément l’édulcore pour faire surgir une réalité qui forcément n’en est pas totalement une. Agacée parce que Maïwenn par moments semble nous refaire « Le bal des actrices » et plus soucieuse de leurs performances que du réalisme (peut-être aurait-il été plus judicieux d’utiliser uniquement des comédiens inconnus) mais après cette deuxième projection, je reconnais que tous les acteurs sans exception, sont absolument remarquables et que Maïwenn est incontestablement douée pour la direction d’acteurs sachant tirer ici le meilleur de chacun (les « témoignages » d’anonymes sont saisissants).

    Agacée parce que parfois la caméra s’attarde un peu trop, et nous prend en otage, ou parce que parfois elle semble privilégier ou du moins hésiter entre l’effet de style ou l’émotion et le réalisme (comme la scène des enfants qui dansent dans le bus). Agacée parce que, à l’image de son titre, cela frôle alors l’artificiel. Polisse écrit par un enfant. Polisse mais surtout pas « policé ». Polisse parce qu’il y avait déjà le PoliCe de Pialat.

    Avec ce troisième film, Maïwenn veut à nouveau faire surgir la vérité, « peindre les choses cachées derrière les choses » pour reprendre une célèbre réplique d’un non moins célèbre film de Marcel Carné. En voulant parfois trop mettre en valeur ses actrices (ou elle-même), elle nuit justement à cette vérité nous rappelant trop souvent que « c’est du cinéma », alors qu’elle retranscrit malheureusement surtout une sombre réalité. Il n’en demeure pas moins que c’est un bel hommage à ces policiers de la BPM, à leur dévorant métier et leur dévouement, un constat effroyable sur la noirceur humaine, et il n’en demeure pas moins que la fin est bouleversante de beauté tragique et de lyrisme dramatique : ces deux corps qui s’élancent, et font éclater ou taire la vérité, inadmissible, et éclater ou taire l’espoir. Un film agaçant, intense, marquant, bouleversant, parfois même (sombrement) drôle.

    A cette deuxième vision, la qualité de la réalisation (caméra nerveuse qui épouse la tension palpable), et surtout l’écriture m’ont particulièrement marquée, sans doute la raison pour laquelle Maïwenn condamnait cette définition de semi-documentaire. Le film est extrêmement construit, les dialogues sont particulièrement efficaces et sans doute certains les trouveront trop écrits, en contradiction avec l’impression de réalisme auquel ils ne nuisent néanmoins pas. Chaque scène de chaque personnage, qu’il soit au premier ou au second plan, dit quelque chose du dénouement concernant ce personnage et il faut dire que Maïwenn et sa coscénariste Emmanuelle Bercot manient brillamment le film choral aidées par un brillant montage qui fait alterner scènes de la vie privée et scènes de la vie professionnelle, les secondes révélant toujours quelque chose sur les premières, ces deux familles se confondant parfois. Pialat, Tavernier, Beauvois, Marchal avaient chacun à leur manière éclairer une facette parfois sombre de la police. Il faudra désormais compter avec le « Polisse » de Maïwenn dont le prix du jury cannois était en tout cas entièrement justifié.

    Cliquez ici pour lire le compte rendu de la conférence de presse cannoise de « Polisse ».

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  • CRITIQUE de LES NOCES REBELLES de SAM MENDES, ce lundi 21 octobre 2013, à 20H50, sur HD1

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    Lorsqu’ils se rencontrent, April (Kate Winslet) et Frank Wheeler (Leonardo Di Caprio) en sont persuadés : ils sont différents, exceptionnels même. Certes ils ont emménagé sur Revolutionary road,  dans une banlieue tranquille comme il y en a tant d’autres, où les conventions sociales et la vie routinière règnent mais ils en sont certains : ils ne se laisseront pas piéger. Oui, ils sont différents et le prouveront.

    Actrice sans talent, April consacre  pourtant bientôt tout son temps à sa maison et ses enfants, en rêvant d’une vie trépidante loin de Revolutionary road.  Frank, quant à lui, fait un travail sans intérêt dans un bureau dans la même entreprise que celle où son père travaillait, et finit par tromper sa femme avec une secrétaire terriblement insignifiante et stupide.

    Un jour, celui-là même où Frank commence à la tromper, en fouillant dans sa boîte à souvenirs, April trouve une photo de Frank à Paris et se souvient de leurs aspirations.  Elle reprend brusquement goût à la vie, surtout espoir en la vie et en l’avenir. C’est décidé : leur avenir est à Paris, elle convainc Franck de partir y vivre quelques mois plus tard. Ils l’annoncent alors à leurs proches avec l’insolence du bonheur.

    L’intrigue se déroule dans le Connecticut, dans les années 50 mais ce n’est finalement qu’un détail… tant ce film possède une portée intemporelle et universelle.

    Si ces « Noces rebelles » font l’effet d’un coup de poignard dont il faudra un temps certain pour se remettre, c’est autant pour son dénouement terriblement fort et magnifiquement cruel que pour les questionnements que ce film suscite et auxquels chacun a forcément été confronté, un jour ou l’autre. Le schisme potentiel entre ce que l’on est, ce que l’on voudrait devenir ou ce que l’on a rêvé de devenir. Les idéaux de jeunesse face à la réalité de la vie familiale. Le courage d’échapper à une vie médiocre, confortable et conformiste ou la  facilité, la lâcheté même, de s’y conformer. La facilité de suivre une existence tracée ou le courage de se rebeller contre celle-ci.

    Revolutionary Road, le nom de leur rue : voilà bien tout ce que leur vie a finalement de révolutionnaire tant ils vont se faire enfermer par cette vie si éloignée pourtant de celle à laquelle ils aspiraient, tant ils vont devenir semblables aux autres, malgré tout, tant ils vont être happés par ce « vide désespérant » de l’existence qu’ils méprisent par-dessus tout.

     Avec son costume et son chapeau grisâtres, chaque matin, sur le quai de la gare, Frank est anonyme et perdu dans une foule indifférenciée d’hommes vêtus de la même manière, sinistrement semblables. Son bureau est carré, gris, terne comme la cellule d’une prison. Et chaque matin April le regarde partir derrière une vitre aux lignes carcérales. Cette prison d’uniformité, de médiocrité va bientôt se refermer sur eux … jusqu’au point de non retour.

    La rencontre n’occupe qu’une très petite partie du film : le pré-générique au cours duquel April jette son dévolu sur Frank, parce qu’il porte en lui toutes les espérances d’une vie exceptionnelle, parce qu’il a l’arrogance et la beauté prometteuses, prometteuses d’un futur différent de celui des autres, d’une vie où on « ressent » les choses et où on ne les subit pas. Puis, on les retrouve mariés, se disputant suite à une représentation théâtrale dans laquelle jouait April et où son manque de talent a éclaté. Générique. Le temps du bonheur est terminé. Le reste n’en sera que le vain  espoir.

    La suite est à la fois d’une déchirante cruauté mais aussi d’une déchirante beauté : la beauté du regard aiguisé d’un cinéaste au service de ses acteurs, au service du scénario, au service de cet enfermement progressif. La justesse des dialogues, ciselés et incisifs, auxquels notre attention est suspendue. La beauté de certains plans, de certaines scènes, brefs moments de bonheur qui portent déjà en eux son impossibilité et qui les rend d’autant plus éblouissants : April lumineuse, irréelle et déjà évanescente, dans l’embrasure d’une porte  ou une danse sensuelle exprimant autant la vie que la douleur de son renoncement… Et cette scène qui succède à une dispute où tout semble devenu irrévocable et irrémédiable. Cette scène (que je ne vous décrirai pas pour vous la laisser découvrir) à la fois d’une atroce banalité et d’une rare intensité où le contraste avec la précédente et où les enjeux sont tels que notre souffle est suspendu comme lors du plus palpitant des thrillers. Quel(s) talent(s) faut-il avoir pour faire passer dans une scène en apparence aussi insignifiante autant de complexité, de possibles, d’espoir, d’horreur ? Cette scène est magistrale.

    Alors, non…la route ne les mènera nulle part. Si : en enfer peut-être.  Au grand soulagement des voisins qui raillaient hypocritement leur départ, qui redoutaient en réalité qu’ils échappent à cette vie qu’ils se sont condamnés à accepter et à suivre sans rechigner.  Le piège va se refermer sur eux. La rébellion sera étouffée. La médiocrité remportera la bataille contre la vie rêvée et idéalisée.

    La musique de Thomas Newman est parfois douloureusement douce et ne fait qu’exacerber ce sentiment de regret, de bonheur à jamais insaisissable, de même que la photographie qui, tantôt (plus rarement) d’une lumière éclatante, tantôt d’une obscurité presque inquiétante épouse les espoirs et les déchirements, les désillusions du couple.

    Onze ans après « Titanic » le couple Di Caprio / Winslet se reforme (de nouveau accompagnés de Kathy Bates) donc pour ce film qui en est l’antithèse, une adaptation du roman « Revolutionnary Road » (La Fenêtre panoramique) de Richard Yates publié en 1961. Ce choix de casting est judicieux  et très malin, non seulement parce qu’ils auraient pu choisir un blockbuster beaucoup plus « facile » et qu’avec ce sujet ce n’était pas gagné d’avance (au contraire des protagonistes du film, ils ont donc  fait preuve d’audace) mais aussi parce qu’ils représentaient alors le couple romantique par excellence, les voir ainsi se déchirer n’en est d’ailleurs que plus fort. Kate Winslet, par son jeu trouble et troublant, n’a ainsi pas son pareil pour faire passer la complexité et la douleur de ses tourments, l’ambivalence de cette femme que le conformisme étouffe progressivement et pour que chacune de ses expressions contienne une infinitude de possibles, contribuant à ce suspense et cette sensation de suffocation intolérable.  On étouffe, subit, souffre avec elle. C’est à la fois jubilatoire et insoutenable. Avec son air d’éternel adolescent maladroit, ne sachant prendre sa vie en mains, Leonardo Di Caprio, quant à lui, trouve là un de ses meilleurs rôles et prouve une nouvelle fois l’étendue de son jeu.

     Le film leur doit beaucoup tant ils rendent ce couple à la fois unique et universel et extrêmement crédible. Dommage que les seules nominations pour les Oscars ( même si Kate Winslet a obtenu le Golden Globe pour ce rôle ) aient été pour Michael Shannon comme meilleur acteur dans un second rôle (qui le mérite néanmoins, qui interprète un fou de la bouche duquel sortira pourtant la vérité , rassurant finalement les voisins hypocrites qui préfèrent ne pas entendre-au sens propre comme au sens figuré, cf le mari de Kathy Bates au dénouement- qui refusent de l’admettre puisque n’étant pas sain d’esprit il aurait donc tort et eux auraient raison d’avoir choisi, plutôt suivi cette vie. C’est aussi le seul à être d’accord et à comprendre réellement les Wheeler), pour le meilleur costume et pour le meilleur décor (Kristi Zea, la chef décoratrice dit s’être inspirée des œuvres du peintre Edward Hopper donc ce film porte la beauté laconique et mélancolique).

     Un film intemporel et universel, d’une force et d’une cruauté aussi redoutables qu’admirables, servi par deux comédiens exceptionnels et une réalisation virtuose. Un film palpitant qui est aussi une réflexion sur le mensonge, l’espoir, les idéaux de jeunesse, la cruauté de la réalité, la médiocrité, l’hypocrisie et le conformisme de la société. Les vingt dernières minutes sont d’une intensité rare et font atteindre des sommets de perspicacité, de complexité à ce film dont on ressort touchés en plein cœur avec cette envie aussi de le faire battre encore plus vite et plus fort. Le pouvoir des grands films dont « Les Noces rebelles » fait indéniablement partie. Je vous invite vivement à faire un tour sur cette « revolutionary road », autre "sentier de la perdition". Vous n’en reviendrez pas indemnes… et je vous le garantis : cette rue-là vous bousculera, vous portera et vous hantera bien après l’avoir quittée. 

     

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  • Critique de OSS 117 : RIO NE REPOND PLUS de Michel Hazanavicius (à 20H45 sur 6ter)

    Après le triomphe de "The Artist" de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin aux Oscars et à Cannes, je vous suggère de revoir leur précèdent film ensemble, ce soir, sur M6, à 20H50 ainsi que mes vidéos de ces derniers lors de l'avant-première.

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    Nous ne sommes donc plus en Egypte en 1955 comme dans "OSS117: Le Caire, nid d'espions" mais une décennie plus tard, plus exactement en 1967, au Brésil, à Rio. En France, De Gaulle et Pompidou ont remplacé Coty et Faure. Douze ans après, OSS 117 (Jean Dujardin) reprend donc du service, cette fois lancé à la poursuite, non pas du diamant vert, mais d’un microfilm compromettant pour l’Etat français. Il va alors devoir faire équipe avec une séduisante jeune femme, lieutenant-colonel du Mossad, Dolorès (Louise Monod) pour capturer un nazi maître chanteur.

     

    Hubert Bonisseur de la Bath est désormais affublé du ravissant pseudonyme de Noël Flantier mais il n’a rien perdu de ses costumes et de son attitude surannés, ni de sa misogynie, de son racisme et de toutes ses autres tares légendaires (la pire affliction qu’on puisse lui reprocher étant pour lui la première !) qui, vues sous le prisme du premier degré ou maladroitement mises en scène et interprétées, pourraient être consternantes, voire dangereuses. Ce n’est heureusement pas le cas. D’abord parce que, ici, on présuppose l’intelligence du spectateur qui saura rire du personnage principal et non rire avec, contrairement à la majorité des comédies qui n’osent pas prendre ce « risque » . Aussi parce que les réactions, de consternation le plus souvent, de ceux qui lui font face désamorcent l’abjection de ses propos (ici Louise Monod, malheureusement moins nuancée dans son jeu que Bérénice Béjo, peut-être aussi, parce que son personnage est moins riche et moins construit) . Et même si le film n’est pas militant et même s’il est foncièrement politiquement incorrect, c’est finalement peut-être beaucoup plus efficace, contre le racisme et l’antisémitisme et toutes autres formes de bêtises, que le film d’Etienne Chatillez, « Agathe Cléry » sorti la même année, qui avait totalement manqué son objectif,... à condition évidemment d’être mis sous des yeux clairvoyants.

    Ensuite, la mise en scène est toujours aussi réjouissante, imprégnée cette fois de l’atmosphère des années 60, de ses couleurs acidulées, usant et abusant du split screen (mais ici à bon escient puisque cela devient un instrument du comique) mais aussi des références cinéphiliques. Lors du débat qui avait suivi Michel Hazanavicius avait même avoué avoir « pillé » certains films, évoquant ainsi « Sueurs froides » auquel il est explicitement fait référence. La spectaculaire scène du dénouement au sommet du Christ du Corcovado que je vous laisse découvrir semble, quant à elle, directement inspirée de celle de la « Mort aux trousses » sur le Mont Rushmore, et les scènes de poursuite semblent suivre l’enseignement d’Hitchcock dans le film précité qui avait inversé les codes de la course poursuite, se déroulant jusque-là la plupart du temps dans une rue étroite et sombre.

    On ne peut évidemment pas ne pas penser à « L’Homme de Rio » tant Jean Dujardin rappelle Belmondo, conciliant sens de l’action, du comique, qualité de jeu, et bénéficiant du même capital sympathie auprès du public, et ne s’économisant d’ailleurs pas, lui non plus, pour le conquérir. (Voir vidéos ci-dessous). Comme Belmondo, à une époque où les films se faisaient sur son nom et où les titres reflétaient cette importance, là aussi, le film semble ne pas avoir de raison d'être sans Jean Dujardin qui lui insuffle son énergie débordante. Sans doute faut-il énormément d’intelligence pour interpréter avec autant de vraisemblance et d’apparente conviction un personnage aussi stupide, sans pour autant lui rendre le spectateur totalement hostile. Il n’économise ni ses rictus, ciselés, ni ses soulèvements de sourcils, ni ses silences, ni ses incoercibles rires gras, trouvant toujours la note juste pour contribuer à une partition à la fois baroque et sans fausse note et il montre une nouvelle fois la large pallette de son talent à ceux qui en douteraient encore après tous les prix qu'il vient de recevoir pour "The Artist". 

    Si certaines répliques sont particulièrement décapantes, c’est donc à mon avis dans le jeu de Jean Dujardin aux frontières du burlesque, mais aussi dans l’absurde de certaines situations et dans leur caractère inattendu que cet OSS est le meilleur (scène de l’hôpital puis du « jardinier » etc), quand le comique n’est pas annoncé par des roulements de tambour et arrive subrepticement. C’est en cela qu’il diffère peut-être le plus du premier volet dont , pour le reste, il épouse la structure, quasiment à l’identique, avec cependant des personnages féminins moins présents, moins écrits, plus secondaires.

    Le spectateur est transporté dans un ailleurs temporel et spatial qui contribuent aussi à son plaisir et à son dépaysement et à l’embarquer dans cette aventure fantasque des plages et extraordinaires paysages de Rio aux forêts amazoniennes.

    Le seul bémol concerne le scénario, signé Jean-François Halin et Michel Hazanavicius. Si Michel Hazanavicius s’est vraisemblablement là aussi inspiré d’Hitchcock pour le MacGuffin (objet matériel et généralement mystérieux qui sert de prétexte au développement de l’action du film)-ici le microfilm-, chez Hitchcock le parfait enchaînement des scènes grâce à un scénario exemplaire nous le fait, toujours, totalement oublier, ici nous avons davantage la sensation d’une succession de saynètes sans réel but défini. Le rythme soutenu, la qualité de l’interprétation, de la mise en scène, des décors et des dialogues parviennent néanmoins à rendre ce défaut anecdotique et à nous emporter dans ces rocambolesques et absurdes aventures brésiliennes.

    A l’heure où les comédies sont de plus en plus formatées, suivant les demandes des chaînes de télévision mais aussi une demande (probablement à tort) présupposée du public, cet hymne au politiquement incorrect, grâce à l’intelligence de la mise en scène et de l’interprétation transforment ce qui aurait pu être un simple film potache en un salutaire divertissement, malin et de qualité.

     

    Vidéos de la soirée au Forum des Images:

     

     

    En bonus, retrouvez ma critique de "The Artist", en cliquant sur l'image ci-dessous que j'avais prise en conférence de presse du Festival de Cannes 2011.

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  • Je soutiens "Clap!", le nouveau magazine de cinéma sur Ulule. Et vous?

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    Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je trouve que les journaux de cinéma papier, qui subissent de plein fouet la crise du "papier", n'ont pas su s'adapter aux nouvelles manières de s'informer introduites (il y a un moment déjà, pourtant) par internet, de même que les librairies et l'édition papier sont démunis et ne savent pas s'adapter à l'édition numérique (à laquelle je m'intéresse tout particulièrement depuis que je suis publiée chez Numeriklivres, mais je vous en reparlerai très prochainement dans un article). Par exemple, quand des festivals sont relatés au jour le jour sur des sites/blogs, un journal ne peut se contenter d'un simple compte rendu, mais doit y apporter une vraie valeur ajoutée quand une multitude d'articles ont déjà été écrits sur le sujet, parfois un mois avant. Malheureusement, c'est très rarement le cas.

     J'ai pourtant été une lectrice compulsive de journaux ciné achetés religieusement et invariablement le jour de leurs sorties: Positif, Studio puis Ciné Live puis Studio Cine Live, Première (dont je découpais scrupuleusement les petites fiches dès l'âge de 12 ans), moins "Les Cahiers" depuis quelques années dont je me dis qu'ils aiment souvent davantage s'écouter parler/descendre un film que le cinéma lui même. Je ne les achète plus que très épisodiquement aujourd'hui.

     Si aimer le cinéma ne signifie pas en faire systématiquement un éloge aveugle, cela ne signifie pas  non plus descendre un film sans la moindre considération pour ceux qui y ont œuvré pendant des années, sous prétexte d'exercer un pseudo esprit critique ou une pseudo belle plume. Aimer le cinéma c'est aussi savoir le décrypter, le replacer dans une histoire, un contexte. C'est aussi la raison pour laquelle mon parti pris est ici de vous parler avant tout de mes coups de cœur (et parfois d'ailleurs de coups de gueule quand un projet me semble avant tout commercial, "malhonnête", ou me révulse pour une raison ou une autre que j'essaie d'ailleurs d'argumenter).

    Mais revenons à "Clap!" que vous suiviez peut-être déjà dans sa version numérique. J'aurai le plaisir de vous y parler de festivals de cinéma, et pas en deux/trois lignes mais dans un récit de mes pérégrinations comme j'ai l'habitude de le faire sur mes 5 blogs cinéma et en particulier désormais sur http://inthemoodforfilmfestivals.com .  Si j'ai accepté, c'est parce que je sais ce journal est créé et sera écrit par de vrais passionnés, amoureux du septième art, qu'il laissera la place et le temps aux idées de s'exprimer, aux entretiens aussi et que sa devise pourrait être celle de l'Union Européenne "l'unité dans la diversité", la diversité de ceux qui écriront réunis par la même passion, et le souhait commun de faire naitre un vrai magazine ciné qui redonne envie à ceux qui se sont éloignés de la presse papier d'y replonger. Ce qui ne gâche rien, la forme sera aussi particulièrement claire et soignée comme vous le verrez ci-dessous (mais pas au détriment du fond, comme c'est parfois le cas).

    Un appel à contribution vient d'être lancé sur Ulule. 3457 euros sont pour l'instant engrangés sur les 7500 euros nécessaires et alors qu'il reste 31 jours. C'est donc en très bonne voie mais que cela ne vous empêche pas de contribuer à votre tour si le cœur vous en dit.

    Pour vous rendre sur la page Ulule du projet et pour de plus amples informations, cliquez ici ou sur l'image "Clap!" en haut de cet article.

     

    LE PROJET TEL QUE PRESENTE SUR ULULE:

     

     "Clap!"est un magazine qui se propose d'être une alternative à la fois cohérente, sérieuse et rafraîchissante aux diverses publications existantes. La presse cinéma est depuis quelques années dramatiquement axée sur la forme au détriment du fond et a plié sous le joug de la promo à outrance.

     

    CLAPMAG, C’EST QUOI ?

    • Un site web de cinéma qui attire plus de 40 000 visiteurs par mois, alimenté quotidiennement par une quinzaine de bénévoles passionnés 
    • Une communauté de fans toujours plus nombreux sur Facebook et Twitter
    • Une revue gratuite baptisée Clap! (dix numéros publiés entre 2010 et 2012).
    • Un partenaire reconnu par : les institutions (Cinémathèque française), les enseignes commerciales (Carlottafilms, FNAC, Grand Rex, Ed. Montparnasse, Studiocanal...), les attachés de presse, les festivals (Cannes, Venise, Gérardmer, Deauville, Paris Cinéma, etc.).

    QUEL EST NOTRE PROJET ?

    Nous souhaitons faire entendre aujourd’hui une voix différente et INDEPENDANTE que nous ne retrouvons pas toujours dans la presse cinématographique actuelle.

    En d'autres termes, créer le magazine que nous aimerions trouver en kiosque. Clap!, c’est avant tout une identité critique forte, une liberté de ton et d'esprit déjà établies depuis plusieurs années sur Clapmag.com. Car en effet, Clap! s’intéresse à tous les cinémas sans préjugés : du blockbuster aux films d’auteur, des classiques de l'Age d'or hollywoodien aux films pop-corn des années 80, de la Série B au film d'animation.

    A son coeur purement ciné viendra également s'ajouter un large cahier critique dédié aux séries. Vous l’aurez compris, le but est de n’exclure aucun genre, parler de TOUT, avec passion, précision et ouverture d’esprit (cf. les 10 commandements clapiens).

             

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    Chaque numéro sera composé de longues interviews de grands cinéastes, acteurs, techniciens : ceux qui font le cinéma. Mais l'essence même de Clap! sera son dossier d’une vingtaine de pages, dans lequel chacun des rédacteurs exprimera son point de vue sur un thème commun, intemporel ou au contraire en lien avec l’actualité brûlante. Dans les deux cas, le dossier sera écrit avec l’exigence d’une approche inédite, d’un retour aux sources, d’une analyse précise, décalée, sérieuse : ce que le sujet exigera ! Exemples :  Qui est l’héritier légitime d’Hitchcock ?  La guerre du Viêtnam au cinéma. Hollywood n'a-t-il plus rien à dire ? L’animation : de Méliès à Pixar. Ceux qui ont fait l’Age d’Or hollywoodien.

    Et parce qu'il y a mille façons d'en parler, Clap! a décidé de rassembler le meilleur du web au sein de sa revue. Enfin un collectif de passionnés du ciné qui promet de tout dire, tout couvrir, pour le meilleur et pour le pire. Ont déjà rejoint la Clapteam : les excellentes plumes d’EastAsia & In the Mood for Cinéma,  qui auront leur rubrique rien qu’à eux ! 

    Vous voilà maîtres de notre destin, vous, lecteurs, cinéphiles, amateurs, jeunes talents : les artisans du destin de Clap! c'est VOUS !

                                    

    Lien permanent Imprimer Catégories : IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) Pin it! 0 commentaire
  • Palmarès et compte rendu du Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz 2013

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    Je tenais en préambule à remercier à nouveau l’équipe  de belles personnes en charge de l’organisation du festival de Saint-Jean-de-Luz pour leur accueil, une fois de plus, leur passion communicative du cinéma et pour avoir facilité mon départ. Même si j’ai dû abréger mon séjour en raison de dramatiques évènements personnels (d’où également ce compte rendu retardataire), y aller a été un réel bonheur, que ce soit  en  découvrant la presque totalité de la compétition d’un éclectisme et d’une qualité rares (malgré des thématiques communes, j’y reviendrai), ou que ce soit encore en écoutant les équipes de films visiblement toutes satisfaites d’être là (comme je les comprends !) et disponibles pour parler avec le public dans et en dehors de la salle, ou encore en écoutant la passion, l’empathie et l’enthousiasme avec lesquels le délégué artistique du festival Patrick Fabre présente les films et anime les débats d’après films et partage ses coups de cœur pour ceux-ci, ou en allant chaque jour au cinéma Le Sélect avec impatience et y recevant toujours un accueil souriant, ou en déambulant dans les rues de Saint-Jean-de-Luz ou sur le front de mer et me laissant éblouir par sa douce lumière teintée d’une légère et réjouissante mélancolie,  ou en appréciant l’accueil des Luziens, et me disant que la passion du cinéma, décidément, est tellement précieuse, salutaire et universelle. Il y a aussi tous ces films que je n’ai pu voir qui étaient présentés les deux derniers jours mais que j’irai voir dès que possible, une sélection a Saint-Jean-de-Luz étant pour moi un gage de qualité indéniable. Ces quelques jours de quiétude et de découvertes cinématographiques au Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz (qui fut aussi mon 3ème) m'ont à nouveau réservé de magnifiques surprises cinématographiques que je partage aujourd'hui avec vous. Inutile de vous dire que je vous encourage à courir les voir en salles quand ils sortiront (je vous avertirai bien entendu au moment de leurs sorties).

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    18 ans. 18 ans déjà pour ce beau festival qui, avant de prendre lui aussi son envol, et d’entrer dans sa majorité, permet à de nombreux cinéastes d’émerger et de s’envoler, souvent vers une très belle carrière. Chaque édition, ce sont les meilleurs films de l’année à venir que j’y découvre : « Louise Wimmer », « Syngue Sabour », « J’enrage de son absence » pour n’en citer que quelques-uns ont ainsi été projetés dans ce festival bien avant leurs sorties en salles et souvent bien avant que d’autres festivals les sélectionnent.  Le Président du jury de cette 18ème édition, André Dussolier, lors de la cérémonie d’ouverture, après avoir vu les premiers films en compétition, a d’ailleurs fait remarquer qu’il était stupéfait par la qualité des films sélectionnés.

     

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     A Saint-Jean-de-Luz, pas de surbadges, de files vip, non juste l’envie et le plaisir communicatifs de voir des films. Le cinéma est roi. Pas de cynisme ou de condescendance mais de la passion et de la bienveillance. L’écrin rêvé pour de jeunes cinéastes venus présenter leurs premiers ou deuxièmes films.  Rien d’étonnant donc à ce que le très (trop) rare André Dussolier ait accepté de présider le jury, visiblement avec beaucoup d’enthousiasme, en plus de l’humilité et de l’élégance qui le caractérisent, à l’entendre lors de l’ouverture (cf vidéo ci-dessus).

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    Lors de l’ouverture, des extraits des films dans lesquels il a joués nous ont rappelé l’éclectisme de sa carrière, et ses choix judicieux, le tout projeté sur la musique d’"Amélie Poulain" dont il fut la si reconnaissable voix off.  Parmi ces films, plusieurs autres chefs d’œuvre dont mon film préféré (bon, d’accord, cela varie selon les jours, mais disons un de mes cinq films préférés), « Un cœur en hiver » de Claude Sautet. Une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images (vous pouvez retrouver la critique complète en cliquant ici, vraiment si ce n’est déjà fait, voyez-le) ou encore « On connaît la chanson » d’Alain Resnais qui est un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération et dont vous pouvez retrouver ma critique, ici. Deux exemples parmi tant d’autres…

     

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    Après une présentation du jury également composé d’Alice David, Pascal Demolon,  Audrey Estrougo, Sarah Kazemy, Anne Le Ny, Aurélien Recoing, place à celle du film d’ouverture, « En solitaire » premier long métrage en tant que réalisateur du chef opérateur Christophe Offenstein qui a notamment éclairé tous les films de Guillaume Canet (qui fait également partie de la distribution du film). François Cluzet (également présent, comme vous le verrez dans la vidéo ci-dessus) y incarne Yann Kermadec, un navigateur qui voit son rêve se réaliser  quand il remplace au pied levé, son ami Franck Drevil, au départ du Vendée Globe, le tour du monde à la voile en solitaire. Déterminé à gagner, alors qu’il est en pleine mer, il découvre à son bord un jeune passager… S’il est repéré, Yann Kermardec censé faire la course « en solitaire », sera disqualifié. A l’image de Yann Kermardec, Christophe Offenstein a dû affronter des conditions difficiles pour mener à bien son « navire ». Cela en valait la peine. Cela aurait là aussi pu être l’histoire d’un « géant égoïste » qui va comprendre que la plus belle des victoires n’est pas forcément d’arriver premier. A l’image des éléments qu’il va devoir affronter, parfois féroces et déchaînés, et qui laissent place à des levers ou couchers de soleil éblouissants, la rage va peu à peu laisser place à des sentiments plus « lumineux ». François Cluzet est une fois de plus remarquable pour incarner cet homme face à ses propres faiblesses et aux forces redoutables et éblouissantes de la nature ( et donc de sa nature). Face à lui, le jeune Samy Seghir ne démérite pas.  « En solitaire » sortira en salles le 6 novembre 2013. Je vous le recommande, au passage de même qu’un autre film, une fable d’une beauté crépusculaire et bouleversante dans lequel un homme se retrouve également « en solitaire » face au cruel éclat de la nature, « All is lost » de J.C Chandor (en salles le 11 décembre 2013).

     Le jury d’André Dussolier a  décerné un palmarès singulier et nuancé, à l’image de ce dernier (et un palmarès justifié pour les films qui y figurent que j’ai pu voir).

     Le jury a en effet décerné le Chistera du meilleur réalisateur à Ritesh Batra pour le film indien « The Lunchbox » dont l’acteur principal Irrfan Khan a également été récompensé pour son interprétation, et celui du meilleur film au « Géant égoïste » de Clio Barnard dont je vous ai déjà parlé récemment puisque ce film a également reçu le Hitchcock d’or au dernier Festival du Film Britannique de Dinard. Le jury jeunes, quant à lui, a récompensé « La pièce manquante » de Nicolas Birkenstock.

     Solitude, deuil, absence, errance, envie d’ailleurs et d’évasion, telles étaient les thématiques communes des films en compétition qui, contrairement à ce que ces thèmes pourraient laisser croire, étaient souvent remplis d’espoir plus ou moins ténu. Confrontés à des situations ou des univers âpres, les personnages des films en compétition, s’ils n’étaient dans l’ensemble pas d’emblée sympathiques, dissimulaient leurs failles et douleurs derrière une certaine rugosité et n’en étaient bien souvent que plus intéressants et attachants.

     

    C’est le cas du personnage principal de « The Lunchbox » (présenté également à la Semaine de la Critique), premier film de Ritesh Batra. Une erreur dans le service pourtant très efficace de livraison de lunchboxes (les « Dabbawallahs » de Bombay) met en relation Ila, une jeune femme au foyer délaissée par son mari, et un homme plus âgé, Saajan. Ils s’inventent un autre monde, une évasion, grâce aux notes qu’ils s’échangent par le biais de ces boîtes à repas. Progressivement, ce rêve menace de prendre le dessus sur leur réalité. « The lunchbox » est un film atypique dans le cinéma indien, à la fois réaliste, film d’auteur  tout en restant grand et tout public sans être non plus un film « bollywoodien ».  Il  renouvelle  aussi le genre de la comédie romantique et celui de la liaison épistolaire avec un mélange de fraîcheur, d’humour,  de réalisme et  grâce à toute une galerie de personnages secondaires attachants. Des âmes seules  (ré)unies par cette solitude dans un Bombay tentaculaire, grouillant et paradoxalement glacial. Une mise en scène judicieusement répétitive fait écho à la routine des personnages de laquelle va peu à peu les sortir cette lunchbox providentielle. Hanté par la mort de son épouse, Saajan, derrière une apparence revêche, laisse peu à peu se révéler sa vraie  personnalité.  A déguster sans modération. Irrfan Khan, vu dans « Slumdog millionaire » ou « L’odyssée de Pi » a reçu le prix d’interprétation pour ce film.

     

    « The selfish giant » de Clio Barnard (le Géant égoïste) qui a reçu le Chistera du meilleur film est l'histoire âpre et poignante de deux adolescents, Arbor et Swifty renvoyés de l'école et qui collectent des métaux usagés pour un ferrailleur local, le « Géant égoïste », au péril de leur amitié...et de leur vie. A l’image du premier plan, obscur et étrangement poétique, surgissent des lueurs d’humanité au milieu d’un environnement hostile et grisâtre, des éclairs tendres et presque poétiques (« Le géant égoïste" est une libre adaptation d’un conte d’Oscar Wilde). L’environnement et l’image sont nimbés de teintes grisâtres desquelles émerge une rare lueur (au propre comme au figuré) qui n’en est que plus émouvante. La force de l’amitié des jeunes garçons et  la beauté de la nature, en particulier des chevaux auxquels se raccroche le jeune Swifty contrastent avec l’univers glacial, presque carcéral, dans lequel ils évoluent : usines, lignes à haute tension, amas de ferrailles comme autant d’ombres menaçantes (autres géants) qui planent sur eux. Un mélange de violence et de naïveté à l’image de Swifty et Arbor. La vivacité du montage, de la réalisation, des deux jeunes protagonistes (époustouflants) donnent la sensation qu’ils sont constamment sur le fil, que le drame est inéluctable. Il révèlera pourtant une part d’humanité inattendue et d’autant plus bouleversante. Un prix du meilleur film entièrement justifié.

    Dans  « Youth », absent du palmarès, un thriller dramatique israélien de Tom Shoval, ce sont également deux jeunes protagonistes,  deux frères jumeaux qui échafaudent un kidnapping avec demande de rançon afin de renflouer les dettes contractées par leur père et qui mettent en péril toute la famille, menacée de perdre son appartement. Pour ce faire ils vont kidnapper une lycéenne d’un milieu plus aisé. Le film débute par une remarquable scène de filature qui pourrait être un mélange du cinéma d’Hitchcock et de Gus Van Sant avant de nous dresser le portrait d’une jeunesse inconsciente, immature,  et d’une société en crise (sociale et morale) dans laquelle la violence est de fait banalisée. Deux jeunes acteurs, David et Eitan Cunio, frères à l’écran comme dans la vie,  et une mise en scène brillants pour un film qui avait toute sa place au sein de cette belle sélection.

     

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    Dans « Passer l’hiver », un film  d’Aurélia Barbet avec Gabrielle Lazure et Lolita Chammah, il est à nouveau question de solitudes,  de personnages égarés, ravagés par la dureté de l’existence. La solitude  de Claire (Gabrielle Lazure) dont la mère est à l’agonie et qui part soudain avec un inconnu qui lui propose une virée au bord de la mer et celle de Martine (Lolita Chammah), sa collègue plus jeune, restée à la station-service puis partie sur ses traces. Adapté d’une nouvelle d’Olivier Adam, « passer l’hiver »  nous propose des fragments de vie à la fois doux et âpres, gris et lumineux, de ces moments où la vie devient plus intense quand la mort rôde et que tout devient essence et essentiel.  Un film judicieusement lent (et non ennuyeux comme l’a trouvé et fait remarquer une spectatrice indélicate lors du débat après la projection) avec deux belles actrices qui ne craignent pas de mettre leur âme à nu pour ces beaux rôles (avec une mention spéciale pour Gabrielle Lazure, bouleversante, mon prix d’interprétation féminine). On en ressort apaisé avec l’image de ce Cap Frehel, tristement beau.

     

    Dans « Celui qui pleure a perdu », Marion Lefeuvre nous parle aussi de deuil, d’absence …avec une originalité et une maturité indéniables. Des tests, un médecin, une salle, 10 minutes pour revoir une personne décédée et tout bouleverser. Une larme et tout se fige. Celui qui pleure a perdu. Edouard et Sarah se rencontrent dans les couloirs de cette curieuse entreprise, paumés, détachés de tout. Prêts à briser ceux qui les entourent, ils se laissent doucement embarquer dans cette illusion. « Celui qui pleure a perdu », premier long métrage de Marion Lefeuvre évoque de manière particulièrement originale l’intolérable douleur de l’absence et le chemin que chacun emprunte pour y faire face, fut-il en apparence totalement incongru. Le tout est porté par des comédiens inconnus mais exceptionnels, un sens du rythme et de l’écriture et une bande originale remarquable. Une jeune cinéaste très déterminée à suivre !

     

    Dans « La belle vie » de Jean Denizot, il est également question d’escapade, de solitudes, d’errance. Ce dernier raconte une histoire vraie, un fait divers qui avait fait la une de l’actualité,  l’histoire des frères Fortin, deux jeunes garçons kidnappés avec leur consentement par leur père en 1998. Une décision prise alors que la justice venait d’accorder à leur mère le droit de garde. Pendant 11 ans, les deux enfants ont vécu avec leur père en cavale, jusqu’à ce que la police les retrouve en 2009. Le film est porté par une photographie splendide qui exalte la beauté de la nature synonyme aussi paradoxalement d’enfermement, la liberté devenant ici la prison du fils qui va vivre un parcours initiatique (remarquable Zacharie Chasseriaud) pour trouver sa propre définition de « la belle vie ».  Une histoire racontée avec beaucoup de justesse.

     

     

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    Dans « La pièce manquante », de Nicolas Birkenstock, prix du jury jeunes, et un autre de mes coups de cœur de cette édition, un homme (Philippe Torreton), abandonné par sa femme, tente de dissimuler l'absence de celle-ci à son entourage. Il contraint également ses propres enfants au silence.  Dès les premières minutes, la précision et l’intelligence de la mise en scène et de l’écriture happent notre attention, avec les images d’un bonheur familial dont l’inexplicable interruption n’apparaîtra alors que plus cruelle. Mêlant chagrin et légèreté avec beaucoup de délicatesse et de subtilité, Nicolas Birkenstock signe un film lumineux et émouvant sur la tristesse ravageuse de l’absence, porté par Philippe Torreton incarnant un personnage plus velléitaire que ceux auxquels il est habitué mais non moins magistralement interprété.

     

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    Enfin, dans « Le Sens de l'humour » de Maryline Canto (qui aurait d’ailleurs pu aussi s’appeler « Celui qui pleure a perdu »), le premier long métrage de la comédienne qui reçut le César du meilleur court métrage en 2005, cette dernière interprète Elise, une femme qui vit seule avec son fils, et avec le souvenir indélébile d'un homme trop vite disparu qui a laissé un vide et une tristesse immenses auxquels elle s’accroche quand le bonheur est à portée de main, un bonheur qui prend les traits d’un nouvel homme, Paul. Il s’accroche, Pau,l malgré ses paroles dures et définitives,  celles d’une femme meurtrie par la perte et l’absence qui lui dit qu’elle ne l’aimera jamais. Mais Paul a le sens de l’humour, en plus de celui de l’amour, sans doute, et c’est ce qui le fera rester. Un sujet certes difficile mais traité avec beaucoup de délicatesse, évitant tout pathos, et n’en étant que plus bouleversant. Lors de l’avant-première, Maryline Canto a révélé que c’était en partie autobiographique, ce qui ne l’empêche pas d’avoir réalisé un film universel sur un sujet personnel, celui d’une femme libre, violente presque, parce que ivre de douleur, et d’autant plus bouleversante. Un personnage d’autant plus passionnant qu’il n’est pas immédiatement sympathique.   Antoine Chappey, qui tient le rôle de Paul, possède toute la ferme douceur et la bonhomie nécessaires pour incarner cet homme charmant. Ce film est à mon sens le grand oublié du palmarès…

     

    Le court métrage de Pierre Niney « Pour le rôle » a reçu une mention spéciale Ciné plus et le prix du jury jeunes. Ce court avait été réalisé dans le cadre de l’opération Talents Cannes Adami. Je vous ai souvent parlé de Pierre Niney, à ses débuts même, lors de son premier grand rôle dans « J’aime regarder les filles » puis dans « Comme des frères » et au théâtre dans « Un chapeau de paille d’Italie » et dans « Phèdre ».  En plus de ses talents de comédien, il se révèle brillant scénariste et metteur en scène.   Dans ce film, François se présente pour passer un casting. Au terme d’un entretien très étrange, il découvre qu'il est en réalité au cœur d'une mise en scène mystérieuse à laquelle il va être forcé de prendre part...  La réalisation met avant tout en valeur les jeunes comédiens François Civil, Yann Sorton, Brice Hillairet, Noémie Merlant qui, tous, en quelques minutes, grâce à une judicieuse écriture, montrent toute une palette de jeu et excellent dans ce jeu de mise en abyme, double mise en abyme même, brillamment absurde, décalé (jusque dans le décor qui n’aurait pas déplu à Jacques Tati), un jeu de rôles (au propre comme au figuré) à la fois drôle et caustique, ludique et cruel, qui possède toute l’intelligence, l’acuité du regard de son jeune et talentueux auteur.

     Je vous reparlerai bien entendu de ces films au moment de leurs sorties, ainsi que de deux programmés au festival que j’ai manqués et que j’irai voir en salles. Vous l’aurez compris, je vous recommande tous ceux précités…et de venir découvrir ce festival même s’il changera de dénomination l’année prochaine devenant le Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz (notez-le dès à présent dans vos agendas, la prochaine édition aura lieu du 7 au 11 octobre 2014), car l’essence, j’en suis certaine « restera ».

     

     PALMARÈS DU 18e FESTIVAL INTERNATIONAL DES JEUNES RÉALISATEURS DE SAINT-JEAN-DE-LUZ

    Du 8 au 12 octobre 2013 - 18e édition

    Samedi 12 octobre 2013, à 19h00, a eu lieu la cérémonie de Clôture du 18e Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz, au cinéma Le Sélect.

    Cette année le festival a encore battu son record d'affluence en comptabilisant plus de 5.000 entrées.

    Le jury, présidé par André Dussollier, entouré des comédiens Alice David, Pascal Demolon, Sarah Kazemy et Aurélien Recoing, de la réalisatrice Audrey Estrougo et de la comédienne et réalisatrice Anne Le Ny a décerné les prix suivants :

    CHISTERA DU MEILLEUR RÉALISATEUR

    Ritesh BATRA

    Pour le film THE LUNCHBOX (Inde)

    Distribué par Happiness Distribution - Sortie en salles le 11 décembre 2013

    CHISTERA DU MEILLEUR FILM

    LE GÉANT ÉGOÏSTE de Clio Barnard (Royaume-Uni)

    Distribué par Pyramide Distribution - Sortie en salles le 18 décembre 2013

    CHISTERA DE LA MEILLEURE INTERPRÉTATION FÉMININE

     Juliane KOHLER

    Pour le film D'UNE VIE À L'AUTRE de Georg Maas (Allemagne)

    Distribué par Sophie Dulac Distribution - date de sortie non déterminée

    CHISTERA DE LA MEILLEURE INTERPRÉTATION MASCULINE

     Irrfan KHAN     

    Pour le film THE LUNCHBOX de Ritesh Batra (Inde)

    Distribué par Happiness Distribution - Sortie en salles le 11 décembre 2013

    CHISTERA DU COURT MÉTRAGE

    VÉHICULE ECOLE de Benjamin Guillard (France)

    Le public s'est aussi exprimé à travers deux votes :

    CHISTERA DU PUBLIC LONG MÉTRAGE

     D'UNE VIE À L'AUTRE de Georg Maas (Allemagne)

    Distribué par Sophie Dulac Distribution - date de sortie non déterminée

    CHISTERA DU PUBLIC COURT MÉTRAGE

     CE SERA TOUT POUR AUJOURD'HUI d'Elodie Navarre (France)

    Le jury jeune, composé de 7 lycéens de la région, a choisi de décerner ses prix à :

    CHISTERA DU JURY JEUNE LONG MÉTRAGE

    LA PIÈCE MANQUANTE de Nicolas Birkenstock (France)

    Produit par Juliette Sol / Stromboli Films / Le Bureau Films

    CHISTERA DU JURY JEUNE COURT MÉTRAGE

    POUR LE RÔLE de Pierre Niney (France) 

    Ciné + a choisi de distinguer :

    CHISTERA + DU COURT MÉTRAGE

    Parrainé par Ciné + qui achète le court-métrage pour diffusion

    CLEAN de Benjamin Bouhana (France)

    Mention spéciale POUR LE RÔLE de Pierre Niney (France)

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    site officiel : www.jeunes-realisateurs.com

    Facebook du festival : Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz

    Twitter du festival : @JeunesReals

    Compte rendu du Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz 2012: FESTIVAL DE SAINT-JEAN-DE-LUZ 2012

    Mon compte-rendu du Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz 2011

    Retrouvez également cet article sur mon site http://inthemoodforfilmfestivals.com

     

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  • Critique de PEPE LE MOKO de Julien Duvivier à 22H55 sur Ciné + Classic

    Pépé le Moko : l’exotisme illusoire

    •  Avec La Bandera (1935), Pépé Le Moko est certainement le film le plus marquant de Duvivier. Si le cadre des deux films est différent(Montmartre pour le premier, la casbah d’Alger pour le second), la fatalité s’abat identiquement sur les personnages de ces deux films. Dans Pépé le Moko (1937) il s’agit d’un gangster, chef d’une bande de malfaiteurs (Gabin) réfugié dans le dédale protecteur de la casbah d’Alger. Cerné par la police de la ville, il ne peut en effet sortir de cette prison symbolique. Un policier, Slimane (Lucas Gridoux) profite de la liaison amoureuse entre Pépé et Gaby(Mireille Balin), une jeune parisienne, pour monter un stratagème afin de le faire sortir de son repaire et de le capturer plus facilement. Alors que Pépé rejoint sur le port d’Alger la jeune femme qui embarque pour la France, il y est arrêté et se suicide en regardant le bateau partir sans que celle-ci ne l’ait vu. Le médiocre récit policier du « Détective Ashelbé »(pseudonyme de Henri La Barthe) dont est tiré le film devient donc un noir mélodrame colonial.

    • Si le film a été pratiquement entièrement tourné en studio à l’exception de quelques scènes dans la casbah d’Alger, le dédale de ruelles, et l’atmosphère en sont parfaitement crédibles…le caractère illusoire de l’exotisme ne résulte donc pas de lacunes dans la réalisation mais bel et bien du ton du film et des dialogues de Jeanson qui ne cessent de rappeler un « ailleurs ». Alors qu’Alger devrait ici symboliser l’exotisme, cet ailleurs c’est en réalité « une prison » dont les personnages ne rêvent que de s’évader, l’exotisme étant ici symbolisé par Paris. Alger est en effet décrite comme : « Un maquis, profond comme une forêt, grouillant comme une fourmilière, un vaste escalier dont chaque terrasse est une marche et qui descend vers la mer. Entre ces marches des ruelles tortueuses et sombres, des ruelles en forme de guet-apens, des ruelles qui se croisent, qui se chevauchent(…)dans un fouillis de labyrinthes(…), des cafés obscurs bondés à toute heure. » Si la casbah protège Pépé elle est donc aussi sa prison. Si au début du film le narrateur évoque en effet « une mer colorée, vivante, multiple, brûlante », le contraste en sera d’autant plus saisissant avec l’enfermement de Pépé le Moko et de ses acolytes. Le cadre ensoleillé et extérieur semble en effet être à l’opposé de celui des films du réalisme poétique : décor de brume, de pavés mouillés ou scènes d’intérieurs sinistres. L’impression d’enfermement connu par Pépé dans ce cadre a priori idyllique en sera donc encore exacerbée. Le thème de la prison est en effet omniprésent. Pépé avec sa gouaille inimitable dit ainsi à Gaby : « avec toi, je m’évade » ou à la fin à Ines, sa « compagne » : « tu lui diras que je me suis évadé. » Il ne cesse de rêver de Paris dont Gaby symbolise la nostalgie et même « du parfum du métro », qu’il évoque lors d’une scène mythique avec Gaby où tous deux alors à la Casbah s’envolent ensemble et en dialogues vers le Paris de leurs souvenirs : « Tu sens bon, tu sens le métro. En première… ». Malgré son cadre qui aurait pu être enchanteur émane du film une poésie sombre, une sorte de nostalgie à l’image de cette scène où Fréhel écoute sa propre voix d’ancienne chanteuse et fredonne sur cette voix, les larmes aux yeux : « Où sont-ils donc mes amis, mes copains. Où sont-ils donc nos vieux bals musettes, leurs javas au son de l’accordéon ». Les protagonistes ne sont donc pas les seuls à être emprisonnés, que ce soit Gaby avec son « mari » ou Pépé dans la Casbah ou encore Fréhel qui dit ainsi : « Quand j’ai trop le cafard, je change d’époque .» Le Front Populaire appartient ici à un lieu rêvé « où sont-ils tous nos bals musettes », comme son euphorie appartiendra bientôt à un passé révolu. Tous semblent rêver d’un ailleurs, ou d’une autre époque comme si ce cadre idyllique était imprégnée de la menace qui gronde dans la réalité et qui encercle peu à peu la France comme la police enferme les personnages dans la Casbah. Outre le portrait caustique des membres de la bande à Pépé le Moko et outre les répliques pittoresques signées Jeanson, la fin dramatique du film contribua beaucoup à sa célébrité. L’ailleurs, le changement, l’évasion n’étaient qu’une utopie et en se suicidant sur les grilles du port, enfermé jusqu’au bout Pépé regarde le bateau partir comme le passé joyeux semble s’éloigner pour entrer dans les heures sombres de l’Histoire.« Pépé Le Moko, c’est l’installation officielle ,dans le cinéma français d’avant guerre , du romantisme des êtres en marge , de la mythologie de l’échec .C’est de la poésie populiste à fleur de peau :mauvais garçons ,filles de joie ,alcool , cafard et fleur bleue » estima Jacques Siclier. Pépé Le Moko fut en effet unanimement salué par la critique.

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  • Quentin Tarantino, prix Lumière 2013 au Festival de Lyon

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    Le 5ème Prix Lumière du Festival éponyme de Lton sera cette année décerné à Quentin Tarantino,
    La remise du Prix Lumière aura lieu à l’Amphithéâtre du Centre de Congrès de Lyon le vendredi 18 octobre devant 3000 personnes.

    A cette occasion, je vous propose deux critiques de films du grand Tarantino, celle de son dernier film "Django unchained" et celle de "Inglourious basterds" dont la projection fut un de mes souvenirs les plus marquants du Festival de Cannes.

    Je vous propose également de retrouver le récit de mes pérégrinations au Festival Lumière de Lyon en 2011, alors invitée en tant qu'intervenante, en cliquant ici.

     

    CRITIQUE de DJANGO UNCHAINED

     

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    Le western, genre sans doute aujourd’hui (et malheureusement) jugé suranné et dont l’âge d’or s’est achevé il y a quatre bonnes décennies, est devenu une rareté dans la production cinématographique contemporaine et est désormais plus souvent synonyme d’échecs que de succès au box office, à l’exception de quelques films qui le réinventèrent comme « Danse avec les loups » de Kevin Costner (1991, il y a donc 22 ans déjà) ou «Le Secret de Brokeback Moutain » d’Ang Lee (2006). Ce genre codifié est pourtant passionnant, justement parce qu’il est codifié même si le spectateur aime être surpris avec ce qu’il attend. Grâce à Tarantino qui, à la fois, réinvente le western, lui rend hommage et se joue de ses codes, il sera servi… C’est en tout cas en visionnant des films de ce genre, celui du western donc, que le cinéma a commencé à être pour moi  « le plus beau des abris » comme un cinéaste définit ainsi si bien le septième art dans cette interview, petite digression pour vous engager vraiment à écouter cette passionnante intervention.

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    Mais revenons à notre duo infernal. Il y avait Robert Mitchum et John Wayne dans « El Dorado » de Howard Hawks, Burt Lancaster et Kirk Douglas dans “Règlement de comptes à OK Corral”, de John Sturges, Dean Martin et John Wayne dans « Rio Bravo » de Howard Hawks,  Paul Newman et Robert Redford dans  «Butch Cassidy and the Sundance Kid », de George Roy Hill…, il y aura désormais Jamie Foxx (Django) et Christoph Waltz (le Dr King Schultz) dans « Django unchained » de Tarantino.

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    Ce dernier est un chasseur de primes allemand.  Dans le sud des États-Unis, en 1858, un peu plus de deux ans avant la guerre de Sécession, il fait « l’acquisition » de Django (Jamie Foxx), un esclave pour qu’il l’aide à traquer les frères Brittle, les meurtriers qu’il recherche et dont Django connait les visages. En échange, Schultz promet à Django de lui rendre sa liberté lorsqu’il aura capturé les Brittle, morts ou vifs. Les deux compères vont alors faire équipe pour traquer les criminels mais Django, lui, n’a qu’un seul véritable but : retrouver Broomhilda (Kerry Washington), sa femme, dont il a été séparé à cause du commerce des esclaves. C’est dans l’immense plantation du puissant et terrifiant Calvin Candie (Leonardo DiCaprio) qu’elle se trouve et que le Dr Schultz va l’aider dans sa quête pour la libérer. La quête amoureuse va alors être aussi une quête de vengeance, thème cher à Tarantino… « Ils ont pris sa liberté. Il va tout leur prendre. »

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    Un western sur l’esclavagisme, il fallait y penser et s’appeler Tarantino pour avoir le talent pour mettre en scène cette audacieuse idée : "J’aimerais faire un western, mais plutôt que de le situer au Texas, faisons-le à l’époque de l’esclavage. Ce sujet, tout le monde a peur de le traiter. Il faut qu’on l’éclaire nous-mêmes" a ainsi déclaré Tarantino. « Django unchained » est d’abord ainsi un hommage au western comme l’étaient déjà, dans une moindre mesure, « Kill bill » ou  « Inglourious basterds ». Dans ce dernier, l’un des premiers plans nous  montrait une hache dans un univers bucolique que la caméra de Tarantino caressait, effleurait, esquissait et esquivait, un simple plan résumant le ton de ce film, où la menace plane constamment, où le décalage est permanent, où toujours le spectateur est sur le qui-vive, la hache pouvant à chaque instant venir briser la sérénité…un plan qui aurait tout aussi bien pu ouvrir « Django unchained ». Dans «Inglourious basterds » aussi, déjà, il y avait ce plan magnifique qui est un hommage à « La Prisonnière du désert » de John Ford, c’est pourtant plutôt ici du côté du western spaghetti que lorgne Tarantino avec Django.

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    Django est ainsi un personnage emblématique des westerns spaghettis et évidemment du film éponyme de Sergio Corbucci  de 1966 (dont l’acteur, Franco Nero, fait d’ailleurs une belle apparition dans le film de Tarantino). C’est aussi évidemment un hommage au cinéma de Sergio Leone, à ce mélange de pesanteur, de mélancolie, d’humour, bref des films qui avaient une « gueule d’atmosphère », sans oublier la musique d’Ennio Morricone également présente dans le film de Tarantino ou encore la musique du compositeur Argentin Luis Enriquez Bacalov qui avait composé la musique du film original de Sergio Corbucci. Inutile de vous préciser que la BO est,  comme toujours chez Tarantino, réjouissante.

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    Et puis un western n’en serait pas un sans un inénarrable duo de « poor lonesome cowboys » taciturnes comme ceux précités et au lieu de nous en servir un seul, celui de ses protagonistes, Tarantino en oppose ici deux : Django/Schultz face à Candie/Stephen (impitoyable Samuel L.Jackson), habile manière de  reprendre les codes du manichéisme du western par ce  terrible et judicieux jeu de miroirs et d'ombres qui permet  de symboliser le combat du bien contre le mal symptomatique d'un western digne de ce nom même si le personnage de Stephen nuance ce manichéisme, encore plus impitoyable et haineux envers les esclaves que les esclavagistes blancs.

    Comme tout film de Tarantino qui se respecte, ce « Django unchained » est évidemment aussi un hommage au cinéma. Le Dr Schultz dit d’ailleurs à Django : « Tu vas incarner un personnage », cela dit dans une chaise comme un metteur en scène le ferait avec son acteur avant d’ajouter  « Tu devras rester dans le personnage. Tu peux choisir le costume», comme une mise en abyme, un film dans le film, un jeu dans le jeu, évidemment jouissif pour le spectateur. Plus tard, c’est un célèbre cinéaste qui conduira un convoi comme celui qui conduit « le convoi » de son équipe de tournage.    Si « Inglourious basterds » reste pour moi la plus belle déclaration d’amour passionnée au cinéma de Tarantino, un hymne vibrant à tel point que c’est le cinéma qui y sauve le monde, réécrit la page la plus tragique de l’Histoire, en faisant mourir Hitler avec jubilation, « Django » est sans doute un des plus beaux hommages au western qui soit.

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    Si ce « Django unchained » est formellement peut-être moins inventif et scénaristiquement plus linéaire que ses autres films ( le producteur Harvey Weinstein avait suggéré de séparer le film en deux parties, comme pour « Kill Bill » mais Tarantino a refusé expliquant que cela ne « marcherait pas avec ce film. C'était une décision consciente dès le tout début de ne pas utiliser mes astuces narratives habituelles... Ici, vous devez suivre le voyage de Django jusqu'à la fin ») , il n’en comporte pas moins des plans et des séquences d’une précision, d’un lyrisme même parfois ou d’une beauté à couper le souffle avec les plans attendus du western comme ceux de ces chevauchées sur fond de ciel enflammé ou de décors enneigés,  et même dès le début lorsque Django se découvre au milieu de cette file d’hommes enchaînés ou encore cette scène d’effusion de sang finale qui souille les murs de Candyland en un ballet de violence chorégraphiée effroyablement magnifique. Django Unchained marque ainsi la quatrième collaboration (réussie) entre Quentin Tarantino et le directeur de la photographie Robert Richardson.

    Un film de Tarantino n’en serait pas un sans un humour caustique, dans les dialogues évidemment mais aussi dans la mise en scène notamment dans l’irrésistible scène qui ridiculise le Ku Kux Klan (et que je vous laisse découvrir) ou même dans la simple vision du costume de Django sur la charrette tandis que sur le toit une dent se balance ironiquement.

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    Comme toujours, Tarantino éprouve visiblement beaucoup de plaisir à diriger ses acteurs et ceux-ci à jouer pour lui, à commencer par Samuel L. Jackson (après « Pulp Fiction », « Jackie Brown », « Kill Bill : Volume 2 » et « Inglourious Basterds »)  qui, pour la cinquième fois, tourne ici dans un film du cinéaste, plus redoutable que jamais. Leonardo DiCaprio tourne pour la première fois pour Tarantino et incarne ici son premier rôle de méchant irrécupérable, Calvin Candie, le propriétaire de Candyland, la plantation qui porte son nom, constamment entouré de rouge comme le diable qu’il incarne, roi dans le royaume sur lequel il est tout puissant et despotique. Il confirme une nouvelle fois qu’il est le meilleur acteur de sa génération même si son meilleur rôle reste pour moi celui des « Noces rebelles » en attendant de le voir dans celui de « Gatsby le magnifique », peut-être en ouverture du 66ème Festival de Cannes. Quant à Jamie Foxx, il incarne à la perfection ce héros taciturne, amoureux et vengeur devant "jouer" à l'homme impitoyable pour remplir sa mission.

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    Christoph Waltz, prix d'interprétation masculine pour «Inglourious basterds » et ainsi révélation du Festival de Cannes 2009 dans son rôle du colonel nazi Hans Landa a le charisme indéniable pour incarner ici ce dentiste particulier.

    Notons que le film a suscité une polémique dans la presse américaine déclenchant les critiques  notamment de Spike Lee, ce dernier ne souhaitant pas aller voir le film car le jugeant «irrespectueux» envers ses ancêtres. Une polémique qui n’a pas lieu d’être car justement ce film est d’une certaine manière le plus violent de Tarantino mais parce qu’il est le plus politique, le plus réaliste : terrible violence hors-champ de cet esclave déchiqueté par les chiens, de ce combat entre esclaves. Et cette discussion entre Schultz et Candie sur Alexandre Dumas achève de nous convaincre, si nous en doutions encore, que ce film est tout sauf irrespectueux mais particulièrement malin.

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    En huit longs-métrages (seulement), Tarantino a fait de ce néologisme « tarantinesque » la marque d’un univers, celui de films jubilatoires marqués par une violence chorégraphiée comme le seraient des opéras, des films délicieusement bavards d’une violence  effroyablement et brillamment magnifiée, avec des dialogues caustiques, des décalages et des montages agréablement audacieux et absurdes même parfois,  de BO enthousiasmantes,  des hommages vibrants au cinéma avec une explosion (souvent sanguinolente mais récréative) de références cinématographiques, un cinéma de femmes rebelles et courageuses, un hommage à tous les cinémas, de la série B au western : des films débordants d’amour et d’érudition cinématographiques jamais lénifiants ou prétentieux, grâce à un savoureux regard et humour décalés.  Ici il réinvente ainsi le western en utilisant et s’affranchissant de ses règles avec cette  histoire d’amitié et de vengeance romanesque, de duels et de duos, une nouvelle fois jubilatoire. Tarantinesque évidemment. Il y avait Bond, James Bond, il y aura désormais « « Django. The D is silent », l’esclave héros de western. Le film sort en salles le 16 janvier 2013. Ne manquez pas cette « chevauchée fantastique », ce sublime et original hommage au western et au cinéma. Aussi indispensable et novateur que  le remarquable « Johnny Guitar » de Nicholas Ray en son temps. 2H44 que vous ne verrez pas passer.

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    Retrouvez également cette critique sur mon site "In the mood - Le Magazine" :

    http://inthemoodlemag.com/?p=1316

     

    CRITIQUE de INGLOURIOUS BASTERDS

     

    Je vous ai déjà maintes fois parlé d' "Inglourious Basterds" de Quentin Tarantino depuis sa projection cannoise de 2009 qui m'a permis de le découvrir. C'est un euphémisme de dire que ce film m'a enthousiasmée. Si son acteur principal, Christoph Waltz, s'est vu (à juste titre) remettre le prix d'interprétation masculine, une palme d'or aurait également été amplement méritée même si le jury a préfèré à la flamboyance tanrantinesque l'austérité du "Ruban blanc" de Michael Haneke qui, malgré ses nombreuses qualités, aurait peut-être davantage mérité un grand prix ou un prix du jury. En bas de cet article, retrouvez mes photos exclusives de l'équipe du film prises au Festival de Cannes, en 2009, notamment dans les coulisses de l'émission du Grand Journal de Canal plus.

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    Bien sûr, j’ai été envoûtée par la poésie et la mélancolie sensuelles des « Etreintes brisées » de Pedro Almodovar, bien sûr j’ai été enthousiasmée par la précision remarquable de la réalisation de Jacques Audiard avec "Un Prophète" mais le film de Quentin Tarantino est le premier de ce Festival de Cannes 2009 et peut-être même le premier film depuis un moment à m’avoir ainsi hypnotisée, captivée, étonnée de la première à la dernière seconde. Le premier film depuis longtemps que j’avais envie de revoir à peine le générique achevé.

    Pitch : Dans la France occupée de 1940, Shosanna Dreyfus assiste à l’exécution de sa famille tombée entre les mains du colonel nazi Hans Landa ( Christoph Waltz). Shosanna (Mélanie Laurent) s’échappe de justesse et s’enfuit à Paris où elle se construit une nouvelle identité en devenant exploitante d’une salle de cinéma. Quelque part, ailleurs en Europe, le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt) forme un groupe de soldats juifs américains pour mener des actions punitives particulièrement sanglantes contre les nazis. « Les bâtards », nom sous lequel leurs ennemis vont apprendre à les connaître, se joignent à l’actrice allemande et agent secret Bridget von Hammersmark (Diane Krüger) pour tenter d’éliminer les dignitaires du troisième Reich. Leurs destins vont se jouer à l’entrer du cinéma où Shosanna est décidée à mettre à exécution une vengeance très personnelle.

    De ce film, très attendu et seul film américain de cette compétition officielle 2009 du Festival de Cannes, je n’avais pas lu le pitch, tout juste avais-je vu la bande-annonce qui me faisait craindre une grandiloquence maladroite, un humour douteux, voire indécent sur un sujet délicat. Je redoutais, je pensais même détester ce film et ne m’attendais donc pas à ce que la première séquence (le film est divisé en 5 chapitres qui correspondent aux parcours de 5 personnages) me scotche littéralement à l’écran dès la première seconde, à ne plus pouvoir m’en détacher jusqu’à la dernière ligne du générique.

    L’un des premiers plans nous montre une hache dans un univers bucolique que la caméra de Tarantino caresse, effleure, esquisse et esquive : finalement ce simple plan pourrait résumer le ton de ce film, où la menace plane constamment, où le décalage est permanent, où toujours le spectateur est sur le qui-vive, la hache pouvant à chaque instant venir briser la sérénité. Cette première séquence dont nous ne savons jamais si nous devons en rire, ou en frissonner de plaisir (parce qu’elle est jubilatoire à l’image de tout ce film, une première séquence au sujet de laquelle je ne vous en dirai pas plus pour maintenir le suspense et la tension incroyables qui y règnent) ou de peur, est sans nul doute une des plus réussies qu’il m’ait été donné de voir au cinéma.

    Chaque séquence, au premier rang desquelles la première donc, recèle d’ailleurs cette même ironie tragique et ce suspense hitchcockien, le tout avec des plans d’une beauté, d’une inventivité sidérantes, des plans qui sont ceux d’un grand cinéaste mais aussi d’un vrai cinéphile (je vous laisse notamment découvrir ce plan magnifique qui est un hommage à « La Prisonnière du désert » de John Ford ) et d’un amoureux transi du cinéma. Rien que la multitude de références cinématographiques mériterait une deuxième vision tant l’admiration et la surprise lors de la première empêchent de toutes les distinguer.

    Oui, parce que « Inglourious Basterds » est aussi un western. « Inglourious Basterds » appartient en réalité à plusieurs genres… et à aucun : western, film de guerre, tragédie antique, fable, farce, comédie, film spaghetti aussi. En fait un film de Quentin Tarantino . (« Inglourious Basterds » est inspiré d’un film italien réalisé par Enzo G.Castellari). Un genre, un univers qui n’appartiennent qu’à lui seul et auxquels il parvient à nous faire adhérer, quels qu’en soient les excès, même celui de réécrire l’Histoire, même celui de se proclamer chef d’œuvre avec une audace et une effronterie incroyables. Cela commence ainsi comme un conte (« il était une fois »), se termine comme une farce.

    Avec quelle facilité il semble passer d’un ton à l’autre, nous faire passer d’une émotion à une autre, comme dans cette scène entre Mélanie Laurent et Daniel Brühl, dans la cabine de projection, une scène qui, en quelques secondes, impose un souffle tragique poignant, époustouflant, d’un rouge éblouissant. Une scène digne d’une tragédie antique.

    Il y a du Hitchcock dans ce film mais aussi du Chaplin pour le côté burlesque et poétique et du Sergio Leone pour la magnificence des plans, et pour cet humour ravageur, voire du Melville aussi pour la réalisation, Melville à qui un autre cinéaste (Johnnie To) de cette compétition du Festival de Cannes 2009 se référait d’ailleurs. Voilà, en un endroit tenu secret, Tarantino, après les avoir fait kidnapper et fait croire à leurs disparitions au monde entier, a réuni Chaplin, Leone, et Hitchcock et même Melville et Ford, que l’on croyait morts depuis si longtemps et leur a fait réaliser ce film qui mêle avec brio poésie et sauvagerie, humour et tragédie.

    Et puis, il y a en effet le cinéma. Le cinéma auquel ce film est un hommage permanent, une déclaration d’amour passionnée, un hymne vibrant à tel point que c’est le cinéma qui, ici, va sauver le monde, réécrire la page la plus tragique de l’Histoire, mais Tarantino peut bien se permettre : on pardonne tout au talent lorsqu’il est aussi flagrant. Plus qu’un hommage au cinéma c’est même une leçon de cinéma, même dans les dialogues : « J’ai toujours préféré Linder à Chaplin. Si ce n’est que Linder n’a jamais fait un film aussi bon que « Le Kid ». Le grand moment de la poursuite du « Kid ». Superbe . » Le cinéma qui ravage, qui submerge, qui éblouit, qui enflamme (au propre comme au figuré, ici). Comment ne pas aimer un film dont l’art sort vainqueur, dans lequel l’art vainc la guerre, dans lequel le cinéma sauve le monde ?

    Comment ne pas non plus évoquer les acteurs : Mélanie Laurent, Brad Pitt, Diane Krüger, Christoph Waltz, Daniel Brühl y sont magistraux, leur jeu trouble et troublant procure à toutes les scènes et à tous les dialogues (particulièrement réussis) un double sens, jouant en permanence avec le spectateur et son attente. Mélanie Laurent qui a ici le rôle principal excelle dans ce genre, de même que Daniel Brühl et Brad Pitt qui, depuis « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », le chef d’œuvre d’Andrew Dominik ne cesse de prendre de l’épaisseur et nous surprendre.

    Que dire de la BO incroyable qui, comme toujours chez Tarantino, apporte un supplément de folie, d’âme, de poésie, de lyrisme et nous achève…

    Si Quentin Tarantino a déjà remporté la palme d’or en 1994 (et a notamment présidé le jury en 2004, remettant la palme d’or à Michael Moore pour « Fahrenheit 9/11 », il a également donné une leçon de cinéma en 2008), il aurait bien pu renouveler l’exploit. A défaut, il aurait mérité le prix de la mise en scène.

    Quentin Tarantino avec ce septième long-métrage a signé un film audacieux, brillant, insolent, tragique, comique, lyrique, exaltant, décalé, fascinant, irrésistible, cynique, ludique, jubilatoire, dantesque, magistral. Une leçon et une déclaration d’amour fou et d’un fou magnifique, au cinéma. Ce n’est pas que du cinéma d’ailleurs : c’est un opéra baroque et rock. C’est une chevauchée fantastique. C’est un ouragan d’émotions. C’est une explosion visuelle et un ravissement permanent et qui font passer ces 2H40 pour une seconde !

    Bref, il se pourrait bien qu’il s’agisse d’un chef d’œuvre… Je vous laisse en juger par vous-mêmes si vous ne l'avez pas encore vu. A contrario de ses « bâtards sans gloire », Tarantino mérite indéniablement d’en être auréolé !

    Qu’a pensé Pedro Almodovar, également présent à la séance à laquelle j’ai vu ce film ? Sans doute que tous deux aiment passionnément le cinéma, et lui rendent un vibrant hommage (la dernière réplique du film de Tarantino fait ainsi écho à celle de celui d’Almodovar).

     

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    Brad Pitt, Quentin Tarantino, Mélanie Laurent à la sortie de la conférence de presse cannoise

     

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    Dans les coulisses du Grand Journal- Festival de Cannes 2009 - Diane Krüger et Quentin Tarantino

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    Dans les coulisses du Grand Journal de Canal Plus, plage du Martinez- Festival de Cannes 2009- Christoph Waltz et Diane Krüger

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