Critique de L'ODYSSEE DE PI d'Ang Lee à 20H55 sur Canal plus (10/01/2014)

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Le 26 novembre 2012, j’ai eu le plaisir d’assister à l’avant-première de « L’Odyssée de Pi », le dernier film du cinéaste Ang Lee en salles le 19 décembre prochain. Cette projection au Gaumont-Marignan a été suivie d’une Master class du cinéaste (cf vidéo ci-dessus).

L’Odyssée de Pi est l’adaptation du roman fantastique éponyme de Yann Martel maintes fois primé, traduit en 42 langues et surtout réputé pour être totalement inadaptable au cinéma, transformant potentiellement l’aventure en odyssée cinématographique. D’autres cinéastes, avant Ang Lee, furent intéressés ou pressentis pour adapter le roman : Shyamalan, Cuaron, Jeunet avant que le projet ne soit confié au cinéaste taïwanais qui n’en était pas à son premier défi.

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Après « Hôtel Woodstock », il y a trois ans, et auparavant des films aussi différents que « Tigre et dragon », « Raison et sentiments », « Le Secret de Brokeback Mountain », « Lust, Caution »…, Ang Lee s’est donc attelé à l’adaptation de cette Odyssée qui débute à Pondichéry, en Inde, là où vit Pi Patel (Suraj Sharma), avec sa famille qui s’occupe d’un zoo. A l’âge de 17 ans, il embarque avec sa famille pour le Canada avec tous les animaux du zoo destinés à y être vendus. Son destin est bouleversé par le naufrage spectaculaire du cargo en pleine mer. Il est alors le seul survivant à bord d'un canot de sauvetage, enfin…presque seul. Avec lui : Richard Parker, splendide et féroce tigre du Bengale comme son nom ne l’indique pas. Pi, pour survivre va alors devoir faire preuve d’ingéniosité, de courage…et surtout de beaucoup d’imagination.

Voilà ce qu’est en effet avant tout « L’Odyssée de Pi » : un hommage à l’imaginaire, salvateur ou trompeur, un hymne à son pouvoir qui permet d’affronter les vagues et les tumultes de l’existence. Une splendide allégorie sous la forme d’un conte cruel et enchanteur. C’est avant tout l’histoire d’une croyance (en la religion, en l’illusion que crée cette dernière) qui permet de survivre. C’est là que le film d’Ang Lee se révèle brillant : derrière ce qui pourrait n’être qu’un voyage initiatique (qu’il est aussi) il interroge nos croyances, leur fondement, leur but.

Le tigre qui évoque l’énergie, la puissance et la férocité est aussi, dans la religion bouddhiste, le symbole de la foi et de l’effort spirituel. Il n’est pas ici doté de pouvoirs surnaturels, et c’est ce qui fait tout l’intérêt du film. Le surnaturel ne réside que dans l’âme de Pi. A nous de voir si le tigre ou même l’existence du tigre n’est que le reflet de la sienne ou celle qu’il possède vraiment, à vous de choisir ce en quoi vous voudrez croire, si son compagnon est son imaginaire ou un splendide tigre du bengale, féroce et fascinant.

 

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Détrompez-vous, si la bande-annonce vous a donné l’impression (l’illusion, encore une) d’assister à une histoire pour enfants, c’est avant tout sa double lecture qui rend cette odyssée passionnante. Elle commence par des images idéalisées de la vie de Pi en Inde avec ses animaux d’une beauté et d’un réalisme troublants que la 3D nous donne l’impression d’approcher réellement (impression qui culminera lors du vol d’une nuée de poissons, Ang Lee a même changé de format pour l’occasion). Puis, vient le temps du naufrage…et du face-à-face entre Pi et Richard Parker, Pi et son imaginaire, Pi et les éléments, Pi et sa foi donc surtout Pi face à lui-même, la manière dont il choisi d’affronter le drame tout comme nous d’affronter l’existence : en croyant le plus souvent (au cinéma, à l’illusion, en un Dieu).

Le conte ne s’avère ainsi pas seulement cruel parce que le zèbre et l'orang-outang naufragés avec Pi doivent subir les assauts d’une hyène mais aussi parce que tout ce que nous voyons n’existe peut-être pas, n’est potentiellement que la construction de l’esprit pour supporter une version beaucoup plus cruelle, voire insupportable de ce qui s’est réellement produit (comme, peut-être, la propre animalité de Pi dont le tigre serait alors la métaphore), à l’image de cette île perdue où débarque Pi, en apparence enchanteresse et en réalité carnivore. Tout n’est qu’affaire de perception, de point de vue… à l’image du cinéma, une autre « croyance » ou en tout cas une autre illusion dont le film est aussi l’allégorie.

LA 3D et la photographie « fabuleuse » de Claudio Miranda (« L’étrange histoire de Benjamin Button »…) nous immergent dans un univers poétique et onirique grâce à des images d’une beauté féérique et irréelle (et à dessein, la forme rejoignant ainsi le fond) qui nous procurent l’illusion de flotter dans les cieux. Ang Lee se révèle alors aussi doué dans les scènes intimistes que dans celles plus spectaculaires entre lesquelles sa filmographie lui a souvent permis d’alterner et qu’il réunit ici dans un seul film. L’émotion atteint son paroxysme et nous fait retenir notre souffle lorsqu’une tempête contraint Pi à se blottir au fond du bateau à portée du tigre abandonnant alors toute défense, peut-être toute raison et s’abandonnant (à l’illusion ?).

Le film d’Ang Lee regorge de qualités indéniables : alliance entre l’intime et le spectaculaire, beauté vertigineuse des images (comme celle de cette baleine phosphorescente qui surgit des flots comme un songe évanescent, furtif et inoubliable), et surtout double lecture passionnante, pourtant quelques bémols font que je n’emploierai pas le terme de chef d’œuvre par lequel James Cameron a salué le film d’Ang Lee : le scénario inégal avec même quelques longueurs –j’avoue même avoir regardé ma montre- (une arrivée trop brusque au Mexique, un récit enchâssé vieille recette hollywoodienne, et un surjeu à la Bollywood du jeune interprète) même si, concernant ce dernier reproche, Ang Lee, après avoir rencontré l'écrivain Steve Callahan, rescapé d'un naufrage ayant survécu 76 jours sur un radeau dans l'océan Atlantique, lui a demandé de participer à l’écriture, puis de rencontrer Suraj Sharma. Celui-ci lui a ainsi raconté que les émotions étaient amplifiées dans de telles circonstances, ce qui explique sans doute en partie son jeu qui manque de nuances.

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Ang Lee a néanmoins relevé le défi de raconter l’histoire d’un homme « Seul au monde » avec une forme qui n’a rien à voir avec celle du film éponyme mais lorgne plutôt du côté d’ « Avatar », discours sur l’environnement y compris. Un conte fondamentalement cruel sous une apparence enchanteresse. Un voyage épique et poétique, un vertige sensoriel éblouissant à la narration imparfaite mais qui vaut le détour, ne serait-ce que pour la sensation jouissive de flotter sur les cieux ou encore parce qu’il nous montre qu’il faut apprivoiser l’autre, la nature, son imaginaire allant à l’encontre d’une société dans l’urgence et l’immédiateté. Au-delà de son aspect formel, c’est la polysémie de l’interprétation qui procure son originalité à ce film : le contraste passionnant entre la forme majestueuse et noble (comme un tigre) et le fond très cruel.

Je vous recommande certes ce film, malgré mes réserves, vous l’aurez compris, mais si, vraiment, vous voulez voir une fable étourdissante et bouleversante, alors allez voir « Les Bêtes du sud sauvage » de Benh Zeitlin, film d’une beauté âpre et flamboyante qui est aussi un vibrant hommage au doux refuge de l’imaginaire. L’un n’empêche d’ailleurs pas l’autre mais le second possède ce supplément d’âme, justement de magie, d’insaisissable qui fait parfois défaut au premier et si « L’Odyssée de Pi » m’a charmée et intéressée, « Les Bêtes du Sud sauvage »  est un film qui m’a transportée, envoûtée, bouleversée.

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09:25 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, critique, film, ang lee, l'odyssée de pi | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | | Pin it! | |