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  • Critique de Mr. TURNER de Mike Leigh à 20H50 sur Canal plus cinéma

     

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    Dans ce nouveau film de Mike Leigh, Timothy Spall interprète le peintre Turner. Sans doute certains trouveront-ils qu’il cabotine ou que son jeu est maniéré, sans doute des intimes du peintre Turner qui savent mieux que quiconque qu’il ne se comportait pas ainsi, lequel, rappelons-le, est décédé en 1851. Simplement Timothy Spall a-t-il décidé d’esquisser, de composer un personnage tout comme, pour esquisser le portrait de Turner, Mike Leigh a dessiné une suite de saynètes/toiles d’une beauté renversante, éblouissante, captivante malgré la longueur du film, recourant à une lenteur finalement judicieuse pour nous  faire apprécier cet artiste comme un tableau qui n’offre pas d’emblée toutes ses richesses au regard mais se dévoile peu à peu, à l’image de cet éléphant à peine visible au premier regard sur cette toile de Turner.

    Le film et le personnage se construisent de paradoxes : entre l’extrême sensibilité que cet homme met dans son art et la rudesse de ses manières, entre les tourments qu’il exprime dans ses toiles et ceux qu’il ne parvient pas à exprimer autrement, réussissant à peindre les tempêtes qui s’agitent sur les océans et dans son crane mais jamais à les expliciter.

    Mike Leigh s’est concentré sur les dernières années de l’existence du peintre britannique qui fut un artiste reconnu, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts,  vivant entouré de son père (qui fut aussi son assistant), et de sa dévouée (c’est un euphémisme) gouvernante (fantastique Dorothy Atkinson). Un tableau d’autant plus intéressant que, au-delà de sa saisissante beauté picturale, le parallèle est évident entre l’artiste peintre et l’artiste cinéaste, en particulier lorsque celui-ci subit les sarcasmes de l’establishment. Toute relation avec la réalité serait évidemment purement fortuite.

    Mike Leigh nous éclaire sur le travail de Turner tout en ne cherchant pas à rendre sympathique cet homme sombre et parfois même repoussant et glacial ou en tout cas incapable de s’exprimer autrement qu’au travers de ses toiles ou par des borborygmes « inhumains ». Ce film nous laisse avec le souvenir de peintures et de plans qui se confondent, en tout cas d’une beauté à couper le souffle, et le souvenir  de ce premier plan étincelant avec ce soleil prometteur, ce moulin, ces deux paysannes qui marchent  en parlant flamand tandis que seul et/ou isolé (Turner fait lui-même la distinction entre la solitude et l’isolement, sans doute ressent-il la première sans être victime du second), en marge de la toile/de l’écran, le peintre s’adonne à son art, comme un miroir de celui qui le portraiture pour le cinéma (des « Ménines » de Velasquez version 21ème siècle, finalement).

    Un film et un personnages à la fois âpres, rudes et sublimes d’une belle exigence dans les nuances des âmes autant que dans celles des teintes et des peintures.

  • Critique de LA FRENCH de Cédric Jimenez à 20H55 sur Canal + ce 12 décembre 2015

    La French, Cédric Jimenez, Jean Dujardin, La French, Gilles Lellouche, critique, film, cinéma, télévision, Canal plus, Canal +

    Melville. Verneuil. Deray. Corneau. Les cinéastes qui ont donné ses lettres de noblesse au cinéma policier français. Un cinéma de codes, de genre, parfois manichéen, à dessein. Un cinéma avec ses héros, flics ou gangsters. Le cinéma que j’aime, parfois aveuglément, parfois pour ses défauts, pour ce manichéisme justement, réjouissant. Autant dire que j’attendais avec énormément d’impatience « La French » qui renouait avec ce cinéma d’antan, essentiellement à l’honneur dans les années 1970.

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    C’est justement dans les années 1970 que débute « La French », plus exactement en 1975, à Marseille. Pierre Michel incarné par Jean Dujardin est un jeune magistrat venu de Metz avec femme et enfants, nommé juge du grand banditisme à Marseille. Il décide de s’attaquer à la French Connection (dite « La French »), organisation mafieuse qui exporte l’héroïne dans le monde entier et en particulier à Gaëtan Zampa (Gilles Lellouche), figure emblématique du milieu et parrain intouchable contre lequel le juge Michel va partir en croisade.

    Tous les ingrédients d’un grand film policier sont là : une fiction librement inspirée d’une histoire vraie connue et encore malgré tout auréolée de zones d’ombres, un décor très cinématographique, -Marseille-, le combat entre deux (anti)héros, le gangster et le juge, des seconds rôles forts, de vraies « gueules » de cinéma, une histoire placée sous le sceau de la tragédie.

    Pour son deuxième long-métrage de fiction après « Aux yeux de tous » (Il a également réalisé un documentaire intitulé « Who’s the Boss : Boss of Scandalz Strategyz »), Cédric Jimenez s’est attelé à un projet pour le moins ambitieux, et pas seulement financièrement (21 millions d’euros). Toute la qualité du scénario écrit par celui-ci et sa compagne Audrey Diwan réside dans l’alternance de scènes spectaculaires et de scènes intimes, de scènes d’action et de scènes d’émotion, pareillement réussies. Les scènes d’émotion parsèment le film et n’en sont que plus touchantes quand le juge ou Zampa (plus rarement) baissent la garde.

    Si le héros de l’histoire est indéniablement le juge, un homme droit, intègre jusqu’à l’obsession, son parcours est mis en parallèle avec celui de Zampa : intelligente construction dichotomique du film qui croise constamment ces deux destinées devenues indissociables. Leurs deux rencontres, dont l’une est filmée de telle sorte qu’elle semble avoir lieu dans les cieux, n’en ont que plus d’impact. Le Marseille des années 1970 est magnifiquement reconstitué et mis en lumière par Laurent Tangy. Le réalisateur, Cédric Jimenez, sait d’ailleurs d’autant mieux ce dont il parle qu’il est lui-même originaire de la cité phocéenne.

    Lellouche et Dujardin sont parfaits, l’un dans le rôle du juge intègre, humain mais obstiné, faisant passer son devoir avant son intérêt, l’autre dans le rôle du « parrain » charismatique, Gilles Lellouche tout en puissance, impressionnant. Dujardin prouve une nouvelle fois sa capacité à incarner des personnages très différents mais surtout à être une figure du cinéma qui, justement, avait un peu disparu, celle qu’incarnaient Belmondo ou Delon, celle du personnage qui, flic ou voyou, emporte d’emblée la sympathie du public qui n’allait plus voir un film de Verneuil ou Deray mais le dernier Belmondo ou Delon ou Ventura tout comme, sans aucun doute, j’irai voir le prochain Dujardin. Dans les rôles secondaires, Benoît Magimel, Guillaume Gouix, Céline Sallette, Mélanie Doutey, Moussa Maaskri, Cyril Lecomte sont parfaits sans oublier Bernard Blancan, trop rare et qui trouve ici un nouveau rôle à sa (dé)mesure (pour ceux qui l’auraient oublié : prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2006 pour « Indigènes »).

    Un « french » film doté des qualités que certains prêtent uniquement au cinéma américain, oubliant un peu vite ou méconnaissant l’histoire du cinéma français, riche de chefs d’œuvre du cinéma policier. Plus qu’un film policier, une page de notre Histoire (passionnantes scènes avec Gaston Defferre, sur son rôle trouble), un récit à la fois intime et spectaculaire palpitant, le film qui réconcilie les années 1970 avec le cinéma contemporain et qui plaira autant aux amateurs de l’un qu’aux amateurs de l’autre, mais aussi aux amoureux du cinéma de Scorsese (vers lequel lorgne évidemment Jimenez autant de par ses mouvements de caméra, la construction du film, son univers que l’usage de la musique, notamment, à noter, une bo remarquable) qu’à ceux de celui de Deray ou Verneuil. Bref, 2H15 à consacrer à « La French » et que vous auriez tort de ne pas  passer dans la ville de « Borsalino » avec un face-à-face qui a la force du duo/duel Delon/Belmondo.

    Retrouvez également Jean Dujardin dans UN + UNE de Claude Lelouch, actuellement à l'affiche. Ma critique, ici.

  • Critique de INTERSTELLAR de Christoper Nolan à voir ce 27 novembre 2015 à 20H55 sur Canal +

    En 1999, un certain Christopher Nolan avait remporté le Hitchcock d’argent du Festival du Film Britannique de Dinard. Cette même année, j’avais eu le plaisir de faire partie du jury qui lui avait décerné ce prix. Nous avions alors été subjugués par l’indéniable originalité de son premier film « Following ». Depuis, Christopher Nolan a enchaîné les succès : « Memento », « Insomnia », « Batman begins », « Le Prestige», « The Dark Knight ». La singularité remarquable de son univers lui avait ensuite permis de réunir et convaincre un casting d’exception comme celui d’ «Inception » avant de réaliser « The Dark night rises » et enfin « Interstellar ».

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    Dans « Inception », il s’agissait de subtiliser et manipuler les rêves. D’implanter une idée. Une belle promesse d’un voyage unique pour le spectateur. Un synopsis  d’une inventivité et d’une audace rarement égalées dans un cinéma de plus en plus frileux. Un blockbuster possédant toute la richesse, la complexité et la confiance dans le spectateur, généralement davantage (et à tort) attribuées au film d’auteur. La mémoire, la distorsion du temps, l’illusion : autant de thèmes que Christopher Nolan avait déjà abordés dans ses précédents films et dont il extrayait et recyclait ici le meilleur. Film inclassable qui ne mêlait pas seulement les dimensions mais aussi les genres. Plus qu’un film, une expérience vertigineuse, dont le dernier plan, même après une seconde projection, m’avait laissée en apesanteur, comme grisée par un tour de manège délicieusement enivrant. A l’image des idées toujours fixées sur le subconscient, un film qui vous laisse une empreinte inaltérable. Un film qui se vit plus qu’il ne se raconte, qui nous plonge en plein rêve. La quintessence du cinéma : un rêve partagé qui distord le temps, défie la mort et qui nous rappelle ce que nous ne devrions pas oublier ou craindre : ne jamais avoir peur de rêver trop grand. Je pourrais écrire ce même paragraphe concernant les immenses qualités d’ « Inception » au sujet d’ « Interstellar », sans en changer un mot. Preuve que le cinéma de Christopher Nolan possède son univers et une continuité, une logique et une constance dans l’excellence, la marque des grands cinéastes.

    Christopher Nolan aime en effet jouer avec les codes narratifs, cinématographiques, éclater la narration, bousculer nos repères spatio-temporels. Nous bousculer. Et bousculée, remuée, bouleversée, je l’ai été pendant ce film, à son dénouement, et après. Comme rarement il m’est arrivé de l’être au cinéma.

    Dans un monde futur qui ressemble au nôtre, mais où la sécheresse, les tempêtes, une poussière suffocante, la famine menacent, l’époque n’est plus aux conquérants et aux explorateurs et aux rêves mais aux agriculteurs et à la nécessité de s’alimenter et survivre. En cachette, la NASA continue pourtant ses travaux et ses recherches. L’horloge tourne. Il faut sauver l’humanité du désastre et de la fin annoncés. Une faille récemment découverte dans l’espace-temps permettrait de repousser les limites humaines et de partir à la conquête des distances astronomiques dans un voyage interstellaire. Jamais l’humanité n’aura connu une telle urgence et un tel défi : dépasser les limites de notre galaxie pour trouver une autre planète sur laquelle vivre. Les explorateurs, ce sont Joseph Cooper (Matthew McConaughey) et Amelia Brand (Anne Hathaway), fille du professeur Brand (Michael Caine), un astrophysicien à l’origine de ces recherches et de cette mission. Joseph Cooper, quant à lui, est un ancien pilote qui a trouvé sa reconversion forcée dans la culture de maïs. Un phénomène paranormal le conduit jusqu’à ce centre ultrasecret de la NASA. Comme il est un éminent pilote et même le plus doué, cette mission lui est alors destinée. Joseph Cooper est le père de deux enfants, Tom et Murphy (incarnée à l’âge adulte par Jessica Chastain), nommée comme la loi éponyme non pas « parce que ça porte malheur mais parce que ce qui peut arriver va arriver ». Elle ne pardonne pas à son père ce départ, qu’elle assimile à un abandon, un départ sans certitude de réussite et de retour. Rester avec ses enfants ou les abandonner pour tenter de leur assurer un avenir possible, ainsi qu’au reste de l’humanité : tel est l’impossible dilemme auquel s’était retrouvé confronté Joseph, d’autant plus cruel que la distorsion du temps et la relativité peut leur faire perdre 7 ans en une heure lorsqu’ils se retrouvent au contact de la gravité d’une certaine planète…

    Loin d’être folle utopie, le scénario d’ « Interstellar » s’inspire principalement des travaux du physicien théoricien Kip Thorne, réputé pour ses apports cruciaux à la physique, l’astrophysique et surtout au domaine de la gravitation. Il est connu pour avoir exploré la théorie de la relativité générale d’Einstein. D’après ses recherches, il serait possible de voyager dans le temps, grâce aux fameux trous de vers.  Il a également participé à l’écriture du scénario. Jonathan Nolan, co-auteur du scénario avec son frère, a aussi beaucoup lu les travaux de Carl Sagan, scientifique et astronome américain.

    Initialement développé par Spielberg, « Interstellar » n’a finalement pas été réalisé par le cinéaste pour des raisons d’emploi du temps. Christopher Nolan devait alors seulement en écrire le scénario avec son frère Jonathan Nolan. Spielberg proposa alors à Christopher Nolan de le reprendre à son compte et de le réaliser. Si on y retrouve des thèmes chers à Spielberg, le film semblait néanmoins être fait pour Christopher Nolan, tant il recèle et sublime ses thèmes de prédilection.  Ce projet presque aussi fou que celui qu’il relate a été entouré du plus grand secret. Je n’en savais rien avant d’entrer dans la salle et le voyage en fut d’autant plus époustouflant.

    Comme « Inception », « Interstellar » est inclassable. Il réunit le western et la science-fiction. Le film d’auteur et le blockbuster. L’intime et le grandiose. Il fait se rencontrer Ford et Kubrick et, s’il peut faire penser à « Gravity » par le voyage auquel il nous convie, oubliez tout de suite la comparaison, « Interstellar », au contraire de celui-ci,  est dépourvu du symbolisme simpliste et surligné dont « Gravity » souffrait. Dès les premiers plans, ces différents genres et dimensions sont entremêlés : le récit d’une vieille femme, le cauchemar d’un pilote, et un fantôme qui rend visite à une petite fille qui en fait part à son père, incrédule. Toutes les clés du passionnant puzzle sont contenues dans ces premières minutes mais le voyage qui nous amène à cette conclusion est tellement étourdissant, éblouissant, suffocant aussi parfois pour nous éblouir davantage encore ensuite, que vous auriez tort de vous en priver.

    Certes, le montage (notamment une scène en montage alterné) met avec un peu de lourdeur des événements en parallèle, mais le résultat est tellement redoutable et efficace en termes d’émotion et de force narrative qu’il serait difficile de lui reprocher. Tout juste peut-on regretter que le film ne soit pas finalement plus long pour prolonger encore le voyage et laisser un peu plus de place à certains personnages et intrigues secondaires.

    Il en fallait tout de même de l’audace, de la détermination, du talent pour rendre les trous de ver et la singularité gravitationnelle et cette fable métaphysique ainsi exaltants, pour que nous nous égarions dans ce labyrinthe avec autant de jubilation. Comme si le temps avait perdu pour moi aussi toute logique et s’était distendu, les 2H49 que durent le film m’ont semblé une heure et, pourtant, j’ai éprouvé la sensation d’un lointain voyage, à la fois éprouvant et sublime. Avec les protagonistes, le spectateur est immergé dans cette course contre le temps, contre la mort, et confronté aux questionnements et dilemmes des protagonistes. Le réalisateur prend d’ailleurs le temps, notamment d’une exposition qui ancre dans le réel les personnages et qui donne plus de force encore au voyage interstellaire.

    Nolan est aussi doué pour les scènes grandioses que les scènes intimistes, les alternant savamment pour que jamais la tension et notre attention ne se relâchent. Cette scène, intime, où Cooper reçoit un message de sa fille ou celle, grandiose, où la capsule tente, dans une périlleuse acrobatie de rejoindre la navette, sont tout aussi bouleversantes. Dans cette scène, où la capsule virevolte à une vitesse grisante, effrayante et vertigineuse, j’ai littéralement eu la sensation de danser, voler avec eux aux confins de la galaxie, le souffle coupé. La musique, elle aussi enivrante, de Hans Zimmer achève de faire de cette scène un moment d’anthologie…comme le film en compte d’ailleurs plusieurs, Hans Zimmer dont c’est ici la cinquième collaboration avec Christopher Nolan et dont la partition contribue au caractère exceptionnel du film. Le son joue d’ailleurs un rôle crucial et Nolan en fait une utilisation particulièrement  brillante et astucieuse : du silence qui, soudain, nous happe dans son gouffre à la fois lénifiant et effrayant, aux cris des oiseaux et au bruit de la pluie qui viennent le briser, en passant par ce poème réitéré, d’une mélancolie et d’une beauté ravageuses, sur les images de l’espace.

    Malgré son caractère science-fictionnel, le film est particulièrement réaliste, grâce au décor, à la photographie, à cette tension constante évoquée précédemment, mais aussi à ce choix de la pellicule (que Christopher Nolan est l’un des derniers à défendre face au numérique, à Hollywood, comme le rappelle le passionnant documentaire « Side by side » dont je vous parlais dans mon compte rendu du dernier Festival Lumière de Lyon) et  à la préférence du réel face à l’infographie, notamment pour les deux robots, prénommés Case et Tars qui ont été véritablement construits pour le film.

    Au-delà de l’aventure exceptionnelle à laquelle il nous convie, au-delà du voyage initiatique et interstellaire, au-delà du message humaniste et écologique, (oui, ce film est tout cela et bien plus encore), « Interstellar » est aussi une célébration de l’amour et en particulier de l’amour filial qui « transcende la dimension temporelle et spatiale » (message que certains trouveront sans doute mièvre mais qui contribue à la force et à l’émotion qui culmine à la fin du film), sur l’instinct de survie, le temps, la mémoire et la nature, bien si précieux. « Interstellar » fait partie de ces films, exceptionnels, SENSATIONnels (au propre comme au figuré),  qui plus que des films, sont des instants, des expériences à voir et revoir, vivre et revivre, qui s’intègrent à votre vie. J’en suis ressortie épuisée, mélancolique, ravagée, éblouie et souriante comme après un voyage lointain, magnifique et éreintant, en me disant que, au-delà de la mort, de l’espace et du temps, un père récemment disparu et si cher à sa fille auteur de ces lignes, continuait à l’accompagner, par-delà le néant. Merci au cinéma et à ce film de m’avoir fait croire, l’espace d’un inestimable instant, à l’impossible et de m’avoir ainsi embarquée pour ce voyage inoubliable aux confins de la galaxie, de la mort et de l’imaginaire…

  • Critique de WINTER SLEEP de Nuri Bilge Ceylan à voir à 20H50 sur Canal plus cinéma

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    « Winter Sleep » a remporté la Palme d’or de ce 67ème Festival de Cannes, voilà qui complète le (déjà prestigieux) palmarès cannois de Nuri Bilge Ceylan, un habitué du festival, après son Grand Prix en 2003, pour « Uzak »,  celui de la mise en scène en 2008 pour « Les Trois Singes » et un autre Grand Prix en 2011 pour « Il était une fois en Anatolie ». En 2012, il fut  également récompensé d’un Carrosse d’Or, récompense décernée dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs par la Société des Réalisateurs de Films à l’un de leurs pairs. Son premier court-métrage, « Koza », fut par ailleurs repéré par le festival et devint le premier court turc qui y fut sélectionné, en 1995.  Il fut par ailleurs membre du jury cannois en 2009, sous la présidence d’Isabelle Huppert. Son film « Les Climats » reçut   le prix FIPRESCI de la critique internationale en 2006.

    J’essaie de ne jamais manquer les projections cannoises de ses films tant ils sont toujours brillamment mis en scène, écrits, et d’une beauté formelle époustouflante. « Winter sleep » ne déroge pas à la règle…et c’est d’autant plus impressionnant que Nuri Bilge Ceylan est à la fois réalisateur, scénariste (coscénariste avec sa femme), coproducteur et monteur de son film…et qu’il semble pareillement exceller dans tous ces domaines.

    Inspiré de 3 nouvelles de Tchekhov, se déroulant dans une petite ville de Cappadoce, en Anatolie centrale, « Winter sleep » raconte l’histoire d’Aydin (Haluk Bilginer), comédien à la retraite, qui y tient un petit hôtel avec son épouse de 20 ans sa cadette, Nihal (Melisa Sözen) dont il s’est éloigné sentimentalement, et de sa sœur Necla (Demet Akbağ ) qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements… Et dire que tout avait commencé par la vitre d’une voiture sur laquelle un enfant avait jeté une pierre. La première pierre…

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    Sans doute la durée du film (3H16) en aura-t-elle découragé plus d’un et pourtant…et pourtant je ne les ai pas vues passer, que ce soit lors de la première projection cannoise ou lors de la seconde puisque le film a été projeté une deuxième fois le lendemain de la soirée du palmarès, très peu de temps après.

    La durée, le temps, l’attente sont toujours au centre de ses films sans que jamais cela soit éprouvant pour le spectateur qui, grâce à la subtilité de l’écriture, est d’emblée immergé dans son univers, aussi rugueux puisse-t-il être. Une durée salutaire dans une époque qui voudrait que tout se zappe, se réduise, se consomme et qui nous permet de plonger dans les tréfonds des âmes qu’explore et dissèque le cinéaste. Nuri Bilge Ceylan déshabille en effet les âmes de ses personnages.

     Le premier plan se situe en extérieur. Au loin, à peine perceptible, un homme avance sur un chemin. Puis images en intérieur, zoom sur Aydin de dos face à la fenêtre, enfermé dans sa morale, ses certitudes, son sentiment de supériorité, tournant le dos (à la réalité), ou le passage de l’extérieur à l’intérieur (des êtres) dont la caméra va se rapprocher de plus en plus pour  mettre à nu leur intériorité. « Pour bien joué, il faut être honnête », avait dit un jour Omar Sharif à Aydin. Aydin va devoir apprendre à bien jouer, à faire preuve d’honnêteté, lui qui se drape dans la morale, la dignité, les illusions pour donner à voir celui qu’il aimerait -ou croit-être.

    Homme orgueilleux, riche, cultivé, ancien comédien qui se donne « le beau rôle », Aydin est un personnage terriblement humain, pétri de contradictions, incroyablement crédible, à l’image de tous les autres personnages du film (quelle direction d’acteurs !) si bien que, aujourd’hui encore, je pense à eux comme à des personnes réelles tant Nuri Bilge Ceylan leur donne corps, âme, vie.

    Pour Aydin, les autres n’existent pas et, ainsi, à ses yeux comme aux nôtres, puisque Nihal apparaît au bout de 30 minutes de film seulement. Il ne la regarde pas. Et quand il la regarde c’est pour lui demander son avis sur une lettre qui flatte son ego. C’est à la fois drôle et cruel, comme à diverses moments du film, comme lorsqu’il raconte à sa sœur une pièce dans laquelle elle ne se souvient visiblement pas l’avoir vu jouer :  « La pièce où je jouais un imam. J’entrais en cherchant les toilettes ».

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    Que de gravité et d’intensité mélancoliques, fascinantes, dont il est impossible de détacher le regard comme s’il s’était agi de la plus palpitante des courses-poursuites grâce au jeu habité et en retenue des comédiens, au caractère universel et même intemporel de l’intrigue, grâce à la beauté foudroyante et presque inquiétante des paysages de la Cappadoce, presque immobile comme un décor de théâtre. L’hôtel se nomme d’ailleurs « Othello ».  Dans le bureau d’Aydin, ancien acteur de théâtre, se trouvent des affiches de « Caligula » de Camus, et de « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare. La vie est un théâtre. Celle d’Aydin, une représentation, une illusion que l’hiver va faire voler en éclats.

    « Winter sleep », à l’image de son titre, est un film à la fois rude, rigoureux et poétique. Il est porté par des dialogues d’une finesse exceptionnelle mêlant cruauté, lucidité, humour, regrets (« j’ai voulu être ce grand acteur charismatique dont tu rêvais »), comme ces deux conversations, l’une avec sa sœur, l’autre avec Nihal, qui n’épargnent aucun d’eux et sont absolument passionnantes comme dans une intrigue policière, chacune de ces scènes donnant de nouveaux indices sur les caractères des personnages dont les masques tombent, impitoyablement : « Avant tu faisais notre admiration » », « On croyait que tu ferais de grandes choses », « On avait mis la barre trop haut », « Ce romantisme sirupeux », « Cet habillage lyrique qui pue le sentimentalisme », « Ton altruisme m’émeut aux larmes.», « Ta grande morale te sert à haïr le monde entier ».

     Ces scènes sont filmées en simples champs/contre-champs. La pièce est à chaque fois plongée dans la pénombre donnant encore plus de force aux visages, aux expressions, aux paroles ainsi éclairés au propre comme au figuré, notamment grâce au travail de Gökhan Tiryaki, le directeur de la photographie. Nuri Bilge Ceylan revendique l’influence de Bergman particulièrement flagrante lors de ces scènes.

    Les temps de silence qui jalonnent le film, rares, n’en sont que plus forts, le plus souvent sur des images de l’extérieur dont la beauté âpre fait alors écho à celle des personnages. Sublime Nihal dont le visage et le jeu portent tant de gravité, de mélancolie, de jeunesse douloureuse. Pas une seconde pourtant l’attention (et la tension ?) ne se relâchent, surtout pas pendant ces éloquents silences sur les images de la nature fascinante, d’une tristesse éblouissante.

    Nuri Bilge Ceylan est terriblement lucide sur ses personnages et plus largement sur la nature humaine, mais jamais cynique. Son film résonne comme un long poème mélancolique d’une beauté triste et déchirante porté par une musique parcimonieuse, sublimé par la sonate n°20 de Schubert et des comédiens exceptionnels. Oui, un long poème mélancolique à l’image de ces personnages : lucides, désenchantés, un poème qui nous accompagne longtemps après la projection et qui nous touche au plus profond de notre être et nous conduit, sans jamais être présomptueux, à nous interroger sur la morale, la (bonne) conscience, et les faux-semblants, les petitesses en sommeil recouvertes par l’immaculée blancheur de l’hiver. Un peu les nôtres aussi. Et c’est ce qui est le plus magnifique, et terrible.

  • Le Débarquement sur CANAL + ce soir à 20H55

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    Il est rare que je vous parle d'émissions télévisées mais celle-ci qui se définit comme "le plus grand show comique de l'histoire de Canal +" me semble une belle innovation qui devrait plaire aux amateurs de cinéma puisque de nombreux acteurs et non des moindres y seront présents et puisque les sketchs feront apparemment souvent référence au cinéma. Je n'ai pas encore le don d'ubiquité malheureusement donc j'ai dû décliner l'invitation à  assister au tournage pour cause de cérémonie des Lumières à laquelle je serai ce soir (et que je vous invite de nouveau à suivre en direct sur twitter ). Si vous voulez voir 34 comédiens (et non des moindres: Guillaume Canet, Jean Dujardin, Marion Cotillard, Sandrine Kiberlain, Pierre Niney...) dans des rôles inattendus et en direct, regardez Canal plus, ce soir, à 20H55. 

  • Critique – « Parlez-moi de vous » de Pierre Pinaud, ce soir, à 20H50, sur Canal plus décalé

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    Ce début d’année 2012 est particulièrement riche en premiers films de qualité. Après Cyril Mennegun avec « Louise Wimmer », c’est au tour de Pierre Pinaud de sortir un premier long-métrage remarqué, « Parlez-moi de vous ».

    Karin Viard y interprète Mélina, 40 ans, la voix « la plus célèbre de France » dont, paradoxalement, personne ne connaît le visage. Animatrice à la radio, la nuit, à l’antenne, elle résout les problèmes affectifs et sexuels des auditeurs avec impertinence, humour et sans tabou. Dans la vie, elle évite tout contact et vit seule dans un appartement des quartiers chics, triste et aseptisé. Partie à la recherche de sa mère qu’elle n’a jamais connue, elle découvre que celle-ci vit au sein de sa famille, en banlieue. Elle décide de s'approcher d'elle, incognito....

    Les meilleures comédies sont souvent celles qui ne le sont pas totalement et qui, à l’image de la « Délicatesse » de David et Stéphane Foenkinos sortie à la fin de l’année passée, ou même des références du genre comme les meilleurs Capra, ont un fond dramatique. D’ailleurs, il serait ici plus juste de définir ce film comme dramatique (de par son sujet) mais dédramatisé par des scènes burlesques surtout en raison du caractère savoureusement décalé du personnage de Karin Viard…absolument extraordinaire dans ce film, comme elle l’était déjà récemment dans « Polisse », même si ces deux rôles sont très différents.

    C’est en effet un film de contrastes et de contradictions mais le jeu subtil de Karin Viard permet d’éviter l’écueil de la dichotomie ou même du manichéisme. Contraste et contradiction entre cette femme parlant d’amour et incapable d’aimer. Dont tout le monde connaît la voix mais ignore le visage. A la fois si proche et lointaine. Si chaleureuse à l’antenne et froide dans l’existence. A la parole si libérée mais tellement enfermée dans ses conventions (dans sa peur, surtout, de l’autre, de l’intrusion) et son image. Qui demande aux autres de parler d’eux mais ne parle jamais d’elle. Contraste entre son appartement grisâtre et aseptisé et l’environnement coloré et remuant de sa mère. Le jeu de Karin Viard permet en effet d’éviter la caricature à laquelle ces contrastes et contradictions auraient pu la conduire. Elle rend attendrissante la rigidité de son personnage par sa fragilité masquée, son besoin de se protéger. Derrière ce masque, dans sa sphère privée, elle redevient l’enfant qu’elle n’a pas eu vraiment la possibilité d’être en s’enfermant dans le placard pour ne pas être vue, redoutant d’être abandonnée. Son look très hitchcockien avec son chignon à la Vertigo renforce l’étrangeté de son personnage, à la fois mélancolique, rigide, décalé, burlesque, sans que jamais cela soit ridicule.

    L’autre bonne idée, outre ce choix de Karin Viard, c’est l’espace de liberté qui est laissé au spectateur. Dans un cinéma trop souvent formaté dans lequel on dicte presque au spectateur ce qu’il doit ressentir, un film comme celui-ci qui laisse place à son imaginaire et à l’implicite est une vraie respiration.

    Le couple improbable que le personnage de Karin Viard forme ou pourrait former avec Nicolas Duvauchelle (qu’elle retrouve après « Polisse ») fait parfois dévier le film vers la comédie romantique, tout en lui faisant conserver son aspect délicieusement hybride. Ce dernier incarne là aussi un personnage attachant et à la double « identité », maçon et photographe qui dévoile l’intimité des êtres à travers leurs portraits, tout comme Mélina le fait à travers leurs témoignages. « Parlez-moi de vous » est donc un drame avec de très belles scènes de comédies comme la scène du restaurant qui témoigne de la solitude de ces deux derniers mais aussi de ce qui pourrait les rassembler.

    Nadia Barentin qui incarne la mère, malheureusement décédée depuis le tournage, est réellement parfaite dans le rôle de cette femme qui a tiré un trait sur son passé, à la fois revêche et tendre, mais surtout inapte à aimer vraiment.

    Une belle écriture mise en avant par une réalisation intelligente et un regard sur les personnages jamais condescendants mais plein d’empathie font de ce film une des belles promesses de ce début d’année donnant à Karin Viard un de ses plus beaux rôles montrant l’étendue ahurissante de son talent et de son pouvoir comique. A l’image de ce personnage, ce film se dévoile (et nous charme) progressivement plus qu’il ne se découvre d’emblée. Et il en va des films comme des êtres, ce sont toujours les plus intéressants et attachants, et ceux que l’on quitte avec regrets. Un film à voir et un réalisateur à suivre.

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  • Critique de « La Délicatesse » de David et Stéphane Foenkinos, ce soir, sur Canal plus

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    Il y a bientôt trois ans ans, dans le cadre du jury des lectrices de Elle dont je faisais partie, je découvrais «La Délicatesse », le roman de David Foenkinos en lice pour le prix et dont le film éponyme est l’adaptation signée par ce dernier et Stéphane Foenkinos. Je découvrais aussi l’écriture fantaisiste, précise et délicate de David Foenkinos (oui, je l’avoue, il m’a fallu attendre son 8ème roman pour cela) après avoir remarqué la présence joliment discrète de l’auteur quand d’autres se mettaient en avant avec une ridicule et présomptueuse ostentation, lors d’un débat dans le cadre de feu Forum International Cinéma et Littérature de Monaco. Bien qu’ayant obtenu dix prix littéraires, « La Délicatesse » (à mon grand regret) n’avait pas reçu celui des lectrices de Elle...mais cela ne l’a pas empêché d’en vendre 700000 exemplaires et d’être traduit dans 21 pays...et c’est particulièrement rassurant. Rassurant de voir que pour cela il n’aura fallu ni faire voyager le lecteur dans le temps, ni lui raconter des histoires rocambolesques improbables, ni faire preuve d’un cynisme vengeur et racoleur, ni recourir à un style même pas digne d’un scénario avec deux phrases par page (vous voyez à qui je songe ?). Un livre dont l'auteur ose l'intituler « La Délicatesse » dans une société (pas seulement littéraire) souvent brutale qui prône et glorifie plutôt le cynisme, cela force déjà le respect. A l’encontre d’une société qui veut qu’une pensée se résume à 140 caractères d’exagération ou de mauvaise foi (ah, twitter, mon amour…), ou qu’une personne soit appréhendée et jugée en quelques secondes, le temps d’un regard scrutateur et sentencieux.

    « C’est l’histoire d’une femme qui va être surprise par un homme. Réellement surprise ». Ainsi était résumé ce roman. C’est l’inverse aussi. L’histoire d’un homme qui va être surpris par une femme. Réellement surpris. Et c’est surtout l’histoire de Nathalie (Audrey Tautou), une jeune femme qui a tout pour être heureuse, jeune, belle, insouciante, amoureuse de François (Pio Marmaï) qui avait décidé de la séduire parce qu’elle avait choisi un jus d’abricot, ou à peu près. Ils se marièrent et n’eurent pas le temps d’avoir beaucoup d’enfants car François décède brutalement. Tout pourrait s’arrêter là. D’ailleurs, pour elle le temps s’est arrêté, le jour où la lecture de son livre a été interrompue par la mort de François, mais après le deuil va venir le temps de la renaissance, là où et comme on ne l’attendait pas : un jour, sans raison, un peu perdue dans ses rêveries, elle embrasse un de ses collègues, l’insignifiant Markus (François Damiens)...enfin a priori insignifiant. Va alors naitre l’idée de ce couple improbable…

    Pas facile de transcrire à l’écran ce qui faisait en partie le charme du roman : l’écriture sensible, à la fois pudique et sensuelle, de David Foenkinos, une écriture émaillée d'une réjouissante fantaisie (aphorismes, digressions aussi savoureuses que décalées) qui faisait de ce roman une passionnante histoire autant qu'une aventure ludique pour le lecteur que Foenkinos, avec, décidément, une délicatesse quasiment amoureuse, n'oubliait jamais, ce qui n'est finalement pas si courant...

    « La Délicatesse » est un film à l’image de son personnage principal : d’apparence simple, discret, grave et triste, il se révèle gai, d’une lucidité joyeuse, tendre, et il vous charme d’une manière totalement inexplicable. Le charme des rencontres impromptues, improbables, inattendues. Les plus belles. Et ce n’était pas gagné d’avance. Il faut voir la première apparition de face de Markus, au bout de trente minutes de film (on aperçoit son dos et ses mains lors d’une réunion auparavant mais son visage reste invisible, insignifiant) avec son physique peu évident, son allure débraillée, son assurance hasardeuse.

    Le jeu du comédien est tel, remarquable François Damiens qui se glisse dans la peau du personnage avec une apparente facilité déconcertante (aidé par la réalisation), que le spectateur finit (presque) par le trouver séduisant, par être charmé à son tour, et en tout cas par comprendre le charme qu’il opère sur Nathalie. Il apparaît comme un personnage aussi lunaire que solaire, grâce à une photographie bienveillante, qui auréole la deuxième partie du film d’une douceur rassurante (très belle photographie de Rémy Chevrin) mais aussi grâce à la douce et énergique bo d’Emilie Simon.

    C’est sans doute cela la délicatesse : une sensation indicible, des petits gestes qui vous vont droit au cœur, une empathie du personnage qui emporte celle du spectateur et qui m’a totalement charmée. Par sa fantaisie (celle du roman qui se retrouve par petites touches). Par son mélange subtil de gravité et légèreté. Par sa manière d’appréhender le deuil et de célébrer le retour à l’espoir, à la vie.

    Dommage peut-être que Markus ne parle pas davantage puisque dans le roman, le charme opérait surtout par la parole. Il n’empêche que ce film est d’une douceur aussi simple que renversante. Audrey Tautou est l’actrice idéale pour incarner Nathalie. A la fois fragile et décidée, entre détermination énergique et une grâce enfantine qui me fait toujours penser à Audrey Hepburn. Une actrice trop rare qui jongle habilement entre le drame et la comédie, à l’image du film qui mêle subtilement les deux genres.

    Un bel hymne à la différence. Un film qui rend hommage aux anonymes, héros du quotidien, ces « émotifs anonymes » (on retrouve d’ailleurs une sensibilité commune avec celle de Jean-Pierre Améris), ces êtres vulnérables qui se découvrent plus qu’ils ne se remarquent mais qui n’en sont que plus intéressants. Avec le même sens de la précision et de l’humour décalé (ah, les joies de la Suède et du 114), avec ces mêmes accents truffaldiens, David et Stéphane Foenkinos réussissent non pas à transposer mais à retranscrire le style enchanteur du roman, son romantisme décalé et dénué de mièvrerie.

    Un délicieux film d’une gravité légère à déguster sans modération, l’histoire d’une renaissance lumineuse qui fera du bien tous ceux qui ont été touchés par le deuil, à tous ceux qui ne croient plus à la beauté foudroyante des hasards et coïncidences et des rencontres singulières, qui ne croit plus que le bonheur réside là où on ne l’attend pas. Voilà ce film m’a totalement charmée, aussi rare (et précieux) que la délicatesse qu’il met en scène, avec le même charme progressif et non moins ravageur.