Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jessica chastain

  • Critique de A MOST VIOLENT YEAR de J.C Chandor à 20H55 sur Canal plus

    Ce film figure dans mon top de l'année 2015 alors ne le manquez surtout pas!

    violent.jpg

    New York. L’hiver 1981. 1981 : l’année la plus violente qu’ait connue la ville. Abel Morales (Oscar Isaac), immigré mexicain, dévoré par l’ambition est un entrepreneur qui tente de réussir dans le milieu du pétrole, à NewYork. Il veut réaliser son American dream sans renoncer à son intégrité…et ce n’est pas une mince affaire :  ses camions sont régulièrement attaqués et leurs chargements en fioul volés, un procureur obstiné et tout aussi ambitieux enquête sur lui le soupçonnant d’escroqueries et fraudes, une menace semble constamment planer sur lui et les siens, et sa femme (Jessica Chastain) veut l’aider à sa manière (elle est la fille d’un truand de Brooklyn dont elle ne renie pas totalement les méthodes). « J’ai toujours choisi le droit chemin » s’obstine pourtant à dire Abel.

    L’homme intègre, à l’ambition carnassière, face à la société corrompue et violente. La femme fatale. L’atmosphère, entre blancheur (la neige est omniprésente) et noirceur (New York est une ville gangrénée par la violence et qui semble sur le déclin). Tous les ingrédients d’un film noir. Ou d’un grand roman. Du Balzac, du Hugo ou du Maupassant peut-être. En tout cas, J.C Chandor a un talent rare pour décrire, en quelques plans, un univers, un personnage, une atmosphère et, surtout, pour instaurer une tension dès les premières secondes, avant même le générique. Abel avec son pardessus ostentatoirement chic, comme une parure de sa réussite autoproclamée. Abel qui refuse de parler espagnol et ne veut parler que la langue de ce pays dont il se rêve en symbole de réussite. Abel constamment en mouvement et isolé.

     Dès le pré-générique, tout est dit. L’homme qui fait son jogging. Abel. Acteur de son destin. Persévérant. Déterminé. Fonceur. Seul. Pendant ce temps, un autre homme au volant de son camion. Il semble insouciant, joyeux. Cela ne saurait durer. A la radio des nouvelles, sombres, de l’actualité. La violence est là, latente. La menace plane, déjà. La tension est déjà là, et le sera toujours, jusqu’à l’ultime seconde ou culminant lors de scènes, magistrales, prenantes : une course-poursuite, un homme amené à la police dans la neige, Abel qui vient défier ses concurrents dans une scène qui ressemble à du Scorsese. Et la ville de New York, tentaculaire, menaçante, périlleuse.

    Dans « All is lost » précédent film de J.C Chandor, Robert Redford, était seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela aurait pu être ennuyeux…et c’était passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois. Avec Redford c’était toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui était malmenée, bousculée, et qui tentait de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tentait de résister, malgré tout. Ici, de même, Abel symbolise lui aussi l’American dream, et est lui aussi seul contre tous, tentant de résister à un autre fracas de la réalité, de la corruption.

     Certains plans, dans « All is lost » étaient d’une beauté à couper le souffle : requins en contre-plongée qui semblaient danser,  défier et accompagner  Redford, fin qui mélangeait les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore  le plan de cette lune braquée sur lui comme un projecteur. Dans « A most violent year » la composition de chaque image, sans atteindre le lyrisme de « All is lost », force l’admiration et concourt à cette atmosphère mélancolique, constamment à la frontière du dérapage, du drame, flirtant avec le thriller. La neige qui coupe le souffle, procure cette sensation d’inconfort, renforce ce sentiment d’isolement, d’atmosphère sombre, glaciale, le sentiment de menace.

    Il y a du James Gray et une forte influence des grands auteurs du cinéma américain dans ce « A most violent year », mais surtout, en étant seulement à son troisième film, J.C Chandor semble construire un univers, fait preuve d’un talent rare et d’un style qui a certes digéré beaucoup d’influences mais bien à lui. Sans compter cette façon, sans grosses ficelles hollywoodiennes, sans grandiloquence, mais avec beaucoup de subtilité et d’intelligence dans l’écriture et la mise en scène,  de  nous tenir en haleine de la première à la dernière seconde avec un sujet a priori rébarbatif, de créer un film palpitant qui a « une gueule d’atmosphère », de collaborer avec des acteurs à la hauteur de son propre talent (Chastain et Isaac dévorent littéralement la pellicule et forment un couple fascinant, troublant, magnétique). Un grand film qui l’est d’autant plus qu’il avance avec modestie jusqu’à cette fin, face à New York, offerte aux ambitions et qui semble défier l’intégrité mise à mal de ceux qui sont avides de la conquérir. Brillant.  Vivement le prochain film de J.C Chandor !

  • Critique de INTERSTELLAR de Christoper Nolan à voir ce 27 novembre 2015 à 20H55 sur Canal +

    En 1999, un certain Christopher Nolan avait remporté le Hitchcock d’argent du Festival du Film Britannique de Dinard. Cette même année, j’avais eu le plaisir de faire partie du jury qui lui avait décerné ce prix. Nous avions alors été subjugués par l’indéniable originalité de son premier film « Following ». Depuis, Christopher Nolan a enchaîné les succès : « Memento », « Insomnia », « Batman begins », « Le Prestige», « The Dark Knight ». La singularité remarquable de son univers lui avait ensuite permis de réunir et convaincre un casting d’exception comme celui d’ «Inception » avant de réaliser « The Dark night rises » et enfin « Interstellar ».

    interstellar

    Dans « Inception », il s’agissait de subtiliser et manipuler les rêves. D’implanter une idée. Une belle promesse d’un voyage unique pour le spectateur. Un synopsis  d’une inventivité et d’une audace rarement égalées dans un cinéma de plus en plus frileux. Un blockbuster possédant toute la richesse, la complexité et la confiance dans le spectateur, généralement davantage (et à tort) attribuées au film d’auteur. La mémoire, la distorsion du temps, l’illusion : autant de thèmes que Christopher Nolan avait déjà abordés dans ses précédents films et dont il extrayait et recyclait ici le meilleur. Film inclassable qui ne mêlait pas seulement les dimensions mais aussi les genres. Plus qu’un film, une expérience vertigineuse, dont le dernier plan, même après une seconde projection, m’avait laissée en apesanteur, comme grisée par un tour de manège délicieusement enivrant. A l’image des idées toujours fixées sur le subconscient, un film qui vous laisse une empreinte inaltérable. Un film qui se vit plus qu’il ne se raconte, qui nous plonge en plein rêve. La quintessence du cinéma : un rêve partagé qui distord le temps, défie la mort et qui nous rappelle ce que nous ne devrions pas oublier ou craindre : ne jamais avoir peur de rêver trop grand. Je pourrais écrire ce même paragraphe concernant les immenses qualités d’ « Inception » au sujet d’ « Interstellar », sans en changer un mot. Preuve que le cinéma de Christopher Nolan possède son univers et une continuité, une logique et une constance dans l’excellence, la marque des grands cinéastes.

    Christopher Nolan aime en effet jouer avec les codes narratifs, cinématographiques, éclater la narration, bousculer nos repères spatio-temporels. Nous bousculer. Et bousculée, remuée, bouleversée, je l’ai été pendant ce film, à son dénouement, et après. Comme rarement il m’est arrivé de l’être au cinéma.

    Dans un monde futur qui ressemble au nôtre, mais où la sécheresse, les tempêtes, une poussière suffocante, la famine menacent, l’époque n’est plus aux conquérants et aux explorateurs et aux rêves mais aux agriculteurs et à la nécessité de s’alimenter et survivre. En cachette, la NASA continue pourtant ses travaux et ses recherches. L’horloge tourne. Il faut sauver l’humanité du désastre et de la fin annoncés. Une faille récemment découverte dans l’espace-temps permettrait de repousser les limites humaines et de partir à la conquête des distances astronomiques dans un voyage interstellaire. Jamais l’humanité n’aura connu une telle urgence et un tel défi : dépasser les limites de notre galaxie pour trouver une autre planète sur laquelle vivre. Les explorateurs, ce sont Joseph Cooper (Matthew McConaughey) et Amelia Brand (Anne Hathaway), fille du professeur Brand (Michael Caine), un astrophysicien à l’origine de ces recherches et de cette mission. Joseph Cooper, quant à lui, est un ancien pilote qui a trouvé sa reconversion forcée dans la culture de maïs. Un phénomène paranormal le conduit jusqu’à ce centre ultrasecret de la NASA. Comme il est un éminent pilote et même le plus doué, cette mission lui est alors destinée. Joseph Cooper est le père de deux enfants, Tom et Murphy (incarnée à l’âge adulte par Jessica Chastain), nommée comme la loi éponyme non pas « parce que ça porte malheur mais parce que ce qui peut arriver va arriver ». Elle ne pardonne pas à son père ce départ, qu’elle assimile à un abandon, un départ sans certitude de réussite et de retour. Rester avec ses enfants ou les abandonner pour tenter de leur assurer un avenir possible, ainsi qu’au reste de l’humanité : tel est l’impossible dilemme auquel s’était retrouvé confronté Joseph, d’autant plus cruel que la distorsion du temps et la relativité peut leur faire perdre 7 ans en une heure lorsqu’ils se retrouvent au contact de la gravité d’une certaine planète…

    Loin d’être folle utopie, le scénario d’ « Interstellar » s’inspire principalement des travaux du physicien théoricien Kip Thorne, réputé pour ses apports cruciaux à la physique, l’astrophysique et surtout au domaine de la gravitation. Il est connu pour avoir exploré la théorie de la relativité générale d’Einstein. D’après ses recherches, il serait possible de voyager dans le temps, grâce aux fameux trous de vers.  Il a également participé à l’écriture du scénario. Jonathan Nolan, co-auteur du scénario avec son frère, a aussi beaucoup lu les travaux de Carl Sagan, scientifique et astronome américain.

    Initialement développé par Spielberg, « Interstellar » n’a finalement pas été réalisé par le cinéaste pour des raisons d’emploi du temps. Christopher Nolan devait alors seulement en écrire le scénario avec son frère Jonathan Nolan. Spielberg proposa alors à Christopher Nolan de le reprendre à son compte et de le réaliser. Si on y retrouve des thèmes chers à Spielberg, le film semblait néanmoins être fait pour Christopher Nolan, tant il recèle et sublime ses thèmes de prédilection.  Ce projet presque aussi fou que celui qu’il relate a été entouré du plus grand secret. Je n’en savais rien avant d’entrer dans la salle et le voyage en fut d’autant plus époustouflant.

    Comme « Inception », « Interstellar » est inclassable. Il réunit le western et la science-fiction. Le film d’auteur et le blockbuster. L’intime et le grandiose. Il fait se rencontrer Ford et Kubrick et, s’il peut faire penser à « Gravity » par le voyage auquel il nous convie, oubliez tout de suite la comparaison, « Interstellar », au contraire de celui-ci,  est dépourvu du symbolisme simpliste et surligné dont « Gravity » souffrait. Dès les premiers plans, ces différents genres et dimensions sont entremêlés : le récit d’une vieille femme, le cauchemar d’un pilote, et un fantôme qui rend visite à une petite fille qui en fait part à son père, incrédule. Toutes les clés du passionnant puzzle sont contenues dans ces premières minutes mais le voyage qui nous amène à cette conclusion est tellement étourdissant, éblouissant, suffocant aussi parfois pour nous éblouir davantage encore ensuite, que vous auriez tort de vous en priver.

    Certes, le montage (notamment une scène en montage alterné) met avec un peu de lourdeur des événements en parallèle, mais le résultat est tellement redoutable et efficace en termes d’émotion et de force narrative qu’il serait difficile de lui reprocher. Tout juste peut-on regretter que le film ne soit pas finalement plus long pour prolonger encore le voyage et laisser un peu plus de place à certains personnages et intrigues secondaires.

    Il en fallait tout de même de l’audace, de la détermination, du talent pour rendre les trous de ver et la singularité gravitationnelle et cette fable métaphysique ainsi exaltants, pour que nous nous égarions dans ce labyrinthe avec autant de jubilation. Comme si le temps avait perdu pour moi aussi toute logique et s’était distendu, les 2H49 que durent le film m’ont semblé une heure et, pourtant, j’ai éprouvé la sensation d’un lointain voyage, à la fois éprouvant et sublime. Avec les protagonistes, le spectateur est immergé dans cette course contre le temps, contre la mort, et confronté aux questionnements et dilemmes des protagonistes. Le réalisateur prend d’ailleurs le temps, notamment d’une exposition qui ancre dans le réel les personnages et qui donne plus de force encore au voyage interstellaire.

    Nolan est aussi doué pour les scènes grandioses que les scènes intimistes, les alternant savamment pour que jamais la tension et notre attention ne se relâchent. Cette scène, intime, où Cooper reçoit un message de sa fille ou celle, grandiose, où la capsule tente, dans une périlleuse acrobatie de rejoindre la navette, sont tout aussi bouleversantes. Dans cette scène, où la capsule virevolte à une vitesse grisante, effrayante et vertigineuse, j’ai littéralement eu la sensation de danser, voler avec eux aux confins de la galaxie, le souffle coupé. La musique, elle aussi enivrante, de Hans Zimmer achève de faire de cette scène un moment d’anthologie…comme le film en compte d’ailleurs plusieurs, Hans Zimmer dont c’est ici la cinquième collaboration avec Christopher Nolan et dont la partition contribue au caractère exceptionnel du film. Le son joue d’ailleurs un rôle crucial et Nolan en fait une utilisation particulièrement  brillante et astucieuse : du silence qui, soudain, nous happe dans son gouffre à la fois lénifiant et effrayant, aux cris des oiseaux et au bruit de la pluie qui viennent le briser, en passant par ce poème réitéré, d’une mélancolie et d’une beauté ravageuses, sur les images de l’espace.

    Malgré son caractère science-fictionnel, le film est particulièrement réaliste, grâce au décor, à la photographie, à cette tension constante évoquée précédemment, mais aussi à ce choix de la pellicule (que Christopher Nolan est l’un des derniers à défendre face au numérique, à Hollywood, comme le rappelle le passionnant documentaire « Side by side » dont je vous parlais dans mon compte rendu du dernier Festival Lumière de Lyon) et  à la préférence du réel face à l’infographie, notamment pour les deux robots, prénommés Case et Tars qui ont été véritablement construits pour le film.

    Au-delà de l’aventure exceptionnelle à laquelle il nous convie, au-delà du voyage initiatique et interstellaire, au-delà du message humaniste et écologique, (oui, ce film est tout cela et bien plus encore), « Interstellar » est aussi une célébration de l’amour et en particulier de l’amour filial qui « transcende la dimension temporelle et spatiale » (message que certains trouveront sans doute mièvre mais qui contribue à la force et à l’émotion qui culmine à la fin du film), sur l’instinct de survie, le temps, la mémoire et la nature, bien si précieux. « Interstellar » fait partie de ces films, exceptionnels, SENSATIONnels (au propre comme au figuré),  qui plus que des films, sont des instants, des expériences à voir et revoir, vivre et revivre, qui s’intègrent à votre vie. J’en suis ressortie épuisée, mélancolique, ravagée, éblouie et souriante comme après un voyage lointain, magnifique et éreintant, en me disant que, au-delà de la mort, de l’espace et du temps, un père récemment disparu et si cher à sa fille auteur de ces lignes, continuait à l’accompagner, par-delà le néant. Merci au cinéma et à ce film de m’avoir fait croire, l’espace d’un inestimable instant, à l’impossible et de m’avoir ainsi embarquée pour ce voyage inoubliable aux confins de la galaxie, de la mort et de l’imaginaire…