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mylène farmer

  • Critique de DALLOWAY de Yann Gozlan (Séance de Minuit – Festival de Cannes 2025)

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    Clarissa (Cécile de France), romancière en mal d’inspiration, rejoint une résidence d’artistes luxueuse à la pointe de la technologie, à l’abri de la chaleur caniculaire et de la pandémie qui sévissent à l’extérieur dans un Paris futuriste et pourtant familier. Elle trouve en son assistante virtuelle, incarnée par la voix envoûtante de Mylène Farmer et nommée Dalloway comme l’héroïne de Virginia Woolf, un soutien et même une confidente qui l’aide à écrire son nouveau roman justement consacré à l’écrivaine britannique. Mais peu à peu, Clarissa éprouve un malaise face au comportement de plus en plus intrusif de son IA, renforcé par les avertissements d’un autre résident, Mathias Nielsen (Lars Mikkelsen). Se sentant alors surveillée par cette domotique omnisciente, Clarissa se lance secrètement dans une enquête pour découvrir les réelles intentions de ses hôtes. S’agit-il alors d’une menace réelle ou cette dernière, éprouvée par le suicide de son fils, est-elle en plein délire paranoïaque ?

    Le film commence par des images paisibles de la mer, portées par le bruit rassurant des vagues. Ce tableau idyllique disparaît pour laisser place à une chambre, celle de Clarissa. Ce sentiment de quiétude n’était qu’une illusion. Projetée par l’IA. Clarissa se lève, échange avec Dalloway sur la température du jour. Dans la salle de bain, un miroir affiche les résultats de ses tests de santé quotidiens analysés par Dalloway. La journée peut commencer, entièrement régenté par Dalloway qui fait bouillir l’eau, trie les emails, impose sa voix et sa voie. Dalloway est omniprésente et toute puissante. Elle contrôle tout, la température de l’air, la santé de l’artiste, la fermeture de la porte. Elle distille quelques idées à Clarissa pour son roman, lui pose des questions bienveillantes qui se transforment insidieusement en interrogations intrusives.

    Lorsque le roman dont le film est l’adaptation a été écrit, l’Intelligence Artificielle n’était encore qu’une abstraction. Elle s’empare aujourd’hui de toutes les sphères de la société, au point de rendre obsolètes certaines professions. Dalloway est l’adaptation du roman d’anticipation de Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’ombre, publié en 2020. Le contexte de la crise sanitaire qui n’était pas présent dans le roman a été ajouté par les scénaristes (Yann Gozlan, Nicolas Bouvet, en collaboration avec Thomas Kruithof).

    La résidence apparaît donc de prime abord comme un cocon protecteur, et Dalloway comme une présence rassurante. La chambre si confortable de Clarissa et la résidence prestigieuse se transforment peu à peu en univers menaçant et carcéral. Le film brosse le portrait d’un monde, le nôtre déjà, dans lequel des images et des informations nous sollicitent en permanence, et dispersent notre attention. En même temps que Dalloway lui lit la lettre d’une lectrice qui souhaite la rencontrer, Clarissa lui demande l’avis des téléspectateurs sur le fim qu’elle va regarder, zappe d’un film à l’autre, s’intéressant sommairement à la lettre comme aux films. Comme dans la société contemporaine, l’attention est constamment sollicitée. L’émotion est tenue à distance. Une émotion que l’écriture permet de recréer, de cristalliser, de verbaliser.

    Ce film est aussi captivant pour les questions qu’il pose sur les conséquences de l’Intelligence Artificielle que sur l’acte d’écrire. Qu’est-ce qui nourrit l’écriture ? C’est ici la culpabilité et les émotions qui la submergent qui font naitre le récit de Clarissa mais qui vont provoquer une autre culpabilité, et surtout une dépendance. Quand la fuite par l’écriture n’existe plus, quelle issue reste-t-il ? Quelle fenêtre sur l’ailleurs ou quelle introspection trouver encore ? Isolée de son entourage, Clarissa voit en l’IA l’attention que ses proches ne lui accordent pas, à ses risques et périls. Même sa montre connectée est fournie par la résidence pour surveiller ses moindres déplacements. Des capteurs de mouvements sont installés dans son appartement, enregistrant peut-être plus que les simples gestes. Mathias en est d’ailleurs certain : ces capteurs servent à les surveiller et l’IA va s’emparer des émotions des artistes pour se perfectionner, et les remplacer.

    Cette histoire qui aurait semblé invraisemblable il y a cinq ans nous paraît désormais effroyablement plausible. Même ce Paris écrasé de chaleur, aseptisé et fantomatique, où tout est surveillé (des drones observent et suivent les passants), contrôlé (la santé est vérifiée à l’entrée du métro, des chiens robots reniflent les passagers) ne nous est pas totalement étranger.

    La voix, mystérieuse, chaleureuse, et ensorcelante de Mylène Farmer forge la personnalité de l’IA, d’une étrangeté douce et autoritaire. Récemment, elle était déjà la voix (off) d’un autre film, Bambi de Michel Fessler, dans lequel elle était une voix ensorcelante d’une présence discrète qui ne force pas l’émotion mais ajoute subtilement une dimension poétique, parfois philosophique.

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    « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du Samouraï si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle… Peut-être… ». Cette citation qui figure en ouverture du film de Melville pourrait s’appliquer à tous les films de Yann Gozlan qui ont en commun d’ausculter la solitude portée à son paroxysme.

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    Ainsi, dans Boîte noire, Pierre Niney incarnait Mathieu Vasseur, un technicien au BEA, autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile, personnage en apparence aux antipodes d’un autre Mathieu, celui que l’acteur incarnait dans Un homme idéal, sa précédente collaboration avec Yann Gozlan, l’un paraissant aussi sombre que l’autre semblait solaire. Comme dans Un homme idéal néanmoins, et comme dans Dalloway avec Clarissa, se dessine peu à peu le portrait d’un personnage face à ses contradictions, ses failles, ses rêves brisés, qui veut tout contrôler et qui perd progressivement le contact avec la réalité. Dans les deux films, comme dans Dalloway, la réalisation de Yann Gozlan enserre le protagoniste pour souligner son enfermement mental. Déjà dans Un homme idéal, les brillantes références étaient savamment intégrées :  Plein soleil, Match point, La Piscine, Tess, Hitchcock pour l’atmosphère (ce qui est à nouveau le cas dans Dalloway), Chabrol pour l’auscultation impitoyable de la bourgeoisie. La mise en scène était déjà précise, signifiante et le scénario, terriblement efficace, allait à l’essentiel, ne nous laissant pas le temps de réfléchir, le spectateur ayant alors la sensation d’être claquemuré dans le même étau inextricable que Mathieu, aux frontières de la folie.  Il en va de même, là encore, pour Clarissa dans Dalloway.

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    Dans Un homme idéal, cet autre Mathieu a 25 ans et travaille comme déménageur. 25 ans, l’âge, encore, de tous les possibles. L’âge de croire à une carrière d’auteur reconnu. Malgré tous ses efforts, Mathieu n’a pourtant jamais réussi à être édité. C’est lors de l’un de ces déménagements qu’il tombe par hasard sur le manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de décéder. Jusqu’où peut-on aller pour réussir à une époque où celle-ci se doit d’être éclatante, instagramée, twittée, facebookée ? Pour Mathieu : au-delà des frontières de la légalité et de la morale, sans aucun doute…

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    Les films s’évertuent souvent à nous montrer à quel point la création, en particulier littéraire, est un acte jubilatoire et un symbole de réussite (nombreux sont les films à se terminer par l’envol d’un personnage qui, de mésestimé, voire méprisé, devient estimable et célèbre en publiant son premier roman), ce qu’elle est (aussi), mais ce film montre que cela peut également constituer une terrible souffrance, comme elle l’est pour Clarissa qui a choisi d’écrire sur une écrivaine qui s’est suicidée, après le suicide de son propre fils.

    Le talent qu’il n’a pas pour écrire, Mathieu l’a pour mettre en scène ses mensonges, se réinventant constamment, sa vie devenant une métaphore de l’écriture. N’est-elle pas ainsi avant tout un arrangement avec la réalité, un pillage ? De la vie des autres, de soi-même. Elle l’est aussi dans Dalloway puisque Clarissa va puiser dans les émotions de son fils pour écrire…tout comme l’IA va se nourrir des émotions de l’écrivaine.

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    En 2014, le quatrième long métrage de Spike Jonze, Her, nous embarquait dans les réjouissants méandres d’un imaginaire débridé, celui du cinéaste et de son personnage, et nous interrogeait aussi sur les dangers de l’Intelligence Artificielle. Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), écrivain public des temps modernes est inconsolable après une rupture difficile, en effet en instance de divorce avec sa femme Catherine (Rooney Mara), vit seul dans un appartement sans âme. Il fait alors l'acquisition d'un programme informatique ultramoderne, capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il répond à de brèves questions, choisit une voix féminine et fait la connaissance de Samantha (Scarlett Johansson), une voix féminine intelligente, intuitive et dotée d’humour et même d’ironie. Peu à peu, l’impensable va survenir : l’homme et la machine vont tomber amoureux…A l’image de l’affiche, c’est avant tout l’histoire d’un homme seul face à nous, miroir de nos solitudes modernes, et surtout face à lui-même, et dont le métier consiste à envoyer des lettres pour et à des inconnus avant de retrouver son appartement glacial donnant sur les lignes verticales et froides de la ville, avec l’hologramme d’un jeu vidéo pour seule compagnie. Dans la première scène, il dit des mots d’amour face caméra. Puis, nous découvrons qu’il est en réalité sur son lieu de travail, seul face à un ordinateur. Comme une prémonition. Dans cette ville intemporelle et universelle (Spike Jonze a tourné à Shangaï et Los Angeles) se croisent des êtres qui vivent dans leur bulle imaginaire, soliloquant, emmurés dans leurs solitudes comme ils le sont dans cette ville tentaculaire. La technologie froide et déshumanisée va s’humaniser pour devenir l’âme sœur au sens propre, un amour désincarné, cristallisé. Le vrai bonheur semble dans l’ailleurs, l’insaisissable, l’imaginaire, ou alors le passé, cette « histoire qu’on se raconte » et la forme et le fond se répondent intelligemment puisque le passé idéalisé est ici raconté par des flashbacks silencieux auréolés de lumière. Scarlett Johansson réussit le pari de donner corps à cette voix (elle  a même remporté le Prix d'Interprétation Féminine au 8ème Festival International du Film de Rome, en novembre 2013) et de faire exister ce personnage invisible. Un film à la fois salutaire, parce qu’il montre le redoutable et magique pouvoir de l’imaginaire et fait appel à celui du spectateur (par exemple pendant la scène d’amour, seul demeure un écran noir), et terrifiant en ce qu’il nous montre un univers d’une tristesse infinie avec ces êtres « lost in translation » prêts à tout pour ressentir la chaleur rougeoyante d’un amour fou, sublimé, un univers pas si éloigné du nôtre ou de ce qu’il pourrait devenir.

    Cette crainte exprimée dans Her est devenue réalité puisque des cas de personnes tombées amoureuses de leur IA ont déjà été diagnostiqués. Le monde où tout, y compris les émotions, serait régi par l’IA, et qui fabriquerait de l’art à la demande, n’est pas celui de demain mais celui d’aujourd’hui. Cela rend ce film encore plus passionnant et glaçant. Cette Clarissa, peu à peu dépossédée de ses émotions, d’elle-même, qui s’étiole tandis que l’IA au contraire se nourrit et grandit, pourrait exister. L’identification est renforcée par les focales très courtes auxquelles recourt le réalisateur. Et par le jeu de Cécile de France, dans un rôle très éloigné des personnages mémorables qu’elle a incarnés dans Un Secret ou Quand j’étais chanteur ou même des rôles plus « physiques » comme celui de Möbius d’Éric Rochant (remarquable thriller, que je vous recommande), apporte un supplément d’âme, une intensité et une ambivalence qui rendent le délire paranoïaque et l’emprise aussi crédibles l’un que l’autre.

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    Pour le personnage d’Anne Dewinter, qui dirige la résidence, Anna Mouglalis, apporte magnétisme, autorité et mystère. Frédéric Pierrot, qui porte toujours si bien son nom, jouant souvent des personnages lunaires, amène quant à lui sa force tranquille à ce personnage bienveillant de l’ancien mari. 

    La musique de Philippe Rombi accroît le sentiment d’angoisse latente et la paranoïa, avec des notes sombres et minimalistes, mélangeant sons électroniques et cordes acoustiques.

    Un thriller d’anticipation terrifiant en ce qu’il nous parle d’un monde qui nous est familier, et passionnant en ce qu’il interroge ce qui distingue l’homme de la machine, mais aussi le devenir de l’émotion et de la création, dans cet environnement de plus en plus robotisé qui tente de les maîtriser, et qui les tient de plus en plus à distance de ce qui en constitue l’essence : la sincérité et la singularité. Une fois de plus, fortement inspiré par les films noirs et leur indissociable fatalité inexorable et implacable, en explorant les failles de la solitude, et en nous plongeant dans ses abysses, Yann Gozlan m’a captivée. Son prochain film intitulé Gourou racontera ainsi « l’ascension d’un gourou du développement personnel qui va se révéler une personnalité toxique », un thriller dans lequel Pierre Niney tiendra le rôle principal. En attendant ce film que je ne manquerai pas d’aller voir (au cinéma le 28 janvier 2026), je vous recommande de vous laisser charmer par Dalloway sans rien perdre de votre libre-arbitre et de la distance nécessaire que ce film nous invite habilement à questionner dans une société dans laquelle l'Intelligence Artificielle tient une place grandissante.

  • Critique de BAMBI, L’HISTOIRE D’UNE VIE DANS LES BOIS de Michel Fessler (au cinéma le 16 octobre 2024, en avant-première au Festival Cinéroman de Nice et au Festival du Film du Croisic)

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    Retrouvez également cette critique enregistrée en podcast, ici.

    Qui ne connaît pas Bambi, le dessin animé des studios Disney de 1942, bien souvent à l’origine des premiers chagrins et éblouissements cinématographiques ? Tout comme le film de Disney, celui de Michel Fessler, est adapté du livre Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois de Felix Salten (1869–1945), autrichien d’origine hongroise, dramaturge, scénariste et romancier, qui écrivit plusieurs contes animaliers dont le célèbre Bambi, en 1923, dont le nom vient de l’italien bambino. Ce récit lui est inspiré par un séjour dans les Alpes. Bambi, Eine Lebengeschichte aus dem Walde.

    Cette fois, cependant, il ne s’agit pas d’un film d’animation mais de prises de vues réelles accompagnées par la voix de Mylène Farmer qui livre le récit, et par la musique originale de Laurent Perez del Mar. Le défi était de taille et est ici magistralement relevé avec pour résultat un conte initiatique d’une grande force et d’une saisissante beauté, un vibrant hymne à la nature.

    Comme le film de 1942, celui-ci raconte les aventures de Bambi, le jeune faon, entouré de sa mère et des animaux de la forêt : son ami le corbeau, le lapin, le raton laveur… Bambi découvre le monde des arbres et leurs secrets. Chaque jour, sa mère l’éduque pour qu’il puisse grandir avec force. Mais l’automne arrivé, Bambi s’aventure en terrain découvert lorsque des chasseurs le séparent de sa mère à tout jamais. Dès lors, le jeune faon doit apprendre à vivre seul. Heureusement, il retrouve Faline son amie d’enfance. Puis, un grand et majestueux cerf, qui n’est autre que son père, va retrouver Bambi et l’aider à grandir. Ce dernier va alors prendre son destin en main.

    Je vous parlais d’éblouissement à propos de ce que provoque Bambi chez les enfants qui découvrent le film d’animation de 1942 et qui, parfois, aussi, par ce biais, vivent leurs premières émotions cinématographiques. Éblouissement. Tel est aussi le mot qui définit la musique de Bambi, acteur à part entière de ce film qui le sublime.

    Dit-on d’une musique qu’elle éblouit ? Certainement le devrions-nous quand, comme celle-ci, elle charrie autant d’images et d’émotions, puissantes, entremêlées parfois. Un tourbillon d’émotions, même. La musique nous immerge en plein conte, dans une forêt tantôt luxuriante, tantôt menaçante, parfois les deux en même temps, tant elle est expressive, vibrante de vie, intense. À la fois terrienne et céleste (sensation qui atteint encore une dimension supplémentaire quand les voix de Léa Dasenka ou de Julia Wischnewski -chant ethnique pour la première et chant lyrique pour la seconde- se posent sur celle-ci). Elle nous donne à « voir » les animaux qui la peuplent, et qui gambadent, facétieux. Elle nous fait ressentir à quel point Bambi est accablé de chagrin. Elle évoque avec maestria la nature qui s’éveille, les lucioles qui volètent et nous procure la sensation de nous envoler avec elles, de ressentir les cycles de la vie, la succession des saisons, les dangers qui menacent le jeune faon, la renaissance de l'espoir.  Elle nous fait éprouver la peur et l’apaisement, la violence et la douceur, le désarroi et la gaieté. Elle nous transporte ailleurs, elle porte en elle l’élan de vie, et nous emporte dans son lyrisme subtil.

    Elle évoque une insouciance et un bonheur contagieux quand Bambi gambade avec sa mère, papillonne au milieu des fleurs ou s’éveille aux plaisirs de la liberté. Quand plane la menace de l’aigle, elle se fait à son image : majestueuse et inquiétante. Elle transcrit les élans amoureux quand Bambi est avec Faline, « quand deux petits cœurs s'emballent. » Quand « les lucioles se prennent pour des étoiles tombées du ciel », la musique miroite alors de concert avec elles. Quand Bambi est coursé par un chien, la musique tambourine et se gonfle d’un souffle épique, et évoque l’aventure et la chevauchée fantastique, telle celle d’un western. Elle irradie. Si elle est majestueuse, elle n’est jamais grandiloquente ou emphatique. Elle ne paraphrase pas. Elle accompagne, suggère une double lecture, ajoute un supplément d’âme, d’émotion et d’interprétation. À l'image du conte aussi : plusieurs degrés de lecture se superposent entre ses notes. Ainsi, quand Bambi est blessé, la musique suggère une double blessure, la blessure physique mais aussi la solitude, la blessure morale, l’absence de sa mère.  Elle chante, pleure, s’enthousiasme, vibre et vit, comme la nature qu'elle célèbre. Quand le coup de feu meurtrier immobilise la forêt et la fait trembler, elle se pare d’une gravité soudaine. Et quand elle est accompagnée de ces mots « La tristesse, c'est du froid à l'intérieur, il ne sait pas encore que c'est pour toujours », elle nous fait frissonner d’une glaçante admiration. Enfin, quand Bambi devient à son tour le roi de la forêt, ce et ceux qui la peuplent semblent vibrer en chœur et elle nous fait éprouver ce qu'ils ressentent : de la beauté pure, une joie profonde, rassurante et exaltante.

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    Souhaitons à cette musique un destin au moins aussi radieux que celui que connut la bande originale de La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit, du même Laurent Perez del Mar, qui a obtenu le Prix Spécial du Jury Un Certain Regard du 69ème Festival de Cannes avant de nombreux autres prix et nominations dans le monde, notamment aux César et aux Oscars comme meilleur film d’animation. Ce conte philosophique et écologique était aussi un éblouissement permanent qui nous attrapait dès la première image (comme si nous étions ballottés par la force des éléments avec le naufragé) pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions, abasourdis, que ce voyage captivant sur cette île déserte, cet état presque second dans lequel ce film nous avait embarqués, n’étaient que virtuels. Le murmure des vagues. Le chuchotement du vent. Le tintement de la pluie. L’homme si petit au milieu de l’immensité. La barque à laquelle il tente de s'accrocher. Le vrombissement de l’orage. Les cris des oiseaux. Les vagues qui se fracassent contre les rochers, puis renaissent. Le bruissement des feuilles. L'armée joyeuse des tortues. Le clapotis de l'eau. La nature resplendissait là aussi à travers les notes :  sauvage, inquiétante, magnifique. Sans oublier la respiration (dissonante ou complémentaire de l’homme) au milieu de cette nature harmonieuse. La musique à peine audible d’abord, en gouttes subtiles, comme pour ne pas troubler ce tableau, se faisait peu à peu plus présente. L’émotion du spectateur allait crescendo à l'unisson, comme une vague qui prend de l’ampleur et nous éloigne peu à peu du rivage de la réalité avant de nous embarquer, loin, dans une bulle poétique et consolatrice.

    Si je vous parle ainsi de la musique de La Tortue rouge, c’est parce que dans Bambi, comme dans ce film précité, la musique et les ambiances de nature se (con)fondent et s'enrichissent alors avec virtuosité pour créer cette symbiose magique. Jamais redondante, elle apporte un contrepoint romanesque, lyrique, et un supplément d’âme et d’émotion qui culmine lors d’un ballet aquatique et lors de la scène du tsunami dans La tortue rouge, lorsque Bambi devient le roi de la forêt dans le film éponyme. À ces instants, dans les deux films, la puissance romanesque de la musique hisse et propulse le film, et le spectateur, dans une sorte de vertige hypnotique et sensoriel d’une force émotionnelle exaltante, rarement vue (et ressentie) au cinéma.

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    Je vous avais aussi parlé de cette musique qui s’emballe comme un élan romanesque, à l'unisson de l’imagination de celle du personnage de Gaby, quand un de ses rêves se réalise et que son visage s’illumine de joie, dans l’excellent Super papa de Léa Lando. Dans Bambi, on retrouve ce souffle romanesque, exacerbé, qui s’empare de nous.

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    Dans Un coup de maître de Rémi Bezançon, à la fin du film, la musique de Laurent Perez del Mar, sublime également la nature, lorsqu'elle s’emporte et s’emballe comme des applaudissements victorieux, comme un tourbillon de vie, comme un cœur qui renaît, comme le pouls de la forêt, avec de plus en plus de profondeur aussi, comme si la toile atteignait son paroxysme, sa plénitude. Dévoilant toute sa profondeur, elle emporte alors comme une douce fièvre, harmonieuse, réconfortante.

    Le travail sur le son, dans Bambi, est aussi absolument admirable et exceptionnel : les bruits de la nature sont en eux-mêmes une musique qui dialogue avec celle du compositeur.  Les feuilles qui bruissent et caressent nos oreilles. La pluie qui rebondit sur les feuilles. Les grondements de l’orage. Le clapotis de l’eau. Les bourdonnements des insectes. Les bruits des pattes du loup sur les feuilles. Les respirations des animaux et de la nature. Comme un acteur qui jouerait avec un partenaire, la musique de Laurent Perez del Mar répond aux sons de l'environnement et des animaux, joue et jongle avec les bruits (et les images) de la nature, grâce à un orchestre de plus de 70 musiciens.

    Le travail sur l’image et la réalisation est tout aussi admirable. Bambi est personnifié. L’Homme n’est ici qu’une ombre menaçante, insidieuse, tueuse, sans visage. L’animal est l’être sensible, humain, avec ses yeux expressifs, qui nous restent en mémoire, comme ses « points blancs sur son dos qui imitent les taches du soleil. » Comme tant d’autres plans qui imprègnent nos souvenirs de spectateurs, comme au retour d’un voyage aux sensations indélébiles. Les couleurs chatoyantes de l’automne. Les reflets menaçants du ciel dans l’eau. Les reflets de la lune. La brume qui serpente au-dessus de l’eau. Le ciel rougeoyant. La beauté de l’animal, qui se confond avec les couleurs de la nature. Les feuilles qui tombent et tourbillonnent autour de sa tête, au ralenti. 

    La voix off, ensorcelante, de Mylène Farmer, d’une présence discrète, ne force pas l’émotion mais ajoute subtilement une dimension poétique, parfois philosophique : « C’est la diversité qui fait la beauté du monde. », « Être curieux n'est pas un si vilain défaut. » « Parfois, le simple fait de se ressembler fait naître une étincelle. » « L'été est bien installé une boule de feu règne. », « Rien n'est plus doux que des liens qui fleurissent »...

    Une association de protection animale s'est opposée à la diffusion du film et dénonce l'utilisation de vrais animaux pendant le tournage. Quelle absurdité ! Ce film est au contraire une ode respectueuse à la nature. Il est par ailleurs clairement précisé qu’aucun animal n’a été maltraité durant les seize semaines du tournage, qui eut lieu en région Centre Val de Loire et dans le département du Loiret. L’équipe n’a jamais oublié d’être à l’écoute du bien-être des animaux et de leur rythme biologique. Ce film doit au contraire être vu par le plus grand nombre, a fortiori par les scolaires.

    Scénariste accompli, Michel Fessler a écrit et coécrit plus d’une trentaine de films français comme internationaux en variant les genres : aventure, drame intime et psychologique. En 2022, il signe deux succès internationaux, Le Chêne, une fiction documentaire réalisée par Michel Seydoux et Laurent Charbonnier et un long-métrage d’animation avec les dessins de Sempé Le Petit Nicolas co-écrit avec Anne Goscinny. Trois films nommés aux Oscars le font connaître au grand public : Ridicule, Farinelli et La Marche de l’Empereur.

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    Le travail de Laurence Buchmann, la cheffe monteuse, est également pour beaucoup dans la réussite de l'ensemble, et contribue aussi fortement à ce dialogue entre les animaux et les végétaux, et au rythme qui ne faiblit pas. De même que celui de Daniel Meyer, le Directeur de la photographie qui, après avoir parcouru le monde pour de multiples documentaires, a mis en lumière des séries télévisées ainsi que des unitaires, a participé à deux grands projets cinéma de Yann Arthus Bertrand, Human et Women, co-signé avec Anastasia Mikova.

    Bambi n’est pas seulement un conte pour enfants. Toute la vie, sa violence et sa douceur, sa beauté et sa cruauté, ses désespoirs et ses espoirs, ses morts et ses renaissances, l’amitié, l’amour, la découverte du monde et de soi, la préciosité, la force et la fragilité de la nature, tout cela est raconté dans le film de Michel Fessler. Et bien plus encore. Félix Salten, juif, dut fuir les nazis. Bambi fut ainsi interdit comme l'ensemble de l'œuvre de l'écrivain en raison de ses origines, en Allemagne puis dans l’Autriche annexée par Hitler.  L’homme qui cherche à enfermer et tuer la beauté de la nature, les animaux qui ne cessent de fuir… : difficile de ne pas y voir aussi une peinture de la noirceur de l’âme humaine et le reflet de la montée de l'antisémitisme.

    Un film sensoriel, une expérience et une musique qui est indéniablement une des plus expressives, profondes, puissantes, majestueuses, évocatrices, émouvantes, qu’il m’ait été donné d’entendre. Une musique éblouissante et bouleversante, d’une grande profondeur, richesse et sensibilité, qui reflète la simplicité et la polysémie du conte, face à la brutalité et la cruauté du monde. Une histoire intemporelle et universelle qui nous embarque dans un voyage fascinant, fascinés, les yeux écarquillés et les oreilles à l’affût du moindre frémissement de la nature, comme ceux d’un enfant ou du jeune faon devant la découverte des beautés du monde. Comme si nous découvrions un autre monde aux magnificences envoûtantes dont on oublie parfois que c'est aussi le nôtre et qu'il faut le protéger, le chérir et prendre le temps de l’admirer dans ce qu’il a de plus minuscule comme dans ce qu’il a de plus grandiose (magnifiques plans en plongée de la forêt). Une échappée belle inoubliable grâce à l’alliance d’une rare perfection de la musique et des images qui font que notre cœur bat la chamade à l’unisson de celui de Bambi et des vibrations de la nature. En préface de la réédition de l’œuvre de Félix Salten, Amélie Nothomb a écrit : « Je défie le lecteur de ne pas en sortir bouleversé. » Je dirais de même au sujet du film. Et j’ajoute : préparez-vous à être émerveillés ! Si ce film est un hymne à la nature, il l’est aussi à l’émerveillement et nous en fait ressentir, de la première à la dernière image, de la première à la dernière note. Un chef-d’œuvre du genre, tout simplement, d’autant plus impressionnant qu’il s’agit du premier long-métrage de fiction en tant que réalisateur de Michel Fessler. 

    À noter :

    • Le film sort en salles le 16 octobre et la musique sera disponible dès le 18 octobre, sur toutes les plateformes.

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    • Le film est sélectionné dans plusieurs festivals dont le Festival du Film du Croisic (festival d’adaptations littéraires sur grand écran) dans le cadre duquel il sera projeté, hors compétition, le mercredi 9 octobre, en présence d’une partie de l’équipe du film dont le réalisateur Michel Fessler et le compositeur Laurent Perez del Mar.

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    • Il sera également projeté en avant-première dans le cadre du Festival Cinéroman de Nice, le mardi 1er octobre à 18H, également en présence de son compositeur. Ce festival sera aussi l’occasion de découvrir d’autres films remarquables comme Le fil de Daniel Auteuil (compétition) ou encore un autre chef-d’œuvre, de Jonathan Glazer, La zone d'intérêt (compétition), dont je vous parle longuement ici, mais aussi La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius, ou encore des classiques comme Plein soleil de René Clément. Sont également proposées des masterclasses dont une sur l’Intelligence Artificielle à laquelle participera notamment le compositeur de la musique de Bambi.

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    • Bambi, L’histoire d’une vie dans les bois de Felix Salten. Le roman intégral originel (1923) augmenté du storyboard du film 130 x 200 mm - 220 pages, est également à découvrir aux éditions Télémaque.

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    •  L’album jeunesse La première adaptation en images réelles du roman de Felix Salten, d’après le film réalisé par Michel Fessler est également disponible. Le film raconté aux enfants avec une sélection de ses 40 plus belles photos. 210 x 297 mm relié - 40 pages illustrées www.editionstelemaque.com SORTIE EN LIBRAIRIE Le 10 octobre 2024
    • Retrouvez prochainement cette critique en podcast (podcast In the mood for cinema sur Spotify…).
    • Ajouts de mai 2025 : - Le 28/05/2025, l'Union des compositrices et des compositeurs de musique pour l'image a décerné le prix de la meilleure partition originale de long métrage à Laurent Perez del Mar pour la bande originale de ce film. - Bambi, l'histoire d'une vie dans les bois de Michel Fessler est désormais disponible en VOD, notamment ici, sur Universcine.com.
  • Inthemoodforcinema.com vous offre 50 places pour "Arthur et la vengeance de Maltazard" de Luc Besson!

    C'est déjà noël sur Inthemoodforcinema.com puisque j'ai la chance de pouvoir vous offrir 50 places pour "Arthur et la vengeance de Maltazard", un film pour petits et grands, cadeau idéal en cette période de fêtes. Dépêchez-vous, les premiers à s'inscrire seront les premiers servis! Les places vous seront envoyées directement à votre domicile. Cliquez ci-dessous pour obtenir vos places. Bonne chance et bon film! Vous trouverez la bande annonce en bas de cette note.

     

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