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lou de laäge

  • Critique - LE TOURBILLON DE LA VIE de Olivier Treiner (au cinéma le 21.12.2022)

    cinéma, critique, film, Le tourbillon de la vie, Olivier Treiner, Lou de Laäge, cinéma français, Raphaël Personnaz, Isabelle Carré, Denis Podalydès, french cinema

    Choisit-on son destin ? À quoi tiennent l’amour ou le bonheur ? Parfois de petits riens, d’infimes actions ou inactions qui auront de formidables ou terribles conséquences… Et si on jouait à pile ou face notre destinée, les conséquences seraient-elles pires ou meilleures que lorsque nos décisions sont le fruit d’une longue réflexion et de notre libre-arbitre ? Ou tout est-il écrit d’avance et n’avons-nous de toute façon aucun poids sur notre existence ? Y a-t-il toujours une seule route possible ou autant de voies que de destins envisageables pour la même personne ? Autant de questions ludiques et profondes que pose ce film qui l’est aussi, en plus d’être original et passionnant.

    « Le hasard est le plus grand romancier du monde » écrivait Honoré de Balzac.  C’est aussi sans aucun doute le plus grand scénariste, celui qui a inspiré ce premier long-métrage à Olivier Treiner, dix ans après L’Accordeur pour lequel il avait obtenu le César du court-métrage.

    Les grands tournants de notre existence sont parfois dus à de petits hasards. Si Julia Sorel (Lou de Laâge) n’avait pas fait tomber son livre ce jour-là, à la librairie, elle n’aurait probablement pas croisé Paul (Raphaël Personnaz) et n’aurait pas eu de coup de foudre, presque à la « Notting Hill ». Sa vie aurait-elle pris une direction radicalement différente ? À quelques lettres près, le nom du personnage incarné par Lou de Laâge ressemble à celui du plus célèbre personnage de Stendhal. Ce n'est certainement pas un hasard, le destin de ce dernier étant indissociable de ses rencontres.

    Si ce premier long-métrage est aussi singulier qu’universel, c’est parce qu’il traduit en images la question passionnante des multiples possibles d’une même existence que chacun s’est forcément posée un jour. Notre vie aurait-elle été la même si nous n’avions pas été à tel endroit tel jour à telle l’heure…ou si à l’inverse il ne nous avait pas été possible d’y être ou si nous avions pris la décision de ne pas y être ? Nos vies sont-elles soumises au hasard ou sont-elles écrites à l’avance ? A-t-on conscience qu’une décision a priori anodine peut faire basculer notre destin ? Le film montre que chaque existence est avant tout le fruit de ses choix même s’il y a des impondérables comme la maladie, en l’occurrence celle de la mère de Julia (Isabelle Carré), présente dans les quatre versions. C’était un vrai défi que de traduire ces questions philosophiques à l’écran et pourtant Olivier Treiner y parvient magistralement.

    On se souvient des Smoking /No smoking d’Alain Resnais avec sa série de personnages interprétés par Sabine Azéma et Pierre Arditi dont l’évolution des vies dépendait du fait qu’une cigarette soit fumée ou non. Ici, pour que le destin de Julia bascule dans un sens ou dans l’autre, que sa vie soit plus ou moins heureuse, cela dépendra d’un livre tombé, d’un passeport oublié ou de la personne que le destin (joué à pile ou face) choisira comme conducteur d’un scooter. A partir de là vont en découler quatre différentes Julia, quatre variations de la même personne, quatre personnalités. Dans plusieurs versions, Julia rencontre Paul : ils sont jeunes, beaux, ont l’avenir devant eux, lui comme mathématicien, elle comme pianiste. Comme dans un film de Sautet, la pluie va les rapprocher… Mais à chaque fois la personnalité de Paul fera que cette histoire connaîtra la même issue.

    Laurent Tangy, le directeur de la photographie, a créé une image qui s’assombrit au gré des épreuves traversées par Julia mais d’une grande élégance qui m’a fait songer à la photographie dans les films de Woody Allen, toujours d’une élégance soignée.

    Le travail sur le montage est tout aussi remarquable, ne nous égarant jamais malgré la multiplicité des histoires mais nous permettant au contraire de suivre de manière fluide ces vies parallèles de la même personne prise dans un tourbillon dramatique.

    Ce film est un hymne à la vie mais aussi à la musique qui le parcourt. C’est la passion et la vocation de Julia. Le frère du cinéaste, Raphaël Treiner a composé une musique qui reflète les sentiments de cette dernière. La musique classique apporte aussi une émotion supplémentaire, de Rachmaninov à Brahms, avec des scènes d’une poésie envoûtante comme lorsque Julia joue en plein Berlin lors de la chute du mur.

    Rares sont les actrices à pouvoir incarner autant de visages sans tomber dans l’esbroufe. Lou de Laâge est une fois de plus parfaite de nuances, de sensibilité, de talent discret. Je la suis depuis que je l’avais découverte dans ce petit bijou méconnu, J’aime regarder les filles de Frédéric Louf (film au romantisme assumé, imprégné de littérature, avec un arrière-plan politique et un air truffaldien, je vous le recommande au passage), en passant par Respire de Mélanie Laurent (dans lequel elle excelle, un rôle de manipulatrice qui, sous des abords au départ particulièrement affables, va se révéler venimeuse, double, perverse) ou plus récemment dans Boîte noire de Yann Gozlan. Je me souviens avec émotion du prix d’interprétation féminine que le jury du Festival du Film de Boulogne-Billancourt 2021 dont j’avais eu le plaisir de faire partie lui avait attribué pour Nino, une adolescence imaginaire de Nino Ferrer. Dans Le tourbillon de la vie, elle est ardente, profonde et lumineuse et elle incarne le(s) personnage(s) de Julia de 17 à 80 ans, avec toujours la même crédibilité et la même aisance malgré ses multiples facettes.

    Face à elle, Raphaël Personnaz arbore sa présence toujours aussi magnétique, que ce soit dans un film en costumes comme La Princesse de Montpensier de Tavernier dans lequel il incarnait le Duc d’Anjou ou dans des films dont l’action se déroule de nos jours comme Trois monde de Catherine Corsini ou  After de Géraldine Maillet dans lequel il est constamment sur le fil, à fleur de peau, à la fois touchant, et légèrement inquiétant, formant avec Julie Gayet un couple évident duquel émane un trouble lancinant. Il est tout aussi juste dans l’hilarant Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, dans Marius et Fanny de Daniel Auteuil, L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier ou dans Dans les forêts de Sibérie de Safy Nebbou avec ce personnage qui se transfigure au fil du temps, retrouvant peu à peu la pureté et la spontanéité des joies enfantines. Cette fois, pour incarner le premier amour de Julia, sans manichéisme, il passe du rôle du jeune premier irrésistible à l’homme plus ambivalent, mathématicien brillant qui perd peu à peu de vue ses rêves et son éthique par appât du gain.

    Grégory Gadebois qui incarne le père de Julia montre une fois de plus qu’il peut tout jouer, du père bourru et même obtus de l’héroïne à l’amoureux de Maria rêve, la touchante comédie romantique de Lauriane Escaffre et Yvo Muller, un gardien, secret, discret mais solaire qui se déhanche sur Elvis Presley. Aliocha Schneider est également parfait dans le rôle de Nathan aussi crédible en jeune premier qu’en homme plus âgé. De même que Sébastien Pouderoux  en cancérologue solaire et réconfortant. Ou Denis Podalydès en pygmalion en mal d’enfant.

    Il y a du Lelouch dans cette « symphonie du hasard » et des coïncidences remplie d’humanité avec tous ces personnages ayant vécu ou abandonné leurs rêves, ayant traversé les désillusions qui jalonnent toute existence, mais se relevant en empruntant une voie qui n’était pas forcément celle envisagée au départ mais leur permettant malgré tout de trouver le chemin du bonheur. Un film qui, comme les vies qu’il narre, nous emporte dans un tourbillon, d’émotions, dont on sort chamboulé de questionnements, avec l'envie d'appréhender toute la complexité et la beauté de chaque petite seconde de vie ou de musique. Un premier film maîtrisé, palpitant de vie et parfait pour cette fin d’année.  Ne le manquez pas !

    Sortie en salles : le 21.12.2022

  • Critique de RESPIRE de Mélanie Laurent à voir bientôt sur Canal +

     

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    Après "Timbuktu" puis "Birdman", comme chaque mois Canal plus reprend sur son site une de mes critiques d'un film diffusé sur la chaîne et que je vous recommande, cette fois "Respire", un film pour lequel j'avais eu un vrai coup de cœur lors de sa découverte au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz où il figurait en compétition et même pour moi LE film de l'année 2014.

     

    Ce film fut aussi présenté en séance spéciale à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique 2014. Mélanie Laurent portait ce projet (dont le sujet entrait visiblement en résonance avec sa propre expérience) depuis la parution du livre dont il est la libre adaptation, un premier roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme de 2001. Mélanie Laurent fait en effet partie de ceux que certains aiment détester parce qu’elle a « le malheur » d’être une jeune femme polyvalente (elle vient d'obtenir le César du meilleur documentaire), déterminée et talentueuse dans chacun des domaines auxquels elle s’attèle : elle chante, joue, réalise. Une artiste à part entière guidée par le désir de créer.

    A cet âge où tout est essentiel, à la fois dérisoire et grave, passionné et viscéral, Charlie (Joséphine Japy), une jeune fille de 17 ans rencontre Sarah (Lou de Laâge). Sarah, c’est la nouvelle du lycée, celle que tout le monde « adopte »  et adore immédiatement, celle qui fascine, éblouit. La star immédiate du lycée. Sarah va choisir Charlie. Cette rencontre va peu à peu priver Charlie de souffle, l’enfermer dans une histoire étouffante d’amitié perverse…

    Dès le premier plan, Mélanie Laurent témoigne de sa parfaite maîtrise de son sujet et de sa caméra, franchissant encore une étape après « Les Adoptés ». L’évolution est flagrante dès le début du film.  Ce premier plan nous montre des toits tristement identiques de  pavillons de province. Lui succède celui d’une adolescente qui se lève  avec, hors-champ, les cris de ses parents qui se déchirent. Le décor est planté. L’apparente tranquillité n’est qu’un leurre.  Tout peut exploser, la tranquillité peut se briser, à tout instant.

    Au lycée, en cours, Charlie apprend les excès de la passion. Il suffisait de trouver un objet à celle-ci. Ce sera Sarah.  Peu à peu, l’étau va se refermer sur Charlie, sa prison dans laquelle elle va elle-même s’enfermer. Mélanie Laurent distille progressivement des indices qui témoignent de la perversité de Sarah, créant un malaise et une empathie croissantes du spectateur pour Charlie. La tension est accentuée par une caméra à l’épaule, qui ne laisse pas de répit, suggère la survenance possible d’un drame. A tout moment. Comme un serpent prêt à surgir et étouffer sa proie.

    Comme sa mère qui pardonne toujours à son père, Charlie pardonnera toujours comme aveuglée, emprisonnée dans cette pseudo-amitié, dans sa fascination. Mélanie Laurent ne lâche ni ses actrices ni le spectateur, pas une seconde, tout comme Sarah ne lâche pas Charlie, grâce à la qualité et la précision de son écriture (pas de plan superflu ou vain),  la beauté froide ou lumineuse des images ( comme ces plans de bord de mer dont la luminosité contraste intelligemment avec la noirceur de ce que commence alors à vivre Charlie) et  le talent de ses deux comédiennes (sans doute aussi très bien dirigées) qui crèvent littéralement l’écran. Va  s’opérer un glissement progressif du drame social vers le thriller. Planent les ombres de Chabrol, Hitchcock, Gus Van Sant, Sofia Coppola (sans les tics parfois mode-rne-s de cette dernière) mais surtout celle d’une nouvelle cinéaste qui ne cite pas les autres mais construit sa propre filmographie et ses propres codes : Mélanie Laurent.

    Le film est aussi jalonné de moments de grâce comme lorsque les deux jeunes filles dansent sur « You and Me » de Disclosure, exacerbant encore la noirceur de ce qui suivra et le sentiment de prison sans échappatoire pour Charlie.

    Lou de Laâge excelle une nouvelle fois dans ce rôle de manipulatrice qui, sous des abords au départ particulièrement affables, va  se révéler venimeuse, double, perverse. Face à elle, Joséphine Japy est époustouflante, interprétant avec beaucoup de nuances, notamment grâce à d’éloquents silences, sa souffrance indicible. C’est d’autant plus impressionnant qu’une vingtaine de séquences ont été improvisées. Mélanie Laurent a ainsi passé 4 mois à travailler avec ses actrices pour seulement 6 semaines de tournage.

    Un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux  exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec Charlie dans cet abyme mental en apparence inextricable.

    Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la  seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin.

     

  • Critique de RESPIRE de Mélanie Laurent à 20H50 sur Canal + Cinéma


     

    C’est dans le cadre du 1er Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz 2014 que j’ai eu le plaisir de découvrir le film dont la réalisatrice avait déjà obtenu le prix du public à Saint-Jean-de-Luz, trois ans auparavant, pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, « Les Adoptés». Elle avait alors également reçu le prix du jury.

     Cette séance fut riche en émotions et pas seulement parce que ce fut la dernière d’un film en compétition de ce 1er Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz mais aussi parce que la réalisatrice avait fait le voyage, entre deux scènes avec Angelina Jolie pour qui elle tourne actuellement, pour parler (avec passion) de son film après la projection mais aussi parce que Dany Boon, alors en tournage à Saint-Jean-de-Luz du dernier film de Julie Delpy « Lolo » était présent, ce qui a donné lieu à de savoureux échanges. La vidéo (ci-dessus) de présentation du film avant la projection témoigne de la convivialité et la bonne humeur communicatives qui règnaient dans ce festival.

    respire

    Mélanie Laurent fait partie de ceux que certains aiment détester parce qu’elle a « le malheur » d’être une jeune femme polyvalente, déterminée et talentueuse dans chacun des domaines auxquels elle s’attèle : elle chante, joue, réalise. Une artiste à part entière guidée par le désir de créer. En est une nouvelle preuve la vidéo la mettant en scène, vidéo d’une méchanceté stupide, lâche et abjecte (qui avait pour seul mérite de démontrer, si besoin était, la puissance du montage cinématographique qui peut étayer n’importe quelle démonstration et orienter n’importe quel discours) qui avait circulé en 2014 dans tous les médias qui l’ont repris comme si cela avait  valeur d’information, les mêmes médias parfois qui, lors du Festival de Cannes de la même année, avaient encensé « Respire » qui dénonce finalement cette perversité dont cette vidéo est une forme de manifestation. La société, a fortiori médiatique, avide de cynisme et de détestation, et de détruire ceux qu’elle envie ou a encensé probablement dans un moment d’égarement, n’est pas à un paradoxe près.

    Ce film qui fut aussi présenté en séance spéciale à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique 2014 est aussi sans aucun doute guidé par cet désir de créer, et de dire. Mélanie Laurent portait en effet ce projet de « Respire » depuis la parution du livre dont il est la libre adaptation, un premier roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme de 2001.

    A cet âge où tout est essentiel, à la fois dérisoire et grave, passionné et viscéral, Charlie (Joséphine Japy), une jeune fille de 17 ans rencontre Sarah (Lou de Laâge). Sarah, c’est la nouvelle du lycée, celle que tout le monde « adopte »  et adore immédiatement, celle qui fascine, éblouit. La star immédiate du lycée. Sarah va choisir Charlie. Cette rencontre va peu à peu priver Charlie de souffle, l’enfermer dans une histoire étouffante d’amitié perverse…

    Dès le premier plan, Mélanie Laurent témoigne de sa parfaite maîtrise de son sujet et de sa caméra, franchissant encore une étape après « Les Adoptés ». L’évolution est flagrante dès le début du film.  Ce premier plan nous montre des toits tristement identiques de  pavillons de province. Lui succède celui d’une adolescente qui se lève  avec, hors-champ, les cris de ses parents qui se déchirent. Le décor est planté. L’apparente tranquillité n’est qu’un leurre.  Tout peut exploser, la tranquillité peut se briser, à tout instant.

    Au lycée, en cours, Charlie apprend les excès de la passion. Il suffisait de trouver un objet à celle-ci. Ce sera Sarah.  Peu à peu l’étau va se refermer sur Charlie, sa prison dans laquelle elle va elle-même s’enfermer. Mélanie Laurent distille progressivement des indices qui témoignent de la perversité de Sarah, créant un malaise et une empathie croissantes du spectateur pour Charlie. La tension est accentuée par une caméra à l’épaule, qui ne laisse pas de répit, suggère la survenance possible d’un drame. A tout moment. Comme un serpent prêt à surgir et étouffer sa proie.

    Comme sa mère qui pardonne toujours à son père, Charlie pardonnera toujours comme aveuglée, emprisonnée dans cette pseudo-amitié, dans sa fascination. Mélanie Laurent ne lâche ni ses actrices ni le spectateur, pas une seconde, tout comme Sarah ne lâche pas Charlie grâce à la qualité et la précision de son écriture (pas de plan superflu ou vain),  la beauté froide ou lumineuse des images ( comme ces plans de bord de mer dont la luminosité contraste intelligemment avec la noirceur de ce que commence alors à vivre Charlie) et  le talent de ses deux comédiennes (sans doute aussi très bien dirigées) qui crèvent littéralement l’écran. Va  s’opérer un glissement progressif du drame social vers le thriller. Planent les ombres de Chabrol, Hitchcock, Gus Van Sant, Sofia Coppola (sans les tics parfois mode-rne-s de cette dernière) mais surtout celle d’une nouvelle cinéaste qui ne cite pas les autres mais construit sa propre filmographie et ses propres codes : Mélanie Laurent.

    Le film est aussi jalonné de moments de grâce comme lorsque les deux jeunes filles dansent sur « You and Me » de Disclosure, exacerbant encore la noirceur de ce qui suivra et le sentiment de prison sans échappatoire pour Charlie.

    Après la projection, Mélanie Laurent a raconté avoir découvert Lou de Laâge dans « J’aime regarder les filles », le magnifique premier film de Frédéric Louf qui avait révélé un autre immense comédien, Pierre Niney. Je me réjouis encore d’avoir fait partie du jury qui avait récompensé Lou de Laâge au Festival International du Film de Boulogne-Billancourt pour « Nino, une adolescence imaginaire de Nino Ferrer » de Thomas Bardinet.  Ici, elle excelle une nouvelle fois dans ce rôle de manipulatrice qui, sous des abords au départ particulièrement affables, va  se révéler venimeuse, double, perverse. Face à elle, Joséphine Japy est époustouflante, interprétant avec beaucoup de nuances, notamment grâce à d’éloquents silences, sa souffrance indicible. C’est d’autant plus impressionnant qu’une vingtaine de séquences ont été improvisées. Mélanie Laurent a ainsi passé 4 mois à travailler avec ses actrices pour seulement 6 semaines de tournage.

    Un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux  exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec Charlie dans cet abyme mental en apparence inextricable.

    Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la  seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin.

    Et si vous n’en êtes pas encore convaincus, voici les mots de Dany Boon à la fin de la projection qui auront pour vous peut-être plus de poids que les miens : « J’ai trouvé le film très maîtrisé, incroyable. La fin est très prenante. Film bouleversant, d’une justesse incroyable, je suis très impressionné ».

     

  • Critique de L'ATTENTE de Julien Piero Messina

    C'est dans le cadre du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule dont vous pouvez retrouver mon compte rendu complet, ici, que j'ai eu le plaisir de découvrir ce film.

    attente

    Un film avec Juliette Binoche dont les choix cinématographiques sont toujours judicieux, est déjà en soi une promesse de bon film. « Copie conforme » de Kiarostami reste pour moi une des plus exceptionnelles performances d’actrices à laquelle il m’ait été donné d’assister. Malgré sa jeune carrière, Lou de Lâage se distingue par l’intelligence de ses choix et par son immense talent qui crève l’écran de « J’aime regarder les filles » de Frédéric Louf à « Respire » de Mélanie Laurent. J’étais donc impatiente de voir les deux réunies pour ce film réalisé par un ex assistant de Paolo Sorrentino et produit par les producteurs de « Youth » et « La Grande Bellezza ». Lors du débat d’après film, dans le cadre du festival, le producteur nous a expliqué qu’il ne fut pas évident de trouver une « jeune femme qui puisse faire face à Juliette Binoche ». Et je ne vois pas quel meilleur choix il y aurait pu avoir que celui de Lou de Lâage.

    Synopsis : Dans les grands salons d’une ancienne villa marquée par le temps, Anna (Juliette Binoche), touchée par un deuil soudain, passe ses journées dans la solitude. La campagne sicilienne, sauvage et d’une grande beauté, entoure la maison et l’isole tandis que le brouillard se lève lentement sur les flancs de l’Etna. Seuls les pas de Pietro, l’homme à tout faire, rompent le silence. A l’improviste arrive Jeanne (Lou de Lâage), la petite amie de Giuseppe, le fils d’Anna, qu’il a invitée à venir passer quelques jours en Sicile. Anna ignorait l’existence de Jeanne et Giuseppe est absent. Il va revenir bientôt, très bientôt…c’est ce que dit Anna à Jeanne. Les jours passent, les deux femmes apprennent lentement à se connaître et attendent ensemble le jour de Pâques, où Giuseppe rentrera pour la procession.

    La sonnerie du téléphone qui retentit dans cette villa glacialement vide, sombre et silencieuse dans laquelle déambule Anna, livide, fantomatique, annonce le surgissement de la vie, de l’imprévu, impression renforcée par l’arrivée de Jeanne avec, en fond sonore, une musique pop qui contraste avec l’atmosphère recueillie de la scène qui précède. Dans cette villa déserte où ne déambule que l’homme à tout faire et sur laquelle semble peser un chagrin ineffable, va s’instaurer une relation trouble entre les deux femmes et la vie s’y immiscer à nouveau. Jeanne va apporter sa fougue, sa jeunesse, sa fraîcheur, son aveuglement, sa gaieté et la vie dans cette maison qui en a soudainement été dénuée. Sans doute a-t-elle tous les éléments pour comprendre, mais sans doute plus sidérée et incapable d’affronter la réalité que réellement aveugle à celle-ci, elle se jette à corps perdu dans le mensonge d’Anna. Le véritable mensonge étant finalement celui que les deux femmes se font à elles-mêmes. Les scènes lors desquelles cette dernière semble sur le point de lui avouer la vérité sont d’une rare justesse et se prêtent à ces diverses interprétations. Ces deux femmes en apparence si différentes se ressemblent finalement beaucoup. Le film est d’ailleurs baigné de contrastes, entre le soleil et la noirceur, les rires et les silences, le deuil et la vie éclatante que représente Jeanne. Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle comme lorsque les rayons du soleil se réverbèrent sur l’eau du lac dans lequel se baigne Jeanne. Le deuil renforce la beauté douloureuse de ce qui entoure les deux femmes qui le vivent.

    Parmi les très belles scènes de ce film qui n’en est pas avare, la danse envoûtante de Jeanne sur une chanson de Leonard Cohen (au titre à propos :« Waiting for miracle ») suspend le vol du temps et est à l’image de ce film : sensuel, sombre et solaire, ensorcelant et âpre comme un village de Sicile et, surtout, ce film est porté par deux splendides et talentueuses actrices qui apportent toute leur sensibilité à ces personnages exhalant la vie et la bienveillance et à ce beau film empreint de vie et de mélancolie, belle variation sur l’indicible attente et absence.

    Sortie en salles: le 16 décembre 2015