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joséphine japy

  • CRITIQUE - SUR LES CHEMINS NOIRS de Denis Imbert (au cinéma le 22 mars 2023)

    cinéma, film, sur les chemins noirs de Denis Imbert, Jean Dujardin, Sylvain Tesson, Jonathan Zaccaï, Joséphine Japy

    En 2016, je partageais ici mon enthousiasme pour le film de Safy Nebbou, Dans les forêts de Sibérie, une adaptation d’un autre livre de Sylvain Tesson. Raphaël Personnaz y incarne Teddy, un chef de projet multimédia, qui, pour assouvir un besoin de liberté, décide de partir loin du bruit du monde, et s’installe seul dans une cabane, sur les rives gelées du lac Baïkal, en Sibérie. Après avoir vu ce film qui exhale et exalte la liberté et l’émerveillement, j’avais quitté la salle avec l’envie d’acheter immédiatement le livre de Sylvain Tesson et avec cette phrase du film comme leitmotiv : « Maitriser le temps, vivre intensément chaque instant ». Un véritable défi dans une société ultraconnectée qui nous procure souvent le rageant sentiment d’avoir perdu la capacité à vivre et saisir l’instant présent alors que, paradoxalement, nous ne l’avons jamais autant immortalisé. Je pourrais en dire de même de ce film de Denis Imbert, Sur les chemins noirs, l’adaptation de l’essai éponyme de Sylvain Tesson publié en 2016 chez Gallimard, vendu à 532000 exemplaires, le récit de ses 1300 kilomètres dans la diagonale du vide.

    En 2014, Sylvain Tesson tombait d’un toit. « Si je m’en sors, je traverse la France à pied » se promet-il alors sur son lit d’hôpital. Moins d’une année après cette promesse, il arpente les sentiers de la diagonale du vide, du Mercantour à la Manche. Dans cette formidable adaptation (coécrite par Denis Imbert et Diastème), un soir d’ivresse, Pierre (Jean Dujardin), écrivain explorateur, fait une chute de plusieurs étages. Cet accident le plonge dans un coma profond. Sur son lit d’hôpital, revenu à la vie, il se fait la promesse de traverser la France à pied du Mercantour au Cotentin. Un voyage unique et hors du temps à la rencontre de l'hyper-ruralité, de la beauté de la France et de la renaissance de soi.

    « J’étais tombé du rebord de la nuit, m’étais écrasé sur la terre » écrit-il ainsi. La voix off, poésie prosaïque, judicieux oxymore, accompagne le voyage de Pierre et berce ce voyage d’une douce mélopée malgré ses âpres étapes. Si vous n’avez pas eu encore le désir de larguer les amarres, loin de l’agitation, du tintamarre et des obligations de nos vies ultra connectées et souvent déconnectées de l’essentiel, pour laisser du temps au temps, pour se retrouver face à vous-même, il se pourrait que ce film suscite chez vous des envies d’ailleurs, d’échappée douloureuse mais belle, malgré tout, grâce à cela.

    « Dissimule ta vie, disait Epicure dans l’une de ses maximes. Il avait donné là une devise pour les chemins noirs », écrit ainsi Sylvain Tesson dans le livre dont est adapté le film de Denis Imbert. Il cite aussi cette phrase de Napoléon au Général de Caulaincourt : « Il y a deux sortes d’hommes, ceux qui commandent et ceux qui obéissent. ». Selon lui, il faudrait ainsi ajouter une troisième colonne : les hommes qui fuient : « Fuir, c’est commander ! C’est au moins commander au destin de n’avoir aucune prise sur vous. »

    Ces deux citations pourraient résumer la démarche introspective de Sylvain/Pierre : dissimuler sa vie et fuir. Une fuite courageuse. Une fuite qui est l’éloge de l’intranquillité, la différence, la liberté, l’esquive. Ces chemins, qui le reconnectent avec la nature, le mènent à la rencontre de lui-même, de son être profond, loin du vacarme assourdissant et parfois abêtissant du monde. Le mouvement sert à se réparer, se regarder en face. « Mon salut était dans le mouvement, si je réussissais ma traversée, j’obtiendrais réparation. » La seule raison pour laquelle il voulait traverser la France, il la tient d’un morceau de papier froissé au fond de son sac. Nous avons finalement tous toujours un morceau papier froissé au fond de notre sac, réel ou virtuel, qui est notre frein ou notre moteur, notre ancrage dans la terre, ou notre propulsion dans les airs et dans nos rêves. Les chemins noirs qui n’existent pas sur les cartes sont empruntés par les animaux sauvages. Pour ce loup solitaire, ce chemin rédempteur est en effet un chemin éprouvant, qui brusque, dont il (lui et nous) faut accepter les ombres et les ellipses.

    Le sujet de ce film m'a aussi fait penser à un autre film, de Sean Penn, de 2008, Into the wild, l’histoire du jeune Christopher McCandless, 22 ans, qui reçoit son diplôme et avec lui le passeport pour Harvard, pour une vie tracée, matérialiste, étouffante. Il décide alors de tout quitter : sa famille, sans lui laisser un seul mot d'explication, son argent, qu’il brûle, sa voiture, pour parcourir et ressentir la nature à pied, et même son nom pour se créer une autre identité. Et surtout sa vie d’avant. Une autre vie. Il va traverser les Etats-Unis, parcourir les champs de blé du Dakota, braver les flots agités du Colorado, croiser les communautés hippies de Californie, affronter le tumulte de sa conscience pour atteindre son but ultime : l’Alaska, se retrouver « into the wild » au milieu de ses vastes étendues grisantes, seul, en communion avec la nature. La même quête de vérité et de liberté.

    Fin de digression. Revenons sur les chemins noirs et à Jean Dujardin qui excelle dans ce rôle, trouvant toujours la juste mesure. Que ce soit dans The Artist de Michel Hazanavicius (avec le rôle de George Valentin qui lui valut un prix d’interprétation cannois amplement mérité pour ce personnage volubile, excessif, démontrant ainsi le pathétique et non moins émouvant enthousiasme d’un monde qui se meurt, mais dans lequel il est aussi flamboyant puis sombre et poignant, parfois les trois en même temps, faisant passer dans son regard, une foule d’émotions, de la fierté aux regrets,  de l’orgueil à la tendresse, de la gaieté à la cruelle amertume de la déchéance) ou dans Un balcon sur la mer de Nicole Garcia, bouleversant dans le rôle de cet homme qui retrouve son passé, son enfance et ainsi un ancrage dans le présent -là aussi-, ou encore dans les OSS 117, dans lesquels il est hilarant, n’économisant ni ses rictus, ciselés, ni ses soulèvements de sourcils, ni ses silences, ni ses incoercibles rires gras… Jean Dujardin a déjà maintes fois prouvé la large palette de son jeu et de son talent. Il faudrait encore citer les remarquables Möbius, Un + une…parmi tant d’autres grands rôles. Ici, il a l’intelligence de ne pas forcer le trait, de faire corps avec le paysage (la balafre comme un sillon sur son visage, un autre chemin noir : comme ces paysages hors des sentiers battus, portant l'empreinte du passé) et Denis Imbert a celle de recourir à une réalisation sobre, qui s'efface devant son sujet mais n'en est que plus puissante.

    L’autre grande intelligence, de ce film cette fois, est de ne pas chercher l’efficacité à tout prix, à l’image de ce dans quoi se perd ce monde que Pierre fuit, à l’image de sa quête. Tout n’est pas forcément explicité. Et cette confiance (dans le mystère, l’indicible et le spectateur) fait un bien fou. Le spectateur fait aussi son propre voyage. Pierre n’est pas sympathique d’emblée et subsisteront des zones d’ombres et c’est tant mieux. Ce qui compte, ce sont ces chemins noirs, ce voyage jalonné d’épreuves, de rencontres. Son passé s’esquisse en flashbacks, les scènes avec son ancienne compagne (lumineuse Joséphine Japy), de la rencontre à la rupture, brutale, dans une chambre d’hôpital, sans qu’il cherche à la retenir mais aussi par ses retrouvailles avec ceux qui viennent faire un bout de chemin avec lui, sa sœur (Izïa Higelin), sa tante (Anny Duperey) ou un ami (Jonathan Zaccaï) ou un jeune inconnu en mal de (re)père (Dylan Robert). Se dessine aussi le portrait d’un écrivain follement vivant, qui ne fait pas de concessions à la médiocrité, à a demi-mesure, à sa rage d’être (lui-même).

    Servis par la photographie de Magali Silvestre de Sacy et la musique originale de Wouter Dewit, ces chemins noirs le mènent et nous mènent vers la lumière, nous donnent envie d’embrasser la vie et l’ailleurs et la singularité en nous. Comme ce loup solitaire après son périple intense, on en ressort épuisés mais apaisés, face à la Manche. Cette fin consolante m’a fait penser à ces vers de Baudelaire : « la mer est ton miroir ; tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame ». Vous l’aurez compris : ce voyage par ces chemins noirs vaut vraiment le détour. Je vous recommande plus que vivement de les emprunter dès le 22 mars 2023 (ou même avant, renseignez-vous, de nombreuses avant-premières ont lieu en ce moment dans toute la France).

  • Critique de RESPIRE de Mélanie Laurent à voir bientôt sur Canal +

     

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    Après "Timbuktu" puis "Birdman", comme chaque mois Canal plus reprend sur son site une de mes critiques d'un film diffusé sur la chaîne et que je vous recommande, cette fois "Respire", un film pour lequel j'avais eu un vrai coup de cœur lors de sa découverte au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz où il figurait en compétition et même pour moi LE film de l'année 2014.

     

    Ce film fut aussi présenté en séance spéciale à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique 2014. Mélanie Laurent portait ce projet (dont le sujet entrait visiblement en résonance avec sa propre expérience) depuis la parution du livre dont il est la libre adaptation, un premier roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme de 2001. Mélanie Laurent fait en effet partie de ceux que certains aiment détester parce qu’elle a « le malheur » d’être une jeune femme polyvalente (elle vient d'obtenir le César du meilleur documentaire), déterminée et talentueuse dans chacun des domaines auxquels elle s’attèle : elle chante, joue, réalise. Une artiste à part entière guidée par le désir de créer.

    A cet âge où tout est essentiel, à la fois dérisoire et grave, passionné et viscéral, Charlie (Joséphine Japy), une jeune fille de 17 ans rencontre Sarah (Lou de Laâge). Sarah, c’est la nouvelle du lycée, celle que tout le monde « adopte »  et adore immédiatement, celle qui fascine, éblouit. La star immédiate du lycée. Sarah va choisir Charlie. Cette rencontre va peu à peu priver Charlie de souffle, l’enfermer dans une histoire étouffante d’amitié perverse…

    Dès le premier plan, Mélanie Laurent témoigne de sa parfaite maîtrise de son sujet et de sa caméra, franchissant encore une étape après « Les Adoptés ». L’évolution est flagrante dès le début du film.  Ce premier plan nous montre des toits tristement identiques de  pavillons de province. Lui succède celui d’une adolescente qui se lève  avec, hors-champ, les cris de ses parents qui se déchirent. Le décor est planté. L’apparente tranquillité n’est qu’un leurre.  Tout peut exploser, la tranquillité peut se briser, à tout instant.

    Au lycée, en cours, Charlie apprend les excès de la passion. Il suffisait de trouver un objet à celle-ci. Ce sera Sarah.  Peu à peu, l’étau va se refermer sur Charlie, sa prison dans laquelle elle va elle-même s’enfermer. Mélanie Laurent distille progressivement des indices qui témoignent de la perversité de Sarah, créant un malaise et une empathie croissantes du spectateur pour Charlie. La tension est accentuée par une caméra à l’épaule, qui ne laisse pas de répit, suggère la survenance possible d’un drame. A tout moment. Comme un serpent prêt à surgir et étouffer sa proie.

    Comme sa mère qui pardonne toujours à son père, Charlie pardonnera toujours comme aveuglée, emprisonnée dans cette pseudo-amitié, dans sa fascination. Mélanie Laurent ne lâche ni ses actrices ni le spectateur, pas une seconde, tout comme Sarah ne lâche pas Charlie, grâce à la qualité et la précision de son écriture (pas de plan superflu ou vain),  la beauté froide ou lumineuse des images ( comme ces plans de bord de mer dont la luminosité contraste intelligemment avec la noirceur de ce que commence alors à vivre Charlie) et  le talent de ses deux comédiennes (sans doute aussi très bien dirigées) qui crèvent littéralement l’écran. Va  s’opérer un glissement progressif du drame social vers le thriller. Planent les ombres de Chabrol, Hitchcock, Gus Van Sant, Sofia Coppola (sans les tics parfois mode-rne-s de cette dernière) mais surtout celle d’une nouvelle cinéaste qui ne cite pas les autres mais construit sa propre filmographie et ses propres codes : Mélanie Laurent.

    Le film est aussi jalonné de moments de grâce comme lorsque les deux jeunes filles dansent sur « You and Me » de Disclosure, exacerbant encore la noirceur de ce qui suivra et le sentiment de prison sans échappatoire pour Charlie.

    Lou de Laâge excelle une nouvelle fois dans ce rôle de manipulatrice qui, sous des abords au départ particulièrement affables, va  se révéler venimeuse, double, perverse. Face à elle, Joséphine Japy est époustouflante, interprétant avec beaucoup de nuances, notamment grâce à d’éloquents silences, sa souffrance indicible. C’est d’autant plus impressionnant qu’une vingtaine de séquences ont été improvisées. Mélanie Laurent a ainsi passé 4 mois à travailler avec ses actrices pour seulement 6 semaines de tournage.

    Un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux  exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec Charlie dans cet abyme mental en apparence inextricable.

    Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la  seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin.

     

  • Critique de RESPIRE de Mélanie Laurent à 20H50 sur Canal + Cinéma


     

    C’est dans le cadre du 1er Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz 2014 que j’ai eu le plaisir de découvrir le film dont la réalisatrice avait déjà obtenu le prix du public à Saint-Jean-de-Luz, trois ans auparavant, pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, « Les Adoptés». Elle avait alors également reçu le prix du jury.

     Cette séance fut riche en émotions et pas seulement parce que ce fut la dernière d’un film en compétition de ce 1er Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz mais aussi parce que la réalisatrice avait fait le voyage, entre deux scènes avec Angelina Jolie pour qui elle tourne actuellement, pour parler (avec passion) de son film après la projection mais aussi parce que Dany Boon, alors en tournage à Saint-Jean-de-Luz du dernier film de Julie Delpy « Lolo » était présent, ce qui a donné lieu à de savoureux échanges. La vidéo (ci-dessus) de présentation du film avant la projection témoigne de la convivialité et la bonne humeur communicatives qui règnaient dans ce festival.

    respire

    Mélanie Laurent fait partie de ceux que certains aiment détester parce qu’elle a « le malheur » d’être une jeune femme polyvalente, déterminée et talentueuse dans chacun des domaines auxquels elle s’attèle : elle chante, joue, réalise. Une artiste à part entière guidée par le désir de créer. En est une nouvelle preuve la vidéo la mettant en scène, vidéo d’une méchanceté stupide, lâche et abjecte (qui avait pour seul mérite de démontrer, si besoin était, la puissance du montage cinématographique qui peut étayer n’importe quelle démonstration et orienter n’importe quel discours) qui avait circulé en 2014 dans tous les médias qui l’ont repris comme si cela avait  valeur d’information, les mêmes médias parfois qui, lors du Festival de Cannes de la même année, avaient encensé « Respire » qui dénonce finalement cette perversité dont cette vidéo est une forme de manifestation. La société, a fortiori médiatique, avide de cynisme et de détestation, et de détruire ceux qu’elle envie ou a encensé probablement dans un moment d’égarement, n’est pas à un paradoxe près.

    Ce film qui fut aussi présenté en séance spéciale à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique 2014 est aussi sans aucun doute guidé par cet désir de créer, et de dire. Mélanie Laurent portait en effet ce projet de « Respire » depuis la parution du livre dont il est la libre adaptation, un premier roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme de 2001.

    A cet âge où tout est essentiel, à la fois dérisoire et grave, passionné et viscéral, Charlie (Joséphine Japy), une jeune fille de 17 ans rencontre Sarah (Lou de Laâge). Sarah, c’est la nouvelle du lycée, celle que tout le monde « adopte »  et adore immédiatement, celle qui fascine, éblouit. La star immédiate du lycée. Sarah va choisir Charlie. Cette rencontre va peu à peu priver Charlie de souffle, l’enfermer dans une histoire étouffante d’amitié perverse…

    Dès le premier plan, Mélanie Laurent témoigne de sa parfaite maîtrise de son sujet et de sa caméra, franchissant encore une étape après « Les Adoptés ». L’évolution est flagrante dès le début du film.  Ce premier plan nous montre des toits tristement identiques de  pavillons de province. Lui succède celui d’une adolescente qui se lève  avec, hors-champ, les cris de ses parents qui se déchirent. Le décor est planté. L’apparente tranquillité n’est qu’un leurre.  Tout peut exploser, la tranquillité peut se briser, à tout instant.

    Au lycée, en cours, Charlie apprend les excès de la passion. Il suffisait de trouver un objet à celle-ci. Ce sera Sarah.  Peu à peu l’étau va se refermer sur Charlie, sa prison dans laquelle elle va elle-même s’enfermer. Mélanie Laurent distille progressivement des indices qui témoignent de la perversité de Sarah, créant un malaise et une empathie croissantes du spectateur pour Charlie. La tension est accentuée par une caméra à l’épaule, qui ne laisse pas de répit, suggère la survenance possible d’un drame. A tout moment. Comme un serpent prêt à surgir et étouffer sa proie.

    Comme sa mère qui pardonne toujours à son père, Charlie pardonnera toujours comme aveuglée, emprisonnée dans cette pseudo-amitié, dans sa fascination. Mélanie Laurent ne lâche ni ses actrices ni le spectateur, pas une seconde, tout comme Sarah ne lâche pas Charlie grâce à la qualité et la précision de son écriture (pas de plan superflu ou vain),  la beauté froide ou lumineuse des images ( comme ces plans de bord de mer dont la luminosité contraste intelligemment avec la noirceur de ce que commence alors à vivre Charlie) et  le talent de ses deux comédiennes (sans doute aussi très bien dirigées) qui crèvent littéralement l’écran. Va  s’opérer un glissement progressif du drame social vers le thriller. Planent les ombres de Chabrol, Hitchcock, Gus Van Sant, Sofia Coppola (sans les tics parfois mode-rne-s de cette dernière) mais surtout celle d’une nouvelle cinéaste qui ne cite pas les autres mais construit sa propre filmographie et ses propres codes : Mélanie Laurent.

    Le film est aussi jalonné de moments de grâce comme lorsque les deux jeunes filles dansent sur « You and Me » de Disclosure, exacerbant encore la noirceur de ce qui suivra et le sentiment de prison sans échappatoire pour Charlie.

    Après la projection, Mélanie Laurent a raconté avoir découvert Lou de Laâge dans « J’aime regarder les filles », le magnifique premier film de Frédéric Louf qui avait révélé un autre immense comédien, Pierre Niney. Je me réjouis encore d’avoir fait partie du jury qui avait récompensé Lou de Laâge au Festival International du Film de Boulogne-Billancourt pour « Nino, une adolescence imaginaire de Nino Ferrer » de Thomas Bardinet.  Ici, elle excelle une nouvelle fois dans ce rôle de manipulatrice qui, sous des abords au départ particulièrement affables, va  se révéler venimeuse, double, perverse. Face à elle, Joséphine Japy est époustouflante, interprétant avec beaucoup de nuances, notamment grâce à d’éloquents silences, sa souffrance indicible. C’est d’autant plus impressionnant qu’une vingtaine de séquences ont été improvisées. Mélanie Laurent a ainsi passé 4 mois à travailler avec ses actrices pour seulement 6 semaines de tournage.

    Un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux  exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec Charlie dans cet abyme mental en apparence inextricable.

    Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la  seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin.

    Et si vous n’en êtes pas encore convaincus, voici les mots de Dany Boon à la fin de la projection qui auront pour vous peut-être plus de poids que les miens : « J’ai trouvé le film très maîtrisé, incroyable. La fin est très prenante. Film bouleversant, d’une justesse incroyable, je suis très impressionné ».