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  • Critique - LES TROIS MOUSQUETAIRES - D'ARTAGNAN de Martin Bourboulon (au cinéma le 5 avril 2023)

    cinéma, critique, film, Les trois mousquetaires - d'Artagnan de Martin Bourboulon, Les trois mousquetaires, Alexandre Dumas, François Civil, Vincent Cassel, Pio Marmaï, Romain Duris; Vicky Krieps, Eva Green,

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    Critique réalisée suite à l'avant-première qui eut lieu au Cinéville, ce 19.02.2023 - photo ci-dessus -

    Le film de cape et d’épée (défini comme mettant en scène des « personnages batailleurs, généreux et chevaleresques ») fut très à la mode, en particulier dans le cinéma français des années 1940 à 1970. Il tomba un peu en désuétude même si quelques films notables tentèrent de le faire revenir sur le devant de la scène. Parmi les films de cape et d’épée les plus remarquables, il faut bien sûr citer Le Bossu de Jean Delannoy en 1944, Le Capitan de Robert Vernay en 1946, deux films avec Jean Marais qui tourna de nombreux longs-métrages appartenant à ce genre, comme encore Le Masque de fer de Henri Decoin en 1962. Il y eut aussi l’incontournable Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque en 1952, rôle alors incarné par Gérard Philippe. Le même Christian-Jaque réalisa aussi La Tulipe noire avec Alain Delon en 1964.  On se souvient aussi de Belmondo dans Cartouche de Philippe de Broca en 1961 et, en 1971, dans Les Mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau à qui l’on doit aussi le chef-d’œuvre Cyrano de Bergerac en 1990 et Le Hussard sur le toit en 1995. Il y eut encore Le Bossu de Philippe de Broca en 1997, La Fille de d’Artagnan de Bertrand Tavernier en 1994, et plus récemment, en 2003, une autre version de Fanfan la Tulipe réalisée par Gérard Krawczyk et, en 2010, La Princesse de Montpensier, autre chef-d’œuvre également réalisé par Bertrand Tavernier. Bien sûr, le film de cape et d’épée n'inspira pas seulement le cinéma hexagonal. Je pense notamment à Scaramouche de George Sidney avec Stewart Granger et Janet Leigh en 1952 ou aux Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang en 1955.

    Tout comme le polar, ou le cinéma français des Truffaut, Sautet (cf mon autre article du jour consacré à César et Rosalie de Claude Sautet), Renoir, Carné…, le film de cape et d’épée a bercé les premières années de ma cinéphilie. J’étais donc particulièrement impatiente de découvrir ces Trois mousquetaires qui firent déjà l’objet de tant d’adaptations au cinéma. Il s’agit en effet de la….44ème ! Parmi ces adaptations : Les Mousquetaires de la reine de George Méliès en 1903, les Trois Mousquetaires de Bernard Borderie de 1961 ou encore La Fille de d’Artagnan de Bertrand Tavernier en 1994, qui est néanmoins une libre adaptation de l’œuvre de Dumas, reprenant les personnages dans des aventures inédites. Alors, dans cette nouvelle adaptation, retrouve-t-on les fondamentaux du film de cape et d’épée ? S’agit-il d’une adaptation fidèle à l’œuvre de Dumas ou une adaptation très libre comme le fut celle de Tavernier ?

    D’abord, sachez qu’il s’agit d’un diptyque. La première partie intitulée Les Trois Mousquetaires – d’Artagnan sort ce 5 avril 2023. Il faudra attendre le 13 décembre 2023 pour découvrir la suite, intitulée Les Trois Mousquetaires – Milady. L’attente est énorme pour ce film produit par Dimitri Rassam et Pathé au regard de l’impressionnant casting, du genre du film, délaissé depuis des années par le cinéma français, de son ambition et du budget colossal (72 millions d’euros au total).

    Comme dans le roman de Dumas, en 1627, le Gascon d’Artagnan (François Civil) pauvre gentilhomme, vient à Paris dans le but d’intégrer le corps des mousquetaires. Comme dans le roman toujours, il se lie d’amitié avec Athos (Vincent Cassel), Porthos (Pio Marmaï) et Aramis (Romain Duris), les mousquetaires de Louis XIII (Louis Garrel), qui, chacun pour des raisons différentes, le provoquent en duel. Ils vont s’unir pour s'opposer au Premier ministre, le Cardinal de Richelieu, et à ses agents, dont la mystérieuse Milady de Winter (Eva Green), pour sauver l'honneur de la reine de France, Anne d’Autriche (Vicky Krieps) mais aussi pour sauver Athos accusé d’un crime dont il ignore s’il l’a commis. Le jeune d'Artagnan s'éprend de Constance Bonacieux (Lyna Khoudri), lingère d’Anne d’Autriche… Dans un royaume divisé par les guerres de religion et menacé d’invasion par l’Angleterre, l’aventure conduit les Mousquetaires des bas-fonds de Paris au Louvre, jusqu’au Palais de Buckingham.

    Comme l’indique son titre, cette première partie du dytique tourne essentiellement autour du personnage de d’Artagnan, et de la figure du héros qui nait sous nos yeux, un héros qui cherche à conquérir l’amour autant que son statut de mousquetaire.

    Tous les ingrédients sont là pour un grand divertissement populaire, tout public. Le scénario -signé Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte- auxquels on doit notamment la coécriture et la coréalisation du film Le Prénom, sorti en 2012 - est fidèle à l’œuvre mais témoigne aussi de son intemporalité dans les thèmes abordés : le courage, le sens de l’amitié, l’amour, la vengeance, l’honneur. Parmi les ingrédients qui contribuent à cette réussite figure la musique de Guillaume Roussel (à qui l’on doit récemment celles de Couleurs de l’incendie, Kompromat, Novembre…) dont le lyrisme accompagne, voire exacerbe, le caractère épique de l’aventure. Mais surtout les décors de Stéphane Taillasson et les costumes de Thierry Delettre contribuent à la modernité de cette version filmée en décors naturels, donnant un caractère de vérité aux course-poursuites et batailles dans un Paris interlope et obscur. À cela, il faut ajouter les cascades réalisées par les comédiens eux-mêmes qui contribuent aussi au sentiment de réalisme et à l’immersion du spectateur. Les plans-séquence nous immergent en effet avec les héros dans le décor et dans leur course haletante contre la mort et pour l’honneur. Martin Bourboulon souhaitait réaliser un film entre « le thriller et le western royal ». De ce point de vue aussi, c’est  une réussite. Les cavalcades au cœur de la nuit, les duels, les costumes, tout rappelle le western. Dès les premières minutes, le ton est donné : d’Artagnan reçoit un coup de feu censé être mortel, est enterré puis revient d’outre-tombe. Prémisses de la figure héroïque. Générique.

    Le casting contribue aussi largement à cette réussite, casting au premier rang duquel se trouve Lyna Khoudri (Papicha, Gagarine, La place d’une autre, Novembre...) dont le jeu est toujours aussi nuancé comme le personnage de la douce, malicieuse et courageuse Constance le nécessitait, mais aussi Vicky Krieps dans le rôle de la reine après avoir été une inoubliable impératrice dans Corsage de Marie Kreutzer, une Sissi frondeuse, à la fois sombre et excentrique, enfermée et avide de liberté.  Eva Green est une Milady de Winter charmeuse, mystérieuse, manipulatrice, diabolique comme il se doit, avec sa voix rauque inquiétante et envoûtante qui sied parfaitement au personnage. François Civil (Celle que vous croyez, Mon inconnue, Deux Moi, Bac Nord, et LE film de l’année 2022, En Corps...)  apporte à son personnage de d’Artagnan l’insolence, la candeur, la malice et l’intrépidité nécessaires, un héros dont le voyage initiatique le fait se muer en aventurier téméraire. Pio Marmaï, possède la gouaille de l’hédoniste Porthos. Cassel altier, torturé, est parfait dans le rôle de l’aristocrate Athos. Romain Duris se glisse idéalement dans le rôle d’Aramis, pétri de contradictions, séducteur et dévot. Les seconds rôles sont tout aussi judicieusement choisis : Eric Ruf dans le rôle du Cardinal de Richelieu, Oliver Jackson-Cohen dans le rôle du Duc de Birmingham, Alexis Michalik dans le rôle de Villeneuve de Radis, Marc Barbé dans le rôle du capitaine de Tréville…

    Là où le film aurait pu tomber dans une surenchère de scène sanguinolentes pour attirer un public plus jeune et moderniser l’œuvre, le son très habilement utilisé vient signifier la violence et la douleur sans que les images ne tombent dans cet écueil, ce qui n’en est pas moins efficace pour créer la tension et le suspense. Après Papa ou Maman (2015), Papa ou Maman 2 (2016) et Eiffel (2021), sa dernière réalisation déjà  très ambitieuse et spectaculaire, Martin Bourboulon démontre un véritable savoir-faire dans cette reconstitution historique virevoltante, ayant certainement tiré les enseignements des grands cinéastes pour lesquels il avait travaillé comme  assistant de réalisation : Joffé, Kassovitz, Tavernier, Rappeneau, Demme…

    Nous retrouvons la flamboyance, l’écriture savoureuse, la noirceur et l’humour, le rythme de l’œuvre de Dumas dans cette course effrénée pour sauver l’honneur et la paix, cette fresque pleine de panache. Parfois un peu sombre visuellement (certes comme l’étaient des films de cape et d'épée emblématiques :  Cyrano de Bergerac de Rappeneau ou La Princesse de Montpensier de Tavernier), cette nouvelle adaptation réussit brillamment à nous plonger dans l’univers de Dumas et surtout nous donne envie de relire ce récit historique et initiatique palpitant et ses autres chefs-d’œuvre (je vous recommande notamment La Dame de Monsoreau)…mais aussi de découvrir la suite le 13 Avril. Aux plus jeunes, ce film donnera probablement le goût du cinéma de cape et d’épée. Pour les autres, il sera une réminiscence d’un cinéma qui a peut-être illuminé leurs soirées d’enfance et dont le cinéma français a tardé à s’emparer de nouveau, craignant sans doute une comparaison avec des blockbusters d’Outre-Atlantique. Ce pari réussi prouve une nouvelle fois que le cinéma français peut s'approprier tous les genres, sans avoir à rougir d’aucune comparaison.

    « Toute fausseté est un masque, et si bien fait que soit le masque, on arrive toujours, avec un peu d'attention, à le distinguer du visage. » Cette citation d’Alexandre Dumas de 1844, extraite des Trois Mousquetaires, rappelle le passionnant jeu de masques que sont les livres de Dumas et aussi pourquoi ils sont un matériau idéal pour l'adaptation cinématographique, art de l'illusion (et donc du jeu de masques) par excellence. Comme l’est aussi Le Comte de Monte-Cristo que Pathé produira également, un film qui sortira en 2024, réalisé par…Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière. Nous avons en effet appris il y a quelques jours que cet autre héros de Dumas serait incarné par Pierre Niney. Enfin, si vous voulez en savoir plus sur Alexandre Dumas, je vous recommande aussi le film L’autre Dumas de Safy Nebbou, sur le collaborateur de Dumas, l'artisan besogneux face au génie  inspiré qu'était Dumas. Leur face-à-face interroge le mécanisme complexe de la création. Maquet n'atteignit jamais les fulgurances de Dumas mais Dumas ne pouvait écrire sans Maquet. Une tragi-comédie romanesque, voire rocambolesque, à la manière d'un feuilleton de Dumas avec en toile de fond la révolution de 1848 qui apporte ce qu'il faut d'Histoire indissociable de cette du grand écrivain qui s'en est toujours largement inspiré.

    Cette parenthèse refermée, pour conclure, si vous voulez remonter et arrêter le temps en vous plongeant dans l’univers sombre, romanesque et passionnant de Dumas, voir un film ambitieux, populaire (au sens noble) et spectaculaire…je vous recommande vivement de foncer à la rencontre des Trois Mousquetaires, au cinéma le 5 avril.

    Les autres critiques du mois en avant-première* à lire sur Inthemoodforcinema.com : La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé, Mon crime de François Ozon, Sur les chemins noirs de Denis Imbert. Exceptionnellement, la critique des Trois Mousquetaires - D'Artagnan de Martin Bourboulon a été écrite suite à une avant-première en province et non suite à une projection presse comme c’est le cas pour les autres films précités. Retrouvez aussi mon article détaillant les nominations aux César 2023, ici.

  • Critique de CELLE QUE VOUS CROYEZ de Safy Nebbou ce soir à 21H sur Canal +

    Critique de Celle que vous croyez de Safy Nebbou et affiche.jpg

    Cette critique a été publiée lors de la sortie du film...

    C’est avec impatience que j’attendais ce film : parce qu’il est réalisé par Safy Nebbou dont j’avais tant aimé l’adaptation du livre éponyme de Sylvain Tesson, « Dans les forêts de Sibérie » et apprécié les précédentes réalisations, parce qu’il s’agit d’une adaptation (du livre éponyme de Camille Laurens), parce qu’un film avec Juliette Binoche n’est jamais synonyme de déception mais plutôt synonyme de choix clairvoyants et audacieux. Après « Comme un homme » en 2012 et « Dans les forêts de Sibérie » en 2016, le nouveau long-métrage de Safy Nebbou est ainsi une nouvelle adaptation après l’adaptation libre du récit de l'aventurier Sylvain Tesson.

    Nous suivons ici Claire Millaud (Juliette Binoche), 50 ans, qui, pour épier son amant Ludo (Guillaume Gouix), crée un faux profil sur les réseaux sociaux et devient Clara, une magnifique jeune femme de 24 ans. Alex (François Civil), l’ami de Ludo, est immédiatement séduit. Claire, prisonnière de son avatar, tombe éperdument amoureuse de lui. Si tout se joue dans le virtuel, les sentiments sont bien réels. Une histoire vertigineuse où réalité et mensonge se confondent.

    Le film débute avec Juliette Binoche qui s’immerge dans sa baignoire.  Puis, nous la retrouvons chez sa nouvelle psychiatre (Nicole Garcia) à laquelle, la voix chevrotante et le regard perdu dans le vide, elle livre sa (première) version de sa tortueuse histoire.

    Si le film est bien sûr une réflexion sur les jeux de manipulation et les « Liaisons dangereuses » (Claire est professeure de littérature comparée à l'université et étudie d’ailleurs l’œuvre de Laclos avec ses élèves) qui peuvent se nouer sur internet et à travers les réseaux sociaux, c’est aussi une habile réflexion sur la place que la société accorde aux femmes qui n’ont plus vingt ans, a fortiori dans une société qui en glorifie l’image, et sur cet ogre impitoyable : le temps. Les phrases de Duras que Claire cite dans un de ses cours résument d’ailleurs très bien cela : « Très vite, dans ma vie, il a été trop tard. Cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu'on traverse les temps les plus célébrés de la vie ».

    Safy Nebbou et Julie Peyr, sa coscénariste, ont réalisé un habile travail d’adaptation pour aboutir à ce film qui, d’une certaine manière, dépeint une facette de notre époque qui répond à celle décrite dans « Dans les Forêts de Sibérie ». Raphaël Personnaz y incarnait en effet Teddy, un chef de projet multimédia qui, pour assouvir un besoin de liberté, décide de partir loin du bruit du monde, et s’installe seul dans une cabane, sur les rives gelées du lac Baïkal, en Sibérie loin de ce monde virtuel dans lequel, au contraire, Claire dans « Celle que vous croyez » va se réfugier, se (re)trouver et se perdre. Dans « Dans les Forêts de Sibérie », nous vivons avec Teddy cette expérience hors du temps, hors de nos réalités, presque hors de notre époque où notre attention est constamment sollicitée, où le silence et l’espace deviennent des luxes suprêmes là où au contraire Claire nous ramène à cette réalité, nous et s’y enferme.

    Safy Nebbou, à chaque film, explore, un univers différent et prouve ainsi l’étendue de son talent même si on peut y retrouver des thématiques ou éléments récurrents comme l'importance des mots, ceux de Dumas et ceux de Gilles Taurand  dans « L'Autre Dumas » ou encore l’idée de double, d’altérité qui est d’autant plus présente ici que Claire incarne aussi une autre version d’elle-même, comme un personnage de fiction qu’elle aurait créé.

     « Maitriser le temps, vivre intensément chaque instant » entendait-on comme un leitmotiv dans « Dans les Forêts de Sibérie ». Un véritable défi dans une société ultra connectée qui nous procure souvent le rageant sentiment d’avoir perdu la capacité à vivre et saisir l’instant présent alors que, paradoxalement, nous ne l’avons jamais autant immortalisé. Et surtout un leitmotiv qui pourrait aussi être celui de Claire.

    Claire vit dans un appartement dont les grandes baies ouvrent sur la ville d’une modernité froide et impersonnelle. Un peu à l’image de ce qu’est devenue son existence.  Claire, après avoir failli se noyer dans la dépression, va se noyer dans ce monde virtuel qu’elle se crée, qui devient pour elle comme une drogue qui lui fait perdre toute notion de réalité : « Pour les gens comme moi, c'est à la fois le naufrage et le radeau, les réseaux sociaux, on surnage dans le virtuel. » Plusieurs scènes le montrent ainsi. Lorsqu’elle est au téléphone avec Alex, elle est dans une sorte d’ailleurs qui la coupe du monde. Qu’elle soit au supermarché ou dans une bibliothèque, elle parle fort comme s’ils étaient seuls au monde, comme si elle était isolée du monde.

    Ainsi dit-elle : « Quand j'étais avec lui je me sentais vivante. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante. Je ne faisais pas semblant d'avoir 24 ans. J'avais 24 ans. » Ou encore « ce n’était pas une autre vie » mais « la mienne, enfin ». Il fallait une actrice à l’étendue du talent, immense, comme celui de Juliette Binoche pour incarner Claire/Clara. Ses attitudes, sa voix, ses gestes, son énergie, ses espoirs fous qui illuminent son regard sont soudain ceux d’une jeune femme de 24 ans. Puis elle redevient devant sa psy la femme de cinquante ans, blessée par la vie, épuisée, désillusionnée. Comme dans le chef-d’œuvre de Kiarostami « Copie conforme » dans lequel elle incarnait un personnage certes très différent mais dont le jeu si riche et habité pouvait se prêter à plusieurs interprétations.

    Le film de Safy Nebbou met en scène un magnifique portrait de femme de 50 ans, loin des stéréotypes, une femme dévorée de désirs, d’envies, de rêves, de blessures aussi, une femme « hors du rôle prédéfini par la société », qui refuse de se « soumettre aux normes dans lesquelles on nous enferme » et la singularité de ce personnage, hors des cadres et clichés habituels qui ne font pas souvent honneur à la complexité de l'âme féminine, fait un bien fou, un personnage « trop passionné » qui a cru « mourir de chagrin ». Une femme à la fois libre et enchaînée à ses douleurs et sa solitude. Une femme qui a droit aux rêves, d’écrire sa vie certes pour « l’illusion d’éternelle jeunesse », pour « s’éloigner » de la « perspective » de « la mort ».

    C’est aussi un hommage sublime à la littérature, au pouvoir des mots, comme l’étaient aussi « Dans les forêts de Sibérie » et « L’autre Dumas ». Des mots qui libèrent et emprisonnent, des mots qui évadent (elle dit ainsi « J'ai repris mon ancienne vie comme on referme un roman »), des mots en apparence futiles mais dangereux, des mots qui pourraient la trahir (quand elle emploie un vocabulaire de sa génération qui n’est pas celui d’Alex). Elle lui lit d’ailleurs « Lettres à un jeune poète » de Rilke (au passage aussi cité dans « Le grand bain » de Gilles Lellouche). Rilke pour qui la création artistique était l’acceptation de soi mais aussi l’expérience de la solitude, de l'amour, de la mélancolie qui sont aussi à l’œuvre ici.

    C’est en effet aussi un film sur le pouvoir de l’imaginaire, prison et évasion, qui est illustré par cette magnifique phrase qu’elle prononce devant sa psychiatre : « Il n'y a pas d'âge pour être petite. J'avais besoin qu'on s'occupe de moi, qu'on me berce, même d'illusions. »  « Dans un monde imaginaire où vous voulez vous blesser encore et encore » luit dit aussi cette dernière.

    Nicole Garcia, parfaite, comme toujours, incarne une psychiatre dont le retrait et la distance apparents se fragilisent peu à peu quand son empathie envers cette femme l’emporte sur la frontière professionnelle qui se fissure progressivement. « Je ne suis que le dépositaire provisoire de message qui ne m'est pas directement destiné. », « On apprend quelque chose de nous-mêmes avec tous nos patients » affirme-t-elle ainsi, pourtant lorsqu’elle dit « vous seriez surprise par ce qui me passe par la tête », par son intonation, entre fougue et retenue, on image aisément une femme aussi passionnée et complexe que Claire.

    Il est d’ailleurs amusant de retrouver l’actrice/réalisatrice dans ce film après son splendide « Mal de Pierres », autre adaptation, cette fois du roman éponyme de l’Italienne Milena Agus. Marion Cotillard y incarne Gabrielle, une jeune femme qui a grandi dans la petite bourgeoisie agricole de Provence. Elle ne rêve que de passion. Elle livre son fol amour à un instituteur qui la rejette. On la croit folle, son appétit de vie et d’amour dérange, a fortiori à une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage. « Elle est dans ses nuages » dit ainsi d’elle sa mère.   Nicole Garcia une fois de plus se penchait sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité comme dans le sublime « Un balcon sur la mer ». Cette digression pour souligner que ces thèmes sont aussi au cœur de ce film de Safy Nebbou comme la force créatrice et ardente des sentiments, les affres de l’illusion amoureuse. Ces deux films ont en commun de sublimer les pouvoirs magiques et terribles de l’imaginaire qui portent et dévorent, comme un hommage au cinéma.  Ici Claire est à la fois démiurge du personnage qu’elle se construit, mais aussi victime de cet imaginaire.

    François Civil, même s’il a un rôle moins « physiquement » présent arrive néanmoins à imposer son magnétisme, et sa fragilité.

    Tout comme « Dans les forêts de Sibérie », Gilles Porte est le directeur de la photographie et apporte ce qu’il faut de mystère, de lumière et de froideur à ce film remarquable, qui lorgne du côté d’Hitchcock et de Truffaut, entre drame intime et thriller psychologique, un détonant et prestigieux mélange qui donne un film qui se joue des apparences et de la réalité jamais finalement telle « que vous croyez », palpitant de la première à la dernière seconde notamment grâce à Juliette Binoche et au personnage, magnifique et troublant, complexe, inquiétant et séduisant qu’elle incarne à la perfection procurant d’autant plus toute sa force au pouvoir de l’imaginaire que le film exalte. De son imaginaire et de notre imaginaire.